La visite avortée d’une délégation de l’UE en Libye, premier pays de partance des migrants pour l’Europe
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La visite avortée d’une délégation de l’UE en Libye, premier pays de partance des migrants pour l’Europe
Par Nissim Gasteli (Tunis, correspondance) et Olivier Bonnel (Rome, correspondance)
La visite n’a finalement pas eu lieu. Les ministres italien et maltais de l’intérieur, Matteo Piantedosi et Byron Camilleri, le ministre grec de la migration et de l’asile, Thanos Plevris, ainsi que le commissaire européen aux affaires intérieures et à la migration, Magnus Brunner, n’ont vu de Benghazi que le tarmac de l’aéroport. A peine y avaient-ils posé le pied, mardi 8 juillet dans l’après-midi, que le gouvernement, dit « de stabilité nationale », siégeant dans la cité de l’est libyen, leur a refusé l’accès.
Leurs avions respectifs n’étaient pas encore repartis que le premier ministre, Oussama Hammad, publiait un communiqué sur les réseaux sociaux pour dénoncer une « violation flagrante des normes diplomatiques et des conventions internationales ». Il intimait aux quatre responsables européens et leurs équipes, considérés comme « persona non grata », de « la nécessité de quitter immédiatement le territoire libyen ».
Selon les informations du Monde, les responsables européens devaient initialement rencontrer le maréchal Khalifa Haftar, qui règne sur l’est et une partie du sud de la Libye. Celui-ci avait déjà reçu le ministre grec des affaires étrangères, Giorgos Gerapetritis, dimanche, pour évoquer la migration mais aussi la délimitation des frontières maritimes dans la perspective de l’exploitation des hydrocarbures que renferment les fonds marins au large de la Cyrénaïque. Sur ce sujet, l’influence montante de la Turquie auprès des autorités de fait de Benghazi est source de tension avec Athènes.
Cependant, si ce gouvernement ne bénéficie pas de la reconnaissance internationale, les Européens, sur fond de rivalité avec la Russie qui accroît son influence sur place et pour juguler les départs de migrants, ont accepté de rencontrer à plusieurs reprises le maréchal Haftar en sa qualité de chef d’état-major de l’« armée nationale libyenne ». Pas son gouvernement en revanche, ne traitant officiellement qu’avec celui « d’union nationale », installé à Tripoli. Ainsi, lorsque la délégation a été accueillie à son arrivée par le premier ministre, Oussama Hammad, celle-ci a refusé de le rencontrer.
« Il y avait un consensus tacite selon lequel le gouvernement de l’Est restait à l’écart des rencontres diplomatiques, mais sa présence à l’aéroport a mis dans l’embarras la délégation européenne », analyse Claudia Gazzini, de l’International Crisis Group. Selon la chercheuse, l’expulsion de la délégation européenne ne doit pas être perçue comme une attaque contre l’Italie ou l’Europe. Celle-ci répondrait plutôt à une dynamique interne libyenne, Oussama Hammad cherchant à « se présidentialiser ». « Cette position a été pleinement soutenue par le commandant en chef de l’armée nationale libyenne », tempère une source locale, sous couvert d’anonymat.
Le voyage de la « team Europe » avait pourtant bien commencé. Dans la matinée, la délégation avait rencontré des responsables du gouvernement de Tripoli dans la capitale libyenne. Lors d’une réunion avec le premier ministre, Abdel Hamid Dbeibah, il a annoncé la mise en place d’une « vaste campagne nationale » pour « lutter contre la traite des êtres humains », tout en appelant au « soutien des pays amis », estimant que le « problème » de la migration dépasse les capacités de la Libye.
L’annonce avait de quoi satisfaire les représentants européens alors que ce pays d’Afrique du Nord est aujourd’hui le principal point de départ de la migration irrégulière vers le Vieux Continent, favorisée par les divisions politico-militaires survenues depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. « Cette mission a jeté les bases d’une coopération plus large », s’est réjoui Magnus Brunner, commissaire européen aux affaires intérieures et à la migration, sur X.
En réalité, le gouvernement de Tripoli possède peu de leviers sur la migration irrégulière. Son autorité dépend de milices qui contrôlent les zones de départ et profitent du trafic d’êtres humains pour s’enrichir. Au moins 35 000 personnes, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés et le gouvernement grec, ont réussi la traversée vers l’Europe depuis le 1er janvier, malgré plus de 700 millions d’euros dépensés par Bruxelles pour soutenir la Libye depuis 2017, afin d’endiguer les départs et en dépit des graves violations des droits humains à l’encontre des migrants, régulièrement dénoncées par des ONG.
La visite de la délégation en Libye ne pouvait donc être complète sans une rencontre avec les autorités dissidentes de l’Est à Benghazi. La région suscite de vives inquiétudes auprès des Européens. Le nombre de traversées vers la Crète a augmenté de 350 % depuis le début de l’année 2025, selon Athènes. « Le corridor Libye-Crète pourrait devenir une route-clé », estimait Frontex, dans son analyse de risques pour la période 2025-2026, publiée en juin. L’agence européenne de surveillance des frontières craint que la « consolidation » de cet axe puisse « entraver davantage le bon fonctionnement de l’espace Schengen et accroître les tensions entre les Etats membres ».
Sur la rive nord de la Méditerranée, l’incident diplomatique a vivement fait réagir. « Ce n’était pas une attitude positive, a déploré le vice-premier ministre grec, Kostis Hatzidakis, auprès de la chaîne de télévision ERT. La Libye doit comprendre qu’elle ne peut ignorer l’Union européenne et doit également comprendre clairement que le chemin vers tout soutien financier passe également par Athènes. » La Grèce a finalement annoncé, mercredi, sa décision de suspendre pour trois mois l’examen des demandes d’asile de migrants arrivant à bord de bateaux en provenance d’Afrique du Nord. Le premier ministre, Kyriakos Mitsotakis, déclarant notamment devant le Parlement que « tous les migrants qui entrent illégalement seront arrêtés et détenus ».
En Italie, l’opposition n’a pas manqué d’ironiser sur le sort du ministre de l’intérieur issu du gouvernement d’extrême droite de Giorgia Meloni qui a fait du contrôle migratoire sa priorité et de la Libye son partenaire privilégié. « L’expulsion de Matteo Piantedosi comme un simple migrant – ceux que le gouvernement Meloni appelle clandestins – ferait sourire si seulement la Libye n’était pas l’enfer sur terre pour ceux qui la traversent », a commenté l’eurodéputée italienne du Partito Democratico (centre gauche) Cecilia Strada. Le sénateur Ivan Scalfarotto, responsable des affaires étrangères du parti centriste Italia Viva, a, lui, demandé au chef de la diplomatie, Antonio Tajani, de venir s’expliquer devant le Parlement.
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