• L’ère de la standardisation : conversation sur la Plantation, Anna Lowenhaupt Tsing, Donna Haraway
    https://www.terrestres.org/2024/02/23/lere-de-la-monoculture-et-de-la-standardisation-conversation-sur-la-plan

    [Donna Haraway] D’une certaine manière, la notion de #Plantationocène nous force à prêter attention aux cultures qui se sont constituées autour de la nourriture et de la #plantation en tant que système de #travail forcé multi-espèces. Le système de la plantation accélère la temporalité même des générations. La plantation perturbe en effet les successions de génération pour tous les acteurs·trices humains·es et non humains·nes. Elle simplifie radicalement leur nombre et met en place des situations favorisant la vaste prolifération de certain·es et l’élimination d’autres. Cette façon de réorganiser la vie des espèces favorise en retour les épidémies. Ce système dépend d’un certain type de travail humain forcé, car si jamais la main-d’œuvre peut s’échapper, elle s’enfuiera de la plantation.

    Le système de la plantation nécessite donc soit un génocide ou l’exil forcé d’une population, ou encore un certain mode d’enfermement et de remplacement de la force de travail locale par une main d’œuvre contrainte venant d’ailleurs. Cela peut être mis en place par des contrats bilatéraux mais quoiqu’il en soit asymétriques, soit par de l’esclavage pur et simple. La plantation dépend ainsi par définition de formes très intenses de #travail_forcé, s’appuyant aussi sur la sur-exploitation du travail mécanique, la construction de machines pour l’exploitation et l’extraction des êtres terrestres. Je pense d’ailleurs qu’il est essentiel d’inclure le travail forcé des #non-humains – plantes, animaux et microbes – dans notre réflexion.

    Dès lors, lorsque je réfléchis à la question de savoir ce qu’est une plantation, il me semble qu’une combinaison de ces éléments est presque toujours présente sur les cinq derniers siècles : simplification radicale ; remplacement de peuples, de cultures, de microbes et de formes de vie ; travail forcé. Plus encore peut-être que ces éléments, la plantation repose en outre sur le bouleversement des temporalités qui rendent possible la succession des générations, la transmission et le passage d’une génération à l’autre pour chaque espèce, y compris pour les êtres humains. J’évite le mot reproduction à cause de son aspect productiviste, mais je veux souligner l’interruption radicale de la possibilité de prendre soin des générations et, comme Anna me l’a appris, la rupture du lien avec le lieu – la capacité d’aimer et de prendre soin des localités est radicalement incompatible avec la plantation. En pensant à la plantation, toutes ces dimensions semblent être constamment présentes à travers diverses configurations.

    Anna Tsing : J’ajouterai brièvement que le terme plantation m’évoque l’héritage d’un ensemble bien particulier d’histoires convoquant ce qui s’est passé après l’invasion européenne du Nouveau Monde, notamment la capture d’Africain·es comme main-d’œuvre asservie et la simplification des cultures pour forcer les travailleurs·euses asservi·es à devenir des travailleurs·euses agricoles. Dans de nombreuses petites exploitations agricoles indépendantes, des dizaines de cultures agricoles différentes peuvent être pratiquées et exiger du soin de la part des agriculteurs-trices qui se préoccupent de chacune d’elles. En concevant à l’inverse des systèmes reposant sur du travail forcé et contraint, l’agriculture en est venue à reposer sur des simplifications écologiques.

    #histoire #mise_au_travail #capitalisme #anthropocène #capitalocène #écologie

  • « L’objectif de la loi plein-emploi est de mettre les chômeurs sous pression » | Claire Vivès, Sociologue, chercheure au Cnam
    https://www.alternatives-economiques.fr/lobjectif-de-loi-plein-emploi-de-mettre-chomeurs-pression/00108598

    Ramener le taux de chômage à 5 %, tel est l’objectif que s’est fixé le gouvernement pour le quinquennat. Pour l’atteindre, il compte sur les mesures de sa #loi_plein-emploi. Députés et sénateurs se sont entendus sur une version finale du texte qui doit être validée par les deux chambres du Parlement. Le Sénat l’a adoptée jeudi 9 novembre et l’Assemblée se prononcera le 14 novembre.

    Pour mémoire, cette loi prévoit notamment de renommer Pôle emploi en France Travail et de l’intégrer dans un « réseau pour l’emploi » aux côtés des missions locales et des Cap emploi. Surtout, elle contient l’article controversé qui impose des heures d’activités aux allocataires du #RSA.

    Cette loi s’inscrit dans les lignées des politiques de mise au travail, à l’image de celle du #contrôle des demandeurs d’emploi

    #Travail #mise_au_travail #Chômage #chômeurs #France_travail

    • Faire la guerre à France travail, résister à l’offensive anti-pauvres
      https://rebellyon.info/Faire-la-guerre-a-France-travail-resister-25429

      Il est grand temps de prendre au sérieux la lutte à mener contre la création par l’Etat du nouveau dispositif « France Travail ». Énième réforme du service public de l’emploi, la création de « France Travail » accélère la diminution constante des droits des chômeur.euses, attaque le droit au RSA, et baisse l’ensemble des allocations et minimas sociaux. C’est une pièce de plus dans l’énorme machinerie capitaliste construite par Macron à coups de réformes, de répression et de 49.3. A quand la contre-offensive ?

      Tout le monde est concerné par la création de « France Travail », parce que tout le monde (sauf les riches) va en supporter les coûts.

      La création de ce méga-dispositif s’inscrit dans la droite ligne des politiques néo-libérales qui visent à nous marteler la tronche au nom du « #plein_emploi », cette utopie des capitalistes pour nous obliger à charbonner coûte que coûte pour produire plus. On veut une fois de plus nous faire courber l’échine pour satisfaire les besoins des #entreprises.

      La création de « France Travail » se fait au nom de la même #idéologie que celle ayant présidé à toutes les #réformes qu’on se mange depuis 4 ans : allongement de l’âge de départ à la retraite à 64 ans, attaque de l’assurance chômage, réforme des lycées pros et chantage aux titres de séjour par l’emploi annoncé par la loi Darmanin. Avec, en ligne de mire, toujours le même objectif pour Macron : que n’importe qui devienne #employable tout le temps. Concrètement, ça veut dire pas de répit pour les pauvres, la création de nouvelles sanctions en cas de refus de ce nouveau « contrat d’engagement », une coercition accrue pour tout le monde.

      #guerre_aux_pauvres #société_punitive

  • Qui a peur des Soulèvements de la Terre ? | Le Club
    https://blogs.mediapart.fr/nicolas-haeringer/blog/020423/qui-peur-des-soulevements-de-la-terre

    Les “saisons” des Soulèvements de la Terre proposent donc un double basculement : les mobilisations s’attaquent à la production (et partant, à la logique même de production) ; ces remises en cause se font à partir de territoires précis, ce qui redéfinit la grammaire des luttes et partant la géographie des alliances.
    Ce double basculement vient se nouer sur un point théorique et politique précis : celui du rapport entre humain.e.s et autres-qu’humain.e.s, du rapport à ce qu’il est désormais commun d’appeler “le vivant”. 

    Ce qui terrorise (littéralement) l’État, la FNSEA et les lobbies industriels en tous genres, c’est précisément cela : que soit remise en cause, dans des territoires de plus en plus nombreux, cette distinction “moderne” entre les humain.e.s et le reste du vivant. L’État s’arc-boute sur la défense de la production industrielle. 
    [...]

    Nous sommes donc bien dans un affrontement entre deux mondes, irréconciliables : l’extraction, la production, l’accaparement des terres, de l’eau et de la force de travail d’un côté ; l’aspiration à une vie “terrestre” de l’autre. 
    [...]
    Sans doute cette paix ne pourra advenir qu’une fois que nous serons allés au bout de l’affrontement entre ces mondes. Il est de ce fait fondamental que la gauche parlementaire ne cède pas à la tentation de renvoyer dos-à-dos forces de l’ordre et manifestant.e.s violent.e.s.
    C’est précisément pour éviter de tomber dans ce piège qu’il est essentiel de continuer à poser la question des choix politiques, industriels, agroalimentaires, qui sous-tendent le soutien du gouvernement aux méga-bassines plutôt que de se laisser enfermer dans un débat sur la question du maintien de l’ordre. Car ces mobilisations portent en elles une transformation bien plus radicale.
    Refuser de se laisser enfermer dans le piège d’un débat sur le maintien de l’ordre pour, au contraire, élargir la discussion sur les questions de fond est d’autant plus important que nous avons besoin de multiplier les fronts et les luttes, pour en finir avec la destruction du vivant et parvenir à limiter au maximum la catastrophe climatique (en mettant notamment hors d’état de nuire l’industrie fossile et en en finissant une fois pour toute avec l’inaction coupable des États). Nous pourrions alors construire un irrésistible arc de luttes qui allie des mobilisations du type des grandes marches pour le climat aux actions telles que les Soulèvements.

    #écologie par extension #mise_au_travail_du_vivant

    • Rien ne justifie donc un déploiement de forces de l’ordre aussi massif qu’à Sainte Soline - sinon la peur panique de la contagion.

      Y a quand même l’option "communication" qui justifie le déploiement de Sainte Soline. Darmanin a visiblement budget illimité pour faire sa comm "parti de l’ordre" et en même temps faire de la répression politique dans les grandes largeurs ; il craint dégun ; « on » le laisse dépenser l’argent public pour réaliser un très beau western en technicolor.

      C’était un bel évènement festif de chasse aux Kmers Verts, annoncé avec carton d’invitation officiel pour la première, auquel les militants ont répondu massivement, en connaissance de cause. Les indiens ont dû être un peu surpris par la débauche de matériel utilisé par les hôtesses d’accueil, mais le ministre avait promis un beau match.

    • Radio, live transmission
      Radio, live transmission

      Listen to the silence, let it ring on
      Eyes, dark grey lenses frightened of the sun
      We would have a fine time living in the night
      Left to blind destruction, waiting for our sight

      We would go on as though nothing was wrong
      Hide from these days, we remained all alone
      Staying in the same place, just staying out the time
      Touching from a distance, further all the time

      Dance, dance, dance, dance, dance, to the radio (x4)

      Well I could call out when the going gets tough
      The things that we’ve learnt are no longer enough
      No language, just sound, that’s all we need know
      To synchronize love to the beat of the show
      And we could dance

      Dance, dance, dance, dance, dance, to the radio (x4)

  • « C’est vrai qu’il est agaçant Bruno Latour, mais… » Tribune de Paul Guillibert

    https://www.nouvelobs.com/idees/20211025.OBS50251/c-est-vrai-qu-il-est-agacant-bruno-latour-mais.html

    Anticapitalistes contre penseurs écolos : l’économiste Frédéric Lordon a ranimé la controverse en s’attaquant à Bruno Latour, « pleurnicheur du vivant ». Le philosophe Paul Guillibert répond : la question climatique est aussi une question sociale.

    • C’est vrai qu’il est agaçant Latour quand on est marxiste. Prenez Kyoto par exemple. Dans « Politiques de la nature », il s’enthousiasmait de la présence à la même table de grands scientifiques du climat, de dirigeants politiques et d’entrepreneurs capitalistes. Il y avait déjà là de quoi s’inquiéter. 25 ans après, les résultats accomplis par les marchés carbone dans la lutte contre le changement climatique sont catastrophiques. Entre 1995 et 2020, de COP3 en COP24, les émissions de CO2 mondiales ont augmenté de plus de 60 %. Belle réussite. Mais que pouvait-on attendre d’accords passés sans les principaux concernés, les syndicats et les travailleur·se·s ? Latour n’a pas vu que la transition vers une économie bas carbone implique non seulement l’usage de nouvelles techniques mais surtout la transformation radicale des procès de travail, l’abandon des secteurs les plus polluants, la réduction massive de l’extraction et de la production mondiales. Comment tout cela pourrait-il arriver sans celles et ceux qui produisent pour le profit des autres ?

      Latour a donc contribué (parmi d’autres) à vider l’écologie politique contemporaine des relations de travail qui structurent la crise climatique. Il a participé à la création d’un champ académique, artistique et politique où la conflictualité inhérente aux rapports économiques n’existe tout simplement pas. La manière dont les gens vivent, en dépensant une certaine force de travail pour effectuer des tâches - payées ou non - afin d’assurer leur condition de subsistance, n’a plus aucune place. La disparition des classes, de l’économie, du travail et de la production dans la pensée contemporaine est une belle claque à l’histoire du mouvement ouvrier et à la vie quotidienne.

      [...] Il est temps d’abandonner les vieilles oppositions mal construites à « la critique rongeuse des souris ». La reproduction des conditions matérielles de l’existence humaine engage des vivants autres qu’humains.

      #travail #écologie_politique #syndicat #travailleurs #reproduction #communisme #intellectuels

      comme Paul Guillibert cite « Nous ne sommes pas seuls. Politique des soulèvements terrestres » https://seenthis.net/messages/925337, autant évoquer, avec Jason Moore et d’autres, un concept dont il ne fait pas usage, celui de #mise_au_travail_du_vivant

      Pour ceux qui seraient dans le coin, une rencontre avec Paul Guillibert à propos de son livre Terre et Capital. Penser la destruction de la nature à l’âge des catastrophes globales aura lieu à l’invitation du café librairie Michèle Firk à la Parole errante à Montreuil le 20 janvier prochain.

    • Frédéric Lordon au sujet des #Latouriens :

      La destruction capitaliste de la classe ouvrière n’intéressait pas la #bourgeoisie-culturelle, il était donc simple et logique de la passer sous silence. Celle de la planète est plus difficile à évacuer, impossible de ne pas en dire « quelque chose ». Mais quoi — qui ne portera pas trop à conséquence ? Arrivent les latouriens, qui n’ont pas seulement trouvé une manière merveilleusement poétique de reformuler le problème — « où atterrir ? » —, mais en proposent également la réponse qui convient : n’importe où pourvu que ce ne soit pas en le seul lieu où la piste est vilaine et cabossée : la mise en cause du capitalisme. Tous les organes de la #Grande-conscience en frétillent d’aise : frisson de se porter, et surtout d’inviter les autres à se porter en hauteur ; paix de l’âme à être bien certain qu’il ne s’ensuivra aucun dérangement pénible, vis-à-vis ni de leur tutelle publique, ni de leur tutelle capitaliste, ni, et c’est bien le principal, de leur conviction profonde...

      Se retrouver propulsé dans la position très politique de la #pensée-à-la-hauteur-du-péril [ en faisant le jeu politique des institutions médiatiques, culturelles, qui savent très bien ce qu’elles font quand elles élisent qui elles élisent pour ne rien dire d’embêtant — le jeu très politique de la #dépolitisation ], sans jamais prononcer la seule parole politique à la hauteur du péril, sans jamais dire que la Terre est détruite par les capitalistes, et que si nous voulons sauver les humains de l’inhabitabilité terrestre, il faut en finir avec le capitalisme.

      C’est un exploit qui mérite bien une élection. Le jeu de la climatologie concernée auquel invitent les forces de l’ordre symbolique est le jeu de la climatologie sans idée des causes, et surtout sans aucun désir de les trouver : le jeu de la climatologie pleurnicheuse. C’est-à-dire compatible.

      Trouvé sur Wiki :

      En 2001, dans son tout dernier cours au Collège de France, le sociologue Pierre Bourdieu s’associait à son collègue Yves Gingras pour dénoncer la #fausse-radicalité de la tendance de sociologie des sciences illustrée par Bruno Latour et ses collègues, qui selon lui soulèvent avec fracas de faux problèmes et avancent par « une série de ruptures ostentatoires » surtout destinées à promouvoir leurs carrières.

      En novembre 2012, au moment du renouvellement de l’équipe dirigeante de l’Institut d’études politiques de Paris, Bruno Latour défend dans le quotidien Le Monde le bilan et l’ambition de Richard Descoings et de son successeur Hervé Crès au moment où celui-ci est fortement remis en cause par un rapport de la Cour des comptes dénonçant la gestion de l’institut.❞

  • Pleurnicher le Vivant par Frédéric Lordon, 29 septembre 2021
    https://blog.mondediplo.net/pleurnicher-le-vivant

    Rechercher dans la page : « capital » — Expression non trouvée.

    Pourtant avec capital on avait mot compte triple : capital, capitalistes, capitalisme. On fait des recherches dans l’article de tête de Nicolas Truong qui introduit une grande série d’été dans Le Monde : « Les penseurs du vivant ». Pas une occurrence. Enfin si, il faut être honnête, une : « Nous vivons un bouleversement capital ». Si la situation terrestre n’était pas si tragique, ce serait presque drôle.

    Des penseurs concernés

    Nous apprenons en tout cas qu’il y a maintenant des « penseurs du vivant ». Jusqu’à présent c’étaient plus ou moins des biologistes ou des zoologistes. « Penser le vivant », ça doit être davantage. Mais quoi exactement ? Essentiellement : être concerné. Penser le vivant c’est ajouter à la compétence biologique (ou ornithologique, ou entomologique, ou philosophique) le fait d’être concerné. Car Le-Vivant ne va pas bien, il est même gravement en danger, on en pleurerait de concernement. Et puis ? Et puis c’est tout. Dame, c’est déjà pas mal. Avec un si beau concernement, on peut faire des festivals des idées tout l’été, aller à Beaubourg, ou bien sur France Culture, pour être une Grande conscience.

    « Grande conscience » est un segment parfaitement identifié de la division du travail culturel. Il faut avoir une vue altière, l’inquiétude des enjeux essentiels, parler au nom des entités maximales (le Vivant, la Terre, bientôt le Cosmos), sonner des alarmes, et ne rien déranger. Alors on est reçu partout à bras ouverts — puisque c’est pour rire. En tout cas pour ceux qui contrôlent la définition du sérieux : les capitalistes. Le « sérieux », c’est quand on commence à s’en prendre à leurs intérêts. Autrement, c’est pour rire. Ce que les capitalistes trouvent formidable avec la bourgeoisie culturelle, c’est qu’elle prend systématiquement le « pour rire » pour du sérieux — et ignore le sérieux. Dans ces conditions on peut tolérer, encourager même les Grandes consciences (« elles nous secouent, elles nous éclairent ») — et personne ne pourra contester l’intimité du capitalisme et du pluralisme démocratique. À la Fondation Cartier, par exemple, on peut faire une exposition « Nous les arbres », d’abord parce qu’il y a des arbres dans le jardin, ensuite parce que, les arbres, c’est important. Quand il y a trop de CO2. Bolsonaro dévaste l’Amazonie. Bolsonaro est un personnage vraiment hideux. Qui peut aimer Bolsonaro ? À peu près personne. En tout cas pas la Fondation Cartier, ni les commissaires de l’exposition « Nous les arbres », ni les visiteurs. Qui repartiront en ayant compris qu’il y avait de l’arbre en eux et, du coup, se sentiront plus solidaires...

    #bourgeoisie-culturelle

    • Lordon dit ne traiter que du latourisme politique et pas du latourisme théorique. C’est comme si la crise écologique servait de prétexte à l’anticapitalisme sans en modifier grand chose d’autre qu’une gamme d’exemples sur la destructivigté de celui-ci ? Une occasion de revenir sur #Bruno_Latour et ce qu’il serait possible (ou pas) de faire avec son travail avec les auteures de Nous en sommes pas seuls.

      @N_n_s_p_s

      https://twitter.com/N_n_s_p_s/status/1384126546043031565

      1. Du dernier Latour, nous retenons avant tout ceci : la nouvelle lutte des classes géo-sociales n’a plus rien à voir avec le capitalisme et l’extraction de survaleur ; la notion de camp n’a plus de sens ; et la révolution doit être abandonnée pour la métamorphose. Voir p. 149 :

      2. « Plus seulement une histoire de la lutte des classes, mais une histoire des nouvelles ‘classes géosociales’. Le devenir non-humain des humains déplace l’injustice : ce n’est plus la ‘plus-value’ qui est accaparée, mais les capacités de genèse, la plus-value de subsistance ».

      3. Voilà une analyse qui brouille plus les cartes qu’elle ne les rebat habilement ! Une analyse faisant comme si nous étions devons une alternative : ou bien l’analyse marxiste, ou bien l’analyse écologique/terrestre.

      4. Soit vous restez bloqué dans le combat éculé autour de « l’infrastructure économique », depuis laquelle se repéraient les anciennes injustices et s’identifiait le sujet révolutionnaire par le passé ; soit vous changez totalement de paradigme, pour aller vers le « terrestre »

      5. Là où le premier pôle, « révolutionnaire », combattait la capture de la valeur économique, engendrée par les ouvriers, contre le camp du Capital, le second, « métamorphique », s’occuperait de la capture de la valeur écologique, l’habitabilité engendrée par les formes de vie

      @BrunoLatourAIME, la lutte contre l’extraction de survaleur est-elle une histoire du passé ? Comme on peut le penser avec Moore, le capitalisme ne consiste-t-il pas, justement, à capter les capacités de genèse des vivants pour fabriquer de la survaleur (et des inégalités) ?

      7. La conséquence est la suivante : Latour ne nous indique plus précisément qui est l’agent de cette capture, ni dans quel but elle se réalise… (si ce n’est les « Extracteurs »… mais qu’au final nous serions tous… il n’y a plus de camps politiques on vous dit !).

      8. Là où Latour fait jouer écologie contre #marxisme (lutte pour l’habitabilité contre lutte anticapitaliste), le capitalisme continue en réalité d’être l’opérateur de la « capture des capacités de genèse », étendue au non-humain, donc une catégorie plus que jamais pertinente

      9. Il ne faut justement pas sortir le capitalisme de l’analyse comme agent politique du ravage planétaire, mais écologiser notre analyse du capitalisme en intégrant une multiplicité d’autres agents, autres qu’humains – CO2, atmosphère, forêts, microfaunes, rivières…

      10. Il s’agit moins de rejeter Latour que de voir que ses formulations se « dé-brouillent » dès lors que l’on dit que le capitalisme est ce système de domination qui capte les capacités de genèse des formes de vie pour fabriquer ses plus-values, capacités humaines et non-humaines

      11… capturées selon différentes modalités : le salariat = l’exploitation de la force de travail ; et hors du marché, par l’appropriation d’un travail extra-économique, gratuit ou quasi, non-reconnu comme tel : travail domestique, écologique, animal et métabolique, cf. Moor Barua

      #travail #mise_au_travail_du_vivant #vivant

    • A propos de cette critique publié sur @lundimatin, j’en cite un passage :

      C’est pourquoi nous divergeons aussi sur les remèdes à apporter à la destruction du vivant. Si l’on en reste au niveau du slogan, plutôt que de « Raviver les braises du vivant, il semblerait plus opportun de « Déboulonner la Mégamachine ».

      Alors que les penseurs du vivant nous enjoignent à agir sur les relations au vivant pour infléchir la direction catastrophique dans laquelle nous emporte la Mégamachine, ce serait en réalité le mouvement inverse qu’il faut envisager : en finir avec la Mégamachine afin de retrouver des relations au vivant qui permettent aux humains et aux non-humains de coexister, ouvrant la voie à des cosmologies débarrassées des paradigme de la modernité avec ses grands partages.

      Ainsi que la note 18 :

      [18] « Déboulonner la Mégamachine » était le titre d’une conférence donnée à Toulouse le 22 octobre 2021 par Aurélien Berlan et Fabian Scheidler, ce dernier étant l’auteur d’un livre qui reprend les concepts de Mumford : « Pour en finir avec la Mégamachine », 2020 (traduit par le Aurélien Berlan).

      La conférence évoquée (en deux parties) :

      https://www.youtube.com/watch?v=IhtxhWTrluQ

      https://www.youtube.com/watch?v=XdmgkmbXsTc

  • Pour les philosophes Léna Balaud et Antoine Chopot, « l’écologie est porteuse d’une charge révolutionnaire »
    https://www.lemonde.fr/series-d-ete/article/2021/08/06/pour-les-philosophes-lena-balaud-et-antoine-chopot-l-ecologie-est-porteuse-d

    Pourquoi la crise écologique est-elle, selon vous, celle d’une mise au travail de la Terre ?

    Cela peut tout d’abord sembler un peu étrange de dire que les plantes et les animaux, ainsi que les diverses énergies, rivières, forêts, zones humides, océans, sont, eux aussi, mis au travail pour le capital. Toutefois, que serait ce monde de la marchandise – qui repose essentiellement sur la poursuite du profit pour le profit – sans une certaine mobilisation de tout un « travail gratuit », au-delà de la sphère marchande reconnue comme telle ? Sans la captation du CO2 par la photosynthèse des blés cultivés et des sapins de Douglas ? Sans la capacité reproductive des poules et des truies ? Sans l’épuration des eaux par les zones humides et les plantes hygrophiles ? L’enrôlement de toutes ces puissances d’agir ainsi que leur vitalité sont en réalité indispensables pour maintenir à flot l’économie de croissance.

    Or, après cinq siècles de mobilisation et de dégradation radicale de pratiquement tous les milieux de vie, la Terre s’épuise : nous sommes définitivement sortis d’une ère où les pouvoirs capitalistes et productivistes pouvaient compter sur une – relative – docilité des vivants et des écosystèmes, appropriables gratuitement ou à bas coût. Par ses enquêtes sur ce qui fait que notre monde tient, l’écologie est porteuse d’une charge révolutionnaire, car elle fait remonter à la lumière toute la toile des « acteurs fantômes », et exige de les prendre en considération comme acteurs des luttes.

    Nous ne sommes pas seuls. Politique des soulèvements terrestres (Seuil).

    #livre #écologie #mise_au_travail_du_vivant #alliances_interspécifiques #Léna_Balaud #Antoine_Chopot

  • Vers la fin du Capitalocène ?
    https://laviedesidees.fr/Le-pillage-de-la-nature.html

    À propos de : Jason W. Moore, Le #capitalisme dans la toile de la vie. Écologie et accumulation du capital, L’Asymétrie. L’appropriation, l’exploitation et l’asservissement de la #nature, selon un courant qui entend renouveler le #marxisme à la lumière de l’écologie, mènent le capitalisme à ses limites structurelles. Mais cette #crise enveloppe-t-elle les conditions de son dépassement ?

    #Économie #environnement #écologie #exploitation
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20210623_moore.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20210623_moore.pdf

    • Moore s’y propose de « porter les perspectives essentielles du marxisme et de l’historiographie environnementale vers une nouvelle synthèse » (p. 29). Il s’agit pour lui de transformer le marxisme de l’intérieur à partir d’une nouvelle ontologie qui donne toute sa place à la nature dans l’histoire des sociétés humaines. Son ambition est de comprendre le rôle constitutif du pillage de la nature dans le développement du capitalisme et dans la mise au jour de ses limites structurelles.

      Par-delà le dualisme Nature/Société

      Le point de départ du Capitalisme dans la toile de la vie est de prendre acte des insuffisances de la pensée contemporaine pour penser le lien entre le capitalisme et la crise écologique. Selon Jason W. Moore, mêmes les auteurs marxistes qui ont tenté de prendre en compte la question écologique ne sont pas parvenus à dépasser le dualisme traditionnel de la Nature et de la Société, lequel empêche toute réflexion véritable sur l’intrication du monde social et du monde naturel que la situation présente nous oblige à affronter. Moore nomme « dualisme cartésien » (p. 39) cette dissociation ontologique entre la Nature d’un côté et la Société de l’autre, qui ne parvient à penser au mieux que des interactions entre deux substances distinctes. J. W. Moore estime que la crise écologique contemporaine prouve l’unité de l’histoire sociale et de l’histoire de la nature, et impose par conséquent de se défaire de toute conceptualité qui fait de la nature un objet séparé et distinct sur lequel on agit.

      Le concept d’oikeios est au centre de cette ontologie renouvelée. Il renvoie au caractère essentiellement relationnel des sociétés humaines, qui n’ont pas d’existence indépendamment de leur « unité dialectique » (p. 19) avec la nature. Le concepts d’oikeios pose « l’unité des humains avec le reste de la nature » (p. 30) et interdit pour cette raison les thèses qui font de la nature un élément extérieur et anhistorique par rapport à l’histoire humaine. Les sociétés sont alors comprises comme « des configurations spécifiques de l’humanité-dans-la-nature » (p. 19) et l’enjeu du livre de Moore est de saisir la spécificité du capitalisme parmi ces configurations. Cela permet notamment de comprendre la « double intériorité » (p. 32) du capitalisme et de la nature : le fait que le capitalisme ne fonctionne qu’en s’appropriant et en intégrant la nature, et le fait aussi que la nature ne cesse d’intérioriser les effets du capitalisme. Cette perspective est précisément celle de la « toile de la vie », qui donne son titre à l’ouvrage et qui indique le dépassement du dualisme substantialiste au profit de configurations « socio-écologiques » qui varient selon les époques et les contextes.

      [...]

      Pour bien saisir la thèse de Moore, il convient de comprendre qu’il étend ici à la nature dans son intégralité les analyses du travail domestique et du travail reproductif des « chercheuses féministes » (p. 320). De même que les féministes ont montré que le capitalisme reposait sur le travail gratuit des femmes au foyer, qui reproduisent gratuitement la force de travail au quotidien et d’un point de vue générationnel, de même Le capitalisme dans la toile de la vie souhaite mettre en évidence le fait que l’accumulation de la valeur dans les sociétés capitalistes n’est possible que grâce à l’appropriation quasi gratuite de la nature bon marché.

      #Jason_W._Moore #capitalocène #mise_au_travail #nature

  • Un balbuzard bloque un chantier : saboter le capitalisme avec des non-humains
    https://www.nouvelobs.com/idees/20210528.OBS44579/un-balbuzard-bloque-un-chantier-saboter-le-capitalisme-avec-des-non-humai

    Le théologien Stéphane Lavignotte a lu « Nous ne sommes pas seuls » de Léna Balaud et Antoine Chopot, paru au Seuil. Pour lui, ce texte révèle un tournant de la pensée écologiste. Critique et extraits.

    Sur la Loire, des naturalistes en lutte favorisent la venue d’un couple de balbuzards, espèce protégée, dont la présence bloque plusieurs mois par an le chantier d’un pont. Au Kirghizistan, des villageois sabotent la mainmise de l’État sur leurs moyens de subsistance en greffant en secret une forêt fruitière. En Argentine, des cultures OGM sont envahies par des super-mauvaises herbes, immunisées des pesticides par contamination génétique, des communautés paysannes en lutte contre Monsanto favorisant leur développement en lançant des bombes à graine. Ces exemples et d’autres rythment ce livre important dans les révolutions actuelles de la pensée écologiste.

    #écologie_politique #livre #mise_au_travail #capitalocène #Léna_Balaud #Antoine_Chopot

    • « Nous ne sommes pas seuls » . Samedi 29 mai, le studio #radio de la Parole errante accueillait Léna Balaud et Antoine Chopot pour revenir sur les enjeux du " traité d’écologie politique terrestre" qu’ils viennent de publier.

      https://laparoleerrantedemain.org/index.php/2021/05/31/rencontre-radiophonique-autour-du-livre-nous-ne-sommes-pas-se

      Une recension, Ernest London, Le bibliothécaire-armurier
      http://bibliothequefahrenheit.blogspot.com/2021/06/nous-ne-sommes-pas-seuls.html

      Léna Balaud et Antoine Chopot prennent ainsi le temps de déployer en permanence une analyse fine et complexe de différentes théories de l’écologie, pour tracer leur propre cheminement, relevant certaines impasses, confrontant certaines contradictions qui ouvrent de nouvelles voies entre plusieurs conceptions. Ainsi proposent-ils d’ « apprendre à quitter le centre, sans quitter la politique », « d’apprendre à combiner le geste de s’attaquer aux causes des menaces pesant sur la vie et les collectifs avec le geste d’intégration de la richesse d’êtres et de relations sur laquelle insistent les partisan·es d’un tournant non humain de la politique » : « Camarades, encore un effort pour devenir terrestres ! »
      « Pour sortir de l’âge du capital, il ne s’agira pas de se débarrasser des seuls partisans de l’économie fossile, en prenant le pouvoir à leur place sur la base du même monde, et sur la base des mêmes infrastructures mais avec d’autres sources d’énergie “propres“. Il s’agira de démanteler l’agencement écopolitique d’humains et de non-humains qui entretient cet état du monde inhabitable. »

  • Nous ne sommes pas seuls - Politique des soulèvements terrestres, Léna Balaud, Antoine Chopot
    https://www.seuil.com/ouvrage/nous-ne-sommes-pas-seuls-lena-balaud/9782021426304

    Que devient la « politique » lorsque des paysannes et des écologistes disséminent des graines de plantes résistantes aux herbicides dans les monocultures d’OGM pour en saboter les rendements ? Lorsque des naturalistes en lutte invitent un couple de balbuzards pêcheurs à protéger un fleuve menacé par un énième projet inutile et imposé ? Lorsque des villageois kirghizes échappent à la mainmise de l’État sur leurs moyens de subsistance en greffant en secret une forêt fruitière ?
    D’autres manières de faire, de se défendre, de résister, nous devancent, nous déstabilisent et nous renforcent : des manières animales, végétales, sylvestres, microbiennes, fongiques... Nos alliés sont multiformes, considérablement plus nombreux et divers que ce que notre imagination laisse entrevoir.

    Si nous sommes bien les seuls responsables d’un choix concerté de cibles et de stratégies contre les causes du ravage et des inégalités, nous ne sommes pas les uniques acteurs du changement que nous souhaitons voir advenir. Appel à refuser la mise au travail de la planète, ce traité d’écologie politique terrestre ouvre de nouveaux horizons pour agir avec la nature contre ceux qui l’effondrent.

    #Livre #mise_au_travail #écologie_politique #capitalocène #Léna_Balaud #Antoine_Chopot

  • Bruno Latour : « Un conflit oppose les Extracteurs et les Ravaudeurs... »
    https://www.liberation.fr/debats/2021/01/21/bruno-latour-un-conflit-oppose-les-extracteurs-et-les-ravaudeurs_1818077

    C’était, dès le premier confinement, l’une de ses grandes convictions  : crise écologique et pandémie sont liées. Bruno Latour confirme l’intuition dans son nouveau livre, Où suis-je  ? (La Découverte). Suite de son précédent ouvrage à succès Où atterrir  ?, dans lequel il décrivait une humanité hors-sol sous l’effet de la mondialisation – et déchirée entre ceux qui veulent poursuivre sur cette lancée et ceux qui cherchent à retrouver un ancrage terrestre – ce nouvel opus prépare la piste d’atterrissage  : entamer la transition écologique, c’est être capable de se localiser sur Terre, en étant lié au reste du monde vivant. C’est aussi prendre le temps de décrire à la fois ce dont on estime avoir besoin pour vivre, et ce à quoi l’on tient.

    #Bruno_Latour #Paywall (Quelqu’un.e aurait accès à cet article ?) #Où_suis_je ?

    • La pandémie nous a-t-elle métamorphosés  ?

      En tout cas, elle nous a montré à quel point cette métamorphose est nécessaire. Comme dit le dicton, il ne faut jamais gâcher une crise. Pour l’heure, les Gafa ne l’ont pas gâchée du tout, tant ils ont réussi à nous transporter dans un monde « distanciel » qui les enrichit par milliards. Mais dans le même temps, malgré l’étendue de la crise, les questions écologiques n’ont pas été mises de côté. Les divers plans de relance économique – comme ceux qui ont été votés en France ou en Union européenne – incluent par exemple des fonds destinés à la transition écologique. L’esprit n’est plus seulement « on fonce et on se remodernise ». Une métamorphose s’amorce, comme le montre aussi le fait que, lorsque Macron a comparé les opposants à la 5G à des Amish, il a été assez largement moqué. Il n’y a pas si longtemps, cette phrase aurait été prise comme un mot d’ordre. Plus personne ne s’imagine que l’on va « moderniser » sans fin la Terre, car cela impliquerait d’utiliser bien plus de ressources que la planète ne peut nous en fournir  ! Il faut maintenant que les Terrestres, ceux qui souhaitent opérer ces transformations et habiter l’unique planète dont nous disposons, commencent par penser la façon dont ils veulent être dans le monde. La localisation est une expérience métaphysique nécessaire.

      Pour cela, il faudrait commencer par réduire notre « empreinte écologique ».

      Oui, et c’est d’ailleurs à cause de ce que tout cela implique que beaucoup de personnes n’ont pas précisément envie d’amorcer cette réflexion. La deuxième étape, c’est de se poser cette simple question  : « Où suis-je  ? ». La réponse nous est donnée par l’expérience de ces derniers mois. Nous sommes confinés, non pas dans nos logements, mais dans ce que les scientifiques appellent la « zone critique ». Cette fine couche de sol et d’air, épaisse de quelques kilomètres à la surface du globe, est le monde construit depuis presque quatre milliards d’années par l’ensemble des êtres vivants, dont nous ne sommes qu’une espèce. Observer ce qui nous entoure, c’est prendre conscience de l’omniprésence du vivant et des interactions qui s’opèrent en permanence entre les êtres. Cela est vrai partout, que ce soit dans le centre des grandes métropoles ou à la campagne. Se situer dans le monde, en interaction et en interdépendance avec le reste du vivant, doit nous conduire à dépasser le clivage traditionnel entre le naturel et le culturel. Héritée de la philosophie moderne, cette opposition a bloqué notre inventivité, qu’il s’agit aujourd’hui d’égailler en explorant des pistes qui ne s’inscrivent pas dans la conception traditionnelle du progrès. Il y a deux erreurs à ne pas commettre  : continuer comme avant, et vouloir abandonner tous nos acquis scientifiques et technologiques pour revenir dans un passé jugé plus respectueux de la Terre. Pour réduire notre empreinte terrestre, il faut donc augmenter notre capacité d’innovation, de la même manière que les vivants ont innové au cours des quatre derniers milliards d’années.

      Cela implique-t-il une forme de repli sur le local  ?

      Aujourd’hui, beaucoup de gens se demandent comment maintenir l’habitabilité du petit coin de planète dans lequel ils vivent. Il est utile de se demander d’où vient l’énergie que nous consommons, quel trajet ont parcouru les produits que nous consommons, etc. Mais l’une des leçons utiles du Covid est la démonstration du caractère global, globalisateur, des phénomènes liés au vivant. Si le monde est habitable, c’est grâce à des connexions qui prennent un caractère multiscalaire  : l’oxygène de l’atmosphère provient d’organismes microscopiques vivant dans les océans à des centaines de kilomètres de chez nous, la richesse des sols dépend de la vie microscopique de ce qui se trouve sous nos pieds. En d’autres termes, il nous faut prendre conscience des limites de la notion de limite  : à part pour quelques « capsules » dans l’espace, la seule véritable limite est celle qui délimite la zone critique, puisque la vie est impossible ailleurs. Inversement, les séparations entre régions ou entre Etats-nations ne sont pas hermétiques. La globalisation économique nous avait déjà permis de saisir à quel point un lieu est toujours ouvert et connecté. Il s’agit de réinvestir cette idée, non pas à travers la question des circuits de production et d’échanges commerciaux, mais à travers celle des conditions d’habitabilité de la Terre. C’est à partir de cette compréhension que l’on peut vraiment se réapproprier le lieu où l’on est, et réfléchir à ce dont nous dépendons par nos habitudes de consommation, nos émissions de polluants, etc. C’est, au sens littéral, un atterrissage sur Terre.

      Diriez-vous qu’il s’agit de renouer avec une forme d’empirisme qui avait disparu, faute de rapport direct avec le terrain  ?

      J’ai beaucoup étudié les scientifiques de laboratoire au cours de ma carrière. Les phénomènes qu’ils étudient en « vase clos » sont extraits du contexte dans lequel ils se ­déroulent habituellement. Ce réductionnisme est utile à la compréhension théorique, mais il ne correspond pas à la réalité de terrain, car il ne prend pas en compte les mille autres paramètres qui interviennent. Ceux qui étudient la zone critique mêlent le terrain et le laboratoire  : ils adaptent leurs analyses aux territoires qu’ils étudient – une vallée, un versant de montagne… – mais en utilisant tous les moyens scientifiques à disposition pour analyser les dynamiques physiques, chimiques ou encore biologiques. Cette redécouverte du territoire peut renvoyer au savoir empirique des paysans d’autrefois. Mais celui-ci se trouve complété, précisé, par les outils scientifiques. De la même manière, nous sommes tous appelés à retrouver cette sensibilité au territoire. C’est le sens du questionnaire que j’avais publié au printemps dans le journal en ligne AOC, ou des exercices que nous organisons dans le cadre des ateliers « Où atterrir  ? » Les participants sont invités à dire de quoi ils dépendent. Cela amorce un exercice de description du monde dans lequel ils vivent, des activités qui leur semblent essentielles et des choses dont ils estiment pouvoir se passer.

      A partir de ces façons de se localiser dans le monde, vous opposez deux camps en guerre  : ceux qui veulent « atterrir », et ceux qui poursuivent l’exploitation destructrice de la planète.

      Je distingue les Extracteurs, qui veulent exploiter les ressources de la terre, et les Ravaudeurs, ceux qui essaient de la « réparer ». Il est difficile de proposer une cartographie précise de ce conflit, tant l’enjeu qui se présente à nous est nouveau  : il ne s’agit pas d’une révolution que certains veulent faire et que d’autres voudraient empêcher. Il s’agit de réparer les conséquences d’un événement enclenché au moins depuis le milieu du XXe siècle avec l’accélération de l’urbanisation et de l’industrialisation du monde, et auquel nous avons tous plus ou moins directement participé. Il s’agit de l’anthropocène, c’est-à-dire la période géologique actuelle dans laquelle les humains influent sur les cycles biogéochimiques de la planète. Lorsque vous vous placez du côté des Ravaudeurs, la difficulté est que vous devez apprendre à reconnaître vos ennemis, mais que vous ne pouvez pas les répartir en camps, parce que nous avons tous des positionnements différents sur des questions aussi variées que la consommation de viande, le nucléaire, ou la production agricole. Et nous sommes en partie notre propre ennemi, parce que nous portons tous avec nous des comportements de consommation susceptibles de s’opposer à nos convictions. Tout cela est normal  : de même qu’il a fallu cent ans pour créer une classe ouvrière en Angleterre, il faudra aussi du temps pour créer une population écologique consciente de sa classe géo-sociale.

      Que peut l’Etat pour amorcer une transition écologique et ­favoriser l’émergence de ces classes géo-sociales  ?

      Comme l’a expliqué le philosophe John Dewey, l’Etat n’est pas fait pour résoudre les problèmes actuels, mais ceux que la société civile s’est déjà donnée par le passé. Il sait administrer une population nombreuse, organiser le travail, mettre en place des mécanismes de solidarité comme la Sécurité sociale. Mais personne n’a la moindre idée de ce que serait un Etat écologique, une société d’abondance compatible avec le « confinement » dans la zone critique où les ressources sont limitées. Combien de personnes, au sein de l’appareil d’Etat, comprennent réellement quoi que ce soit à la question écologique  ? D’une ­certaine manière, je dirais qu’il ne faut pas que les partis écologistes arrivent trop vite à l’Elysée, car rien ne changera vraiment tant que la société civile ne saura pas où elle est, connaissant son territoire, ses amis et ses ennemis. Des changements sont envisageables à l’échelle des communes, où l’on peut mener des initiatives concrètes. Mais pour opérer vraiment une métamorphose, il faut d’abord multiplier les expériences écologiques locales comme à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

      Vous citez beaucoup la Bible. Pourquoi la question de la religion est-elle nécessaire pour préparer l’atterrissage  ?

      Parce que le texte le plus avancé sur la question du lien géo-social entre pauvreté et écologie est l’encyclique Laudato si’ écrite par le pape François en 2015. Dire que le cri de la Terre et celui des pauvres sont un seul et même cri, cela fait partie des événements intellectuels fondamentaux de l’époque. Ce texte embarrasse les catholiques, peu habitués à ce que l’Eglise s’intéresse à l’écologie, qui plus est en la mêlant à la question de la charité. On ne peut donc pas dire que les catholiques soient plus avancés que les autres sur ces questions. En revanche, il y a une prise de conscience.

      Vous parlez du danger des religions sécularisées. De quoi s’agit-il  ?

      La religion est une forme d’organisation théologico-politique, un arrangement historique qui fixe des croyances et un dogme. Lorsque vous êtes croyant, vous assumez cela en connaissance de cause, mais avec les textes originaux vous avez aussi les « contre-poisons » contre les excès des institutions ou des pensées religieuses. Le problème actuel est que notre Etat laïc fonctionne selon cette même forme d’organisation, en fondant ses croyances autour de l’idée de progrès ou de marché économique. Mais comme nous pensons être sortis de la religion, nous refusons de remettre en cause cette vision des choses. Cela nous empêche de voir que le discours économique n’est pas le seul possible et que la prise en compte des enjeux écologiques passe par d’autres récits.

      Vous prenez beaucoup de plaisir à inventer images et formules. Cette écriture proche du récit ou du conte philosophique vous semble-t-elle nécessaire  ?

      En tout cas, c’est comme ça que j’écris. Je dirais qu’il faut dramatiser. Le mot « tragédie » renvoie à la fois à une situation tragique, mais aussi à une œuvre collective interprétée à plusieurs. Cette forme d’écriture est la machinerie nécessaire pour que la fiction nous aide à passer du tragique de la situation à un projet commun.

    • Du dernier Latour, Nous ne sommes pas seuls sur touiteur
      https://twitter.com/N_n_s_p_s/status/1384126521359491072

      1. Du dernier Latour, nous retenons avant tout ceci : la nouvelle lutte des classes géo-sociales n’a plus rien à voir avec le capitalisme et l’extraction de survaleur ; la notion de camp n’a plus de sens ; et la révolution doit être abandonnée pour la métamorphose. Voir p. 149 :

      2. « Plus seulement une histoire de la lutte des classes, mais une histoire des nouvelles ‘classes géosociales’. Le devenir non-humain des humains déplace l’injustice : ce n’est plus la ‘plus-value’ qui est accaparée, mais les capacités de genèse, la plus-value de subsistance ».

      3. Voilà une analyse qui brouille plus les cartes qu’elle ne les rebat habilement ! Une analyse faisant comme si nous étions devons une alternative : ou bien l’analyse marxiste, ou bien l’analyse écologique/terrestre.

      4. Soit vous restez bloqué dans le combat éculé autour de « l’infrastructure économique », depuis laquelle se repéraient les anciennes injustices et s’identifiait le sujet révolutionnaire par le passé ; soit vous changez totalement de paradigme, pour aller vers le « terrestre »

      5. Là où le premier pôle, « révolutionnaire », combattait la capture de la valeur économique, engendrée par les ouvriers, contre le camp du Capital, le second, « métamorphique », s’occuperait de la capture de la valeur écologique, l’habitabilité engendrée par les formes de vie

      6. @BrunoLatourAIME, la lutte contre l’extraction de survaleur est-elle une histoire du passé ? Comme on peut le penser avec Moore, le capitalisme ne consiste-t-il pas, justement, à capter les capacités de genèse des vivants pour fabriquer de la survaleur (et des inégalités) ?

      7. La conséquence est la suivante : Latour ne nous indique plus précisément qui est l’agent de cette capture, ni dans quel but elle se réalise… (si ce n’est les « Extracteurs »… mais qu’au final nous serions tous… il n’y a plus de camps politiques on vous dit !).

      8. Là où Latour fait jouer écologie contre marxisme (lutte pour l’habitabilité contre lutte anticapitaliste), le capitalisme continue en réalité d’être l’opérateur de la « capture des capacités de genèse », étendue au non-humain, donc une catégorie plus que jamais pertinente

      9. Il ne faut justement pas sortir le capitalisme de l’analyse comme agent politique du ravage planétaire, mais écologiser notre analyse du capitalisme en intégrant une multiplicité d’autres agents, autres qu’humains – CO2, atmosphère, forêts, microfaunes, rivières…

      10. Il s’agit moins de rejeter Latour que de voir que ses formulations se « dé-brouillent » dès lors que l’on dit que le capitalisme est ce système de domination qui capte les capacités de genèse des formes de vie pour fabriquer ses plus-values, capacités humaines et non-humaines

      11… capturées selon différentes modalités : le salariat = l’exploitation de la force de travail ; et hors du marché, par l’appropriation d’un travail extra-économique, gratuit ou quasi, non-reconnu comme tel : travail domestique, écologique, animal et métabolique, cf. Moor Barua

      12. Bientôt dans la revue Terrestres, une recension de Où suis-je ? par Daniel Tanuro, qui nous offrira une belle occasion de discuter de cet ouvrage depuis un héritage et une analyse marxiste.

      #exploitation #capture #travail #mise_au_travail #Jason_Moore

  • Thèses sur le concept de « travail », Bernard Aspe
    https://laparoleerrantedemain.org/index.php/2020/11/05/theses-sur-le-concept-de-travail-bernard-aspe

    L’expérience du confinement a du moins permis à tous d’entrevoir cette vérité : les lois de l’économie ne sont pas le fruit d’une nécessité historique, mais un programme porté par des militants, susceptible en tant que tel d’être intégralement interrompu. Nombreux désormais sont ceux qui s’accordent à dire que la période récente a fait apparaître l’économie, et ses militants, comme le véritable ennemi – disons l’ennemi des habitants de la Terre (pensons au beau film de Pelechian, qui date de 1970). Mais on peut préciser davantage ce qui, dans l’économie, constitue la raison première de la dévastation du monde naturel. On dira que cette raison, c’est la mise au travail généralisée des êtres de nature. Le cœur de l’ennemi, c’est bien l’économie ; mais au cœur de ce cœur, il y a le travail. Ce qui fait la spécificité du capitalisme, au regard des formations anciennes, est pour bien des historiens la centralité accordée à la productivité du travail, et non plus à celle de la terre. Mais au-delà de ce constat, et des débats qu’il suscite entre les spécialistes, ce qu’il s’agit de voir est bien qu’aujourd’hui, la cause réelle de la consumation de la Terre est la mise au travail des êtres de nature pour le capital.

    #pandémie #économie #capitalisme #travail #mise_au_travail #Bernard_Aspe

  • Crime d’État, Bernard Aspe | Terrestres
    https://www.terrestres.org/2020/11/06/crime-detat

    Les mesures prises par le gouvernement Macron ne suscitent pas l’unanimité. Le problème est que les critiques qui les visent semblent incompatibles entre elles. D’un côté, on constate avec effarement l’extraordinaire rétrécissement des libertés qui se produit au nom de la gestion de la crise. Se rassembler pour manifester, bien sûr, mais aussi prendre un café en ville, aller voir les amis ou même sortir de chez soi : autant de gestes désormais interdits (ou du moins soumis à l’approbation de la police), dont on n’aurait pu imaginer il y a tout juste huit mois qu’ils puissent l’être un jour dans nos « démocraties libérales ».

    De l’autre côté, on insiste sur l’échec de la gestion de la crise sanitaire en tant que telle. Le risque d’un effondrement de l’hôpital est notamment souligné par le personnel soignant depuis plusieurs semaines, et pourtant aucune mesure permettant de contrer efficacement l’épidémie n’a été prise à temps – car c’est en septembre, lorsque l’épidémie reprenait à bas bruit, qu’il aurait fallu réagir. Les hésitations, atermoiements et incohérences des gouvernants mettent donc en danger la vie de plusieurs dizaines de milliers de personnes.

    Alors quelle est la position juste : s’agit-il de dire que le confinement est une mesure liberticide, que le port du masque devrait être laissé à la libre initiative de chacun et que l’attention dont chacun est capable pour ses proches et pour les autres doit suffire à éviter une catastrophe ? Ou bien au contraire faut-il dire que le confinement devrait être plus conséquent, qu’il faudrait stopper la majeure partie des activités sur les lieux de travail et dans les écoles, et prévoir plusieurs mois de consommation réduite au strict nécessaire ? Peut-être n’est-ce pas la bonne alternative. Du moins, peut-être que l’alternative, formulée ainsi, rate quelque chose d’essentiel.

    Il faut peut-être repartir de ce qu’indiquent les critiques formulées à l’encontre du gouvernement. On peut considérer que chacune a sa pertinence : non seulement il y a une incohérence manifeste dans les choix du gouvernement, mais ceux-ci ne peuvent se défendre ni du point de vue d’une stricte logique sanitaire, ni du point de vue des conséquences sur la vie sociale et politique. Que des points de vue critiques apparemment contradictoires puissent être également pertinents, cela veut dire deux choses : premièrement, qu’ils cernent bien les contradictions dans lesquelles s’empêtrent les dirigeants ; deuxièmement, à l’inverse : ce qui semblait contradictoire du côté des critiques peut en réalité se révéler tout à fait cohérent. Comment dégager cette cohérence ? Avec les mesures adoptées récemment par l’État français, la réponse à cette question a sans doute été clarifiée.

    #covid-19 #économie #travail #mise_au_travail

    • Cette obsession de la productivité du travail est notamment ce qui a conduit il y a quelques années Jean Castex, alors directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins au ministère de la santé, à concevoir le plan hôpital 2007, par lequel la logique de la rentabilité s’est introduite dans les structures hospitalières. L’actuelle ministre de la culture, Roselyne Bachelot, a pour sa part travaillé à entériner cet état de choses avec la Loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, du 21 juillet 2009. Les principaux responsables directs de l’état de délabrement dans lequel sont plongés les hôpitaux, qui sont donc aussi les responsables de la catastrophe sanitaire en cours, se trouvent donc aujourd’hui à la tête du gouvernement.

      La bêtise et le cynisme d’un Macron, par ailleurs indubitables, ne suffisent pourtant pas à expliquer le geste de nommer ces personnes dans le nouveau gouvernement. Il faut voir dans cette nomination un geste politique. Un geste qui peut se traduire ainsi : « nous assumons pleinement la logique de rentabilité imposée dans les institutions de soin. Nous allons défendre cette logique quel qu’en soit le coût en termes politiques, et quel que soit le nombre de vies qu’il faudra sacrifiées ».

  • Aides sociales : « Ne luttons pas davantage contre les pauvres que contre la pauvreté », Axelle Brodiez-Dolino, chercheuse au Centre Norbert-Elias (EHESS, universités d’Avignon et d’Aix-Marseille)
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/02/19/aides-sociales-ne-luttons-pas-davantage-contre-les-pauvres-que-contre-la-pau

    L’historienne Axelle Brodiez-Dolino revient aux racines du discours, récemment remis en avant par Edouard Philippe, sur la « contrepartie » aux aides sociales.

    Tribune. Alors que les « gilets jaunes » focalisent l’attention sur les couches populaires laborieuses, le premier ministre vient de faire diversion, dans le cadre du grand débat national, le vendredi 15 février, en exhumant l’idée de contreparties aux aides sociales. Flattant implicitement ceux qui n’y recourent pas, tout en répondant à son électorat. S’il reconnaît le sujet comme « explosif », c’est qu’il fait référence au concept du #workfare anglo-américain, rarement loué comme un modèle enviable ; et que, (re)lancé en 2011 par Laurent Wauquiez puis Nicolas Sarkozy, puis adopté dans le Haut-Rhin, il a suscité des levées de boucliers.

    Car il englobe deux préoccupations. L’une, économique : faire que chacun, surtout s’il reçoit de la collectivité plus qu’il ne semble apporter, contribue ostensiblement. L’autre, morale : imposer le maintien d’une saine occupation, contre l’oisiveté et les activités illicites suspectées chez les #allocataires.

    Loin d’être nouvelle, l’idée était déjà soulevée par le Comité de mendicité en 1790 : « Si celui qui existe a le droit de dire à la société “Faites-moi vivre”, la société a également le droit de lui répondre “Donne-moi ton travail”. » Elle était au cœur du « grand renfermement », dans les « hôpitaux généraux » (XVIIe-XVIIIe siècles) puis les « dépôts de mendicité » (XVIIIe-XIXe siècles), ainsi qu’en Angleterre et aux Etats-Unis dans les workhouses. Le pauvre « valide », en âge et en état de travailler, bénéficiait, si l’on ose dire, du gîte et du couvert au sein d’un système #disciplinaire carcéral fondé sur la #mise_au_travail. Ce système, que les pouvoirs publics se sont maintes fois évertués à réactiver, a de l’avis général (contemporains de l’époque comme historiens d’aujourd’hui), fait la preuve de sa totale inefficacité. Au point qu’il a fini par être, au début du XXe siècle, discrètement abandonné.

    Un principe récusé par les lois sociales

    Hors son échec historique, ce principe est discutable. Il ne relève pas du hasard que sa disparition coïncide avec l’apparition des lois sociales : en forgeant des #droits, la IIIe République a récusé la #contrepartie. Elle a, avec le solidarisme, renversé l’idée de dette, qui n’était plus celle de l’individu envers la société, mais de la société envers l’individu pour lui assurer sa subsistance.

    « Le “devoir de travailler” n’a de sens qu’avec son corolaire, le “droit d’obtenir un emploi” »

    Du début du XXe siècle à 1988, un droit a donc été un pur droit. Les préambules des Constitutions des IVe et Ve Républiques ont toutefois été prudents : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi (…). Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler, a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. »

    C’est ce qui a légitimé, dans la loi de 1988 sur le #RMI, l’imposition d’une contrepartie : le contrat d’insertion. Lequel puisait à la pratique alors novatrice d’ATD Quart monde de rééquilibrer le rapport d’assistance en mettant sur un pied d’égalité les contractants. Le « contrat-projet » du rapport Wresinski s’est mué en contrat d’insertion du RMI.

    Mais c’est aussi là qu’il a été dévoyé, vidé des deux grandes caractéristiques du contrat : librement consenti, et équilibré entre les deux parties. On ajoutera que le « devoir de travailler » n’a de sens qu’avec son corolaire, le « droit d’obtenir un emploi » – qui n’existe toujours pas aujourd’hui.

    Déséquilibre entre offre et demande d’emploi

    Car le problème français n’est pas d’occuper les #chômeurs. Il est celui d’un déséquilibre abyssal entre offre et demande d’#emploi : au minimum, un ratio de 1 à 10 ; et qui serait plutôt situé entre 1 à 17 et 1 à 42 (selon le rapport 2017 du Secours catholique). On peut toujours « traverser la rue », selon la formule d’Emmanuel Macron, mais la demande reste très supérieure à l’offre. La France recourt en outre largement à l’emploi précaire et aux contrats très courts, paupérisants, désincitatifs et coûteux (transports, gardes d’enfants, etc.). S’y ajoutent la désadéquation entre formations et emplois disponibles, ainsi qu’entre lieux d’emplois et lieux de vie. Si, comme le dit le premier ministre, « on veut qu’il y ait un avantage objectif à retourner à l’activité », mieux vaudrait aborder le problème sous ces angles-là.
    Mettre en regard, de façon simpliste, chômage et emplois non pourvus, c’est faire fi de ces chantiers politiques et imputer le paradoxe à des chômeurs qui feraient la fine bouche devant les emplois proposés ; donc rendre les plus démunis responsables. Car fondamentalement, le recours aux aides sociales découle du découragement face aux échecs répétés à s’insérer de façon durable et décente sur le marché du travail.

    La ministre des solidarités et de la santé Agnès Buzyn veut inscrire la « stratégie pauvreté » annoncée en septembre 2018 « dans la fidélité aux valeurs profondes qui ont construit notre république sociale ». Mais ne choisissons pas la filiation de la Ire République, qui luttait davantage contre les pauvres que contre la pauvreté, mais celle des républiques suivantes. Le slogan de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron est beau : « Faire plus pour ceux qui ont moins. » Ne le dévoyons pas, à peine engendré, en « demandant plus à ceux qui ont moins ».

    #guerre_aux_pauvres

  • Pour une protection sociale des données personnelles – – S.I.Lex –
    https://scinfolex.com/2018/02/05/pour-une-protection-sociale-des-donnees-personnelles

    Attention, c’est du lourd. Beaucoup de choses à reprendre et peaufiner dans ce texte majeur.

    par Lionel Maurel et Laura Aufrère

    Cette invocation des « droits des travailleurs de la donnée » a selon nous l’immense mérite de replacer la question de la protection des données sur le terrain du droit social. Ce point de vue n’est pas absolument nouveau, car le droit social est déjà convoqué dans les discussions suscitées par « l’ubérisation » et la manière dont des plateformes comme Deliveroo, Uber ou Amazon Mecanical Turk font basculer les individus dans des situations « d’infra-emploi » (Bernard Friot) les privant des protections liées au salariat. Antonio Casilli et Paola Tubaro nous invitent cependant à aller plus loin et à considérer l’ensemble des relations entre les utilisateurs et les plateformes comme un « rapport social de production » que le droit doit saisir en tant que tel. S’il y a un rapport de production assimilable à du travail, alors il faut s’assurer de l’extension des régimes de protection du travail, y compris à ceux qui, de prime abord, seraient présentés comme de simples usagers ou consommateurs.

    Le système actuel reste en effet imprégné d’un individualisme méthodologique qui n’envisage la personne que de manière isolée et indépendamment des rapports sociaux dans laquelle la vie privée est toujours étroitement enchâssée.

    Car la protection sociale renvoie plus fondamentalement à la question des solidarités et celles-ci ne peuvent être uniquement une affaire d’État. Si négociation collective autour de la vie privée il y a, celle-ci doit être le fait d’une société civile collectivement organisée, sans quoi les individus ne pourront échapper aux rapports structurellement inégalitaires auxquels les soumettent les plateformes, et la négociation ne pourra conduire qu’à la soumission collective. L’histoire de la protection sociale nous fournit des exemples de formes de socialisation, au-delà de la sphère du travail, qui permettent de gérer collectivement des institutions mettant en œuvre des droits sociaux, ancrés dans les droits humains (santé, éducation, etc.). Ces formes de socialisation pourraient pareillement être mobilisées pour mettre en œuvre les droits et protéger les usagers des plateformes et les « travailleurs de la donnée ».

    C’est ce fil que nous souhaitons suivre dans cet article qui vise à explorer les différentes dimensions d’une protection des données repensée comme une protection sociale

    Un premier phénomène inédit surgit dans le fait que nous ne soyons pas toujours consciemment parties prenantes d’une certaine expression de notre identité numérique à travers l’exploitation des données, qui émanent pourtant de nos propres pratiques numériques. Le second phénomène inédit, intrinsèquement lié au premier, c’est le degré d’opacité des mécanismes techniques et humains de production des données qui forgent cette identité. Ce qui nous échappe, c’est donc autant la perception (y compris physique) de nos traces et signaux numériques, que les processus de production (partant de l’exploitation de ces signaux et traces) qui forgent une donnée, et enfin leur exploitation ou utilisation sous la forme d’une expression explicite de nos identités et de nos activités.

    Cette triple perte de contrôle justifie à notre sens que notre relation avec les plateformes soit considérée sous l’angle d’une présomption de subordination d’usage.

    Compte tenu de l’existence de fait d’un rapport de production, et des conditions de subordination du travail et des usages qui lui sont attachés, se pose de façon centrale la question des conditions de consentement des individus à participer à l’effort de production. Cette dimension mérite à notre sens, un commentaire et une discussion approfondie.

    En effet c’est l’encastrement des traces numériques de nos comportements individuels dans des comportements collectifs, qui permet leur exploitation en tant que valeurs économiques. Ce qui appelle un premier commentaire : le consentement du point de vue de la gestion des données ne peut pas être uniquement individuel, dans la mesure où celles-ci incluent des informations sur nos relations sociales qui engagent des tiers (pensons par exemple aux carnets d’adresses qui constituent toujours les premières informations que les plateformes essaient de récupérer). D’autre part, le rappel de la dimension collective des relations de production mérite un effort d’explicitation : la reconfiguration de la vie privée sous l’influence des pratiques numériques importe dans l’espace privé la question du travail et du consentement à la participation à un effort de production.

    Or il importe selon nous autant, sinon davantage, de « protéger les droits des travailleurs de la donnée » que de protéger le droit, plus fondamental encore, de ne pas devenir malgré nous de tels travailleurs de la donnée.

    Que reste-t-il des aspirations et du sens investi collectivement dans le travail lorsque l’on exerce des « métiers » de tâcherons développés par les industries numériques ? Au-delà des déséquilibres économiques, c’est la dignité des personnes qui est à protéger face au retour des modèles d’exploitation féodaux. De même, il apparaît combien notre conception du travail sous-tend nos conceptions de la société dans son ensemble, et les perspectives de progrès social et de progrès humain partagé qu’il nous revient de discuter collectivement.

    Si l’enjeu consiste à faire émerger des formes institutionnelles pour accueillir et organiser la négociation collective sur les données, force est de constater qu’il sera difficile d’y parvenir en restant dans le cadre juridique actuel, car celui-ci demeure largement surdéterminé par un paradigme individualiste qui fait de l’individu et de ses choix le centre de gravité de la régulation des données. Dépasser cette approche nécessite de se donner les moyens de refaire le lien entre l’individu isolé autour duquel s’organise le droit à la protection des données et la figure du citoyen en tant qu’agent capable de participer à des discussions collectives.

    Si l’on veut sortir de cette vision « atomiste » de la protection des données, il importe de reconstruire un lien entre la figure de l’individu souhaitant protéger sa vie privée et celle du citoyen capable de se mobiliser avec ses semblables pour défendre les droits humains fondamentaux. Pour ce faire, nous proposons un détour par la notion de « données d’intérêt général », qui avait été envisagée au moment du vote de la loi République numérique comme un moyen de reprendre du pouvoir sur les plateformes. S’appuyer sur cette notion peut s’avérer utile pour trouver un fondement à l’action collective sur les données, mais à condition d’en renverser complètement la signification.

    Nos données personnelles sont produites dans le cadre de comportements qui, par ailleurs, sont identifiés du point de vue du droit comme appartenant à des espaces de la vie civile, là où nous exprimons notre citoyenneté et où nous vivons ensemble. On pourrait donc considérer que les traces numériques relèvent de l’intérêt général en tant que données « citoyennes ». Il y a bien lieu de parler à leur sujet d’intérêt général, parce que les plateformes ne devraient pas avoir le droit d’utiliser ces données sans nous demander un consentement individuellement, mais aussi et surtout, collectivement.

    Comme l’affirment A. Casilli et P. Tubaro dans leur tribune, il est indéniable que la vie privée résulte davantage aujourd’hui d’une négociation collective que de l’application des droits individuels prévus par les textes de loi. Ce processus associe de manière complexe les grandes plateformes, les pouvoirs publics et les individus. Mais dans les circonstances actuelles, le rapport de forces est tellement asymétrique que la voix des individus, et les voies de leur négociation, ne peuvent avoir qu’un poids infinitésimal. Des mobilisations collectives surviennent parfois, mais elles prennent des formes fugitives et éruptives, lorsque les utilisateurs expriment par exemple leur colère lors du rachat d’une plateforme par une autre ou en cas de changement des conditions d’utilisation jugés abusifs. Ces mouvements attestent d’une conscience collective que des droits sont bafoués et méritent d’être défendus, mais sans que cette volonté d’agir trouve une forme institutionnelle dans laquelle se couler.

    Une des pistes pour donner consistance à l’action collective en matière de protection des données réside dans les recours collectifs (actions de groupe ou class actions), qui autorisent des individus à déléguer la défense de leurs droits individuels à des représentants comme des associations, de manière à les faire valoir en justice face aux plateformes.

    Admettre d’emblée que toutes nos activités numériques sont assimilables à du Digital Labor ne revient-il pas à entériner que ce basculement dans des rapports de production est inéluctable et que plus rien de nous permettra d’échapper à cette « financiarisation » forcée de nos vies, y compris dans ce qu’elles ont de plus intime ? Si tel était le cas, la « protection sociale des données » pourrait recevoir la même critique que celle qu’on adresse parfois à la protection sociale tout court : que ces mécanismes, installés dans leur forme actuelle pendant la période fordiste, visent simplement à « compenser » les rapports de domination imposés aux individus dans la sphère du travail et non à remettre en cause le principe même de la soumission qu’ils impliquent.

    Pour conjurer ce risque, il importe selon nous d’être au contraire capable d’opérer des distinctions claires au sein même du continuum de pratiques décrites comme du Digital Labor, en les repositionnant soigneusement par rapport à l’idée de protection sociale.

    En imposant aux individus d’inscrire leur intimité dans un rapport de production, les plateformes provoquent en réalité un effondrement de la distinction entre la sphère publique et la sphère privée, phénomène qu’Hannah Arendt a identifié comme un des mécanismes par lesquels le totalitarisme s’empare des sociétés. Le cadre analytique du Digital Labor traduit donc une certaine vérité, car à l’époque moderne c’est bien le fait de faire apparaître une activité dans l’espace public qui la transforme presque mécaniquement en « travail ». Mais dans le même temps, cette « publicisation forcée » détruit la possibilité de préserver l’intimité, car celle-ci a nécessairement besoin d’une sphère privée séparée pour exister. Si par protection sociale, on entend des dispositifs qu’une société se donne pour échapper aux « risques de désintégration qui se concrétisent chaque fois que les forces marchandes dominent toutes les sphères de la vie sociale », alors on comprend que le cœur même d’une protection sociale des données doit consister en la préservation d’un droit fondamental pour les individus « à ne pas travailler » en tant que condition de possibilité de la vie privée.

    #Données_personnelles #Digital_Labour #Protection_sociale #Négociation_collectives

    • La domination des géants du numérique est-elle un nouveau colonialisme ?
      http://www.telerama.fr/idees/la-domination-des-geants-du-numerique-est-elle-un-nouveau-colonialisme,n546

      Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft… En offrant nos données personnelles à ces géants aussi puissants que des Etats, nous les laissons nous exploiter, selon le sociologue et chercheur italien #Antonio_Casilli, qui plaide pour un “tournant décolonial numérique”.

      On les dit plus puissants que certains Etats. Les géants de l’économie numérique – Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft en tête – n’ont qu’à jeter un œil par les fenêtres que nous leur ouvrons sur nos vies pour savoir ce que nous faisons, ce que nous consommons ou ce à quoi nous rêvons. Sans nous en rendre compte, nous produisons chaque jour, gratuitement, et parfois même avec délectation, des données personnelles monétisées et revendues à des entreprises tierces ou à des Etats. L’autonomie des utilisateurs vantée par les plateformes cache en réalité l’exploitation de cette production bénévole : nous travaillons tous gratuitement pour Facebook ou Google. Nous serions même devenus de la « chair à algorithmes », comme le dénonce une tribune datée du 5 février, parue dans Le Monde, invitant chacun à monnayer ses données personnelles.
      Une position à laquelle s’oppose fermement le sociologue et chercheur italien Antonio Casilli, maître de conférences en humanités numériques à Télécom ParisTech et auteur, en 2010, des Liaisons numériques. Vers une nouvelle sociabilité ? (éd. Seuil). Dans un article paru en fin d’année dernière dans la revue académique américaine International Journal of Communication, il met toutefois en parallèle la « mise au travail » des internautes avec les modes de subordination appliqués à ses travailleurs par l’économie numérique. Dans le Nord – les chauffeurs Uber – mais aussi et surtout dans le Sud – les employés des « fermes à clics », ces « micro-travailleurs » engagés pour accomplir de toutes petites tâches censées enrichir ces mêmes plateformes.

      #data #mise_au_travail_généralisée #travail

  • La #loi_d'expérimentation « Territoires zéro chômeur » adoptée à l’Assemblée
    https://www.mediapart.fr/journal/france/101215/la-loi-dexperimentation-territoires-zero-chomeur-adoptee-lassemblee

    La loi d’expérimentation pour une réduction du #chômage longue durée, défendue notamment par ATD Quart Monde, a été adoptée à l’unanimité mercredi 9 décembre à l’Assemblée nationale. La proposition, inédite, consiste à reverser une partie de l’aide sociale vers la création d’emplois.

    #France #Fil_d'actualités #chômage_de_longue_durée #Laurent_Grandguillaume