S’installer en ville n’est visiblement pas un choix judicieux pour les corvidés. Certaines communes, dans la perspective d’éradiquer les corbeaux et corneilles installés à proximité des habitations, sollicitent des chasseurs afin qu’ils abattent les volatiles lors de séances de tirs organisées. Le phénomène est de plus en plus répandu, selon la présidente de l’association de protection des corvidés Les Amis de Lazare (Ladel), Véronique Bialoskorski, qui estime à plusieurs centaines le nombre de villes ayant recours à ces méthodes.
Le motif évoqué pour justifier ces opérations est souvent le même : les nuisances sonores. Au printemps, lors de la période de nidification, les corbeaux sont en effet particulièrement bruyants – les petits, surtout, qui s’égosillent pour recevoir la becquée – et des habitants se plaignent d’être importunés auprès des représentants locaux.
Si la gêne occasionnée est une réalité, l’abattage massif est une solution « beaucoup trop radicale », estime Madline Reynaud, directrice de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas). Un avis que partage Véronique Bialoskorski, scandalisée par la « cruauté » de ces destructions : « Le tir dans les nids est interdit, mais les oiseaux volent autour pour défendre leurs petits… alors on massacre les parents et on laisse les oisillons crever ! »
Le recours aux armes est néanmoins légal : il est permis par le fait que ces volatiles sont classés parmi les « espèces susceptibles d’occasionner des dégâts », dites « nuisibles ». C’est le cas dans 84 départements pour la corneille noire et 58 pour le corbeau freux. Ainsi, ils peuvent faire l’objet de tirs en dehors des périodes de chasse – une simple autorisation préfectorale suffit. L’Aspas engage chaque année des actions juridiques pour que soient suspendues ces destructions, faisant valoir l’existence de « méthodes plus douces » consistant à « rendre les sites moins accueillants ».
Plus de 600 000 corbeaux abattus
Si le phénomène semble s’intensifier, c’est notamment parce que les corbeaux fuient les campagnes sous l’effet d’une forte pression de la chasse, dénonce la présidente de Ladel. Ils sont en effet nombreux à y succomber : selon la dernière enquête de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), plus de 600 000 corbeaux et corneilles ont été abattus rien que sur la saison de chasse 2013-2014.
Mais il y a aussi qu’ils « profitent des déchets liés à l’activité humaine », tempère Jean-Pierre Arnauduc, directeur technique de la Fédération nationale des chasseurs (FNC). A ses yeux, l’enjeu des tirs de corvidés dans les communes n’est pas de « faire un massacre », mais simplement « de leur faire sentir qu’ils doivent déménager ». Il estime en outre que si les chasseurs participent à ces séances, c’est essentiellement par « solidarité » entre citoyens, pour « rendre service ».
Reste que le manque d’efficacité de cette méthode est dénoncé par les associations de protection des animaux ainsi que par certaines communes, déçues des résultats. « Je pense qu’il y avait un fort effet psychologique, car les gens voyaient qu’on agissait, se souvient Anne Schooneman, responsable du pôle citoyenneté à Bar-le-Duc (Meuse). Mais malgré les quelque 500 corbeaux tués chaque année dans la commune, ils revenaient chaque année ». Cela fait maintenant deux ans que la ville a fait une croix sur le principe de l’abattage. Avec l’aide des associations, elle mise désormais sur une diminution de l’attractivité des « dortoirs » en enlevant les nids en début d’année ou en effrayant les indésirables avec des fusées sonores.
Le recours aux chasseurs est presque gratuit
Si ces nouvelles méthodes requièrent du temps et de l’organisation, elles sont plus respectueuses de l’environnement et davantage compatibles avec une politique de développement durable, estime Anne Schooneman. D’autant que les premiers résultats sont prometteurs : le nombre de nids reconstruits cette année est en baisse sur les deux sites cibles de Bar-le-Duc.
Le coût peut néanmoins constituer un frein : là où les frais liés à ces alternatives s’élèvent à plusieurs milliers d’euros par an, le recours aux chasseurs est pour sa part gratuit – seules les cartouches sont parfois prises en charge, soit quelques centaines d’euros. Mais « le frein financier ne doit pas prendre le pas sur la moralité, l’éthique et le respect de la vie », tranche Madline Reynaud, de l’association Aspas.
Pour autant, sur le terrain, c’est surtout le regard des gens sur « ces animaux que l’on appelle les mal-aimés » qu’il faut changer, souligne-t-elle, pointant l’importance des actions de sensibilisation. « Certaines personnes peuvent avoir des a priori sur ces oiseaux, car ils leur font peur, constate-t-elle. Mais il suffit juste de les connaître et de comprendre leur comportement pour trouver un terrain d’entente et cohabiter de manière pacifique. »