• Ethik (vs. Moral)

    via https://diasp.eu/p/17691412

    Daniel-Pascal Zorn

    https://x.com/Fionnindy/status/1934315023595106474

    Wie zu erwarten bemühen die ersten nun typische utilitaristisch-ethische Positionen, um Angriffe auf Zivilbevölkerung zu rechtfertigen. Die analytische #Philosophie hat das ethische #Analphabetentum ganzer Generationen zu verantworten

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    https://x.com/Fionnindy/status/1711689705434005527

    Kurze Klärung: #Ethik basiert nicht auf #Werten. #Moral basiert auf Werten. Ethik basiert auf #Urteilen. Es ergibt auch keinen Sinn, epistemologische („Wissenschaft“) oder pragmatische („Technologie“) Argumente gegen Ethik auszuspielen, denn sie ist strenger als beide. 1/2..

    https://x.com/Fionnindy/status/1711689709016269099

    Wer Ethik mit Moral gleichsetzt und sie so an – tendenziell subjektive – #Wertvorstellungen knüpft, (...)

  • Dans cet essai produit suite à la lecture de « Critique de la raison décoloniale. Sur une contre-révolution intellectuelle », ouvrage conçu par un collectif d’universitaires, Jérôme Baschet se livre à une « critique de la critique » dans le but d’élargir la perception des luttes contre les fétiches du monde marchand.

    Malaise dans la décolonialité
    https://www.terrestres.org/2025/03/25/debat-dans-les-pensees-decoloniales

    Il n’y a pas « une » mais « des » pensées décoloniales. Selon les auteurices du livre « Critique de la raison décoloniale », un courant en particulier, né dans les universités étasuniennes et influent sur le continent américain, s’accapare toutefois le domaine. La sortie de l’ouvrage en français est l’occasion pour l’historien Jérôme Baschet d’identifier les nœuds de cette controverse et d’appeler à un débat plus ample.

    • Fanon est la figure tutélaire du volume, liant marxisme et anticolonialisme. L’introduction convoque sa pensée contre les auteurs décoloniaux – qui le revendiquent aussi, mais auxquels on peut reprocher de trahir ses principales leçons. Est rappelée sa capacité à reconnaître dans ses dimensions les plus profondes l’expérience des #colonisés, mais sans jamais renoncer à une conscience universaliste. Est soulignée aussi son insistance à récuser tout enfermement dans une identité noire et, plus largement, dans les catégories imposées par les dominants : « à partir du moment où le nègre accepte le clivage imposé par l’Européen, il n’a plus de répit » ; car, alors, « le Blanc est enfermé dans sa blancheur, le Noir dans sa noirceur » ; et c’est pourquoi il faut « libérer l’homme de couleur de lui-même » et proclamer que « le nègre n’est pas. Pas plus que le Blanc ». Ainsi, Fanon met à jour l’oppression coloniale et la combat, tout en proclamant, au plus loin de toute #essentialisation des identités opprimées : « je suis un homme et c’est tout le passé du monde que j’ai à reprendre. Je ne suis pas seulement responsable de la révolte de Saint-Domingue. Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte ». Tout ce qui peut être reproché aux auteurs décoloniaux, comme on le verra plus loin, est précisément ce à quoi #Fanon échappe par ces propos admirables.

      [...]

      [Un courant caractérisé par] une emphase théorique, volontiers jargonnante, associée à une absence de toute recherche empirique...

      [...]

      ... les auteurs décoloniaux ne manifestent pas le moindre intérêt pour les dynamiques historiques ayant pu exister en Europe avant 1492, ni non plus pour d’autres phénomènes postérieurs, classiquement associés à l’émergence du capitalisme, comme l’accumulation primitive ou les enclosures. Il faut, pour que leur construction théorique produise l’effet recherché, que le capitalisme naisse tout entier par le seul effet de la conquête de l’Amérique.

      #histoire #pensée_décoloniale #ontologie_de_l’origine #colonialité #fanonistes #1492-centrisme #essentialisation_de_l’Occident #Occident

  • #Pierre_Gaussens, sociologue : « Les #études_décoloniales réduisent l’Occident à un ectoplasme destructeur »

    Le chercheur détaille, dans un entretien au « Monde », les raisons qui l’ont conduit à réunir, dans un livre collectif, des auteurs latino-américains de gauche qui critiquent les #fondements_théoriques des études décoloniales.

    S’il passe son année en France comme résident à l’Institut d’études avancées de Paris, Pierre Gaussens évolue comme sociologue au Collège du Mexique, à Mexico, établissement d’enseignement supérieur et de recherche en sciences humaines. C’est d’Amérique latine qu’il a piloté, avec sa collègue #Gaya_Makaran, l’ouvrage Critique de la raison décoloniale. Sur une contre-révolution intellectuelle (L’Echappée, 256 pages, 19 euros), regroupant des auteurs anticoloniaux mais critiques des études décoloniales et de leur « #stratégie_de_rupture ».

    Que désignent exactement les études décoloniales, devenues un courant très controversé ?

    Les études décoloniales ont été impulsées par le groupe Modernité/Colonialité, un réseau interdisciplinaire constitué au début des années 2000 par des intellectuels latino-américains, essentiellement basés aux Etats-Unis. Il comptait, parmi ses animateurs les plus connus, le sociologue péruvien #Anibal_Quijano (1928-2018), le sémiologue argentin #Walter_Mignolo, l’anthropologue américano-colombien #Arturo_Escobar, ou encore le philosophe mexicain d’origine argentine #Enrique_Dussel (1934-2023). Les études décoloniales sont plurielles, mais s’articulent autour d’un dénominateur commun faisant de 1492 une date charnière de l’histoire. L’arrivée en Amérique de Christophe Colomb, inaugurant la #colonisation_européenne, aurait marqué l’entrée dans un schéma de #pouvoir perdurant jusqu’à aujourd’hui. Ce schéma est saisi par le concept central de « #colonialité », axe de #domination d’ordre racial qui aurait imprégné toutes les sphères – le pouvoir, le #savoir, le #genre, la #culture.

    Sa substance est définie par l’autre concept phare des études décoloniales, l’#eurocentrisme, désignant l’hégémonie destructrice qu’aurait exercée la pensée occidentale, annihilant le savoir, la culture et la mythologie des peuples dominés. Le courant décolonial se fonde sur ce diagnostic d’ordre intellectuel, mais en revendiquant dès le début une ambition politique : ce groupe cherchait à se positionner comme une avant-garde en vue d’influencer les mouvements sociaux et les gouvernements de gauche latino-américains. Il est ainsi né en critiquant les #études_postcoloniales, fondées dans les années 1980 en Inde avant d’essaimer aux Etats-Unis. Les décoloniaux vont leur reprocher de se cantonner à une critique « scolastique », centrée sur des études littéraires et philosophiques, et dépourvue de visée politique.

    Pourquoi avoir élaboré cet ouvrage collectif visant à critiquer la « #raison_décoloniale » ?

    Ce projet venait d’un double ras-le-bol, partagé avec ma collègue Gaya Makaran, de l’Université nationale autonome du Mexique (UNAM). Nous étions d’abord agacés par les faiblesses théoriques des études décoloniales, dont les travaux sont entachés de #simplisme et de #concepts_bancals enrobés dans un #jargon pompeux et se caractérisant par l’#ignorance, feinte ou volontaire, de tous les travaux antérieurs en vue d’alimenter une stratégie de #rupture. Celle-ci a fonctionné, car la multiplication des publications, des revues et des séminaires a permis au mouvement de gagner en succès dans le champ universitaire. Ce mouvement anti-impérialiste a paradoxalement profité du fait d’être basé dans des universités américaines pour acquérir une position de force dans le champ académique.

    La seconde raison tenait à notre malaise face aux effets des théories décoloniales. Que ce soient nos étudiants, les organisations sociales comme les personnes indigènes rencontrées sur nos terrains d’enquête, nous constations que l’appropriation de ces pensées menait à la montée d’un #essentialisme fondé sur une approche mystifiée de l’#identité, ainsi qu’à des #dérives_racistes. Il nous semblait donc crucial de proposer une critique d’ordre théorique, latino-américaine et formulée depuis une perspective anticolonialiste. Car nous partageons avec les décoloniaux le diagnostic d’une continuité du fait colonial par-delà les #décolonisations, et le constat que cette grille de lecture demeure pertinente pour saisir la reproduction des #dominations actuelles. Notre ouvrage, paru initialement au Mexique en 2020 [Piel Blanca, Mascaras Negras. Critica de la Razon Decolonial, UNAM], présente donc un débat interne à la gauche intellectuelle latino-américaine, qui contraste avec le manichéisme du débat français, où la critique est monopolisée par une droite « #antiwoke ».

    Le cœur de votre critique se déploie justement autour de l’accusation d’« essentialisme ». Pourquoi ce trait vous pose-t-il problème ?

    En fétichisant la date de #1492, les études décoloniales procèdent à une rupture fondamentale qui conduit à un manichéisme et une réification d’ordre ethnique. L’Occident, porteur d’une modernité intrinsèquement toxique, devient un ectoplasme destructeur. Cette #satanisation produit, en miroir, une #idéalisation des #peuples_indigènes, des #cosmologies_traditionnelles et des temps préhispaniques. Une telle lecture crée un « #orientalisme_à_rebours », pour reprendre la formule de l’historien #Michel_Cahen [qui vient de publier Colonialité. Plaidoyer pour la précision d’un concept, Karthala, 232 pages, 24 euros], avec un #mythe stérile et mensonger du #paradis_perdu.

    Or, il s’agit à nos yeux de penser l’#hybridation et le #métissage possibles, en réfléchissant de façon #dialectique. Car la #modernité a aussi produit des pensées critiques et émancipatrices, comme le #marxisme, tandis que les coutumes indigènes comportent également des #oppressions, notamment patriarcales. Cette #focalisation_ethnique empêche de penser des #rapports_de_domination pluriels : il existe une #bourgeoisie_indigène comme un #prolétariat_blanc. Cette essentialisation suscite, en outre, un danger d’ordre politique, le « #campisme », faisant de toute puissance s’opposant à l’Occident une force par #essence_décoloniale. La guerre menée par la Russie en Ukraine montre à elle seule les limites d’une telle position.

    En quoi le positionnement théorique décolonial vous semble-t-il gênant ?

    La stratégie de rupture du mouvement conduit à plusieurs écueils problématiques, dont le principal tient au rapport avec sa tradition théorique. Il procède à des récupérations malhonnêtes, comme celle de #Frantz_Fanon (1925-1961). Les décoloniaux plaquent leur grille de lecture sur ce dernier, gommant la portée universaliste de sa pensée, qui l’oppose clairement à leur geste critique. Certains se sont rebellés contre cette appropriation, telle la sociologue bolivienne #Silvia_Rivera_Cusicanqui, qui a accusé Walter Mignolo d’avoir détourné sa pensée.

    Sur le plan conceptuel, nous critiquons le galimatias linguistique destiné à camoufler l’absence de nouveauté de certains concepts – comme la « colonialité », qui recoupe largement le « #colonialisme_interne » développé à la fin du XXe siècle – et, surtout, leur faiblesse. Au prétexte de fonder un cadre théorique non eurocentrique, les décoloniaux ont créé un #jargon en multipliant les notions obscures, comme « #pluriversalisme_transmoderne » ou « #différence_transontologique », qui sont d’abord là pour simuler une #rupture_épistémique.

    Votre critique s’en prend d’ailleurs à la méthode des études décoloniales…

    Les études décoloniales ne reposent sur aucune méthode : il n’y a pas de travail de terrain, hormis chez Arturo Escobar, et très peu de travail d’archives. Elles se contentent de synthèses critiques de textes littéraires et théoriques, discutant en particulier des philosophes comme Marx et Descartes, en s’enfermant dans un commentaire déconnecté du réel. Il est d’ailleurs significatif qu’aucune grande figure du mouvement ne parle de langue indigène. Alors qu’il est fondé sur la promotion de l’#altérité, ce courant ne juge pas nécessaire de connaître ceux qu’il défend.

    En réalité, les décoloniaux exploitent surtout un #misérabilisme en prétendant « penser depuis les frontières », selon le concept de Walter Mignolo. Ce credo justifie un rejet des bases méthodologiques, qui seraient l’apanage de la colonialité, tout en évacuant les critiques à son égard, puisqu’elles seraient formulées depuis l’eurocentrisme qu’ils pourfendent. Ce procédé conduit à un eurocentrisme tordu, puisque ces auteurs recréent, en l’inversant, le « #privilège_épistémique » dont ils ont fait l’objet de leur critique. Ils ont ainsi construit une bulle destinée à les protéger.

    Sur quelle base appelez-vous à fonder une critique de gauche du colonialisme ?

    En opposition aux penchants identitaires des décoloniaux, nous soutenons le retour à une approche matérialiste et #dialectique. Il s’agit de faire dialoguer la pensée anticoloniale, comme celle de Frantz Fanon, avec l’analyse du #capitalisme pour renouer avec une critique qui imbrique le social, l’économie et le politique, et pas seulement le prisme culturel fétichisé par les décoloniaux. Cette #intersectionnalité permet de saisir comment les pouvoirs néocoloniaux et le capitalisme contemporain reproduisent des phénomènes de #subalternisation des pays du Sud. Dans cette perspective, le #racisme n’est pas un moteur en soi, mais s’insère dans un processus social et économique plus large. Et il s’agit d’un processus historique dynamique, qui s’oppose donc aux essentialismes identitaires par nature figés.

    « Critique de la raison décoloniale » : la dénonciation d’une « #imposture »

    Les études décoloniales constitueraient une « #contre-révolution_intellectuelle ». L’expression, d’ordinaire réservée aux pensées réactionnaires, signale la frontalité de la critique, mais aussi son originalité. Dans un débat français où le label « décolonial » est réduit à un fourre-tout infamant, cet ouvrage collectif venu d’Amérique latine apporte un bol d’air frais. Copiloté par Pierre Gaussens et Gaya Makaran, chercheurs basés au Mexique, Critique de la raison décoloniale (L’Echappée, 256 pages, 19 euros) élève le débat en formulant une critique d’ordre théorique.

    Six textes exigeants, signés par des chercheurs eux-mêmes anticoloniaux, s’attachent à démolir ce courant, qualifié d’« imposture intellectuelle ». Les deux initiateurs du projet ouvrent l’ensemble en ramassant leurs griefs : l’essentialisation des peuples à travers un prisme culturel par des auteurs qui « partagent inconsciemment les prémisses de la théorie du choc des civilisations ». Les quatre contributions suivantes zooment sur des facettes des études décoloniales, en s’attaquant notamment à la philosophie de l’histoire qui sous-tend sa lecture de la modernité, à quelques-uns de ses concepts fondamentaux (« pensée frontalière », « colonialité du pouvoir »…) et à son « #ontologie de l’origine et de la #pureté ». Un dernier texte plus personnel de la chercheuse et activiste Andrea Barriga, ancienne décoloniale fervente, relate sa désillusion croissante à mesure de son approfondissement de la pensée d’Anibal Quijano, qui lui est finalement apparue comme « sans consistance ».

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2024/11/24/pierre-gaussens-sociologue-les-etudes-decoloniales-reduisent-l-occident-a-un
    #décolonial

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    • En complément :
      https://lvsl.fr/pourquoi-lextreme-droite-sinteresse-aux-theories-decoloniales

      L’extrême droite veut décoloniser. En France, les intellectuels d’extrême droite ont pris l’habitude de désigner l’Europe comme la victime autochtone d’une « colonisation par les immigrés » orchestrée par les élites « mondialistes ». Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement », a même fait l’éloge des grands noms de la littérature anticoloniale – « tous les textes majeurs de la lutte contre la colonisation s’appliquent remarquablement à la France, en particulier ceux de Frantz Fanon » – en affirmant que l’Europe a besoin de son FLN (le Front de Libération Nationale a libéré l’Algérie de l’occupation française, ndlr). Le cas de Renaud Camus n’a rien d’isolé : d’Alain de Benoist à Alexandre Douguine, les figures de l’ethno-nationalisme lisent avec attention les théoriciens décoloniaux. Et ils incorporent leurs thèses, non pour contester le système dominant, mais pour opposer un capitalisme « mondialiste », sans racines et parasitaire, à un capitalisme national, « enraciné » et industriel.

      Article originellement publié dans la New Left Review sous le titre « Sea and Earth », traduit par Alexandra Knez pour LVSL.

    • Les pensées décoloniales d’Amérique latine violemment prises à partie depuis la gauche

      Dans un livre collectif, des universitaires marxistes dénoncent l’« imposture » des études décoloniales, ces théories qui tentent de déconstruire les rapports de domination en Amérique latine. Au risque de la simplification, répondent d’autres spécialistes.

      PourPour une fois, la critique ne vient pas de la droite ou de l’extrême droite, mais de courants d’une gauche marxiste que l’on n’attendait pas forcément à cet endroit. Dans un livre collectif publié en cette fin d’année, Critique de la raison décoloniale (L’échappée), une petite dizaine d’auteur·es livrent une charge virulente à l’égard des études décoloniales, tout à la fois, selon eux, « imposture », « pensée ventriloque », « populisme » et « contre-révolution intellectuelle ».

      Le champ décolonial, surgi dans les années 1990 sur le continent américain autour de penseurs comme Aníbal Quijano (1928-2018), reste confidentiel en France. Ce sociologue péruvien a forgé le concept de « colonialité du pouvoir », qui renvoie aux rapports de domination construits à partir de 1492 et le début des « conquêtes » des Européens aux Amériques. Pour ces intellectuel·les, les vagues d’indépendances et de décolonisations, à partir du XIXe siècle, n’ont pas changé en profondeur ces rapports de domination.

      La première génération des « décoloniaux » sud-américains, autour de Quijano, de l’historien argentino-mexicain Enrique Dussel (1934-2023) et du sémiologue argentin Walter Mignolo (né en 1941), a développé à la fin des années 1990 un programme de recherche intitulé « Modernité/Colonialité/Décolonialité » (M/C/D). Ils ont analysé, souvent depuis des campus états-uniens, la « colonialité », non seulement du « pouvoir », mais aussi des « savoirs » et de « l’être ».

      Pour eux, 1492 est un moment de bascule, qui marque le début de la « modernité » (le système capitaliste, pour le dire vite) et de son revers, la « colonialité » : le système capitaliste et le racisme sont indissociables. Selon ces auteurs, « le socle fondamental de la modernité est le “doute méthodique” jeté sur la pleine humanité des Indiens », doute qui deviendra un « scepticisme misanthrope systématique et durable » jusqu’à aujourd’hui, expliquent Philippe Colin et Lissell Quiroz dans leur ouvrage de synthèse sur les Pensées décoloniales. Une introduction aux théories critiques d’Amérique latine, publié en 2023 (éditions de La Découverte).

      « Au-delà des indéniables effets de mode, la critique décoloniale est devenue l’un des paradigmes théoriques incontournables de notre temps », écrivent encore Colin et Quiroz. Depuis la fin des années 1990, cette manière de critiquer le capitalisme, sans en passer par le marxisme, s’est densifiée et complexifiée. Elle a été reprise dans la grammaire de certains mouvements sociaux, et récupérée aussi de manière rudimentaire par certains gouvernements étiquetés à gauche.

      C’est dans ce contexte qu’intervient la charge des éditions L’échappée, qui consiste dans la traduction de six textes déjà publiés en espagnol (cinq au Mexique en 2020, un autre en Argentine en 2021). Parmi eux, Pierre Gaussens et Gaya Makaran, deux universitaires basé·es à Mexico, l’un Français, l’autre Polonaise, s’en prennent à ces « discours académiques qui veulent parler à la place des subalternes » et dénoncent une « représentation ventriloque des altérités ».

      Préoccupé·es par l’influence grandissante des théories décoloniales dans leur milieu universitaire, Gaussens et Makaran veulent exposer leurs « dangers potentiels ». Dont celui de contribuer à « justifier des pratiques discriminatoires et excluantes, parfois même ouvertement racistes et xénophobes, dans les espaces où celles-ci parviennent à rencontrer un certain écho, surtout à l’intérieur du monde étudiant ».

      Les critiques formulées par ces penseurs d’obédience marxiste sont légion. Ils et elles reprochent une manière de penser l’Europe de manière monolithique, comme un seul bloc coupable de tous les maux – au risque d’invisibiliser des luttes internes au continent européen. Ils contestent la focalisation sur 1492 et jugent anachronique la référence à une pensée raciale dès le XVe siècle.

      De manière plus globale, ils dénoncent un « biais culturaliste », qui accorderait trop de place aux discours et aux imaginaires, et pas assez à l’observation de terrain des inégalités économiques et sociales ou encore à la pensée de la forme de l’État au fil des siècles. « L’attention qu’ils portent aux identités, aux spécificités culturelles et aux “cosmovisions” les conduit à essentialiser et à idéaliser les cultures indigènes et les peuples “non blancs”, dans ce qui en vient à ressembler à une simple inversion de l’ethnocentrisme d’origine européenne », écrit le journaliste Mikaël Faujour dans la préface de l’ouvrage.

      Ils critiquent encore le soutien de certains auteurs, dont Walter Mignolo, à Hugo Chávez au Venezuela et Evo Morales en Bolivie – ce que certains avaient désigné comme une « alliance bolivarienne-décoloniale », au nom de laquelle ils ont pu soutenir des projets néo-extractivistes sur le sol des Amériques pourtant contraires aux intérêts des populations autochtones.

      Dans une recension enthousiaste qu’il vient de publier dans la revue Esprit, l’anthropologue Jean-Loup Amselle parle d’un livre qui « arrive à point nommé ». Il critique le fait que les décoloniaux ont « figé », à partir de 1492, l’Europe et l’Amérique en deux entités « hypostasiées dans leurs identités respectives ». « Pour les décoloniaux, insiste Amselle, c’est le racisme qui est au fondement de la conquête de l’Amérique, bien davantage que les richesses qu’elle recèle, et c’est le racisme qui façonne depuis la fin du XVe siècle le monde dans lequel on vit. »

      La parole d’Amselle importe d’autant plus ici qu’il est l’un des tout premiers, depuis la France, à avoir critiqué les fondements de la pensée décoloniale. Dans L’Occident décroché. Enquête sur les postcolonialismes (Seuil, 2008), il consacrait déjà plusieurs pages critiques en particulier de la pensée « culturaliste », essentialiste, de Walter Mignolo lorsque ce dernier pense le « post-occidentalisme ».

      À la lecture de Critique de la raison décoloniale, si les critiques sur les partis pris téléologiques dans certains travaux de Walter Mignolo et Enrique Dussel visent juste, la virulence de la charge interroge tout de même. D’autant qu’elle passe presque totalement sous silence l’existence de critiques plus anciennes, par exemple sur le concept de « colonialité du pouvoir », en Amérique latine.

      Dans une recension publiée dans le journal en ligne En attendant Nadeau, l’universitaire David Castañer résume la faille principale du livre, qui « réside dans l’écart entre ce qu’il annonce – une critique radicale de la théorie décoloniale dans son ensemble – et ce qu’il fait réellement – une lecture du tétramorphe Mignolo, Grosfoguel [sociologue d’origine portoricaine – ndlr], Quijano, Dussel ». Et de préciser : « Or, il y a un grand pas entre critiquer des points précis des pensées de ces quatre auteurs et déboulonner cette entité omniprésente que serait le décolonial. »

      Tout se passe comme si les auteurs de cette Critique passaient sous silence la manière dont ce champ s’est complexifié, et avait intégré ses critiques au fil des décennies. C’est ce que montre l’ouvrage de Colin et Quiroz dont le dernier chapitre est consacré, après les figures tutélaires des années 1990 – les seules qui retiennent l’attention de Gaussens et de ses collègues –, aux « élargissements théoriques et militants ».
      Méta-histoire

      L’exemple le plus saillant est la manière dont des féministes, à commencer par la philosophe argentine María Lugones (1944-2020), vont critiquer les travaux de Quijano, muets sur la question du genre, et proposer le concept de « colonialité du genre », à distance du « féminisme blanc », sans rejeter pour autant ce fameux « tournant décolonial ».

      Idem pour une pensée décoloniale de l’écologie, à travers des chercheurs et chercheuses d’autres générations que celles des fondateurs, comme l’anthropologue colombien Arturo Escobar (qui a critiqué le concept de développement comme une invention culturelle d’origine occidentale, et théorisé le « post-développement ») ou l’Argentine Maristella Svampa, devenue une référence incontournable sur l’économie extractiviste dans le Cône Sud.

      La critique formulée sur la fixation problématique sur 1492 chez les décoloniaux ne convainc pas non plus Capucine Boidin, anthropologue à l’université Sorbonne-Nouvelle, jointe par Mediapart : « Les auteurs décoloniaux font une philosophie de l’histoire. Ils proposent ce que j’appelle un méta-récit. Ce n’est pas de l’histoire. Il n’y a d’ailleurs aucun historien dans le groupe des études décoloniales. Cela n’a pas de sens de confronter une philosophie de l’histoire à des sources historiques : on ne peut qu’en conclure que c’est faux, incomplet ou imprécis. »

      Cette universitaire fut l’une des premières à présenter en France la pensée décoloniale, en invitant Ramón Grosfoguel alors à l’université californienne de Berkeley, dans un séminaire à Paris dès 2007, puis à coordonner un ensemble de textes – restés sans grand écho à l’époque – sur le « tournant décolonial » dès 2009.

      Elle tique aussi sur certaines des objections formulées à l’égard d’universitaires décoloniaux très dépendants des universités états-uniennes, et accusés d’être coupés des cultures autochtones dont ils parlent. À ce sujet, Silvia Rivera Cusicanqui, une sociologue bolivienne de premier plan, connue notamment pour avoir animé un atelier d’histoire orale andine, avait déjà accusé dès 2010 le décolonial Walter Mignolo, alors à l’université états-unienne Duke, d’« extractivisme académique » vis-à-vis de son propre travail mené depuis La Paz.

      « Contrairement à ce que dit Pierre Gaussens, nuance Capucine Boidin, Aníbal Quijano parlait très bien, et chantait même, en quechua. C’était un sociologue totalement en prise avec sa société. Il a d’ailleurs fait toute sa carrière au Pérou, à l’exception de voyages brefs aux États-Unis durant lesquels il a échangé avec [le sociologue états-unien] Immanuel Wallerstein. Pour moi, c’est donc un procès d’intention qui fait fi d’une lecture approfondie et nuancée. »
      L’héritage de Fanon

      Au-delà de ces débats de spécialistes, les auteur·es de Critique de la raison décoloniale s’emparent avec justesse de nombreux penseurs chers à la gauche, de Walter Benjamin à Frantz Fanon, pour mener leur démonstration. Le premier chapitre s’intitule « Peau blanche, masque noire », dans une référence au Peau noire, masques blancs (1952) de l’intellectuel martiniquais. Le coup est rude : il s’agit d’accuser sans détour les décoloniaux d’être des « blancs » qui se disent du côté des peuples autochtones sans l’être.

      Pierre Gaussens et Gaya Makaran insistent sur les critiques formulées par Fanon à l’égard du « courant culturaliste de la négritude », qu’ils reprennent pour en faire la clé de voûte du livre. « Si le colonisé se révolte, ce n’est donc pas pour découvrir une culture propre ou un passé glorieux, ni pour prendre conscience de sa “race”, mais parce que l’oppression socio-économique qu’il subit ne lui permet pas de mener une existence pleine et entière », écrivent-ils.

      Dans l’épilogue de sa biographie intellectuelle de Fanon (La Découverte, 2024), Adam Shatz constate que des critiques de l’antiracisme contemporain, depuis le marxisme notamment, se réclament parfois du Martiniquais. « Ce qui intéressait Fanon n’était pas la libération des Noirs, mais celle des damnés de la Terre », confirme-t-il. Mais Shatz se montre aussi plus prudent, alors que « l’horizon de la société post-raciale [que Fanon appelait de ses vœux – ndlr] s’est considérablement éloigné » par rapport à 1961, année de sa mort à 36 ans à peine.

      À lire Shatz, Fanon menait une critique des pensées binaires telles que certains universalistes et d’autres identitaires la pratiquent. La nature de son œuvre la rend rétive aux récupérations. Il juge aussi que les décoloniaux, et des mouvements comme Black Lives Matter, qui se revendiquent tout autant de Fanon que les marxistes critiques de l’antiracisme, « sont plus fidèles à la colère » du psychiatre martiniquais, avec « leur style d’activisme imprégné d’urgence existentielle ».

      Aussi stimulante soit-elle, la publication de Critique de la raison décoloniale témoigne surtout, en creux, de la trop faible circulation des textes originaux des théories décoloniales en France, et du trop petit nombre de traductions disponibles en français (parmi les exceptions notables, la publication aux PUF en 2023 de Philosophie de la libération, de Dussel, classique de 1977). Le livre des éditions de L’échappée est une entreprise de démontage d’un champ encore peu documenté en France, ce qui donne à sa lecture un abord inconfortable.

      Et ce, même si Mikaël Faujour, collaborateur au Monde diplomatique, qui a traduit une partie des textes du recueil en français, avec l’essayiste partisan de la décroissance Pierre Madelin, insiste, dans une préface périlleuse, sur une clé de lecture française, qui complique encore la réception de l’ouvrage. Le journaliste s’inquiète des « cheminements » de la pensée décoloniale dans l’espace francophone, d’abord via les revues Multitudes et Mouvements, puis à travers le parti des Indigènes de la République (PIR) autour notamment de Houria Bouteldja, jusqu’à déplorer « le rapprochement, à partir de 2019, entre les décoloniaux autour du PIR et La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon ».

      La charge n’est pas sans rappeler le débat suscité en 2021 par le texte du sociologue Stéphane Beaud et de l’historien Gérard Noiriel, sur le « tournant identitaire » dans les sciences sociales françaises. Au risque d’ouvrir ici une vaste discussion plus stratégique sur les gauches françaises, qui n’a que peu à voir avec les discussions théoriques posées par les limites des premières vagues de la théorie décoloniale en Amérique latine ?

      Joint par Mediapart, Faujour assure le contraire : « Il n’y a pas d’étanchéité entre les deux espaces [français et latino-américain]. D’ailleurs, le livre [original publié en 2020 au Mexique] contenait un texte critique de Philippe Corcuff sur les Indigènes de la République. Par ailleurs, Bouteldja salue Grosfoguel comme un “frère”. Dussel et Grosfoguel sont venus en France à l’invitation du PIR. Tout l’appareillage lexical et conceptuel, la lecture historiographique d’une modernité débutée en 1492 unissant dans la “colonialité”, modernité, colonialisme et capitalisme, mais aussi la critique de la “blanchité”, entre autres choses, constituent bel et bien un fonds commun. »

      Mais certain·es redoutent bien une confusion dans la réception du texte, dans le débat français. « Pierre Gaussens et Gaya Makaran travaillent depuis le Mexique, avance Capucine Boidin. Je comprends une partie de leur agacement, lorsqu’ils sont face à des étudiants latino-américains, de gauche, qui peuvent faire une lecture simplifiée et idéologique de certains textes décoloniaux. D’autant qu’il peut y avoir une vision essentialiste, romantique et orientaliste des cultures autochtones, dans certains de ces écrits. »

      « Mais en France, poursuit-elle, nous sommes dans une situation très différente, où les études décoloniales sont surtout attaquées sur leur droite. Manifestement, Pierre Gaussens est peu informé des débats français. Ce livre arrive comme un éléphant dans un magasin de porcelaine, avec le risque de donner à la droite des arguments de gauche pour critiquer les études décoloniales. »

      https://www.mediapart.fr/journal/international/271224/les-pensees-decoloniales-d-amerique-latine-violemment-prises-partie-depuis

  • Israel-Hamas war opens up German debate over meaning of ‘Never again’ | Germany | The Guardian
    https://www.theguardian.com/world/2023/nov/22/israel-hamas-war-opens-up-german-debate-over-meaning-of-never-again

    A letter published in the Guardian pits several prominent German and international figures influenced by the Frankfurt School of neo-Marxist “critical theory” against its most prominent living member, Jürgen Habermas. They argue that “Never again” must also mean staying alert to the possibility that what is unfolding in Gaza could amount to genocide.

    In a statement published on 13 November, Habermas made the case that the “Never again” principle must above all lead to a German commitment to protecting Jewish life and Israel’s right to exist.

    Habermas, 94, sometimes described as a contemporary successor to the Enlightenment philosophers for his writing on themes of power and justice, argued that Israel’s military retaliation following the 7 October Hamas attacks was “justified in principle”. Likening the resulting bloodshed in Gaza to a genocide was beyond the boundaries of acceptable debate, he said.

    “Despite all the concern for the fate of the Palestinian population […], the standards of judgment slip completely when genocidal intentions are attributed to Israel’s actions,” said the statement, which was also signed by the political scientist Rainer Forst, the lawyer Klaus Günther and the peace researcher Nicole Deitelhoff.

    In response, the letter published on Wednesday echoes Habermas’s condemnation of the Hamas attack and hostage-taking, but expresses concern over the “apparent limits of the solidarity expressed” by the philosopher and his co-authors.

    “The statement’s concern for human dignity is not adequately extended to Palestinian civilians in Gaza who are facing death and destruction,” it adds. “Nor is it applied or extended to Muslims in Germany experiencing rising Islamophobia. Solidarity means that the principle of human dignity must apply to all people. This requires us to recognise and address the suffering of all those affected by an armed conflict.”

    The letter continues: “We are concerned that there is no mention of upholding international law, which also prohibits war crimes and crimes against humanity such as collective punishment, persecution, and the destruction of civilian infrastructure including schools, hospitals and places of worship.”

    While “not all signatories believe that the legal standards for genocide have been met” by the situation in Gaza, the letter says, all of them “agree this is a matter of legitimate debate”.

    On Sunday, a group of UN experts said there was “evidence of increasing genocidal incitement” against the Palestinian people. Israeli officials reject this.

    #génocide #gaza

  • L’enquête sur l’être
    https://laviedesidees.fr/Sebastien-Motta-Le-Melange-des-genres.html

    À propos de : Sébastien Motta, Le Mélange des genres, Critique de l’ontologie par l’élucidation du concept d’identité, Classiques Garnier. En dépit des proclamations répétées de mort de la #métaphysique, le paysage philosophique contemporain est marqué par la floraison des ontologies. Sébastien Motta entend montrer, par une analyse logique de leurs présupposés, la stérilité de ces entreprises.

    #Philosophie #identité #philosophie_analytique #ontologie
    https://laviedesidees.fr/IMG/docx/20230112_motta-2.docx
    https://laviedesidees.fr/IMG/pdf/20230112_motta-2.pdf

  • Misère du philologisme (la méthode à Martin), Le Moine Bleu
    http://lemoinebleu.blogspot.com/2021/04/misere-du-philologisme-la-methode-martin.html

    « Bien que Heidegger ait parfaitement perçu le moment rationaliste, éclairé chez Aristote, il cherche, dans des proportions qu’on a du mal à se représenter, à le rendre présentable. Avant de passer à Aristote, je crois qu’il me faut encore vous dire quelques mots critiques à propos de cette lecture. J’aimerais le faire, même si en procédant ainsi je m’engage dans une interprétation très précise, parce que je crois que ce genre de choses se révèle mieux dans les détails concrets qu’au niveau des propositions générales. Il s’agit donc ici d’une interprétation de la première phrase de la Métaphysique d’Aristote. Je ne m’intéresse qu’à cette phrase. Je vais l’écrire en grec au tableau. Je suis bien conscient que beaucoup d’entre vous ne connaissent pas le grec, mais il n’y a pas d’autres façons de procéder. Je vais vous expliquer tout ce que vous avez besoin de savoir pour la comprendre. Cette phrase est la suivante :
    Πάντες ἄνθρωποι τοῦ εἰδέναι ὀρέγονται φύσει ( Métaphysique Α1, 980a21).
    D’après les traductions courantes, cela signifie : "Tous les hommes désirent par nature savoir." Dans la traduction la plus récente, il est écrit : "Tous les hommes s’efforcent naturellement avec ardeur de savoir". Cette phrase est citée dans Être et Temps de Heidegger de la façon suivante (retenez bien, s’il vous plaît, la traduction courante : Tous les hommes désirent par nature et avec ardeur savoir). Heidegger dit - avec précaution, puisqu’il ne présente pas cette phrase comme une citation : "Le traité qui se trouve en tête du recueil qu’Aristote a consacré à l’ontologie commence par la phrase : Πάντες ἄνθρωποι τοῦ εἰδέναι ὀρέγονται φύσει. Dans l’être de l’homme réside essentiellement le souci de voir" (traduction française : E. Martineau, Authentica, 1985). Je n’ai pas l’intention de ridiculiser cette traduction à cause de sa préciosité, car donner à un texte étranger un côté affecté et étrange peut aussi avoir une fonction très salutaire. En procédant ainsi, Heidegger oppose une résistance au style brillant dans lequel on restitue les textes grecs dans notre langue moderne, car il existe bien une telle tradition entre l’Antiquité et nous. Mais son interprétation ne produit pas un effet de distanciation salutaire : elle se contente de passer à côté du texte. Quand il dit, par exemple, "dans l’être de l’homme", il met l’homme au singulier et suppose ce faisant une priorité de l’essence de l’homme, c’est-à-dire une sorte d’ontologie anthropologique, dont il est question thématiquement [sous-entendu : à titre de thème seulement, de thème non-développé conceptuellement-note du MB] pour la première fois chez Aristote. Aristote ne dit jamais "l’homme" ou "l’être-là" ou "l’existence". Il dit "tous les hommes", "les hommes" et non "l’homme isolé". Ensuite, "εἰδέναι" signifie tout simplement "savoir" et "ἄνθρωποι τοῦ εἰδέναι ὀρέγονται" , "les hommes désirent savoir". Maintenant, il est juste, comme j’ai eu l’occasion de vous l’indiquer, que cet "εἰδέναι" contient la racine -ιδ qui figure aussi dans ιδεα et caractérise cette relation sensible qu’est la vue. Mais dans son interprétation, Heidegger refuse de tenir compte de l’histoire d’une langue qui, partie des représentations sensibles et pleines associées à l’origine aux mots, les a peu à peu conceptuellement sublimées. Il en est allé de la langue grecque comme de la nôtre. Il ne peut y avoir aucun doute : au degré d’évolution où était parvenue la langue à l’époque d’Aristote, "εἰδέναι" voulait déjà dire "savoir" au sens d’une conscience émancipée de la présence sensible. Mais puisque, dans un geste destiné à le rendre présentable, on suppose constituée chez lui une ontologie qui ne s’y trouve qu’à titre de thème, l’être ou les essences ― peu importe le nom qu’on leur donne ― doivent être physiquement présents devant les yeux de la conscience comme une chose existant en soi. Voilà pourquoi Heidegger retraduit cet "εἰδέναι" par sa racine, une racine faisant référence à la présence sensible, alors que, au degré d’évolution où était arrivée la langue à l’époque d’Aristote, "εἰδέναι" avait déjà complètement perdu cette signification.

    #philosophie #ontologie #Martin_Heidegger #Adorno

    • c’est chelou parce que personne ne peut piffrer Hilgeugeu mais tout le monde s’en sert. L’utilisation du mot « dispositif » par exemple. Le pire dans le genre ça doit Foucault non ?

      Marcel Détienne dans « les grecs et nous » p.103 :

      Il faut rappeler pourquoi le champ entier du politique reste absent des analyses de Heidegger et de ses émules en « dépassement de la métaphysique ». Il y a va d’une étymologie, celle de polis. Un beau jour de séminaire, Heidegger a dit et puis écrit que le mot polis vient de polein , « une forme ancienne du verbe être ». Etymologie entièrement gratuite : polis n’a pas de « vrai sens » plausible et vérifiable. Ces informations scolaire n’avaient pas lieu de retarder l’envol de la pensée : la cité, la polis , fondée sur le verbe « être » soi-même, désigne d’évidence le lieu du dévoilement total de l’Etre. Elle ne peut donc rien avoir de commun avec « le politique » au sens trivial de to politikon en grec ou en quoi que ce soit. Exit le politique.

  • #Covid-19 et #capitalisme : le triomphe de la #biopolitique ? – CONTRETEMPS
    https://www.contretemps.eu/coronavirus-capitalisme-biopolitique-foucault-agamben-esposito-marxisme

    La pandémie de Covid-19 débutée en 2019 constitue un événement total parce qu’elle incarne, à une échelle mondiale inédite, l’emboîtement de toutes les crises en cours et l’absence de toute issue prévisible à l’emballement catastrophique auquel nous assistons. Suscitant l’analyse et le pronostic, invitant à penser les ruptures à une époque qui les avait bannies de son horizon, la situation a, entre autres effets collatéraux, provoqué la prolifération frappante de la thématique biopolitique, qui s’était développée sur le terrain de la philosophie critique contemporaine au cours des dernières décennies. Les causes de ce succès sont multiples : en raison de son caractère savant autant que suggestif, de son extension indéfinie et de ses connotations futuristes, de son parfum critique et, bien sûr, d’une ascendance foucaldienne devenue critère de vraie radicalité, le terme semble le plus adéquat, sinon pour analyser les causes de la situation, du moins pour énoncer l’ampleur de ses enjeux.

    • Le paradoxe est à son comble si l’on ajoute que les notions de biopolitique et de biopouvoir élaborées par Foucault au milieu des années 1970[1] sont toujours restées en chantier : remodelant sans cesse ces catégories avant de les délaisser, il leur conféra le statut de pistes et d’esquisses d’une théorie de la société et de l’État qui se voulait avant tout une alternative à la critique de l’économie politique marxiste et à ses conséquences politiques. Congédiant les questions de l’organisation de la production et du conflit de classes, abandonnant les perspectives de l’égalité et de la révolution, Foucault abordait la réalité politique et sociale sous l’angle combiné de procédures de subjectivation et de dispositifs de gouvernementalité, œuvrant à même les corps et les populations.

      #ontologie #vitalisme #immunopolitique #Agamben (détruit autrement que précédemment ici) #Isabelle_Garo

  • Sur le plancher des vaches (III)
    Liturgie et bréviaire

    Natalie

    https://lavoiedujaguar.net/Sur-le-plancher-des-vaches-III-Liturgie-et-breviaire

    Paris, le 10 septembre 2019
    Amis,

    Le « plancher des vaches II » s’annonçait comme indigeste, si vous l’avez lu, vous l’aurez sans aucun doute vérifié, de plus, sa lecture a pu être compliquée par son caractère en fait très synthétique : les « démarches » qui y sont décrites pourraient chacune nécessiter des pages et des pages d’explications. Par ailleurs, une infinité de préceptes existant dans le joyeux monde du travail ont tout simplement été laissés de côté.

    De quoi s’agissait-il donc dans ce « plancher des vaches » ? D’une part, de s’offrir le luxe de quelques détails sur des aspects particulièrement importants s’agissant du formatage des esprits (formation par objectifs et développement personnel, et « démarches qualité »), de mettre également l’accent sur des aspects généralement méconnus, « l’initiative pour le génome des matériaux », ou encore la mondialisation, par le biais du Pacte mondial, des labels développement durable. Ramené à une phrase, le « plancher des vaches II » décrivait un mouvement progressif de chosification du vivant. (...)

    #génome #ontologie #Bruno_Latour #Descartes #Catherine_Larère #technique #religion #Walter_Benjamin #capitalisme #projet #évaluation #certification #label #valeur #organisation #Christophe_Dejours #novlangue #Castoriadis #Thucydide #L’Oréal #contrôle #qualité #SNCF

  • Sur le plancher des vaches

    Natalie

    https://lavoiedujaguar.net/Sur-le-plancher-des-vaches

    Paris, le 26 juillet 2019
    Amis,

    Comme suggéré en conclusion des cieux précédents, j’ai, dans ces parages, laissé traîner des assertions quelque peu lapidaires. Aussi, de façon à m’en expliquer auprès de vous, ai-je décidé d’établir une nouvelle science nommée « technontologie », laquelle se donne pour objet un champ d’investigation suffisamment rébarbatif pour que jamais personne n’ait envie d’en entendre parler, raison pour laquelle j’entreprends de l’établir ici sur des bases solides, soit scientifiques, ce qui enlève toute possibilité d’en réfuter la nécessité ainsi que les fondements.

    Qu’est-ce donc que la technontologie ? C’est simple, il s’agit de la science qui investigue l’ontologie sise dans la technologie, laquelle ontologie transite massivement par la culture mondialisée du travail, souvent nommée managériale, ce que l’on pose d’emblée ici comme réducteur. (...)

    #ontologie #science #matière #génome #Georges_Lapierre #corps #âme #verbe #langage #Mayas #Dieu

  • Ontologie du numérique - Sens Public
    http://sens-public.org/article1282.html

    D’un côté en effet, la notion de représentation a été largement utilisée pour analyser l’effet de nos écrans numériques, bien que l’on puisse regretter l’aspect restrictif d’une telle approche qui, essentiellement concentrée sur la dimension visuelle des médias numériques, occulte tout ce qui se trouve du côté des pratiques – l’analyse du concept d’interface, proposée par Alexander Galloway permet d’ailleurs d’y remédier (Galloway 2012). D’un autre côté, le terme « réalité » (augmentée ou virtuelle) n’a cessé d’être convoqué afin de définir le statut des mondes numériques – l’adjectif « virtuel » ayant alors pour fonction d’affirmer une progressive perte de la matérialité du rapport avec l’espace dit réel (Serres 1994 ; Koepsell 2003 ; Virilio 2010). Aujourd’hui enfin, de plus en plus de chercheurs s’accordent ainsi à dire que nous vivons dans un espace hybride (Beaude 2012 ; Vitali-Rosati 2012 ; Floridi 2014), où les distinctions entre réel et numérique n’ont plus de sens…

    Dans ce contexte, les narrations transmédia s’emploient elles aussi à repousser les frontières entre mondes fictionnels et monde(s) réel(s), en s’appuyant notamment l’engagement des spectateurs (Jenkins 2008). Les produits en réalité augmentée mélangent désormais la vision du monde qui nous entoure avec des éléments ludiques ou issus de la fiction. Le statut de ces nouvelles narrations est complexe : comment qualifier les tweets de Clara Beaudoux dans son Madeleine project, ou ceux de Guillaume Vissac dans Accident de personne ? Comment décrire le projet tentaculaire qui se construit depuis près de 20 ans autour du Général Instin, investissant l’espace Web autant que l’espace urbain ? S’agit-il d’écriture documentaire, journalistique ou fictive ? Cette question est-elle encore seulement pertinente ? Quel est le statut de produits comme le jeu Pokemon Go ou les Street View Trek proposés par Google ?

    Si le brouillage des frontières ontologiques est devenu un caractère constitutif du numérique, il n’en soulève pas moins de nombreuses questions : peut-on véritablement déclarer que les notions de représentation, de réel, ou de virtuel sont définitivement périmées ? Ou faudrait-il, au contraire, réaffirmer leur intérêt et leur pertinence, du moins d’un point de vue heuristique ? Peut-on parler d’une problématique « ontologique » dans la culture numérique ou s’agit-il d’une querelle de mots ?

    À travers toutes ces contributions, complémentaires en raison même de leurs différences disciplinaires, méthodologiques et parfois théoriques, ce dossier a l’ambition de baliser les enjeux ontologiques du fait numérique, dont nous avons d’abord cherché à montrer la diversité. Il nous semble d’ailleurs que ce sont bien des ontologies du numérique qui s’esquissent ici, faisant émerger autant de pistes que de nouveaux défis pour la recherche en humanités numériques.

    #Culture_numérique #Réalité_virtuelle #Représentation #Ontologie #Editorialisation

  • Debout avec la terre. Cosmopolitiques #aborigènes et solidarités autochtones.

    De plus en plus de mouvements activistes luttant contre la destruction des milieux de vie, notamment par les industries extractives qui précipitent les transformations climatiques et empoisonnent les eaux et l’air, cherchent des alliances et des sources d’inspiration auprès de peuples autochtones, tels les Aborigènes d’Australie, qui n’ont pas la même vision de la Terre que celle consistant à nier la nature sous prétexte qu’elle aurait succombé aux technologies humaines. Il est proposé ici de répondre à la réduction des #ontologies en #anthropologie par une « #slow_anthropology » qui soit « Debout avec la terre », fondée sur une expérience de terrain écosophiquement inspirée des visions et de la créativité des peuples autochtones et de leurs alliés en passant par la SF selon Haraway, Stengers et Meillassoux.

    http://www.multitudes.net/debout-avec-la-terre-cosmopolitiques-aborigenes-et-solidarites-autochton
    #peuples_autochtones #résistance

  • Le capital et son monde : contribution à une lecture ontologique du Capital
    http://revueperiode.net/le-capital-et-son-monde

    L’interprétation du Capital a provoqué d’intenses débats, au sein desquels on peut distinguer une approche substantialiste, qui appréhende le #capitalisme comme une entité close sur elle-même et une approche relationnelle, qui l’envisage comme un ensemble de structures délimitant a priori l’espace des possibles. Face à ces deux perspectives, Frédéric Monferrand développe ici une approche processuelle, dans le cadre de laquelle le capitalisme apparaît comme une totalité engagé dans un processus permanent de mutation. À partir des concepts de fétichisme et de subsomption ainsi que de l’apport de la géographie marxiste, il développe une conception multilinéaire des trajectoires de l’accumulation capitaliste, qui va de pair avec une conception différenciée des espaces d’accumulation. Il en résulte que c’est (...)

    #Uncategorized #ontologie

  • Le capital et son monde : contribution à une lecture ontologique du « Capital »
    http://revueperiode.net/4494-2

    L’interprétation du Capital a provoqué d’intenses débats, au sein desquels on peut distinguer une approche substantialiste, qui appréhende le #capitalisme comme une entité close sur elle-même et une approche relationnelle, qui l’envisage comme un ensemble de structures délimitant a priori l’espace des possibles. Face à ces deux perspectives, Frédéric Monferrand développe ici une approche processuelle, dans le cadre de laquelle le capitalisme apparaît comme une totalité engagé dans un processus permanent de mutation. À partir des concepts de fétichisme et de subsomption ainsi que de l’apport de la géographie marxiste, il développe une conception multilinéaire des trajectoires de l’accumulation capitaliste, qui va de pair avec une conception différenciée des espaces d’accumulation. Il en résulte que c’est (...)

    #Uncategorized #ontologie

  • Jean-Baptiste Fressoz, Mundus œconomicus, 2015 chez @tranbert
    https://sniadecki.wordpress.com/2016/05/24/fressoz-mundus-oeconomicus

    Les historiens ont montré que la philosophie utilitariste et libérale du XVIIIe siècle visait à reprogrammer l’humain en sujet calculateur, en homo œconomicus, contre les morales traditionnelles du don, du sacrifice ou de l’honneur [Hirschman, 1980 ; Laval, 2007]. Ce chapitre propose un éclairage complémentaire : l’homo œconomicus exigeait en retour un monde taillé à sa mesure, repensé, recomposé et redéfini afin qu’il puisse maximiser librement son utilité. Je montrerai comment, au début du XIXe siècle, sciences, techniques et économie politique ajustèrent les ontologies afin d’instaurer un mundus œconomicus [Fressoz, 2012].

    #utilitarisme #histoire #économie #libéralisme #ontologie #Jean-Baptiste_Fressoz

  • 9月13日のツイート
    http://twilog.org/ChikuwaQ/date-140913

    Papier is out! paper.li/ChikuwaQ/13277… Stories via @parages @komatterus @Peepsqueak posted at 09:13:15

    Top story: What We’re Afraid to Say About Ebola www.nytimes.com/2014/09/12/opi…, see more tweetedtimes.com/ChikuwaQ?s=tnp posted at 08:39:46

    Top story: Castoriadis, la création des possibles - ebook www.phonereader.com/products-page/…, see more tweetedtimes.com/ChikuwaQ?s=tnp posted at 05:01:05

    Top story: Vladimir Glebov on Twitter: “Robert Doisneau twitter.com/volglebov/stat…” twitter.com/volglebov/stat…, see more tweetedtimes.com/ChikuwaQ?s=tnp posted at 01:34:12

    RT @jppastor: #Castoriadis, la création des possibles bit.ly/WDt175 #livre #philosophie #ontologie #création #politique posted at 00:22:36

    [くるねこ大和]「何さの◯◯」 #日刊ねこ新聞 blog.goo.ne.jp/kuru0214/e/f90… posted at (...)

  • Quel voleur accepte qu’on le vole ? #Capitalisme et #propriété privée
    http://i2d.toile-libre.org/PDF/2011/i2d_capitalisme_propriete.pdf

    un extrait :

    Comment comprendre la quête effrénée d’Achab, sinon comme la tentative déses- pérée de s’attacher ce qui est fondamentalement inattachable, c’est-à-dire ce qui est toujours perdu d’avance ? « Je l’ai marquée, vociférait-il pourtant. M’échappera-t-elle ? » Car Moby Dick, qui avait fauché la jambe du capitaine du Péquod « comme un moissonneur fauche une tige dans un champ », c’est-à-dire comme un glaneur amoureux cueille la première rose qui lui tombe sous la main, portait elle-même les stigmates de toutes les attaches manquées, harpons tordus et tournés dans son corps, hampes brisées de lances sortant de son dos, emmêlements de lignes qu’elle portait comme une charge ficelée sur elle. Et la tête blanche de la baleine, avec son front ridé, n’était-elle pas en quelque sorte le grand livre ouvert de l’histoire, où se rejouait indéfiniment la même ritournelle, celle des hommes qui voulaient harponner tous les météores, vagabondant sur le corps plein de la terre, et les météores qui continuaient leur course sous le vent, d’une allure paisible de voyageur, indifférents à tant d’efforts ?

    Il fallait s’y faire. L’âme humaine évoluait entre l’une et l’autre de ces deux #dispositions contraires, incapable de se poser jamais, se réclamant de la première quand on lui opposait la seconde, et récipro- quement, du moment que le vol était possible, et qu’on ne se fît pas voler en retour. (Le gantier suggérait ici que les #contradictions, bien mieux que d’empêtrer les hommes, étendaient au contraire leur #pouvoir et leur champ d’action.) En d’autres termes, chaque individu s’arrogeait le privilège de l’invention, en le déniant catégoriquement à autrui, afin de pouvoir #jouir de ses trouvailles en solo. Les hommes voulaient voler sans être volés, ils voulaient pouvoir se servir sans que les autres se servissent après eux. En ce sens, saint Augustin avait simplement répété ce que d’autres avaient dit avant lui : l’homme était un être de contradiction, une créature bicéphale, voguant inexorablement entre la souille et l’éther, entre la gloire et l’infamie. Et l’#économie_de_marché, dont le gantier connaissait les multiples ressorts, pour l’avoir vue se déployer dans toute sa splendeur à travers la mécanique à écraser le monde qu’avait inventée Mouret, l’économie de marché avait trouvé dans cette contradiction le principe #dynamique qui allait lui permettre d’assurer son implacable empire.

    En effet, le capitalisme avait fait d’une double disposition psychologique au libre picorement et à l’#accaparement le ressort de toute une politique. Pour Mignot, le capitalisme était un naturalisme, il suivait l’âme sur le chemin de sa chute naturelle, reproduisant à l’échelle molaire les mécanismes de la #subjectivité humaine. Pour faire simple, le capitalisme flattait le petit voleur qui ne veut pas être volé présent en chacun de nous, tout en s’assurant d’empocher le pactole, au bout du compte. Pouvoir voler sans risquer d’être volé en retour, voilà en effet le principe général qui avait présidé au mouvement des « #enclosures » — c’est-à-dire à l’expropriation hors de leurs terres des producteurs ruraux et des masses populaires anglaises —, secret de l’#accumulation_initiale du début du xvie siècle, analysée par Karl Marx à la fin du premier livre du Capital ; mouvement dont Hannah Arendt avait montré par la suite qu’il constituait la #logique_structurelle du capital. Car chaque clôture, chaque haie, chaque bouledogue, chaque vigile, chaque brevet, chaque article du Code civil tendaient à leur manière à résoudre la terrible question augustinienne. À ce titre, le droit, qui était une technique parmi tant d’autres, s’efforçait toutefois de les surcoder toutes, en les réenveloppant dans son écheveau de lois, de décrets et de jurisprudences. Et qu’est-ce que le droit de propriété, demandait Mignot, sinon le droit pour un individu d’interdire à un autre individu de lui voler ce qu’il a lui-même extorqué à un tiers ?

    Pour résumer ce qui venait d’être dit, et marquer les consciences, Mignot annonçait, imperturbable, que le capitalisme était le système politique qui organisait les conditions de monopole du vol légitime ; c’est-à-dire les conditions permettant de conjurer l’#ontologie_des_biens_épaves, au profit d’une petite clique, qui réglait les modalités de la mainmise — décidément, l’étymologie plaidait en faveur des propos du gantier. Car toute propriété consacrée par le droit était un fait d’empiètement, pareil à celui d’un arracheur de bornes, une institution de l’#égoïsme, dont le seul résultat avait été de déposséder la multitude au profit de cette caste, et que le législateur avait tout naturellement consacrée, puisqu’il en faisait partie lui-même ; l’histoire était connue de chacun. Simplement, on avait décidé un beau jour, en haut lieu, qu’un certain vol était légitime et qu’un autre ne l’était pas. On avait pris les dispositions pour encourager le premier et pour punir le second — et c’en fut fait de l’ontologie.

    Mignot invitait ses auditeurs à faire l’expérience de pensée suivante. Que chacun imaginât un domaine terrien existant, entouré de larges murailles ou de hautes clôtures, et reculât peu à peu dans le temps, en parcourant à l’envers l’enchaînement des héritages et des successions. Et où arrivait-on au bout du compte ? Au vol, pardi ! Au plus loin que l’on remontât, toute propriété terrienne était le fait d’un #vol_originaire, d’une confiscation primitive ; il avait bien fallu, avant qu’elle appartînt à un seul individu à l’exclusion de tous les autres, que celui- là s’en autoproclamât un beau matin le seigneur. Dominium fiat ! Où que l’on regardât autour de soi, champs, jardins, domaines, rien qui n’eût d’abord été spolié, en toute connaissance de cause, à la nature, et donc à la #communauté des hommes. La manœuvre était commode : il n’y avait pas d’autre chemin, pour passer des grands espaces, ouverts aussi loin que portait la vue, aux actes de Monsieur le notaire, que le chemin du pillage ; et certains n’avaient pas hésité, comme condition de cette odieuse usurpation, à expulser ceux qui s’étaient trouvés là, à brandir de fallacieux titres de propriété ou à pointer sur leurs visages les canons de leurs fusils — et à tirer, ô accumulation initiale.

    Et ce qui valait pour les terres, valait pour les choses, pour les gants par exemple, les gants de chevreau, les gants Bonheur, les gants de Suède ou de Saxe. Les États capitalistes, qui transformaient magiquement les biens épaves en corps-morts, refusaient identiquement que les produits du travail fussent mis en jeu, sur le grand tapis de la roulette planétaire. Mieux, ils l’acceptaient une fois, le temps de les prendre (voler), et le refusaient ensuite à tous les hommes (sans être volé). Le gantier avait noté que tous les corpus de lois, depuis les premiers errements du droit romain, jusqu’aux infinis articles du fastidieux Code civil, allouaient les res nullius à l’amiral d’Angleterre, aux seigneurs, aux États et aux Empires, c’est-à-dire, un soupçon de jugeote suffisait pour tirer cette conclusion édifiante, à ceux-là mêmes qui les avaient rédigés ! Le capitalisme organisait la #captation monopolistique des res nullius et des terra nullius . Et Melville rappelait encore le latin des livres de lois de l’Angleterre : De balena vera sufficit, si rex habeat caput et regina caudam . Autrement dit, de toutes les baleines capturées sur les côtes de ce pays, le roi devait recevoir la tête, et la reine la queue. Et le gantier poursuivait sa lecture de Moby Dick : « Pour la baleine, cette division est à peu près comme si on partageait une pomme en deux : entre les deux parts, il ne reste rien. » C’était là la contribution de la mer. La mer payait impôt à l’Angleterre — Flotson , Jetson et Lagon .

    En somme, la classe possédante jonglait astucieusement entre le fait et le droit, entre le statut de poisson attaché et celui de poisson perdu. C’était même très exactement le rôle des États : surcoder toutes les épaves de la terre pour les soumettre au pouvoir d’un maître du surplus ou du stock, qui en réglait l’appropriation monopolistique et la prétendue redistribution. Et non seulement les objets, mais les forêts, les pays, les continents, les étoiles elles-mêmes étaient des poissons perdus, et aussitôt après des poissons attachés. L’accumulation primitive était permanente et ne cessait de se reproduire, pour réaliser le but suprême du capitalisme : introduire le #manque là où il y avait toujours trop, par l’absorption des ressources surabondantes. Et cela valait également pour le travail, et pour la monnaie. Car dès lors qu’une chose possédait le premier statut, celui de poisson perdu, celui de #flux libre ou « décodé », pour parler comme les deleuziens, dif- férents « #appareils_de_capture » (#rente, #profit, #impôt) avaient été montés pour lui donner immédiatement le second. Les États s’arrogeaient en vérité l’appropriation monopolistique de la capture elle-même. Dans ces conditions, ils admettaient l’ontologie des biens épaves pour mieux la #corrompre ; ils se nourrissaient d’elle, ils la parasitaient. Mais pour ce faire, il fallait également procéder à l’opération inverse, c’est-à-dire décoder les flux qui avaient été codés une première fois, par d’autres formations sociales ; autrement dit : rendre leur statut de poissons perdus aux poissons attachés, pour les intégrer sur-le-champ à une #axiomatique de classe ; décoder et reco- der — quel voleur accepte qu’on le vole ?

    Et c’était ça, le capitalisme. Ce décodage généralisé des flux, pour en capter la plus-value, et leur incorporation dans une axiomatique permettant d’en contenir les puissances révolutionnaires , ce qui demandait l’aide d’une gigantesque machine répressive, qui recodait à tour de bras, à coups de dictature mondiale et de #police toute-puissante. Car partout, le capitalisme repoussait et conjurait sa propre réalité, les flux décodés, conscient que le décodage achevé des flux, leur fuite hors de l’axiomatique sociale, c’est-à-dire la #déterritorialisation absolue des objets et des hommes, coulant sur le corps plein sans organes, constituait sa limite externe. Et peut-être que ce retour à une ontologie d’objets trouvés, que Mignot prônait haut et fort, était la « voie #révolutionnaire » dont parlaient Gilles #Deleuze et Félix #Guattari. Non pas se retirer du marché mondial, mais « aller plus loin encore dans le mouvement du marché, du décodage et de la déterritorialisation ». Non pas se retirer du procès, mais accélérer le procès, en prenant la #décision, universellement concertée, de décoder tous les flux, une fois pour toutes, et partant d’abandonner les objets à leur fortune de poissons perdus, flottant librement entre le noyau terrestre et la stratosphère, dans les limbes éthérées de la planète bleue.

    Mignot sortit de sa sacoche un récent best seller, qu’il avait lu quelques mois plus tôt, et qui s’appelait La Soute, ou La Route. L’homme et l’enfant marchaient dans un pays qui avait été ratissé et pillé des années plus tôt, poussant laborieusement leur caddie, dont l’une des roues était près de lâcher. L’homme et l’enfant marchaient dans un monde gris et nu, où tout était recouvert de cendres. Et le gantier avait compris que cette « terre carbonisée », cette « terre de rien », « dépouillée de la moindre miette », longuement décrite par Cormac McCarthy, c’était le monde que le capitalisme abandonnait aux hommes, après qu’il l’avait dévalisé de fond en comble. L’odyssée de l’homme et de l’enfant, c’était simplement la vie en milieu postcapitaliste, ou hypercapitaliste, ça revenait au même ; la vie dans un monde vidé de ses épaves, un #monde où il n’y avait plus rien à #glaner, sinon quelques boîtes de conserves anonymes, qui avaient miraculeusement échappé au désastre. Toujours leurs mains reve- naient vides, et toujours ils les lançaient, au-devant des introuvables reliques de la civilisation, comme des fossoyeurs retournant obstinément les cimetières, pour en exhumer un cœur qui bat. Car c’était tout ce qui les tenait en vie, l’un et l’autre, rester des inventeurs, coûte que coûte, des batteurs de grèves, en quête de l’#abondance d’un monde disparu. La Joute était une dérive indéfinie dans les économats de l’enfer, à travers l’axiomatique capitaliste, et c’était comme ça tout au long du livre : chercher (tout ce qui pourrait servir), trouver (rien, presque rien), prendre (une boîte de pêches en conserve), jeter, chercher encore, etc. Et même, c’était parce qu’il n’y avait plus rien à cueillir que l’homme et l’enfant se méfiaient des autres survivants, des autres fouilleurs de ténèbres, comme eux mis à nu, et prêts à leur soutirer le peu de vivres qui traînait au fond du caddie, prêts à les condamner à mort. Et Mignot jubilait : C’était parce que le capitalisme organisait d’abord les conditions de la #rareté dans le monde, que le vol était non seulement possible, mais surtout nécessaire, pour tous ceux qui cherchaient en vain leur nom sur la liste des invités d’honneur, pour prendre part au grand régal du marché des changes ! Et la question qu’avaient posée Deleuze et Guattari n’était pas de savoir pourquoi les #travailleurs #pauvres, les démunis, les affamés volaient ; non, la question était de savoir pourquoi les travail- leurs pauvres, les démunis, les affamés ne volaient-ils pas toujours ?

    http://pontcerq.toile-libre.org/007%20mignot.htm

    #éditions_Pontcerq #livre_en_ligne

  • Gilbert Simondon philosophe de la technique qui a pensé le pouvoir et l’ontologie poétique de la « machine »
    Partie 1 :
    https://www.youtube.com/watch?v=VLkjI8U5PoQ

    http://fr.wikipedia.org/wiki/Gilbert_Simondon

    La pensée de Simondon a influencé la pensée naissante de Gilles #Deleuze, qui l’évoque dans Différence et répétition et Logique du sens. Mais l’œuvre de Simondon n’est véritablement découverte par les philosophes que depuis la fin des années 1990, et elle continue d’ailleurs de paraître de façon posthume. Les deux concepts qui dominent ses thèses principale et complémentaire pour le Doctorat d’État - c’est-à-dire ses deux ouvrages les plus connus - sont les concepts d’individuation et de transduction.
    Simondon, critique de l’hylémorphisme de la tradition philosophique occidentale, opère dans sa thèse principale la synthèse, et donc pour certains le dépassement, des pensées de Gaston #Bachelard et Henri #Bergson : à l’#épistémologie anti-substantialiste du premier, qu’il reprend et approfondit sous le nom de « réalisme des relations », il adjoint une #ontologie génétique des « régimes d’individuation », qu’il décline en trois catégories : le #physique, le #vital et le #transindividuel.
    Dans sa thèse complémentaire, il réconcilie culture et technique en s’opposant au « facile #humanisme » technophobe au profit de ce que l’on peut nommer un « humanisme difficile » (selon J.-H. Barthélémy). Il est par ailleurs l’héritier - involontaire - de Jacques Lafitte, qui, dès 1932, a préconisé le développement d’une science des machines, la « mécanologie ». Comme l’a montré Pascal Chabot (2003), une des oppositions centrales de l’œuvre de Simondon est celle de l’adaptation et de l’invention.
    D’un point de vue plus général, sa pensée est un dialogue constant mais plus ou moins explicite avec #Kant, comme avec #Marx, mais aussi avec la cybernétique. L’œuvre de Simondon est par ailleurs l’une des principales sources, avec l’œuvre de Freud pour ce qui est de la compréhension de l’appareil psychique, de la pensée de Bernard #Stiegler.

    Partie 2 :
    https://www.youtube.com/watch?v=HRqy9vttW-E

    http://anuel.free.fr/spip/spip.php?article67

    Introduction. Le problème que pose ce texte et celui d’un écart, d’une contradiction entre la réalité de la technique et la représentation que nous en avons. La technique est un phénomène culturel à part entière (dans son principe et dans ses finalités). Ne pas le reconnaître est illégitime et dangereux à plus d’un titre. D’abord cette attitude ne peut qu’engendrer indifférence ou mépris envers les techniciens. Que se passe t il si on néglige par exemple la formation de ceux dont par ailleurs on peut penser qu’ils sont essentiels au fonctionnement de notre monde ? C’est une vieille histoire, il suffit de considérer la place faite au cuisinier ou au parfumeur chez Platon, pour s’en convaincre. C’est encore risquer de ne pas comprendre comment se profile l’avenir d’une société (qui est toujours quelque part une technique) : c’est l’objet du débat aujourd’hui sur l’Internet. Or n’est il pas de la responsabilité des politiques de penser l’avenir ? Enfin on peut se demander si la pensée technique est tout à fait neutre. Ne pas se préoccuper de savoir comment elle fonctionne risque de la voir s’orienter dangereusement. Nous avons ici affaire à un texte philosophique d’abord parce qu’il dénonce une ignorance ou une illusion, ensuite parce qu’il propose de regarder autrement une réalité.

    Texte. L’opposition dressée entre la culture et la technique, entre l’homme et la machine est fausse et sans fondement, elle ne recouvre qu’ignorance et ressentiment.

    Partie 3 :
    https://www.youtube.com/watch?v=kCBWTHjKvbU


    #Gilbert_Simondon #Philosophie #Civilisation #Culture #Technique #Matière #objets #Machine #Cybernétique #Mécanologie #Energie #Anti-phénoménologie #Individuation #Rationalité #Livre #Vidéo

    • Merci @pariaurbain

      J’avais signalé ce #livre il y a quelque temps : http://seenthis.net/messages/98587

      Autrement, paraît que ce #film est super :

      SIMONDON DU DÉSERT
      http://www.hors-oeil.com/index.php?option=com_content&task=view&id=67&Itemid=1

      Un film de François Lagarde
      Image, son, montage : François Lagarde
      Dialogue : Pascal Chabot
      Musique : Jean-Luc Guionnet
      Mixage : Mikaël Barre
      Traduction : Aliza Krefetz
      Un philosophe sans image
      http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=DB1pe_PFyq8


      Gilbert Simondon (1924-1989), philosophe français aussi mystérieux qu’important, est de ceux qui, selon la formule, « ont eu tort d’avoir raison trop tôt ». Penseur de la technique et du devenir, il a créé dans les années 1960 des concepts pour dire notre monde. Son langage résonne avec les plus utopiques des propositions contemporaines en faveur d’un nouveau pacte entre nature et technologie. Lu à son époque par quelques proches seulement, dont Gilles Deleuze, il est désormais traduit à travers le monde.

      Comme personne, il apparaît seul, fragile, toujours au bord de la rupture, mais aussi attachant et intègre. De lui, nous n’avons pas d’image, mais de sa pensée, existent des « lieux-moments » qui sont la pointe visible de sa philosophie. De Lecce à Brest, du CERN de Genève aux grottes préhistoriques du Mas d’Azil, du Collège de France aux moulins des Flandres, des penseurs racontent comment leur parcours a été transformé par leur rencontre de Simondon. Vies et théories se nouent pour dire la singularité d’une démarche.

      En filigrane, une question revient, obsédante : quelles sont les raisons qui ont pu masquer à ce point une œuvre aussi magistrale dont la pertinence et l’humanité nous éclairent aujourd’hui ?

  • Vertige esthétique et sentence d’une vérité « Dieu est mort »
    http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/05/la-dure-sentence-dieu-est-mort-hegel.html

    le monde du souci des bonnes mœurs, de la coutume et de la religion (…) se sont donc enfoncés dans la conscience comique, et la conscience malheureuse est le savoir de cette perte toute entière. Est perdue pour elle aussi bien la valeur par soi-même de sa personnalité immédiate, que celle de sa personnalité pensée. La confiance dans les lois éternelles des dieux s’est tue, tout aussi bien que les oracles qui faisaient savoir le particulier. Les statues sont maintenant des cadavres dont a fui l’âme vivifiante, de même que l’hymne n’est plus qu’une suite de mots dont toute croyance s’est enfuie. Les tables des banquets des dieux sont vides de breuvages et de nourriture spirituelle, et la conscience ne voit plus revenir, dans les fêtes et les jeux, la joyeuse unité de soi avec l’essence. Il manque aux œuvres des Muses la force de l’esprit, pour qui a surgi, de l’écrasement des dieux et des hommes, la certitude de soi-même. Elles sont donc désormais ce qu’elles sont pour nous, de beaux fruits arrachés de l’arbre, un destin amical nous en a fait l’offrande, à la façon dont une jeune fille nous présente ces fruits ; il n’y a ni vie effective de leur existence, ni l’arbre qui les a portés, ni la terre, ni les éléments qui ont constitué leur substance, ni le climat qui a défini leur détermination, ni encore l’alternance des saisons qui dominaient le processus de leur devenir. –Ainsi donc le destin ne nous donne pas (…) le printemps et l’été de vie soucieuse des bonnes mœurs et de la coutume dans laquelle elles ont fleuri et mûri, mais uniquement le souvenir voilé de cette effectivité. C’est pourquoi ce que nous faisons en jouissant d’elles n’est pas une activité de service divin par laquelle adviendrait à notre conscience la vérité parfaite qui est la sienne et qui la comblerait, mais c’est une activité extérieure, celle qui, par exemple, essuie les gouttes de la pluie ou la fine poussière déposées sur ces fruits, et qui à le place des éléments intérieurs

    Hegel

    #Hegel #Philosophie #Esthétique #Phénoménologie #Être #Matière #Choses #Ethique #Ontologie #Art #Rire #Dieu #Libération #Conscience #Tragédie #Intériorité #Mélancolie

  • De L’extrême « visibilité » que sont aujourd’hui les icônes top-models et leurs corps glorifiés par un trop-plein de lumière jusqu’ à l’aveuglement.
    A propos du livre « Corps glorieux de la top-modèle » de Véronique Bergen par #Jean-Clet_Martin
    http://strassdelaphilosophie.blogspot.fr/2013/05/corps-glorieux-de-la-top-modele.html

    C’est en effet la transparence du modèle qui l’emporte sur la copie, le brillant d’une diagonale intelligible capable de fournir le carré d’une figure que nul ne peut voir autrement que par les yeux de l’esprit. Et pourtant, les formes pures ne cessent d’emprunter aux strass et aux parures le jeu de leur gloire, le brillant de leur assise stellaire. On tiendra, au titre d’un argument sévère et exigeant, que l’Idée ajuste son fard et sa poudre étoilée à la gloire d’un corps, celui qui va au turbin de la lumière, monte sur le podium essentiel d’un découpage scénique fort calculé. Preuve en est l’intérêt dont Degas, Mallarmé autant que Valéry témoignent à l’aspect, à la spectralité évanouie des scènes les plus obscènes.
    La patine de l’Idée ne serait rien sans ce modèle qu’elle ignore, ce modèle offert aux regard les plus indiscrets, celui que la poursuite ronde de la lumière découpe, déchiquette, trucide en un carré scénique, un top d’une minute, d’un instant de rien du tout, simple éclat de vie qui abolit sa durée, l’éternise jusqu’au suicide. Le top modèle est le Christ inversé de l’Idée, sa gloire vampirisée par les éléments d’Euclide, par les partitions Platoniciennes qui arborent la perfection dure des schèmes mathématiques. Gloire des apparences diaphanisées par la splendeur des Idées épurées, épreuve de la superficie dont la nudité n’est que celle des Vérités les moins incarnées en apparence.

    #Icônes #Tops_models #Mode #Femme #Glorification #Mythe #transparence #Philosophie #Foucault #Platon #Ontologie #Littérature #livre

  • A propos du livre de #Vincent_Descombes « Les embarras de l’identité »
    http://www.laviedesidees.fr/S-individuer-dans-la-societe.html

    L’individualisme, selon V. Descombes, forme une composante essentielle de notre existence et de notre compréhension de nous-mêmes – étant entendu que ce « nous » a cessé depuis belle lurette de ne renvoyer qu’au seul monde occidental. Aucune vision alternative de l’être humain (hyper-valorisation de la tradition, de la religion, de la nation, de l’identité de genre…) qui prétendrait réactiver des formes de vie passées n’a de chances de rencontrer une attention durable. Sur le plan des principes, il n’y a rien d’ailleurs, moralement à lui opposer. On ne peut lui imputer les désordres innombrables liés à l’égoïsme, à la bêtise ou à la malveillance. Pour qui entend interroger l’individualisme, il y a donc seulement – et c’est là où peut commencer l’enquête philosophique – à observer en toute tranquillité les moments où il rend hommage sans le savoir et sans le vouloir à ses autres, c’est-à-dire aux formes de vie qui précèdent et portent les individus, à ce qu’ils n’ont pu choisir.

    Le propre de la société moderne est de fournir aux individus un répertoire d’expériences typiques à reproduire et de mots à utiliser pour exprimer, par exemple au moment de l’adolescence ou de la prime jeunesse, une crise d’identité. Nous sommes même encouragés à mettre en question nos appartenances sociales. Mais, bien évidemment, nous le sommes à titre d’individus socialisés, ayant dû apprendre un certain jeu de langage, ayant dû intérioriser un certain nombre d’expériences typiques représentées comme importantes. La personne moderne peut se définir comme celle qui est socialement interpellée en vue de faire semblant, ne serait-ce que pour une période particulière, de ne pas vraiment appartenir à la société. Mais la désocialisation n’en reste pas moins seconde. Si profonde qu’ait été notre crise d’identité, nous n’avons cessé à aucun moment de rester des êtres sociaux, c’est-à-dire des individus qui ont dû apprendre et reproduire des jeux de langage et des pratiques. « Le sujet découvre avec surprise qu’il ne peut trouver les raisons pour lesquelles il choisit d’être moderne qu’à la condition d’avoir déjà choisi sans raisons cette identité moderne » (p. 165). Or, une fois acquis ce point crucial, on peut, si l’on suit la démarche de Descombes, commencer à aller très vite, puisque le terrain des pratiques a été reconquis. En généralisant la portée de la conclusion « sociologique » à laquelle nous avons été conduits, on parvient à l’idée que les individus ne se choisissent pas eux-mêmes ; il faut dire, moins dramatiquement, qu’ils ne choisissent que d’endosser telles fins particulières. De telle sorte qu’ils ne commencent rien, absolument parlant ; ils adhèrent à des façons de faire qui sont déjà données. On ne s’individue, on n’acquiert, donc, d’identité propre, que dans la société.

    #Philosophie #Individualisme #Nation #Communauté #identité #Débat #livres

    • Simondon, Individu et collectivité. Pour une philosophie du transindividuel, Muriel Combes
      http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4433

      Simondon est l’un des philosophes contemporains qui a eu la conscience la plus aiguë du nouage de l’#ontologie et de la #politique. Sous le nom de #transindividuel, il identifie le point de réversibilité par où celles-ci ne cessent de passer l’une dans l’autre. Ce qui est en question dans la compréhension d’un tel passage c’est la manière dont la vie, individuelle et collective est engagée dans la pensée.

      Ce livre est paru aux PUF en 1999. Cette maison d’édition a depuis décidé de pilonner les exemplaires dont elle était #propriétaire, conformément aux moeurs de l’antiproduction #capitaliste. Voici ce texte revenu au public :

      L’œuvre publiée de Gilbert Simondon ne comporte à ce jour que trois ouvrages. La majeure partie de cette œuvre est constituée par une thèse de doctorat soutenue en 1958 et publiée en deux tomes séparés par un intervalle de vingt cinq ans : L’individu et sa genèse physico-biologique (1964) et L’individuation psychique et collective (1989). Mais le nom de Simondon est pourtant attaché dans de nombreux esprits à l’ouvrage intitulé Du mode d’existence des objets techniques, porté à la connaissance du public l’année même de la soutenance de la thèse sur l’individuation.

      C’est à cette postérité de « penseur de la technique » que l’auteur d’un projet philosophique ambitieux visant à renouveler en profondeur l’ontologie a dû de se voir davantage cité dans des rapports pédagogiques sur l’enseignement de la technologie qu’invité dans des colloques de philosophie. Il est vrai qu’il voua la plus grande partie de son existence à l’enseignement, notamment dans le laboratoire de psychologie générale et de technologie qu’il fonda à l’université de Paris-V, et que son ouvrage sur la technique reflète souvent un point de vue explicite de pédagogue.

      Pourtant, même ceux qui ont vu dans sa philosophie de l’#individuation une voie de renouvellement de la métaphysique et lui rendent hommage à ce titre, la traitent davantage comme une source d’inspiration souterraine que comme une œuvre de référence. Gilles Deleuze, qui, dès 1969, cite explicitement L’individu et sa genèse physico-biologique dans Logique du sens et dans Différence et répétition, constitue à la fois une exception par rapport au silence qui accueillit l’œuvre de Simondon et le commencement d’une ligne de travaux - pas nécessairement philosophiques - qui trouveront chez Simondon une pensée à prolonger plutôt qu’à commenter. C’est ainsi qu’un ouvrage comme #Mille_Plateaux, de #Deleuze et #Guattari, s’inspire des travaux de Simondon plus largement qu’il ne les cite. Et qu’une philosophe des sciences comme Isabelle Stengers, mais aussi des sociologues ou psychologues du travail comme Marcelle Stroobants, Philippe Zarifian ou Yves Clot mettent en œuvre les hypothèses simondoniennes dans leurs champs de recherche respectifs.

      Nous voudrions ici explorer un aspect de la pensée de Simondon que les rares commentaires qu’elle a suscités ont laissé de côté, à savoir : l’esquisse d’une éthique et d’une politique adéquates à l’hypothèse de l’être #préindividuel. Cette éthique et cette politique se concentrent dans le concept de transindividuel, dont nous avons tenté de faire un point de vue sur la théorie de l’individuation dans son ensemble.

      Détacher Simondon de son identité de « penseur-de-la-technique », c’est là une condition nécessaire pour suivre le courant d’une pensée du #collectif qui va puiser à la source de l’affectivité sa réserve de transformation. C’est aussi ce qui permet de découvrir dans l’ouvrage sur la technique autre chose qu’une pédagogie culturelle. Du préindividuel au transindividuel par la voie d’un renouvellement de la pensée de la #relation, tel est un possible chemin dans la #philosophie de Simondon. C’est celui que nous avons emprunté.

      #individu (critique de la notion d’) #livre_en_ligne #bibliographie_en_ligne (partielle)

  • Sur ce nouveau #blog de #philosophie, une Interview with Catherine Malabou - Groundwork
    http://groundworkphilosophy.wordpress.com/2012/02/17/interview-with-catherine-malabou

    So in philosophy a groundwork is never a groundwork, it’s always a re-grounding work.

    #hegel #heidegger #deleuze #raison #fondement #ontologie

    Où C. Malabou, ex MC de Nanterre désormais au CRMEP de la Kingston University de Londres http://fass.kingston.ac.uk/research/crmep, que vient d’ailleurs de rejoindre E. Balibar (encore Nanterre), précise ses rapports avec #Derrida, son concept de #plasticité et ses recherches actuelles, en rapport notamment avec celles de Q. Meillassoux, qui lui est une sorte de star à l’ENS Ulm.

    what I’m trying to do has some relation to that, to the extent that a radical approach to philosophy has to precisely put everything between parentheses and say, ‘what is an absolute beginning?’ This is Meillassoux’s question. At the same time, I’m not sure that the problem is finitude. I’m not sure that the problem is the emergence of man into that.

    The first thing I can say about plasticity and politics is about abolishing the frontier between symbolic and biological life. So it will be about a kind of awareness, a biological being. Not bodily beings but biological. Producing the subjectivation of biological life. Which is taking into account, really becoming aware of, the epigenetic fashionability of our brain and of our body. This is beyond what we can be aware of, what we hear, listen to and read. We are imprinted by so many other processes and we are trying to be aware of that and understand what it means. Today the conception of our physical bodily existence as only proceeding from a genetic code is absolutely obsolete. We are made of, by epigenetic factors and this I think is very important for us to be aware of. Because what is a political subject? I think here again I agree with Meillassoux that it can’t be the classical finite subject. In too many contexts the political subject is the Kantian subject, a finite subject that is limited. I have nothing against limits but perhaps limits have to be thought of differently.

    Petite référence à la querelle #Freud / #Jung et au film A dangerous method à la fin (film pas mal j’ai trouvé, dans sa capacité à mettre en scène des problèmes théoriques importants en #psychanalyse, en gros à raconter une correspondance sans que ce soit chiant)

  • MOAT : donner du sens à vos tags | Les petites cases
    http://www.lespetitescases.net/moat-donner-du-sens-a-vos-tags

    MOAT permet d’associer à un tag une URI. Une description de la notion du tag encodée en RDF est associée à cette URI. Ainsi, le tag n’est plus seulement une chaîne de caractères, mais possède un véritable sens donné par l’ensemble des triples RDF

    #moat #sens #websem #uri #folksonomy #ontologie #sémantique #tag #tagging #rdf