organization:budget office

  • Sagesse, courage et l’économie Paul Krugman 16 Aout 2016 RTBF
    http://www.rtbf.be/info/article/detail_sagesse-courage-et-l-economie-paul-krugman?id=9379821

    C’est l’époque de la fantasmagorie en expertise politique, alors que les commentateurs tentent de balayer la domination d’Hillary Clinton dans les sondages – oui, le Syndrome de Dérangement Clinton est là et bien là – en insistant sur le fait qu’elle perdrait lourdement si seulement le GOP avait investi quelqu’un d’autre. Bien entendu, on ne le saura jamais. Mais s’il y a bien une chose que l’on sait, c’est qu’aucun des véritables rivaux de Donald Trump pour l’investiture n’avait la moindre ressemblance avec leur candidat imaginaire, un conservateur modéré et sensé avec de bonnes idées.

    Par exemple, il ne faut pas oublier ce que Marco Rubio faisait dans cette phrase apprise par cœur qu’il ne cessait de répéter, on s’en souvient : en gros, insinuer que le président Barack Obama tente délibérément de miner l’Amérique. Ce n’était pas si différent de l’affirmation de Donald Trump qu’Obama est le fondateur de l’Etat Islamique. Et n’oublions pas non plus que Jeb Bush, la parfait candidat de l’establishment, a commencé sa campagne avec l’affirmation délirante que ses mesures allaient doubler la croissance économique de l’Amérique.

    Ce qui m’amène à mon sujet principal : la vision économique de Clinton, qu’elle a résumée la semaine dernière. Il s’agit tout à fait d’une vision de centre gauche : des augmentations graduelles mais assez importantes dans les taux d’imposition pour les hauts revenus, une réglementation financière plus serrée, ce qui renforcerait encore le filet de sécurité social.

    Il s’agit également d’une vision qui ne comporte pas d’assomptions délirantes. A l’inverse de quasiment tout le monde du côté républicain, elle ne justifie pas ses propositions en affirmant qu’elles permettraient une accélération extrême de l’économie américaine. Ainsi que le dit le Tax Policy Center qui est non partisan, elle est « une politique qui financera ce qu’elle promet ».

    Voilà donc ma question : est-ce que la modestie du programme économique de Clinton est vraiment une trop bonne chose ? Est-ce que le fait d’accélérer la croissance économique des Etats-Unis doit être une priorité plus importante ?

    Car alors que les Etats-Unis se remettent plutôt bien de la crise de 2007 à 2009, la croissance économique sur le long terme est très décevante. Une partie s’explique par la démographie, étant donné que les enfants du baby-boom partent à la retraite et la croissance de la population en âge de travailler ralentit. Mais il y a également ce déclin plutôt mystérieux de la population active parmi les adultes dans la force de l’âge et une chute brutale dans la croissance de la productivité.

    Selon le Congressional Budget Office, le résultat c’est que le taux de croissance du PIB potentiel – ce que l’économie pourrait produire avec le plein emploi – a baissé d’environ 3,5 pourcent par an à la fin des années 1990 pour arriver à presque 1,5 pourcent aujourd’hui. Et certaines personnes que je respecte sont convaincues que le fait de tenter de remonter ce taux devrait être un objectif majeur de la politique.

    Mais alors que je tentais d’y réfléchir, je me suis rendu compte que la célèbre Prière de la Sérénité de Reinhold Niebuhr tournait dans ma tête : « Donnez-moi la sérénité d’accepter les choses que je ne puis changer, le courage de changer les choses que je peux changer et la sagesse d’en connaître la différence ». Je sais, c’est presque un sacrilège de l’appliquer à la politique économique, mais quand même.

    Après tout, que savons-nous réellement de ce qu’il faut faire en termes de politique économique ? En fait, l’on sait comment fournir des soins de santé essentiels à tous ; la plupart des pays développés le font. L’on sait comment fournir une sécurité de base aux retraités.

    L’on sait pas mal de choses sur la façon de relever les revenus des employés aux salaires les plus bas.

    Je dirais également que l’on sait comment combattre les crises financières et les récessions, bien que l’impasse politique et l’obsession des déficits se soient mises en travers de notre utilisation de ce savoir.

    D’autre part, que savons-nous du fait d’accélérer la croissance sur le long terme ? Selon le Budget Office, la croissance potentielle était plutôt stable de 1970 à 2000, sans qu’aucune des actions de Ronald Reagan ou Bill Clinton ne fasse grande différence. Le glissement qui suivit commença avec George W. Bush et continua avec Obama. Cette histoire laisse à penser qu’il n’y a pas de solution facile pour changer cette tendance.

    Ceci dit, je ne suis pas en train de dire que nous ne devrions pas essayer. Je plaiderais notamment pour davantage de dépenses en infrastructures que ce que propose Clinton, et davantage d’emprunts pour les financer. Cela pourrait donner un sérieux coup de fouet à la croissance. Mais il serait malavisé de compter dessus.

    Ceci étant dit, je pense qu’il n’y a pas suffisamment de gens qui se rendent compte du courage que cela demande de se concentrer sur des choses que nous savons réellement faire, plutôt que des discours fantaisistes sur des croissances merveilleuses.

    Lorsque les conservateurs promettent une croissance fantastique si l’on donne une autre chance à la Bushonomie, l’une des raisons principales c’est qu’ils ne veulent pas admettre à quel point ils devraient sabrer dans des programmes populaires pour financer ces baisses d’impôts. Lorsque les centristes nous enjoignent à nous détourner des questions de la distribution et de l’équité pour nous concentrer plutôt sur la croissance, ils contournent le plus souvent les vrais problèmes qui nous divisent sur un plan politique.

    Il est donc plutôt courageux de dire « voilà les choses que je veux faire et voilà comment je vais les financer. Désolée, mais certains d’entre vous devront payer plus d’impôts ». Ne serait-ce pas formidable si ce genre d’honnêteté politique devenait la norme ?

  • Oligarchie à l’américaine | Paul Krugman (New York Times via RTBF)
    http://www.rtbf.be/info/chroniques/chronique_oligarchie-a-l-americaine-paul-krugman?id=7031313

    Le rapport du Budget Office nous dit essentiellement que toute la redistribution des revenus en faveur des plus riches, s’éloignant ainsi des 80% les plus modestes est allée au 1% des Américains percevant les salaires les plus importants. Ainsi, les manifestants qui se décrivent eux-mêmes comme représentant les 99% restants ont en fait raison et les experts déclarant solennellement que le problème porte sur les études, et non sur les gains d’une petite élite, se trompent. Source : New York Times via RTBF