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  • En Israël, la culture est prise entre deux feux
    Pierre Sorgue, Le Monde, le 16 novembre 2018
    https://www.lemonde.fr/m-actu/article/2018/11/16/en-israel-la-culture-est-prise-entre-deux-feux_5384505_4497186.html

    Lana Del Rey, Brian Eno, Peter Gabriel ou Arcade Fire… L’appel au boycott d’Israël pour dénoncer le sort des Palestiniens rencontre de plus en plus d’écho chez les artistes. Un dilemme pour le monde de la culture israélien.

    A trois heures du matin, The Block est à bloc. Le plus célèbre club électro de Tel-Aviv, enfoui sous le béton de la gare routière centrale, reçoit Carl Craig, ponte de la techno de Detroit (Michigan) aux Etats-Unis.

    La foule ondule, saute, tressaute au rythme des basses, dans le brouillard bleu que découpent les faisceaux de projecteurs épileptiques.

    BDS pour Boycott, désinvestissement, sanctions

    Yaron Trax, le maître des lieux, s’est glissé entre les danseurs pour s’assurer des bons réglages de sa sono analogique, réputée l’une des meilleures du monde. Le quadragénaire aux airs adolescents est aux anges parmi ces jeunes gens dont beaucoup sont venus au club comme ils étaient à la plage, en short et tee-shirt. Celui que porte Yaron ce soir-là reproduit les briques et la typographie reconnaissable entre toutes : Pink Floyd, The Wall. Lorsqu’on lui fait remarquer, il sourit comme un enfant contrit : « C’est un tee-shirt formidable et l’album l’est aussi. Quel dommage que Roger Waters soit devenu aussi décevant… »

    Car le musicien britannique, ex-membre de Pink Floyd, est le spectre qui hante la scène israélienne et dérange l’intelligentsia de gauche, celui qui empêche la bulle libérale et hédoniste qu’est Tel-Aviv de flotter innocemment à cinquante kilomètres du mouroir à ciel ouvert qu’est la bande de Gaza.

    Depuis des années, Roger Waters offre sa voix aux militants internationaux du BDS (Boycott, désinvestissement, sanctions), mouvement né en 2005 de la société civile palestinienne, un an après que la Cour internationale de justice a jugé illégal le mur de séparation construit entre Israël et les territoires occupés.

    Il prône les pressions sur l’État d’Israël pour parvenir à ce que n’ont jamais obtenu des décennies de guerre, de résolutions de l’ONU et de vains processus de paix pendant lesquels le nombre des colons n’a cessé de croître (500 000 aujourd’hui) : la fin de l’occupation des territoires, la pleine égalité pour les citoyens palestiniens d’Israël, le droit au retour des réfugiés chassés de leurs terres.

    La scène musicale comme estrade politique

    Il suffit de voir les gratte-ciel bleutés qui poussent à Tel-Aviv pour s’en convaincre : le boycott économique n’a que peu d’effets. La « start-up nation » se porte bien, ses relations commerciales et diplomatiques n’ont cessé de se développer avec l’Afrique, l’Inde, la Chine, voire certains pays arabes. En ce mois d’octobre encore estival, les plages sont noires de monde, les ruelles de la vieille ville de Jérusalem, pleines de visiteurs : le pays aura accueilli plus de 4 millions de touristes à la fin de l’année, soit 46 % de plus qu’en 2016.

    Au-delà du portefeuille, le BDS s’attaque aussi aux cœurs et aux têtes. Il appelle au boycott culturel et académique, comme celui qui s’exerçait sur l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid. Et celui-là trouve, ces derniers mois, un écho bien supérieur. Depuis longtemps, la scène musicale sert d’estrade politique. D’un côté, Roger Waters, Peter Gabriel, Brian Eno, Elvis Costello, Lauryn Hill (The Fugees), Arcade Fire et d’autres ont annoncé qu’ils ne joueront plus en Israël tant qu’ils ne pourront en accepter la politique.

    De l’autre, Nick Cave, Radiohead, Paul McCartney, Alicia Keys, parmi beaucoup, sont venus au nom du dialogue et du refus de se voir dicter leur conduite. Mais, récemment, deux chanteuses moins politisées et plus populaires parmi les adolescents ont suivi le mouvement : en décembre, Lorde, la jeune rockeuse néo-zélandaise, annulait son concert après avoir été « alertée » par une lettre ouverte signée de deux fans – l’une Juive, l’autre Palestinienne –, puis en septembre, après de nombreux appels dont celui de Roger Waters, Lana Del Rey faisait faux bond. Parce qu’elle ne pourrait pas se produire également dans les territoires palestiniens, dit-elle, elle renonçait à jouer au festival Meteor qui devait être une sorte de Coachella version kibboutznik, dans le nord d’Israël.

    Un « tsunami d’annulations »

    Après le refus, en avril, de l’actrice Natalie Portman de recevoir le Genesis Prize (considéré comme un « Nobel » israélien) pour exprimer son désaccord avec le gouvernement Nétanyahou et les violences commises à Gaza, après la défection de l’équipe d’Argentine de Lionel Messi qui, en juin, a annulé une rencontre amicale avec celle d’Israël à la suite de pressions internationales (de menaces, dit-on du côté israélien), le retrait de Lana Del Rey fut une autre secousse médiatique.

    « Une belle surprise qui aidera peut-être les jeunes à se poser des questions sur une politique insoutenable dans les territoires occupés, mais aussi en Israël, où les Palestiniens, qui représentent 20 % de la population, sont victimes d’une cinquantaine de lois discriminatoires, à commencer par le logement et la terre », explique Kobi Snitz, chercheur en neurobiologie au Weizmann Institute et cofondateur de Boycott from Within (« boycott de l’intérieur »), qui rassemble une poignée de militants suffisamment téméraires pour affronter les torrents de haine qu’ils suscitent au sein du pouvoir, des médias et sur les réseaux sociaux.

    Dans la foulée de Lana Del Rey, quatorze artistes, dont plusieurs DJ, ont décliné l’invitation du festival. Des dizaines d’autres ont exprimé leur soutien au boycott sur les réseaux sociaux. Yaron Trax commence à se faire du souci pour « la capitale du clubbing » qu’est Tel-Aviv. Idit Frenkel, qui officie souvent derrière les platines de The Block, a signé un long article dans le quotidien israélien Haaretz, pour évoquer le « tsunami d’annulations ». Le titre de la tribune était emprunté aux paroles d’une chanson de Don McLean, American Pie (1971) : « The day the music died » [« le jour où la musique est morte »].

    Le boycott la laisse amère : « On peut comprendre ceux qui veulent lutter de manière non violente contre les morts de Gaza, le développement des colonies ou la décision de Trump d’installer l’ambassade des Etats-Unis à Jérusalem. Mais ne pas venir, c’est punir ceux qui essaient de changer les choses, y compris dans la minuscule scène underground qu’abhorrent les nationalistes et les religieux du gouvernement. »

    Si certaines figures de l’électro, comme l’Américano-Chilien Nicolas Jaar ou les Français d’Acid Arab, viennent encore en Israël, ils ne jouent plus à Tel-Aviv mais à Haïfa, au Kabareet, tenu et animé par Jazar Crew, un collectif d’artistes palestiniens. Haïfa, la cité portuaire qui soigne sa réputation de tolérance et de coexistence entre Juifs et Arabes…

    Une forme d’apartheid ?

    Attablé dans un café du centre-ville, Ayez Fadel, 31 ans, l’un des fondateurs et DJ de Jazar Crew, connaît l’antienne par cœur : « Mais même ici, grandir en étant palestinien, c’est éprouver la discrimination. Les écoles publiques arabes moins dotées que les établissements juifs, les boîtes de nuit où l’on te demande ton “Hoger”, le livret militaire que tu n’as pas [la majorité des Arabes citoyens d’Israël n’effectuent pas leur service militaire], la langue… Une nouvelle loi fait de l’hébreu la seule langue officielle, elle dit aussi que le pays est “l’Etat-nation du peuple juif”, alors que je suis un Palestinien vivant ici par la force de l’histoire, que mes impôts servent à protéger les colonies juives et à financer une armée qui a tué 44 enfants palestiniens ces trois derniers mois… Parler d’apartheid ne me paraît pas exagéré. »

    Ayez Fadel comprend le boycott et revendique la dimension politique de Jazar Crew : « Une manière de sensibiliser les jeunes. Nous n’avons plus honte d’être palestiniens, nous sommes éduqués et confiants. Et nous ne cessons de répéter que nos positions ne sont pas contre les Juifs mais contre ce régime. » Le jeune homme se dit prêt à collaborer avec Yaron Trax, qui l’a appelé pour que The Block et Kabareet « organisent quelque chose ensemble ». Mais, précise-t-il, « à condition qu’il fasse une déclaration claire sur l’occupation des territoires et les droits des Palestiniens ».

    Les turbulences qui agitent le microcosme underground reflètent assez bien le désarroi du monde de la culture devant ces appels au boycott. « En ce moment, pas un dîner sans qu’on en parle », reconnaît la responsable d’une galerie d’art installée aux franges de Florentine, ancien quartier d’entrepôts et d’ateliers de Tel-Aviv devenu le préféré des artistes et des bobos. Comme beaucoup d’opposants à l’occupation, elle refuse d’acheter les produits des colonies – certaines se sont spécialisées dans l’agriculture et l’élevage bio – ou le vin venu du Golan. « Mais le BDS culturel, dit-elle, frappe ce qui reste de l’élite de gauche, celle que Nétanyahou et son gouvernement détestent. Si on la muselle, on n’entendra plus que les voix des plus réactionnaires… »

    C’est aussi ce que pense Avi Pitchon, écrivain, critique et commissaire d’expositions : « Le boycott culturel réduit le débat à une polarisation extrême entre les activistes et le gouvernement, il déshumanise et nourrit la paranoïa, ce “nous” contre “eux” dont joue un régime de moins en moins démocratique. Ce tout ou rien est un piège, quoi que disent les créateurs ils seront perdants. Alors, ils préfèrent laisser parler leur art… »

    C’est peut-être pour cela que chercher à les rencontrer pour évoquer la question relève de la chasse au dahu. Groupe pop connu pour ses textes radicaux, écrivain loué comme l’une des « grandes voix morales » du pays, cinéastes, producteurs de concerts, responsables de théâtre, de centre d’art contemporain… tous se disent trop occupés. D’autres se ravisent après avoir parlé et demandent à n’être plus cités.

    Pnina Blayer, la directrice artistique du Festival international du film de Haïfa qui s’est déroulé fin septembre sans les « grands noms » invités, exige les questions par courriel et adresse des réponses aussi sèches que le fleuve Jourdain surexploité : selon elle, la situation dans la bande Gaza et la guerre en Syrie sont les motifs des absences, dont aucune n’a été motivée par le BDS, qui n’aura découragé qu’un film marocain, et si Agnès Varda, à qui le festival rendait hommage, n’est pas venue, ce n’est pas pour des raisons politiques.

    Il faut comprendre sa prudence : pendant que le festival est soumis aux pressions de l’étranger, sa propre ministre de la culture, la très droitière Miri Regev, demande à celui des finances de lui couper les vivres pour avoir accueilli deux films israéliens qui « sapent les valeurs et symboles » de l’Etat (l’un d’eux raconte l’histoire d’un metteur en scène palestinien qui monte une pièce narrant un amour entre une Juive et un Arabe…).

    Le projet de loi « Loyauté dans la culture »

    La même ministre se démène pour l’adoption d’un projet de loi « Loyauté dans la culture » qui veut supprimer les fonds à toute organisation déniant « Israël comme un Etat juif et démocratique » ou qui ferait du jour de l’indépendance celui de la Nakba, la « catastrophe » que vécurent 700 000 Palestiniens expulsés en 1948.

    Le monde de la culture a manifesté le 27 octobre contre ce texte, de nombreux cinéastes israéliens, comme Amos Gitaï ou Ari Folman, sont parmi les signataires d’une tribune parue lundi 12 novembre dans Le Monde pour demander le retrait du texte. En attendant, des députés ont également proposé de punir de sept ans de prison tout appel au boycott et l’entrée du pays est déjà interdite à tout étranger qui soutient activement le BDS.

    Car, pour le gouvernement, c’est la guerre. Au vingt-neuvième étage d’une tour de Bnei Brak, dans la banlieue de Tel-Aviv, une trentaine de personnes travaillent au sein de la National Task Force for Countering Delegitimization (« force d’intervention contre la délégitimisation »), qui dépend du ministère des affaires étrangères.

    « Nous révélons les relations entre le BDS et des organisations terroristes comme le Hamas ou le Front populaire de libération de la Palestine ; comment, sous couvert de droits de l’homme, il s’attaque à la légitimité d’Israël ; comment il bombarde les artistes par des cyberattaques menées par des robots. Nous travaillons avec des centaines d’organisations pro-israéliennes en leur offrant articles, vidéos et autres outils pour affronter les arguments du BDS », résume Tzahi Gavrieli, le directeur.

    Le bureau a lancé la plate-forme 4il sur Internet, Facebook et Twitter : des images de jolies filles montrent la diversité du pays, des vidéos soulignent la réussite de certains « Arabes israéliens ». Des posts saluent la criminalisation du boycott en France (en 2015, la justice a confirmé la condamnation de militants ayant appelé au boycott des produits israéliens) ou en Allemagne (le BDS a été jugé antisémite par l’Office fédéral de la protection de la constitution de Berlin).

    Un post du 23 octobre relaie le rapport de Human Rights Watch sur la torture pratiquée par le Hamas et l’Autorité palestinienne en demandant si la communauté internationale va exercer sur eux les mêmes pressions que sur Israël… Des messages vantent le concours Eurovision de la chanson de mai prochain : avec ses 186 millions de téléspectateurs, la manifestation est une vitrine que le gouvernement ne veut pas voir entachée, malgré l’appel au boycott lancé par 140 artistes internationaux.

    L’« instrumentalisation » du monde de la culture ?

    La lutte contre le BDS est aussi l’affaire d’Adam Shay au sein du Jerusalem Center for Public Affairs, un think tank niché dans un quartier tranquille de la ville sainte. Il « scrute » les militants locaux, conseille les promoteurs de spectacles, essaie de convaincre des artistes ciblés que ce qu’on leur raconte est un tissu de mensonges et qu’ils ne regretteront pas de venir.

    « David Guetta était là la semaine dernière », se réjouit le jeune homme avant de confier qu’il cherchait à faire venir Rachid Taha, peu avant sa mort, en septembre : « Cela aurait été un gros truc » (vu les relations qui liaient le rockeur français à Brian Eno, très impliqué dans le BDS, on imagine mal une réponse positive).

    C’est cette « instrumentalisation » du monde de la culture qui, aux yeux des militants du BDS, justifie les appels au boycott de ceux dont les travaux ou les voyages sont financés par le gouvernement. Ils aident, disent-ils, le pays à soigner son image de démocratie favorable à la liberté d’expression. Les artistes se retrouvent coincés entre le marteau du gouvernement, qui tient (et serre) les cordons de la bourse, et l’enclume des pressions internationales.

    « À l’étranger, nous sommes considérés par certains comme des collaborateurs ; ici, comme des traîtres. Mais l’argent du ministère est aussi celui de mes impôts. Si la solution est de dire non, où va-t-il aller et qui va dire ce que l’on dit ? », demande Hillel Kogan, danseur et chorégraphe de la célèbre compagnie Batsheva, qui dut affronter cet été quelques militants pro-BDS à Montpellier et à Toulouse alors que, invité de la très diplomatique saison « France-Israël », il s’apprêtait, avec le Palestinien d’Israël Adi Boutros, à interpréter sa pièce We Love Arabs.

    Certains dans le pays ont regretté que l’écrivain David Grossman, considéré comme une « conscience » par le camp de la paix, se laisse « enrôler » par le pouvoir en acceptant le prix Israël de littérature 2018 des mains du ministre de l’éducation ou, en 2017, lorsqu’il accompagne à New York une pièce tirée de l’un de ses romans et adaptée par deux troupes israéliennes qui s’étaient produites dans les colonies (ce que l’auteur désapprouve). Ce, sous les yeux de la ministre de la culture qui avait fait le voyage. « Une manière de résister au BDS qui est une nouvelle forme d’antisémitisme », avait dit Miri Regev ce jour-là.

    Car c’est l’argument massue des contempteurs du BDS. Le mouvement a beau condamner racisme et antisémitisme, le public hétéroclite qu’il mobilise laisse parfois suinter des attaques haineuses, voire négationnistes. Dans le petit théâtre de Jérusalem où il travaille avec de jeunes comédiens juifs et arabes, Arik Eshet se souvient du festival de théâtre d’Édimbourg de 2014, lorsque des militants « agressifs » avaient fait annuler son spectacle : « Tu entends des gens crier qu’Israël ne devrait pas exister. C’est traumatisant… »

    La nécessaire mobilisation de la société civile

    Roger Waters est systématiquement accusé d’infamie. Du coup, Gideon Levy, le journaliste de Haaretz qui se démène inlassablement pour évoquer le sort des Palestiniens, ne cesse de défendre le chanteur. « J’ai passé de longues nuits à discuter avec lui, rien ne lui est plus étranger que les sentiments antisémites, ces accusations sont intolérables », assène-t-il dans le salon de sa maison, dont un mur est orné d’une vieille publicité ensoleillée où est inscrit : « Visit Palestine ».

    Un BDS efficace, ajoute-t-il, serait le seul moyen d’en finir avec les bains de sang : « Le changement ne viendra pas de l’intérieur d’Israël, la vie est trop bonne ici. Or les Etats-Unis soutiennent le pays et l’Europe est une plaisanterie : le seul espoir est la mobilisation de la société civile. La gauche sioniste appelle depuis des lustres à deux Etats mais n’a rien fait pour ça, nous devons en payer le prix. La criminalisation du BDS est un scandale : pourquoi serait-il légitime de boycotter l’Iran et pas Israël ? »

    En les réduisant au rang de producteurs de « biens culturels » ou d’instruments du soft power d’un Etat dont ils n’approuvent pas la politique, le BDS interroge les artistes de manière inconfortable sur leurs responsabilités de créateurs et de citoyens au cœur d’une opinion publique au mieux indifférente, au pis de plus en plus xénophobe. Et dans les conversations un nom revient souvent, comme s’ils étaient orphelins d’une figure capable d’indignation, de « courage », disent certains.

    « Il nous manque un penseur comme Leibowitz », glisse le photographe Miki Kratsman, l’un des fondateurs de l’ONG Breaking the Silence qui recueille les témoignages des soldats sur les exactions auxquelles les contraint l’occupation. C’est aussi ce que dit Zeev Tene, un vieux rockeur dont Ari Folman utilisa une chanson pour son film Valse avec Bachir et qui, depuis deux ans, part, le 6 juin, date anniversaire de la guerre des Six-Jours, le long du mur de séparation avec quelques musiciens et un camion en guise d’estrade pour jouer devant une banderole qui proclame « Make Israel small again ».

    Yeshayahu Leibowitz, mort en 1994, grand penseur et moraliste, religieux convaincu et sioniste affirmé, fut un critique féroce de l’occupation qui « détruit la moralité du conquérant ». Outré par la torture, il alla jusqu’à employer le terme de « judéo-nazis »… Or, constate l’historien « post-sioniste » Shlomo Sand, qui fait lui aussi référence à Leibowitz, « je n’ai pas vu l’Université se mettre en grève lorsqu’une succursale a été ouverte dans la colonie d’Ariel. Je n’ai entendu aucune de nos voix de la gauche sioniste prôner l’objection de conscience dans les territoires ou soutenir les refuzniks [qui refusent de servir dans l’armée]. Le BDS les met devant leurs contradictions… »

    Mais le malaise, explique-t-il, vient aussi du fait que, « en posant le droit au retour des réfugiés, le BDS questionne les conditions mêmes de la naissance d’Israël dans un pays encore hanté par la Shoah. Ce droit au retour ne peut être ignoré, mais il faut être honnête : on ne pourra pas accueillir 5 millions de réfugiés. Je soutiens le BDS à condition qu’il ne mette pas en danger l’existence d’Israël. »

    Une situation parfois absurde

    L’historien déplore aussi la « stupidité » de certains appels au boycott culturel. Les musiciens d’Apo and the Apostles, un Arménien de Jérusalem et trois Palestiniens de Bethléem, partagent sûrement son avis. Lorsque ces talentueux garçons qui mêlent leur folk-rock à des nuances orientales doivent se produire dans un festival de musique alternative arabe à Tel-Aviv, le BDS décrète que ce n’est pas acceptable parce qu’ils ne sont pas des « Palestiniens de 48 », ceux restés en Israël…

    Shady Srour aussi a quelques remarques à faire sur les censeurs du BDS : cinéaste palestinien de Nazareth, il a tourné un très joli film dans sa ville natale, Holy Air, où comment un homme essaie de s’en sortir en vendant de l’« air saint » aux touristes venus sur les traces de Jésus. C’est drôle, féministe, sexy, acide, « beckettien », plus grave lorsque les rêves sont empêchés par le seul fait de n’être pas un citoyen comme les autres.

    Mais le BDS ne rit pas : il a demandé son retrait d’un festival du film israélien à Londres, puis du Festival des cinémas arabes de l’Institut du monde arabe, à Paris, qui a congédié le réalisateur d’un bref courrier. « Je suis palestinien, mon père fut l’un de ceux chassés vers le Liban. Me boycotter, c’est m’empêcher d’affirmer mon propre récit face à celui des Israéliens. Le BDS vient chez moi pour me couper la langue… Aucun financement arabe ne m’est accordé parce que j’ai un passeport israélien, où est-ce que je trouve l’argent ? » On comprend que son film soit teinté de tristesse et d’absurde.

    #Palestine #Culture #Apartheid #BDS #Boycott_culturel

  • Le réalisateur Amos Gitaï, conférencier au Collège de France
    AFP - le 11/09/2018
    http://www.lepoint.fr/culture/le-realisateur-amos-gitai-conferencier-au-college-de-france-11-09-2018-22503

    Amos Gitaï va occuper à partir d’octobre la chaire de création artistique au Collège de France, une première pour un réalisateur et l’occasion pour l’artiste israélien de s’interroger sur le cinéma sous l’angle esthétique et politique.

  • Le #cinéma israélien « a commencé à déranger » - Moyen-Orient - RFI
    http://www.rfi.fr/culture/20180612-cinema-israelien-commence-deranger-ariel-schweitzer-foxtrot

    Pour certains, le cinéma israélien est une forme de conscience morale de la société israélienne. Depuis les années 2000, ce que l’on a appelé le « nouveau cinéma israélien » a conquis les salles obscures aussi bien en Israël qu’à travers le monde. Une réussite due tout autant à la qualité des réalisateurs qu’aux thèmes choisis très éclectiques et souvent dérangeants. Une diversité qui lui vaut aujourd’hui une offensive du gouvernement qui menace de réduire l’attribution des financements lorsque les sujets sont trop critiques. Entretien avec Ariel Schweitzer, auteur du livre « Cinéma israélien de la modernité », historien, critique de cinéma, enseignant à l’université Paris VIII et à l’université de Tel-Aviv.

    #israël

  • À l’ouest du Jourdain, d’Amos Gitaï : nouvelle plongée au cœur de la gauche sioniste
    Middle East Eye | Thomas Vescovi | 13 octobre 2017
    http://www.middleeasteye.net/fr/opinions/l-ouest-du-jourdain-d-amos-gita-nouvelle-plong-e-au-c-ur-de-la-gauche

    (...)Une représentation coloniale du Palestinien

    Par ailleurs, n’espérez pas en voyant ce documentaire entendre l’opinion de dirigeants palestiniens. Il n’y en a tout simplement pas. Gitaï donne la parole à des journalistes et des intellectuels juifs israéliens, à d’anciens et actuels ministres du gouvernement Netanyahou, à une Tzipi Livni qui nous parle de la Bible… Mais pas un seul intellectuel ou dirigeant palestinien n’apparaît à l’écran.

    Le réalisateur a beau être de gauche, il n’en n’est pas moins sioniste : l’objectif recherché est et demeure la défense d’une société basée sur le privilège juif

    Pire, Gitaï se retrouve, durant une scène, seul sur une terrasse avec un enfant palestinien qui lui explique vouloir devenir martyr. On ne sait rien de cet enfant, de sa famille, de sa situation géopolitique. Simplement qu’il semble être tenu par une profonde volonté de donner sa vie et de tuer pour « la cause ».

    Amos Gitaï laisse planer implicitement l’idée que les jeunes martyrs palestiniens incarnent l’exacte symétrie des colons israéliens. Mais le conflit israélo-palestinien n’est pas symétrique, et si des jeunes palestiniens choisissent le martyr, c’est parce que la politique coloniale et oppressive du gouvernement israélien ne leur laisse pas d’autres perspectives. Et non l’inverse.(...)

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    Le cinéaste Amos Gitai a reçu la Légion d’Honneur
    Paris Match| Publié le 29/10/2017 à 10h33
    Catherine Schwaab
    http://www.parismatch.com/Culture/Cinema/Le-cineaste-Amos-Gitai-a-recu-la-Legion-d-Honneur-1381430

  • Les « belles âmes » d’Israël

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2017/10/26/les-belles-ames-d-israel_5206251_3232.html

    Dans « A l’ouest du Jourdain », Amos Gitaï filme des Israéliens qui agissent contre la colonisation. Un témoignage important, cinquante ans après le début de l’occupation de la Cisjordanie, dit, dans sa chronique, Alain Frachon, éditorialiste au « Monde ».

    En anglais, on les appelle, avec un brin de condescendance, les do-gooders – les « belles ou bonnes âmes ». Ils sont de toutes les luttes, toujours du même côté : celui du plus faible. Ils croient au dialogue, se refusent à la fatalité de la guerre. Ils s’exposent, prennent des risques, en marge de la politique officielle. On les accuse de trahir leur camp, celui des forts, ou, au contraire, de lui acheter une bonne conscience.

    Chacun a ses do-gooders, toujours bien intentionnés. Des Français ont tendu la main aux nationalistes algériens, des Serbes aux Bosniaques de Sarajevo, des protestants aux catholiques d’Irlande du Nord. Ce mois-ci, le cinéaste israélien Amos Gitaï rend hommage aux siens. Dans A l’ouest du Jourdain, il filme des Israéliens qui, sur le terrain, agissent contre la colonisation de la Cisjordanie, tissent des liens avec des Palestiniens et assurent leur défense devant les tribunaux. Ceux-là combattent l’idée d’une malédiction immanente qui installerait les deux parties dans un conflit voué à l’éternité.

    Ils s’appellent Betselem (protection des droits de l’homme), Breaking the Silence (« rompre le silence », sur le comportement de l’armée) ou Amnesty Israël. D’autres groupes sont anonymes, plus informels. Tous se disent patriotes israéliens, profondément. « Ce sont des femmes et des hommes qui aiment leur pays, mais restent convaincus de la nécessité de construire des ponts », dit Gitaï. Le temps compte : « Les Palestiniens de Cisjordanie sont sous occupation depuis cinquante ans, les deux tiers de l’existence d’Israël. »

    « Une dégradation quotidienne »

    L’importance du film d’Amos Gitaï est dans cette date-repère. Elle tient au refus de banaliser ce qui se passe à l’ouest du Jourdain. La tourmente moyen-orientale a semé le chaos aux frontières d’Israël. Elle a marginalisé le conflit israélo-palestinien, moins mortifère que les guerres inter-arabes. Pour autant, rien n’est « normal » en Cisjordanie et dans la partie orientale de Jérusalem. La mission des do-gooders d’Amos Gitaï est de le rappeler. Même si personne ne les écoute.

    A l’ONU, la semaine dernière, le représentant de la France, François Delattre, constatait : « Le temps ne rend pas le conflit israélo-palestinien moins dangereux. Loin d’être un statu quo, la situation sur le terrain est marquée par une dégradation quotidienne, liée notamment à la colonisation. » Conquises lors de la guerre de juin 1967, la Cisjordanie et la partie arabe de Jérusalem accueillent aujourd’hui un demi-million d’Israéliens.

    La majorité des juristes s’accordent : la puissance occupante n’a pas le droit de changer la situation sur le terrain. Cinquante ans de colonisation ont rendu la Cisjordanie méconnaissable – continuité territoriale en miettes, ressources en eau confisquées, paysage physique bouleversé par les implantations israéliennes et, notamment, un réseau de routes de contournement réservé aux colons.

    « Nous n’évacuerons aucune implantation »

    Inoxydable premier ministre, Benyamin Nétanyahou, au pouvoir depuis douze ans, est à la tête d’une majorité de droite et d’ultra-droite qui ne cache pas sa priorité : multiplier les implantations en Cisjordanie. Célébrant ce 50e anniversaire, Nétanyahou déclarait fin août : « Nous n’évacuerons aucune implantation (…), nous ne partirons pas. Nous allons garder la Samarie [nom biblique de la Cisjordanie]. Contre tous ceux qui veulent nous en empêcher, nous allons nous enraciner ici. »

    A la mi-octobre, le gouvernement Nétanyahou a autorisé une nouvelle vague d’implantations. Les héros d’Amos Gitaï sont impuissants. Mais ils témoignent. Betselem tient la comptabilité des expropriations de terres palestiniennes et Breaking the Silence, le journal des petites et grandes exactions inhérentes au contrôle d’une population occupée de plus de trois millions de personnes. Ils luttent aussi.

    Un vieux rabbin se bat pour empêcher des colons de détruire un jardin d’enfants arabes. La mort d’un fils dans les combats réunit des Israéliennes et des Palestiniennes. Au fil des affrontements, du terrorisme et du contre-terrorisme, les do-gooders, des deux côtés, ne baissent pas les bras. Et des deux côtés, ceux qui ont une solution toute faite au conflit, les « politiques », moquent leur angélisme.

    Faire taire les ONG israéliennes

    Mais si les belles âmes sont si inoffensives, pourquoi leur mener la vie dure ? Si elles ne servent à rien, pourquoi les attaquer ? A Jérusalem, le « parti des colons » vote des lois pour faire taire les ONG israéliennes actives en Cisjordanie. Elles participeraient à une campagne internationale de « délégitimation » d’Israël ? Mais en matière d’atteinte à l’image d’Israël, la colonisation bat tous les records. Qui « délégitime » qui ?

    A Washington, le parti républicain, succursale de la droite israélienne, surenchérit. Le Congrès étudie un projet de loi qualifiant d’infraction civile et pénale l’aide financière que des Américains apportent à Betselem, à Breaking the Silence ou à la campagne visant à boycotter les produits israéliens fabriqués dans des colonies. Les citoyens américains peuvent financer la colonisation, ils n’auraient pas le droit de s’y opposer ! Le texte a peu de chances d’aboutir mais son objet est de soutenir l’ambition de la droite israélienne : effacer toute « frontière » entre la Cisjordanie et Israël. Il s’agit de réaliser le rêve du parti des colons : l’annexion de ce territoire – qui empêchera la création d’un Etat palestinien aux côtés d’Israël.

    Gitaï ne rentre pas dans ce débat. L’auteur de Kippour, de Kadosh, du Dernier jour d’Itzhak Rabin, filme à vue. Il saisit le chaos de l’occupation, une série de scènes, parfois contradictoires, sans autre objectif que de saluer ces do-gooders, qui préservent l’espoir, dit-il, « refusent la déshumanisation de part et d’autre » et « rendent envisageable un futur commun ». Un jour.

  • « Envoyé spécial » du jeudi 25 mai 2017
    http://www.francetvinfo.fr/replay-magazine/france-2/envoye-special/envoye-special-du-jeudi-25-mai-2017_2197040.html

    2:08:00

    Un bref moment d’optimisme

    Exceptionnellement pour « Envoyé spécial », Amos Gitaï signe une version 52 minutes du long-métrage documentaire A l’ouest du Jourdain, qui est sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs au Festival de Cannes.

    Le réalisateur israélien nous livre ses archives personnelles et inédites sur l’ancien Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, assassiné le 4 novembre 1995 et sa vision de l’Etat hébreu d’aujourd’hui, alors que la droite nationaliste est au pouvoir. Il donne la parole à tous ceux qui croient encore en la paix, ceux qu’il appelle les « héritiers de Rabin » et que l’on entend si peu aujourd’hui.

    Un documentaire d’Amos Gitaï avec Nilaya Productions.

  • « Le #cinéma est plus autoritaire que la littérature »
    http://www.laviedesidees.fr/Le-cinema-est-plus-autoritaire-que-la-litterature.html

    Le cinéaste israélien Amos Gitaï revient sur les rapports entre le cinéma et la littérature, la mémoire, l’espace, la langue. Il évoque notamment l’adaptation du roman autobiographique de Jérôme Clément qui retrace la quête d’un fils à la recherche du passé douloureux de sa mère juive.

    Essais & débats

    / cinéma, #Shoah, #langage

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