person:anthony burgess

  • Stylistique de l’écriture viriliste – ex cursus
    https://excursusblog.wordpress.com/2018/03/13/stylistique-de-lecriture-viriliste/#more-2678

    L’idée d’un genre de l’écriture, masculin féminin, n’est pas chose neuve : le style des auteurs permettrait de révéler leur genre, une certaine douceur et une mollesse – toutes relatives – placeraient Renan du côté des prêtres efféminés, quand d’autres caractéristiques, comme l’attention au détail, permettrait de ranger les textes de femmes sans trop d’inconvénient. Les thèses d’Hélène Cixous, entre autres, sur ce sujet me paraissent essentialistes, en plus de se consacrer seulement aux femmes : je suis bien plus sensible, en tant que lectrice, à ce qui me semble être non une écriture masculine, mais une volonté de virilisme.

    Le mot de Buffon, « le style, c’est l’homme », résumerait en peu de syllabes cet imbroglio d’attributs et de lexèmes. La question me semble cependant mal posée : la question se pose à un niveau plus idéologique que biologique ou psychologique. Le choix de certaines caractéristiques stylistiques montrerait au contraire la volonté de s’éloigner de ce qui est considéré comme féminin – quel que soit le genre des détenteurs de la plume – et de construire une masculinité idéologique et compétitive. Comment se caractériserait cette écriture, présente en fiction comme en non-fiction ? Quelques pistes, non exhaustives, pour la reconnaître peuvent être relevées.

    La lecture récente de L’Infinie Comédie et du Roi pâle de David Foster Wallace montre dans un premier temps que la virtuosité syntaxique, conjuguée à un vocabulaire pléthorique et à des effets de listes donnent cet effet viriliste, certes atténué dans Le Roi pâle. La longueur démesurée, et parfois véritablement jouissive, des phrases souligne la maîtrise grammaticale de leur auteur : elle montre la capacité qu’a celui-ci de mener son lectorat où lui-même l’a décidé, plus qu’elle ne l’accompagne – et elle ménage ainsi à l’auteur une position de surplomb. La longueur des phrases, en plus de valider le brio auctorial, conduit en outre à un style régulièrement haché, fait d’incises et de parenthèses, renforcé dans le cas de Wallace par l’abondant recours aux notes de bas de page et de fin de volume. Le choix d’une structure résolument heurtée et jouant des effets de gradation, particulièrement perceptible dans l’essai « Un truc soi-disant super auquel on ne me reprendra pas », narrant ses déboires lors d’une croisière, montre que cette structure syntaxique peut se retrouver à l’échelle d’un texte dépassant les 80 pages – dans l’édition française. L’ensemble se découpe en effet en une longue protase, marquant une montée de la tension narrative, avant de se précipiter en une acmé spectaculaire, exécutée en peu de pages lapidaires.

    Cette structuration syntaxique et rhétorique, particulièrement visibles et maîtrisées chez un auteur comme Wallace, se trouve complétée, chez lui comme d’autres, par un vocabulaire particulièrement riche, fait de quelques néologismes et de nombreux technolectes. C’est là un procédé particulièrement employé par Céline, conjugué avec une syntaxe heurtée, mimant souvent une fiction d’oralité : le texte est alors celui d’un texte logorrhéique et ininterrompu, depuis la désinvolte décision d’enrôlement au début du Voyage au bout de la nuit jusqu’aux pamphlets, portés par la même logorrhée. La truculence verbale écrase alors le lectorat de son érudition qui, nécessairement, dépasse la sienne – d’autant plus quand les mots sont inventés. Le procédé du ton singulier, marqué par des mots rares et recherchés, parfois détournés de leur sens premier, se retrouve dans Orange mécanique d’Anthony Burgess – et Kubrick n’a pas oublié de mimer le procédé par la voix off.

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