person:jean daniel

    • Ouch...

      Elle les dégomme tous, un à un, sans passion ni méchanceté, simplement en décrivant ce qu’elle a vu d’eux, ce qu’ils sont. Courtisans, lâches, repus de médiocrité. C’est un livre extrêmement cruel, non pas dans son style mais dans la nullité et la bêtise crasse qu’il met à nu chez ces puissants qui tiennent le « débat public ».

    • « Le Monde libre, c’était en fait le “Monde #Free”, du nom de l’entreprise de télécoms discount grâce à laquelle l’ogre avait bâti toute la fortune profuse qui lui permettait de racheter la presse nationale. (...)

      L’ogre [#Xavier_Niel] ne se faisait du reste pas prier pour fanfaronner à ce sujet, assurant que depuis que ses associés et lui avaient pris la tête du groupe Le Monde, il n’avait pas à attendre une demi-journée avant d’être reçu à l’Élysée. »

    • Vérité des luttes à Paris, erreurs au-delà ?

      Lettre ouverte à Henri Maler d’Acrimed
      http://blog.europa-museum.org/post/2016/11/04/Verite-des-luttes-a-Paris-erreurs-au-dela

      Cher Henri Maler,

      Nous ne nous sommes croisés qu’une fois je crois. C’était lors d’une des premières réunions d’Acrimed à laquelle j’avais accompagné Pierre Rimbert et Patrick Champagne.

      Je vous écris aujourd’hui au sujet de la recension que vous avez consacrée au livre qui défraie la chronique (parisienne) : « Le monde libre »

      Je trouve en effet assez croquignolesque que vous validiez la thèse que tous les médias colportent en contre-bande en s’appuyant sur cet essai, selon laquelle l’involution du Nouvel Observateur, aujourd’hui l’Obs, daterait de ces dernières années. Vous la comparez à celle subie par Libération, que vous situez sous la direction de Laurent Joffrin.

      À Acrimed, vous êtes pourtant bien placé pour savoir, l’ayant, comme d’autres et souvent les mêmes, longuement documenté en son temps, que la messe est dite depuis bien longtemps au sujet de Libération et du Nouvel Observateur, accompagnateurs idéologiques zélés de la conversion de la « gauche de gouvernement » au néolibéralisme. Depuis bien longtemps, c’est à dire à peu près au moment où l’auteure du livre entrait au Nouvel Observateur.

      À cette époque, je crois aussi me souvenir de l’analyse selon laquelle le surinvestissement dans la « culture » et le façadisme radical-chic étaient bien faits, dans ces journaux, pour accomplir cette mission historique. L’auteure semble pourtant déplorer que « l’équilibre » entre sociale-démocratie néolibéralisée et « radicalité » (les « deux gauches » paraît-il), établi selon elle par Jean Daniel (sans trop s’intéresser à sa fonction idéologique de blanchiment du néo-conservatisme), soit désormais rompu. Et semble affirmer qu’elle a connu un journal « de gauche ». Du point de vue d’Acrimed, cela devrait quand même apparaître un tantinet révisionniste... Ce serait comme dire que le PS a commencé sa mutation au moment où il l’achevait... Et que donc il faudrait revenir à 2012 et non à 1995 ou 1983... Sans compter que l’analyse de Pinto sur le "journalisme philosophique" concluait de façon très précoce aux effets structurellement néfastes de la fusion du journalisme et de l’EHESS, exactement ce que l’auteure présente avec nostalgie comme ce qui a fait la grandeur de son ex-journal...

      En fait, je me demande si vous ne jetez pas aux pieds de ce livre tout le capital accumulé de critique des médias, dans un objectif politique à courte vue : en finir avec le PS. Or ce PS-là est mort, et d’ailleurs les rats quittent le navire. Comme le champ politique a horreur du vide, la vraie question est : sous quelle forme va-t-il ressusciter, et quels griots demi-savant nous empêcheront de le reconnaître ? Vous nous aideriez grandement si vous rappeliez « de quoi le Nouvel Oservateur fut le nom », donc ce principe de porte-tournante entre l’Université et le Journalisme, que l’émoi et moi et moi actuel contribue à dissimuler, avec votre renfort. Cela éviterait que ceux qui faisaient le serment, il y a quelques mois, de « ne plus jamais voter PS », ne votent pour son futur équivalent structurel sans s’en apercevoir, lui permettant de parachever son œuvre (comme en Grèce). Ou puissent faire semblant de ne pas s’en apercevoir.

    • Tout à fait, c’est la suite de la lettre à Maler : sur le site De la gentrification des villes à la gentrification des luttes.

      La petite-bourgeoisie altermondialiste piaffe, ouvrons un peu les portes comme après 68, faisons une « nouvelle société » (alter-société ?). Bon sang, mais c’est bien sûr ! et il est exact que le licenciement de notre auteure, qui tenait tant bien que mal cette position susceptible de renouer avec la fonction historique du Nouvel Obs (associer la petite-bourgeoisie intellectuelle à la grande Marche vers le capitalisme sauvage), démontre l’avarice de ce parti, qui vient avec l’âge, incapable de s’ouvrir au sang neuf, et répondant à la fin de ses privilèges annoncée par la matraque et la course à l’euro-fascisme... Mais rien n’est perdu pour cette perspective radieuse, sauf renversement de table qui ne viendra donc pas d’une « gauche de gauche » mais peut-être, à défaut, d’une « droite de gauche » !

      ...

      Quand Acrimed publie un texte de propagande

      La conclusion vint... d’Acrimed qui publia sans la moindre vergogne, un texte de propagande pure écrit par une nouvelle salariée, sans doute sous la dictée, à la gloire du petit patron marseillais appuyé par les bureaucrates-demi-savants de l’EHESS, du Collège de France et de l’INRA (toute ressemblance avec la formule qui fit le succès du Nouvel Observateur et la défaite des travailleurs...)

      Acrimed qui raillait autrefois le journalisme de service et les reportages à la gloire de Meissier où le photographe fournissait le sandwich... Oui, oui. En d’autres temps, mais aussi s’il s’était agi d’un autre milieu social, et encore plus si cela s’était produit à Paris (vérité à Paris, erreur au-delà...), on aurait peut-être eu un « démontage de texte », tant tout cerveau « critique » en état de marche, sans avoir besoin de connaître un seul mot de l’histoire et par une lecture purement interne, est sidéré de la grossièreté des ficelles d’une telle propagande, émanant d’un éditeur qui se pique de philosophie et de sciences sociales !

      À partir de là, on pouvait commencer à craindre les conséquences du vieillissement des structures indépendantes, nées au tournant de 1995. Blanchir, comme vous le faites, les 15 dernières années du Nouvel Observateur, c’est un peu effacer sa propre histoire... Oublier le modus operandi au profit de l’opus operatum, ne conserver que la mélodie à défaut des paroles, permettant à la prochaine génération de sophistes d’y couler ses vers de résistance mirlitonne... Vous pouvez bien alors, parler de « mécanismes » !

      La conclusion est toujours la même : « revenir aux luttes »... mais aux luttes de classes et aux luttes du travail. Et dès qu’une classe (je parle de la votre bien évidemment, qu’on pourrait appeler peut-être « la gauche Lieu-dit ») prétend se faire porte-parole (en le déniant bien évidemment), ou monopolise la parole (car un média, et acrimed est un média, c’est cela), d’une autre, on peut s’attendre à ce que le PS renaisse de ses cendres paré des atours patiemment tissés à partir des luttes sociales (des autres) par des opposants qui étaient quand même plus proches de lui que de l’humanité souffrante...

    • je ne tagues pas, en même temps je suis abonné à lettre de @lundimatin ,donc facile de retrouver cette chronique que je lirai peut-être ! Je me suis arrêté à :

      Lorsqu’elle est interviewée sur France Inter à propos de son licenciement, elle reste calme et didactique comme s’il lui fallait éviter à tout prix les vagues et se limiter à l’exposé des faits, certes regrettables

       ??? il y a encore de l’impertinence sur #France_Inter ? Je n’écoutes plus cette #radio depuis un bail, au moins depuis que propulsé par Sarkozy, Philippe Val a rayé le plancher de la maison ronde.

    • @Marielle Bon, la boite à lettre du blog de Lordon sur le Diplo ne passe plus, mes réponses à tes commentaires ont été censurées... Vite : je pense qu’il faut se méfier des gens qui depuis Nuit Debout passent en même temps sur les médias autrefois off et sur les médias mainstream. Le premier fut je crois le conseiller de El Khomri qui quitta le navire en perdition. Après on a l’inénarrable Laurence De Cock. Maintenant Lancelin (La-bas trouve que c’est une bonne nouvelle qu’elle ait eu le Renaudot, relégitimant les prix littéraires au passage, alors que c’était écrit dans la presse que c’était une blague entre amis organisée par les « concurrents » de l’Obs). Faudrait surtout que ça s’arrête tout de suite là, l’entre-soi parisien autour du Lieu-Dit, qui fait son casting. Je dis ça je dis rien. Mais il nous faut un intellectuel collectif, au service du plus grand nombre sans démagogie, pas des gens bien en place pour qui le monde est un spectacle et qui vit dans trois arrondissements. C’est la reproduction assurée de la structure là... Donc un conseil Jedi, pas la foire aux narcissiques...

  • @elihanah

    Bon mais aussi je ne me souviens plus de ce que j’ai mis en « lien » qui a choqué Nidal milles excuses..

    https://seenthis.net/messages/537483

    Désolé, je vire ton poste : l’article que tu références est une pure saloperie.
    Par ailleurs, #Daphne_Guinness n’est pas la petite fille de Mosley : elle est la petite-fille de Diana Mitford et Bryan Guinness (qui est donc son grand-père), laquelle Diana a ensuite divorcé avant d’épouser Mosley.

    Pour respecter la décision de @nidal de virer ton post et plus précisément le lien que tu avais choisi pour illustrer les superbes photos de Daphne Guinness et ses #chaussures_à_bascules ; voici ce lien http://dossier10.over-blog.com/2014/02/quand-bernard-henri-l%C3%A9vy-partage-sa-vie-avec-la-petite-fil que j’ai retrouvé dans le suivi de @seenthis

  • « Michel Rocard est toujours resté ambivalent entre gauchisme et #social-libéralisme »
    https://www.mediapart.fr/journal/france/070716/michel-rocard-est-toujours-reste-ambivalent-entre-gauchisme-et-social-libe

    Michel Rocard © REUTERS/Philippe Wojazer L’historien Pierre-Emmanuel Guigo, qui finit sa thèse sur l’ancien premier ministre, revient dans un entretien à Mediapart sur la complexité de l’héritage rocardien et son évolution politique et stratégique au fil des décennies.

    #France #Culture-Idées #deuxième_gauche #François_Mitterrand #GAUCHE_S_ #Michel_Rocard #PS #PSU

    • On peut effectivement distinguer différentes générations rocardiennes, liées à la segmentation de différentes couches définies par les vécus successifs de Rocard. La première génération est issue du PSU, de la contestation de la guerre d’Algérie et on y retrouve les vieux routiers, aujourd’hui décédés ou très âgés, comme Jean Daniel, Daniel Frachon, Tony Dreyfus, Patrick Viveret…

      La deuxième génération est issue de Mai-68, en particulier Jean-Paul Huchon, qui a d’ailleurs écrit, avec Rocard et sous le pseudonyme savoureux de Daniel Lenègre, un livre intitulé Le Marché commun contre l’Europe, dans lequel il n’était pas l’européiste béat comme on le regarde parfois. On trouve aussi des gens comme Jean-François Merle ou Christian Blanc.

      La troisième génération est celle des années 1970, du Rocard qui est passé au PS, mais s’oppose à la stratégie de Mitterrand faisant des concessions au PCF tout en promettant, selon la fameuse formule, de « plumer la volaille communiste ». On y trouve Jean-Pierre Cot, Gilles Martinet, le fondateur de France-Observateur, Alain Bergounioux qui vient du CERES, Jean-Luc Petitdemange et même Pierre Mauroy, même s’il a un rapport plus complexe et distant à Rocard.

      La quatrième génération est enfin celle arrivée avec le pouvoir, pendant laquelle on va voir monter de nombreux jeunes énarques sous la houlette de Jean-Paul Huchon. Se distinguent des hommes comme Yves Lyon-Caen, Guy Carcassonne, et bien sûr le « trio infernal » Stéphane Fouks, Alain Bauer et Manuel Valls. Ils n’ont pas eu la socialisation des autres rocardiens, notamment autour de la guerre d’Algérie ou de Mai-68 et cela se ressent.

  • "Antisémitisme et Antisionisme - L’impossible amalgame"

    Il y a dans la réaction « anti-israélienne » plus et parfois autre chose qu’une attitude politique de gauche, commandée par la lutte contre l’impérialisme. Il y a aussi et il y a parfois surtout une défense de l’intelligence devant l’assaut qui est continuellement livré, une réponse de l’esprit critique au défi qui le confronte presque en permanence dans ce débat plus chargé de passion et de fanatisme que nul autre.

    En 1967, l’opinion publique occidentale a été soumise à un bombardement systématique dont les munitions avaient été savamment sélectionnées par de savants artilleurs. Le combat que livrait Israël était présenté comme celui d’une petite nation faible entourée d’ennemis nombreux et puissants - David contre Goliath - et ne souhaitant rien d’autre que le droit à l’existence.

    On s’est vite rendu compte que le rapport des forces entre Israël et ses alliés, d’une part, et ses ennemis arabes, de l’autre, jouait entièrement en faveur d’un Etat développé qui n’a eu aucune peine à écraser une série d’adversaires également faibles et misérables - misérables donc faibles.

    En juin 1967, l’Etat d’Israël a affirmé ne faire la guerre (préventive) - préventive, mais rappelez-vous le titre qui, le 5 juin 1967, barrait la première page de France Soir- plus gros tirage de la presse francophone dans le monde - :
    « L’Egypte attaque » - que pour assurer sa survie physique et empêcher son étouffement économique. Or, aujourd’hui et depuis deux ans déjà, la Jordanie et l’Egypte sont disposées, moyennant le retrait des troupes israéliennes, à des concessions qui ne signifient rien d’autre que la reconnaissance de fait de l’Etat hébreu ; elles acceptent en outre qu’Israël bénéficie désormais de la liberté de navigation. Mais la paix est plus éloignée que jamais : les Israéliens désirent actuellement des « frontières sûres » et il n’est plus question pour eux de revenir aux limites territoriales qui étaient les leurs avant la guerre des six jours. Les aspirations d’Israël peuvent difficilement être présentées comme celles, élémentaires et légitimes, d’un Etat ne nourrissant, à l’exclusion de toute ambition territoriale, qu’un désir pathétique de dialogue, de reconnaissance et de paix.

    Moins désarmée sur ce terrain que dans le passé, l’opinion publique se voit à présent confrontée avec une argumentation d’un tout autre genre. Elle tient en peu de mots : l’antisionisme ne serait qu’une variante de l’antisémitisme ; l’opposition à Israël rien d’autre qu’une version de la haine des Juifs. Il y a des mois qu’on nous le répète et M. Michel Soulié, vice-président du Parti radical-socialiste, vient de déclarer pour sa part : « Aujourd’hui, personne n’ose plus s’affirmer antisémite, mais l’antisionisme est un bon paravent pour la droite et aussi une certaine nouvelle gauche »1.
    On objectera : M. Michel Soulié et le Parti radical-socialiste méritent-ils les honneurs de la citation ? Pour ce qu’ils représentent... Sans doute, sans doute.

    Mais le Nouvel Observateur de M. Jean Daniel ?... Voilà des semaines qu’on y trouve des mises en garde pleines de sollicitude à l’adresse de la gauche, ancienne et nouvelle, menacée, dit-on, de verser dans l’antisémitisme en raison de son opposition à Israël. Et tout de même, le Nouvel Observateur malgré tout, ce n’est pas le Parti radical-socialiste... Cet amalgame affirmé, ou suggéré, systématiquement entretenu entre l’antisionisme et l’antisémitisme, est devenu une arme politique.

    On est tenté de ne lui répondre que par le haussement d’épaules qu’il mérite. Mais on ne peut plus aujourd’hui se contenter de cette réaction. Une prise de position claire est indispensable, basée sur l’analyse et la réflexion. En cette matière encore, la gauche, inlassablement, doit faire oeuvre démystificatrice.

    La logique de l’histoire

    Que la haine des Juifs puisse conduire à celle d’Israël, il faut le constater. II en est ainsi, par exemple, de quelques milieux d’extrême droite en Allemagne, représentés par la Deutsche Soldatenzeitung et par l’ancien condottiere S.S. Skorzeny, que la haine antijuive conduit à soutenir la cause palestinienne.

    Dans un même ordre d’idées, mais par un phénomène apparemment inverse, la Pologne offre l’exemple d’un régime où l’antisionisme - véritable ou feint - conduit à l’antisémitisme et sert, en fait, de diversion à une politique impopulaire. Notre propos est cependant de prouver que la liaison entre l’antisionisme et l’antisémitisme est l’exception, tandis que le lien entre le sionisme et l’antisémitisme est plus fréquent et moins fortuit. Ce lien entre l’antisémitisme et le sionisme est double, de nature logique et historique.

    Ce lien est logique. Ecoutez le langage classique de l’antisémitisme : l’élément juif est inassimilable, constituant dans les nations où il s’est introduit un corps étranger, nécessairement étranger, il doit en être isolé et si possible évacué. Ce raisonnement s’est souvent exprimé de manière très lapidaire : « les Juifs dans leur pays ». Or, les sionistes ne disent rien d’autre.

    A les en croire, l’élément juif est inassimilable à cause du caractère inéluctable de l’antisémitisme. Theodor Herzl, le fondateur de la doctrine, ne fait sur ce point aucun mystère de ses convictions :
    « Parmi les populations, l’antisémitisme grandit de jour en jour, d’heure en heure, et doit continuer à grandir parce que les causes continuent à exister et ne sauraient être supprimées » 2.
    Quant à la formule lapidaire, « les Juifs dans leur pays », on la retrouve dans le programme du sionisme : elle résume en même temps qu’elle en traduit toute la politique.

    L’antisémitisme et le sionisme nous confrontent avec un courant également antilibéral et également pessimiste, ils sont unis par la même opposition à une idéologie démocratique qui croit, parfois naïvement, au nécessaire et possible rapprochement des communautés ethniques, religieuses, etc.... Et il s’agit moins ici de justifier ou de dénoncer ce pessimisme que d’en constater la présence significative et dans le projet sioniste et dans la mentalité antijuive.

    Or, l’histoire confirme la logique, et ce dès l’aube du mouvement sioniste.
    « D’honnêtes antisémites devront être associés à l’oeuvre (sioniste) pour y exercer en quelque sorte un contrôle populaire, tout en conservant leur entière liberté, précieuse pour nous »3.
    Ces paroles et la justification d’un antisémitisme « honnête », accompagnée de la revendication, pour ceux qui le pratiquent, d’une « liberté précieuse », sont de Herzl luimême.

    Le fondateur du sionisme n’a pas précisé ce qu’il entendait par des antisémites « honnêtes », mais dans les faits, il a accordé des brevets d’honnêteté à des antisémites dont la liberté est loin d’avoir été précieuse pour les Juifs. C’est ainsi qu’il a - à la grande indignation des Juifs de l’époque - rencontré, en 1904, Plehve. le ministre de l’intérieur de la Russie tsariste, celui-là même que la communauté juive de Russie tenait, non sans raison, pour responsable du terrible pogrom de Kichinev. Plehve promit d’ailleurs à Herzl, « un appui moral et matériel au jour où certaines... mesures pratiques serviraient à diminuer la population juive de Russie » 4.
    Il n’est pas exclu qu’un calcul analogue ait inspiré Lord Balfour, dont la célèbre déclaration assura l’appui décisif de la Grande-Bretagne à l’entreprise sioniste, puisqu’il n’hésita pas à se faire élire, à la Chambre des Communes, sur une plateforme comprenant un projet de loi interdisant l’émigration en Angleterre et, singulièrement, l’émigration juive.

    Ces citations et ces faits, pour troublants qu’ils soient, seront acceptés avec moins de gêne que la révélation de la collaboration qui se pratiqua entre sionistes et nazis. Pourtant, l’évidence est là. Ces actes de collaboration se déroulèrent tour à tour en Allemagne, en Autriche et en Hongrie et trouvèrent un défenseur convaincu en la personne d’Eichmann qui, converti au sionisme par la lecture de Herzl, se mit, selon le témoignage de la sociologue américaine Hannah Arendt, « à répandre le message sioniste dans les milieux S.S. » 5.
    Ses efforts ne furent pas tout à fait vains puisqu’il réussit à convaincre beaucoup de ses camarades que « les sionistes étaient les Juifs "décents", puisque, eux aussi, pensaient en termes "nationaux" » 6.

    Un livre récent, s’appuyant sur des documents d’archives et rédigé par un auteur israélien, offre de cette collaboration entre nazis et sionistes - et en particulier de la complaisance relative, mais certaine, des hitlériens envers le sionisme - un faisceau de preuves convergentes. 7

    "Vive Israël, mort aux Youpins !"

    Ce sont là, dira-t-on, des cas extrêmes. Sans doute. Mais, plus près de nous, historiquement et géographiquement, la collusion entre l’antisémitisme et le sionisme ou la sympathie pour Israël, a frappé un observateur aussi peu suspect d’hostilité envers l’Etat hébreu que Marc Hillel. Parlant des événements de 1956, il reconnaît dans son livre que « !es antisémites les plus irréductibles deviennent pro-israéliens tout en continuant à détester leurs Juifs » 8
    et, à propos des cortèges pro-israéliens qui se déroulèrent à Paris en juin 1967 :
    « on nota la présence de membres de l’extrême droite antisémite par tradition aux manifestations en faveur d’Israël » 9.
    Personne ne sait si les antisémites du genre de Xavier Vallat, ancien commissaire de Vichy aux Affaires juives, qui, en 1967, eut ce cri du coeur « Vive Israël, mort aux youpins ! », personne ne sait si ce genre d’individus forme ou non une catégorie nombreuse. Mais Vallat ne doit pas être tout à fait isolé dans son désir de voir prospérer les Juifs dans un « pays à eux » qui aurait l’immense mérite de débarrasser de leur présence les Etats où ils sont fixés.

    Et pour ce qui est de la France particulièrement, on ne peut nier que la sympathie proisraélienne est alimentée depuis longtemps par la haine des Arabes et le désir de voir la défaite d’Algérie vengée aux dépens de Nasser et de ses alliés. Aspiration si profonde qu’elle a fait de partisans de l’Algérie française connus pour leur haine des Juifs des admirateurs passionnés de la virilité israélienne. Tixier-Vignancour se trouve, par exemple, dans ce cas.

    En regard de la liaison logique et historique entre le racisme antijuif et la sympathie pour le sionisme, il faut, au contraire, opposer cette autre considération de fait : l’histoire du sionisme a longtemps été l’histoire de la lutte menée contre cette idéologie par des mouvements juifs. Les Juifs antisionistes se recrutaient, en effet, nombreux soit dans les milieux religieux qui n’envisageaient le retour des Juifs vers la « Terre promise » que sous une forme spirituelle, soit dans les milieux socialistes où l’on entendait unir les ouvriers juifs et non juifs dans le combat contre le capitalisme que l’on rendait responsable de l’antisémitisme. A quoi il faut ajouter la longue série de personnalités juives et non juives qui, peu suspectes d’antisémitisme, ont mené ou mènent la lutte contre le racisme et se posent en adversaires résolus de l’entreprise sioniste et de l’Etat d’Israël : liste interminable qui comprend les noms de Bertrand Russel. Isaac Deutscher, Erich Fromm, Mehdi Ben Barka, Rudi Dutschke, Elridge Cleaver, etc., etc. II ne s’agit d’ailleurs pas seulement de personnalités, mais de mouvements et de courants d’opinion. Ce sont les étudiants allemands radicaux de la S.D.S. qui se montrent les plus achamés dans le combat contre les séquelles du nazisme et dans l’opposition à Israël. Ce sont les formations et « groupuscules » d’extrême gauche qui, en France, sont le plus résolument opposés à l’israélophilie dont P. Viansson-Ponté disait récemment dans Le Monde qu’elle était surtout le fait de l’"establishment" français 10.
    Or, ces mêmes formations et « groupuscules », qui pourrait les accuser de complaisance envers le racisme en général ou, en particulier, envers l’antijudaïsme ?

    Le sionisme contre les Juifs

    On rétorquera à tout cela que s’en prendre à Israël, c’est nécessairement s’en prendre aux Juifs puisque, dans leur très grande majorité, les Juifs sont profondément attachés à l’Etat sioniste.

    La gauche antisioniste ne peut laisser sans réplique un tel argument. Elle doit y répondre en montrant que, si elle s’oppose à l’entreprise sioniste, c’est parce que celle-ci est nocive non seulement aux Arabes, mais également aux Juifs. La première proposition se passe de démonstration, le sort des Palestiniens que l’implantation sioniste en Palestine a chassés de leur pays témoignant suffisamment de sa justesse. Il est plus important d’insister sur ce fait : nous autres qui critiquons et rejetons le sionisme, nous le faisons non par hostilité envers les Juifs, mais, bien au contraire, par refus de tout racisme, qu’il soit dirigé contre les Arabes, contre les Juifs ou contre toute minorité nationale ou ethnique.

    Notre critique du sionisme est double et se place sur le plan des principes et sur celui des réalités concrètes. Des principes parce que la composante raciste du sionisme, pour ne pas être évidente et perçue par tous, n’en est pas moins certaine. Nous l’avons dit, le sionisme mise sur le caractère inéluctable de l’antisémitisme. C’est son postulat de base. Lorsque les Juifs sont menacés de persécution, les sionistes les invitent a rejoindre la Palestine, avec le consentement ou contre le gré (et en l’occurrence, contre le gré) des populations autochtones. Réflexe de défense, dira-t-on. Mais peut-on raisonnablement suggérer que la solution des nombreux problèmes que crée la tension entre communautés ethniques, religieuses ou nationales cohabitant sur un même territoire se trouve dans le départ de ces communautés ? Or, c’est cela la « solution sioniste ». Appliquée à d’autres cas, elle conduirait à pousser les minorités noires, irlandaises, espagnoles, etc.. etc., au départ, comme si le règlement du problème du racisme dans le monde se trouvait dans d’immenses mouvements migratoires ramenant « chez eux » les noirs, les Irlandais, les Espagnols et les Juifs. A ces derniers, le sionisme ne propose rien d’autre. C’est une proposition insoutenable.

    Mais s’agit-il seulement d’une réplique (au demeurant inadéquate) à un péril physique et à une menace de persécution ?

    Non, le sionisme est bien plus que cela. S’adressant récemment à des Juifs américains, Mme Golda Meïr n’a-t-elle pas déclaré que c’est " seulement leur immigration en Israël (qui) peut les sauver de l’assimilation " 11.
    Le danger que le sionisme est censé combattre, ce n’est donc plus la spoliation, la discrimination antijuive ou l’extermination des Juifs, mais leur « assimilation » au sein des nations. Il serait utile de préciser ici ce qu’on entend par « assimilation » et qui, si l’on excepte l’hypothèse condamnable d’une assimilation forcée, ne peut être que l’intégration harmonieuse d’une communauté au sein de la population qui l’environne. Et, une fois de plus, nous nous heurtons à cette analogie entre le langage des sionistes et celui des antisémites : il faut rejeter, comme impossible ou pernicieuse, i’assimilation des Juifs, le maintien de leur spécificité est une exigence si impérieuse qu’elle justifie leur émigration.

    Certes, il n’y a rien en commun entre le sionisme et le nazisme et il faut à ce propos, regretter les formules mensongères et donc nocives identifiant Israël à un Etat fasciste et sa politique à l’hitlérisme. Mais il reste que, d’une certaine manière, le sionisme a pris le relais de l’antisémitisme. Ce dernier incitait les Juifs au départ ou au repli sur soi. Le sionisme ne fait rien d’autre et la politique qu’il mène à cet égard est, pour les Juifs, riche de périls. II tente de les persuader qu’ils sont non seulement citoyens du pays où ils sont fixés, mais aussi et même surtout citoyens d’Israël, liés à cet Etat par un devoir de civisme et une allégeance imprescriptible. Sont taxés de trahison envers leur peuple ceux qui nient ce devoir et rejettent cette allégeance.

    Tant qu’il n’existe pas de différend important entre Israël et tel ou tel Etat où habitent des Juifs, ce principe d’allégeance peut n’apparaître que comme un fait sentimental secondaire. Mais lorsque la conjoncture internationale suscite entre l’Etat d’Israël et d’autres pays une tension ou un conflit, le problème cesse d’être de nature purement affective. Il est politique. On voit, dès lors, le grand rabbin de France prendre ouvertement position contre l’attitude de son pays ou de son gouvernement envers Israël - qui n’est pas son pays - et une série d’associations juives adopter un comportement semblable qui, faut-il le dire n’a rien à voir avec un quelconque sentiment d’internationalisme, mais dérive d’un attachement inconditionnel envers un Etat étranger.

    Les antisémites ont toujours prétendu que les Juifs ne voulaient pas s’intégrer dans les pays où ils vivaient. C’était une contrevérité. Mais voila que, par l’effet d’une propagande systématiquement organisée, un grand nombre de Juifs se prêtent eux-mêmes à une opération qui les fait apparaître comme les nationaux d’un Etat étranger. Qui n’aperçoit l’utilisation que l’antisémitisme peut faire d’une situation aussi équivoque et aussi malsaine ? L’actualité ne souligne pas ce péril dans nos pays.

    A la grande majorité des Français et des Belges, pour ne prendre que leur cas, Israël apparaît, consciemment ou non, comme la revanche de l’homme blanc et de l’Européen contre l’homme de couleur coupable d’arrogance. D’ou sa popularité actuelle.

    Devant un tel état de choses, le rôle de la gauche est double : il consiste tout d’abord à rétablir les faits et à montrer quel est le rôle véritable de l’Etat d’Israël et à défendre les peuples qui sont victimes de sa politique. Le devoir de la gauche antiraciste est aussi de montrer qu’à la faveur d’un retournement dans l’opinion publique, l’israélophilie actuelle peut disparaître (d’autant qu’elle n’a pas de fondement sérieux) et faire place alors à une hostilité qui, à défaut de prendre pour cible l’Etat hébreu lui-même, s’en prendra aux communautés juives qui y sont inconditionnellement attachées. Cette hypothèse est lourde d’un péril qu’il faut à tout prix combattre : celui d’une renaissance de l’antisémitisme.

    Non, les antisionistes ne sont pas antisémites. L’amalgame qu’on nous suggère et que l’on veut de plus en plus nous imposer ne repose sur aucune analyse sérieuse. Ne serait-il rien d’autre qu’une forme de chantage moral et intellectuel par lequel on voudrait empêcher tous ceux qui condamnent la haine antijuive, criminelle et imbécile, à ouvrir le dossier israélo-arabe et à l’examiner avec un minimum d’objectivité ? Il y a, dans l’argumentation utilisée à ce propos, trop de mauvaise foi pour qu’on puisse rejeter cette hypothèse.

    Marcel Liebman

    [MAI N°10 février 1970]

    Bibliographie

    1 Le Monde, 23-1-1970

    2 T. Herzl, l’Etat juif, éd. Lipschitz, Paris, 1926, p.84. Souligné par nous.

    3 Ibid., p. 137.

    4 M. Bernfeld, Le sionisme. Etude de droit intemational public ; Paris, Jouve, 1920, p. 399.

    5 H. Arendt, Eichmann à Jérusalem ; Paris, Gallimard, 1963 ; p. 52.

    6 Ibid., p. 73.

    7 E. Ben-Elessar, La diplomatie du IIIe Reich et les Juifs (1933-1939), Paris. Julliard, 1966.

    8 M. Hillel, Israël en danger de paix ; Paris, Fayard, 1968, p. 43.

    9 Ibid., p ; 271

    10 Le Monde

    11 Israel aujourd’hui, 21-1-1970

    • Bizarre, je me rend compte que je suis pas le seul finalement à trouver que sa réflexion et sa manière de l’exposer laisse toujours planer un doute sur la question de savoir s’il défend l’institution en place ou non. Comme le dit Alain Badiou, il ne tranche pas son discours en omettant de déclarer que premièrement nous sommes en oligarchie, mot qu’il n’emploie jamais lorsqu’on l’écoute.

      Je retiens l’idée qu’il resouligne tout à la fin de l’interview, en disant que la démocratie n’est pas une théorie ou un produit qu’on peut vendre ou exporter clé en main, comme le font les pays riches occidentaux, mais une #expérimentation (au sens de l’arnarchisme, si j’ai compris).

      Dans l’expérimentation en question, j’aurais aimé qu’il insiste davantage sur les formes égalitaires et autogestionnaires d’expérimentation. Qu’il parle concrètement des possibilités de mettre en oeuvre cette égalité politique, qui à mon avis est la ligne de rupture entre faux_démocrates (les professionnels de la politiques, les appareils politiques, les intellectuels au service du pouvoir, etc) et vrais_démocrates (ceux qui dénoncent cette oligarchie).

      PS : expérimentation —> expérience

    • Ce « réformisme » là n’est que l’autre nom de la contre révolution. Ce type est l’un innombrables dirigeants CFDT sur lesquels a pu compter le socialisme français dès son arrivée au pouvoir en 1981 pour mater la société.

      Enquête sur la Fondation Saint-Simon
      Les architectes du social-libéralisme, par Vincent Laurent, septembre 1998, aperçu car #paywall
      https://www.monde-diplomatique.fr/1998/09/LAURENT/4054

      « Menaces de dépression. » Pour la première fois, le « Financial Times » a reconnu les risques qui pèsent désormais sur la planète. Les plans de sauvetage massifs du FMI sont incapables de colmater les brèches (lire « La crise menace les digues de l’économie mondiale »). Les marchés européens et nord-américains pourraient être frappés à leur tour, ce qui menacerait la #croissance qui s’amorce. Pour les dirigeants de la gauche française, qui tablent sur cette dernière, les lendemains risquent d’être difficiles. Sont-ils prêts pour une nouvelle donne ? Il leur faudra d’abord se dégager des dogmes qui fondent l’action des gouvernants. Ces évidences ont été nourries par des « boîtes à idées » publiques et privées, comme la Fondation Saint-Simon, servant de pont entre droite et gauche. Des gouvernements #socialistes peuvent, par exemple, #privatiser avec autant d’entrain que des équipes conservatrices. Lorsque les responsables reprennent les idées développées par ces fondations, ils expliquent qu’elles ont pour auteurs des « #experts ». Combien de temps ces « vérités » résisteront-elles à la pression de la réalité sociale ?

      Dans le sixième arrondissement de Paris, la Fondation Saint-Simon occupe un espace d’une centaine de mètres carrés au rez-de- chaussée d’un immeuble cossu situé au 91 bis de la rue du Cherche-Midi. Cette association loi 1901 (en dépit de ce que peut laisser penser son nom) a vu le jour en décembre 1982 dans l’un des salons de l’hôtel Lutétia, sous l’impulsion de François Furet et de MM. Pierre Rosanvallon, Alain Minc, Emmanuel Le Roy-Ladurie, Pierre Nora, Simon Nora et Roger Fauroux. Ce dernier raconte : « Nous avons pensé qu’il fallait que le monde de l’#entreprise et celui de l’Université se rencontrent. (...) Nous sommes rapidement arrivés à la conclusion que ces rencontres ne pouvaient être fécondes et durables que si nous avions des actions concrètes à mener, ce qui exigeait un cadre juridique et de l’argent. Alors nous avons cherché des adhérents, d’où un aspect club. Chacun a rassemblé ses amis. François Furet et Pierre Rosanvallon dans l’Université, Alain Minc et moi dans le monde de l’entreprise. »

      Ces confrontations auraient eu pour objet de surmonter « l’indifférence, l’incompréhension et même la défiance » entre ces deux planètes (Université, entreprise) et de favoriser « une fertilisation croisée », assise sur des « besoins » réciproques. Président de Saint-Gobain, M. Roger Fauroux avait, avant d’implanter une usine de verre en Iran, vérifié les ressources du pays en hydrocarbures, mais omis de prendre en compte l’influence chiite à la veille de la révolution islamique. Tirant les leçons d’une telle expérience, il souligne le « besoin de sciences sociales » que ressentiraient des chefsd’entreprise.

      Or, de leur côté, des intellectuels souhaitaient eux aussi, selon lui, ne pas se cantonner à la sphère spéculative et sortir de « leur tour d’ivoire, où n’arrivaient de l’#économie que les échos des catastrophes sociales ». Traduction immédiate : François Furet et Pierre Rosanvallon participèrent aux conseils d’administration de filiales de Saint-Gobain...

      La Fondation Saint-Simon
      http://www.fondation-copernic.org/spip.php?article106

      La Fondation Saint-Simon a été fondée en décembre 1982, sous l’impulsion de François Furet et Roger Fauroux (co-présidents), Pierre Rosanvallon (secrétaire général), Alain Minc (trésorier), Emmanuel Le Roy-Ladurie, Pierre Nora, Simon Nora, bientôt suivis par Jean-Claude Casanova, Jean Peyrelevade et Yves Sabouret (administrateurs). Il s’agissait de « développer l’analyse du monde contemporain », comme le Club Jean Moulin l’avait fait en son temps. Roger Fauroux se souvient de ces débuts dans Le Débat (1986, n°40) : « Nous avons pensé qu’il fallait que le monde de l’entreprise et celui de l’Université se rencontrent. [...] Nous sommes rapidement arrivés à la conclusion que ces rencontres ne pouvaient être fécondes et durables que si nous avions des actions concrètes à mener, ce qui exigeait un cadre juridique et de l’argent. Alors nous avons cherché des adhérents, d’où un aspect club. Chacun a rassemblé ses amis. François Furet et Pierre Rosanvallon dans l’Université, Alain Minc et moi dans le monde de l’entreprise . » Alain Minc, reformulant la rhétorique aronienne, parle d’une alliance entre « la gauche intelligente et la droite intelligente » (Les Echos, 4-5 avril 1997).

      Pendant 17 ans, la Fondation va rassembler l’élite dirigeante française. Aux côtés de François Furet, on trouve donc Roger Fauroux (énarque et inspecteur des finances, successivement président de Saint Gobain, directeur de l’ENA, ministre de l’industrie dans le gouvernement de Michel Rocard de 1988 à 1991), Pierre Rosanvallon (ancien conseiller d’Edmond Maire, devenu directeur de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, directeur du Centre de recherches politiques Raymond Aron, professeur au Collège de France), Alain Minc (passé par Saint-Gobain et l’italien Benedetti, conseiller économique d’Edouard Balladur, par qui il est nommé au conseil d’administration d’Air France, avant de se rallier à Lionel Jospin, administrateur d’Yves Saint Laurent, consultant auprès de plusieurs grands chefs d’entreprises, dont François Pinault, président du conseil de surveillance du Monde et président de la société des lecteurs), Simon Nora (grand commis de l’Etat, l’un des fondateurs de L’Express puis du Point, alors directeur de l’ENA, qui rejoindra la banque d’investissement américaine Shearson Lehman Brothers en 1986). Les saint-simoniens sont des philosophes (Alain Finkielkraut, Edgar Morin, Luc Ferry), des éditeurs (Pierre Nora des éditions Gallimard, Yves Sabouret d’Hachette), mais surtout des journalistes (Françoise Giroud de L’Express, Jean Daniel, Jacques Julliard et Laurent Joffrin du Nouvel observateur, Franz-Olivier Giesbert du Figaro, Serge July de Libération, Jean-Marie Colombani du Monde, Albert du Roy de L’Evénement du Jeudi, Jean Boissonat de L’Expansion, Alain Duhamel), des journalistes de télévision (Anne Sinclair, Christine Ockrent, Jean-Pierre Elkabbach, Michèle Cotta), des patrons de presse (Jacques Rigaud, président de la CLT (RTL), membre du conseil de surveillance de Bayard-Presse (La Croix), Marc Ladreit de Lacharrière, président de Fimalac, vice-président de L’Oréal, qui contrôle la SOFRES et diverses publications (Le Spectacle du Monde, Valeurs actuelles...), également vice-président de la Fondation Agir Contre l’Exclusion de Martine Aubry), des hauts fonctionnaires (Pierre-Yves Cossé, commissaire général au Plan), des patrons d’entreprise (Jean-Luc Lagardère, président du groupe Matra-Hachette, Antoine Riboud, président de Danone, Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, ancien vice-président de la Compagnie Générale des Eaux, Maurice Lévy, PDG de Publicis), des banquiers (Jean-Claude Trichet, gouverneur de la banque de France, Michel Albert, membre du conseil de la politique monétaire de la Banque de France, Jean Peyrelevade président du Crédit Lyonnais, René Thomas, président de la BNP), et des politiques (Martine Aubry, Robert Badinter, Jean-Paul Huchon, Bernard Kouchner), dont certains venus de l’entreprise (Francis Mer, directeur général d’Usinor-Sacilor, Christian Blanc, président d’Air France) ou allés à elle (Philippe Pontet, conseiller ministériel auprès de Valéry Giscard d’’Estaing).
      Au nombre des contributeurs de la Fondation, on compte la Caisse des dépôts, Suez, Publicis, la Sema, le Crédit local de France, la banque Worms, Saint-Gobain, BSN Gervais-Danone, MK2 Productions, Cap Gemini Sogeti, Saint- Gobain... La Fondation Olin verse à elle seule quelque 470 000 dollars à François Furet, enseignant à l’université de Chicago depuis 1985, au titre de son programme d’étude des révolutions américaine et française, à l’époque de leur bicentenaire . Environ 100 membres cooptés participent à des rencontres régulières à huis clos. C’est rue du Cherche-Midi que se tient le déjeuner-débat mensuel organisé autour de l’exposé d’un des membres ou d’un invité. Helmut Schmidt et Raymond Barre, Mgr Lustiger, Robert Badinter, Jacques Chirac, Edmond Maire, Michel Rocard, Laurent Fabius, Valéry Giscard d’Estaing... se sont succédé au siège de la Fondation. La quasi-totalité des premiers ministres français y ont commenté leur politique. Un cercle plus large de 500 personnes participe sur demande à des séminaires interdisciplinaires, tandis qu’un public plus vaste reçoit une note de synthèse mensuelle. L’activité principale de la Fondation regarde la réunion de groupes de réflexion traitant des questions économiques, sociales ou internationales. Les travaux sont édités sous forme d’ouvrages ou de notes. Ces travaux s’adressent surtout à des hommes politiques, chefs d’entreprise, cadres supérieurs, hauts fonctionnaires, ainsi qu’à quelques intellectuels et à un nombre croissant de journalistes, économiques notamment. Certains de ces textes sont parfois publiés à l’extérieur, dans Le Nouvel Observateur, Esprit, Le Débat, Politique internationale, etc. La Fondation diffuse aussi des livres : elle dirige la collection « Liberté de l’esprit », aux éditions Calmann-Lévy.
      La Fondation Saint-Simon s’est dissoute en 1999. Selon Pierre Rosanvallon, elle avait « accompli sa mission ». Le bilan de la Fondation Saint-Simon a été salué de tous côtés : « Elle a œuvré à une véritable mutation du débat socio-politique en France », déclarait Denis Segrestin, professeur de sociologie et directeur du Cristo.
      La canonisation libérale de Tocqueville (Encadré 17, Chapitre 3), Claire Le Strat et Willy Pelletier, Syllepse, 2006.

      Parenthèse d’actu, si souvent oubliée : Aubry en a « ralbol de Macron » lit on dans le journal. Elle fut pour sa part non pas banquière mais pédégére dune des plus grosses boites française, ex bras droit de Jean Gandois, ex président du CNPF (ancêtre du Medef) à la direction de Péchiney.

    • Une recherche sur Wikipédia sur Pierre Nora, cofondateur avec Pierre Rosanvallon de la Fondation Saint Simon, et notamment ayant un certain pouvoir et un certain rôle dans le monde de l’édition :

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Pierre_Nora#Critiques_et_controverses

      Le pouvoir certain de Pierre Nora dans le monde de l’édition française l’a exposé à des critiques. Ainsi, il refuse en 1997 de faire traduire l’ouvrage d’Eric Hobsbawm The Age of Extremes (1994), en raison de l’« attachement à la cause révolutionnaire » de son auteur.

    • you’re welcome. une chose étrange est le peu de consistance de ce que dit Badiou face à ce gars (Rosanvallon est depuis longtemps membre du #Siècle), comme si il voulait croire que les derniers entrechats de Rosanvallon sur la scène intellectuelle (démocratie bla bla bla) constituait une amorce de retour critique... c’est pourquoi j’ai posé de maigres références pour situer rapido la #fondation_Saint_Simon, dont le rôle dans la glorification socialiste de l’entreprise « seule productrice de richesse » (comme il fut dit autrefois du travail...) et « coeur de la société », dès les années 80, préparait la « #refondation_sociale_patronale » qui donna lieu à la création du Medef à la fin des années 90.

      Dès l’orée des années 80, le P.S est l’ardent promoteur colberto-saint simonien des intérêts de la grand industrie (précarisation de l’emploi ++ et licenciements massifs), tout en faisant l’apologie de l’entrepreneur « individuel » (Tapie nommé ministre...) comme forme de vie exemplaire, à reproduire par chaque un.

      #domination ; succès de la #lutte_de_classe (la leur)

    • Finalement, est-il possible de prendre partie pour la démocratie au sens ethymologique et grecque du terme, lorsqu’on appartient à des clubs privés qui maintiennent en place l’#oligarchie ? En effet le nombres de publications et de conférences sur le thème de l’#égalité ("La société des égaux" par exemple) de Pierre Rosanvallon pousse à penser qu’il est défenseur et promoteur de la démocratie, et que ses recherches vont dans ce sens. Mais avec un doute qui peut émerger en arrière fond.

      Lorsqu’on le présente dans les médias, ce qui est drôle c’est qu’on ne restitue pas son parcours académique, le fait qu’il fait partie des universitaires qui se sont rapprochés de l’oligarchie ou de la #synarchie.

      cc @colporteur

      PS : mais la question à se poser est « à qui ses recherches s’adressent véritablement ; quel sont les destinataires du message ? », et la réponse est certainement l’élite et l’oligarchie.

    • Un complément d’info qui répond à sa façon à la question à qui s’adresse cet « expert » (et bien d’autres), à nous tous pour nous coloniser le temps de cerveau disponible et corrompre la réflexion.
      Pierre Rosanvallon, un évangéliste du marché omniprésent dans les médias, Acrimed
      http://www.acrimed.org/Pierre-Rosanvallon-un-evangeliste-du-marche-omnipresent-dans-les-medias

      État, experts, média, telle est la multitudinaire sainte trinité du dieu économie, ou si on préfère, de la #politique_du_capital.

  • Sur la "marche républicaine" du 11 janvier 2015

    La grande émotion ressentie instantanément par un grand nombre de français s’est traduite par une manifestation sans précédent semble t-il - plus de 4 millions personnes - dans un pays dans une profonde crise économique et sociale depuis de longues années peut étonner à plus d’un titre, si on considère que les motifs principaux sont la défense de la liberté d’expression et la condamnation du terrorisme. Bien entendu, ce sont des causes louables, mais tout de même, jamais la lutte contre le chômage, l’emploi ou la défense des acquis sociaux n’ont poussé autant de monde à défiler dans la rue. Après tout, Paris n’est pas Bagdad, où le terrorisme fait des dizaines de morts par jour au point que la question sécuritaire est devenue fondamentale et vitale pour l’Etat irakien. Quel serait le motif inavoué de cette marche sans précédent ? Esquisse d’une réponse.

    Le dernier billet de Frédéric Lordon, "Charlie à tout prix ?" publié sur son blog "Pompe à Phynance" sur le site du Monde diplomatique, pos s’interroge sur le sens de l’expression "Je suis Charlie" repris quasi-instantanément par des millions de personnes à travers le monde suite à l’attentat contre le journal satirique Charlie Hebdo le 7 janvier dernier.

    Commençons par un extrait de son billet :

    " "Je suis Charlie". Que peut bien vouloir dire une phrase pareille, même si elle est en apparence d’une parfaite simplicité ? On appelle métonymie la figure de rhétorique qui consiste à donner une chose pour une autre, avec laquelle elle est dans un certain rapport : l’effet pour la cause, le contenu pour le contenant, ou la partie pour le tout.

    Dans « Je suis Charlie », le problème du mot « Charlie » vient du fait qu’il renvoie à une multitude de choses différentes, mais liées entre elles sous un rapport de métonymie.

    Or ces choses différentes appellent de notre part des devoirs différents, là où, précisément, leurs rapports de métonymie tendent à les confondre et à tout plonger dans l’indistinction.Charlie, ce sont d’abord des personnes humaines, privées – par bonheur, on s’est aperçu rapidement que dire simplement « Charlie » pour les rassembler faisait bon marché de deux policiers, un agent de maintenance, un malheureux visiteur de ce jour là, et puis aussi de cinq autres personnes, dont quatre juives, tuées les deux jours d’après. Sauf à avoir rompu avec toute humanité en soi, on ne pouvait qu’être frappé de stupeur et d’effroi à la nouvelle de ces assassinats.

    (...) Et voici donc le deuxième sens possible de « Charlie » : Charlie comme métonymie des principes de liberté d’expression, des droits à exprimer sans craindre pour sa sécurité, tels qu’ils sont au cœur de notre forme de vie.(...)

    On pouvait donc sans doute se sentir Charlie pour l’hommage aux personnes tuées – à la condition toutefois de se souvenir que, des personnes tuées, il y en a régulièrement, Zied et Bouna il y a quelque temps, Rémi Fraisse il y a peu, et que la compassion publique se distribue parfois d’une manière étrange, je veux dire étrangement inégale.On pouvait aussi se sentir Charlie au nom de l’idée générale, sinon d’une certaine manière de vivre en société(...)

    Mais les choses deviennent moins simples quand « Charlie » désigne – et c’est bien sûr cette lecture immédiate qui avait tout chance d’imposer sa force d’évidence – quand « Charlie », donc, désigne non plus des personnes privées, ni des principes généraux, mais des personnes publiques rassemblées dans un journal."

    Si le crime est inacceptable : "mourir pour des caricatures" , c’était malheureusement prévisible car la rédaction s’était mise en danger selon le témoignage d’un des anciens de Charlie Hebdo, Delfeil de Ton, qui a déclaré en vouloir à Charb (Stéphane Charbonnier), le directeur de la rédaction de Charlie, d’avoir fait de la surenchère avec ces caricatures et d’avoir mis selon lui la vie de la rédaction en danger.

    Même Wolinski, selon Delfeil, aurait tenu les propos suivants : "Je crois que nous sommes des inconscients et des imbéciles qui avons pris un risque inutile. (…) On fait de la provocation et puis un jour la provocation se retourne contre nous. Il ne fallait pas le faire". Pourtant Charb a "recommencé", lui reproche Delfeil de Ton. En 2012, Charlie Hebdo publie de nouvelles caricatures de Mahomet, condamnées par plusieurs instances religieuses et des politiques.

    Je ne justifie pas ce crime, loin s’en faut. J’ai été choqué d’apprendre la mort de Cabu que j’appréciais du temps où il y avait encore des émissions de télévision où l’on pouvait débattre, c’était le temps de l’émission "Droit de réponse" de Michel Pollack au début des années 1980.

    Si la religion a été désacralisée en Europe, ce n’est pas le cas pour le reste du monde, et cela ne se limite pas à ce que l’on appelle l’"Orient". Car même les plus hautes autorités religieuses chrétiennes d’Orient ont condamné ces caricatures à commencer par Tawadros II le patriarche des coptes , la plus importante communauté chrétienne du Moyen-Orient, qui a déclaré que « L’insulte est refusée à n’importe quel niveau. »

    Quant au pape François, il a déclaré qu’ « on ne peut provoquer, on ne peut insulter la foi des autres, on ne peut la tourner en dérision », lors d’une conférence de presse dans l’avion qui le conduisait de Colombo à Manille, comme on l’interrogeait sur les caricatures de l’hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo.

    Il est plus que probable que la voix du pape François soit plus audible en dehors du continent européen.

    Je vais rappeler plusieurs faits survenus ces 10 dernières années. En 2003, le roman de Dan Brown, Da Vinci Code, paraît et se vendit à 86 millions d’exemplaires et fut traduit en 40 langues. Il sera adapté au cinéma en 2006 avec des acteurs prestigieux et célèbres comme l’américain Tom Hanks et la française Audrey Tautou. De quoi s’agissait-il ? C’était un roman de fiction basé sur plusieurs théories selon lesquelles le Christ avait eu un enfant issu de sa relation avec Marie-Madeleine et aurait même une descendance qui aurait perduré jusqu’à nos jours.

    Je me souviens à l’époque que l’ouvrage avait été interdit au Liban et dans tout le Moyen-Orient suite aux pressions de l’Eglise maronite du Liban (qui est minoritaire) et en Egypte par l’Eglise copte également minoritaire (15% de la population). Un de mes amis qui vit au Liban m’avait demandé à l’époque de lui acheter le roman et de le lui amener personnellement lors d’une visite, car même les colis postaux étaient scrutés.

    Lorsque trois ans plus tard, le film était sorti sur les écrans : le film fut interdit au Liban, en Jordanie, en Egypte en Chine (!) - pays dont la communauté chrétienne est extrêmement minoritaire -, au Pakistan, au Sri Lanka, dans certaines provinces en Inde, aux Philippines, en Thaïlande, à Singapour...Quant à la très catholique Amérique latine, elle a suivi les consignes du boycott qui appelait au boycott du film.

    Aux Etats-Unis, des manifestations appelant au boycott avaient eu lieu. Vous en conviendrez avec moi que cela fait beaucoup de monde tout de même et que le caractère sacré du Christ est encore majoritairement perçu dans un grand nombre de pays abritant des communautés chrétiennes dans le monde.

    Toujours à la même époque, "La passion du Christ" de Mel Gibson sorti sur les écrans au printemps 2004 avait suscité de très vives réactions en Amérique et en Europe car il a été jugé "antisémite"...De quoi s’agissait-il encore ? Il était question des dernières du Christ, son procès, ses souffrances, ses supplices et sa mort sur la Croix puis sa résurrection. Le film était d’une violence crue et se voulait une description réaliste de ce que le Christ avait enduré. Le film fut attaqué par des organisations juives qui considéraient que c’était une attaque contre tous les Juifs du monde et la 20th Century Fox avait subi maintes pressions mais ne céda pas.

    Je ne me souviens pas que "la liberté d’expression" fut lancée comme leitmotiv dans les deux cas cités plus haut et surtout pas pour Mel Gibson dans les médias dominants du main-stream catalogué depuis comme une sorte d’icône de l’antisémitisme.

    Mais ce n’est pas le plus important à mes yeux :

    La loi n° 90-615 du 13 juillet 1990 dite loi Fabius-Gayssot (du nom du député communiste Jean-Claude Gayssot) a tendance à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe,c’est une loi française qui a innové par son article 9, qui qualifie de délit la contestation de l’existence des crimes contre l’humanité, tels que définis dans le statut du Tribunal militaire international de Nuremberg en 1945, qui ont été commis soit par les membres d’une organisation déclarée criminelle en application de ce statut soit par une personne reconnue coupable de tels crimes.

    À l’époque du vote, la droite parlementaire, majoritaire au Sénat s’était opposée à cette loi portant selon elle atteinte à la liberté d’expression. Le Sénat avait procédé à des votes de rejet les 11, 29 et 30 juin 1990. Parmi les hommes politiques opposés à cette loi, on peut citer Dominique Perben, Pascal Clément, François Fillon, Gilles de Robien, Jean-Louis Debré, Pierre Mazeaud et Jacques Chirac, Jean Foyer, Jacques Toubon, Alain Peyrefitte et même Simone Veil.

    Jacques Toubon, qui n’était encore que député, déclara : « Je suis contre le délit de révisionnisme, parce que je suis pour le droit et pour l’histoire, et que le délit de révisionnisme fait reculer le droit et affaiblit l’histoire » (AN, 3e séance du 21 juin 1991). L’opposition est aussi venue d’intellectuels et notamment d’historiens : « la grande majorité des historiens » selon les termes de Pierre Vidal-Naquet (Le Monde, 4 mai 1996) ; les historiens Pierre Nora, François Furet et François Bédarida. Mais aussi d’écrivains comme Michel Tournier, Michel Houellebecq, Jean Daniel et Alain Robbe-Grillet, de magistrats comme Philippe Bilger, de journalistes comme Philippe Tesson et Ivan Rioufol et de philosophes comme Paul Ricœur.

    Jacques Chirac qui fut élu président de la République cinq ans plus tard, en 1995, disposait d’une majorité parlementaire et sénatoriale sans précédent, mais il n’avait pas jugé bon de revoir cette loi. Il avait en revanche, en juillet 1995, lui, l’héritier du général de Gaulle, rompu avec la doctrine gaulliste en reconnaissant la responsabilité de l’Etat français pour la déportation des juifs en Allemagne alors que c’était le gouvernement illégitime de Vichy qui était responsable - position maintenue par tous les présidents de la quatrième et cinquième République - François Mitterrand compris.

    Malheureusement, la loi Fabius-Gayssot est toujours en vigueur et plus grand monde n’appelle à son abrogation. Caricaturer Mahomet ou le Christ est une chose normale. En revanche, peut-on caricaturer la "Shoah" sans être inquiété et sans être passible de poursuites judiciaires ?

    Je souhaiterais quand même dire un mot sur une certaine hypocrisie et sur cette unanimité et héroïsation imposées par les médias. Charb était soutien du parti communiste français (PCF) depuis longtemps . À l’occasion des élections européennes de 2009 et des élections régionales françaises de 2010, il apporte son soutien au Front de gauche. Il était le compagnon de Jeannette Bougrab, fille de harki, islamophobe, membre de l’UMP, ancienne secrétaire d’Etat à la jeunesse du gouvernement Fillon et sarkozyste notoire...

    On comprend mieux pourquoi la famille de Charb a formellement démenti cette liaison alors que les preuves de cette liaison s’accumulent sur les réseaux sociaux : cela fait mauvais genre une liaison entre un gauchiste et une néo-conservatrice pur-jus pour ne pas dire "hallal"...

    Enfin, ce "11 septembre à la française" ne va tarder à porter ses fruits amers au proche et moyen-Orient- et c’est un euphémisme . François Hollande a présenté ses vœux aux armées le 14 janvier 2015 et a décidé de revoir la baisse programmée des effectifs de l’armée. Il va envoyer le porte-avions nucléaire le Charles-de-Gaulle aux larges des eaux syriennes pour éventuellement bombarder l’Etat islamique en Irak avec l’efficacité que l’on sait au vu des précédents américains en Irak, Pakistan, et Libye pour ne citer que les plus récents, alors que l’attentat contre Charlie Hebdo a été revendiqué par Al-Qaeda au Yemen...allez comprendre quelque chose.

    L’attentat du 11 septembre 2001 avait été perpétré par 19 terroristes dont 15 d’entre eux étaient de nationalité saoudienne. Ils avaient fait leur coup à l’aide de cutters qu’on achète en papeterie, ils ne disposaient pas d’armes de feu. Quelle fut la réaction de la "plus grande démocratie du monde" ? Cela a été de mobiliser 150 000 soldats, de raser l’Afghanistan, l’Irak, puis le Pakistan en faisant des centaines de milliers de victimes....

    14 ans plus tard, Al-Qaeda est encore plus forte que jamais et elle a engendré des monstres encore plus sanguinaires car elle a su créer des réseaux sociaux dans les populations qui ont subi les bombardements atroces des forces coalisées occidentales. La réponse adéquate aurait dû être l’affaire du contre-espionnage : plus discrète et mieux ciblée. Mais surtout, demander à l’Arabie Saoudite de rendre des comptes. Que nenni, rien de tout cela.

    Le philosophe italien Girogio Agamben, disciple de Michel Foucault, a écrit dans un récent article paru dans le Monde diplomatique de janvier 2014, intitulé "Comment l’obsession sécuritaire fait muter la démocratie" les lignes suivantes à propos de la politique de gouvernement telle qu’elle est pratiquée en général en Europe, je le cite :

    L’Etat dans lequel nous vivons à présent en Europe n’est pas un Etat de discipline, mais plutôt — selon la formule de Gilles Deleuze — un « Etat de contrôle » : il n’a pas pour but d’ordonner et de discipliner, mais de gérer et de contrôler. Après la violente répression des manifestations contre le G8 de Gênes, en juillet 2001, un fonctionnaire de la police italienne déclara que le gouvernement ne voulait pas que la police maintienne l’ordre, mais qu’elle gère le désordre : il ne croyait pas si bien dire.

    Autrement dit, on ne s’occupe pas des causes, on gère simplement les effets.

    La plus grande manifestation jamais organisée en France, dite "marche républicaine" du dimanche 11 janvier 2015 s’est déroulée sans incident à Paris : 1.5 à 2 millions de manifestants à Paris, un chiffre qui est donc supérieur au défilé de la Libération du 25 août 1944 qui sonnait le glas de l’occupation nazie dans la capitale française.

    Au total, les manifestants étaient 4 millions dans toute la France et seul, peut-être, le Front populaire de 1936 peut soutenir la comparaison. Si la Libération de Paris d’août 1944 reste dans la mémoire collective comme le début de la fin de la barbarie nazie, et le Front populaire de 1936 comme l’invention des congés payés, la découverte du temps libre, les vacances bref, une émancipation majeure pour la classe ouvrière et les salariés. La "marche républicaine du 11 janvier 2015 ne me paraît pas vouée au même illustre destin.

    Car comme le rappelle justement Frédéric Lordon, journaliste au Monde diplomatique et auteur du billet "Charlie à tout prix ? " le 13 janvier 2015, je le cite :

    (...) On ne sache pas cependant qu’il soit resté grand-chose des manifestations monstres de Carpentras [de mai 1990 en réaction à la profanation des tombes juives du cimetière de Carpentras] et du 1er mai 2002 [manifestation du « front républicain » en réaction à la présence de Jean-Marie Lepen au second tour des élections présidentielles de 2002] , effusions collectives qui avaient déjà hystérisé le commentariat, mais dont on doit bien reconnaître que la productivité politique aura été rigoureusement nulle.

    Pour ma part, j’observe que la loi Fabius-Gayssot de juillet 1990 a été votée deux mois après la profanation des tombes de Carpentras qui fut la conséquence directe de cet événement qui, depuis, s’est dissipé dans les limbes de la mémoire collective.Ce fut une loi qui a été portée par l’émotion collective instantanée et s’est traduite par le vote d’une loi liberticide.

    De même, la réélection de Jacques Chirac à un score soviétique de 82 %, n’a t-elle, elle aussi, laissé des traces dans nos mémoires si ce n’est une fin de règne plombée par divers scandales comme les fameux frais de bouche de 4000 francs quotidiens lorsqu’il était maire de Paris...Et son slogan de la "fracture sociale" usé jusqu’à la corne lors de son élection de 1995 a été voué à un oubli collectif tout aussi profond que le précédent.

    Je me souviens aussi, que lorsque mes amis et moi allions manifester en juillet 2014 pour les enfants palestiniens de Gaza, massacrés et atrocement mutilés par centaines par des chasseurs F-16 israéliens - crimes bien plus barbares que ceux de Charlie Hebdo - le Tribunal administratif de Paris avait interdit le 25 juillet 2014 la manifestation pro-palestinienne qui devait avoir lieu le lendemain sous le motif de "la nécessité de prévenir d’éventuels débordements".

    Nous n’étions que quelques milliers alors que le 11 janvier 2015, il n’y a pas eu de débordements car les mesures de sécurité adéquates ont été prises.L’interdiction de manifester du 25 juillet 2014 fut une décision sans précédent dans l’histoire de la Cinquième République ! On peut gérer une manifestation de plusieurs millions de personnes mais pas une manifestation de quelques milliers...

    Qu’en sera-t-il du 11 janvier 2015 ? Est-ce vraiment la "victoire de la liberté de l’expression" alors qu’elle n’a pas cessé d’être encadrée juridiquement depuis des décennies et que certaines voix commencent à dénoncer un "Patriot Act à la française" à venir ? Il serait salutaire de questionner cet événement et de voir ce qu’il signifie au fond.

    Le 25 juin 1958, l’écrivain André Malraux, ministre des affaires culturelles du général de Gaulle, avait tenu lors d’une conférence de presse, les propos suivants, je le cite :

    Depuis que la France a laissé aux américains le soin de signifier la puissance et aux russes, naguère, le soin de signifier la justice, il y a un malaise profond en France qui demeure. Les français ne pardonnent ni aux uns ni aux autres ni à eux mêmes d’être devenu un peuple sans mission [...] Nous voulons proposer à la France une sorte de mission nouvelle et de nouveau lui donner l’occasion de signifier quelque chose.

    "Un peuple sans mission". En réalité, les français ne l’étaient plus depuis la Commune de Paris de 1871. Après la défaite de Sedan de 1870, c’est une très lente régression ponctuée par de terribles tragédies notamment la première guerre mondiale qui a littéralement éventré la pyramide des âges en laissant un vide d’au moins un million de jeunes hommes dans la force de l’âge morts pour si peu. Suivront quelques sursauts mais sans lendemain.

    La seconde guerre mondiale et la défaite de mai 1940 avait succédé au Front populaire. Par la suite, ils allaient à chaque fois s’engouffrer dans des entreprises coloniales et impériales comme en Indochine puis en Algérie. La guerre de Suez allait définitivement la reléguer à un rôle secondaire.

    Malgré cela, la France a pu être audible et entendue durant la présidence du général de Gaulle car sa diplomatie se voulait autre chose que se limiter au choix entre l’alliance atlantique dominée par les Américains et le bloc communiste de l’Est dominé par l’URSS. Cette parenthèse de la politique de la grandeur gaullienne allait durer 12 ans jusqu’à la disparition de De Gaulle et encore l’Etat profond français ne suivait pas toujours notamment durant l’affaire de Mehdi Ben Barka (assassinat de l’opposant marocain grâce à une opération conjointe entre les services secrets français, marocains et probablement la CIA) et le contournement discret de l’embargo sur la vente d’armes aux arabes et aux Israéliens suite à la guerre des six jours de juin 1967 en faveur d’Israël.

    Des slogans comme "liberté d’expression", "Patrie des droits de l’Homme" etc...sont des expressions qui sont vidées de leur substance dès qu’il s’agit de les appliquer à des non-européens. Quel est le projet ? rien. L’Union nationale qui s’est traduite par une manifestation comme on en voit une ou deux fois dans un siècle pour une liberté d’expression tronquée...A croire qu’il n’y pas de chômage, pas de crise économique,pas de crise du logement, pas de système éducatif en déliquescence, pas de jeunesse à la dérive. Non rien de tout cela. Un naufrage politique qui dure depuis plus de 40 ans.

    A se demander s’il s’agit bien de la patrie de René Descartes, père de la philosophie moderne, ou bien celle de Jean-Paul Sartre ou encore de Jean-Jaurès, des hommes qui lui ont permis de lui "sauver la face" et de prétendre encore qu’elle était encore la France des idéaux de 1789.

    Quelle sera la réponse ? Un sommet anti-terroriste à Washington le 18 février qui réunira tous les pays de l’Otan alors que c’est la France qui a été touchée et non les Etats-Unis. Cela n’augure rien de bon non pas pour les terroristes mais pour les peuples du proche et moyen-Orient. On sait depuis longtemps que la Turquie soutient, abrite et sert de transit pour les djihadistes syriens et que le Qatar finance. Evidemment, la Turquie est membre de l’Otan et le Qatar investit massivement en France.

    Je n’ai rien contre le peuple américain, je dis bien le peuple américain et non leur gouvernement. Encore moins contre les Européens. Et encore moins contre mes compatriotes français.

    Mais je ne peux pas m’empêcher de ne pas penser à ces derniers mots en guise de conclusion de l’ouvrage de Frantz Fanon, "les damnés de la terre" écrit en 1961 en pleine guerre d’Algérie et préfacé par Jean-Paul Sartre, je le cite :

    Allons, camarades, il vaut mieux décider dès maintenant de changer de bord (...) Quittons cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre, à tous les coins de ses propres rues, à tous les coins du monde.Voici des siècles que l’Europe a stoppé la progression des autres hommes et les a asservis à ses desseins et à sa gloire ; des siècles qu’au nom d’une prétendue « aventure spirituelle » elle étouffe la quasi totalité de l’humanité. Regardez-la aujourd’hui basculer entre la désintégration atomique et la désintégration spirituelle.

    Un autre sens de la "marche républicaine" du 11 janvier 2015, c’est aussi une invitation aux musulmans et aux arabes à quitter justement "cette Europe qui n’en finit pas de parler de l’homme tout en le massacrant partout où elle le rencontre...>>

  • Vichy et la nationalité - La Vie des idées
    http://www.laviedesidees.fr/Vichy-et-la-nationalite.html

    Sous le régime de Vichy, la remise en cause du Code de la nationalité a frappé plus de 15 000 personnes. Une micro-analyse permet de retracer les parcours des victimes de ce processus de dénaturalisation, parmi lesquelles Chagall, Gainsbourg, Derrida ou Jean Daniel.