person:jean-claude milner

  • Bienvenue aux étrangers (2011)

    Le débat politique n’est plus qu’un alignement de chiffres : à celui de la dette répond celui des quotas ; à celui de la croissance fait face celui du chômage... et ainsi de suite. Les uns brandissent les profits, les autres les pertes ; mais chaque alignement de chiffres n’est qu’un prétexte pour opprimer un peu plus l’humanité. Comment parler de démocratie quand le discours politique se réduit à une si mesquine comptabilité ? Le taux d’abstention, de plus en plus élevé à chaque élection, ne progresse pas ainsi par hasard : il traduit le refus de cet esprit boutiquier. Il en constitue une véritable remise en question.

    Tyrannie des Chiffres : Comment les Politiciens ont Enterré la Créativité

    Actuellement, ce que l’on nomme politique n’est plus qu’une affaire de « représentants » entre eux. Les « élus », les « experts », les « people » et autres « grands journalistes » se sont constitués en classe sociale, en caste même, séparée du commun de la population, séparée du « demos ». Ils se reproduisent entre eux et sont, dans le fond, d’une impressionnante homogénéité idéologique. Reproduction entre eux, que l’on pourrait qualifier de consanguine (comme pour les anciennes monarchies), oui, puisque du Parti communiste au Front national, en passant par les syndicats, le monde du spectacle et celui de la presse en passant par celui de la finance et d’une certaine pègre « haute de gamme » [1], on ne compte plus les « fils ou filles de... » qui succèdent à leur père ! Homogénéité idéologique encore plus, puisque ces individus sont les producteurs et les détenteurs des chiffres. Ce sont eux qui les choisissent [2], ce sont eux qui les font parler, ce sont eux qui imposent l’ordre des choses. Ils sont tellement pareils, tellement frères et soeurs que même la variété apparente des partis en présence et la multiplicité des candidats ne parvient plus à cacher l’héritabilité du pouvoir et de l’argent. Cette réduction du champ de l’exercice du politique à une caste d’individus qui voudrait faire croire que « ce sont les choses qui décident » et non les hommes [3], s’accompagne de la réduction effrayante de la créativité dans tout le champ sociétal avec toutes les conséquences négatives que cela comporte. L’absence de perspectives collectives et les angoisses individuelles qui découlent de ce rétrécissement de la pensée, produisent une société de la peur, véritable antithèse d’une société humaine et libre. Ce à quoi nous assistons c’est l’enterrement de toute créativité, de tout imaginaire, de tout idéal. C’est le triomphe de la mesquinerie généralisée, telle qu’elle fut introduite en France dès les années 80 par les partis de gauche alors au pouvoir. On se souvient de la phrase scandaleuse, lancée par un certain Michel Rocard, alors Premier ministre [4] lequel avec sa « France qui ne peut pas accueillir toute la misère du monde » a commencé à jouer la politique du repli sur soi et a endossé sans complexe le rôle de fossoyeur du mot d’ordre de Mai 68 « L’imagination au pouvoir ». C’est dans le cadre du rabougrissement idéologique actuel que l’on peut comprendre en Europe le succès relatif des partis « nationaux-xénophobes » (ou, ce qui revient au même, en Belgique, Italie, Espagne et ailleurs, « régionalistes- xénophobes »). Ils sont l’aboutissement logique de cette restriction intellectuelle et mentale, de cette réduction du champ de l’imaginaire collectif et humain. Leur émergence se situe dans le droit fil d’une société qui se fige, qui assure la reproduction de père en fils (ou en filles) du pouvoir politique et financier, qui promeut les « valeurs » traditionnelles, les coutumes locales, les parlers régionaux... et toutes choses susceptibles d’enfermer les individus dans des cercles de plus en plus réduits. Ils sont les marqueurs d’une société et d’une politique dont, finalement, le seul projet réel est un rabougrissement interminable. D’une société dans laquelle se multiplient les interdits et les obligations infondées.

    D’une société qui vise à satisfaire les plus aigris en renforçant leur aigreur. D’une société où chaque échéance électorale n’est qu’un pas supplémentaire vers la déchéance morale. Quand des policiers n’hésitent plus à tendre des pièges contre des réfugiés tunisiens, coupables de n’être que ce qu’ils sont, de simples être humains venus chercher du réconfort auprès d’une antenne de la Croixrouge (comme cela s’est produit dernièrement en plein Paris), un pas de plus dans l’abjection a été commis. Dans cette société, la classe politicienne a fini de fermer toutes perspective généreuse, parce qu’à court terme, il est plus « rentable » électoralement d’en appeler à la bassesse qu’a la grandeur de l’humanité.

    Grandeur de l’homme : Il y a des moments où Devoir c’est Pouvoir

    Toute façon de concevoir la politique est liée à la conception que l’on se fait de l’Homme. C’est pourquoi l’helléniste Jacqueline de Romilly a consacré, peu avant de décéder, son dernier livre à la « Grandeur de l’Homme », grandeur qu’elle définit, dans le champ de la démocratie, comme une opposition aux égoïsmes : « Toutes les erreurs politiques viennent en fait de l’égoïsme avec lequel chacun intervient sans souci du bien commun » [5]. A la différence de ce que supposaient les idéologies dominantes du XXe siècle, ce combat concerne l’homme du présent, capable de son propre dépassement dans une action qui passe par chacun, une action qui consiste à cultiver cette grandeur de l’homme en combattant l’égoïsme, en remettant en avant la notion de générosité, ici et maintenant, chacun et ensemble.

    A la lumière de ce propos, on comprend qu’il existe deux façons de répondre aux problèmes posés par une actualité internationale aussi intense que tragique. La première, celle de la classe politicienne, consiste, en mettant en avant les fameux « chiffres », à exclure et à éliminer toujours plus d’êtres humains [6]. C’est fondamentalement une erreur politique parce que, menée dans toute sa logique, elle aboutit à la conclusion absurde d’une humanité qui ne serait plus dans l’Homme. La seconde est d’appréhender cette actualité difficile comme l’opportunité de renouer avec le cours historique de la pensée politique universelle, généreuse et humaniste, qui a traversé les siècles jusqu’à nous, celle dont l’action consiste à se dépasser soi- même et collectivement. Comme en toute chose, il faut savoir par quoi commencer. Remarquons d’abord comment les politiciens s’appliquent à dire ce que nous ne « pouvons » pas faire. Ce n’est pas pour rien qu’ils avancent « pouvons » et pas « voulons » (alors qu’en réalité on peut, mais ce sont eux qui ne veulent pas). Un premier pas est d’affirmer le contraire. D’affirmer que chacun peut faire quelque chose, avec ses moyens, qu’il peut le mettre en commun avec les autres pour que, au fur et à mesure, se généralise une prise de conscience de cette capacité collective. La proclamation de tout ce que nous pouvons faire, donnera à tous une force telle qu’elle se traduira par un élan collectif à la mesure des enjeux actuels. Il y a des moments où devoir c’est pouvoir. Dès aujourd’hui, affirmer chez soi, dans son quartier dans son entreprise, que, oui, on doit être capables de secourir et d’accueillir toutes les victimes des guerres et des catastrophes, à qui l’on peut tendre une main et des millions de mains, c’est contribuer à changer d’état d’esprit, celui qui raisonne non pas à partir de chiffres « prévus pour » mais en fonction de ce qui doit être fait pour le bien commun. Dès maintenant, dire bienvenue à tous les habitants de la planète qui sont en souffrance, c’est défier tous les boutiquiers de la politique, c’est poser que nous pouvons en finir avec la misère dans le monde parce que nous le devons à nous mêmes autant qu’aux autres.

    Alex

    [1] Parmi les derniers faits divers : une élue corse abattue, condamnée comme maquerelle et très liée au milieu. Sans compter le « parrain », dans tous les sens du terme, d’une personnalité politique de premier plan, en prison pour proxénétisme et banditisme

    [2] Évidemment, il y a les chiffres qui les arrangent et ceux dont il ne faut pas parler. Quand une haute responsable de France-Télécom se refuse à « tenir la comptabilité macabre des suicides dans son entreprise », elle sait ce qu’elle fait.

    [3] Interview de Jean-Claude Milner, propos recueillis par Josyane Savigneau, « Le Monde » du 05 février 2011.

    [4] Cet individu, issu de l’extrême- gauche (Parti socialiste unifié) avait fait carrière après avoir sabordé le PSU pour faire allégeance aux caciques du PS.

    [5] Jacqueline de Romilly « La grandeur de l’Homme au siècle de Périclès », Editions de Fallois, 2010.

    [6] Inutile de dire combien beaucoup de ceux qui veulent protéger leur égoïsme derrière toutes sortes de barrières (physiques, ethniques, linguistiques, religieuses...) feront progressivement les frais de cette politique : pour ceux qui choisissent la technique de « la peau de chagrin », il arrive toujours un moment ou il ne leur reste même plus assez de « peau » pour s’essuyer leurs larmes.

    Extrait d’@anarchosyndicalisme ! n°123

  • Sur le site de l’hebdomadaire Marianne en date du 7 octobre 2012, un débat entre Alain Badiou et Jean-Claude Milner dont voici le résumé de leur position-notamment sur le conflit entre les Palestiniens et l’Etat d’Israël.

    http://www.marianne.net/Badiou-et-Milner-les-meilleurs-ennemis_a223161.html

    et

    http://www.marianne.net/Badiou-et-Milner-les-meilleurs-ennemis_a223161_2.html

    Jean-Claude Milner :

    Je reprends volontiers la formule d’Alain Badiou : le XXe siècle a eu lieu. Mais ce qui a eu lieu, pour moi, c’est d’abord la découverte progressive que le nom ouvrier avait cessé de diviser. Il avait été le diviseur par excellence au XIXe siècle. Il cesse de l’être. Pourquoi ? A cause de la guerre de 1914. Les ouvriers, dans les nations industrielles, acceptent la mobilisation et l’union dans la guerre. Lénine porte sur ce point le juste diagnostic, mais il se trompe en pensant qu’il pourra ranimer la force de division du nom ouvrier, en passant par l’édification d’un Etat ouvrier. Le nom ouvrier, loin de diviser, va réunir ; il devient l’un des multiples synonymes de la cohérence sociale.

    Si le XXe siècle a eu lieu, c’est pour une seconde raison : le nom juif est redevenu un nom politique. C’est-à-dire un nom diviseur. Il l’avait été déjà. Je pense à l’affaire Dreyfus, qui d’un certain point de vue a appris la politique à une génération.

    Hitler a rouvert la question de la capacité de la politique à empêcher la mise à mort de l’adversaire. Il l’a rouverte principalement à propos du nom juif. Il a fait céder la politique ; la fin de la guerre a rétabli la politique, mais elle n’a pas refermé la question. Le nom juif est encore aujourd’hui le diviseur majeur, celui qui convoque la politique à sa limite.

    Cet ensemble de propositions affirmatives me conduit à émettre des critiques. 1) Je considère qu’Alain Badiou a sous-estimé la force imaginaire de l’antijudaïsme, aussi bien en France que hors de France. 2) Symétriquement, je considère qu’il a surestimé la portée politique du nom palestinien.

    Je m’explique. Selon moi, le nom palestinien ne divise qu’en apparence. Au contraire, il crée du consensus : au sein des honnêtes gens (je m’y inclus), qui considèrent tous que les Palestiniens sont dans le malheur ; au sein de ce qu’on appelle encore le « tiers-monde » ; de plus en plus au sein de la gauche euro-atlantique (Europe occidentale et Amérique). En tant qu’il divise en apparence, le nom palestinien promeut une apparence de politique. La question politique réelle apparaît avec le nom qui divise réellement : le nom juif.

    Alain Badiou :

    C’est bien à une mode intellectuelle que se rattachent des thèses comme « le nom ouvrier est mort, le retour du nom juif est notre événement ». Cette vision du siècle n’est-elle pas le fruit quelque peu sec d’un petit groupe de l’intelligentsia française entre 1974 et aujourd’hui ? N’est-ce pas Benny Lévy et ceux qui l’ont suivi, au nombre desquels Jean-Claude Milner, qui, déçus que les proclamations matamoresques de la Gauche prolétarienne ne les aient pas portés au pouvoir, se sont mis à critiquer férocement la « vision politique du monde » et le « progressisme », à jeter aux orties le mot « ouvrier », et bien d’autres avec lui, à faire de « juif » un nom hyperbolique, et de farouchement propalestiniens qu’ils étaient se sont, avec la même certitude d’être la fine fleur du temps, convertis au sionisme le plus intransigeant ? De tels revirements ont l’avantage de transformer un échec patent en lucidité supérieure, et d’être toujours dans le vent.

    Mais voyons les termes précis du litige. Pour commencer par les critiques les plus factuelles, je tiens à redire une fois de plus que je n’ai aucunement sous-estimé ou dénié l’existence, y compris aujourd’hui, y compris dans notre pays, de l’antisémitisme. Je renvoie à mes textes et aux actions auxquelles j’ai participé sur ce point. Mais ce que Jean-Claude Milner, lui, sous-estime de façon quasi monstrueuse, en fait nie, purement et simplement, c’est la puissance presque consensuelle, en France, en Europe sans doute, de l’hostilité aux Arabes et aux Africains noirs, sous le nom convenu d’« immigrés ». Je lui demande raison de cette dissymétrie. En ce qui concerne précisément les agissements de l’Etat d’Israël, ceux-là ne sont pas plus identifiables aux « juifs » que ne l’étaient ceux de Pétain ou de Sarkozy aux « Français », et même moins encore.

    Ensuite, au bas mot, dans ce conflit, le rapport entre les morts violentes de Palestiniens sous les coups des Israéliens et les morts d’Israéliens juifs sous les coups des Palestiniens est de cent pour un. Ceux qui ont dû fuir, abandonner leur terre, assister à la destruction de leurs maisons, être enfermés dans des ghettos et dans des camps, passer des heures pour aller d’un village à un autre, franchir des murs, ce sont les Palestiniens. On s’étonne que le sensible Milner ne soit pas, cette fois, du côté des corps parlants qu’on tue, qu’on humilie ou qu’on enferme. Dans de telles conditions, la question est de savoir par quels chemins passe la seule solution juste : un Etat moderne, c’est-à-dire un Etat dont la substructure n’est pas identitaire, mais historique. Un Etat qui solde cette guerre civile atroce en réunissant les deux parties.

    Ces remarques factuelles nous préparent à dire ceci : il est tout bonnement faux qu’un mot de la politique soit important (soit un « nom », admettons cette convention) à proportion de ce qu’il divise. Autant dire qu’en Amérique aujourd’hui le vrai nom de la politique est le « mariage gay ». Quant à chez nous, il serait plus justifié aujourd’hui que Jean-Claude Milner tienne pour des noms éminents les noms « Arabe » ou « Noir », pour ne rien dire d’« islam » et « islamisme », lesquels à l’évidence infiniment plus que le prédicat « juif », lequel est devenu consensuel au point que Marine Le Pen elle-même n’ose plus y toucher, à la différence de son papa. C’est que ledit papa avait des faiblesses pour les seules politiques que l’on connaisse dans lesquelles le mot identitaire « juif » divise absolument, nommément les fascismes, plus singulièrement le nazisme. On peut même dire que le mot « juif » n’a été un nom politique éminent, selon les critères de Milner, et donc au vu de ses pouvoirs de division, que dans le nazisme et ses succursales. Mais peut-être Milner considère-t-il désormais que toute politique s’apparente au nazisme ? Je reviendrai sur ce qui conduit sa pensée à un antipolitisme radical. Un nom est politique, dirais-je quant à moi, s’il inscrit une idée du bien, dans l’ordre de l’action collective, du mouvement historique réfléchi dans une organisation de cette action. En ce sens, du reste, il n’y a aujourd’hui que deux mots politiques fondamentaux (deux noms) : la démocratie, qui prétend unifier le monde de la vie collective sous la loi extérieure du capitalisme concurrentiel, et le communisme, qui prétend l’unifier sous la loi immanente de la libre association.

    Mais Jean-Claude Milner, comme Glucksmann, ne pense qu’à partir du mal. Il est comme ce parlementaire, M. de Mun, à qui Jaurès lançait : « Vous aimez les ouvriers, monsieur de Mun, vous les aimez saignants ! ». Sa pensée s’alimente aux désastres. Il nous l’a dit : la seule chose qu’on puisse, qu’on doive espérer, c’est de mettre fin aux massacres, c’est de condamner les mises à mort. En matière de pensée « politique », Jean-Claude Milner a grandement besoin de victimes, d’ouvriers saignants, de peuples martyrs.

    Malheureusement, les massacres trouvent leurs racines non dans l’abstraction de « la mise à mort des êtres parlants », mais dans des politiques précises, dont on sait qu’elles ne sont combattues efficacement que par d’autres politiques. S’opposer aux massacres n’a aucune consistance si cette opposition n’est pas nourrie par l’idée d’une politique absolument différente, idée qui seule peut proposer une forme d’existence collective dans laquelle le recours au massacre est exclu.

    Je crois qu’au bout du compte la thèse de Milner, c’est que la politique n’existe pas, ou même qu’elle est toujours nuisible, et que la seule chose qui compte est la morale de la survie des corps.

    Voici par contraste ma position résumée : ce qui a commencé au XIXe siècle, c’est le mot « communisme ». Il a expérimenté au XXe sa possible surpuissance, sous la forme d’une fusion entre politique (communiste) et Etat (de dictature populaire). Il faut revenir à la séparation des deux, ce qui exige une sorte de recommencement politique. Toute autre orientation, singulièrement le moralisme de la survie des corps, revient à entériner la domination, sous le mot clé « démocratie », du capitalisme déchaîné dont nous expérimentons le déploiement planétaire, prenant ainsi l’entière mesure de son infamie. Communisme ou barbarie. Jean-Claude Milner confirme, en tant que « professeur par l’exemple négatif », que nous en sommes bien là.

    Le mot de la fin est accordée à Jean-Claude Milner. Pour lui, les Palestiniens se font tuer pour que « les Etats voisins se maintiennent ». On pourrait lui poser la question suivante : "Pourquoi ces Etats ont fait la guerre à Israël en 1947-1948, durant l’expédition de Suez en 1956, la guerre des six jours en 1967, la guerre d’octobre 1973,l’annexion du Golan syrien en décembre 1981 (alors qu’aucune menace n’était perceptible), l’invasion du Lban en 1982, la guerre du Liban de juillet 2006, la guerre de Gaza décembre 2008-janvier 2009 et la toute dernière encore contre Gaza en novembre 2012 ?

    Dans tous les cas y compris en 1947-1949 Israël avait mené des guerres de type préventive. Le problème avec Jean-Claude Milner c’est que le référent « Etats-voisins » n’est pas clairement désigné. Il n’y a aucune référence au projet colonial qu’est le sionisme qui nie purement un simplement (négationnisme) le peuple palestinien et son passé en rasant toute trace et tout vestige historique.

    Je rappelle la décision de Ysrael Katz, ministre israélien des Transports, de juillet 2009 de judaïser tous les noms arabes des villages palestiniens occupés des panneaux indicateurs pour garder uniquement les termes hébreu.

    Jean-Claude Milner

    [...]

    Je ne veux pas m’attarder sur l’éventuelle superposition entre le refus d’un tel Etat et un antijudaïsme. Cette superposition existe, mais je ne ferai pas l’injure à Badiou de la lui imputer. Que la naissance de cet Etat ait été immédiatement suivie d’une guerre, qui le niera ? Cette guerre dure encore. Qu’elle provoque des morts nombreuses, qui en doute ? Il ne peut en être autrement. Les Palestiniens qui meurent sont persuadés qu’ils meurent à cause de l’existence d’Israël. Qu’ils en soient persuadés, c’est indubitable. Mais rien ne prouve qu’ils aient raison.

    Aujourd’hui, les Palestiniens se font tuer pour que les régimes en place, dans les Etats voisins, se maintiennent. C’est pourquoi je juge que la division induite par les Palestiniens ramène à un consensus, dont la majorité automatique de l’ONU est une expression parmi d’autres. Le nouveau pouvoir en Egypte annonce – vrai ou faux – qu’il se chargera lui-même de la destruction ; du même coup, le nom palestinien est effacé. Preuve que les Palestiniens ne meurent pas pour eux-mêmes. Ils meurent pour que leurs prétendus alliés et leurs prétendus chefs continuent d’être indifférents à leur sort.

    Puisqu’on me demande un certificat de sensibilité, j’avouerai que cet état de choses me touche parce qu’il est de part en part habité par le mensonge. Ce mensonge qui fait que le Palestinien se murmure, en mourant, qu’Israël l’a tué. Non, ce qui tue le Palestinien, c’est ce mensonge même. Parallèlement, l’Israélien s’imagine souvent qu’il meurt à cause des Palestiniens. C’est évidemment faux. Il meurt parce qu’il est identifié à un juif et parce que certains puissants ont besoin qu’un juif ne sache jamais si sa survie est assurée.

    Face à cela, Badiou appelle de ses vœux un Etat moderne dont la substructure ne soit pas identitaire mais historique. A mes yeux, la proposition a le même statut de fiction rationnelle que l’hypothèse communiste. Elle n’a de sens que si on accorde à Badiou la totalité de son système. Ce que je ne fais pas. Qui peut imaginer que puisse subsister un tel îlot d’exception dans une zone faite d’Etats dont la substructure est identitaire, où l’historique et l’identitaire entrent en constante intersection ?

    Qui peut imaginer que quoi que ce soit puisse se stabiliser entre Israéliens et Palestiniens, alors que la Syrie, l’Egypte, l’Iran, l’Irak et j’en passe sont pris dans les rets de l’instabilité ? Nulle part dans le monde on ne peut faire mieux que des bricolages ; dans cette zone du monde, les bricolages ne peuvent pas aller au-delà de l’armistice. Est-ce une allégeance à une doctrine du mal ? J’admets que je tiens le cours du monde pour voué au désordre indéfini, mais la mise en équation du désordre et du mal, c’est du platonisme. Or, je ne suis pas platonicien.