person:olivier cadiot

  • « Olivier Cadiot, l’écrivain audio-sensible »
    http://syntone.fr/olivier-cadiot-lecrivain-audio-sensible

    Dans « Providence », un homme vit dans une bulle de son. L’auteur #Olivier_Cadiot et le metteur en scène #Ludovic_Lagarde tirent les ficelles et déclenchent les bandes magnétiques, relayés par L’Atelier fiction de #France_Culture.

    Providence
    https://www.franceculture.fr/emissions/latelier-fiction/providence-de-olivier-cadiot

    4 vies, 4 chemins, 4 destinées. La pièce a été créée au théâtre dans un dispositif quadriphonique et nous l’avons enregistrée et mixée en son immersif pour la radio. Pour une écoute optimale, chaussez vos casques.

    http://rf.proxycast.org/1372504136746016768/11984-28.11.2017-ITEMA_21507533-0.mp3

    #création_sonore #création_radio

  • La Revue de l’écoute n°13 est sortie !
    http://syntone.fr/la-revue-de-lecoute/#sommaire

    Au programme de ce numéro de printemps (nouveau format, nouvelle maquette), plusieurs voyages dans le temps, quarante, cinquante et même quatre-vingt-dix ans en arrière :

    Paul Deharme nous intrigue par son exaltation pionnière d’un art radiophonique encore en germe ; l’auditeur-blogueur Fañch Langoët recolle ses souvenirs d’adolescent sous le monopole d’État de la radiodiffusion française ; le philosophe Franco Berardi dit ‘Bifo’ témoigne de l’aventure censurée de Radio Alice à Bologne et décrypte l’évolution du contrôle de la parole.

    Par contraste avec ces travaux de mémoire pourrait-on dire, on s’ancre aussi dans la présence de l’écoute « nature » avec le désormais traditionnel son de saison, l’actualité des podcasts pour la jeunesse ou encore la contemporanéité des fictions audio-sensibles d’Olivier Cadiot.

    En plus de nos rubriques habituelles et de la fiche pratique dorénavant incontournable (consacrée cette fois à l’écoute au casque et sur enceintes), ce numéro 13 inaugure le parcours d’une personnalité du monde du son (ici Siham Mineur) et un feuilleton littéraire signé par la réalisatrice et comédienne Laure Egoroff.

    Cet opus 13 est le premier de notre nouveau format, plus spacieux et plus souple, conçu par Catherine Staebler.

    #création_sonore #création_radio

  • Je vais de ruelles en venelles
    Dans le Bas-Montreuil
    Passant même chez des voisins

    Bloqué je suis contraint
    De demander secours
    Fort gêné

    Mais en fait pas du tout
    J’appartiens, sans le savoir
    À un réseau d’enfants de la lune

    Sortant après échange d’une belle hospitalité
    Je croise une fanfare fantasque
    Et ses deux retardataires qui font de l’écho

    Sur le chemin du Tracé provisoire
    Je croise Jean-Luc Guionnet qui sort de répèt
    Et me propose de me joindre à leur trio

    Papa on va être en retard
    Attends il faut que je note mon rêve
    Soupir de lassitude de Zoé

    Ton de la nana qu’on interviewe
    Des années plus tard : « on arrivait en retard
    Au collège tous les matins à cause de ses rêves »

    Chemin inhabituel
    Pour éviter pentes verglacées
    Bois de Vincennes enneigé, merveille

    Autoradio
    Le gamin-président en chef de guerre
    Envie de coller ces chroniqueurs contre un mur

    J’imprime en hâte (et en cachette)
    La dernière version de Frôlé par un V1
    Dans le bac de réception je vois des corrections !

    Je relis le début
    De Je ne me souviens plus
    Avant de le confier à Mathieu. Ça va

    Je bois café
    Sur café
    Sur café

    Je progresse avec lenteur
    Viel homme, jusqu’au BDP
    Sur des trottoirs verglacés

    Je reprends Frôlé par un V1
    Depuis le début
    L’idée d’un index des morts et des vivants

    Jour de marché
    Le BDP est bruyant
    Mon voisin nuit à ma concentration

    Je passe par des petites rues
    Pour le retour en open space
    Erreur de débutant, verglas. Ça va

    Je dois retourner à l’étude de mon conseil
    Signer des papiers
    Quelle torture que celle du papier

    C’est jeudi
    Dal
    D’Adèle

    On file au Keaton
    Gaspard va au mariage
    D’Antony Cordier

    De bons moments c’est sûr
    Une gentille folie
    Mais que de stéréotypes aussi

    Une sorte de film immature
    Un film qui a l’allant de la jeunesse
    Et qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez

    En sortant Zoé
    Qui a bien aimé, elle
    Allez, dis-moi ce qui déconne

    On rentre finalement de bonne heure
    Un peu de guitare, au casque
    Et de la lecture, Olivier Cadiot

    #mon_oiseau_bleu

  • Sandra Muller : « Ce n’est pas parce qu’on protège les femmes qu’on va entraver leur liberté sexuelle »
    http://www.liberation.fr/france/2018/02/09/sandra-muller-ce-n-est-pas-parce-qu-on-protege-les-femmes-qu-on-va-entrav

    Sandra Muller, 46 ans, est la créatrice du hashtag controversé #BalanceTonPorc, qui a mis le feu à Twitter le 13 octobre. Dans deux tweets consécutifs, cette journaliste française installée à New York appelait à dénoncer nommément les harceleurs et leurs pratiques. Pour Libération, elle a accepté, avec fougue, de revenir (par téléphone) sur les raisons de son initiative, trois mois après le début du mouvement international de libération de la parole féminine, auquel #BalanceTonPorc a contribué. Ces dernières semaines, Sandra Muller avait observé un « silence judiciaire » requis à la suite de la plainte en diffamation d’Eric Brion, son « porc » présumé et ancien patron de la chaîne Equidia qu’elle avait « balancé » dans son deuxième tweet.
    Pourquoi accepter de vous exprimer maintenant ?

    Aujourd’hui, je suis devenue une personnalité publique, et c’est mon devoir de continuer à assumer ma démarche. Je pense aux victimes et je me dis qu’il ne faut jamais lâcher et laisser retomber le débat. J’avais beaucoup parlé au début du mouvement, j’acceptais tous les entretiens des journalistes, c’était un peu la spirale infernale médiatique. Mais bon, je suis moi-même journaliste et je n’aime pas lorsqu’on me refuse une interview, donc c’était aussi par respect pour mes confrères. J’ai été ensuite soumise au respect du « silence judiciaire » durant quelque temps, après la poursuite en diffamation d’Eric Brion, mais j’ai à nouveau le droit de m’exprimer. J’en profite !
    Où en est cette poursuite en diffamation ?

    Début janvier, Eric Brion a décidé de porter plainte contre moi pour diffamation. Un changement de stratégie illogique puisqu’il avait reconnu les faits et s’était excusé fin décembre dans une tribune publiée par le Monde. Une fois la plainte déposée, il m’a aussi, via une mise en demeure, demandé de retirer mon tweet. J’ai refusé. Avec moi, l’intimidation, ça ne marche pas. Et puis ça ne rimait à rien : le tweet avait fait le tour du monde avec des captures d’écran… Je n’allais pas faire machine arrière, j’ai dit la vérité, je ne vois pas pourquoi je devrais la cacher. Concernant le calendrier judiciaire, je sais seulement que mon avocat doit rendre ses conclusions au tribunal le 9 mai.
    Dans quel état d’esprit êtes-vous aujourd’hui ?

    Cette attaque en justice me donne encore plus de hargne ! Aujourd’hui, j’ai décidé de m’engager à fond dans la cause, en parallèle de ma carrière professionnelle. J’ai un livre en préparation et je suis en train de fonder une association pour lutter contre le harcèlement sexuel et les agressions dans le milieu du travail. J’aimerais suivre les entreprises pour voir si elles font des progrès en la matière, créer un fonds d’aide pour les victimes, offrir une aide juridique et psychologique… Avec mon avocat, Alexis Guedj, et son assistante Thaïs Boukella, on vient de juste déposer le nom de l’association : We Work Safe (1).
    Comment avez-vous traversé la période depuis le 13 octobre, ce jour où vous avez lancé #BalanceTonPorc ?

    Ce n’est que cinq ou six heures après mon tweet que j’ai vu les notifications dans tous les sens sur mon téléphone. J’étais déjà dépassée. Tout de suite, trop de médias, de tous pays, m’ont sollicitée et je n’étais pas prête pour tout ça. Alors je me suis mise en mode robot, sans avoir préparé aucun discours, et j’y suis allée avec mes tripes. Je n’ai vite plus vu le jour, j’étais crevée – sur une photo de l’AFP datant de deux jours après le début du mouvement, je ne me reconnais pas ! Aujourd’hui, j’en suis à 800 000 messages reçus concernant #BalanceTonPorc, c’est la folie. Le fait de vivre aux Etats-Unis ne m’a pas permis de prendre tout de suite conscience de l’ampleur du phénomène en France. Ce n’est que le 30 janvier, lorsque j’ai été invitée par l’Elysée et célébrée parmi les « héros 2017 » que j’ai pleinement réalisé les conséquences de mon initiative.
    Comment vous est venu #BalanceTonPorc ? Pourquoi avoir fait le choix de dévoiler dans votre tweet le nom de votre harceleur présumé ?

    C’était à l’heure du thé, j’étais avec une amie au téléphone et on se disait que les « pigs », comme était surnommé Harvey Weinstein, déjà en pleine tourmente, ne se limitaient pas seulement au monde du cinéma. J’ai tout de suite pensé à Eric Brion. Cette soirée m’est revenue en tête, surtout cette phrase : « Je vais te faire jouir toute la nuit. » Je voulais que ces propos restent dans l’esprit des gens comme ils étaient restés dans le mien. Pourquoi avoir décidé de donner son nom ? Sur le coup, la menace de la diffamation ne m’a même pas traversé l’esprit. Et puis, pourquoi je ne l’aurais pas mis ? A un moment donné, quand on dit la vérité, qu’on a toutes les preuves, je ne vois pas pourquoi on devrait continuer à protéger les harceleurs et autres agresseurs. Cela a sans doute aussi été plus facile pour moi parce que je ne travaillais pas avec cet homme [l’incident se serait produit dans le cadre du travail, au Festival de Cannes : Sandra Muller est journaliste à la Lettre de l’Audiovisuel et Eric Brion était à l’époque patron de la chaîne Equidia, ndlr].
    Certains dénoncent une « chasse aux sorcières » et de la « délation »…

    C’est recevable : comme dans un commissariat de police, certaines dépositions sont fausses. Pareil dans les manifestations, il y a des casseurs qui vont contredire le bien-fondé de l’action menée. Evidemment, le risque de mettre en l’air, à tort, la vie d’un homme me navre, et il peut y avoir des « dommages collatéraux ». Mais le bienfait du mouvement est tellement important ! Et il y a plus de victimes que de mythomanes. Aux Etats-Unis, on ne se pose pas trop la question, on n’hésite pas à dénoncer : il y a une culture de l’affichage, et peu d’innocents ont été « balancés » à tort sur la place publique. Il faut arrêter de faire passer les victimes pour les bourreaux, n’inversons rien.
    Que pensez-vous de la tribune des « 100 femmes », dont Catherine Deneuve et Catherine Millet, qui défendaient le « droit d’importuner » dans « le Monde » ?

    Elle m’a paru invraisemblable, rien n’était cohérent. Mais je ne suis pas là pour entrer dans le conflit, alimenter le buzz et donner de la valeur à leur argumentation erronée. Tout ce que je peux vous dire, c’est que cette tribune donne une très mauvaise image de la France et qu’elle a surtout déstabilisé certaines victimes. Bien sûr, tout le monde a le droit d’expression, mais ce genre d’acte de désolidarisation a découragé certaines femmes à libérer leur parole. Certaines d’entre elles m’ont envoyé des messages pour me faire part de leur hésitation. Du style : si je parle, est-ce que je deviens une puritaine avec la croix autour du cou ?
    Cette tribune n’est pas la seule à accuser les mouvements #BalanceTonPorc et #MeToo d’alimenter un climat moralisateur, réactionnaire…

    Rose McGowan et Asia Argento sont-elles des figures du puritanisme ? Il faut arrêter un petit peu ! Ce n’est pas parce qu’on protège les femmes qu’on va entraver leur liberté sexuelle. On n’enlève rien, on ajoute seulement quelque chose de positif. Idem, certains nous accusent de vouloir entrer dans une « guerre des sexes » et je trouve cela consternant. Bien sûr que les hommes peuvent continuer à draguer, ce serait déplorable autrement, mais il y a quand même différentes étapes dans la « séduction ». Et je ne nie pas les violences sexuelles dont les hommes peuvent être victimes ! Dans le numéro du Time Magazine consacré au mouvement de libération de la parole, il y a le portrait de deux de ces hommes, et je trouve cela primordial.
    Vous considérez-vous comme féministe ?

    Si on parle de ces féministes qui signent le manifeste des 343 salopes et qui, derrière, prennent la parole au nom de la « liberté d’importuner », non merci ! Avant toute cette histoire de #BalanceTonPorc, je n’étais ni activiste, ni féministe née, ni rien du tout. Je suis simplement issue d’une famille matriarcale de trois générations dans laquelle je n’ai pas eu besoin de me faire une place par rapport aux hommes. « Silence Breaker », « briseuse de silence », comme m’a surnommée le Time Magazine, je trouve que ça me va mieux. Moi je ne me sens pas féministe, je suis une justicière, une grande gueule, et là, en l’occurrence, c’est tombé sur une cause en faveur des femmes.
    Aux USA, les « porcs » ne cessent de tomber. Que pensez-vous de ce qui se passe (ou ne se passe pas assez) en France ?

    Je crois que les femmes sont plus puissantes aux Etats-Unis et qu’on prend leur prise de parole au sérieux. Quand une femme se dit victime outre-Atlantique, on ne va pas remettre en doute ses propos comme on peut le faire en France. Au contraire, on va tout de suite écouter ce qu’elle a à dire et essayer de la protéger au mieux. Peut-être que c’est une question culturelle. En France, on a peut-être ce côté latin, un peu macho. En tout cas, c’est ce que pensent les Américains. Difficile de les contredire…

    (1) https://www.gofundme.com/balancetonporc
    Anaïs Moran

    • Il faudrait aussi chercher de quoi le mot féministe est devenu synonyme et à quelle occasion.
      Ça m’a questionné de comprendre que la loi sur l’avortement est passée au moment où les femmes commençaient à s’entraider pour ne plus en crever et qu’elles se formaient avec l’aide de médecins en communauté scientifique alternative très prometteuse. Que le pouvoir des médecins et des hommes politiques se devait de faire rentrer dans le champ législatif ce qui était en train de leur échapper. Et tant qu’elles en crevaient tout allait bien.

      A chaque fois finalement que l’on a dit aux femmes ce qu’il fallait qu’elles pensent ou qu’elles fassent, elles se sont retrouvées à payer très cher ensuite leur nouvelle subordination. On ne se défait pas des systèmes de dépendances aussi bien ancrés dans les interstices du quotidien, les déplacements se sont faits à d’autres niveaux de transactions sociales, comme la liberté sexuelle par l’assujettissement des corps.
      Ma supposition est que les féministes militantes des années 70 ont du exercer, avec raison, du pouvoir pour convaincre de la nécessité d’agir pour s’émanciper, construisant une image de femme forte ayant temps et argent pour s’instruire et engager la révolte et l’émancipation. Pas vraiment à l’image des travailleuses qui trimaient pour survivre.
      Petite phrase piquée à @philippe_de_jonckheere

      Vous remarquerez que les gens qui souffrent le plus
      Se sentent illégitime pour témoigner
      Cela devrait vous faire réfléchir

      Je ne sais plus qui disait que pour penser la révolte il faut avoir le ventre plein.

      D’autre part, pour Libé qui fait l’interview, il est plus facile de faire passer le message de quelqu’un qui ne se revendique d’aucun mouvement pour ensuite remettre le couvercle. Oui il y a twitter, mais le choix des « têtes d’affiches » ce sont les #médias_massifs qui l’exerce ensuite.

  • Une chose étrange : si vous avez oublié une tasse de thé ou de café inachevée, le matin, dans un coin, sur un meuble d’une autre pièce, vous savez qu’il en este... dans cette tasse. Vous le savez physiquement, c’est une certitude : le contenu de cette tasse délaissée est exactement logé dans un espace de votre coprs... qui l’attend.

    Vous vous dirigez vers elle, comme téléguidé, vous avez raison : il y en a encore deux gorgées. C’est tellement sûr cette affaire que vous vous demandez si vous n’êtes pas encore à l’âge de pierre. Un instinct logé dans mon occiput frontal à deux lobes. J’ai laissé cette carcasse d’orignal ici, l’hiver dernier, sous cet arbre en forme de croix. Il n’y a qu’à creuser. Stupéfaction du camarade de caverne devant tant de prévoyance, de mémoire et de détermination. La chose est dédoublée, aussi sûrement que si vous possédiez une imprimante intérieure qui reconstitue les objets en volume.

    In Histoire de la littérature récente d’Olivier Cadiot

    Image, elle extraite de la Bête lumineuse de Pierre Perrault

    #la_Très_Petite_Bibliothèque
    #olivier_cadiot
    #histoire_de_la_littérature_récente

  • Extrait d’Histoire de la littérature récente d’Olivier Cadiot

    Papa Travaille

    On écrit très peu, on passe son temps à relire comme on remange son dîner froid le lendemain, voilà votre destine. Si vous voulez devenir écrivain ou écrivaine à tout prix, vous allez découvrir que vous ne ferez pratiquement que ça : vous lire et vous relire. Très peu d’écriture, au sens où on l’entend d’habitude : une marée de mots qui sortent de votre corps. Ce n’était pas prévu.

    Ce n’est pas tellement de relire qu’il s’agit, c’est plutôt de trouver sans cesse à redire. Vous devenez votre premier lecteur mécontent, un cobaye enfermé dans son bureau obligé de corriger en gémissant la même rédaction idiote pendant des années. On inflige aux portes de réfrigérateurs le même torture test en les claquant des milliers de fois. Pour tromper l’ennui, vous pouvez ouvrir ou fermer la porte chaque matin avec une humeur différente.

    Vous pouvez aussi lire les mêmes lignes à la lumière d’un nouvel événement. Ca vous changera et ça donnera au même texte une couleur spéciale. Il va s’apaissir, prendre du volume, au point que certains chapitres ressembleraont à des espaces, dans lequel vous, ou votre narrateur, vous déplacerez aisément. Et des mouvements de vie apparaîtront.

    Je ne pouvais pas garder cela pour moi. spécial dédicace @tintin (suis presque sûr que cela va te causer, Camarade)

    • Le vent était au nord et les avions tournaient, les magasins étaient ouverts à l’amour de toutes choses, les militaires par quatre et la police par trois patrouillaient dans la rue.

      Il n’y a pas beaucoup de poésie en ce moment, j’ai dit à mon père.

      J’ai dit ça comme une impression ou peut-être un avis et pas comme une idée, enfin rien qui s’impose, c’était pour que mon père apprécie avec moi quelque chose d’amusant dans cette ambiance nouvelle, il faut dire que j’étais sous l’influence de livres et l’empire de la drogue, j’avais fumé en lisant Klemperer et j’avais lu Kraus en mangeant des bananes et relu Klemperer en refumant pas mal, son journal en entier et surtout LTI, la langue du IIIe Reich, dans Klemperer j’avais fixé longtemps sur un seul instant de tout le IIIe Reich, dès le début, en fait, résumé par une phrase que j’ai lue et relue pour saisir l’amplitude, Il règne en ce moment quelque durcissement
      qui influe vraiment sur tout le monde.

      Mon père était dans son 4 × 4, assis noblement au-dessus de l’ordinaire, il réglait son rétro à sa hauteur de vue, il dirigeait en même temps un concerto en do dièse mineur, il codait des résultats de séquençage du génome, il discutait des fondements de la valeur, il retournait la terre avec des paysans de l’Ardèche, il rédigeait son essai sur la philosophie scholastique, il rendait visite à des enfants cancéreux, il sauvait des humains de la noyade en Méditerranée, il regardait la télé en caleçon, il donnait son sang universel, il se coupait les ongles en lisant du Sophocle, il était digne et beau, finalement il a dit

      -- Comment peux-tu savoir s’il y a de la poésie ou pas, beaucoup ou pas beaucoup ? Tu veux mesurer la quantité de poésie mais sais-tu au moins ce qu’est la poésie ?

      -- Peut-être pas, Papa

      -- Comment peux-tu savoir s’il y a de la poésie ou pas, beaucoup ou pas beaucoup ? Tu veux mesurer la quantité de poésie mais sais-tu au moins ce qu’est la poésie ?

      -- Peut-être pas, Papa

      -- Et même si des experts en poésie pouvaient évaluer un taux de poésie et constater une tendance à la baisse, comment peux-tu établir que cette baisse tendancielle du taux de poésie a un quelconque rapport avec ce qui se passe en ce moment ?

      -- Je ne peux pas, Papa

      -- Tu ne crois pas que c’est un peu déplacé de parler de poésie justement en ce moment ?

      -- Si, Papa

      -- Est-ce qu’il n’y a pas des problèmes plus urgents ?

      -- Oui Papa

      -- L’archiduc François-Ferdinand, après avoir tué pas loin de 300 000 bêtes plus ou moins féroces dont des milliers de mouettes et quelques centaines de kangourous, a emmené tout le monde à la guerre mondiale en se faisant lui-même tirer comme un lapin. Et toi tu t’inquiètes de la poésie

      -- Je ne m’inquiète pas, Papa

      -- La poésie qu’est-ce que ça peut bien faire alors que des dingues remplis de haine mondiale se font sauter le buffet en plein milieu des foules ?

      -- En effet, Papa

      -- Alors que les guerres lointaines arrivent à nos portes ? Alors que l’Europe est assaillie par le doute et les dettes de la Grèce ?

      -- Ça aussi, Papa

      -- Est-ce qu’il ne faut pas avant tout sécuriser cette Liberté dont nous avons besoin pour exercer nos droits fondamentaux, dont le droit, par exemple, de faire de la poésie si ça nous chante ?

      -- Mais c’est qui, nous, Papa ? De qui tu parles ? Des habitants d’ici ? Des amis de la patrie ? Des citoyens moyens ?

      -- Réfléchis par toi-même !

      S’il voulait dire que tout était devenu grave et que par conséquent la poésie on s’en foutait pas mal, j’étais assez d’accord vu que les poètes m’emmerdent pour la plupart, j’aurais donc préféré ne pas en discuter mais mon père commençait seulement à s’amuser avec sa mauvaise foi d’unité nationale tout en feuilletant Le Progrès de la bonne ville de Lyon.

      #livre #Noémi_Lefebvre

    • Claro embauche l’auteure de « Poétique de l’emploi », Noémi Lefebvre, sur le champ, Monde des livres

      L’air du temps est-il ­soluble dans la prose ? Pour certains écrivains, c’est une évidence, il suffit de transformer le livre en poste de radio ou en photocopieuse, de retransmettre ou de reproduire, bref, de ménager un espace aux informations qui, paraît-il, font le réel. Ce qui se passe dehors n’a qu’à passer sur la page, y déposer au mieux son ombre, quelques plis suffiront pour donner l’impression que tout n’est pas lisse alors même qu’on décalque. D’où, souvent, à la lecture des romans épris de contemporain, une impression de pénible transfusion, le sentiment d’un compromis bâclé et malhabile entre toile de fond et coup de crayon. On ressent un malaise dans l’écriture là où on espérait une écriture du malaise.

      L’air du temps ? Dira-t-on qu’il est toxique, névrotique, fasciste ? Qui le dira ? Un personnage ? Une voix soigneusement tendue entre deux guillemets ? Fabrice del Dongo ou Bardamu ? Plutôt que de trancher tout de suite, faisons comme Noémi Lefebvre dans Poétique de l’emploi et partons gaiement de la constatation suivante : « Il règne en ce moment quelque durcissement qui influe sur tout le monde. » C’est une phrase écrite par le philologue Victor Klemperer (1881-1960), extraite de son livre LTI, la langue du IIIe Reich (Albin Michel, 1996). Mais c’est désormais une phrase de Poétique de l’emploi, un énoncé qui refuse de se dissoudre, une indispensable arête coincée dans la gorge du livre. Qui n’empêche ni de rire ni de penser, loin de là. Bon, il est temps d’aller à Lyon, où un dialogue entre père et fille nous attend.

      « Il n’y a pas beaucoup de poésie en ce moment, j’ai dit à mon père. » C’est le deuxième constat, mais c’est sans doute le même que faisait Klemperer. Et ce qu’essaie de dire la narratrice à son père. Il n’y a pas beaucoup d’emploi non plus. En revanche, l’injonction à travailler plus pour gagner moins se porte bien – mais passe mal. Des gens manifestent. Ils vont dans la rue. Mais la liberté, apparemment, a changé de camp. Elle est sous la protection de l’armée et de la police. Est-ce la guerre ? Oui et non, dit le père qui a bu, et pas que de la ciguë, au cours d’un dialogue crypto-socratique destiné à obtenir le salut par le doute. « Mon père dit sans doute quand il doute, c’est une façon de me faire douter en exprimant la sobre et sage inquiétude que dégage parfois, dans une ambiance nouvelle, la lucidité des esprits rares qu’on appelle critiques. » La narratrice, elle, se méfie un peu du doute comme arme d’instruction massive. Elle aussi a sa claque de la compétence et de ses lois. Elle « souffre (…) d’une incapacité corporelle au social ». L’indifférence et le désintéressement du père, non merci. Mais le « plein épanouissement physique et moral », eh bien, ce n’est pas gagné non plus, surtout quand il est exigé par la société.

      A ce stade du livre de Noémi Lefebvre, on commence à comprendre qu’il ne s’agit pas de donner des leçons, mais de parler entre les leçons, de laisser la parole aller et venir au milieu. De rendre la liberté à sa phrase mais en la laissant s’égailler en milieu hostile, pour voir ce qui se passe. De faire flâner la phrase : « Entre novembre et mars, est-ce que c’était décembre, de Fête des lumières il n’y en avait pas ça c’était déjà sûr, je m’en foutais pas mal, les feuilles étaient mortes et les fleurs étaient moches, le marché des quais de Saône était gardé par des parachutistes, j’étais dans l’angoisse de trouver un travail pour avoir un métier parce que, comme on dit, les métiers sont refroidis et sans rapport avec la vie et véritablement une chose étrangère à la grande variété de nos aspirations, j’avais regardé les offres pour poète, j’avais eu cette idée d’un emploi dans rien sous le contrôle de personne, ça me semblait correspondre à un manque de profil difficile à cerner dans le bilan de compétences, en réponse à poète il y avait un poste de rédacteur technique e-learning pour une entreprise industrielle leader sur son marché et des annonces rédigées en vers publicitaires pour devenir humain avec le regard clair et un air solide au milieu du désert (…). » Phrase rhizome, qui décale sa propre danse pour mieux casser la coque du discours. Phrase qui se glisse dans le mode d’emploi du monde de l’emploi, tels Charlot ou Keaton dans la foule des flics, pour faire trembler les rapports de force.

      A première vue, Poétique de l’emploi semble faire la part belle à l’aveu d’impuissance. L’inquiétude d’être en porte-à-faux, et pour tout dire un léger pli dépressif, font que page après page on pourrait se croire en quête de désertions. Mais le soliloque déployé par la narratrice est tout sauf un exercice de noyade assistée. Face à la novlangue pseudo-républicaine qui joue du tonfa à tout bout de rue et voudrait que la narratrice reste « bêtement à [se] faire assommer par la sécurité au nom de la Liberté en angoissant de chercher un travail et d’en avoir un si jamais [elle] en trouvai[t] », Noémi Lefebvre fourbit une forme de résistance poétique essentielle et libère in fine, avec l’aide des grands K (Klemperer, Kraus, Kafka), un étrange animal politique et subversif, mi-orang, mi-outang. A la fois fluide et fiévreux, Poétique de l’emploi fait, littéralement, un bien fou.

    • C’est vrai que je vois du fascisme partout depuis qu’il y en a de plus en plus

      poétique de l’emploi a aussi été le nom d’une brève vidéo https://www.youtube.com/watch?v=7A9Y0idAudk

      une part des réparties et leur provenance

      « Il faut dépasser le statut littéraire du poème pour en faire un acte, un geste qui aura son efficacité propre dans le monde » Serge Pey

      La poésie est « l’expression, par le langage humain ramené à son rythme essentiel, du sens mystérieux des aspects de l’existence » Stéphane Mallarmé

      « Le langage contient des ressources émotives mêlées à ses propriétés pratiques et directement significatives » Charles Baudelaire

      La poésie « est une province où le lien entre son et sens, de latent, devient patent, et se manifeste de la manière la plus palpable et la plus intense » Roman Jacobson

      « La poésie c’est l’art de mettre en mouvement le fond de l’âme » Novalis

      « les mots sont assurément la révélation extérieure de ce royaume intérieur de forces » Novalis

      "Le poète se consacre et se consume donc à définir et à construire un langage dans le langage"Paul Valéry

      « Le poète nous entraîne vers un usage visionnaire de l’imagination qui nous livre le monde dans sa réalité profonde et chaque être dans sa liaison à l’unité du tout. » Emmanuel Mounier"

      « Le domaine de la poésie est illimité » Victor Hugo

      « C’est qu’un poète, ça ne se fait pas en une civilisation » Louis Calaferte

      « Le seul devoir du poëte est le jeu littéraire par excellence » Stéphane Mallarmé

      #vidéo #poésie

    • « Poétique de l’emploi » un livre ébouriffant !
      https://le-clairon-nouveau.fr/wordpress/blog/2018/02/23/la-poetique-de-lemploi-un-livre-ebouriffant

      La Poétique de l’emploi est un livre écrit au « je ». Le personnage, indéterminé, se veut poète et il dit ceci :

      « J’évitais de penser à chercher un travail, ce qui est immoral, je ne cherchais pas à gagner ma vie, ce qui n’est pas normal, l’argent je m’en foutais, ce qui est inconscient en ces temps de menace d’une extrême gravité, mais je vivais quand-même, ce qui est dégueulasse, sur les petits droits d’auteur d’un roman débile, ce qui est scandaleux, que j’avais écrit à partir des souvenirs d’une grande actrice fragile rescapée d’une romance pleine de stéréotypes, ce qui fait réfléchir mais je ne sais pas à quoi. »
      La Poétique de l’emploi commence par : Il n’y a pas beaucoup de poésie en ce moment, j’ai dit à mon père.
      Et finit par : Il y a pas mal de poésie en ce moment, j’ai dit à mon père. Il n’a pas répondu.

      Que s’est-il passé pour opérer ce changement d’appréciation sur le monde ?
      Ce début et cette fin du livre sont constitués par ces deux paroles de dialogue entre un père « établi socialement » qui possède un surmoi développé, scientifique, rationnel, mais qui assène des aphorismes quand il a bu, et un narrateur ou une narratrice – on ne sait pas – marginal(e), poète à la recherche d’un emploi.

      Pour donner une idée de ce livre de littérature inclassable, qui allie humour, charge politique, poésie et réflexion sur l’existence et la société, voici un résumé de ces dix leçons.

      Leçon numéro 1 : Poètes, ne soumettez personne à la raison du père.
      Et suit la démonstration sur La raison d’un père est de toutes les raisons la plus contraire à la poésie.
      Sachant que la sincérité est une fiction américaine, a dit mon père un jour où il avait bu…

      Leçon numéro 2 : Poètes, ne cherchez pas la sincérité en poésie, il n’y a rien dans ce sentiment américain qui puisse être sauvé.
      En vérité chaque fois que j’ai voulu être sincère, je n’ai jamais rien fait que croire à ce que je croyais depuis moi vers le monde et du monde vers moi, comme si le monde et moi c’était du même tonneau.

      Leçon numéro 3 : Poètes, écrivez des poèmes nationaux, c’est ce qu’il y a de plus sécurisé
      Commentaire : La mort dans l’âme est peut-être l’envers de la fleur au fusil (p.46).

      Leçon numéro 4 : Poètes, n’espérez pas beaucoup d’exemplaires, un seul c’est déjà trop.

      Leçon numéro 5 : Poètes, si écrire vous est défendu, essayez déjà de vous en apercevoir.
      Aphorisme : Le secteur culturel est un cimetière pour le repos de l’âme, a dit mon père un jour où il avait bu.

      Leçon numéro 6 : Poètes, écrivez si vous voulez des poèmes d’amour en simple liberté sans vous demander si c’est trop difficile.
      Aphorisme : Si on y pense trop on ne peut plus réfléchir, a dit mon père un jour où il avait bu.

      Leçon numéro 7 : Poètes, évitez de vous faire assommer au nom de la Liberté, prenez un bain ou regardez un Simpson ou si ça va pas mieux lisez la page 40 de LTI, la langue du IIIe Reich, de Victor Klemperer. « La langue ne se contente pas de poétiser et de penser à ma place, elle dirige aussi mes sentiments, elle régit tout mon être moral d’autant plus naturellement que je m’en remets inconsciemment à elle. Et qu’arrive-t-il si cette langue est constituée d’éléments toxiques ou si l’on en a fait le vecteur de substances toxiques ? » Question de Klemperer.

      Leçon numéro 8 : Poètes, ne laissez pas empoisonner les mots et tenez-vous loin de la littérature.

      Leçon numéro 9 : Poètes, si vous êtes dans une prison, dont les murs étouffent tous les bruits du monde, ne comptez pas à 100 % sur votre enfance pour vous sortir de là.
      Aphorisme : Tout est dans Platon a dit mon père un jour où il avait bu.

      Leçon numéro 10 : Poètes, laissez tomber les alexandrins, sauf si c’est pour vous payer de quoi manger.
      Aphorisme : Les alexandrins ça se vend par douzaines, a dit mon père un jour où il avait bu.

      Et pour finir, des propos de sa mère sur Schiller :

      L’utilité limite l’imagination.
      L’utile est contraire à l’idéal.
      Travail salarié au service de l’utile
      La liberté est du côté de l’idéal inutile
      L’éducation esthétique est une éducation anti-industrielle.
      Ne pas oublier que Schiller est citoyen de son temps.
      Bientôt, le mois de mars célèbre chaque année le « Printemps des poètes » ; et Noémi Lefebvre nous rappelle que :
      « Le poète se consacre et se consume donc à définir et à construire un langage dans le langage » (Paul Valéry).

      On ne saurait que trop encourager à la lecture de ce livre ébouriffant.

    • Noémi Lefebvre envoie les poètes à Pôle emploi, ERIC LORET (EN ATTENDANT NADEAU)
      https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/170318/noemi-lefebvre-envoie-les-poetes-pole-emploi

      Dans le monde dont Lefebvre nous fait rire jaune à chacun de ses livres, on n’a finalement le droit de vivre que si l’on est « employable ». La question de l’emploi renvoyant à celle de la liberté, quand il s’agit de l’emploi des poètes, Kafka n’est pas loin.

      Noémi Lefebvre écrit à partir d’un point existentiel, ce moment où l’on se transforme en objet pour soi-même, comme si l’on avait été transporté dans le regard d’un autre, comme si l’on prenait forme sous la pression de ce qui nous entoure et nous maltraite, mais aussi nous culpabilise : « Le vent était au nord et les avions tournaient, les magasins étaient ouverts à l’amour de toutes choses, les militaires par quatre et la police par trois patrouillaient dans la rue. Il n’y a pas beaucoup de poésie en ce moment, j’ai dit à mon père. »

      Ainsi s’ouvre Poétique de l’emploi, en proie à un surmoi faussement familier, dans « la bonne ville de Lyon » sous emprise policière. Il n’y a pas beaucoup de poésie et le père rétorque que c’est aussi bien, car il y a plus important : « – Tu ne crois pas que c’est un peu déplacé de parler de poésie justement en ce moment ? – Si, Papa […] – Est-ce qu’il ne faut pas avant tout sécuriser cette Liberté dont nous avons besoin pour exercer nos droits fondamentaux, dont le droit, par exemple, de faire de la poésie si ça nous chante ? » Le narrateur (sans âge et sans genre) est en butte dès le début à la censure sécuritaire du moment : pour préserver la liberté, y compris d’expression, commençons par la réduire. C’est un personnage volontairement « idiot », au sens de Clément Rosset : l’idiotie opère la « saisie comme singularité stupéfiante, comme émergence insolite dans un champ de l’existence » d’« une chose toute simple », explique le philosophe dans son Traité de l’idiotie. Il compare cette saisie à celle de l’alcoolique qui s’extasie devant une fleur comme s’il n’en avait jamais vu auparavant : « Regardez là, il y a une fleur, c’est une fleur, mais puisque je vous dis que c’est une fleur… » Or, ce que voit surtout l’ivrogne, explique Rosset, c’est que « son regard restera, comme toute chose au monde, étranger à ce qu’il voit, sans contact avec lui ».

      Ce qui, du monde capitaliste tardif, reste ici sans contact avec le personnage, c’est en particulier la question de « l’emploi » et donc celle, connexe, de la liberté. Car dans ce monde dont Lefebvre nous fait rire jaune à chacun de ses livres, on n’a finalement le droit de vivre que si l’on est « employable » – mais pas à n’importe quoi : « Ça voulait dire que les poètes avaient des devoirs nouveaux, qu’ils étaient eux aussi mis à contribution, écriraient désormais dans le cadre sacré de la défense nationale de l’Europe libérale, ça voulait dire que la poésie était priée de défendre librement la liberté de l’économie de marché et d’abord de la France dans la course mondiale du monde mondialisé. » Ce texte résonne ainsi avec une série de livres qui interrogent l’employabilité du poète (c’est-à-dire l’écrivain qui invente des textes, pas l’écrivant qui en fabrique comme on suivrait une recette de pizza) : depuis les Années 10, de Nathalie Quintane (La Fabrique, 2014), jusqu’à l’Histoire de la littérature récente, d’Olivier Cadiot (P.O.L., deux tomes parus en 2016 et 2017), en passant par Réparer le monde, d’Alexandre Gefen (José Corti, 2017), ou Le poète insupportable et autres anecdotes, de Cyrille Martinez (Questions théoriques, 2017). On trouverait chez les uns et les autres à peu près le même constat : sommé de répondre à la question productiviste « à quoi tu sers ? » (soit le niveau zéro du pragmatisme), l’écrivain n’est accepté que s’il fournit du pansement et de la consolation immédiates – en évitant surtout d’interroger les causes de la douleur et de la maladie. Faute de quoi, il est accusé de « faire de la politique » et, comme l’écrit Lefebvre, de s’« accrocher à une conception romantique et dépassée de cette non-profession inutile et sans le moindre avenir ».

      Poétique de l’emploi n’est pas pour autant, on s’en doute, un plaidoyer en faveur de l’art pour l’art. Dans la vidéo ci-dessous (visible également sur YouTube), réalisée par l’auteure et le musicien Laurent Grappe sous le label Studio Doitsu, Lefebvre y joue une conseillère de Pôle emploi et Grappe un poète au chômage qui souhaite faire du poème « un geste qui aurait son efficacité propre dans le monde ».

      Dans le dialogue de sourds qui s’instaure, on ne sait plus s’il faut rire ou pleurer car, certes, chacun de nous désire instaurer « un usage visionnaire de l’imagination qui nous livre le monde dans sa réalité profonde et chaque être dans sa liaison à l’unité du tout », mais chacun sait aussi, comme le suggère la conseillère Pôle emploi, que « gardien d’immeuble » est encore le poste le plus adapté pour réaliser ce projet. En somme, on se rappelle qu’on peut être employé (et reconnu socialement) sans travailler ou presque, mais aussi qu’on peut travailler toute sa vie très dur et, faute d’avoir un « emploi » (parce qu’on est précarisé, ubérisé, etc.), n’avoir qu’un pont pour perspective de fin de vie. Néanmoins, le livre propose dix « leçons » à l’usage des poètes, qui sont tantôt des avertissements politiques, tantôt des conseils de réussite cyniques, tels « Poètes, ne cherchez pas la sincérité en poésie, il n’y a rien dans ce sentiment américain qui puisse être sauvé » (leçon numéro 2) ou « Poètes, si écrire vous est défendu, essayez déjà de vous en apercevoir » (leçon numéro 5).

      Les alentours de cette leçon-là traitent, comme ailleurs, de l’échec, mais en réinscrivant Poétique de l’emploi plus profondément dans le reste de l’œuvre de Lefebvre, à savoir le rapport entre l’individu et l’espèce humaine : « Je voulais montrer ma conscience collective, ainsi je me lançais dans des engagements avec l’intention de dire une vérité sur l’humain qui nous concerne par notre humanité. » Mais rien à faire, le misérabilisme l’atteint quand il (elle) tente de raconter les malheurs d’autrui : « Ça me faisait pleurer d’empathie africaine, de douleur maritime, d’odyssée migratoire, de drames sanitaires. » Le personnage et son surmoi se moquent de conserve : « Fuck that fake, la misère humaine m’a filé un rhume qui m’a duré des jours, mon père se marrait. » D’ailleurs, il (elle) n’a rien su faire face à « un humain qui se fait écraser et traîner par terre et bourrer de coups de pied en pleine impunité » par des policiers. La honte recouvre son existence.

      Ce n’est qu’en lisant le récit d’une plainte pour viol, sur feminin.com, qui aboutit à l’arrestation du criminel que « ça se me[t] à bouger quelque chose » : « [C]omme si d’un coup la vulnérabilité devenait la raison même d’une souveraine beauté, ce que je me disais en lisant ce message qui m’a retourné l’âme et sa mort dedans. » Voilà la poésie, se dit-il (-elle), puis : « Je pense qu’on peut dire que j’étais un peu en dépression. Après j’ai dû passer des mois à lire Klemperer et Kraus en mangeant des bananes et relire Klemperer en refumant pas mal. […] Je lisais Klemperer pour tout exagérer, parce que la survie d’un philologue juif sous le IIIe Reich est tout de même incomparablement plus terrible que celle de no-life même sous état d’urgence dans la bonne ville de Lyon. » La dépression et l’histoire, c’était déjà le sujet de L’Enfance politique (2015), qui précède Poétique de l’emploi. L’écriture de Lefebvre met régulièrement en scène un personnage aux prises avec son surmoi, dès son premier récit, L’Autoportrait bleu (2009), publié comme les autres chez Verticales : « Il va falloir modifier ta façon de parler ma fille, je me disais en allemand, en français, puis de nouveau en allemand, puis en français et comme si j’étais ma propre mère. »

      Cette fois, c’est toute la société bien portante et pensante qui prend chair sous la forme du paternel : « Mon père était dans son 4 × 4, assis noblement au-dessus de l’ordinaire, il réglait son rétro à sa hauteur de vue, il dirigeait en même temps un concerto en do dièse mineur, il codait des résultats de séquençage du génome, il discutait des fondements de la valeur, il retournait la terre avec des paysans de l’Ardèche, il rédigeait son essai sur la philosophie scolastique, il rendait visite à des enfants cancéreux, il sauvait des humains de la noyade en Méditerranée, il regardait la télé en caleçon, il donnait son sang universel, il se coupait les ongles en lisant du Sophocle, il était digne et beau. » C’est que le malaise et la dépression dans laquelle nous sommes plongés sont le résultat, explique la narratrice de L’Enfance politique, d’un « viol politique dont [elle] ne me souvien[t] pas ». Toute la structure de la société est en jeu, aussi traite-t-on l’héroïne au pavillon de « sociothérapie » de l’hôpital psychiatrique. Poétique de l’emploi dit un peu la même chose autrement : « Je souffre par mon père d’une incapacité corporelle au social. » Il s’agit d’arriver, malgré ce social utilitariste et violeur, à travailler sans être employé. À la fin, le personnage lit la Lettre au père, de Kafka et conclut : « Il est excellent, ce Kafka, personne n’est comme lui dans toute l’humanité de ce grand peuple outang auquel j’appartiens. » Sans doute a-t-il lu aussi Communication à une académie, où un humain anciennement singe a renoncé à la liberté : « Je le répète : je n’avais pas envie d’imiter les hommes, je les imitais parce que je cherchais une issue. »(2)

  • « Histoire de la littérature récente », le livre dont vous êtes le héros
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/061117/histoire-de-la-litterature-recente-le-livre-dont-vous-etes-le-heros

    « The Swimmer », de Frank Perry et Sidney Pollack, avec Burt Lancaster (1968). Olivier Cadiot publie le tome II de son enquête : que faire avec le réel ? Sous les allures d’un livre de développement personnel, son programme pour faire de vous un.e écrivain.e ressemble à une course d’obstacles plutôt qu’à une cure d’épanouissement.

    #Culture-Idées #Olivier_Cadiot ;_Histoire_de_la_littérature_récente

  • Les amis
    1/5
    Ami entends-tu ?

    Cette semaine, Les Nouvelles Vagues sont celles de l’amitié. Nous commençons par rencontrer des amis de lutte qui constituent le collectif Mauvaise Troupe.
    Avec trois membres anonymes du collectif Mauvaise Troupe. Ils signent depuis quelques années plusieurs ouvrages collectifs : Constellations, Trajectoires révolutionnaires du jeune 21e siècle (éd. de l’Eclat, coll. Premiers secours, 2014) et Défendre la ZAD (éd. de l’Eclat, coll. Premiers secours, janvier 2016). Nous évoquons les nouvelles formes d’amitiés et de solidarités politiques forgées dans l’action (ZAD, squats, free parties etc.). Et avec Nicolas Pariser (par tel), réalisateur du film Le Grand jeu. Sorti en décembre 2015, ce film s’inspire de l’histoire de Tarnac, du Comité Invisible et de Julien Coupat.

    En fin d’émission, nous retrouvons l’auteur Olivier Cadiot qui nous parle de cinq moments de bascule dans son parcours. Aujourd’hui il évoque une presse d’imprimerie, acquise auprès d’un vieux collectionneur anglais à l’orée des années 1980. Une Albion press, que possédait aussi paraît-il une certaine Virginia Woolf…. Récit vers 14h50 dans la rubrique Au Singulier.

    http://www.franceculture.fr/emissions/les-nouvelles-vagues/les-amis-15-ami-entends-tu

    #emission #MauvaiseTroupe #ZAD #NDDL #squatt #freeparties #Tarnac #comiteinvisible

  • LE LECTEUR UNE ESPÈCE MENACÉE ?
    Michel Abescat et Erwan Desplanques

    Pas le temps... L’esprit ailleurs... Les amateurs de #livres sont en petite forme. Seuls les best-sellers trouvent voix au chapitre. La lecture passe-temps a-t-elle supplanté la lecture passion ? L’âge d’or de la littérature est-il révolu ? Enquête.

    L’amateur de littérature serait-il devenu une espèce menacée ? Tous les signes sont là. Son habitat se raréfie : à Paris, par exemple, 83 librairies ont disparu entre 2011 et 2014. Et sa population ne cesse de décliner. Selon une enquête Ipsos/Livres Hebdo de mars 2014, le nombre de lecteurs avait encore baissé de 5 % en trois ans. En 2014, trois Français sur dix confiaient ainsi n’avoir lu aucun livre dans l’année et quatre sur dix déclaraient lire moins qu’avant. Quant à la diversité des lectures, elle s’appauvrit également dangereusement, l’essentiel des ventes se concentrant de plus en plus sur quelques best-sellers. Guillaume Musso ou Harlan Coben occupent l’espace quand nombre d’écrivains reconnus survivent à 500 exemplaires.

    Fleuron contemporain de la biodiversité littéraire, l’Américain Philip Roth confiait récemment son pessimisme au journal Le Monde : « Je peux vous prédire que dans les trente ans il y aura autant de lecteurs de vraie littérature qu’il y a aujourd’hui de lecteurs de poésie en latin. » Faut-il préciser que dans son pays, selon une étude pour le National Endowment for the Arts, un Américain sur deux n’avait pas ouvert un seul livre en 2014 ? En début d’année, dans Télérama, l’Anglais Will Self y allait lui aussi de son pronostic : « Dans vingt-cinq ans, la littérature n’existera plus. » Faut-il croire ces oiseaux de mauvais augure ? Le lecteur serait-il carrément en voie de disparition ? Et le roman destiné au plaisir d’une petite coterie de lettrés ? Mauvaise passe ou chronique d’une mort annoncée ?

    La baisse de la lecture régulière de livres est constante depuis trente-cinq ans, comme l’attestent les enquêtes sur les pratiques culturelles menées depuis le début des années 1970 par le ministère de la Culture. En 1973, 28 % des Français lisaient plus de vingt livres par an. En 2008, ils n’étaient plus que 16 %. Et ce désengagement touche toutes les catégories, sans exception : sur la même période, les « bac et plus » ont perdu plus de la moitié de leurs forts lecteurs (26 % en 2008 contre 60 % en 1973). Si l’on observe les chiffres concernant les plus jeunes (15-29 ans), cette baisse devrait encore s’aggraver puisque la part des dévoreurs de pages a été divisée par trois entre 1988 et 2008 (de 10 % à 3 %).

    La lecture de livres devient minoritaire, chaque nouvelle génération comptant moins de grands liseurs que la précédente. Contrairement aux idées reçues, ce phénomène est une tendance de fond, antérieure à l’arrivée du numérique. « Internet n’a fait qu’accélérer le processus », constate le sociologue Olivier Donnat, un des principaux artisans de ces enquêtes sur les pratiques culturelles. Pour lui, « nous vivons un basculement de civilisation, du même ordre que celui qui avait été induit par l’invention de l’imprimerie. Notre rapport au livre est en train de changer, il n’occupe plus la place centrale que nous lui accordions, la littérature se désacralise, les élites s’en éloignent. C’est une histoire qui s’achève ».

    La lecture de romans devient une activité épisodique. En cause, le manque de temps ou la concurrence d’autres loisirs.

    La population des lecteurs réguliers vieillit et se féminise. Il suffit d’observer le public des rencontres littéraires en librairie. « La tranche d’âge est de 45-65 ans, note Pascal Thuot, de la librairie Millepages à Vincennes. Et les soirs où les hommes sont le plus nombreux, c’est 20 % maximum. » Les statistiques le confirment : chez les femmes, la baisse de la pratique de la lecture s’est en effet moins traduite par des abandons que par des glissements vers le statut de moyen ou faible lecteur. Dans les autres catégories, la lecture de romans devient une activité épisodique, un passe-temps pour l’été ou les dimanches de pluie. En cause, le « manque de temps » (63 %) ou la « concurrence d’autres loisirs » (45 %), comme le montre l’enquête Ipsos/Livres ­Hebdo. La multiplication des écrans, les sollicitations de Facebook, la séduction de YouTube, l’engouement pour des jeux comme Call of duty ou Candy Crush, le multitâche (écouter de la musique en surfant sur Internet) ne font pas bon ménage avec la littérature, qui nécessite une attention soutenue et du temps.

    Du côté des éditeurs, ce sont d’autres chiffres qui servent de baromètre. Ceux des ventes, qui illustrent à leur manière le même phénomène de désengagement des lecteurs. Certes les best-sellers sont toujours présents au rendez-vous. Ils résistent. Et les Marc Levy, David Foenkinos ou Katherine Pancol font figure de citadelles. Si massives qu’elles occultent le reste du paysage, qui s’effrite inexorablement : celui de la littérature dite du « milieu », c’est-à-dire l’immense majorité des romans, entre têtes de gondole et textes destinés à quelques amateurs pointus. Pascal Quignard peine ainsi à dépasser les 10 000 exemplaires, le dernier livre de Jean Echenoz s’est vendu à 16 000, Jean Rouaud séduit 2 000 à 3 000 lecteurs, à l’instar d’Antoine Volodine. Providence, le dernier livre d’Olivier Cadiot, s’est vendu à 1 400 exemplaires et le dernier Linda Lê, à 1 600 (chiffres GfK).

    Quant aux primo-romanciers, leurs ventes atteignent rarement le millier d’exemplaires en comptant les achats de leur mère et de leurs amis. « Oui, les auteurs qui vendaient 5 000 livres il y a quelques années n’en vendent plus que 1 000 ou 2 000 aujourd’hui. Et le vivent très mal », résume Yves Pagès, le patron des éditions Verticales. D’autant plus qu’à la baisse des ventes les éditeurs ont réagi en multipliant les titres pro­posés. De moins en moins de lecteurs, de plus en plus de livres ! Entre 2006 et 2013, la production de nouveaux titres a ainsi progressé de 33 %, selon une étude du Syndicat national de l’édition. Comment s’étonner alors que le tirage moyen des nouveautés soit en baisse, sur la même période, de 35 % ?

    “L’auteur est le Lumpenproletariat d’une industrie culturelle qui est devenue une industrie du nombre.” – Sylvie Octobre, sociologue

    La multiplication des écrivains est un autre effet mécanique de cette surproduction. Le ministère de la Culture recense aujourd’hui 9 500 « auteurs de littérature » qui doivent se partager un gâteau de plus en plus petit. Paupérisés, jetés dans l’arène de « rentrées littéraires » de plus en plus concurrentielles — cette année, 589 romans français et étrangers —, confrontés à l’indifférence quasi générale, les écrivains font grise mine. Ou s’en amusent, bravaches, à l’instar de François Bégaudeau, qui met en scène dans La Politesse (éd. Verticales), son irrésistible dernier roman, un auteur en butte aux questions de journalistes qui ne l’ont pas lu, aux chaises vides des rencontres en librairie, à la vacuité de salons de littérature où le jeu consiste à attendre des heures, derrière sa pile de livres, d’improbables lecteurs fantômes.

    Désarroi, humiliation, découragement : « L’auteur est le Lumpenproletariat d’une industrie culturelle qui est devenue une industrie du nombre », tranche la sociologue ­Sylvie Octobre. Editeur, Yves Pagès nuance évidemment : « Heureusement, il y a des contre-exemples qui soulignent l’intérêt de défendre un auteur sur la durée : Maylis de Kerangal, qui vendait moins de 1 000 exemplaires, a vendu Réparer les vivants à 160 000 exemplaires en grand format. » Pour éviter la catastrophe, les auteurs doivent ainsi, selon lui, faire attention à ne pas devenir des « machines néolibérales concurrentielles, s’enfumant les uns les autres sur de faux chiffres de vente ». Et surtout être lucides, et « sortir du syndrome Beckett-Lady Gaga. Il faut choisir son camp : on ne peut pas écrire comme Beckett et vendre autant que Lady Gaga ».

    De tout temps, les écrivains se sont plaints de ne pas vendre suffisamment. « A la sortie de La Naissance de la tragédie, Nietzsche n’en a vendu que 200 exemplaires et Flaubert n’avait pas une plus grande notoriété que celle de Pascal Quignard aujourd’hui, remarque la sémiologue Mariette Darrigrand, spécialiste des métiers du livre. Nos comparaisons sont simplement faussées quand on prend le XXe siècle comme référent, qui était, de fait, une période bénie pour le livre. » A croire selon elle que nous assisterions moins à une crise du livre qu’à un simple retour à la normale, après un certain âge d’or de la littérature, une parenthèse ouverte au XIXe siècle avec la démocratisation de la lecture et le succès des romans-feuilletons d’Alexandre Dumas, de Balzac ou d’Eugène Sue. Elle se serait refermée dans les années 1970-1980, avec la disparition de grandes figures comme Sartre ou Beckett et la concurrence de nouvelles pratiques culturelles (télévision, cinéma, Internet...).

    « La génération des baby-boomers entretenait encore un rapport à la littérature extrêmement révérencieux, confirme la sociologue Sylvie Octobre. Le parcours social était imprégné de méritocratie, dont le livre était l’instrument principal. Cette génération considérait comme normal de s’astreindre à franchir cent pages difficiles pour entrer dans un livre de Julien Gracq. Aujourd’hui, les jeunes font davantage d’études mais n’envisagent plus le livre de la même façon : ils sont plus réceptifs au plaisir que procure un texte qu’à son excellence formelle et ne hissent plus la littérature au-dessus des autres formes d’art. »

    Aujourd’hui, en France, trois films sur dix sont des adaptations littéraires.

    La majorité des auteurs d’aujourd’hui, comme Stendhal en son temps, devraient ainsi se résoudre à écrire pour leurs « happy few » — constat qui n’a rien de dramatique en soi : « Est-ce qu’il y a plus de cinq mille personnes en France qui peuvent vraiment se régaler à la lecture d’un livre de Quignard ? J’en doute, mais c’est vrai de tout temps : une oeuvre importante, traversée par la question du langage et de la métaphysique, n’a pas à avoir beaucoup plus de lecteurs, estime Mariette Darrigrand. Certains livres continuent de toucher le grand public, comme les derniers romans d’Emmanuel Carrère ou de Michel Houellebecq, mais pour des raisons qui tiennent souvent davantage au sujet traité qu’aux strictes qualités littéraires. »

    L’appétit pour le récit, la fiction est toujours là, lui, qui se déplace, évolue, s’entiche de nouvelles formes d’expression plus spectaculaires ou faciles d’accès. Aujourd’hui, en France, trois films sur dix sont des adaptations littéraires. « La génération née avec les écrans perd peu à peu la faculté de faire fonctionner son imaginaire à partir d’un simple texte, sans images ni musique, constate Olivier Donnat. On peut le regretter, mais elle trouve aussi le romanesque ailleurs, notamment dans les séries télé. » Dans la lignée de feuilletons littéraires du xixe siècle, Homeland ou The Wire fédèrent de nos jours plus que n’importe quel ou­vrage de librairie. De l’avis gé­néral, la série télé serait devenue « le roman populaire d’aujourd’hui » (Mariette Darrigrand), la forme « qui s’adresse le mieux à l’époque » (Xabi Molia), parlant de front à toutes les générations, à tous les milieux sociaux ou culturels, avec parfois d’heureuses conséquences (inattendues) sur la lecture (voir le succès des tomes originels de Game of thrones, de George R.R. Martin, après la diffusion de leur adaptation sur HBO).

    En cinquante ans, l’environnement culturel s’est élargi, étoffé, diversifié, au risque de marginaliser la littérature et l’expérience poétique. « Ma génération a grandi sur les ruines d’une période particulièrement favorable au livre, dit François Bégaudeau. Ce n’est pas une raison pour pleurer. Moi je viens de la marge, d’abord avec le punk-rock puis avec l’extrême gauche, j’ai appris à savourer la puissance du mineur : assumons-nous comme petits et minoritaires, serrons-nous les coudes entre passionnés de littérature, écrivons de bons livres et renversons l’aigreur en passion joyeuse. » Car la créativité est toujours là : l’éditeur Paul Otchakovsky-Laurens dit recevoir chaque année des manuscrits meilleurs que les années précédentes. Et le libraire Pascal Thuot s’étonne moins du nombre de titres qu’il déballe chaque année des cartons (environ dix mille) que de leur qualité. « Il ne faut pas sombrer dans le catastrophisme : si les ventes baissent, la littérature française reste en excellente santé, assure Yves Pagès. Sa diversité a rarement été aussi forte et reconnue à l’étranger. »

    Tous espèrent simplement que ce bouillonnement créatif ne tournera pas en vase clos, à destination d’un public confidentiel de dix mille lecteurs résistants, mais trouvera de nouveaux relais et un accueil plus large chez les jeunes. Mais comment séduire les vingtenaires avec des romans à 15 euros quand le reste de la production culturelle est quasiment gratuite sur Internet ? « A la différence des séries télé, les romans sont difficiles à pirater, c’est ce qui les sauve et en même temps les tue », note Xabi Molia. Pour survivre, le roman doit faire sa mue à l’écran, s’ouvrir aux nouveaux usages, chercher à être plus abordable (sans céder sur l’exigence), notamment sur Internet où les prix restent prohibitifs. Peut-être alors ne sera-t-il pas condamné au sort de la poésie en latin...

  • Olivier Cadiot : « Providence »
    "Comment puis-je dire des choses qui n’ont jamais été dites auparavant ?"

    Dans « Providence », Olivier Cadiot évoque tout à la fois la délicate réalité et les privilèges de l’écrivain contemporain...

    Cadiot / « entre les lignes »
    http://www.rts.ch/espace-2/programmes/entre-les-lignes/6377048-olivier-cadiot-providence-07-01-2015.html?f=player/popup

    Olivier Cadiot / France Inter
    http://www.franceinter.fr/emission-lhumeur-vagabonde-olivier-cadiot-0

    #litterature

  • Le Chant des Particules
    http://www.lechantdesparticules.net

    Un vieux scientifique se remémore la mise en service au début du XXIe siècle de la machine la plus complexe jamais créée par l’homme : un accélérateur de #particules conçu dans le but de percer le secret des origines de l’Univers…

    réalisation directed by
    BENOÎT BOURREAU

    voix voice-over by
    MICHAEL LONSDALE

    texte text by
    OLIVIER CADIOT

    musique music by
    STEVE ARGÜELLES, NICOLAS BECKER, BENOÎT DELBECQ

    image cinematography by
    JACQUES BESSE

    © LES FILMS DE L’ÉTRANGER/
    ARCADI/UNLIMITED – 2011

    C’est un truc pour @fil le #film parle de math, de protons, de bosons, de physique...

  • Répond le psaume
    http://www.vacarme.org/article2384.html

    Dans l’entretien qui précède, http://www.vacarme.org/article211.html Frédéric Boyer et Olivier Cadiot redoutent que le débat suscité par leur « nouvelle traduction » ne se cristallise autour de la question du droit, pour des écrivains, à se colleter avec les écritures bibliques. S’ils craignent juste, si se déclenche une querelle des légitimités, alors nos questions sont vieilles, et nos débats disent une ignorance. Soit le Psaume LI, et ce qu’en firent successivement Marot, Castellion, Baïf, Corneille, Claudel, Meschonnic et aujourd’hui Cadiot.