person:pierre-marie lledo

  • 6 règles d’or pour que votre cerveau continue de fabriquer de nouveaux neurones
    https://www.crashdebug.fr/sciencess/14720-6-regles-d-or-pour-que-votre-cerveau-continue-de-fabriquer-de-nouve

    Saviez-vous que, à n’importe quel âge, votre cerveau a le pouvoir de fabriquer en permanence de nouveaux neurones ? A condition de respecter quelques principes.

    Représentation d’un neurone sur fond noir. (c) SUPERSTOCK/SUPERSTOCK/SIPA

    La production de nouveaux neurones ne s’arrête jamais. Des chercheurs ont observé que dans une région du cerveau impliquée dans la formation des souvenirs et la gestion des émotions - l’hippocampe -, les anciens neurones étaient remplacés par d’autres, fraîchement produits à partir de cellules souches. Et chacun de nous aurait ce potentiel, quel que soit notre âge. Rassurant. Sauf que, d’après le Pr Pierre-Marie Lledo, lors de la deuxième édition du colloque S3 Odéon, les expériences chez les souris ont montré que cette capacité pouvait diminuer, (...)

    #En_vedette #Actualités_scientifique #Sciences

  • L’optogénétique prend le contrôle des neurones

    http://www.lemonde.fr/sciences/article/2016/11/21/l-optogenetique-prend-le-controle-des-neurones_5035405_1650684.html

    Manipuler les neurones grâce au pinceau lumineux d’une fibre optique  : cette technique permet d’explorer le fonctionnement cérébral, et ouvre des perspectives dans la restauration de la vision.

    Qu’est-ce que le cerveau humain, sinon un palimpseste immense et naturel ? Mon cerveau est un palimpseste, et le vôtre aussi, lecteur. Des couches innombrables d’idées, d’images, de sentiments sont tombées successivement sur votre cerveau, aussi doucement que la lumière. Il a semblé que chacune ensevelissait la précédente. Mais aucune en réalité n’a péri », décrivait, visionnaire, Charles Baudelaire dans Les Paradis artificiels (1860).

    Cette lumière qui s’insinuait dans le cerveau des lecteurs, par la grâce du poète, pleut aujourd’hui bel et bien sur l’encéphale d’innombrables souris, mouches, singes ou poissons à travers le monde, par la volonté des chercheurs. Dans des milliers de laboratoires, une traînée de poudre chatoyante – bleue, verte, jaune ou rouge – semble se répandre, dans l’œil ou le cerveau de ces animaux, grâce à une jeune fée Clochette, prodigieusement habile.

    Cette fée, c’est l’optogénétique. Elle tire ses singuliers pouvoirs d’un pacte inattendu entre deux ­elfes, le génie génétique et l’optique. Leur savante alliance rend les neurones sensibles à la lumière. Mais pas tous : la force de cet outil, c’est qu’il permet de cibler certains neurones, en fonction de leur emplacement ou de leur type. Un exploit, dans ce dédale qu’est le cerveau.

    Au départ, un rêve

    La lumière, pour le poète, était une métaphore de la mémoire. Pour les chercheurs aujourd’hui, elle devient… une arme de manipulation de la ­mémoire ! Sur le palimpseste du cerveau d’ingénus rongeurs, ils ont effacé de douloureux souvenirs ; ils y ont même « écrit » de faux souvenirs…

    « Ces cinq dernières années, l’optogénétique a permis un formidable essor des connaissances sur la ­façon dont les circuits de neurones s’organisent pour régir les comportements, les perceptions sensorielles, les mouvements, la mémoire ou la peur, s’enthousiasme Claire Wyart, de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) à Paris. Au plan thérapeutique, l’enjeu le plus prometteur tient aux efforts menés pour restaurer une forme de vision chez des patients aveugles. »

    Cette technique aux superpouvoirs, la revue Science l’a qualifiée en 2010 de « percée technologique de la décennie ». En 2013, le prestigieux Brain Prize a été attribué aux six inventeurs de l’optogénétique, « une technique révolutionnaire pour avancer dans la compréhension du cerveau et de ses désordres ». Au départ, le rêve de l’optogénétique, c’est celui du Prix Nobel Francis Crick, codécouvreur de l’ADN. Dès 1979, il a prédit que, pour progresser dans l’étude du cerveau, il faudrait pouvoir activer et désactiver des neurones à la demande. Ajoutant, en 1999, que pour ce faire, « le signal idéal serait la lumière ».

    Cet espoir se concrétisera en 2005, grâce à « deux ­alliés inattendus : une algue et une bactérie », explique le professeur Christian Lüscher, de l’université de ­Genève. Trois ans plus tôt, en 2002, les biophysiciens Hegemann, Nagel et Bamberg annonçaient avoir percé – après quinze ans d’efforts – le secret du tropisme vers la lumière d’une algue unicellulaire, Chlamydomonas reinhardtii. Sa membrane est dotée d’une « opsine », une molécule en forme de canal qui joue le rôle d’un commutateur optique : en présence de lumière verte, le canal s’ouvre, laisse entrer dans la cellule des ions positifs et propulse l’algue vers la ­lumière. En 2003, le trio décrivait le rôle d’une opsine, CR2, qui s’ouvre sous l’effet d’une lumière bleue.

    Dès ce moment, le trio saisit le potentiel de sa découverte. Il en propose deux ­applications, l’activation des neurones et la restauration visuelle. Un brevet sera déposé parl’Institut Max-Planck à Francfort, dès 2002. C’est alors qu’entre en scène un psychiatre américain, Karl Deisseroth, de l’université Stanford (Californie), et son post-doctorant, Edward Boyden – aujourd’hui au Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Boston. Grâce à un virus, ils introduisent le gène de l’opsine CR2 dans des neurones de souris en culture. Un succès : les neurones répondent à la lumière. Ce travail sera publié, en 2005, dans Nature Neuroscience. Cité plus de 2 100 fois, il propulsera les deux Américains sur le ­devant de la scène.

    Restait à trouver le moyen d’inhiber les neurones. Entre en jeu le « second allié » : une archéobactérie qui fournit une autre protéine, l’halorhodopsine. Activée par une lumière jaune, cette protéine laisse pénétrer des ions négatifs dans le neurone, inhibant son activité.
    Mais comment cibler les « bons » neurones, ceux dont on veut contrôler ­l’activité ? C’est là qu’intervient le génie génétique. Le gène d’une de ces opsines est placé sous le contrôle d’une « adresse ­génétique » qui permet de le diriger vers les bons neurones. Le tout est introduit dans un virus qui sert de vecteur. Injecté dans l’œil ou le cerveau d’un animal ­modèle, il infecte les neurones. Seuls ceux qui sont ainsi ciblés produisent la fameuse opsine. Avec une lumière de la bonne couleur (bleue ou jaune), on peut ainsi activer ou inhiber uniquement les neurones qui ont produit, et intégré dans leurs membranes, ces précieuses opsines. En 2006, Deisseroth nommera ­« optogénétique » cet ­ingénieux système. Il est aujourd’hui utilisé dans des laboratoires du monde entier et, comme c’est souvent le cas pour ce type d’innovations révolutionnaires, il se retrouve au cœur d’intenses querelles de paternité.

    Stimuler les cellules de la rétine

    L’enjeu médical le plus évident est la restauration de la vision. Un des pionniers est le médecin-mathématicien suisse Botond Roska, de l’Institut Friedrich-Miescher de recherche biomédicale à Bâle. « Un ovni, très inventif », dit Claire Wyart. En 2008, il parvient à rétablir une perception visuelle chez des souris aveugles en réactivant, par optogénétique, des cellules en aval des photorécepteurs – les cellules de la rétine qui reçoivent la lumière. En 2010, avec l’équipe de José-Alain Sahel, directeur de l’Institut de la vision à Paris, il copublie dans Science une étude montrant comment restaurer l’activité de photorécepteurs chez des souris aveugles, ainsi que sur des rétines humaines post mortem.

    « Même quand les photorécepteurs de l’œil dégénèrent, il reste des cellules de la rétine qui peuvent capter un signal visuel et le transmettre au cerveau », explique Serge Picaud, de l’Institut de la vision. D’où l’idée de les stimuler par optogénétique. Le principe : on injecte dans l’œil un virus capable d’amener le gène d’une opsine jusqu’aux cellules de la rétine. Une lumière activera alors les cellules ayant intégré ces molécules. Mais il y a un hic : ces cellules restent incapables d’ajuster leurs réponses à l’intensité ­lumineuse. « C’est pourquoi les patients doivent porter des lunettes à réalité augmentée, munies d’une caméra qui enregistre la scène visuelle et la projette sur leur rétine », explique José-Alain Sahel.

    Autre obstacle : la lumière bleue peut induire des lésions oculaires. A l’Institut de la vision, les chercheurs ont donc testé une opsine modifiée, sensible à la lumière infrarouge – moins toxique pour l’œil. Le résultat a été publié en septembre dans EMBO Molecular Medicine : avec cette lumière infrarouge, on peut restaurer des réponses à la lumière dans le circuit visuel de souris aveugles.

    « Certains patients répondront-ils mieux à l’optogénétique qu’à des implants rétiniens ? Les essais cliniques le diront », explique Serge Picaud. L’objectif n’est pas de restaurer une vision complète, mais « de redonner aux patients aveugles une certaine autonomie, par exemple en leur permettant de lire sur un écran ». En 2016, un premier essai clinique a été lancé par la start-up Retrosenses (rachetée par Allergan). Mi-2017, un autre essai devrait ­démarrer « chez une douzaine de patients aveugles atteints de rétinopathie pigmentaire », précise José-Alain Sahel, qui ­conduira cet essai avec Botond Roska et la société GenSight Biologics.

    La cardiologie explore le potentiel de cet outil. Les cellules du cœur sont excitables. En septembre 2016, une équipe ­allemande a montré comment, chez la souris, l’optogénétique peut stopper les fibrillations ventriculaires, ces tornades électriques qui balaient le cœur – entraînant une mort subite dans 95 % des cas, chez l’homme. Deux obstacles majeurs subsistent. « Il faudrait d’abord modifier génétiquement les cellules du cœur, puis passer la barrière du thorax pour amener la lumière jusqu’au cœur », note Michel Haïssaguerre, du CHU de Bordeaux. D’autant que « le besoin médical n’est pas criant : les défibrillateurs implantables sont sans cesse améliorés ».
    L’optogénétique ouvre aussi une formidable fenêtre sur les circuits de neurones qui gouvernent des fonctions-clés. « Elle permet de comprendre les relations entre les émotions primaires et leurs sub­strats anatomiques et cellulaires, résume Pierre-Marie Lledo, de l’Institut Pasteur. Les émotions positives et négatives apparaissent gérées et stockées dans des circuits très chevauchants. »

    Et la mémoire ? « Comprendre son ­codage dans le cerveau, c’est un des Graal de l’optogénétique », relève Karim Benchenane, de l’Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de la ville de Paris (ESPCI). Une série de découvertes, en 2012 et 2013, a fait le tour du monde. Le Prix Nobel Susumu Tonegawa, à l’Institut Riken (Tokyo) et au MIT (Cambridge), est parvenu à modifier, par optogénétique, les souvenirs stockés dans l’hippocampe de rongeurs.

    Son équipe a d’abord placé des souris dans un « contexte A ». Puis, ils les ont ­mises dans un « contexte B », toujours en leur administrant un petit choc électrique. En même temps, ils ont enregistré l’activité des neurones activés dans ce contexte B. En réactivant ensuite par optogénétique ces mêmes neurones dans un autre contexte, la souris se comportait comme si elle était dans le contexte B : elle avait peur. Ensuite, les chercheurs ont apparié ce contexte B à un autre contexte C. « Ils sont parvenus à faire croire au rongeur que ce contexte C faisait peur, alors que la souris n’avait jamais eu peur dans cette ­situation », expliqueGabriel Lepousez, de l’Institut Pasteur.

    Ce travail a eu une suite. En 2015, ces mêmes chercheurs ont repéré (en les ­enregistrant) les neurones activés dans une situation positive pour la souris. ­Ensuite, dans un contexte négatif pour l’animal, ils ont réactivé ces mêmes neurones – réveillant ainsi une mémoire ­positive. Résultat : ils ont supprimé les comportements dépressifs liés à ce ­contexte négatif.

    A l’Institut Pasteur, Gabriel Lepousez utilise l’optogénétique pour comprendre le système olfactif. Confirmant ce que Proust avait si bien décrit, avec sa madeleine : l’olfaction est particulièrement sensible à notre vécu. « Lors des étapes précoces de codage des odeurs, ce système reçoit plus d’informations intérieures que d’informations extérieures. » D’où cette question : percevons-nous la réalité, ou ce que notre cerveau a envie de percevoir ?

    L’addiction est un autre objet d’étude privilégié pour l’optogénétique. « L’addiction est une maladie liée à un gain de ­fonction des neurones », explique Christian Lüscher, pionnier de ce domaine à Genève. Son équipe a montré comment une exposition à la cocaïne, chez la souris, renforce à l’excès certaines synapses (des synapses activées par le glutamate, le principal système excitateur du cerveau), dans une structure cérébrale profonde impliquée dans le circuit de la ­récompense. « En corrigeant ce remodelage par optogénétique, nous sommes parvenus, chez la souris, à normaliser le comportement pathologique de recherche de cocaïne. » Chez l’homme, il n’est pas (encore ?) possible d’utiliser l’optogénétique pour agir sur le cerveau : la technique est trop invasive (les os du crâne ne laissant pas passer la lumière). Mais ces recherches pourraient permettre d’atténuer les effets secondaires de la « stimulation cérébrale profonde », une thérapie de la maladie de Parkinson, notamment.

    Comment la locomotion des vertébrés est-elle contrôlée ? A cette question, l’optogénétique a offert ses lumières. Jusqu’ici, la locomotion semblait principalement contrôlée par le cerveau, qui envoie des commandes à la moelle épinière, et par des voies réflexes. « Mais nous avons ­découvert une troisième voie : c’est une boucle sensori-motrice qui se trouve dans la moelle épinière », raconte Claire Wyart. Les neurones sensoriels de cette voie « goûtent » le contenu du liquide céphalo-rachidien qui les baigne. Ils en intègrent des signaux mécaniques et chimiques. Puis ils contrôlent la locomotion et la posture, par le biais de leurs projections sur la moelle épinière. Identifiée chez le poisson zèbre, cette voie est ­conservée chez la souris et le macaque. « Dans quelle mesure, par cette voie, nos états physiologiques ­internes – une maladie, une douleur, une réaction inflammatoire, un manque de sommeil… – peuvent-ils moduler la locomotion ? », s’interroge la chercheuse.

    Téléguider les cellules

    Comprendre la biologie des cellules, et pas seulement des neurones, est une ­application émergente de l’optogénétique. Notamment en cancérologie. « A l’aide d’un couple de protéines végétales qui s’associent sous l’effet de la lumière bleue, nous pouvons “téléguider” les cellules. Cette méthode nous aide à comprendre la migration et l’invasion des tissus par les cellules tumorales », explique Mathieu Coppey, de l’Institut Curie (Paris).

    Reste que la nature n’a pas cru bon d’équiper nos neurones de protéines d’algues ou de bactéries sensibles à la ­lumière. D’où cette question : les activations de neurones obtenues par optogénétique reflètent-elles leur activité naturelle ? « Comme toute technique à ses ­débuts, c’était un peu une approche ­“bazooka”, remarque Claire Wyart. On a décelé plusieurs artéfacts. » Par exemple, la lumière tend à activer tous les neurones d’un coup, dans la région ciblée, un peu comme une réponse épileptique. Dans la réalité, les neurones sont activés selon un ordre spatial et temporel riche.

    C’est pourquoi les chercheurs rivalisent d’ingéniosité pour raffiner cet outil. ­Valentina Emiliani, physicienne au CNRS, développe ainsi des techniques d’holographie en 3D pour « sculpter la lumière », et ne l’amener qu’en des endroits très précis. Cela devrait permettre de ne suivre ou de n’activer qu’un seul neurone à la fois. D’autres pistes d’améliorations tiennent à ces fameuses opsines. « Les meilleures viennent du laboratoire d’Edward Boyden », dit Claire Wyart. C’est lui qui a mis au point des ­opsines sensibles à la lumière infrarouge, qui pénètre mieux les tissus.

    L’optogénétique commence à être utilisée chez le singe. En septembre, un travail marquant a été publié dans Cell. L’équipe de Wolfram Schultz, à Cambridge (Royaume-Uni), a biaisé un ­apprentissage chez le macaque, en lui donnant l’illusion d’une récompense. Comment ? En activant par optogénétique, lors d’un choix, les neurones du circuit de la récompense (les neurones à ­dopamine). L’enjeu : comprendre ce qui se joue dans les dérèglements de l’humeur, les troubles addictifs…
    Des résultats aussi fascinants que ­dérangeants. Où nous apparaissons comme les jouets de l’activité électrique, plus ou moins manipulable, de quelques poignées de neurones…

    Mais pourquoi les circuits de la motricité et de la récompense sont-ils si entremêlés, dans notre cerveau ? Ce n’est pas un hasard. Car pour qu’une espèce survive, ses individus doivent en priorité s’alimenter, se reproduire, réagir à une agression. Une sélection s’est donc opérée, au fil de l’évolution, en faveur d’un système qui ­récompense l’exécution de ces fonctions vitales. L’évolution nous aurait-elle manipulés ? Si enchanteurs soient-ils, ses stratagèmes n’ont rien à envier aux ruses des chercheurs, quand ils bernent leurs ­cobayes. On peut se consoler : si subterfuge il y a, nous en sommes les victimes consentantes, et parfois lucides.

    Une invention à la paternité disputée

    L’histoire de l’invention de l’optogénétique semblait aussi lumineuse que les lasers ­qui allument les neurones. Mais quelques ombres sont venues brouiller ce récit. Fin 2013, l’Académie des sciences de Suède réunissait à Stockholm les pionniers de l’optogénétique. Entre le trio allemand (les biophysiciens Hegemann, Nagel et Bamberg, qui ont ­déposé un brevet en 2002) et le duo américain (Deisseroth et Boyden), il y aurait eu de vifs échanges sur l’antériorité de cette invention…
    Autre imbroglio : le 1er septembre, le site biomédical STAT révélait la contribution ­méconnue d’un chercheur, Zhuo-Hua Pan, de l’université de Detroit. Il aurait soumis à la revue Nature, dès novembre 2004, les résultats d’un travail montrant l’intérêt du canal membranaire ­photosensible CR2 pour restaurer la vision. En vain. Nature Neuroscience l’aurait aussi ­refusé. Sept mois plus tard, ce journal publiait les résultats de Deisseroth et Boyden.

    Ces tensions ne sont pas sans en évoquer d’autres – bien plus âpres – sur la « paternité » d’une invention au succès planétaire. On songe à la guerre des brevets qui plombe ­l’invention du fameux outil de modification des génomes Crispr-Cas9… Ironie de l’histoire, Feng Zhang (MIT), qui a travaillé avec Deisseroth et Boyden, a contribué à ces deux technologies révolutionnaires, à l’antériorité disputée. Mais, avec l’optogénétique, les ­revendications sont restées très « soft ». « Cet outil montre comment l’innovation scientifique peut être nourrie par un accès libre à une technologie », se réjouit Gabriel Lepousez, de l’Institut Pasteur (Paris).

  • ÉCOLOGISME ET TRANSHUMANISME
    Des connexions contre nature

    Ecologistes, végans et sympathisants de gauche prolifèrent au sein du mouvement transhumaniste. Après Le Monde, Le Nouvel Obs et Politis, Primevère, le plus grand salon écologiste français, invitait en 2016 un de ses représentants à s’exprimer. Didier Cœurnelle, vice-président de l’Association française transhumaniste, est élu Vert en Belgique. Il aurait eu les mots pour séduire les visiteurs de Primevère, avec une « vie en bonne santé beaucoup plus longue, solidaire, pacifique, heureuse et respectueuse de l’environnement, non pas malgré, mais grâce aux applications de la science. » (1) Il aura fallu les protestations d’opposants aux nécrotechnologies pour que le salon annule son invitation. (2) Les transhumanistes ne luttent pas contre les nuisances. Technophiles et « résilients », ils comptent sur l’ingénierie génétique, la chimie et les nanotechnologies pour adapter la nature humaine et animale à un milieu saccagé.

    Faut-il un État mondial inter-espèces pour lutter contre les dominations entre humains et animaux ? Voire entre animaux, avec des prédateurs devenus herbivores après modification génétique ? Même si leurs idées prêtent à rire, les transhumanistes ne sont pas des ahuris victimes d’une indigestion de mauvaise science-fiction. Ils sont écologistes et végans (c’est-à-dire refusant de consommer les produits issus des animaux), certes. Parfois même bouddhistes. Mais aussi philosophes, généticiens, informaticiens, sociologues ou start-uppers rétribués par Harvard, Oxford, la London school of economics ou Google. La plupart d’entre eux veulent le bien de la planète et de ses habitants, lutter contre les oppressions, tout en augmentant notre espérance de vie jusqu’à « la mort de la mort ».

    Les deux porte-paroles du mouvement transhumaniste francophone revendiquent leur militantisme « écolo ». Marc Roux a été adhérent de l’Alternative rouge et verte. Didier Coeurnelle est élu Vert de la commune de Molenbeek. Le co-fondateur de Humanity+, la principale association transhumaniste américaine, David Pearce, est un militant anti-spéciste et végan. L’Australien Peter Singer, philosophe et auteur du livre de référence des antispécistes La libération animale (1975), est lui-même transhumaniste et ancien candidat Vert en Australie. Quant à l’actuel directeur de Humanity+, James Hughes, en tant que bouddhiste, il ne ferait pas de mal à une mouche. Loin de l’image repoussoir de libertariens insensibles aux malheurs qui les entourent, les transhumanistes sont souvent des progressistes de gauche, écologistes et féministes, suivant la bonne conscience qui règne dans la Silicon Valley depuis le mouvement hippie des années 1960. En France, à l’avant-garde des partisans de la reproduction artificielle de l’humain (PMA-GPA) figurent les membres d’Europe-écologie les Verts.

    D’après Marc Roux et Didier Cœurnelle, auteurs de Technoprog (3), les transhumanistes seraient majoritairement de gauche, attachés à un système social et à une médecine redistributive, contre l’idée d’une humanité à deux vitesses après sélection génétique. Ils se trouvent même des points communs avec les « objecteurs de croissance ». (4) Fort bien. Laissons de côté les ultras, libertariens ou technogaïanistes, et intéressons-nous à ces transhumanistes sociaux-démocrates et soit-disant écolos. Ceux qui introduisent le loup transhumaniste dans la bergerie verte.

    BIENVEILLANCE AUGMENTÉE

    Aux origines des mouvements contestataires et écologistes américains que l’on qualifia un temps de New left, on trouve l’opposition à la guerre et à l’enrôlement forcé. Les années passant, le post-modernisme faisant son travail de dépolitisation, cette « non-violence » se reporta sur les rapports interpersonnels (on dit : les « micro-agressions ») pour accoucher de « safe spaces » que les lecteurs des Inrocks connaissent par cœur. Les transhumanistes, qui sont autant de leur époque qu’un centre LGBT de province, veulent eux aussi une planète plus safe, sans micro-agressions.
    Si les codes de bonne conduite ne suffisent pas, ils suggèrent le moral enhancement (l’amélioration morale) de l’humanité et des animaux (« non-humains », précise-t-on chez les post-modernes), soit « l’amélioration de la compassion, de la solidarité et de l’empathie » par des moyens génétiques ou médicaux. Comme la prise d’ocytocine par exemple, qui favoriserait les comportements solidaires. « Diminuer les souffrances, augmenter les plaisirs, cela fait partie de ce que nous souhaitons intensément pour nous-mêmes et, peut-être plus encore, pour les autres », clament les auteurs « de gauche » de Technoprog. Comment dire du mal de prêcheurs aussi sirupeux.

    Deux philosophes du « Moral enhancement » publiés par l’Oxford University Press assurent que « Notre connaissance de la biologie humaine - en particulier, de la génétique et de la neurobiologie - commence à nous permettre d’influer directement sur les bases biologiques ou physiologiques de la motivation humaine, soit par des médicaments ou par sélection génétique, soit en utilisant des dispositifs externes qui affectent le cerveau ou le processus d’apprentissage. » (5) Loin des élucubrations, ces projets deviennent chaque jour plus réalistes - notamment grâce aux avancées dans l’édition génomique du type CRISPR-CAS 9. Certains imaginent une humanité et une animalité génétiquement bienveillantes et heureuses. Le neurobiologiste Pierre-Marie Lledo, directeur du département Neurologie de l’Institut Pasteur, ne vante-t-il pas l’optogénétique pour « former et effacer des souvenirs » et ainsi créer des humains « qui n’ont plus peur de la peur, ou qui garderaient un souvenir positif d’événements très négatifs » (6) ? On imagine les applications pour prévenir les suicides chez Foxconn et les traumas des soldats.

    Nous avons vu paraître il y a peu en France, sous le patronage de l’UFR de Philosophie de la Sorbonne et le regard approbateur des transhumanistes, le mouvement « Altruisme efficace » – traduction de l’effective altruism de Peter Singer promu par des philanthropes tels que Peter Thiel, fondateur de PayPal, Jaan Tallinn de Skype, ou encore Duston Moskowitz de Facebook. Leur souhait : une plus grande efficience des œuvres de charité sur la base du ratio « euro donné/quantité de ‘’bien’’ atteint ». La branche « Charity Science » de ce mouvement calculera, grâce aux outils du Big data, le bonheur ressenti. Un végan comme David Pearce, fondateur de Humanity+, promeut quant à lui le Paradise Engineering, soit l’ingénierie génétique et les nanotechnologies au profit du bonheur et de l’empathie envers les humains et les animaux. D’où leur enthousiasme pour le wireheading, la stimulation par électrodes des zones du cerveau dévolues au plaisir. Amis dépressifs, on vous prendra la tête.

    Au delà de la philanthropie typique du capitalisme anglo-saxon, émerge une sorte de bouddhisme augmenté, une pleine conscience et un éveil spirituel assurés par la pharmacie, l’ingénierie génétique et les technologies de communication. Le plus célèbre des bouddhistes français, Matthieu Ricard, lui-même docteur en génétique cellulaire, s’affiche aux côtés de transhumanistes comme Peter Singer et les Altruistes efficaces. Il est membre, au même titre que le Dalaï Lama, du Mind and Life Institute, un club de bouddhistes et de scientifiques pour qui l’accès à la pleine conscience par neurostimulation présente un grand espoir (la neuro-théologie). Le Dalaï Lama a donné sa « bénédiction » au projet « Avatar » du transhumaniste milliardaire russe Itskov dont l’objet est d’atteindre l’immortalité d’ici 2045. (7)

    Si la société va mal, ce serait donc par manque d’empathie. Voilà tout. De notre part ? De nos dirigeants ? On retrouve là les obsessions « safe » des post-modernes qui évacuent toute explication politique au profit du sirop psychologisant versé dans les cercles de bienveillance non-mixtes. Or, c’est se tromper sur la nature d’un système, qu’on l’appelle technicien, bureaucratique ou capitaliste, que d’ignorer le rôle d’intérêts objectifs, ceux des classes possédantes, des élus, des techniciens de l’administration. Leur machine bureaucratique fonctionne. Elle n’est pas le fait d’êtres sensibles qu’il faudrait moraliser, mais d’acteurs rationnels qu’il s’agit de renverser.

    UN ANTISPÉCISME TRÈS ARTIFICIEL

    « La nature, ça n’existe pas », nous répète l’importateur français des thèses antispécistes Yves Bonnardel. (8) Dès lors, pourquoi s’émouvoir qu’un steak in vitro puisse représenter l’avenir de notre alimentation ? Vous savez, ce steak élevé en laboratoire en 2013 à partir de cellules souches de bovin ? Ce steak à 250 000 dollars a été financé par le boss de Google, Serguey Brin, préoccupé par la souffrance animale. Il va falloir vous faire à l’idée, car les antispécistes et les écolos transhumanistes préparent votre pâtée quotidienne garantie sans domination humaine. Déjà, certains magasins bio proposent des substituts de repas complet sous forme de poudre à diluer, garantis bio, végans et sans OGM. Ils s’inspirent du premier substitut protéinique vegan appelé Soylent, en référence au film Soleil vert (Soylent green en anglais) dans lequel l’humanité superflue ingère des tablettes d’humains faute de nourriture. Le concepteur de ce substitut est informaticien. Rob Rhinehart prétend s’en nourrir à 80 %. « Résultat : il n’est pas allé à l’épicerie depuis des années. Il ne possède plus de frigo ni de vaisselle. Et il a transformé sa cuisine en bibliothèque. » (9) La composition chimico-informatique de son produit est en open source. Ce qui en fait un transhumaniste de gauche, contre la propriété privée, l’exploitation animale et la mal-nutrition du tiers-monde. Un autre transhumanisme est possible, vous dit-on.

    Pourquoi cette attention portée à la viande ? Un kilo de viande bovine requiert 10 kg de nourriture végétale. Les élevages consomment déjà 30 % des terres arables et rejettent 15 % des gaz à effet de serre. En 2050, nous serons 9 milliards d’omnivores humains et notre consommation de protéines aura doublé. Un vrai challenge pour ingénieurs, informaticiens, biologistes et business angels de la Silicon Valley. Même Bill Gates s’en émeut, qui investit dans la viande sans viande depuis 2013. En la matière, si l’on peut dire, les mayonnaises et les cookies végan de la Hampton Creek’s, basée à San Francisco, font recette. Le secret de leur mayonnaise sans œufs au goût de mayo ? Une intelligence artificielle supervisée par des biochimistes et l’ancien data scientist de Google, Dan Zigmond. Adieu Mamie Nova, les dimanches après-midis à faire des confitures et des pots pour l’hiver : le process culinaire du XXI° siècle s’obtient par modélisation informatique de milliards d’assemblages possibles de protéines végétales. C’est bien la peine de s’augmenter, d’améliorer son intelligence et de vaincre la mort si c’est pour bouffer de la pâtée techno-vegan le reste de son immortalité. Mais c’est le prix à payer pour survivre au désastre écologique.

    « Tout ce qui nous permet de trouver de bonnes alternatives, de bonnes techniques exemptes de cruauté, durables, saines et économiquement compétitives, nous fait faire un pas vers la fin de l’exploitation animale », affirmait Peter Singer, notre philosophe végan et transhumaniste, qui faisait la publicité de Hampton’s Creek lors de la dernière rencontre nationale de l’association L214 à la Cité des sciences et de l’industrie. L214, vous en avez entendu parler cette année, leurs vidéos d’abattoirs ont ému la France jusqu’au ministre de l’agriculture. En invitant Singer, ont-ils relevé le paradoxe dans lequel se trouvent les antispécistes et les mangeurs de protéines techno-végétales ? S’ils s’élèvent avec raison contre les conditions industrielles d’élevage et d’abattage, ils appuient la fuite en avant artificielle de l’agro-industrie. On est passé en quelques décennies de paysans éleveurs, aux petits soins pour leurs bêtes, à des consommateurs d’ersatz protéiniques cellophanés calculés par ordinateur. Quoi que divaguent les antispécistes, il n’y a pas à choisir entre un steak in vitro et l’abattage industriel brutal.

    On sait que les animaux et les humains sont doués de sensibilité. Pour les transhumanistes comme pour les antispécistes, héritiers de la cybernétique, la nature est un continuum entre vivant et inerte, entre l’homme, l’animal et la machine qui rendrait impossible toute distinction définitive entre eux. Qu’est-ce qui les unifie ? Ils seraient également sensibles. Selon Norbert Wiener, la cybernétique traite de « l’ensemble des problèmes ayant trait à la communication, au contrôle et à la mécanique statistique, aussi bien dans la machine que chez l’être vivant. » (Cybernetics, or Control and Communication in the Animal and the Machine, 1948). Les animaux sont des machines communicantes et inversement. Ainsi en est-il du petit chat, chez Wiener : « Je l’appelle et il lève la tête. Je lui ai envoyé un message qu’il a reçu au moyen de ses organes sensoriels et qu’il a traduit par une action. Le petit chat a faim et il miaule. Alors, c’est lui qui envoie un message. » Analogie abusive : sensibilité et communication n’équivalent pas à échange de données. Si pour les antispécistes les espèces n’existent pas, les animaux étant tous dotés de sensibilité, pour les cybernéticiens, « le fonctionnement de l’individu et celui de quelques machines très récentes de transmission, sont précisément parallèles. Dans ces deux cas, l’un des stades du cycle de fonctionnement est constitué par des récepteurs sensoriels. » Le tour est joué. Le miaulement du chat et la parole humaine équivalent au signal d’une machine électronique. Pour ces ingénieurs, animaux, humains et machines forment un tout reprogrammable.

    S’il n’y a pas de différence d’espèce entre une souris et un humain, comment comprendre cette volonté des Instituts américains de santé (10) de financer des greffes de cellules souches humaines sur des embryons d’animaux ? (11) Il ne s’agirait plus seulement de greffer des organes d’animaux à des humains comme on fait des boutures, mais de créer des chimères : par exemple, un cerveau humain dans un crâne de souris (soit l’inverse de Peter Singer). D’un point de vue théorique, que l’on soit antispéciste et/ou transhumaniste, rien ne l’empêche, puisque « la nature ça n’existe pas », et que nous sommes des animaux-machines également doués de « sensibilité ». On n’a cependant pas encore connaissance de projets de souris cherchant à se greffer des organes humains.

    S’AUGMENTER OU S’ADAPTER AUX NUISANCES ÉCOLOGIQUES

    La Silicon Valley soutient la candidature d’Hillary Clinton qui défend les intérêts des « techies ». Si les transhumanistes ne sont pas tous d’affreux individualistes libertariens, ils ne sont pas non plus de vulgaires climato-sceptiques insouciants des effets de notre mode de vie sur notre environnement et notre santé. C’est là que gît le piège transhumaniste pour les écologistes.

    Dès l’époque de la World Transhumanist Association, l’ancêtre de l’actuelle Humanity +, la question écologique se pose. Vivre 120 ou 150 ans, repousser les limites de la fertilité féminine par des techniques de procréation assistée, ne va-t-il pas faire exploser la population mondiale, pressurer les écosystèmes, accélérer le dérèglement climatique, provoquer des famines ? Les transhumanistes états-uniens s’en préoccupent et mobilisent, dès les années 2000, l’essayiste et romancier cyberpunk Bruce Sterling. En janvier 2000, Sterling livre un manifeste pour une nouvelle politique écologiste « Vert-Emeraude ». « Sterling défend plus de contrôles des capitaux transnationaux, le redéploiement des budgets militaires vers une politique de paix, le développement d’industries durables, l’augmentation du temps libre, la garantie d’un salaire socialisé, l’extension d’un système de santé public et la promotion de l’égalité de genres ». (12) On ne fait pas mieux à gauche. Anti-luddites au prétexte que la simplicité ne serait pas assez attrayante, ses propositions pour supplanter les vieilles industries polluantes du XX° sont : « des produits intensément glamour et écologiquement rationnels ; des objets entièrement nouveaux fabriqués avec de nouveaux matériaux ; le remplacement de la matérialité par l’information ; la création d’une nouvelle relation entre la cybernétique et la matière. » (13) Un manifeste que les transhumanistes n’auront pas de mal à s’approprier.

    À la question de la surpopulation (la « Bombe P », disait Ehrlich en 1968), les transhumanistes répètent « qu’avec l’extension de la durée de vie, nous nous sentirons beaucoup plus responsables des conséquences écologiques de nos comportements » (Humanity +). (14) Dit autrement par l’utilitariste Peter Singer, « Il est préférable d’avoir peu de gens mais qui vivent longtemps, car ceux qui sont nés savent ce dont la mort les prive, alors que ceux qui n’existent pas ne savent pas ce qu’ils ratent. » (15) Logique, non ? Du côté des « technoprogressistes » français, on argue que « là où les citoyens vivent plus longtemps, ils ont moins d’enfants ». Et donc le progrès technique accélérera la transition démographique. Ce ne sont là que des hypothèses que nous sommes sommés de valider. Mais, si nous devions vérifier la corrélation hasardeuse entre espérance de vie et responsabilité écologique, le XX° siècle les démentirait, tant l’augmentation de la durée de vie semble corrélée avec, entre autres exemples, la hausse des conflits (dont certains génocidaires), les catastrophes écologiques, ou la mise au point de bombes apocalyptiques.

    Pour combattre le réchauffement climatique, un certain Matthew Liao, professeur de philosophie de la New York University, accompagné d’Anders Sandberg et Rebecca Roach d’Oxford (donc, pas des tenanciers d’un obscur blog), ont de solides propositions transhumanistes. La plus simple serait pharmaceutique, comme la prise de pilules qui nous dégoûteraient de la viande ou augmenteraient notre empathie. Nous pourrions aussi, toujours grâce à la sélection et l’édition génomique de type CRISPR, augmenter nos pupilles de gènes de félins pour voir la nuit (et réduire ainsi nos installations lumineuses dévoreuses d’énergie), et baisser le poids et la taille de l’humanité : « Si vous réduisez la taille moyenne des Américains de 15 cm, vous réduisez la masse corporelle de 21 % pour les hommes et 25 % pour les femmes ». (16) Moins de masse corporelle, c’est moins de besoins énergétiques et nutritifs. On fait bien des cochons nains à destination des laboratoires pharmaceutiques. Pourquoi n’y avons-nous pas pensé plus tôt ? Parce que l’état de l’ingénierie génétique ne nous le permettait pas.

    Tout cela vous semble de la science-fiction ? Le Monde du 22 juin 2016 nous informe qu’il faut « se préparer à vivre loin de la Terre », ou en tout cas à survivre sur une planète invivable : « L’Agence spatiale européenne vient de faire le point sur les recherches concernant la vie en ‘’écosystème clos artificiel’’ et leurs applications terrestres. » Nos spationautes ne disent pas autre chose qu’un Marc Roux pour qui « Les transhumanistes n’hésitent pas à envisager de permettre à certains de leurs congénères d’adapter leur biologie à d’autres planètes ou même au milieu sidéral. Ne serait-il pas raisonnable de commencer en apprenant à nous adapter aux nouvelles conditions de vie dans notre propre maison ? » (17) Recyclage de l’eau, de l’air et des déchets. Transformation du CO2 en oxygène grâce à des algues nourries aux déjections, nitrification d’urines fraîches pour transformation en eau potable : tout cela ferait passer les poudres Soylent pour de la gastronomie. L’un des chercheurs développe déjà ce genre de toilettes – on dit « Systèmes de support de vie » – pour les pays pauvres chargés d’expérimenter nos futurs « habitats clos terrestres ». Ou comment la survie en milieu spatial nous offre un avant-dégoût de notre survie sur Terre.

    Mais revenons au paragraphe précédent : « Nous adapter aux nouvelles conditions de vie dans notre propre maison », dit le transhumaniste Marc Roux. Plutôt que d’écologie, ou même d’« augmentation » de nos capacités physiques et intellectuelles, M. Roux n’offre d’autre perspective à l’humanité que de « repousse[r] continuellement le spectre de sa disparition ». Tout est là. L’écologie transhumaniste est pétrie de cette idéologie de la « résilience » – un terme issu de la psychologie synonyme d’adaptation à la dégradation des conditions d’existence – qui prévaut aujourd’hui jusque dans les Conférences sur le climat. « Aucune idée n’est à écarter a priori si elle peut déboucher sur une meilleure adaptation des corps à leur environnement. […] Sur le court ou moyen terme, l’humain me paraît infiniment plus souple et malléable que la planète qui nous héberge. » Cette idée apparemment nouvelle n’est qu’une resucée de Norbert Wiener qui, déjà en 1950, nous confrontait à cette obligation : « Nous avons modifié si radicalement notre milieu que nous devons nous modifier nous-mêmes pour vivre à l’échelle de ce nouvel environnement » (L’usage humain des êtres humains). (18) Il s’agit, dans la tradition du darwinisme social, de permettre la survie du mieux adapté. Crèvent les faibles et les inadaptés. D’où l’appel aux transformations génétiques. Voilà l’imposture. Derrière le volontarisme technique, c’est la soumission qui domine ; la dégradation de notre environnement est un fait inéluctable, auquel nous n’avons plus qu’à nous adapter.

    Ce transhumanisme paré de valeurs écologistes et démocrates conteste la vieille administration du désastre par les « bureaucraties vertes ». (19) Il ne se veut pas une écologie de la contrainte mais de l’augmentation. Ou plutôt, pour toute augmentation, de la mise à niveau de l’humanité à un environnement proprement inhumain. Soit parce qu’il nous surclasse – c’est la thèse de Ray Kurzweil, pionnier du transhumanisme pour qui l’intelligence artificielle nous oblige à augmenter nos capacités cognitives – soit parce qu’il est écologiquement invivable. Probablement les deux à la fois. Voilà toute leur ambition, une insulte aux fondateurs de l’écologie, les Ellul, Charbonneau, Illich.

    ADRESSE À CEUX QUI NE VEULENT PAS S’ADAPTER AUX NUISANCES MAIS LES SUPPRIMER

    En développant un discours à prétention écologiste, les transhumanistes souhaitent certainement désamorcer la critique et rallier l’opinion. Mais l’imposture demeure. Il existe un courant « écologiste » technicien. Le prodige du Club de Rome, avec son étude Halte à la croissance ? de 1972, n’est-il pas d’avoir modélisé le monde sur ordinateur, quelques mois avant que le NASA ne lance son premier satellite d’observation et de monitoring de la Terre ? (20) La fashionista américaine du transhumanisme Natasha Vita-More s’appuie sur la « seconde vague cybernétique » des années 50-70, qui rapprocha deux champs scientifiques jusque-là distincts, à savoir la biologie et les sciences cognitives. Sous les coups de zoologues et de biologistes fascinés par la cybernétique, la nature fut réduite à un « écosystème », les relations entre les êtres vivants et leur environnement, et jusqu’à leur physiologie, à des « systèmes de communication interconnectés ». « Notre environnement entier, et jusqu’à l’univers, est un écosystème indépendant mais unifié ; et nous, en tant que que formes de vie intégrées à ce système, sommes agents de notre propre système physiologique », nous dit Vita-More. Quand les « écologistes » lillois posaient les premières briques de la ville « intelligente », ils ne faisaient pas autre chose que de rationaliser l’écosystème métropolitain considéré comme une machine communicante. (21)

    Le projet transhumaniste est l’aboutissement de notre soumission à l’expertise technicienne. C’est un projet anti-humaniste, quoi qu’en dise Luc Ferry dans La révolution transhumaniste. (22) Quand l’essayiste nous assure que le transhumanisme est un « hyperhumanisme », il ment. Quand il affirme qu’il ne s’agit plus « de subir l’évolution naturelle, mais de la maîtriser et de la conduire par nous-mêmes », il évite de définir ce « nous-mêmes ». S’agit-il du peuple ? Ou des technocrates dirigeants, de sa propre caste d’ingénieurs des âmes et des corps ? Mais qu’attendre de l’auteur du Nouvel ordre écologique (1992), qui assimilait l’écologie au nazisme et à l’anti-humanisme.

    Dans la fable transhumaniste, l’humanité est composée non pas d’animaux politiques, mais d’animaux-machines. Cette fable réduit l’histoire au seul progrès technologique.
    Écologistes, si vous voulez supprimer les nuisances et non vous y adapter, vous devez rétablir l’histoire. Ne pas confondre progrès technologique et progrès social et humain. Il faut choisir, rester des humains d’origine animale ou devenir des inhumains d’avenir machinal.

    TomJo, octobre 2016
    hors-sol@herbesfolles.org

    --
    1 Programme du salon Primevère, 2016.
    2 « Le salon Primevère invite les transhumanistes », Pièces et main d’œuvre, 2016.
    3 éditions FYP, 2016.
    4 « Transhumanisme et décroissance », Marc Roux, 23 janvier 2015, transhumanistes.com.
    5 Julian Savulescu et Ingmar Persson. Philosophy Now, août-sept. 2016. Leur livre s’intitule Unfit for the Future : The Urgent Need for Moral Enhancement (Inapte pour le futur : l’urgence de la valorisation morale).
    6 Le Monde, 6 octobre 2014.
    7 Atlantico.fr, 31 juillet 2012.
    8 Usbek & Rica, juillet 2016.
    9 « Silicon Valley gets a taste for food », The Economist, 7 mars 2015.
    10 Centres de recherche dépendant du Ministère de santé américain.
    11 « N.I.H. May Fund Human-Animal Stem Cell Research », The New York Times, 4 août 2016.
    12 « Ecologists », Humanity +, non daté.
    13 viridiandesign.org/manifesto.html
    14 Idem
    15 « Should we live o 1 000 ? », Peter Singer, project-syndicate.org, 10 déc. 2012.
    16 Référence.
    17 « Transhumanisme et écologie », Marc Roux, 11 avril 2016, transhumanistes.com.
    18 Cité par Sarah Guillet dans « La colonisation des sciences sociales par le ‘sujet informationnel’ », revue L’Inventaire n°5, éditions La Lenteur, juillet 2016.
    19 Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, René Riesel et Jaime Semprun, Encyclopédie des nuisances, 2008. Dans son Manifeste, Bruce Sterling : « Il est peu probable que la plupart d’entre nous tolère de vivre dans un État du Rationnement du CO2. Cela signifierait que chaque activité humaine soit au préalable autorisée par des commissaires de l’énergie. »
    20 Le Monde, 25 juillet 2015.
    21 L’Enfer vert, TomJo, L’échappée, 2013.
    22 La Révolution transhumaniste. Comment la technomédecine et l’ubérisation du monde vont bouleverser nos vies, Luc Ferry, Plon, 2016.

  • Le neuromenteur Pierre-Marie Lledo échoue au détecteur de mensonges
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=872

    Le 28 septembre 2016, le quotidien de référence des décideurs publie une hagiographie du neurobiologiste Pierre-Marie Lledo titré : « Pierre-Marie Lledo, neuroptimiste ». Débordante d’admiration pour son « sujet », la journaliste du Monde, Sandrine Cabut, écrit :

    « C’était en octobre 2014, et le chercheur était invité à une table ronde à l’université de Grenoble sur le thème de la mémoire. Trois jours plus tôt, dans un long entretien au Monde, il avait évoqué les possibilités de manipuler la mémoire chez des rongeurs. Dès qu’il a pris la parole, une poignée d’activistes de Pièces et main d’œuvre – un collectif grenoblois hostile aux technologies – ont déployé des banderoles, l’ont pris à partie… "On a souhaité leur tendre le micro pour entamer un débat, mais ils m’ont accusé de travailler sur la mémoire pour (...)

    #Nécrotechnologies
    http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/lledo_au_de_tecteur_de_mensonges.pdf

    • Nul ne renvoie jamais à ces mandarins la violence de leur mépris. En avons-nous subi des énormités censées nous faire taire et jetées avec la condescendance du savant. « Votre estomac fabrique des OGM, et les paysans en ont toujours fait. » « La radioactivité existe à l’état naturel. » « Déjà les peintures incas contenaient des nanoparticules. » « Vos lunettes, c’est comme un implant électronique. » Voyez comme ils nous traitent depuis que leur techno-caste dirige nos vies. Ce sont les mêmes qui nous diffament à coup de « théorie du complot » - comprenez, d’obscurantisme anti-rationnel - et qui croient étouffer la critique par des manipulations de charlatans. Tout est dans tout et réciproquement : on a connu plus sérieux comme théorie scientifique. Pierre-Marie Lledo peut affirmer dans Le Monde qu’apprendre à lire est du transhumanisme sans que nul docte ne relève son délire. Qui ne dit mot consent.