person:rafik chekkat

  • L’ennemi intérieur musulman et l’horizon libéral sécuritaire | Rafik Chekkat
    http://www.etatdexception.net/lennemi-interieur-musulman-et-lhorizon-liberal-securitaire

    Comment expliquer que des individus puissent à Strasbourg, Marseille ou Paris, tuer au hasard des inconnu.es ? Face à une violence décrite comme aveugle, la raison recule. Parce que personne (ou presque) ne veut regarder ces crimes en face, les mots « terroriste » ou « déséquilibré », ces mots-valises, sont employés en fonction de l’identité du tueur. Il s’agit à chaque fois de mettre à distance l’individu de la société, de traiter séparément ce qui doit être examiné ensemble. Il s’agit au fond d’un refus de réfléchir, au double sens du mot, c’est-à-dire au sens optique (l’image de la société que renvoie le crime), et au sens mental (saisir les différents éléments qui composent une prise de position, qui déterminent un passage à l’acte[1]). Source : Etat (...)

  • Chroniques de la couleur

    Une grosse recension de textes (et autres médias) sur les Gilets Jaunes.

    Les liens cliquables sont par là :
    http://inter-zones.org/chroniques-de-la-couleur

    –—

    Sophie Wahnich : Les gilets jaunes et 1789 : Résurgences révolutionnaires, 18 Décembre 2018

    Achille Mbembe : Pourquoi il n’y aura pas de gilets jaunes en Afrique, 18 décembre 2018

    Michalis Lianos : Une politique expérientielle – Les gilets jaunes en tant que peuple, 17 décembre 2018

    Fanny Gallot : Les femmes dans le mouvement des gilets jaunes : révolte de classe, transgression de genre, 17 décembre 2018

    Stéphane Zagdanski : Réflexions sur la question jaune, 17 décembre 2018

    Yves Pagès : Bloqueurs de tous les ronds-points, rions jaune… et ne cédons rien, 17 décembre 2018

    Alessandro Stella : Gilets jaunes et Ciompi à l’assaut des beaux quartiers, 16 décembre 2018

    Juan Chingo : Gilets jaunes : Le retour du spectre de la révolution, 16 décembre 2018

    Pierre-Yves Bulteau : À Saint-Nazaire : Je ne suis pas en lutte, je suis une lutte, 15 décembre 2018

    Florence Aubenas : Gilets jaunes : La révolte des ronds-points, 15 décembre 2018

    Sarah Kilani et Thomas Moreau : Gilets jaunes : Pour la gauche, l’antifascisme ne doit pas être une option, 15 décembre 2018

    Anonyme : Danse imbécile ! Danse ! Notes sur le mouvement en cours, 14 décembre 2018

    Jean-Baptiste Vidalou : L’écologie du mensonge à terre, 14 décembre 2018

    Toni Negri : Chroniques françaises, 14 Décembre 2018

    David Graeber : Les gilets jaunes font partie d’un mouvement révolutionnaire plus large, 14 décembre 2018

    Jérôme Ferrari : On fera de vous une classe bien sage, 13 décembre 2018

    Etienne Balibar : Gilets jaunes : Le sens du face à face, 13 décembre 2018

    Jérôme Baschet : Pour une nouvelle nuit du 4 août (ou plus), 13 décembre 2018

    Andreas Malm : Ce que le mouvement des gilets jaunes nous dit du combat pour la justice climatique, 13 décembre 2018

    Collectif : Communiqué de la coordination de Saint-Lazare, 12 décembre 2018

    Michèle Riot-Sarcey : Les gilets jaunes ou l’enjeu démocratique, 12 décembre 2018

    Mathieu Rigouste : Violences policières : Il y a derrière chaque blessure une industrie qui tire des profits, 12 décembre 2018

    Leslie Kaplan : Un monde soudain devenu injustifiable aux yeux de tous, 12 décembre 2018

    Pierre Dardot et Christian Laval : Avec les gilets jaunes : Contre la représentation, pour la démocratie, 12 décembre 2018

    Jacques Rancière : Quelle égalité de la parole en démocratie ? 12 décembre 2018

    Collectif : Gilets jaunes : Une enquête pionnière sur la révolte des revenus modestes, 11 décembre 2018

    Cédric Durand et Razmig Keucheyan : Avec les gilets jaunes, pour une nouvelle hégémonie, 11 décembre 2018

    Cédric Durand : Le fond de l’air est jaune, 11 décembre 2018

    Joshua Clover : Les émeutes des ronds-points, 11 décembre 2018

    Joao Gabriell : À propos du discours de Macron du 10 décembre, 11 décembre 2018

    Femmes en lutte 93 : Acte V Gilets jaunes : La place des femmes et LGBT est dans la lutte, 10 décembre 2018

    Michelle Zancarini-Fournel : Le mouvement des gilets jaunes favorise la cohésion intergénérationnelle des milieux populaires, 10 décembre 2018

    Syllepse : Gilets jaunes : Des clefs pour comprendre, 10 décembre 2018

    Annie Ernaux : Il n’y a pas de nouveau monde, ça n’existe pas, 9 décembre 2018

    Alain Bertho : Il ne s’agit pas d’un simple mouvement social, 8 décembre 2018

    Jérôme Baschet : Lettre à celles et ceux qui ne sont rien, depuis le Chiapas rebelle, 8 décembre 2018

    Raoul Vaneigem : Les raisons de la colère, 8 décembre 2018

    Laurent Mucchielli : Deux ou trois choses dont je suis presque certain à propos des gilets jaunes, 8 décembre 2018

    Les Gilets Jaunes de St Nazaire et leur Maison du Peuple, 7 décembre 2018

    Appel des gilets jaunes de Commercy à la formation d’assemblées populaires, 7 décembre 2018

    Lundimatin : Ici La Réunion ! 7 décembre 2018

    Pierre Bance : L’heure de la commune des communes a sonné ! En soutien à l’appel de Commercy, 7 décembre 2018

    Alèssi Dell’Umbria : Marseille, Debout, Soulève-toi ! 7 décembre 2018

    Eric Hazan : Paris n’est pas un acteur, mais un champ de bataille, 7 décembre 2018

    Rafik Chekkat : À Mantes-la-Jolie, domination policière et humiliation de la jeunesse, 7 décembre 2018

    Etienne Penissat et Thomas Amossé : Gilets jaunes : des automobilistes aux travailleurs subalternes, 6 décembre 2018

    Plateforme d’Enquêtes Militantes : Une situation excellente ? 6 Décembre 2018

    Alain Bertho : Gilets jaunes : Crépuscule du parlementarisme, 6 décembre 2018

    Frédéric Gros : On voudrait une colère, mais polie, bien élevée, 6 décembre 2018

    Danielle Tartakowsky : Les gilets jaunes n’ont rien de commun avec Mai 68, 6 décembre 2018

    Ballast : Gilets jaunes : Carnet d’un soulèvement, 5 décembre 2018

    Frédéric Lordon : Fin de monde ?5 décembre 2018

    Eric Toussaint : Gilets jaunes : Apprendre de l’histoire et agir dans le présent - Des propositions à ceux et celles qui luttent, 5 décembre 2018

    Grozeille, Que leur nom soit Légion : À propos des gilets jaunes, 5 décembre 2018

    Samuel Hayat : Les Gilets Jaunes, l’économie morale et le pouvoir, 5 décembre 2018

    Sophie Wahnich : La structure des mobilisations actuelles correspond à celle des sans-culottes, 4 décembre 2018

    Stefano Palombarini : Les gilets jaunes constituent une coalition sociale assez inédite, 4 Décembre 2018

    Édouard Louis : Chaque personne qui insultait un gilet jaune insultait mon père, 4 décembre 2018

    Chantal Mouffe : Gilets jaunes : Une réaction à l’explosion des inégalités entre les super riches et les classes moyennes, 3 décembre 2018

    Yves Pagès : La façade du triomphalisme macronien ravalée à l’aérosol par quelques bons-à-rien, 3 décembre 2018

    Yannis Youlountas : Cours, gilet jaune, le vieux monde est derrière toi ! 3 décembre 2018

    Les Lettres jaunes, Bulletin de lecture quotidien des Gilets Jaunes, pour aller plus loin ! 3 décembre 2018

    Alain Bihr : Les gilets jaunes : pourquoi et comment en être ? 2 décembre 2018

    Gérard Noiriel : Pour Macron, les classes populaires n’existent pas, 2 décembre 2018

    Temps critiques : Sur le mouvement des Gilets jaunes, 1 décembre 2018

    Zadibao : Climat jaune et changement de gilet, 30 novembre 2018

    Plateforme d’Enquêtes Militantes : Sur une ligne de crête : Notes sur le mouvement des gilets jaunes, 30 novembre 2018

    Lundimatin : Le mouvement des Gilets Jaunes à la Réunion, 29 novembre 2018

    Sophie Wahnich : Postérité et civisme révolutionnaire, 28 novembre 2018

    Le comité Adama rejoint les gilets jaunes : Ce n’est pas une alliance au prix d’un renoncement politique, 27 novembre 2018

    Comité Adama : Si nous voulons changer notre destin, nous devons lutter dans la rue, 26 novembre 26

    Bruno Amable : Vers un bloc antibourgeois ? 26 novembre 2018

    Benoît Coquard : Qui sont et que veulent les gilets jaunes ? 23 novembre 2018

    Félix Boggio Éwanjé-Épée : Le gilet jaune comme signifiant flottant, 22 novembre 2018

    Anshel K. et Amos L. : Les amours jaunes, 21 novembre 2018

    Les Chroniques de La Meute, 18 novembre 2018

    Aurélien Barrau : À propos de la manif du 17 novembre, 15 novembre 2018

  • C’est l’Eure.

    Dans l’Eure, « le réservoir de la colère explose » 23 NOVEMBRE 2018 PAR FRANÇOIS BONNET

    Dans l’Eure, péages d’autoroute et gros ronds-points demeurent bloqués tout ou partie de la journée. Le prix des carburants est oublié. Ouvriers, retraités, intérimaires, artisans, jeunes et vieux disent tous la même chose : une vie de galère avec des revenus de misère et des injustices qu’ils ne veulent plus supporter.

    « Le prix du carburant, pardon, mais je m’en contrefous », assure Line – « Appelez-moi Madame Line », insiste-t-elle. Madame Line est donc arrivée à pied, ce mercredi matin, au rond-point de Gaillon, dans l’Eure, avec son panier à roulettes. Des cakes faits maison et du café. Deux kilomètres de trajet. Une soixantaine de gilets jaunes sont là, sur le rond-point, pour un barrage filtrant. Ça dure depuis samedi. C’est juste à côté de Kiabi, de McDo et d’Auchan. C’est un rond-point dans une zone commerciale comme partout.

    Et là, les Klaxon des poids lourds et des voitures font connaître leur soutien. Les gilets jaunes sont en évidence derrière les pare-brise. On rigole bien. Ça blague autour des braseros, des barbecues et en tapant la converse avec les automobilistes qui attendent. Sans compter ce camionneur qui fait trois fois le tour du rond-point, Klaxon à fond. Lui, il réchauffe les cœurs. Il fait très froid. Depuis samedi, la fatigue s’accumule.

    C’est aussi pour ça que vient Madame Line. La voiture, elle a fait une croix dessus. « Je l’ai depuis deux ans au parking. Faudrait le contrôle technique, j’ai pas les sous, ma voiture réussira pas l’examen et il faudrait que je remette l’assurance, pas possible », précise-t-elle. Adieu la voiture, mais là, sur le rond-point, surgissent plein de nouveaux amis.

    Madame Line est retraitée. 720 euros par mois. Et une vie dont l’horizon au-delà de son logement HLM se résume au Auchan du rond-point de Gaillon et aux quelques sorties organisées quand ses enfants le peuvent. « Charges fixes enlevées, j’ai quoi ? 150, parfois 200 euros par mois », dit-elle.

    « Ben, il y a dix jours, on se connaissait pas », dit Alain. Lui a la quarantaine, c’est un grand costaud qui travaille à quelques kilomètres, au centre technique de Renault. Ça tombe bien, il y a quinze jours, il a loué un vélo électrique pour voir « si ça pouvait le faire pour aller au boulot ». Quinze kilomètres par jour, avec une grande côte. C’est pas évident, conclut-il.

    Une révolte, dit-il, c’est aussi plein de plaisir. Des découvertes, des gens, des horaires qui volent en éclats, une liberté. « Sur le groupe Facebook, on est des centaines. Là, on se relaie, moi je repars au boulot et je reviens ce soir. On se croisait dans la rue et on se disait pas bonjour, là on discute et il y a ce mot : solidarité. On pense pas pareil ? On s’en fout. Il y a des cons, des racistes ? On leur demande de se taire. La solidarité, c’est quand même ce gouvernement qui devrait montrer que cela existe au lieu de nous piétiner. »

    Ce que disent Line et Alain ? C’est ce qu’on pouvait entendre cette semaine sur la dizaine de gros points de blocage visités dans cette partie du département de l’Eure qui va de Vernon à Val-de-Reuil. La hausse des carburants est oubliée depuis longtemps. D’autant que les prix, constatés à l’Intermarché de Gasny vendredi matin, sont dans la fourchette basse. « Les carburants, c’est la goutte qui a fait exploser le réservoir de la colère », assure Smaïn, un « bloqueur » du péage de l’autoroute A13 à Heudebouville.

    Non, sur les ronds-points, on ne parle plus carburant mais des vraies choses qui fâchent : la pauvreté, les jeunes sans horizon ou précaires à l’éternité, les retraités à la ramasse, et soi-même ou bien dans la galère ou pas vraiment assuré des deux ou trois ans qui viennent. La peur de plonger à son tour. Et surtout, les salaires qui ne permettent pas de finir les mois.

    Il y a ce plaisir de se retrouver ensemble. Des gens que rien n’aurait réunis. Des petits gestes. À l’entrée des Andelys, c’est Anaïs qui raconte : « Un vieux dans une caisse pourrie me donne un billet de 5 euros, en fait c’est lui qu’il faudrait aider. » Le gars qui laisse un plateau de charcuterie d’au moins 50 euros à Gaillon. Ce voyageur dans une belle voiture qui, à Fleury-sur-Andelle, tend un billet de 20 euros. Ce boulanger qui a fait une fournée spéciale d’éclairs au chocolat « Soutien au blocage 27 » (le 27, c’est l’Eure).

    « On se bat pour nos jeunes, pour les retraités, pour nos salaires. »

    Partout, sur tous les ronds-points bloqués, les tables sont remplies de victuailles et de matériel avec parfois le groupe électrogène qui tourne. À Vernon, à la sortie de l’A13, une R5 traîne une carriole remplie de bois de chauffage. Aux Andelys, un routier passe un sac de gâteaux. Sur la barrière de péage de Heudebouville, c’est l’entassement de casse-croûte. Et là, ce jeune gendarme qui discute avec les gilets jaunes :
    « Bon, vers quelle heure vous arrêtez le blocage ?
    -- Pourquoi ?
    -- Euh, ça va devenir dangereux après 17 heures. Et puis faut que je rentre nourrir mon chien, soyez sympas.
    -- Votre chien peut attendre.
    -- Non, c’est un gros, il fait trente kilos, faut qu’il ait sa ration à l’heure. Et puis j’ai pas envie d’être rappelé pour ramasser un corps démembré.
    -- Sympa, vous nous portez chance…
    -- Non mais attention, c’est très dangereux les entrées de péage. »

    Et aux Andelys, où le centre des impôts a été bloqué puis fermé, voilà deux femmes gendarmes qui s’avancent sur le rond-point :
    « Alors, on se respecte, pas vrai ? Donc ne mettez pas des photos de nous sur Facebook.
    -- Y’en a déjà de parties, je crois.
    -- Justement, faut arrêter. Regardez, on n’a pas notre calot, on va se faire engueuler par la hiérarchie.
    -- Mettez votre calot, c’est pas mal.
    -- Ben non, regardez la gueule qu’on a avec ça.
    -- OK, on supprime les photos. »

    C’est bien joli de faire la fête et les barbecues merguez-chipo avec de nouveaux amis, mais « ici c’est pas la kermesse de l’école », corrige David. Il est là depuis cinq jours, à Gaillon. Les yeux rougis et creusés par le froid, la fumée, le manque de sommeil, les discussions sans fin. Comme les autres. David résume : « On se bat pour nos jeunes, pour les retraités, pour nos salaires. On nous traite de beaufs, d’illettrés, de sans-dents, on veut du respect, de la moralité et de l’écoute. Et on veut surtout la fin des injustices : Macron supprime l’ISF, les grandes boîtes ne paient pas les impôts, regardez Carlos Ghosn et les paradis fiscaux. »

    À Vernon, Éric, 41 ans, préfère faire dans l’imagé : « C’est quoi l’histoire ? On nous demande de se serrer la ceinture et en plus de baisser notre froc. Ça, c’est un truc pas possible. Donc stop ! » Ouvrier dans une entreprise de traitement des métaux près de Mantes-la-Jolie, il dit y avoir perdu une épaule. En arrêt de travail depuis avril, un accident professionnel et un patron qui ne respecte aucune consigne de sécurité. « On travaille avec des bains de cyanure, d’acides différents, de chrome. Pas de bleus de travail sécurisés, des petits masques de peinture qui ne servent à rien. L’inspection du travail est passée. Et qu’est-ce qu’a fait le patron ? Acheter des hottes de cuisine ! Et là-dessus, en équipe de nuit, j’ai fait une chute. Comment je fais maintenant avec une épaule foutue… »

    Traditionnellement ouvrière, cette partie de la vallée de la Seine a un temps bien vécu : automobile, métallurgie, industries chimiques, des entreprises de sous-traitance de partout pour les grands groupes et des logements pas trop chers. Depuis vingt ans, l’histoire n’est plus la même avec les crises, les délocalisations et les plans de licenciements qui se sont empilés. « Du boulot, il y en a encore, dit Kevin, 32 ans, mais faut voir les conditions. Moi, je suis cariste en intérim. En ce moment, c’est chômage : 806 euros par mois. J’ai un loyer de 450 euros, une fille à charge. Eh bien, je marche avec un compte dans le rouge et mes découverts enrichissent la banque ! J’ai calculé l’an dernier : 700 euros de frais bancaires dans l’année. »

    Chantal et Rose viennent prendre le relais sur le rond-point. La première est retraitée, 800 euros par mois, une sortie en voiture tous les quinze jours pour faire le « plein de courses », les habits achetés dans les vide-greniers et des jongleries comptables pour, parfois, se payer un billet de train. « On peut vivre comme cela quelques années mais tout le temps, non, c’est trop dur », commente-t-elle.
    Rose approuve en riant. Son mari est au chômage depuis deux ans. Elle est en intérim – « je prends tout, ménage, caissière, etc. » – au Smic et en ce moment en arrêt maladie avec le dos cassé. « 740 euros d’indemnités, on va pas loin avec ça. Donc pour deux de mes trois gosses, c’est plus d’activités et pas de vacances. »

    Le cahier de doléances de René, soudeur à la retraite
    « Ici, c’est la révolte de la France qui a 1 000 euros par mois, voire moins, pour vivre », dénonce Laurence, auto-entrepreneuse dans le service à la personne. Elle ne se plaint pas, son mari a « un bon travail », mais elle dit connaître des « gens qui bossent et qui vivent au camping ou dans leur voiture ». Alain abonde dans son sens. « Il y avait un espoir avec Macron et il ne se passe rien ou le pire. Il n’écoute personne, il a écrasé tout le monde avec ses ordonnances. “Licencier pour mieux embaucher”, c’était ça son truc. Les embauches, je les vois pas. Je suis depuis vingt-huit ans chez Renault et c’est le contraire qui se passe. »

    À Écouis, sur la grande départementale qui mène vers Rouen, ils sont une dizaine à taper des pieds pour se réchauffer devant le feu rouge. Et voici un petit tract : « Les gilets jaunes ne sortent pas que pour l’essence. » Suit une longue énumération de 27 mesures, impôts, taxes : de l’augmentation du gaz au projet de vignette pour les véhicules polluants ; de la suppression de l’ISF à la fermeture des services dans les hôpitaux ; de l’augmentation de l’âge de la retraite aux suppressions de poste dans l’éducation… Tout y passe. C’est un paysage social apocalyptique qui est dressé avec cette conclusion : « Une fois mort, ça ne s’arrête pas : il faut payer l’enterrement et tout le tralala, soit environ 4 000 euros et plus. »

    René, lui, est bien content. Ça lui rappelle Mai-68, quand il commençait sa carrière d’ouvrier chez Bata, à Vernon, avant de se reconvertir en soudeur spécialisé. Le voilà qui émerge de l’épais brouillard qui noie le rond-point un grand cahier à la main. « Je fais tous les blocages et je demande à chacun d’écrire une mesure qu’il faudrait prendre, vous voulez mettre quoi vous ? »

    Le cahier est feuilleté. Rembourser tous les médicaments. Baisser le prix des mutuelles. Mettre les banques à genoux. Augmenter le Smic. Aider les jeunes pour louer des logements – « C’est vrai qu’à 30 piges, être toujours chez Papa-Maman, c’est la honte », commente René. Que les patrons paient leurs impôts. Ouvrir la gare de Gaillon qui est fermée tous les après-midi et où les distributeurs de billets sont cassés. Annuler les 80 km/h sur les nationales.

    Et ça continue. Sur le rond-point, une jeune femme fait elle aussi l’inventaire. « J’en ai marre de tout, j’en ai marre de rien pouvoir faire avec mes gosses, j’en ai marre de compter en permanence pour finir le mois, j’en ai marre de pas être respectée par le patron, j’en ai marre des conneries des journalistes à la télé. » Et elle fond en larmes. « Excusez, je suis fatiguée. »

    Emmitouflé dans sa grosse veste camouflage, Daniel s’offre un petit moment de politique en filtrant les poids lourds. « Moi, c’est pas le pire, je suis à la retraite depuis quatre ans, 1 300 euros par mois. » Daniel a été délégué syndical et il regrette bien que les syndicats ne soient pas dans le coup. « Pourquoi la CGT n’est pas là ?, demande-t-il. Si les gars à l’usine Renault-Flins arrêtaient le travail, ne serait-ce qu’une journée, ce serait plié. »

    L’ancien syndicaliste expose à qui veut l’entendre son choix d’un « capitalisme régulé et juste ». Les multinationales ont trop de pouvoir, le CAC 40 ne paie pas ses impôts, les jeunes galèrent et doivent compléter leur salaire par le travail au noir. Il se souvient de ce reportage sur Starbucks – « c’est à la mode ça » – qui ne paie pas un sou d’impôt en France. Il est pour l’Europe mais pas celle-là, qui ne « fait rien pour le salarié ». Et il en a assez de se faire marcher dessus : « En 2005, on vote non à la Constitution européenne et, trois ans après, on nous l’impose, c’est la démocratie, ça ? »

    À une quarantaine de kilomètres de là, à Fleury-sur-Andelle, en bordure du plateau agricole du Vexin, c’est une autre syndicaliste qui tient avec une cinquantaine de personnes le rond-point. Leïla travaille dans une usine de sous-traitance automobile qui produit des joints de portière et carrosserie. « Attention, je suis là en tant que citoyenne, prévient-elle. Vient ici qui veut, avec ses idées et ses envies, c’est pas un bataillon syndical et justement ça nous change. »

    « Faut discuter, ouvrir une grande négociation »

    Un de ses collègues de l’usine est à ses côtés, trente ans dans cette boîte, la retraite dans trois ans et il s’inquiète. « Quand je suis rentré, on était 1 800 employés, maintenant on est 400 dont 200 intérimaires. Et la moitié ont été virés », résume Marc. L’usine vient de perdre la fabrication de deux joints, assure-t-il, produits désormais chez des sous-traitants à l’étranger. « Regardez l’usine Renault au Maroc, tout va partir et tous ces jeunes, ils vont devenir quoi ? Moi, je dois aider mon fils et puis aider aussi ma mère qui s’en sort pas, c’est humiliant pour tout le monde. »

    Serge a 20 ans, une grande mèche orange dans les cheveux et un scooter poussif fait de récupérations diverses. « J’ai pas le permis et ici, sans bagnole, ça aide pas. » Jardins, espaces verts : il met des C.V. partout et ne trouve nulle part. « Là, je me dépanne dans un centre équestre, 30 euros la journée, je vais faire quatre, cinq jours ce mois. Mais les retraités n’ont plus de thune, on ne peut plus faire leur jardin, les haies, les arbres. »

    Les retraités, voilà un chef d’entreprise qui veut en parler. À Gaillon, Raphaël a une menuiserie, six salariés et est habitué à tourner avec deux mois de travail d’avance. « J’ai quelques marchés d’entreprise, dit-il, mais l’essentiel de mes clients sont des particuliers et à 80 % des retraités. » Il l’assure et enrage : la CSG, le projet de désindexation des retraites, la hausse du fuel de chauffage, les frais de santé… Voilà que les retraités ont gelé ou différé leurs commandes. « Je vois mon chiffre d’affaires fondre comme neige au soleil. Ça, c’est un truc que le gouvernement n’avait pas prévu mais demandez à tous les artisans, les retraités sont à l’arrêt et on se prend cela en pleine tête. »
    Raphaël a donné la semaine à ses salariés. Tous sur les ronds-points ! « J’ai mis dix-huit ans à construire cette boîte, je les laisserai pas la détruire. C’est une folie, il n’y a plus de pouvoir d’achat et c’est nous, en bout de chaîne, qui tombons. »

    Et après ? Ça discute sur les ronds-points et les péages de l’A13. Bien peu des gilets jaunes disaient vouloir manifester à Paris, samedi. « Ça sent le traquenard, s’il y a des affrontements, on va tout perdre et le gouvernement fera tout pour que ça se passe mal », assure un « bloqueur » du péage d’Heudebouville. À Écouis, le groupe qui tient le feu rouge est bien décidé à y aller : « On va faire opération train gratuit, on va quand même pas polluer pour aller à la capitale ! » Et puis Paris n’est qu’un moment. Sans mesures fermes du gouvernement, les blocages vont continuer, assurent les manifestants.

    « Faut discuter, ouvrir une grande négociation avec les syndicats et annoncer vite l’annulation de certaines taxes. Il faut que les petits Mickeys au pouvoir acceptent de reculer, il n’y a que les idiots qui ne changent pas. D’autant que dans six mois, on vote et là, Macron va comprendre sa douleur », dit l’ancien syndicaliste de Vernon. À Fleury-sur-Andelle, Marc attend une « solution correcte pour tout le monde ». « On veut bien payer si nos impôts servent à quelque chose mais on sait aussi que le petit ne peut pas tout payer. Il faut remettre de l’équilibre, de l’égalité. »

    Sans représentant, sans structure et organisation, les occupants de ronds-points n’en démordent pas. C’est justement l’absence de chefs, de délégués, de revendications précises qui « fout le bazar », assurent-ils. Au pouvoir de se débrouiller avec ça et de trouver la porte de sortie. Voilà un exercice qui sonne déjà comme une revanche pour cette France des mille euros et moins par mois.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/231118/dans-l-eure-le-reservoir-de-la-colere-explose?onglet=full

    #giletsjaunes #eure #blocage

  • « Le Brio » assume son lourd fardeau | Rafik Chekkat
    http://www.etatdexception.net/brio-assume-lourd-fardeau

    Lawrence d’Arabie, Danse avec les loups, Avatar ou plus récemment La Grande Muraille, autant de grosses productions qui reposent sur le vieil archétype hollywoodien de l’occidental venu sauver « une communauté non-blanche d’un terrible sort, gagnant ainsi au cours des événements du prestige, du pouvoir et de la conscience de soi[1] ». Le prolongement cinématographique, en somme, de la mission civilisatrice, du fardeau de l’homme blanc : Source : Etat d’Exception

  • A propos de « Edward Said, Le roman de sa pensée » de Dominique Eddé | Rafik Chekkat
    http://www.etatdexception.net/a-propos-de-edward-said-roman-de-pensee-de-dominique-edde

    Toute discussion autour de l’œuvre d’Edward Said se heurte en France à une question liminaire : comment expliquer qu’un auteur de cette envergure n’ait pas toute la place qui lui revient dans le champ intellectuel de ce pays ? La publication de ses œuvres a emprunté un chemin chaotique. Non seulement beaucoup d’entre elles n’ont jamais été traduites, mais lorsqu’elles l’ont été, c’est souvent avec un décalage d’une décennie (si ce n’est plus) par rapport à l’édition originale. Et que dire de son ouvrage phare, L’Orientalisme, paru en France en 1980, mais resté très longtemps introuvable en librairies (il a fallu attendre une réédition de 2003, année de la mort de Said, pour que le livre soit de nouveau accessible au public). Source : Etat (...)

    • Pourtant, dans les sociétés occidentales, l’oppression raciale nait du fonctionnement même du mode de production capitaliste (et des institutions qui l’accompagnent). C’est pour cela qu’on parle de « racisme institutionnel » : le #racisme sert à justifier et légitimer le traitement inégal et discriminatoire dont sont victimes différents groupes de personnes. Les mentalités, les préjugés et les représentations racistes sont la conséquence d’un traitement discriminatoire, en même temps qu’ils favorisent la reproduction de ces discriminations.

      #discrimination #domination #capitalisme

    • Oui, c’est marrant quand on regarde en arrière, le chemin qu’on a parcouru depuis « SOS racisme ».
      Là, je viens de claquer (discrètement) la porte d’un groupe fort innocent de Facebook portant sur les vieilles devantures françaises. J’aime bien les vieilles boutiques défraichies, surtout les art déco.

      Là, je voulais juste partager le fait que l’enseigne du « négre joyeux » allait enfin être déboulonnée. Faut dire qu’en plus plus du nom, il y a une délicate fresque qui souligne le propos d’une manière sans équivoque : le bon vieux temps des colonies et de l’esclavage.
      Je me disais que si j’étais noir⋅e et que je devais passer tous les jours devant cette chose, ça me ferait probablement quelque chose. Peut-être que si nous étions dans une société qui a tordu le cou au racisme, peut-être que cela ne serait que le rappel de ce que la civilisation occidentale a de plus pouilleux. Mais il se trouve que nous sommes dans une société où être noir⋅e, c’est encore se bouffer du racisme à la louche chaque jour de son existence… et donc, juste non !

      De toute manière, c’est dans ce sens que le déboulonnage de cette enseigne a été décidé.
      Quand j’ai lu les réactions des autres membres (et plus particulièrement l’absence de réaction de ceux qui auraient pu, éventuellement, partager ma sensibilité), je me suis rendue compte, que globalement, nous avons régressé depuis « Touche pas à mon pote » et que je n’ai plus rien envie de partager avec cette pensée moisie du #mépris et de la #domination, même pas le partage de photos de vieux magasins…

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Au_N%C3%A8gre_joyeux

    • Le pire, dans cette anecdote, c’est l’absence de réaction comme s’il était devenu honteux de défendre des thèses anti-racistes. Ou est-ce que la lepenisation des esprits commence à porter ses fruits ? On aurait donc peur de défendre des idées progressistes ? D’être un « blanc complexé » ? Vaudrait-il mieux être un supprémaciste décomplexé ?

      A propos de l’enseigne « Au Nègre joyeux »

      À la demande du groupe communiste, le 26 septembre 2017, le conseil de Paris décide de décrocher l’enseigne. Après restauration, elle est destinée à être conservée au musée Carnavalet, dédié à l’histoire de Paris.

      source : https://fr.wikipedia.org/wiki/Au_N%C3%A8gre_joyeux

      Et c’est ce que méritait cette enseigne non pour y être cachée mais pour mettre en lumière toute la charge historique qu’elle véhicule.

    • @sombre , à tes hypothèses, j’aimerais en ajouter une autre, plus optimiste : ce qu’on voit est peut-être ce que les anglophones appellent le backlash (le ressac en français ?), le retour de manivelle, l’écho, la réaction, la rançon du succès...

      C’est peut-être parce que, petit à petit, ces opinions anti-racistes sortent des cercles spécialisés et sont de plus en plus exposées au grand public (même mal), dans les grand médias, que forcément, ce grand public peu habitué à se voir attaqué là dessus, se défend, et se défend mal en puisant de vieux arguments moisis facile à contrer.

      Si je suis optimiste, je vois ça comme les derniers soubresauts desespérés de personnes acculées qui ne savent pas comment s’en sortir, avant d’ici quelque temps (encore quelques années ? une génération ?) qu’elles reconnaissent qu’elles avaient tort...

      Je vois beaucoup ça en ce moment, avec l’ #appropriation_culturelle par exemple, ou avec les questions ayant trait au #genre : il faut accepter que ces idées ne sont pas évidentes au premier abord et qu’elles vont créer de la réaction avant, peut-être, de finir par être comprises...

      #backlash

    • C’est peut-être parce que, petit à petit, ces opinions anti-racistes sortent des cercles spécialisés et sont de plus en plus exposées au grand public (même mal) ...

      Ces idées et les polémiques qu’elles font naître sont surtout instrumentalisées par les politiques qui eux sont relayés par des médias aux ordres, politiques eux mêmes accrédités par les lobbies économiques qui ont vampirisé les médias. Alors dans ce cas, si on ne s’instruit pas un minimum sur la question en dehors des discussions de comptoirs virtuels (ou pas), c’est sûr, la fabrique de l’opinion a de beaux jours devant elle.

  • IL N’Y A PAS DE PROBLÈME MUSULMAN, SEULEMENT UN PROBLÈME FRANÇAIS - Recension du livre d’Edwy Plenel Pour les musulmans par Rafik Chekkat avec des extraits, cf lien http://www.etatdexception.net/il-ny-a-pas-de-probleme-musulman-seulement-un-probleme-francais-2

    A Maurice Nadeau lui demandant à son arrivée Gare Saint-Lazare à Paris en 1945, si le problème noir aux Etats-Unis était en voie de règlement, Richard Wright eut cette réponse : « Il n’y a pas de problème noir aux Etats-Unis, seulement un problème blanc. » Pas plus, pourrions-nous dire 70 ans après, qu’il n’y a de problème musulman en France. Seulement un problème français.
    Pareille intuition guide Edwy Plenel, tout au long des 130 pages de l’essai qui vient de paraitre aux éditions La Découverte, Pour les musulmans. A lui seul, le titre détone avec le climat délirant sur l’Islam.
    (…) Comme toute initiative qui permettrait un reflux de la lame de fond islamophobe qui déferle en continu depuis des années, ce livre est sans nul doute nécessaire. Le style y est enlevé, le verbe particulièrement élégant. Comme pour mieux répondre à ceux qui convoquent en permanence les belles lettres du « génie français » pour justifier leur obsession antimusulmane.

    Le livre souffre pourtant de quelques défauts. En plus d’une focalisation excessive sur l’extrême-droite, l’auteur convoque en permanence l’idéal républicain, que le racisme, notamment antimusulman, viendrait trahir, En ce sens, E. Plenel s’en tient le plus souvent à un discours de principe, qui l’empêche de mener une véritable réflexion politique, pourtant nécessaire pour repenser les rapports de domination et lutter efficacement contre l’islamophobie.

    « Un cri de colère contre un sale climat »

    Pour les musulmans, comme on avait écrit il y a plus d’un siècle Pour les juifs. Si le pamphlet de Zola – et son fameux J’accuse… – sont aujourd’hui célébrés, ils lui valurent en son temps bien des ennuis, et une condamnation à un an de prison et un exil forcé à Londres. Revendiquant pleinement cette filiation, E. Plenel voit dans l’islamophobie actuelle une persistance de l’antisémitisme : le racisme antimusulman occuperait la place laissée vacante par la réprobation qui frappe désormais l’antisémitisme.
    (...)
    Rappelant la tragédie qui avait présidé à l’acceptation passive de la construction d’une question juive en Europe, E. Plenel se livre à une réfutation passionnée de cette « insidieuse et insistante construction contemporaine d’une question musulmane. » Et pour ce faire, il choisit à l’instar de Zola, de s’adresser « explicitement aux siens » (...)

    Cette honnêteté intellectuelle est à mettre au crédit d’E. Plenel, dont le propos ne verse jamais dans le paternalisme. En tant que Blanc, il parle « aux siens », aux autres Blan-he-s, tout en mobilisant des références bibliographiques elles aussi majoritairement blanches. Il évite ainsi de tomber dans le travers consistant à vouloir s’ériger en porte-parole de la cause musulmane. (...)

    Le fait, d’ailleurs, qu’il soit très peu question dans le livre du mode de vie des populations musulmanes, vient appuyer cette idée simple, que nous partageons totalement : l’islamophobie a plus à voir avec la manière dont l’Europe, et plus particulièrement la France, se définit et définit son « identité », qu’avec un quelconque comportement des musulman-e-s.
    (...)

    C’est sans doute là que se loge la contradiction principale du livre, qui oscille en permanence entre une dénonciation de l’universalisme abstrait, et un éloge continu, presque une exaltation, de la promesse républicaine. Une promesse qui serait fondée sur l’« égalité des humanités, quelles que soient leurs origines, leurs races, leurs croyances, leurs cultures, leurs civilisations. » (p. 49)
    En faisant de l’islamophobie une atteinte aux principes de la « grande France », généreuse, résistante et antiraciste, puis en préconisant un retour à l’esprit originel de la République, l’ancien rédacteur en chef du Monde commet selon nous une double méprise.

    Car cette « grande France » parée de toutes les vertus, n’a de notre point de vue jamais existé . Quant à la République, profondément façonnée par l’expansion coloniale, elle est loin d’être ce creuset où viendraient se dissoudre toutes les appartenances et les identités, pour ne laisser que des citoyens égaux . Elle a plutôt constitué – à travers la notion d’universalisme – une modalité nouvelle d’appréhension de la question raciale, mais en aucun cas une négation de l’idée de race même. (...)

    Les pages consacrées par E. Plenel aux propos de Claude Guéant sur l’inégalité des civilisations[5], peuvent dès lors apparaitre en contradiction avec le portrait ô combien élogieux qu’il fait de Jean Jaurès, auteur en son temps de sorties antisémites et ouvertement colonialistes, et qui a fait sa carrière politique durant la grande expansion de l’empire colonial français.
    (...)
    Le racisme de l’ère Sarkozy, sur laquelle insiste un peu trop E. Plenel, est érigé en véritable « crime contre la République ». Si son mandat fut bien celui de toutes les outrances, du ministère de l’identité nationale, à la chasse aux Rroms et aux sans-papiers, en passant par le projet de déchéance de la nationalité française, et le « débat » sur l’identité nationale, s’en tenir à cette séquence nous fait retomber dans certains pièges du discours antiraciste.
    Celui de l’inversion de la règle et de l’exception, par exemple, où le racisme est vu comme une anomalie du champ social, de la « République », voire de la « démocratie », indépendamment de ses fondements structurels. (...)

    (...)

    Et pour dire ce qui lui paraitrait pertinent à partir de sa position, un travail critique et réflexif sur ses propres milieux politiques – ceux de gauche – aurait été nécessaire . (...)

    L’exigence d’une véritable réflexion politique est, à notre sens, l’enjeu véritable de la question de l’islamophobie.

  • La lutte idéologique dans les pays colonisés – Avant-propos de l’auteur
    http://www.etatdexception.net/?p=4644

    « La Lutte idéologique dans les pays colonisés » (1960) – dont il a été question dans le précédent article de Rafik Chekkat et Youssef Girard (« De beaux rêves pour des paisibles dormeurs » : rétablir la quiétude postcoloniale ») – est le premier essai que #Malek_Bennabi a écrit directement en arabe. Rédigé au Caire où Bennabi a résidé comme réfugié politique de 1956 à 1962, ce livre a été traduit en français par Nour-Eddine Khendoudi et publié en #Algérie aux éditions El Borhane. En voici l’avant-propos, rédigé par (...)

    #International_/_Post_Colonialisme #Colonialisme #Idéologie

  • Le souffle de Fanon (Contretemps)
    http://www.contretemps.eu/lectures/pr%C3%A9sentation-dossier-contretemps-n%C2%B0-10-frantz-fanon-aujourd%E2

    Un texte de Félix Boggio Éwanjé-Épée, Rafik Chekkat et Stella Magliani-Belkacem.

    Le verbe fanonien, c’est l’histoire en marche : une histoire ouverte, en mouvement, en particulier parce qu’il avait compris — avec d’autres assurément — que la bataille pour l’indépendance était une étape certes nécessaire mais pas suffisante. […]
    En effet, Fanon met à jour jusqu’où l’emprise coloniale a atteint le colonisateur, la nation colonisatrice et à quel point celle-ci a dû intégrer le racisme à sa propre formation sociale. Comme aimait à le répéter Fanon, on ne colonise jamais impunément. […]
    Car ce que porte également le souffle de Fanon, c’est un certain rapport à la violence […]. Il existe cette idée classique que la violence est une réponse défensive de l’opprimé.e mais on trouve aussi chez Fanon la violence destructrice pensée non seulement comme adjuvante mais, en elle-même, également émancipatrice : la violence se situe à la suspension de la légalité présente dans la situation d’oppression et construit un autre ordre, ouvre une possibilité. Sans détruire ou dissoudre l’ordre précédent, rien qui vient briser le cercle vicieux de la domination ne peut advenir. […]
    En effet, nous pensons notamment que Fanon pourrait en partie nous venir en aide pour régler un problème général de la gauche française avec les médiations. Cette gauche qui semble croire qu’elle verra un jour l’affrontement final avec le Capital, quasiment en chair et en os, souvent à l’invocation de la grève générale : un jugement dernier avec, d’un côté le monde du travail et ses alliés, et de l’autre, le Capital et ses alliés, sans se demander par quelles médiations ces alliances et ces rapports de force se jouent réellement. […]
    Toutes les expériences des classes sociales du capitalisme occidental sont médiées par cette forme coloniale qu’a pris le capitalisme et qui l’a structuré pendant des décennies. Pour une part, cela a défini et littéralement façonné durablement à la fois une position particulière du prolétariat associé à la métropole (qui a été obligé de se positionner, sommé qu’il était par la stratégie du capitalisme), et de l’autre côté, la position structurelle d’inclusion/exclusion de l’immigration issue des colonies. Si nous prenons donc la pleine mesure de l’héritage fanonien, nous comprenons que cette affirmation doit dès lors façonner nos analyses, nos revendications et nos mots d’ordre anticapitalistes.

    #anticapitalisme #colonisation #violence #émancipation #Fanon