person:ron howard

  • Woody Harrelson, en liberté surveillée

    http://www.lemonde.fr/festival-de-cannes/article/2018/05/22/woody-harrelson-en-liberte-surveillee_5302517_766360.html

    Fils d’un tueur à gages, l’acteur américain ne cesse de jouer avec la loi, à l’image de son rôle de corsaire dans « Solo, A Star Wars Story ».

    « Trente secondes… Vingt-cinq… Vingt… » Le compte à rebours égrené par le staff de Disney n’anticipe pas la mise sur orbite du dernier vaisseau maison, Solo, A Star Wars Story, toujours fixée au mercredi 23 mai dans l’essentiel des salles du système solaire. « Quinze… Dix… Cinq… » Il s’agit, sur un registre plus terrestre, de rappeler à notre photographe qu’il ne dispose que de deux minutes chrono pour tirer le portrait de Woody Harrelson. L’Américain, qui incarne un corsaire interstellaire dans le nouveau spin-off de la franchise, est du genre diligent : « Woody souhaite impérativement quitter l’hôtel à midi pile… », argumente un stormtrooper déguisé en attaché de presse.

    Deux jours plus tôt, le 15 mai, le divertissement de Ron Howard a été fraîchement reçu lors de sa présentation hors compétition sur la Croisette ; le tournage s’était éternisé, et l’acteur exige que, cette fois, le planning soit respecté à la seconde près. Rien que de très « prévisible », comme dirait avec fatalisme son personnage : depuis que la série Cheers l’a révélé, dans les années 1980, Harrelson s’arrange toujours pour se trouver dans des situations limites. Qui d’autre a autant joué avec la loi, qu’il s’agisse de la faire appliquer ou, au contraire, de s’en affranchir effrontément ?

    Sur grand et petit écran, il s’est improvisé garant des institutions policières (True Detective, Triple 9, Three Billboards), militaires (La Ligne rouge, Des hommes d’influence, La Planète des singes), médicales (The Sunchaser), voire étatiques (L.B. Johnson, après Kennedy). Mais il a tout aussi habilement enfilé les haillons du hors-la-loi : outrage aux bonnes mœurs (Larry Flint), kidnapping (Wilson), fraude bancaire (Le Château de verre), meurtre (Tueurs nés, Sept psychopathes), grand banditisme (No Country for Old Men), son casier est chargé.

    Blockbusters et productions indés

    De Defendor à Insaisissable 2, il lui arrive même de se dédoubler en cours de film : ainsi de Self Control, où il campe avec autant d’implication un gigolo travesti et un agent de sécurité. Lorsqu’on l’interroge sur cette drôle de règle qui régit sa filmographie, Dr. Woody bafouille – « euh, ouais… » –, et Mr. Harrelson bredouille – « il y a du vrai… ». Car, dans son cas, l’antique dilemme yankee – flic ou voyou – fait résonner une corde particulièrement intime. Tour à tour condamné pour paris illégaux, vols à main armée et meurtres, son père est mort en prison, en 2007. Dans les années 1970, cet ex-vendeur d’encyclopédies texan a fait la « une » des journaux pour s’être attribué, sous l’emprise de drogues, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy, après avoir avoué celui d’un juge fédéral, commandité par un trafiquant.

    Comment tuer le père quand le vôtre est tueur à gages ? A la séparation de ses parents, en 1968, Woody suit sa mère en Iowa, puis étudie le théâtre et la littérature dans une université de l’Indiana. Il fréquente des cercles ultracatholiques, où il se lie avec le futur vice-président de Donald Trump, Mike Pence. Mais réalise bientôt, comme il le confiera à Playboy en 2009, que « la Bible est un instrument pour contrôler les gens », et s’éprend d’autres causes : méditation hindouiste, véganisme, légalisation du cannabis, anarchisme. Cette volte-face ne diminue guère la fréquence de ses visites en prison, au contraire : « Mon papa est l’une des personnes les plus charmantes et érudites que je connaisse, dira-t-il ainsi, en novembre 1988. Mais je me demande encore s’il mérite ma loyauté. Je le regarde comme quelqu’un qui pourrait devenir mon ami, plutôt que comme celui qui était mon père. »

    Sa loyauté, il l’offrira au cinéma, qui fera dire tout et son contraire à ses yeux bleu revolver, à ses maxillaires maximaux, à son sourire oblique : parangon de convivialité ou misanthrope patenté, ici meneur d’équipes, là loup solitaire, Harrelson est crédible à chaque extrémité du jeu social. Sur l’échiquier esthétique, de même, il évolue sur les côtés, alternant blockbusters à grands frais et productions indés, drames graves et pochades potaches.

    Une liberté toute surveillée, qu’il doit à quelques anges gardiens. Ecoutez-le évoquer la mèche postiche qu’il affiche dans Solo, chipée non pas à Chewbacca, mais à une amie productrice : « C’est une idée d’Allison Shearmur. Je tenais à ma calvitie, mais Allison refusait qu’on lui réponde non… Elle est morte juste après le tournage, à 54 ans, d’un cancer. Sans sa force de conviction, je n’aurais joué ni dans Hunger Games, ni dans Solo. Je venais de tourner ma première réalisation, Lost in London. Imaginez quand j’ai dû dire à ma famille : “Hum, je vais devoir rester à Londres neuf mois de plus !” Ron Howard [qui a remplacé Phil Lord et Chris Miller en cours de production] a fait un boulot épatant : deux semaines pour monter les décors, soixante-dix jours pour boucler le tournage, du grand artisanat ! »

    Ascèse et excès

    Des prouesses, Harrelson aussi en a troussé. Tourné en un seul plan-séquence dans 24 décors différents, Lost in London a été diffusé en direct dans 550 cinémas, le 19 janvier 2017 : « C’est une déclaration d’amour un peu bancale à ma femme. J’y reviens sur l’une des pires nuits de ma vie. Elle m’a hanté pendant des années, jusqu’à ce que je réalise qu’il y avait peut-être là matière à une fiction comique et cathartique. » Londres, 7 juin 2002 : un tabloïd le montre au bras de trois femmes de petite vertu, en petite tenue. S’ensuivent une « terne » performance théâtrale, des échanges échaudés avec Leonardo DiCaprio, Tobey Maguire et Lukas Haas dans une boîte de Soho, une course-poursuite en taxi avec les flics, et quelques heures derrière les barreaux.

    Autre prison – dorée celle-là –, autres anges gardiens : à 56 ans, Woody vit à Hawaï avec sa femme et leur chienne, Monkey, qu’il aime « presque autant » que leurs trois enfants, confesse l’ex-barman de Cheers en ingurgitant un breuvage brunâtre. Et de mentionner ses plus proches amis hawaïens, les quasi-homonymes Owen Wilson et Willie Nelson, sans qui « Lost in London n’aurait pas été drôle du tout ». La comédie sort le 25 mai sur plusieurs plates-formes de streaming : « A terme, je pense que les petits films de ce genre seront voués à n’être vus qu’à la maison... Dorénavant, les gens ne se déplacent en salles que pour les grosses machines, façon Disney. Vous pouvez trouver ça triste, mais c’est la réalité. »

    « Quinze… Dix… Cinq… Zéro ! » Il faut décoller de Cannes, tonne le stormtrooper. Des souvenirs remontent : « J’ai trop fait la fête ici… Il y a trente ans, en rentrant de Grèce, je suis tombé sous le charme de cette station balnéaire. J’ai loué un appartement, pour un mois. J’avais mis au point une petite routine vacancière, croissants et compagnie… Jusqu’à ce que le Festival nous tombe dessus : j’ai vu une ville paisible se transformer en Babylone. Waouh ! Heureusement, ma pote Diane Keaton veillait sur moi. » Ainsi va la vie de Woody Harrelson, toute d’ascèse et d’excès mêlés, valeureusement borderline.

  • Vu le #film Downsizing, d’Alexander Payer (2018), avec Matt Damon, sur le conseil de @philippe_de_jonckheere

    Alors bon, c’est sympa, mais c’est tout de même pas transcendant. Il y a une sorte de faux-rythme qui s’installe dès le début, et si le film est largement vendu sur le thème science-fictionnesque, plus ou moins comique, de la réduction de taille, c’est surtout une gentille comédie sentimentale autour d’un homme qui traverse sa midlife crisis (et, le saviez-tu, Matt et moi on a le même âge). Sa femme le quitte, il a un boulot pas terrible, il pense qu’un coup de malchance l’a privé d’un boulot prometteur pendant ses études, ses amis riches le trouvent pathétiques mais sympathique, il cherche un but à son existence, etc.

    Du coup, comme comédie sentimentale, c’est gentillet, les acteurs sont excellents, il y a des moments très drôles, et à mon avis le film est sauvé par l’actrice Hong Chau qui joue la dissidente vietnamienne devenue femme de ménage au grand cœur.

    Sinon, je trouve que le film passe presque totalement à côté de son anecdote principale (et donc son titre), le fait que les personnages sont réduits à la taille de 12 cm pour espérer vivre une nouvelle vie de pachas millionnaires où une parure complète de bijoux coûte 83 dollars (puisque tout est infiniment plus petit, donc ne coûte plus grand chose). Dans la crise que traverse le héros, OK c’est le déclencheur de son divorce, mais après ça ne sert franchement à rien. Dans les péripéties, ça ne sert non plus à rien : les personnages auraient tous une taille normale que ça ne changerait pas l’histoire non plus. Même à la fin, l’espèce de communauté beatnik norvégienne qui décide d’aller vivre pour 8000 ans dans une grotte pour sauver l’humanité, l’argument de la petite taille ne sert pas à grand chose. Et la « société » des « petits » ne présente pas franchement de caractéristiques qui auraient un intérêt dans le scénario (en dehors du fait que tout est étrangement mal proportionné : les verres de vin sont un peu trop grand, les bouteilles soit légèrement trop petites soit trop grandes…).

    Après on perçoit une foule de questions intéressantes, rapidement posées, et encore plus rapidement oubliées. Une société où tout le monde devient millionnaire « en équivalence », mais alors comment se reconstituent les inégalités et les rapports d’exploitation. Comment cette société pourrait-telle rester « riche » comparativement aux « grands » une fois que tout le monde sera « petit » (puisque si tout est si peu cher, c’est parce que les petits profitent d’une société « grande taille », à laquelle par ailleurs ils ne contribuent quasiment pas). Cette « société des petits » est en fait une entreprise privée, façon « walled community » ; quelle vie collective, quelle liberté, où vivent ceux qui ne peuvent s’offrir ce luxe ? Il y a plein de thèmes de ce genre, plus ou moins évoqués à un moment par un personnage, mais ça ne fait jamais plus d’une ou deux phrases.

    Typiquement, c’est le genre d’anecdote qui donnerait, dans un film de SF des années 70, tout un argument politique et une grosse satire sociale. Ça évoque d’ailleurs des choses déjà vues, comme le EdTV de Ron Howard (1999). Sauf que le sujet est presque totalement évacué, l’aspect SF politique (pourtant revendiqué par le film, puisque l’argument final est celui de la fin du monde) est clairement remplacé par une approche midlife crisis, gentillette mais pas très aboutie (et d’ailleurs, le côté satire sociale me semble plus relever ici de ce genre de comédie sentimentale que de la science-fiction).