La Suisse est la plaque tournante mondiale du négoce des matières premières. Pourtant, elle refuse d’imposer plus de transparence au secteur. Un projet de recherche financé par SNIS (Swiss Network for International Studies) s’est penché sur la chaîne de valeur du cuivre zambien et le rôle de la Suisse. Débat le 10 décembre au Graduate Institute de Genève.
A Lusaka, le 10 novembre, le ministre des Mines de Zambie révélait que #Konkola_Copper_Mines (#KCM), une filiale de #Vedanta_Resources, devait 80 millions USD à 400 fournisseurs, dont 7 millions USD à 91 fournisseurs locaux. En relayant l’information, le Zambia Business Times soulignait que seuls 12,5% des travaux de la compagnie minière étaient confiés à des sous-traitants locaux. « Une situation qui doit être améliorée urgemment », continuait le magazine économique, regrettant que le pays « ait été incapable de réguler l’industrie d’extraction du cuivre, alors même qu’elle représente 70% des recettes d’exportation. » Une mauvaise passe de plus, pourrait-on ajouter, pour la multinationale indienne, qui doit faire face à une plainte collective devant les tribunaux britanniques, où 1’826 habitants de Zambie l’accusent d’avoir pollué les eaux et les sols.
A Berne, le 7 novembre, une commission parlementaire n’a pas délibéré dans un sens favorable au peuple zambien. Elle a certes préconisé d’intégrer dans le droit suisse une disposition obligeant les sociétés qui extraient les matières premières à publier les paiements effectués aux Etats producteurs, pour améliorer la transparence et lutter contre la corruption. Mais cette disposition ne s’adresse qu’aux sociétés extractives et non aux sociétés de négoce (traders), si bien qu’elle ne touche de fait que… 4 des 544 multinationales présentes en Suisse ! Bien qu’elle soit la principale plaque tournante du négoce (trading) de matières premières, la Suisse n’est prête à imposer plus de transparence aux négociants qu’après qu’un autre pays l’ait fait avant elle – et encore, cela reste à voir. Or, comme le montre le cas zambien, les pays producteurs n’ont ni les moyens, ni la capacité de réguler le secteur.
Les mines de cuivre de Zambie entre les mains de 4 multinationales
Pourtant, selon une étude du McKinsey Global Institute, si les populations des pays producteurs de ressources naturelles bénéficiaient davantage de la rente des matières premières, plus de 540 millions de personnes pourraient sortir de la pauvreté. Mais quoi faire ? Comment réguler ? Quel rôle peut jouer la Suisse, à l’exemple de la chaîne de valeur du cuivre de Zambie ? C’est le sujet d’un débat sur Life Along the Copper Value Chain : The Swiss Commodity Trading Hub and its Impact on the Global South, organisé le 10 décembre, au Graduate Institute de Genève parl’UNRISD et le projet de recherche Valueworks : Effects of Financialisation along the Copper Value Chain.
Ladite recherche arrive à des conclusions édifiantes : les mines de cuivre de Zambie sont entre les mains de quatre multinationales, dont #Glencore – la plus importante entreprise de matières premières au monde (et la première société suisse du point de vue du chiffre d’affaires). L’un des problèmes majeurs posés par Glencore, comme par toutes les entreprises minières, est la pollution. L’autre est qu’elles paient très peu d’impôts sur place. Dans le budget 2019, le gouvernement zambien prévoit d’augmenter les taxes minières et les royalties, afin de réduire son déficit colossal. Sans surprise, les entreprises minières refusent.
Le transport du cuivre entre les mains des entreprises suisses
Les multinationales helvétiques pratiquent l’optimisation fiscale vers la Suisse, où la pression fiscale est notoirement très basse, en s’adonnant notamment au transfer pricing, un mécanisme par lequel, par exemple, la division mines de Glencore vend le cuivre à la division négoce de Glencore. Est-ce illégal ? Cela dépend, cela peut l’être, ou pas, mais il n’a jamais été prouvé que Glencore employait des moyens illégaux en Zambie. Cependant, la perte de revenus pour les pays producteurs est très importante.
Les matières premières sont achetées et revendues depuis la Suisse, sans jamais y transiter (à l’exception de l’or). Les entreprises suisses sont parmi les acteurs qui déterminent le transport du cuivre en Afrique sub-saharienne. A côté de Glencore, la genevoise Trafigura joue un rôle de premier plan dans le transport et la logistique du cuivre de Zambie, tout comme la société navale MSC et, pour la surveillance, la SGS. Ces trois sociétés sont basées à Genève, un canton dont 20% du PIB provient du négoce des matières premières. Il y a aussi beaucoup d’autres négociants, comme les branches de négoce des banques, des assurances et des fonds d’investissement.
Si Trafigura est, depuis 2014, l’une des deux ou trois sociétés qui publient les paiements effectués aux Etats, le secteur manque cruellement de transparence. « Il est impossible de suivre l’entièreté de la route du cuivre. Les contrats ne sont pas transparents, on ne sait pas à quelles conditions les négociants achètent et vendent le minerai », dénoncent les chercheurs. Une seule chose est sûre : la population ne profite pas assez de la manne des matières premières. Par contre, elle paie de ses impôts les infrastructures nécessaires à la réalisation de ces affaires.
Les travailleurs ont payé le prix des privatisations
En 2000, la Zambie a privatisé la société nationale des mines de cuivre. Depuis, 13 milliards USD ont été investis dans le secteur, permettant d’ouvrir de nouvelles mines, de transférer la technologie et d’acheter des machines. La production de cuivre et cobalt a augmenté exponentiellement, faisant de la Zambie le 2ème producteur de cuivre d’Afrique, après la République démocratique du Congo (RDC).
Les exportations de minerais ont explosé, passant de 670 millions USD en 2002 à 4 milliards en 2008, ce qui équivaut à une augmentation de 500%. Les revenus du cuivre par rapport à l’aide internationale sont passés à 7 :1. Depuis 2004, le PIB a crû de 5% – 7% par an. Malgré cela, l’optimisation fiscale des multinationales a fait perdre au pays 3 milliards USD de recettes.
Qui a payé le prix de ce boom économique et des dividendes exorbitants versés aux actionnaires des multinationales ? Les travailleurs des mines. Avec la privatisation, leur nombre a chuté de 60% entre 1991 et 2015. Les emplois précaires ont augmenté : à court terme, mal payés, sans assurances sociales et peu syndiqués. Aujourd’hui plus de 75% des travailleurs du secteur minier ont des dettes bancaires, avec des taux d’intérêt exorbitants à 40%. Le pays est étranglé par la corruption, la mauvaise gouvernance et la restriction de l’espace démocratique.
Plus du tiers des matières premières dans le monde sont vendues, acheminées et achetées en Suisse. Les chercheurs pensent qu’elle a un rôle à jouer pour améliorer la transparence et la redevabilité du secteur.