• « Les mâles de notre espèce sont parmi les primates les plus violents envers leurs femelles, les femmes » , Pascal Picq 
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/11/09/pascal-picq-les-males-de-notre-espece-sont-parmi-les-primates-les-plus-viole

    Le paléoanthropologue, dans son dernier ouvrage, propose une analyse évolutionniste de la coercition des femmes, concluant qu’il s’agit d’une question sociale, culturelle et anthropologique.

    Charles Darwin, Friedrich Engels, Karl Marx, tous ont fait ce constat : la première classe des opprimés, dans les sociétés humaines, ce sont les femmes. Pourquoi tant de violences ? Jusqu’ici, la question avait été explorée à l’aune de l’anthropologie, de la sociologie, de l’ethnologie… Dans son dernier ouvrage Et l’évolution créa la femme (Odile Jacob, 464 pages, 22,90 euros), c’est un regard évolutionniste que pose Pascal Picq, maître de conférence au Collège de France, sur ce problème sociétal. Héritage biologique ou évolution malheureuse des sociétés humaines ? Fait de nature ou de culture ?

    Comment avez-vous cherché à répondre à la question – si polémique – de l’origine de la sujétion des femmes ?

    J’ai voulu m’extraire des stéréotypes ou des idéologies propres à une partie des sciences sociales par un regard neuf, une approche scientifique évolutionniste. Elle s’articule en deux temps. Je compare d’abord le degré de coercition sexuelle entre les différentes espèces de primates, dont la nôtre. Des contraintes environnementales et biologiques analogues ont-elles produit les mêmes effets sur les comportements de coercition masculine ? Puis je plonge dans la préhistoire de notre espèce et des espèces proches. Mon livre propose une esquisse de ce qu’a pu être l’évolution de la femme et des rapports entre les genres au cours des différentes périodes de la préhistoire. Comment les violences à leur encontre sont-elles apparues ? Comment ont-elles évolué au fil des époques et des cultures ?

    Pour vous, quel est le sens de ces comparaisons entre humains et grands singes ?

    C’est le principe même de l’approche phylogénétique. Pour étudier les origines et l’évolution d’une espèce, on la compare aux espèces plus ou moins proches puis, dans un second temps, on regarde comment ses caractères ont évolué. L’application de cette approche à l’étude de l’évolution des systèmes sociaux est assez récente.

    Que nous enseigne la comparaison des différentes espèces de primates ?

    D’une manière générale, la coercition sexuelle reste assez rare chez les mammifères, même si les mâles ont tendance à être dominants sur les femelles – soit dit en passant, chez le cheval, le dauphin, les otaries, les antilopes, des espèces que nous trouvons généralement si sympathiques, les mâles exercent une forte coercition à l’égard des femelles. Ce sont de vrais machos !

    Il y a 32 millions d’années, apparaissent les lignées de singes que nous connaissons aujourd’hui. Auparavant, il y a de fortes chances que les mâles aient été très peu coercitifs. Les lémuriens, en effet, sont parmi les plus anciens des primates aujourd’hui vivants : leurs sociétés sont dominées par les femelles. Chez les primates, une règle empirique émerge : plus il y a d’asymétrie dans l’investissement reproductif, avec un investissement des femelles important (« anisogamie »), et plus les mâles ont tendance à être coercitifs. Par ailleurs, les mâles de notre espèce la rangent – en moyenne – parmi les sociétés de primates les plus violentes envers leurs femelles : les femmes. Ils partagent ce triste record avec les babouins hamadryas et les chimpanzés. Mais les bonobos forment des sociétés très égalitaires. Les singes d’Amérique du Sud (platyrrhiniens), eux aussi, sont peu ou pas coercitifs. En revanche, les singes de l’Ancien Monde, ou catarrhiniens (babouins, macaques, colobes, gorilles, chimpanzés, hommes…) sont en moyenne plus coercitifs.

    Bilan de ces comparaisons ?

    A de rares exceptions, aucune lignée ne se caractérise par la présence ou par l’absence systématique de coercition. Autrement dit, aucune lignée évolutive ne voue à la coercition ! Dans la lignée des hominidés, les humains et les chimpanzés sont très coercitifs, mais les bonobos, on l’a vu, montrent un équilibre des pouvoirs entre sexes. Chez les babouins, les hamadryas sont coercitifs, au contraire des geladas, pourtant voisins géographiquement. Chez les macaques, les singes rhésus sont de vrais machos, tandis que les magots sont plus égalitaires. Par ailleurs, il n’y a pas de corrélation entre le type d’habitat – savanes, forêts – et le degré de coercition sexuelle. Pas plus qu’il n’y en a entre le degré de dimorphisme sexuel [les différences de taille et de forme entre mâles et femelles] et l’intensité de la coercition masculine. Des contraintes environnementales interviennent, mais n’expliquent pas tout. Donc, ni contrainte phylogénétique, ni déterminisme écologique, si ce n’est en termes de tendances ou comme facteurs aggravants.

    Un comportement violent serait-il plus acceptable s’il existait chez d’autres primates ?

    Bien sûr que non. Ce n’est pas parce qu’un caractère est présent chez une espèce proche de nous qu’il est bon ou mauvais, légitime ou condamnable ! Les anthropologues évolutionnistes n’ont que faire de ce que les chimpanzés ou les bonobos sont coercitifs ou égalitaires. C’est l’affaire de ces deux espèces. D’ailleurs, aucune d’elles n’est plus proche de nous, sur le plan phylogénétique. Cela dit, si les bonobos (connus depuis seulement un demi-siècle) n’existaient pas, on pourrait affirmer que la lignée des hominidés (qui comprendrait alors seulement les humains et les chimpanzés) est terriblement coercitive.

    Pour éviter ce type de biais, il faut donc une approche phylogénétique impliquant de nombreuses espèces. Ne confondons pas un jugement de fait avec un jugement normatif. Celles et ceux qui justifient les violences des hommes envers les femmes parce qu’il en est ainsi chez les chimpanzés commettent une erreur, un paralogisme. Ce que nous disent ces grands singes si proches de nous, c’est que ces comportements varient. Et que c’est à nous, dans le cadre de nos sociétés, d’œuvrer pour telle ou telle évolution. Le XIXe siècle a dramatiquement penché du côté du chimpanzé. Le XXIe siècle nous rapprochera-t-il des bonobos ?

    Que pensez-vous du modèle des campagnols des prairies et des montagnes : deux espèces très proches au plan phylogénétique. Mais les premiers, monogames et égalitaires, sont des parents attentionnés, tandis que les seconds, volages et coercitifs, font figure de parents indignes…

    Dans cet exemple canonique, les seules différences biologiques mesurées entre ces deux espèces sont les concentrations en ocytocine et vasopressine : elles sont très élevées chez les premiers, effondrées chez les seconds. Pour autant, ces hormones ne sont pas la cause de leurs comportements. Ceux-ci viennent des médiateurs qui, au fil de l’évolution, les ont renforcés. Entre ces deux espèces, des divergences écologiques et éthologiques, par la voie de la sélection naturelle et de dérives génétiques, se sont accentuées. Il faut dire que peu d’espèces de mammifères sont monogames. C’est chez les primates qu’on en trouve le plus, environ un quart, ce qui est très significatif. Il existe différents types de monogamies, qui toutes s’accompagnent de transformations physiologiques, sexuelles, reproductives, comportementales et cognitives. Une fois monogames, les espèces ne reviennent jamais vers d’autres systèmes sociaux, même ceux de leurs ancêtres.

    Quelles pourraient être les causes des comportements si opposés, entre bonobos et chimpanzés ?

    Les singes, plus encore les grands singes et plus encore les humains, sont des espèces dites K, un mode de reproduction très qualitatif : après une longue gestation, un seul petit naît (des jumeaux parfois) ; le sevrage est tardif, l’enfance longue et l’adolescence plus ou moins longue. Soit une maturation de plus d’une décennie, avec le temps de l’apprentissage social. C’est là qu’interviennent les neurones miroirs et les processus cognitifs qui construisent les comportements sociaux des individus. Chez les singes, on parle de « cerveau social ». S’ils naissent dans des sociétés coercitives, les jeunes mâles reproduiront ces schémas – et inversement. S’il n’y a pas de déterminisme génétique, il peut y avoir des influences génétiques, mais les activités de nombreux gènes se combinent entre elles (sans oublier les facteurs épigénétiques). Je ne nie pas non plus que l’environnement n’intervienne pas. Ainsi, le milieu protégé des bonobos est plus propice à une vie sociale apaisée que les forêts et les savanes arborées des chimpanzés. De même, en Afrique australe, les pressions de prédation sont plus favorables aux babouins kinda, plus égalitaires, qu’aux babouins chacma, plus coercitifs. Même chose dans les sociétés humaines : une crise comme le Covid-19 tend à aggraver l’insécurité et les violences envers les femmes.

    Revenons sur la très forte contrainte reproductive qui pèse sur les femmes…

    L’émergence du genre humain (Homo) en Afrique, il y a 2 millions d’années environ, s’est accompagnée de changements considérables, plus encore chez les femelles qui deviennent des femmes. Il y a le « camouflage de l’œstrus » : les femmes ne présentent plus de signes morphologiques manifestes de leur période de fécondité. Elles ne savent pas toujours quand elles sont en période d’ovulation, et leur réceptivité sexuelle devient permanente. Et puis, il y a des transformations anatomiques majeures. D’un côté, le bassin prend une forme en cuvette fermée, qui soutient les viscères tout en permettant une bipédie performante. D’un autre côté, la taille du cerveau humain augmente beaucoup, ce qui complique l’accouchement : la tête du nouveau-né a du mal à passer à travers le bassin maternel. Malgré tout, cette anatomie du bassin féminin a limité le développement du cerveau humain in utero. C’est le « dilemme obstétrical ». Après la naissance, le cerveau du petit humain poursuit donc son développement et connaît une maturation importante.

    Conséquence : le petit humain devient très dépendant de « l’utérus social » où il est plongé…

    Ce bébé nécessite des soins parentaux intenses, dont la charge est surtout portée par les mères. C’est pourquoi celles-ci nécessitent de l’entraide (« alloparentalité »), qui dépend grandement de la considération pour les femmes dans chaque société.

    De plus, la forte contrainte de reproduction fait des femmes un enjeu de contrôle pour les hommes. Plus encore que chez toutes les autres espèces de primates, elles deviennent des ressources rares et précieuses. Leur réceptivité sexuelle permanente et les exigences de l’investissement parental provoquent des tensions, sources de coercition masculine autour de la certitude ou non de la paternité. Tout cela va profondément transformer les sociétés humaines. Ces constats résultent de recherches lancées par des anthropologues et éthologues féministes, issues d’universités anglo-saxonnes pour la plupart. L’étude des effets de cette contrainte sur la coercition masculine, en revanche, est très récente.

    Les femelles de notre lignée font face à une difficulté supplémentaire…

    Oui. Presque toutes les sociétés de singes sont des sociétés matrilocales : les femelles restent toute leur vie dans leur groupe natal, que les mâles quittent à l’adolescence. Cette règle résulte du déséquilibre de l’investissement parental entre mâles (peu investis) et femelles (très investies). Il faut donc que celles-ci bénéficient d’un soutien parental de la part du groupe pour l’accès à la nourriture, les soins, la protection et l’éducation des petits… Elles apprennent à être des mères avec l’assistance de leurs consœurs, affiliées ou pas. Le système matrilocal favorise cette entraide.

    « Le contrôle des femmes et leur coercition s’aggravent avec la recherche de statuts sociaux chez les hommes, notamment plus âgés. »

    Mais les humains, les chimpanzés et les bonobos forment des sociétés patrilocales. Les mâles restent toute leur vie dans leur groupe natal, que les femelles quittent à l’adolescence. Cette exogamie des femmes a bien été décrite par Claude Lévi-Strauss et l’école d’anthropologie du Collège de France. Mais ce qui ressort de mon analyse, c’est que seules les sociétés humaines sont majoritairement patrilinéaires [avec un statut social transmis de pères en fils] et patriarcales [le père a une autorité prépondérante]. Autrement dit, alors que les contraintes de la reproduction exigent de l’entraide envers les femmes, elles ont plus de mal à en bénéficier dans des sociétés patrilocales.

    Que nous apprend la paléoanthropologie sur les relations passées entre sexes ?

    Chez les australopithèques et Homo erectus, elle ne nous permet pas de reconstituer les systèmes sociaux. On ignore donc si Lucy, ses consœurs et les femmes Homo erectus subissaient des violences sexuelles. Au paléolithique moyen (350 000 - 45 000 ans), l’étude des tombes ne permet pas non plus de déceler des différences de statut social ni des traces de contrainte sexuelle. Mais l’étude de l’ADN des fossiles – la « paléogénétique » – montre que les sociétés d’Homo sapiens et de Néandertal étaient patrilocales. Au paléolithique supérieur (45 000-12 000 ans), Homo sapiens reste seul en scène. Des sociétés de chasseurs-cueilleurs plus complexes apparaissent, avec des statuts différenciés, plus de richesses et de sédentarité. Soit autant de facteurs corrélés à une coercition sexuelle accrue et à des sociétés plus inégalitaires.

    Comment peut-on connaître l’organisation sociale de ces sociétés anciennes ?

    Malgré d’importants biais, on peut procéder par analogies avec ce que l’on sait des ultimes sociétés de chasseurs-cueilleurs actuelles, même si leur diversité passée et présente est très sous-estimée. En témoigne la découverte, publiée le 4 novembre dans Science Advances, de femmes qui participaient activement à la chasse dans les Andes il y a 9 000 ans.

    Revenons à l’ethnographie comparée : elle décrit certaines sociétés égalitaires, d’autres très inégalitaires et coercitives envers les femmes (avec parfois des mises en esclavage). Et l’on découvre plusieurs tendances. Tout d’abord, le contrôle des femmes et leur coercition s’aggravent avec la recherche de statuts sociaux chez les hommes, notamment plus âgés. En témoigne le « prix de la fiancée », cette dette dont un homme doit s’acquitter pour épouser une femme. Un autre ressort de ces violences est l’augmentation des richesses, dont l’effet paraît moindre que la recherche de statuts. Autres facteurs aggravants : l’éloignement des femmes de leur famille, l’établissement d’espaces privés, la sédentarité, le contrôle des relations extérieures du groupe, la guerre…

    Il n’y a ni bons ni vilains sauvages. Nonobstant Rousseau et Marx, les oppressions ne résultent pas de la production de richesses et de leurs répartitions, qui constituent incontestablement des facteurs aggravants, mais pas systématiquement. Les origines des inégalités reposent sur le contrôle des femmes. En découlent ensuite les autres formes d’esclavage et d’exploitation des groupes sociaux.

    Au néolithique, apparaissent les premières sociétés d’agriculteurs. Cela change-t-il le statut des femmes ?

    Oui. Globalement, il se dégrade ! Il y a 10 000 ans environ, soit après la dernière glaciation, la diversité des sociétés humaines s’accroît encore. Le nombre de sociétés inégalitaires augmente. Les massacres collectifs interhumains s’intensifient, les différences de statuts et de tâches entre sexes se renforcent, les déplacements de femmes et leurs rapts s’amplifient.

    « Les sociétés d’Europe du sud sont plus phallocrates, tandis que celles d’Europe du nord montrent plus d’équité entre sexes. »
    Au Proche-Orient, émergent les premières sociétés agricoles. Et que lit-on dans les fossiles ou les dents des femmes de cette époque ? Elles se marient de plus en plus tôt, enchaînent les grossesses et meurent plus jeunes. La paléogénétique montre aussi qu’elles viennent de plus loin, dans des sociétés patrilocales et patrilinéaires. Or plus les femmes sont éloignées de leur groupe natal, plus cela favorise les violences à leur encontre.

    Mais cette tendance souffre d’exceptions. Quel que soit le type d’économie (chasseurs-cueilleurs de différents types, sociétés horticoles, agricoles ou d’éleveurs), on y trouve des sociétés plus égalitaires et d’autres franchement inégalitaires. Prenons les sociétés horticoles : on en trouve des coercitives (Baruyas de Nouvelle-Guinée) et d’autres non (Hurons du Canada). Il en va de même chez les chasseurs-cueilleurs : il y a parmi eux des peuples très coercitifs (Aborigènes australiens) et d’autres très égalitaires (Bushmen d’Afrique). Il en va même parmi les sociétés agricoles, industrielles et actuelles.

    Que se passe-t-il ensuite quand ces sociétés d’agriculteurs arrivent en Europe ?

    Malgré leur diversité, on peut dégager de grandes tendances. Plus ces sociétés sont anciennement agricoles, plus elles sont patriarcales et coercitives à l’égard des femmes. On distingue deux grands flux migratoires. Il y a 8 000 ans, les premières sociétés agricoles et patriarcales, issues du Proche-Orient, s’établissent en Europe, plutôt dans le sud. Puis, il y a 6 000 ans, d’autres populations d’éleveurs issues d’Eurasie centrale, plus égalitaires, arrivent à leur tour en Europe et remontent vers le nord.

    Conséquences actuelles : le génome des populations d’Europe du sud contient plus de gènes des populations agricoles coercitives venues du Proche-Orient. Et le génome des populations d’Europe du nord contient plus de gènes des populations d’éleveurs, plus égalitaires, venues d’Eurasie. Fait stupéfiant, on retrouve aujourd’hui ces différences culturelles dans les héritages respectifs du droit romain et du droit germanique. Ainsi, les sociétés d’Europe du sud sont plus phallocrates, tandis que celles d’Europe du nord montrent plus d’équité entre sexes. On mesure même l’impact de ces différences sur les recherches sur les inégalités de genre ! Ces études sont rares dans les pays de langues latines, mais fréquentes dans les pays anglophones et germanophones. L’histoire aussi porte la trace de ces différences. En Europe du sud, il n’y eut guère qu’Isabelle la Catholique ou Isabeau de Bavière pour avoir porté durablement les attributs du pouvoir. Mais en Europe du nord, on ne compte plus les reines, impératrices, femmes premières ministres…

    Revenons aux primates non humains. Pour contrer la coercition exercée par les mâles, de quels moyens disposent les femelles ?

    Elles peuvent se coaliser, sélectionner des mâles tolérants, multiplier les partenaires sexuels (« polyandrie sexuelle ») ou tisser des liens d’amitiés avec des mâles protecteurs. Ces comportements sont favorisés par les sociétés matrilocales et matrilinéaires, organisations dominantes dans la grande majorité des espèces. Pour autant, ils se manifestent aussi chez des espèces patrilocales comme les bonobos. De manière générale, la matrilocalité ne garantit pas l’absence de coercition masculine. Et même dans des sociétés patrilocales, il peut y avoir un équilibre des pouvoirs entre les sexes.

    Et les sociétés humaines matriarcales ? On en parle peu…

    Vous soulignez-là un biais considérable de l’anthropologie et de l’ethnographie : ces disciplines sont nées à la fin du XIXe siècle, un des siècles les plus marqués par l’antagonisme sexuel en Occident. Les hommes qui ont lancé ces études ont donc été nourris à la mamelle du patriarcat. Et toutes les connaissances acquises, au départ, ont porté sur l’arc géographique qui s’étend sur le Proche-Orient et l’Europe du Sud : un arc patriarcal. Résultat : on a largement ignoré les sociétés matrilinéaires et matrilocales, voire matriarcales d’Asie, d’Afrique et des Amériques. Leur nombre actuel est pourtant loin d’être négligeable.

    Quels sont vos grands messages ?

    La comparaison des sociétés humaines avec celles des singes et des grands singes confirme que la coercition masculine est moins une question de tendances évolutives propres aux différentes lignées de primates ou aux conditions écologiques et économiques qu’une question sociale, culturelle et anthropologique. Autrement dit, rien ne justifie, au regard de l’évolution de notre lignée, le fait que nos sociétés ne puissent radicalement changer sur la question de l’égalité de droit entre femmes et hommes. Bâtir un humanisme qui n’oublie pas les femmes, tel est le défi. L’enjeu est aussi économique : le coût estimé de la discrimination envers les femmes se chiffre en millions de milliards d’euros. Selon les études les plus récentes, plus que la transformation numérique et organisationnelle de nos économies, le principal atout réside dans l’équité femmes-hommes. Rappelons qu’il n’y a pas d’innovation sans diversité. Discriminer plombe les capacités d’adaptation. C’est une loi d’airain de l’évolution.

    #paléoanthropologie #utérus_social #femmes

    • « on a largement ignoré les sociétés matrilinéaires et matrilocales, voire matriarcales d’Asie, d’Afrique et des Amériques. Leur nombre actuel est pourtant loin d’être négligeable. »
      #bullshit
      Les sois disant sociétés matriarcales n’oppriment pas les hommes. Je demande à voire tous ces sois disant peuples d’Asie, d’Afrique ou d’Amérique qui interdisent l’instruction des garçons pour les mettre à disposition de l’agrément des filles et des femmes.

    • « J’ai voulu m’extraire des stéréotypes ou des idéologies propres à une partie des sciences sociales par un regard neuf, une approche scientifique évolutionniste. »

      Donc, il ne s’agit pas d’une approche historique, mais d’une simple reconstruction à partir de raisonnement « logiques » purement spéculatifs ; on est clairement dans une approche sociobiologique - et qu’elle soit « de gôche » n’enlève rien à l’#imposture.

      Picq est pourtant bien connu pour être une sorte de bouffon scientifique, une petite frappe scientiste.

      #sociobiologie, #scientisme, #pseudo-critique.

    • @rastapopoulos C’est normal qu’on parle peu de sociétés humaines matriarcales vu que ca n’existe pas. Ce que les gens appellent « matriarcat » ce sont des sociétés moins inégalitaires mais ou les femmes se coltinent toujours les corvées de chiotte et les culs à torché. Il n’y a pas de cultures humaines dans lesquelles les hommes sont opprimés par et pour les femmes.

      @tranbert Merci pour tes précision

    • J’étais intéressée jusqu’à ce que ce type de raccourcis surgissent

      Ainsi, les sociétés d’Europe du sud sont plus phallocrates, tandis que celles d’Europe du nord montrent plus d’équité entre sexes.

      et donc merci @tranbert d’éclairer mon envie de vomir à cette lecture.
      #racisme_anthropologique

    • Peut être que Patou-Mathis est plus fiable que Picq mais elle dit aussi des choses pas très fiables en particulier je l’ai lu dire de grosses erreures sur le cannibalisme. Elle se servait des « niam-niams » comme exemple de peuple anthropophage avéré dans « mangeurs de viande » alors que c’est un peuple fictif sensé avoir une queu et inventé par les blancs pour légitimé l’oppression des noirs.
      https://www.cairn.info/zoos-humains-et-exhibitions-coloniales--9782707169976-page-169.htm


      https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k67054t.texteImage

    • Et en plus, je trouve que c’est parfaitement malhonnête de présenter cette étude comme soit disant scientifique sur l’oppression des femmes, parce que ses idées nauséabondes peuvent ensuite circuler librement dans des milieux féministes peu avertis et nous intoxiquer.
      #pensée_toxique

    • Désolée, mon post a croisé le tien @mad_meg, je lève le malentendu car je ne m’adressais pas à toi, je parlais du racisme de Picq subrepticement planqué derrière l’anthropologie, pas tant des cultures matriarcales.
      Même si évidemment tu soulèves un point important de cette ignorance entretenue de par sa position.
      En fait ce texte est un collage puérile et non explicité de ce que sont pour lui les violences faites aux femmes pour aboutir au gène_sexiste. Quand il dit par exemple que les femmes qui s’éloignent de leur famille/clan subissent alors plus l’oppression des hommes, ça me parait très péremptoire, ce ne sont que des suppositions basées sur des pratiques culturelles, elles aussi non replacées dans leur contexte historique et culturel. On pourrait très bien aussi supposer que les femmes qui s’éloignent de leur famille/clan le font parce qu’elles ont la possibilité de le quitter sans que cela leur pose un souci ou qu’elles s’extirpent des violences qu’elles y subissent.

    • Pour le coup je vois difficilement comment ça pourrait être autre chose que péremptoire (cette affirmation ou n’importe quelle autre hein) dans une très courte interview qui sert juste à effleurer le contenu global du livre. Je suppose que - s’il est sérieux - chacune de ses affirmations est argumenté dans le livre en prenant appui sur telles et telles sources archéologiques/anthropologiques/biologiques. Mais ce n’est qu’une supposition, il faudrait lire le livre pour ça. Et du coup le critiquer suivant s’il argumente réellement ou pas, et pouvoir dire « non cette source est biaisée » etc. Bref un travail… de sciences sociales. Peut-être que c’est nul et que les sources qu’il utilise sont nazes. Mais pour ça faudrait lire le livre ou que d’autres pair⋅es du même domaine l’ait lu et critiqué pour nous et tant mieux si des gens font ce boulot !

    • @rastapopoulos tu adoptes un ton professoral pour ta leçon de lecture avec tout ces « il faut faire comme ci » exigeant le respect d’un travail scientifique alors que les arguments développés sont construits pour aboutir à la conclusion que le gène du patriarcat est plus développé au Proche-Orient. [EDIT correction Moyen-> Proche]

      Je reste libre de dire ici que je trouve que ce texte sent mauvais sans m’étendre sur mon analyse ni qu’on me dise qu’il faudrait fouiller plus, merci mais non.

    • Moi je veux bien qu’il dise de la merde mais rien que pour juste l’interview seule alors, on lit pas la même chose, avec le même texte sous les yeux…

      1) Dans la première phrase, il ne parle que de l’Europe déjà.
      2) Ensuite il parle du Proche-orient, et il dit ça pour un point précis : parce que culturellement c’est là que l’agriculture y est apparu et donc en entrainant une organisation de ces sociétés différentes. Il se trouve que ces « premières sociétés agricoles » bah oui c’est effectivement au Proche-orient que ça démarre ! Mais on s’en fout, ça pourrait être ailleurs ça serait pareil… Ce qui compte c’est qu’il parle de sociétés agricoles, pas du Proche-orient, il me semble, car pour la plupart des cas, le fait d’être agricole aboutit effectivement à des organisations totalement différentes des pas agricoles.
      3) Dans les deux cas (Europe et là les « premières sociétés agricoles »), ce qu’il affirme est censés venir de preuves archéologiques montrant des faits précis : que de manière plus fréquente, les femmes de ces sociétés meurent plus jeunes, ont plus de grossesses, etc. Donc bah s’il faut le critiquer c’est en disant que ses preuves là sont fausses ou biaisées, et c’est bien possible que l’état des connaissances sur ces sociétés là de cette période, ça soit ça, ou pas ça, mais vraiment moi je n’ai pas la connaissance de l’actualité archéologique pour le dire.

      Mais quel rapport avec les gênes et avec un quelconque racisme dans ces faits là ? Je suis naïf ou débile je sais pas, mais vraiment je vois pas ou ne lit vraiment pas la même chose…

    • Vous me rassurez, moi aussi j’ai tiqué à ce passage :

      Conséquences actuelles : le génome des populations d’Europe du sud contient plus de gènes des populations agricoles coercitives venues du Proche-Orient. Et le génome des populations d’Europe du nord contient plus de gènes des populations d’éleveurs, plus égalitaires, venues d’Eurasie.

      Mais j’avais déjà tiqué avant. En effet, grâce à seenthis, je m’intéresse depuis quelque temps à l’évolution de la condition des femmes à travers l’histoire. Si tout le monde (même Picq) est d’accord pour dire que ça empire avec l’agriculture, les données sont très difficiles à obtenir pour ce qui précède, jusqu’aux chasseuses-cueilleuses. Et ici, Picq (mais bon, c’est vrai que je n’ai pas lu son livre, il a peut-être plus d’arguments) semble juste faire des déductions au doigt mouillé. En ce qui concerne les premiers homo sapiens, ce qui suit n’est basé sur aucune preuve ni même observation :

      Ce bébé nécessite des soins parentaux intenses, dont la charge est surtout portée par les mères. C’est pourquoi celles-ci nécessitent de l’entraide (« alloparentalité »), qui dépend grandement de la considération pour les femmes dans chaque société.

      De plus, la forte contrainte de reproduction fait des femmes un enjeu de contrôle pour les hommes. Plus encore que chez toutes les autres espèces de primates, elles deviennent des ressources rares et précieuses. Leur réceptivité sexuelle permanente et les exigences de l’investissement parental provoquent des tensions, sources de coercition masculine autour de la certitude ou non de la paternité. Tout cela va profondément transformer les sociétés humaines. Ces constats résultent de recherches lancées par des anthropologues et éthologues féministes, issues d’universités anglo-saxonnes pour la plupart. L’étude des effets de cette contrainte sur la coercition masculine, en revanche, est très récente.

      Au contraire, il semble y avoir des preuves que l’égalité hommes-femmes est assez grande jusqu’à l’agriculture (en terme d’analyses osseuses, de morphologie, de nourriture etc.). C’est d’ailleurs ce qu’il semble reconnaître ci-dessous, alors du coup on se demande d’où viennent ses élucubrations :

      Chez les australopithèques et Homo erectus, elle ne nous permet pas de reconstituer les systèmes sociaux. On ignore donc si Lucy, ses consœurs et les femmes Homo erectus subissaient des violences sexuelles. Au paléolithique moyen (350 000 - 45 000 ans), l’étude des tombes ne permet pas non plus de déceler des différences de statut social ni des traces de contrainte sexuelle. Mais l’étude de l’ADN des fossiles – la « paléogénétique » – montre que les sociétés d’Homo sapiens et de Néandertal étaient patrilocales. Au paléolithique supérieur (45 000-12 000 ans), Homo sapiens reste seul en scène. Des sociétés de chasseurs-cueilleurs plus complexes apparaissent, avec des statuts différenciés, plus de richesses et de sédentarité. Soit autant de facteurs corrélés à une coercition sexuelle accrue et à des sociétés plus inégalitaires.

      Malgré d’importants biais, on peut procéder par analogies avec ce que l’on sait des ultimes sociétés de chasseurs-cueilleurs actuelles, même si leur diversité passée et présente est très sous-estimée. En témoigne la découverte, publiée le 4 novembre dans Science Advances, de femmes qui participaient activement à la chasse dans les Andes il y a 9 000 ans.

      Il n’y a qu’à partir de l’agriculture qu’on est d’accord. Agriculture qui apporte le capitalisme, le sexisme, la privation de nourriture pour les femmes, et leur taille qui diminue. Là, oui, il y a des preuves :

      Oui. Globalement, il se dégrade ! Il y a 10 000 ans environ, soit après la dernière glaciation, la diversité des sociétés humaines s’accroît encore. Le nombre de sociétés inégalitaires augmente. Les massacres collectifs interhumains s’intensifient, les différences de statuts et de tâches entre sexes se renforcent, les déplacements de femmes et leurs rapts s’amplifient.

      Au Proche-Orient, émergent les premières sociétés agricoles. Et que lit-on dans les fossiles ou les dents des femmes de cette époque ? Elles se marient de plus en plus tôt, enchaînent les grossesses et meurent plus jeunes. La paléogénétique montre aussi qu’elles viennent de plus loin, dans des sociétés patrilocales et patrilinéaires. Or plus les femmes sont éloignées de leur groupe natal, plus cela favorise les violences à leur encontre.

      Là, je n’ai pas trop le temps, mais lors de ma prochaine mise à jour je rajouterai les tags #archéologie habituels...

  • Recension : M. Sahlins, Critique de la sociobiologie, 1976
    https://sniadecki.wordpress.com/2018/01/07/descola-sahlins

    En revanche, sa critique du réductionnisme biologique met à jour le substrat idéologique de l’entreprise sociobiologique et c’est cette épistémologie critique, principalement développée dans la deuxième partie de l’ouvrage, qui retient le plus l’attention.

    L’auteur s’attache en effet à montrer les mutations idéologiques du concept de sélection naturelle, c’est-à-dire le passage d’une représentation de l’aptitude adaptative comme un avantage relatif et génétiquement induit, permettant d’accroître la capacité reproductive d’un individu, à une conception volontariste selon laquelle l’organisme exerce une activité consciente visant à une valorisation génétique de ses biens, c’est-à-dire à l’obtention de l’avantage reproductif net maximal en fonction d’un investissement parental donné. Le processus de la sélection de parenté apparaît dès lors gouverné par les mêmes principes que la prise de décision économique dans un marché concurrentiel. Cette homologie est très significative, car la sociobiologie « scientifique » se révèle ainsi pour ce qu’elle est réellement : non pas une discipline « rectrice » pour les sciences humaines mais, bien au contraire, un avatar biologisant de la théorie économique marginaliste.

    #sociobiologie #ethnologie #anthropologie #Marshall_Sahlins #Philippe_Descola

  • Eloge de l’entraide | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/211117/eloge-de-l-entraide?onglet=full

    par (le toujours excellent) Joseph Confavreux

    Pour Servigne et Chapelle, nous restons englués dans deux mythes symétriques. Le premier considère l’agression, la guerre et la compétition comme l’état « normal » de la nature. Le second pense que nous devons nous séparer et nous extraire de la nature, d’autant plus que l’imaginaire qui lui est associé est sombre et sanglant. « La conséquence – logique – a été de croire que seule une organisation humaine aussi puissante que l’État pouvait nous permettre de sortir collectivement de ce monde “sauvage” et que seul le marché (neutre et protégé par l’État) pouvait nous permettre de satisfaire les besoins de tous en laissant libre cours à nos pulsions égoïstes. »

    De ce fait, jugent les auteurs, « baignés dans cette mythologie hémiplégique depuis plus de quatre cents ans, nous sommes devenus des experts en compétition, considérant que ce mode constituait l’unique principe de vie. Les institutions politiques se trouvent depuis trop longtemps empêtrées dans ce paradoxe de devoir “faire société” dans un bain idéologique totalement contraire ».

    Mais comment, alors, inverser cette culture de l’égoïsme et de la concurrence, et quelles sont les pistes pour développer une culture et une habitude de l’entraide ? À partir du moment où la nature humaine n’est ni bonne ni mauvaise, comment faire en sorte que chacun donne le meilleur de lui-même ? Pour les auteurs, si trois facteurs extérieurs favorisent l’entraide, à savoir la présence d’un ennemi commun, un milieu hostile et l’existence d’un objectif commun, « la tendance spontanée des individus à l’entraide, si surprenante et solide soit-elle, ne suffit pas à expliquer toute la complexité de l’entraide humaine, et encore moins à faire société ». Comment, alors, passer à un niveau complexe, où la réciprocité devienne indirecte et invisible ?

    Le livre ne répond toutefois qu’imparfaitement à la manière de transposer la tendance naturelle à l’entraide pour organiser des formes humaines complexes. Cette insatisfaction est sans doute liée à deux aspects du livre qui devraient interroger quiconque espère voir vivre ou revivre une politique émancipatrice aujourd’hui déprimée ou laminée. Le premier consiste en un certain irénisme qui, à force de vouloir montrer à quel point l’humanité n’est pas que conflit et concurrence, tend à gommer ou à ignorer les conflictualités politiques ou sociales. Certes, les enseignements de Matthieu Ricard sont peut-être « aussi précieux que les leçons d’organisation rhizomatique proposées par le Comité invisible », ainsi que l’écrivent les auteurs. Mais peut-on vraiment dessiner une société future sans choisir entre des options différentes, voire divergentes ?

    Le deuxième aspect, important mais discutable, est la volonté de se fonder sur la biologie et les sciences comportementales pour penser des formes sociales et politiques renouvelées.

    Mais qu’apporte, in fine, ce dépassement des lectures mécanistes et déterministes de la génétique ou de la sociobiologie ? Il existe probablement un aspect tactique à reformuler dans le langage des neurosciences ou de l’économie comportementale, c’est-à-dire dans le langage et avec les outils en vogue parmi les dominants, ce que les sociologues et les anthropologues savent depuis des années, à savoir que le social est plus que la somme des comportements individuels et qu’un comportement est le produit d’une interaction entre un organisme et un environnement.

    Mais la question demeure suspendue de savoir comment ces observations de laboratoire, qui redécouvrent parfois l’eau tiède, peuvent avoir des effets dans le monde social.

    #Communs #Entraide #Sociobiologie #Altruisme #Politique

  • Eloge de l’entraide
    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/211117/eloge-de-l-entraide

    Pablo Servigne, auteur du remarqué Comment tout peut s’effondrer, cosigne L’entraide. L’autre loi de la jungle. Un réservoir passionnant de comportements alternatifs à la #concurrence généralisée ou à la guerre de tous contre tous, mais dont le débouché politique peut sembler irénique.

    #Culture-Idées #effondrement #entraide #Gauthier_Chapelle #Nature #Pablo_Servigne #Pierre_Kropotkine #Sciences_comportementales #sociobiologie

  • Selon #Marcel_Mauss les fondements des sociétés dites traditionnelles et archaïques en dehors du paradigme « économique » (marché, achat, contrat...) sont la triple obligation de donner,recevoir,et rendre.

    L’anti-utiltarisme comme nécessité de repenser l’organisation de la production de la « marchandise » et la finalité des rapports entre individus.

    #Alain_Caillé : professeur de sociologie à l’Université Paris X Nanterre et co-directeur du SOPHIAPOL. Il a fondé le mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales ( M.A.U.S.S. ) en 1981 et continue d’animer jusqu’à ce jour la revue du MAUSS. S’appuyant sur les travaux de Marcel Mauss, Alain Caillé développe une approche anthropologique de la constitution des communautés politiques sur la base du paradigme du don.

    http://www.youtube.com/watch?v=-_bLwIzYJhA

    http://valery-rasplus.blogs.nouvelobs.com/archive/2011/02/27/10-questions-a-alain-caille.html

    Valéry Rasplus : Depuis 1981 votre nom est associé à la revue du MAUSS (d’abord Le Bulletin du MAUSS 1981-1988 puis La Revue du MAUSS trimestrielle 1988-1993 et enfin La Revue du #MAUSS semestrielle). Comment est venue l’idée de former cette revue qui s’est maintenant pleinement inscrite dans le paysage #intellectuel français et international ?

    Alain Caillé : Le point de départ est le suivant. J’avais vu en 1981 l’annonce d’un colloque sur le don à l’ Arbresle qui réunissait philosophes, économistes, psychanalystes etc. Fasciné depuis des années par l’Essai sur le don de Mauss (et par Karl #Polanyi), et d’autant plus qu’il me semblait réfuter ce qu’on m’avait enseigné en sciences économiques (j’étais alors docteur ès sciences économiques mais également assistant de sociologie à l’université de Caen) je décidai d’y assister. Nous fûmes quelques uns à nous étonner qu’aucun des intervenants ne semblât avoir lu Mauss. Et plus encore de la convergence entre #économistes et #psychanalystes sur l’idée que le don n’existe pas, qu’il n’est qu’illusion et idéologie puisqu’on n’a rien sans rien. Cette manière de penser était parfaitement congruente avec l’évolution récente de la sociologie dont je m’étais alarmé dans un article de Sociologie du #travail : « La sociologie de l’intérêt est-elle intéressante ? » (1981) dans lequel je pointais la surprenante convergence, au moins sur un point essentiel, entre des auteurs en apparence diamétralement opposés : Raymond Boudon et Michel Crozier, du coté #libéral, Pierre Bourdieu du côté #néomarxiste. Pour les uns comme pour les autres l’intégralité de l’action sociale s’expliquait par des calculs d’intérêt, conscients pour les deux premiers, inconscients pour le troisième. Tous trois, par de là leurs divergences criantes, communiaient ainsi dans ce que j’ai appelé l’axiomatique de l’intérêt, si bien représentée à l’Arbresle. Pour cette sociologie alors dominante l’homo sociologicus n’était au fond qu’une variante, un avatar ou un déguisement d’homo œconomicus. D’accord à quelques uns à l’Arbresle sur ce constat, nous décidâmes, Gerald Berthoud, professeur d’anthropologie à l’université de Lausanne, et moi, de créer une sorte de bulletin de liaison, ou un recueil périodique de working papers susceptible de favoriser les échanges entre ceux, économistes, anthropologues, sociologues, philosophes etc. qui partageaient cet étonnement et cette inquiétude face à l’évolution de la pensée en science sociale et en philosophie politique. Partout, en effet, nous le découvririons peu à peu, on était passé d’une perspective largement holiste, qui avait dominé pendant les Trente glorieuses, à un individualisme tout autant ontologique que méthodologique. Et ce basculement #hyperindividualiste allait de pair avec le triomphe généralisé de l’axiomatique de l’intérêt. Que l’on découvrait aussi bien en philosophie politique, dans le sillage de La Théorie de la justice de #John_Rawls (1971) - se demandant comment faire définir les normes de justice par des « hommes économiques ordinaires », mutuellement indifférents - qu’en biologie où fleurissaient la théorie du gène #égoïste ou la #sociobiologie. En économie, les « nouveaux économistes » faisaient leur percée, et la nouvelle #microéconomie, fondée sur la théorie des jeux offrait au modèle économique généralisé sa #lingua_franca.

    http://www.youtube.com/watch?v=dSXJVs9tuKE

    Valéry Rasplus : Vous expliquez que la conception maussienne du don est proprement politique, comment concevez-vous une bonne politique ?

    Alain Caillé : La conception maussienne du don est en effet politique. Donner est l’acte politique par excellence puisqu’il permet de transformer les ennemis en alliés en faisant qu’il y ait quelque chose plutôt que rien, de la vie plutôt que de la mort, de l’action ou de l’œuvre plutôt que le néant. Mais, réciproquement, le politique est proprement « donatiste ». Le politique peut-être considéré comme l’intégrale des décisions par lesquelles les membres d’une communauté politique acceptent de donner et de se donner les uns aux autres, plutôt que de s’affronter, de se confier plutôt que de se défier. La politique n’est que l’interprétation plus ou moins juste, fidèle et réussie du politique. Une communauté politique peut être conçue comme l’ensemble de ceux dont on reçoit et à qui on donne. Et une communauté démocratique comme celle dans laquelle les dons entre les citoyens sont faits d’abord en tant que dons à l’esprit de la démocratie (et non aux ancêtres, à Dieu ou à une quelconque entité transcendante). La bonne politique est désormais celle qui favorise le #développement de la #démocratie voulue d’abord pour elle-même - et non d’abord pour des raisons instrumentales , - en tant qu’elle permet au plus grand nombre de se voir reconnu comme donnant ou ayant donné quelque chose. Ce qui suppose qu’il soit en capacité de la faire et que soit donc maximisées ses « capabilités ». Concrètement, la bonne politique est celle qui contribue à instiller et à instituer l’#autonomie politique de la société civile associationiste, qui n’est pas naturellement donnée et ne va pas de soi. La philosophie républicaine française, solidariste prenait l’individu non comme un point de départ - à la différence du #libéralisme économique, du libérisme - mais comme un but, et entendait l’éduquer de façon à ce qu’il conquière son autonomie face à l’État instituteur. Ce mot d’ordre est toujours d’actualité mais doit être complété par celui de l’institution de l’autonomie du monde des #associations.

    Bibliographie :
    –Essai sur le don de Marcel Mauss paru aux éditions PUF

    – L’esprit du don de Jacques .T. Godbout en collaboration avec Alain Caillé paru aux éditions la Découverte

    _Anthropologie du don d’Alain Caillé paru aux éditions de la Découverte

    –Théorie anti-utilitariste de l’action D’Alain Caillé paru aux éditions la Découverte
    #Utilitarisme #Individualisme #Anti-utilitarisme #Economie #Don #Solidarité #Anthropologie #Sciences-sociales #philosophie #Politique #Morale #sociologie #Homo-œconomicus #Marxisme #Bentham #Arendt #Boudon #Bourdieu #Lefort #Levi-Strauss #Castoriadis #Revue #Livres #Vidéo

    • Le modèle de la spirale me semble assez neutre idéologiquement, toutes les idéologies glorifiant aussi bien l’individu que la collectivité selon ses propres priorités.

      La crispation vient sans doute du fait que cela cause d’évolution sociale, donc il y a sans doute la même allergie spontanée à la question de l’évolution que celle apparue face à Darwin, à cause du malaise que cela crée sur la question de l’égalité entre les humains, puisque cela pourrait légitimer des hiérarchies.

      La spirale dynamique me semble adopter la vision de Patrick Tort (peut être idéaliste) sur Darwin et sur sa lecture de ce qu’on appelle aujourd’hui le darwinisme.
      La vision de Patrick Tort pour caricaturer, c’est de dire que ce qui a permis à la civilisation humaine de se développer contrairement au reste du règne animal, c’est sa capacité à s’opposer à la sélection naturelle en prenant soin des plus faibles pour bénéficier de leurs autres forces, en expliquant que Darwin était myope ou qu’Einstein était de santé fragile et aurait dû mourir à 8 ans.
      Cette lecture de gauche du « darwinisme » ressemble à la lecture de l’évolution sociale par la spirale dynamique. Il s’agit d’accepter des outils puissants pour la connaissance, même si une lecture superficielle peut faire croire à des théories contraires à nos valeurs idéologiques..

      Cet article résume bien à mon sens le dilemme de la gauche avec Darwin :
      http://www.lemonde.fr/livres/article/2008/09/11/patrick-tort-et-andre-pichot-darwin-l-eternelle-querelle_1093973_3260.html

      Dans la lecture – bienveillante – qu’il propose de l’œuvre darwinienne, Patrick Tort entend, au contraire, exonérer le naturaliste de ces accusations. Il rappelle qu’avant La Filiation de l’homme, publié en 1871, Darwin n’a rien écrit sur l’homme. Après la publication de L’Origine, il lui fallut donc plus de dix ans de réflexions pour se décider à parler de sa propre espèce. Pourquoi tant d’attente, demande en substance Patrick Tort, si Darwin avait pour intention de projeter abruptement le struggle for life sur les sociétés humaines ?

      En réalité et en dépit de ce qu’en fait dire une « tapageuse ignorance », Darwin était, selon Patrick Tort, « vigoureusement opposé au racisme ». Le philosophe développe notamment ce qu’il nomme l’"effet réversif de la sélection", dont les éléments seraient en germe dans La Filiation. Un « effet » au terme duquel la sélection naturelle sélectionne l’homme civilisé, donc la civilisation, qui ensuite s’oppose à la sélection et à l’élimination du moins apte. La morale serait ainsi une propriété émergente de la sélection naturelle. « Contrairement à nombre de ses lecteurs, Darwin n’a jamais oublié un instant que la sélection naturelle ne se borne pas à sélectionner des variations organiques avantageuses, écrit Patrick Tort. Elle sélectionne aussi (...) des instincts », et notamment "une « sympathie » altruiste et solidaire dont les deux principaux effets sont la protection des faibles et la reconnaissance indéfiniment extensible de l’autre comme semblable."

    • Toute forme d’organisation pour encadrer nos existences est idéologique même si elle est basée sur l’observation (qui induira forcément un classement donc une valeur hiérarchique) .
      Je ne connais pas aussi bien que vous la théorie de la spirale dynamique mais pour ce que j’en sais elle s’apparente selon moi à une vision utilitariste de la condition humaine (coaching et performance de soi ?)
      Il ne suffit pas de vouloir changer les erreurs de chacun afin de faire évoluer l’individu et par ricochet le groupe et la société. C’est la structure même en tant que contrat entre individus qu’il faut revoir(le cadre social, politique économique, éducatif). Mais il vrai que je fais partie de ceux qui ont une approche très superficielle de cette théorie. Par contre je ne suis pas surpris que cela vienne des États-Unis mère-patrie de l’utilitarisme qui a donné naissance à toute une littérature du développement personnel type PNL, Ennéagrame, management moderne...
      Ca me fait toujours peur de voir des sites proposer leurs services (payant ) pour nous former à devenir des êtres performants et accomplis
      http://valeursdynamiques.be/formations-certifications/un-cursus-complet

    • mais pour que j’en sais elle s’apparente selon moi à une vision utilitariste de la condition humaine (coaching et performance de soi ?)

      Pas directement, mais vous pointez du doigt son principal handicap : ce modèle de dynamique sociale est effectivement un outil que les libéraux « utilitaristes » se sont appropriés (les pragmatiques qui acceptent leurs congénères « tels qu’ils sont » pourvu que ça leur permette de les exploiter au mieux, d’en tirer le meilleur profit de leurs relations avec eux).
      Pas étonnant, comme tout outil, cela rend bien service à ceux qui aiment s’en servir pour nourrir leur cupide dessein. Vous avez bien pointé du doigt ce succès chez les anglo-saxons, et à cause de cela, cet outil pourrait être assimilé à un outil de propagande utilitariste. Mon idée est qu’il faut dépasser cet a-priori.
      Tout comme la thèse de Darwin a été plébiscitée et exploitée par les fascistes, au point d’être considérée comme une doctrine d’embrigadement fasciste, alors que comme je ne soulignais, l’acceptation de la thèse Darwiniste a aussi été indispensable à la construction des valeurs de gauche, même si au départ elle a pu constituer un « handicap » pour la gauche (au point que la tentation négationniste / obscurantiste face à cette intuition scientifique a pu paradoxalement effleurer les forces de progrès).

      Je pense que le modèle de la spirale dynamique est d’inspiration libérale, certes, mais dans sa version « éthique minimale » telle que pensée par Ruwen Ogier.
      Je n’aime pas ce terme : « éthique essentielle » me semblerait un terme plus pertinent. Il ne s’agit pas d’avoir une éthique au rabais, mais d’avoir l’ambition de déterminer quelle éthique est le dénominateur commun à nos valeurs morales pour permettre à chacun de vivre librement, de façon compatible avec la destinée collective.

      Le modèle de la spirale dynamique modèle exclue vraiment l’idée de domination et de paternalisme. On n’est pas là pour juger les gens, mais juste pour les comprendre.
      La spirale dynamique exclue toute idée de « bien » et de « mal », elle laisse cette notion au libre-arbitre de chaque individu.
      Personne n’a autorité pour les remettre les autres dans le « droit chemin », car ce droit chemin n’existe pas de façon absolue, mais se comprendre les uns les autres doit nous amener à trouver des chemins plus compatibles (moralement acceptables pour chacun).

      Cela peut être vu comme un modèle qui prône un humanisme de tolérance et de bienveillance entre les humains (attention : tolérance ne veut pas dire laxisme, ni compromission.. il ne s’agit pas d’accepter l’inacceptable), mais pour ma part ce qui m’intéresse le plus, c’est de comprendre comment on fonctionne socialement en fonctions des valeurs dominantes d’un groupe social, et comment ce fonctionnement évolue de façon quasi-mécanique, pour nous aider à adopter l’approche la plus adéquate pour servir nos valeurs et nos idéaux.

  • Marshall Sahlins : La nature humaine
    http://www.lyber-eclat.net/lyber/sahlins/nature1.html

    edit : la page libre des éditions de l’éclat semble avoir disparu... on trouve le pdf ici
    https://download.tuxfamily.org/defi/pdf/La%20Nature%20humaine%3A%20une%20illusion%20occidentale.pdf

    J’en appelle au principe nietzschéen : les grands problèmes sont comme des bains d’eau glacée, il faut en sortir aussi rapidement qu’on y entre.

    Depuis plus de deux mille ans, ceux qu’on appelle les « Occidentaux » ont toujours été hantés par le spectre de leur #nature : à moins de la soumettre à quelque #gouvernement, la résurgence de cette nature humaine cupide et violente livrerait la société à l’anarchie. La théorie politique de l’animal sans foi ni loi a souvent pris deux partis opposés : ou bien la hiérarchie, ou bien l’égalité ; ou bien l’autorité monarchique, ou bien l’équilibre républicain ; ou bien un système de domination idéalement capable de mettre un frein à l’égoïsme naturel des hommes grâce à l’action d’un pouvoir extérieur, ou bien un système auto-régulé où le partage égal des pouvoirs et leur libre exercice parviendraient à concilier les intérêts particuliers avec l’intérêt commun. Au-delà du politique, nous trouvons là un système métaphysique totalisant qui décrit un #ordre_naturel des choses : on retrouve en effet une même structure anarchique originaire entre des éléments qu’on ordonne soit à l’aide d’une hiérarchie, soit par l’égalité ; ce système vaut aussi bien pour l’organisation de l’univers, que pour celle de la #cité, et intervient même dans la conception de la santé du corps humain. Il s’agit d’une métaphysique propre à l’Occident, car la distinction entre nature et #culture qu’elle suppose définit une tradition qui nous est propre, nous démarquant de tous les peuples qui considèrent que les bêtes sont au fond des êtres humains, et non que les humains sont au fond des bêtes. Pour ces derniers, il n’est pas de « nature animale » que nous devrions maîtriser. Et ils ont raison, car l’espèce humaine telle que nous la connaissons, l’homo sapiens, est née il y a relativement peu de temps dans une histoire culturelle de l’homme beaucoup plus ancienne.
    La paléontologie en témoigne : nous sommes, nous aussi, des animaux de culture ; notre patrimoine biologique est déterminé par notre pouvoir symbolique. Notre esclavage involontaire aux penchants animaux est une illusion ancrée dans la culture.

    Je m’inscris en faux contre le #déterminisme_génétique, si en vogue aux États-Unis aujourd’hui, et qui prétend expliquer la culture par une disposition innée de l’homme à rechercher son intérêt personnel dans un milieu compétitif. Cette idée est soutenue par les « sciences économiques » qui considèrent que les individus ne cherchent qu’à assouvir leurs désirs par un « choix rationnel », sans parler des sciences du même acabit, et pourtant si populaires, comme la psychologie évolutionniste et la #sociobiologie qui font du « gène de l’égoïsme » le concept fourre-tout de la science sociale. Mais, comme Oscar Wilde le disait à propos des professeurs, l’ignorance est le fruit d’une longue étude. Oubliant l’histoire et la diversité des cultures, ces fanatiques de l’égoïsme évolutionniste ne remarquent même pas que derrière ce qu’ils appellent la nature humaine se cache la figure du #bourgeois. À moins qu’ils ne célèbrent leur #ethnocentrisme en prenant nos us et coutumes pour des preuves de leurs théories du comportement humain. Pour ces sciences-là, l’espèce, c’est moi.

    Prétendre que la méchanceté innée de l’homme est propre à la pensée occidentale va aussi à l’encontre du discours dominant, j’entends par là le #postmodernisme et son désir d’indétermination

    #livre #anthropologie #critique