• #Violences et fabrique de la #subalternité_foncière à #Sihanoukville, Cambodge

    Depuis le milieu des années 2010, la ville de Sihanoukville au Cambodge, principal #port du pays et petit centre de villégiature, fait l’objet d’un #développement_urbain éclair porté par la construction de nouvelles infrastructures de transport et de zones logistiques, de casinos (plus de 150 nouveaux casinos depuis 2015) et la mise en place de #mégaprojets_immobiliers à vocation touristique qui nourrissent une #spéculation_foncière galopante. Ces transformations territoriales sont notamment le fruit d’une coopération technique, politique et économique entre le Cambodge et la #Chine au nom de la #Belt_and_Road_Initiative, la nouvelle politique étrangère globale chinoise lancée en 2013 par #Xi_Jinping. Pour le gouvernement cambodgien, Sihanoukville et sa région doivent devenir, au cours de la prochaine décennie, la seconde plateforme économique, logistique et industrielle du pays après Phnom Penh, la capitale (Royal Government of Cambodia, 2015). Ce développement urbain très rapide a entraîné une évolution concomitante des logiques d’échange et de valorisation des #ressources_foncières. Comme le relève régulièrement la presse internationale, il nourrit d’importants #conflits_fonciers, souvent violents, dont pâtissent en premier lieu les habitants les plus pauvres.

    Cette recherche veut comprendre la place et le rôle de la violence dans le déploiement des mécanismes d’#exclusion_foncière à Sihanoukville. Pour reprendre les mots de Fernand Braudel (2013 [1963]), alors que ces #conflits_fonciers semblent surgir de manière « précipitée », notre recherche montre qu’ils s’inscrivent aussi dans les « pas lents » des relations foncières et de la fabrique du territoire urbain. Dans ce contexte, le jaillissement des tensions foncières convoque des temporalités et des échelles variées dont la prise en compte permet de mieux penser le rôle de la violence dans la production de l’espace.

    Les processus d’exclusion foncière au Cambodge s’inscrivent dans une trajectoire historique particulière. Le #génocide et l’#urbicide [1] #khmers_rouges entre 1975 et 1979, l’abolition de la #propriété_privée entre 1975 et 1989 et la #libéralisation très rapide de l’économie du pays à partir des années 1990 ont posé les jalons de rapports fonciers particulièrement conflictuels, tant dans les espaces ruraux qu’urbains (Blot, 2013 ; Fauveaud, 2015 ; Loughlin et Milne, 2021). Ainsi, l’#appropriation, l’#accaparement et la #valorisation des ressources foncières au Cambodge, et en Asie du Sud-Est en général, s’accompagnent d’une importante « #violence_foncière » tant physique (évictions et répression) que sociale (précarisation des plus pauvres, exclusion sociale), politique (criminalisation et dépossession des droits juridiques) et économique (dépossession des biens fonciers et précarisation).

    Cet article souhaite ainsi proposer une lecture transversale de la violence associée aux enjeux fonciers. Si la notion de violence traverse la littérature académique portant sur les logiques d’exclusion foncière en Asie du Sud-Est (Hall, Hirsch et Li, 2011 ; Harms, 2016) ou dans le Sud global plus généralement (Peluso et Lund, 2011 ; Zoomers, 2010), peu de recherches la placent au cœur de leurs analyses, malgré quelques exceptions (sur le Cambodge, voir notamment Springer, 2015). Par ailleurs, la violence est souvent étudiée en fonction d’ancrages théoriques fragmentés. Ceux-ci restent très divisés entre : 1) des travaux centrés sur le rôle de l’État et des systèmes de régulation (notamment économiques) dans le déploiement de la violence foncière (Hall, 2011 ; Springer, 2013) ; 2) des analyses politico-économiques des formes de dépossession liées aux modes de privatisation du foncier, à la propriété et à l’accumulation du capital, parfois resituées dans une lecture historique des sociétés coloniales et postcoloniales (voir par exemple Rhoads, 2018) ; 3) des approches considérant la violence comme stratégie ou outil mobilisés dans la réalisation de l’accaparement foncier et la répression des mouvements sociaux (voir par exemple Leitner and Sheppard, 2018) ; 4) des analyses plus ontologiques explorant les processus corporels, émotionnels et identitaires (comme le genre) qui découlent des violences foncières ou conditionnent les mobilisations sociales (voir par exemple Brickell, 2014 ; Schoenberger et Beban, 2018).

    Malgré la diversité de ces approches, la notion de violence reste principalement attachée au processus de #dépossession_foncière, tout en étant analysée à une échelle temporelle courte, centrée sur le moment de l’#éviction proprement dit. Dans cet article et à la suite de Marina Kolovou Kouri et al. (2021), nous défendons au contraire une approche multidimensionnelle des violences foncières analysées à des échelles temporelles et spatiales variées. Une telle transversalité semble indispensable pour mieux saisir les différentes forces qui participent de la construction des violences et de l’exclusion foncières. En effet, si les conflits fonciers sont traversés par diverses formes de violences, celles-ci ne découlent pas automatiquement d’eux et sont également déterminées par le contexte social, économique et politique qui leur sert de moule. Ces violences restent ainsi attachées aux différents #rapports_de_domination qui organisent les #rapports_sociaux en général (Bourdieu, 2018 [1972]), tout en représentant une forme d’#oppression à part entière participant des #inégalités et #injustices sociales sur le temps long (Young, 2011).

    Nous voyons, dans cet article, comment des formes de violence variées structurent les rapports de pouvoir qui se jouent dans l’appropriation et la valorisation des ressources foncières, ainsi que dans la régulation des rapports fonciers. Nous montrons que ces violences servent non seulement d’instrument d’oppression envers certains groupes de populations considérés comme « indésirables », mais aussi qu’elles les maintiennent dans ce que nous nommons une « subalternité foncière ». En prenant appui sur Chakravorty Spivak Gayatri (2005) et Ananya Roy (2011), nous définissons cette dernière comme la mise en place, sur le temps long et par la violence, d’une oppression systémique des citadins les plus pauvres par leur #invisibilisation, leur #criminalisation et l’#informalisation constante de leurs modes d’occupations de l’espace. La #subalternité foncière représente en ce sens une forme d’oppression dont la violence est l’un des dispositifs centraux.

    Cet article s’appuie sur des recherches ethnographiques menées à Phnom Penh et à Sihanoukville, entre 2019 et 2021. Elles comprennent un important travail d’observation, la collecte et l’analyse de documents officiels, de rapports techniques, d’articles de presse et de discours politiques, ainsi que la réalisation de près de soixante-dix entretiens semi-directifs (effectués en khmer principalement, parfois en mandarin, et retranscrits en anglais) auprès d’habitants de Sihanoukville, de représentants territoriaux locaux, d’experts et de membres de groupes criminels. Dans ce texte, le codage des entretiens suit la dénomination suivante : « OF » désigne les employés publics, « EX » des experts ayant une connaissance privilégiée du sujet, « RE » les résidents des zones d’habitat précaire et « F » les acteurs de la criminalité ; le numéro qui suit la lettre est aléatoire et sert à distinguer les personnes ayant répondu à l’enquête ; vient ensuite l’année de réalisation de l’entretien. De nombreux entretiens avec les habitants ont été conduits en groupe.

    https://www.jssj.org/article/violences-et-fabrique-de-la-subalternite-fonciere

    #foncier #Cambodge #Chine #violence

  • Covid-19 et les paradoxes des TIC
    https://joellepalmieri.org/2020/03/23/covid-19-et-les-paradoxes-des-tic

    Cours en visioconférence pour les écoliers/lycéens/étudiants, consultation médicale à distance, télétravail, géolocalisation des malades, activités sportives ou de bien-être en ligne (danse, yoga, méditation, qi qonq…), culture/information numérique (journaux, livres, émissions radio ou TV…), achat en ligne de produits « essentiels » ou non (alimentation, livres, vêtements…)… En ces temps de pandémie la liste des usages des … Lire la suite →

    #Humeurs #Colonialité #Dépolitisation #Domination #Economie #Luttes #Mondialisation #Pensée #Résistance #Société_numérique #Subalternité #Transgression #Violences


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  • Le soin : à quand un bien commun ?
    https://joellepalmieri.org/2019/11/04/le-soin-a-quand-un-bien-commun

    Je suis déçue. La dépolitisation va bon train et avec elle l’oubli de valeurs comme la solidarité, le débat, le libre arbitre, l’action collective, davantage vus comme sources de conflit – et par analogisme pervers, de violence – que comme richesses humaines. La course à l’individualisation des problèmes, qu’ils soient économiques, sanitaires, éducatifs, juridiques, etc., … Lire la suite →

    #Humeurs #Santé #Subalternité


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  • Confronting racism is not about the needs and feelings of white people

    Too often whites at discussions on race decide for themselves what will be discussed, what they will hear, what they will learn. And it is their space. All spaces are.

    I was leaving a corporate office building after a full day of leading workshops on how to talk about race thoughtfully and deliberately. The audience for each session had been similar to the dozens I had faced before. There was an overrepresentation of employees of color, an underrepresentation of white employees. The participants of color tended to make eye contact with me and nod – I even heard a few “Amens” – but were never the first to raise their hands with questions or comments. Meanwhile, there was always a white man eager to share his thoughts on race. In these sessions I typically rely on silent feedback from participants of color to make sure I am on the right track, while trying to moderate the loud centering of whiteness.

    In the hallway an Asian American woman locked eyes with me and mouthed: “Thank you.” A black man squeezed my shoulder and muttered: “Girl, if you only knew.” A black woman stopped me, looked around cautiously to make sure no one was within earshot, and then said: “You spoke the truth. I wish I could have shared my story so you’d know how true. But this was not the place.”

    This was not the place. Despite the care I take in these sessions to center people of color, to keep them safe, this still was not the place. Once again, what might have been a discussion about the real, quantifiable harm being done to people of color had been subsumed by a discussion about the feelings of white people, the expectations of white people, the needs of white people.

    As I stood there, gazing off into the memory of hundreds of stifled conversations about race, I was brought to attention by a white woman. She was not nervously looking around to see who might be listening. She didn’t ask if I had time to talk, though I was standing at the door.

    “Your session was really nice,” she started. “You said a lot of good things that will be useful to a lot of people.”

    She paused briefly: “But the thing is, nothing you talked about today is going to help me make more black friends.”

    I was reminded of one of the very first panels on race I had participated in. A black man in Seattle had been pepper-sprayed by a security guard for doing nothing more than walking through a shopping center. It had been caught on camera. A group of black writers and activists, myself included, were onstage in front of a majority-white Seattle audience, talking about the incident. Fellow panelist Charles Mudede, a brilliant writer, film-maker and economic theorist, addressed the economic mechanisms at work: this security guard had been told that his job was to protect his employers’ ability to make a profit. He had been told that his job was to keep customers who had money to spend happy and safe. And every day he was fed cultural messages about who had money and who didn’t. Who was violent and who wasn’t. Charles argued that the security guard had been doing his job. In a white supremacist capitalist system, this is what doing your job looked like.

    Well, at least he was trying to argue that point. Because halfway through, a white woman stood up and interrupted him.

    “Look, I’m sure you know a lot about all this stuff,” she said, hands on hips. “But I didn’t come here for an economics lesson. I came here because I feel bad about what happened to this man and I want to know what to do.”

    That room, apparently, wasn’t the place either. According to this woman, this talk was not, or should not have been, about the feelings of the man who was pepper-sprayed, or those of the broader black community, which had just been delivered even more evidence of how unsafe we are in our own city. She felt bad and wanted to stop feeling bad. And she expected us to provide that to her.

    At a university last month, where I was discussing the whitewashing of publishing and the need for more unfiltered narratives by people of color, a white man insisted that there was no way we were going to be understood by white people if we couldn’t make ourselves more accessible. When I asked him if all of the elements of white culture that people of color have to familiarize themselves with just to get through the day are ever modified to suit us, he shrugged and looked down at his notebook. At a workshop I led last week a white woman wondered if perhaps people of color in America are too sensitive about race. How was she going to be able to learn if we were always getting so upset at her questions?

    I’ve experienced similar interruptions and dismissals more times than I can count. Even when my name is on the poster, none of these places seem like the right places in which to talk about what I and so many people of color need to talk about. So often the white attendees have decided for themselves what will be discussed, what they will hear, what they will learn. And it is their space. All spaces are.

    One day, in frustration, I posted this social media status:

    “If your anti-racism work prioritizes the ‘growth’ and ‘enlightenment’ of white America over the safety, dignity and humanity of people of color – it’s not anti-racism work. It’s white supremacy.”

    One of the very first responses I received from a white commenter was: “OK, but isn’t it better than nothing?”

    Is it? Is a little erasure better than a lot of erasure? Is a little white supremacy leaked into our anti-racism work better than no anti-racism work at all? Every time I stand in front of an audience to address racial oppression in America, I know that I am facing a lot of white people who are in the room to feel less bad about racial discrimination and violence in the news, to score points, to let everyone know that they are not like the others, to make black friends. I know that I am speaking to a lot of white people who are certain they are not the problem because they are there.

    Just once I want to speak to a room of white people who know they are there because they are the problem. Who know they are there to begin the work of seeing where they have been complicit and harmful so that they can start doing better. Because white supremacy is their construct, a construct they have benefited from, and deconstructing white supremacy is their duty.

    Myself and many of the attendees of color often leave these talks feeling tired and disheartened, but I still show up and speak. I show up in the hopes that maybe, possibly, this talk will be the one that finally breaks through, or will bring me a step closer to the one that will. I show up and speak for people of color who can’t speak freely, so that they might feel seen and heard. I speak because there are people of color in the room who need to hear that they shouldn’t have to carry the burden of racial oppression, while those who benefit from that same oppression expect anti-racism efforts to meet their needs first. After my most recent talk, a black woman slipped me a note in which she had written that she would never be able to speak openly about the ways that racism was impacting her life, not without risking reprisals from white peers. “I will heal at home in silence,” she concluded.

    Is it better than nothing? Or is the fact that in 2019 I still have to ask myself that question every day most harmful of all?

    https://www.theguardian.com/commentisfree/2019/mar/28/confronting-racism-is-not-about-the-needs-and-feelings-of-white-people
    #racisme #inégalité #subalternité #silence #pouvoir #trauma #traumatisme #safe_place #porte-parole #espace_public #parole_publique #témoignage #liberté_d'expression #Noirs #Blancs #USA #Etats-Unis
    #can_the_subaltern_speak?

  • Victime, un singulier dominant
    https://joellepalmieri.wordpress.com/2018/02/02/victime-un-singulier-dominant

    Il existe des individus (éléments sociaux délimités) qui sont d’emblée désignés par d’autres individus, par définition distincts, comme victimes, de la pauvreté, du manque d’éducation et de soins, de la violence, et qui appelleraient à aide, soutien, appui. Ces victimes (au pluriel) sont généralement prises comme un groupe homogène et ne sont alors plus considérées … Lire la suite →

    #Humeurs #domination #féminisme #média #subalternité


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  • Book Review: Gramsci’s Common Sense: Inequality and its Narratives by Kate Crehan

    In Gramsci’s Common Sense: Inequality and its Narratives, Kate Crehan examines a number of core concepts in the work of theorist #Antonio_Gramsci – including common sense, the subaltern and the intellectual – that can help give precise insight into the emergence and persistence of social inequalities. Drawing on such case studies as the Tea Party and Occupy Wall Street movements, this is a timely and profound account that has much to contribute to understandings of political change, writes Marcos González Hernando.

    http://blogs.lse.ac.uk/europpblog/2017/01/22/book-review-gramscis-common-sense-inequality-and-its-narratives-by-kate
    #Gramsci #inégalités #common_sense #sens_commun #subalternité