• Le chandelier - Les mots sont importants (lmsi.net)
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    par Noëlle Cazenave-Liberman
    8 novembre 2023

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    Il ne s’agit pas de savoir si les massacres en Palestine sont perpétrés par des Juif.ves mais de savoir que des Juif.ves, idéologiquement enrôlé.es dans le fanatisme sioniste, sont devenu.es des colons violents, à l’image de leur armée, promoteur.trices forcené.es de l’apartheid et du racisme, jusqu’à la haine la plus meurtrière. De comprendre aussi que la judéité et l’idéologie sioniste sont deux catégories qui ne se recoupent pas. Il n’est absolument pas nécessaire d’être Juif.ve pour être sioniste, il y a par exemple au gouvernement français depuis plusieurs années un grand nombre de non-Juif.ves sionistes (extrémistes) par conviction, arabophobie, islamophobie, clientélisme et opportunisme (liés souvent à la conviction antisémite qu’il y aurait un « pouvoir juif » à rallier à soi…) [6]. Et il y a évidemment les chrétiens sionistes américains, bien plus nombreux.ses que les Juifs.ves eux.elles-mêmes en Israël, aux États-Unis et dans le monde, et dont l’influence politique est considérable quant à l’annexion de la Palestine par Israël [7]. Enfin, il ne faut pas être « sioniste » pour être Israélien.ne, il faut être « juif.ve » (et on peut même l’être sans être juif, même si bien entendu on se retrouve alors dans des formes de sous-citoyenneté). Et il existe en Israël, bien que très peu nombreux.ses, des Juif.ves qui ne sont pas sionistes [8]. Mais qu’ils.elles se revendiquent ou non de l’antisionisme (B’Tselem, Standing together, Breaking the Silence, etc.), les Israélien.nes qui résistent à la haine raciale, au « régime suprémaciste » de leur pays [9] sont en passe d’être persécuté.es par leur gouvernement fasciste [10].

    Aucune culture ni aucune religion n’est plus inhumaine qu’une autre, mais il y a des organisations humaines qui deviennent collectivement « barbares »... Ce terme pourtant est impropre. Les nazis n’étaient pas des barbares – ni les violeurs des monstres, comme l’a si bien rappelé Adèle Haenel il y a peu [11] – et les génocidaires des Palestinien.nes ne le sont pas non plus, comme ne le sont pas non plus ceux des peuples de Namibie, d’Arménie, de Bosnie, de Chine, de Birmanie, d’Irak, du Cambodge, du Rwanda, du Soudan [12]. Ils sont précisément humains, parce que les humains portent en eux leur inhumanité, celle de rendre inhumain à leurs yeux l’Autre semblable en face d’eux. Et qu’on s’accorde ou non sur le terme « terrorisme » comme dénomination la plus adéquate [13] (ou qu’on parle plutôt de « crime de guerre » ou de « crime contre l’humanité », ou encore de tout cela à la fois), il y a précisément, aussi, déshumanisation de l’Autre par le Hamas. Après des décennies de refus forcenés de l’État d’Israël de négocier avec des mouvements palestiniens politiques non antisémites, après les réponses par la violence armée de toute initiative pacifiste [14] et après le financement avéré et assumé du Hamas par ce même État, voici les crimes de guerre abjects du Hamas le 7 octobre. Le Hamas « dont Moustapha Barghouti [figure de la résistance palestinienne] disait fin 2004 qu’il a “commis l’énorme faute de s’attaquer aux juifs en tant que juifs” » [15].

    S’il ne devrait y avoir aucune injonction faite aux Juif.ves du monde de se prononcer sur les actions de l’État d’Israël – qui lui pourtant revendique de parler « au nom des Juif.ves » –, au même titre qu’il ne devrait y avoir aucune injonction faite aux Musulman.es de faire valoir un « pas en mon nom » lorsqu’il y a des attentats terroristes islamistes, il n’est pas possible d’ignorer, sinon l’importance du nombre (au regard de la communauté juive américaine) [16], du moins la forte visibilité des Juif.ves américain.es manifestant pour les droits des Palestinien.nes, voire clairement contre le sionisme. Ces dernières semaines des actions de leur part ont été menées dans un grand nombre de villes américaines (Denver, Washington D.C., Los Angeles, NYC, San Francisco, Chicago, Seattle, Philadelphie, Boston, Portland…), jusqu’à investir le Capitole pour exiger un cessez-le-feu et déclarer « Pas en mon nom » ou « Plus jamais ça : pour tous ». Il y a donc pour ces Juif.ves une évidence, la conviction qu’il y a un devoir de parler, en tant que Juif.ve, de l’impasse du sionisme, entreprise coloniale et in fine génocidaire, menée au nom des Juifs. L’évidence est celle qui vient de l’instrumentalisation de l’histoire de la Shoah par Israël. Il y a, chez tous ces gens, une douloureuse et absolue nécessité de parler des crimes commis par l’État d’Israël pour dire que cet État ne les représente pas. Ils ressentent comme une responsabilité le fait de contrer la violence avec laquelle leur histoire est utilisée pour produire un massacre [17]. Et parfois même en avançant la certitude qu’« il est du devoir de tout Juif.ve de dénoncer la violence génocidaire » [18]. À cet égard, le témoignage de la grande militante Shatzi Weisberger, décédée en décembre dernier à l’âge de quatre-vingt douze ans, est bouleversant :

    « Il y a peut-être 10 ou 15 ans, un grand nombre d’Israéliens n’était pas des sionistes si endurcis, ils se sont beaucoup endurcis. Enfant, on m’a lavé le cerveau, j’étais sioniste, j’étais fière d’Israël. J’ai dû m’instruire. Quelqu’un m’a suggéré de lire un livre, je ne me souviens plus maintenant lequel c’était mais il parlait de Sabra et Chatila et d’autres choses sur ce qu’il s’était passé et j’ai compris que je ne pouvais pas être une sioniste. Pas question. C’est une telle injustice, une telle cruauté, un tel vol (extorsion). Je veux dire, l’Holocauste a existé, l’antisémitisme existe, mais cela ne donne pas le droit aux Juifs d’être à leur tour des oppresseurs. Ça me brise le cœur. »
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    https://seenthis.net/messages/887002

    • « La déshumanisation nécessaire à l’oppression et l’occupation d’un peuple déshumanise toujours, aussi, celui qui l’opprime (…) Si certain·es sentent que leur douleur est dépréciée, c’est parce qu’elle l’est : c’est la marque d’une spirale de dévalorisation de la vie humaine. (…) Nous découvrons que les Juif·ves, en tant qu’agents de l’apartheid, ne seront pas épargnés — même ceux d’entre nous qui ont consacré leur vie à œuvrer pour y mettre fin. »