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    Toward Federation and an Open Network
    https://blueskyweb.org/blog/11-15-2023-toward-federation

    More exciting news: around the end of this month, we’ll release a public web interface. With this, you’ll be able to view posts on Bluesky without being logged in on an account.

    our biggest priority right now is launching federation, which is timelined for early next year. This is one of the core features of Bluesky that makes it “billionaire-proof” — you’ll always have the freedom to choose (and to exit) instead of being held to the whims of private companies or black box algorithms. And wherever you go, your friends and relationships will be there too.

    cf. https://seenthis.net/messages/1008329

  • « zéro-un-zéro-un » : un devoir de mémoire « digitale »

    Aujourd’hui, où des banlieues brûlent à nouveau, je voudrais parler des "Zéro-Un".

    Même si c’est vieux, et pourtant très actuel à Mantes ou Vénissieux ; même si cela me fait toujours un peu mal.

    C’était dans les années 60 – 70. La croissance économique battait🧵⤵️
    son plein. L’industrie avait besoin de bras. Et les salaires flambaient.

    Le patronat avait alors exigé une politique d’immigration massive, à inscrire dans la Planification. Et le VIe et le VIIe Plan ont opté pour cette solution, afin⤵️
    de réduire la flambée des salaires. C’était inscrit ainsi.
    Renault, Peugeot, Citroën, Talbot : tous les grands groupes automobiles ont alors écumé le Maghreb, pour embaucher directement sur place.

    Lorsque, tout jeune débutant en journalisme, je suivais les grandes grèves,⤵️
    de l’automobile en 1982-1983 ils me l’ont tous raconté de façon identique, la nuit dans les usines occupées.

    Le groupe automobile arrivait dans le village. Il installait des préfabriqués dans un coin, plantait du gazon devant, traversé par une allée en graviers. Et les jeunes ⤵️
    s’y ruaient. Ils avaient 18 à 20 ans, ils rêvaient de sortir de leur trou ; ils rêvaient de Salut les copains, de musique, de filles. Et d’un autre avenir que celui des champs de rocaille, dans un bled étouffant.

    Quand ils entraient, on les mesurait, on les pesait. On leur⤵️
    regardait les dents, en écartant leurs lèvres du pouce et de l’index, comme on le fait aux chevaux.
    Ils connaissaient les chevaux. Ils n’aimaient pas. Mais ils voulaient partir.
    Ils me l’ont tous raconté : on regardait aussi leurs mains.
    Si elles étaient trop propres, ou lisses⤵️
    on les refusait. Alors, en sortant, ils passaient le mot au suivant. Pour que celui-ci se meurtrisse les mains avec le gravier de l’allée, jusqu’à saigner. Ils l’ont fait.

    Et finalement, on leur demandait leur date de naissance.

    Bien souvent, il n’y avait pas d’état civil,⤵️
    au bled. Ils ne connaissaient que l’année. Ils l’indiquaient, penauds.
    – "Mais quel jour ?" insistait le médecin.
    Ils répétaient l’année. Alors le toubib, blasé, disait au secrétaire :

    – Bon, marque : "Zéro Un / Zéro Un". Le 1 er janvier de l’année indiquée.

    Et leurs papiers, ⤵️
    pour toujours, portent cette date de naissance.

    Si l’on cherche à savoir où les banlieues brûlent, aujourd’hui, il suffit de savoir le nombre de « Zéro-Un », parmi les grands-parents.

    Quand ils étaient retenus par le groupe automobile, les jeunes s’en allaient du bled. On les⤵️
    installait dans des bidonvilles, où les enfants se faisaient pipi dessus la nuit – car aller aux toilettes, c’était sortir dans la boue, avec les rats.
    Puis, quand les bidonvilles furent rasés, dans des foyers Sonacotra, créés à l’époque, et installés loin du centre ville – car⤵️
    suite à la guerre d’Algérie, ces populations étaient considérées comme "à risque". Puis dans les cités, également loin de tt.

    Ils me l’ont tous raconté. On les faisait travailler à Flins, à Mantes, chez Berliet, à Vénissieux. La situation, chez Renault, était meilleure.⤵️
    Chez Peugeot, chez Citroën, à Talbot, le racisme était institutionnalisé.

    Ils me l’ont ts raconté : ils devaient rapporter des cadeaux au contremaître, lorsqu’ils revenaient de vacances au pays. Et l’humiliation était la règle.

    Akka Ghazi, le leader CGT de Citroën Aulnay, ⤵️
    me l’a raconté en 1983 : il était colonel de l’armée, il avait fui le Maroc, pour raisons politiques. Il n’était pas un « Zéro-Un ».
    Mais comme on savait qu’il était un intellectuel, la maîtrise l’obligeait à monter sur une machine, devant tout le monde, pour leur jouer⤵️
    de la flûte à cloche-pied.

    En 1982, ils se sont mis en grève. Souvent en dépit de la CGT "blanche". On a appelé cela le « printemps de la dignité ».

    Et en 1984, on les a licenciés, avec des plans sociaux de milliers de personnes. Au nom de la "modernisation" vantée par⤵️
    le gvt Fabius.

    Les « Zéro Un » n’ont généralement pas retrouvé de travail. Ils sont restés dans leur HLM, perdant face à leurs enfants leur stature sociale.

    Je me souviens : en 1994, lors des grèves contre le CIP, des « bandes de casseurs » détruisaient tout, Place Bellecour,⤵️
    à Lyon. TF1 ouvrait ts les jours le 20 h, avec ce leitmotiv : « les bandes de casseurs ». *
    Et grand reporter à Libé, j’avais voulu savoir qui étaient ces "casseurs".

    Il a fallu que je me fasse volontairement matraquer plusieurs fois par les CRS, que je me batte avec⤵️
    des « grands » casseurs, pour que des jeunes m’acceptent. 😉

    Mais finalement, j’avais pu suivre une bande de jeunes, chaque jour ; et jour et nuit.
    *Parfois, j’avais du mal : ils couraient vite, en cassant les vitrines… et j’étais plus vieux.

    Mais la nuit,⤵️
    en haut des cages d’escalier sombres de Vénissieux, en fumant un pétard, ils me parlaient doucement.

    Sauf un, qui se faisait appeler Rachid pour s’intégrer, mais était d’origine normande, se prénommait André et était une teigne, ces 5 garçons et ces 2 filles étaient des mômes.⤵️
    Gentils. Mais ils avaient au ventre une rage qu’ils n’analysaient pas.

    Et l’une des premières choses qu’ils m’ont dit, c’était : "Nous, on est des fils de Zéro Un".

    Ils le disaient avec du mépris pour leurs pères, qui ne savaient même pas leur date de naissance. Bcp⤵️
    de respect, en même temps : le pire des casseurs n’aurait "jamais osé fumer devant son père". Et une envie inconsciente de venger l’exil paternel et ses rêves humiliés.

    Avant de l’envoyer, je leur ai lu mon papier. Ils n’étaient parfois pas d’accord. Mais ils n’ont pas eu⤵️
    le sentiment d’être trahi.
    Alors je l’ai publié.

    Je me souviens, quand je leur ai lu, de 2 choses.

    J’avais remarqué que chacun, quand il brûlait une voiture, s’attaquait à une voiture de la marque pour laquelle son père avait travaillé. Ils n’en avaient pas pris conscience.⤵️
    Et cela les a beaucoup perturbé.

    Sur les 8 de "ma bande", 2 sont morts. 2 sont passés par la prison et ont eu une vie agitée, jusqu’à ce qu’ils se marient. Les 2 filles, peut-être suite à mon reportage, sont devenues journalistes et font de la radio au Maghreb.

    Des autres,⤵️
    je n’ai plus de nouvelles.

    Peut-être ont-ils également des enfants. Qui aujourd’hui, cassent la nuit. Avec une rage qu’ils ne veulent pas analyser.

    Car dans la nuit, peut-être, flotte encore, cette vieille histoire : le préfabriqué du bled, les rêves de musique et⤵️
    de filles, le gravier et le geste du pouce et de l’index pour découvrir les dents.

    Dans mon papier sur mes "casseurs", en 1994, j’avais aussi noté qu’ils étaient "fils de Zéro Un". Et quand je leur ai relu, à ce moment, ils ont eu un peu honte - et m’ont demandé de l’enlever.⤵️
    Puis finalement, ils m’ont dit : « Non, dis-le. C’est important ».

    Alors, je ne sais pas bien pourquoi, aujourd’hui, je le redis.

    (source : https://twitter.com/FrancoisCame/status/1674364535795249154)