• De la "colonisation discursive"

    « C’est par la production de cette "différence du tiers-monde" que les féminismes occidentaux s’approprient et "colonisent" les complexités et les conflits fondamentaux qui caractérisent les vies des femmes de classes, de religions, de cultures, de races et de castes différences dans ces pays.... » (#Chandra_Mohanty).

    #feminisme

  • De l’alliance judéo-noire

    "Il existe, sur le rapport entre racisme et antisémitisme, un vaste débat : les uns ont vu dans les génocides coloniaux le paradigme de l’Holocauste, les autres ont souligné la différence entre le pillage d’un continent et l’extermination conçue comme une fin en soi, comme un « massacre ontologique ». Pour Fanon, qui défend une vision sartrienne du juif et du Noir comme images négatives fabriquées par l’antisémite et le raciste, reste néanmoins un clivage lié à la couleur. L’antisémite et le raciste peuvent pareillement biologiser le juif et le Noir, en les renvoyant à des essences, mais le juif peut essayer de pénétrer le monde des gentils par l’assimilation alors que le Noir ne peut pas échapper à sa couleur. C’est pourquoi, selon Fanon, « le nègre représente le danger biologique ; le juif, le danger intellectuel » (Fanon). Et c’est pourquoi la « color-line » a joué un rôle si important dans les relations judéo-noires. Nicole Lapierre a analysé le phénomène de la « mimesis noire », rendue célèbre dans la culture de masse par The Jazz Singer, le premier film parlant réalisé en 1927 par Alan Crosland, produit par les frères Warner et interprété par Al Jolson (AsaJoelsen, d’origine judéo-lituanienne). Ce film s’inscrit dans la tradition du Minstrel, un spectacle extrêmement populaire au tournant du XXe siècle mettant en scène des Blancs qui, déguisés en Noirs, se produisaient dans un répertoire de musique et de danse nègres. Très prisé par les acteurs juifs depuis la fin du XIXe siècle, ce genre comique a été interprété tantôt comme l’expression d’une adhésion aux stéréotypes racistes de l’époque, tantôt comme le révélateur d’une solidarité judéo-noire fondée sur l’identification d’une minorité opprimée à une autre. Le blackface, suggère Nicole Lapierre, a favorisé l’américanisation des migrants juifs qui, « en noircissant, se faisaient plus blancs » (Lapierre). Lorsqu’ils étaient encore victimes de discriminations, les Minstrels les aidaient à se situer du bon côté de la « color-line », parmi les Blancs. Ce procédé mimétique consistant à se mettre dans la peau de l’ Autre est à l’origine des transferts culturels judéo-noirs du XXe siècle (qui poursuivront ensuite d’autres buts et d’autres stratégies).

    C’est par un effort emphatique poussant ses acteurs à franchir la « ligne de couleur » que la Negro-Jewish Alliance a pu voir Je jour. Par le déplacement qu’elle implique, cette empathie rend possible une remise en cause de soi-même tout à fait fructueuse. C’est un détour par lequel des juifs et des Noirs ont élargi leurs horizons, en inscrivant leur réflexion et leur combat dans une perspective plus large, en découvrant des affinités et en nouant des alliances. En 1949, la visite des ruines du ghetto de Varsovie avait aidé l’historien afro-américain W.E.B. Du Bois à comprendre que le racisme ne se réduisait pas à la « color-line » , donc à « sortir d’un certain provincialisme vers une conception plus large des manières dont la lutte contre la ségrégation raciale, contre la discrimination religieuse et l’oppression des pauvres devait évoluer » (Du Bois).

    La « ligne de couleur » renvoie donc à une question historique plus large qui est au cœur du combat de Frantz Fanon, tout en restant absente ou cachée dans ses réflexions sur l’antisémitisme : la question coloniale. Les juifs ont été, pendant des siècles, le paradigme de l’altérité au sein du monde occidental, au cœur de l’Europe et de sa culture, en devenant un marqueur négatif dans le processus de construction des identités nationales ; les colonisés ont été le paradigme d’une altérité située en dehors de la « civilisation, une altérité dont l’Europe avait besoin afin de légitimer sa domination et de dessiner son autoportrait de culture et de race supérieures. Ces deux paradigmes ont été complémentaires mais ils étaient dissociables. Les juifs émancipés pouvaient s’assimiler et franchir la « ligne de couleur ». Ainsi, Cesare Lombroso pouvait apporter sa contribution aux doctrines du racisme fin-de-siècle, dans un ouvrage intitulé L’Homme blanc et l’Homme de couleur (Lombroso, 1892), et Theodor Herzl, quelques années plus tard, mettre en avant les bienfaits du sionisme en Palestine : « Pour l’Europe, nous constituerions là-bas un avant-poste contre l’Asie, nous serions l’avant-garde de la civilisation contre la barbarie » (Herzl).

    L’adhésion des juifs au racisme rencontrait l’obstacle puissant de l’antisémitisme qui, en dépit de leur culture et de leurs choix, les renvoyait dans le camp des dominés ou les faisait apparaître comme des intrus dans le camp dominant. Cela avait créé les conditions d’une rencontre entre les juifs et les colonisés, dans une sorte d’osmose d’antifascisme et d’anticolonialisme. Pendant la guerre d’Algérie, en faisant écho à La Question d’Henri Alleg, Jean Améry voyait dans la torture plutôt que dans les chambres à gaz l’essence du nazisme, et le photographe Adolfo Kaminsky expliquait pourquoi il s’était mis à fabriquer des faux papiers pour les militants du FLN : la chasse aux Algériens et les contrôles au faciès dans les rues de Paris étaient intolérables pour un homme qui, seulement quelques années plus tôt, avait connu les mêmes pratiques mises en œuvre par la Gestapo contre les juifs."

    Enzo Traverso

    http://bougnoulosophe.blogspot.be/2014/01/de-lalliance-judeo-noire.html

  • Du privilège invisible

    « Les spécialistes de la whiteness montrent en fait que c’est bien le premier privilège des “Blancs” que de ne pas avoir à penser la race. La whiteness est ainsi un “marqueur non-marqué” ( unmarked marker ), c’est-à-dire une référence implicite, universelle, indéfinie, une norme contre laquelle se définit la différence (tout comme la norme est le masculin). Suivant une sorte de cercle vicieux, cette appropriation de l’universel permet de masquer les “privilèges” dont bénéficient les Blancs et elle contribue dans le même temps à les renforcer. La whiteness, malgré son omniprésence dans la vie des personnes (qu’elles soient blanches ou non), est rendue invisible et elle est construite comme signe de la normalité. »

    http://bougnoulosophe.blogspot.be/2014/01/xenophobie-et-blanchite-en-france-dans.html#links

    • Lire par exemple : Out of Whiteness, de Vron Ware & Les Back
      http://press.uchicago.edu/ucp/books/book/chicago/O/bo3641103.html

      What happens when people in societies stratified by race refuse to accept the privileges inherent in whiteness? What difference does it make when whites act in a manner that contradicts their designated racial identity? Out of Whiteness considers these questions and argues passionately for an imaginative and radical politics against all forms of racism.

      Vron Ware and Les Back look at key points in recent American and British culture where the “color line” has been blurred. Through probing accounts of racial masquerades in popular literature, the growth of the white power music scene on the Internet, the meteoric rise of big band jazz during the Second World War, and the pivotal role of white session players in crafting rhythm and blues classics by black artists, Ware and Back upset the idea of race as a symbol of inherent human attributes. Their book gives us a timely reckoning of the forces that continue to make people “white,” and reveals to us the polyglot potential of identities and cultures.