person:laurent bloch

  • L’antisionisme est une opinion, pas un crime - Libération
    https://www.liberation.fr/debats/2019/02/28/l-antisionisme-est-une-opinion-pas-un-crime_1712216

    Tribune. Monsieur le Président, vous avez récemment déclaré votre intention de criminaliser l’antisionisme. Vous avez fait cette déclaration après en avoir discuté au téléphone avec Benyamin Nétanyahou, juste avant de vous rendre au dîner du Crif.
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    Monsieur le Président, vous n’êtes pas sans savoir que la Constitution de la République énonce en son article 4 que « la loi garantit les expressions pluralistes des opinions. » Or, l’antisionisme est une opinion, un courant de pensée né parmi les juifs européens au moment où le nationalisme juif prenait son essor. Il s’oppose à l’idéologie sioniste qui préconisait (et préconise toujours) l’installation des juifs du monde en Palestine, aujourd’hui Israël.

    L’argument essentiel de l’antisionisme était (et est toujours) que la Palestine n’a jamais été une terre vide d’habitants qu’un « peuple sans terre » serait libre de coloniser du fait de la promesse divine qui lui en aurait été donnée, mais un pays peuplé par des habitants bien réels pour lesquels le sionisme allait bientôt être synonyme d’exode, de spoliation et de négation de tous leurs droits. Les antisionistes étaient, et sont toujours, des anticolonialistes. Leur interdire de s’exprimer en prenant prétexte du fait que des racistes se servent de cette appellation pour camoufler leur antisémitisme, est absurde.

    Monsieur le Président, nous tenons à ce que les Français juifs puissent rester en France, qu’ils s’y sentent en sécurité, et que leur liberté d’expression et de pensée y soit respectée dans sa pluralité. L’ignominie des actes antisémites qui se multiplient ravive le traumatisme et l’effroi de la violence inouïe dont leurs parents ont eu à souffrir de la part d’un Etat français et d’une société française qui ont largement collaboré avec leurs bourreaux. Nous attendons donc de vous que vous déployiez d’importants moyens d’éducation, et que les auteurs de ces actes soient sévèrement punis. Mais nous ne voulons certainement pas que vous livriez les juifs de France et leur mémoire à l’extrême droite israélienne, comme vous le faites en affichant ostensiblement votre proximité avec le sinistre « Bibi » et ses amis français.

    C’est pourquoi nous tenons à vous faire savoir que nous sommes antisionistes, ou que certains de nos meilleurs amis se déclarent comme tels. Nous éprouvons du respect et de l’admiration pour ces militants des droits humains et du droit international qui, en France, en Israël et partout dans le monde, luttent courageusement et dénoncent les exactions intolérables que les sionistes les plus acharnés font subir aux Palestiniens. Beaucoup de ces militants se disent antisionistes car le sionisme a prouvé que lorsque sa logique colonisatrice est poussée à l’extrême, comme c’est le cas aujourd’hui, il n’est bon ni pour les juifs du monde, ni pour les Israéliens, ni pour les Palestiniens.

    Monsieur le Président, nous sommes des citoyens français respectueux des lois de la République, mais si vous faites adopter une loi contre l’antisionisme, ou si vous adoptez officiellement une définition erronée de l’antisionisme qui permettrait de légiférer contre lui, sachez que nous enfreindrons cette loi inique par nos propos, par nos écrits, par nos œuvres artistiques et par nos actes de solidarité. Et si vous tenez à nous poursuivre, à nous faire taire, ou même à nous embastiller pour cela, eh bien, vous pourrez venir nous chercher.

    Premiers signataires : Gilbert Achcar universitaire Gil Anidjar professeur Ariella Azoulay universitaire Taysir Batniji artiste plasticien Sophie Bessis historienne Jean-Jacques Birgé compositeur Simone Bitton cinéaste Laurent Bloch informaticien Rony Brauman médecin François Burgat politologue Jean-Louis Comolli cinéaste Sonia Dayan-Herzbrun sociologue Ivar Ekeland universitaire Mireille Fanon-Mendès France ex-experte ONU Naomi Fink professeure agrégée d’hébreu Jean-Michel Frodon critique et enseignant Jean-Luc Godard cinéaste Alain Gresh journaliste Eric Hazan éditeur Christiane Hessel militante et veuve de Stéphane Hessel Nancy Huston écrivaine Abdellatif Laâbi écrivain Farouk Mardam-Bey éditeur Gustave Massiah économiste Anne-Marie Miéville cinéaste Marie- José Mondzain philosophe Ernest Pignon-Ernest artiste plasticien Elias Sanbar écrivain, diplomate Michèle Sibony enseignante retraitée Eyal Sivan cinéaste Elia Suleiman cinéaste Françoise Vergès politologue.

    Liste complète des signataires disponible sur : https://bit.ly/2BTE43k

  • L’#Internet, vecteur de puissance des #Etats-Unis ? Le commerce des mégadonnées (Big Data)

    https://www.diploweb.com/4-Commerce-des-megadonnees-Big-Data.html

    Alors que l’Intelligence artificielle passionne, Laurent Bloch aborde dans ce quatrième chapitre le commerce des mégadonnées (Big Data). Il présente successivement avec pédagogie Le commerce de données et ses acteurs ; Concurrence et conflits réglementaires ; Un pays évincé de ce domaine serait condamné au déclin.

    Diploweb.com, publie cet ouvrage de Laurent Bloch, L’Internet, vecteur de puissance des Etats-Unis ? pour proposer à chacun les éléments nécessaires à une juste appréciation de la situation. Ce livre est déjà disponible sur Amazon au format numérique Kindle et au format broché imprimé sur papier. Il sera publié ici sous forme de feuilleton, chapitre par chapitre, au rythme d’environ un par trimestre.

    #câbles

  • De Multics à Unix et au logiciel libre - Site WWW de Laurent Bloch
    http://www.laurentbloch.org/MySpip3/spip.php?article291

    Un article un peu « pour geeks », mais passionnant en raison des précisions et rappels historiques sur le développement des systèmes d’exploitation.

    Avant d’aborder la question du logiciel libre, il faut s’interroger sur un phénomène quand même surprenant : nous avons dit qu’Unix était très inconfortable pour tout autre qu’un développeur utilisant ses diverses fonctions à longueur de journée. Comment expliquer alors qu’en une dizaine d’années il se soit vu reconnaître une position hégémonique dans tout le monde de la recherche ? Parce que même dans les départements d’informatique des universités et des centres de recherche, la majorité des gens ne passent pas leur temps à programmer, il s’en faut même de beaucoup, alors ne parlons pas des biologistes ou des mathématiciens.

    La réponse n’est pas univoque. Mon hypothèse est que si cette population d’étudiants et d’ingénieurs, pauvre en capital social et en légitimité scientifique, a pu se hisser à cette position hégémonique, c’est que la place était à prendre. Pendant les années 1960 et 1970, on assiste aux tentatives des autorités académiques légitimes de l’informatique, dont les porte-drapeaux ont nom Dijkstra, Hoare, Knuth, ou en France Arsac, Ichbiah, Meyer, pour imposer leur discipline comme une science à part entière, égale de la Physique ou de la Mathématique. Pour ce faire ils élaborent des formalisations, des théories, des concepts souvent brillants. Peine perdue, ils échouent, malgré le succès technique et économique retentissant de l’informatique, ou peut-être même victimes de ce succès. Le public, fût-il universitaire, ne discerne pas l’existence d’une science derrière les objets informatiques qui deviennent de plus en plus ses outils de travail quotidiens. Les raisons de cet état de fait restent en grande partie à élucider, sur les traces de chercheurs en histoire de l’informatique tels en France Pierre-Éric Mounier-Kuhn, Valérie Schafer ou Camille Paloque-Berges. Ce désarroi identitaire de l’informatique universitaire snobée par ses collègues laissait le champ libre à des non-mandarins d’autant plus dépourvus de complexes qu’ils n’avaient aucune position à défendre et que le contexte économique d’Unix lui permettait de se développer dans les marges du système, sans gros budgets hormis le coup de pouce initial de la DARPA. Les financements absorbés par Unix et TCP/IP sont assez ridicules si on les compare à ceux de l’intelligence artificielle, sans doute la branche la plus dispendieuse et la plus improductive de la discipline [9], ou même à ceux du langage Ada, projet sur lequel se sont penchées toutes les bonnes fées de la DARPA et du monde académique, et qui finalement n’a jamais percé en dehors des industries militaires et aérospatiales (ce n’est déjà pas si mal, mais les espoirs étaient plus grands).

    Finalement, les outsiders unixiens l’ont emporté par leur séduction juvénile et leur occupation du terrain pratique, qui leur a permis de proposer à telle ou telle discipline les outils qui lui manquaient au moment crucial : le système de composition de documents TeX pour les mathématiciens, qui seul répondait à leurs exigences typographiques, et pour les informaticiens toutes sortes de langages et surtout d’outils pour créer des langages. J’ai vu dans le monde de la biologie Unix supplanter VMS : il faut bien dire que les tarifs pratiqués par Digital Equipment et la rigidité de sa politique de produits lui ont coûté la domination d’un secteur qui n’avait pas beaucoup de raisons de lui être infidèle. Un collègue m’a confié un jour « Le principal argument en faveur d’Unix, c’est que c’est un milieu sympathique ». Cet argument m’avait paru révoltant, mais je crois qu’il avait raison, si l’on prend soin de préciser que par « sympathique » on entend « propice aux libres échanges intellectuels ».

    Pour qu’un tel procédé donne des résultats utilisables, il faut que le logiciel présente une architecture qui s’y prête, notamment une grande modularité, afin que chaque contributeur puisse travailler relativement indépendamment sur telle ou telle partie. Par exemple, dans le noyau Linux, tout ce qui permet le fonctionnement de machines multi-processeurs et la préemption des processus en mode noyau demande une synchronisation beaucoup plus fine des fils (threads) d’exécution : les adaptations nécessaires ont été réalisées par Robert Love, ce qui a été possible parce qu’il n’était pas trop difficile d’isoler les parties du code concernées. À l’inverse, lorsque Netscape a voulu donner un statut Open Source à une partie du code de son navigateur connue sous le nom Mozilla, l’opération a été rendue difficile parce que le code initial n’avait pas été réalisé selon un plan suffisamment modulaire.

    Finalement, la réutilisation de composants logiciels, dont plusieurs industriels parlent beaucoup depuis des années sans grand résultat, sera sans doute réalisée plutôt par les adeptes de l’Open Source. En effet, l’achat d’un tel composant est un investissement problématique, tandis que le récupérer sur le réseau, l’essayer, le jeter s’il ne convient pas, l’adopter s’il semble prometteur, c’est la démarche quotidienne du développeur libre. On pourra lire à ce sujet l’article de Josh Lerner et Jean Tirole, The Simple Economics of Open Source.

    Linux est au départ plutôt un Unix System V, mais doté de toutes les extensions BSD souhaitables, ainsi que des dispositifs nécessaires à la conformité POSIX [19]. Sa principale originalité tient sans doute à son processus de développement : alors que tous les autres systèmes d’exploitation cités dans ce chapitre ont été développés par des équipes organisées, le développement du noyau Linux s’est fait depuis le début par « appel au peuple » sur l’Internet. Quiconque s’en sent la vocation peut participer aux forums, lire le code et proposer ses modifications (appelées patches). Elles seront examinées par la communauté, et après ce débat Linus Torvalds tranchera et décidera de l’incorporation éventuelle au noyau officiel. Il est difficile d’estimer les effectifs d’une telle communauté informelle, mais le nombre de contributeurs actifs au noyau Linux était en 2003 sans doute inférieur à 200 (nombre de développeurs recensés pour la version 2.0. Plus récemment : 1 326 contributeurs à la version 3.2 de janvier 2013). Le succès de Linux résulte sans doute en partie de facteurs impondérables : pourquoi l’appel initial de Torvalds a-t-il séduit d’emblée ? La réponse à cette question est sûrement complexe, mais en tout cas le succès est incontestable. Ce qui est sûr, c’est que l’appel à contribution d’août 1991 répondait à une attente et à une frustration largement répandues.