• Penser la famille aux temps du Covid-19
    http://mouvements.info/penser-la-famille-aux-temps-du-covid-19

    Par Céline Bessière, Emilie Biland, Sibylle Gollac, Pascal Marichalar et Julie Minoc

    Le raisonnement épidémiologique par ménage ne pose pas seulement problème du fait de son arrimage à la moyenne ; il est aussi problématique parce que toute la population ne vit pas « en famille » dans un domicile indépendant et que, là encore, les modes de vie ne se distribuent pas au hasard. Selon le recensement mené en 2016, 1,3 million d’adultes, soit 2 % de la population française, vivent « hors ménage » dans ce que l’INSEE appelle des « communautés ». Il s’agit de résidences universitaires, de foyers de travailleur·ses, de prisons, de communautés religieuses, de casernes militaires, etc.

    Ces formes collectives de logement, particulièrement propices à la propagation des épidémies, concernent des populations fragiles. Elles ont été les grandes oubliées des politiques de confinement mises en place. Ceci est d’autant plus malheureux que, comme on l’a appris depuis, le virus Sars-Cov-2 se caractérise par la faiblesse de son facteur de dispersion k : en d’autres termes, une minorité de clusters seraient responsables de la majorité des transmissions du virus28.

    Les prisons, où les personnes incarcérées sont en moins bonne santé que la population générale et où la promiscuité est la règle, sont devenues des « nids d’épidémies »29. Début mai aux États-Unis, près de 70 % des détenus de l’Établissement correctionnel de Lompoc, aux Etats-Unis, soit 792 personnes, ont ainsi été testées positives, avec une multiplication de cas en quelques jours30.

    Quantitativement, les maisons de retraite (dont les Ehpad) sont en France les structures de logement collectif les plus importantes, regroupant plus de la moitié des personnes vivant en « communautés » (environ 700 000)31. À la fin mai, un tiers des décès du Covid-19 comptabilisés avaient eu lieu dans les EHPAD et les établissements médico-sociaux.

    À partir du constat que l’épidémie a été plus grave là où les familles sont les plus étendues (voir #Seine-Saint-Denis), intéressante réflexion sur la famille.

    #violences_familiales #violences_conjugales #LGBTphobie #Ehpad #prison #confinement #démographie

    PS : Encore Covid = Asiatiques, en passant... On n’a pas encore de photo de Blanc·hes portant des masques ?

  • Crise sanitaire en Ehpad : la justice va ouvrir une enquête sur la Résidence du palais | Marsactu
    https://marsactu.fr/crise-sanitaire-en-ehpad-la-justice-va-ouvrir-une-enquete-sur-la-residence-

    Selon nos informations, la justice a décidé d’ouvrir une enquête préliminaire sur la gestion de la crise sanitaire dans cet Ehpad chic du centre-ville de Marseille. Marsactu avait révélé plusieurs failles dans le dispositif mis en place par la maison de retraite.
    La résidence du Palais, située à deux pas du palais de justice à Marseille. (Image LC)
    Une quinzaine de morts en quelques jours, dont une bonne moitié officiellement déclarée comme dues au Covid-19. Une communication verrouillée y compris vis-à-vis des résidents et de leur famille. Des membres de l’équipe à qui l’on refuse le port du masque. En pleine crise du coronavirus, Marsactu avait révélé les failles dans la gestion sanitaire […]

    #Ehpad

  • « Le risque est d’oublier la dignité humaine des personnes âgées et vulnérables »
    https://lejournal.cnrs.fr/articles/le-risque-est-doublier-la-dignite-humaine-des-personnes-agees-et-vuln

    Interdiction des visites dans les Ehpad, isolement dans les chambres… Certaines mesures de protection des personnes âgées ou vulnérables prises durant la pandémie de Covid-19 posent question. Entretien avec le gériatre Régis Aubry, co-président de la Plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie, et Benoît Eyraud, sociologue au Centre Max Weber.

    [...]« En qualifiant [les résidents des Ehpad] de vulnérables, les pouvoirs publics ne se sont pas rendus compte qu’ils disqualifiaient leurs capacités à s’approprier et à ajuster les nouvelles règles sanitaires. »

    #Ehpad #réduction_des_risques #vieux #fin_de_vie

  • Bataille sur le montant de la prime promise dans les Ehpad du groupe Korian
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/26/bataille-sur-le-montant-de-la-prime-promise-dans-les-ehpad-du-groupe-korian_

    Alors qu’une grève a été lancée lundi au sein du groupe, la direction promet 1 500 euros à tous ses salariés, mais intègre dans cette somme celle déjà promise par l’Etat.

    Une prime peut en cacher une autre. Lundi 25 mai, jour de l’ouverture du « Ségur de la santé », une grève a été lancée au sein du groupe Korian, à l’appel de la CGT, FO et SUD, pour obtenir le versement d’une prime maison, en plus d’une autre promise par l’Etat, en reconnaissance des efforts des salariés durant la crise sanitaire due au Covid. En réponse au mouvement, la direction du groupe a promis de verser 1 500 euros à l’ensemble de ses 24 000 salariés en juillet. Un montant supérieur de 500 euros à celui promis, le 27 avril, par la directrice générale du groupe, Sophie Boissard.

    Selon les grévistes, cependant, le « compte n’y est pas » encore. Ils demandent que la prime maison s’ajoute intégralement à celle promise par le ministre des solidarités et de la santé, Olivier Véran, le 7 mai, pas seulement qu’elle la complète. « On ne veut pas seulement des remerciements symboliques, on veut les deux primes » , confie Cynthia Mouyombo qui a manifesté lundi avec une trentaine de salariés devant l’établissement Korian Les Merlettes à Sarcelles (Val-d’Oise).

    M. Véran s’était engagé, début mai, à verser une prime à « tous les personnels de tous les Ehpad de France, quel que soit leur statut » . Le montant promis est de 1 500 euros dans les quarante départements classés en rouge « où l’épidémie aura été la plus forte » . Il n’est en revanche que de 1 000 euros dans ceux classés en vert. Cette prime doit être entièrement financée par l’Assurance-maladie.

    « Pas satisfaits »

    « Nous proposons une prime majorée et élargie à tout le personnel. Mais il n’a jamais été question d’accorder deux primes. On attend le décret du gouvernement pour connaître les conditions exactes de l’octroi de la prime de l’Etat » , explique ainsi la directrice des ressources humaines de #Korian, Nadège Plou. Le mécanisme est toutefois déjà arrêté : Korian abondera la prime pour les salariés qui travaillent dans les zones vertes. En Ehpad, ils pourront obtenir jusqu’à 500 euros de l’entreprise. En clinique, ils pourraient se voir attribuer jusqu’à 1 000 euros, puisque la prime Véran pourrait être de 500 euros seulement, explique Mme Plou.

    « On n’est pas satisfaits du tour de passe-passe , déplore Albert Papadacci, délégué syndical central CGT au sein de l’entreprise. Korian ne va pas verser 1 500 euros aux 24 000 salariés, comme il le prétend. Il va donner à la moitié d’entre eux, ceux qui travaillent dans la zone verte, entre 500 et 1 000 euros. Si la direction avait versé fin avril la prime que nous réclamions depuis le 20 mars, nous aurions pu la cumuler avec celle de Véran. » Selon le syndicaliste, « la direction de Korian a souhaité que le gouvernement prenne un engagement financier pour pouvoir ensuite communiquer sur l’affichage d’une prime égale pour tous en se contentant de compléter le montant ».

    « On veut bien saluer les 1 500 euros promis lundi, mais Korian se rembourse sur la prime Véran » , regrette également Isabelle Jallais, déléguée générale centrale FO et infirmière dans un Ehpad à Fondettes, près de Tours.

    Les trois syndicats ont prévu de maintenir la pression sur la direction, qui promet la poursuite de négociations salariales avec les partenaires sociaux. Korian n’est pas le seul à avoir arrêté ce montage. Autre grand groupe commercial, Orpéa attend la publication du décret du gouvernement pour communiquer sur la prime complémentaire qu’il consentira à ses salariés. L’Etat a provisionné 506 millions d’euros au total pour les primes aux salariés des Ehpad qui seront versées en juillet. Que l’Assurance-maladie soit mise à contribution pour les personnels du privé comme pour ceux du public est une première.

    Des métastases de l’utilisation du chômage partiel au profit des employeurs, comme c’est étrange.

    #argent_public #Ehpad #grève #prime (et pas) #salaire...

  • De la difficulté à poursuivre un Ehpad, Rafaële Rivais
    https://www.lemonde.fr/argent/article/2020/05/16/de-la-difficulte-a-poursuivre-un-ehpad_6039847_1657007.html

    Au pénal, les plaintes contre ces établissements ont peu de chances d’aboutir. Au civil, les familles obtiennent des dommages et intérêts, lorsque les juges considèrent qu’ils ont manqué à leur obligation de sécurité de moyens.

    Après l’hécatombe qui s’est produite dans les Etablissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad), depuis le début de l’épidémie de coronavirus, plusieurs familles ont porté plainte contre certains d’entre eux, pour homicide involontaire, mise en danger de la vie d’autrui ou non-assistance à personne en danger. Les enquêtes qui pourront être ouvertes chercheront à déterminer si l’impératif de prudence qui s’impose aux gestionnaires a été respecté, compte tenu de l’état des connaissances qui était le leur.

    Ce n’est pas la première fois que des familles endeuillées intentent des actions pénales contre ces structures. L’étude de la jurisprudence montre qu’elles le font le plus souvent après qu’une personne âgée a mis fin à ses jours ou fait une fugue mortelle.

    C’est ainsi que Mme EX porte plainte contre deux Ehpad, après le décès, en novembre 2013, de sa mère qui, dans le premier, a tenté de se suicider en ingérant ses lunettes, et dans le second, s’est laissée mourir de faim. Elle explique qu’ils auraient dû la forcer à s’alimenter, la surveiller 24 heures sur 24 voire l’attacher – comme dans un hôpital psychiatrique.

    Aller et venir librement

    Sa plainte étant classée sans suite, elle en dépose une nouvelle, avec constitution de partie civile, pour homicide et blessures involontaires. Une instruction est ouverte, et les témoins entendus expliquent qu’« il n’entre pas dans la mission d’un Ehpad de se livrer à de tels actes de contrainte, sur une personne qui n’est ni malade, ni atteinte de démence sénile, mais qui ne manifeste plus l’envie de vivre ».
    En effet, les résidents « ont le droit à aller et venir librement », aux termes du code de l’action sociale et des familles (article L.311-3). A la différence des malades admis en hôpital psychiatrique, ils ne peuvent être entravés, afin qu’ils n’attentent pas à leurs jours.

    Le juge d’instruction rend donc une ordonnance de non-lieu, le 25 septembre 2017. Mme EX fait appel, mais l’ordonnance est validée par la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Reims, le 19 avril 2018, puis par la Cour de cassation, le 28 mai 2019 (chambre criminelle, N° 18-83.951) : les juges estiment que « les actes volontaires de mise en danger auxquels pouvait s’exposer Mme EX ne sauraient engager la responsabilité des établissements et de leur personnel pour homicide et blessures involontaires ».

    Défenestration

    Les familles qui saisissent la justice civile ont plus de chances d’être entendues, bien que, en vertu, toujours, de l’article L.311-3 du code de l’action sociale et des familles, l’obligation de sécurité des Ehpad ne soit qu’une obligation de moyens, et non de résultat. Les magistrats estiment souvent que lorsque ces structures accueillent un patient atteint de la maladie d’Alzheimer, ils ont une obligation de moyens renforcée, comme le montre l’exemple suivant.

    Le 23 août 2015, M. EX décède, après être tombé par la fenêtre de sa chambre, située au deuxième étage. Ses trois filles assignent l’Ehpad, en lui reprochant d’avoir manqué à son obligation de sécurité : personne n’avait verrouillé l’entrebâilleur de sa fenêtre, ce qui n’aurait autorisé qu’une ouverture d’une dizaine de centimètres.

    L’Ehpad objecte qu’« il convient d’opérer une distinction entre les établissements psychiatriques disposant de moyens leur permettant de mettre en place une certaine contrainte et les Ehpad dont le principe demeure la liberté d’aller et de venir, les patients y étant admis sur leur propre volonté », comme c’était le cas ici. Son gestionnaire affirme que « quand bien même l’entrebâilleur aurait été fermé, rien n’empêchait [M. EX] de mettre fin à ses jours, soit en montant sur le toit-terrasse, soit en se rendant dans n’importe quelle autre pièce de l’établissement, soit en sortant dans la rue ».

    Obligation renforcée

    Il ajoute que « l’un des plaisirs de M. EX était de prendre soin de ses plantes qui se trouvaient sur le rebord de la fenêtre de sa chambre », et que « pendant des années, il s’est adonné à cette activité sans que cela ne pose de difficultés, ni au personnel de l’établissement, ni d’ailleurs aux membres de sa famille ». Il estime donc n’avoir pas commis de faute en ne verrouillant pas l’entrebâilleur.

    Néanmoins, le tribunal de grande instance de Marseille, le 7 septembre 2017, puis la cour d’appel d’Aix-en-Provence, le 24 janvier 2019, considèrent que l’Ehpad a manqué à son obligation de sécurité de moyens, qui était ici « renforcée ». Ils jugent que l’établissement aurait dû faire preuve de plus de « prudence », avec ce patient bénéficiant d’un suivi psychologique pour son « penchant dépressif, morose et suicidaire ». La cour confirme l’allocation de 20 000 euros, au titre du préjudice moral, à chacune des trois filles.

    Bracelet électronique

    Le même raisonnement prévaut, dans l’affaire suivante : en 2007, Mme W, 73 ans, est admise à l’Ehpad de Villevaudé (Seine-et-Marne), que gère la SNCF. Cinq ans plus tard, après qu’elle a tenté de fuguer, le directeur demande que ses filles la transfèrent dans un autre type d’établissement. Il leur explique que le sien n’est plus adapté à son état de santé, car il ne dispose pas d’une « unité Alzheimer fermée, sécuritaire 24 heures sur 24 ».

    Les filles refusent, soucieuses que leur mère ne perde pas ses repères. Le 6 mars 2013, après que Mme W a de nouveau fugué mais été retrouvée en vie, l’Ehpad lui pose un bracelet électronique, connecté à des capteurs installés sur deux portes de sortie. Néanmoins, le samedi 9 mars 2013, dans la soirée, elle disparaît à nouveau, sans que quiconque s’en aperçoive. Au milieu de la nuit, les pompiers et la police la découvrent en état d’hypothermie dans l’étang du parc. Elle décède quelques heures plus tard.

    Classement sans suite

    Ses filles portent plainte pour homicide involontaire, mais le procureur de la République de Meaux classe la plainte sans suite, en estimant l’infraction « insuffisamment caractérisée ». Elles engagent alors une action en responsabilité. La cour d’appel de Paris, qui statue le 7 mai 2018, considère que la SNCF, en acceptant la poursuite du contrat de séjour de Mme W, tout en sachant que l’établissement était inadapté, se devait d’une « obligation de moyens renforcée ».
    Or, juge-t-elle, « elle n’a pas satisfait à cette obligation », en n’équipant pas toutes ses portes de détecteurs et en ne clôturant pas le plan d’eau - alors que le problème de son accès lui avait été signalé. Ce « manquement » a « directement concouru à la sortie non détectée » de Mme EX et à son décès. La cour alloue à chacune des deux filles 10 000 euros en réparation de leur préjudice moral et 3 000 euros en réparation des souffrances endurées par leur mère.

    Noyade

    Lorsque le corps dans vie de Mme Z, malade d’Alzheimer, est retrouvé au fond d’une rivière proche de son Ehpad, le 2 décembre 2012, ses fils et sa belle-fille réclament 34 000 euros chacun au titre des souffrances endurées par leur mère, noyée dans l’eau glacée, et de leur préjudice moral. Ils affirment que l’établissement a manqué à son obligation de vigilance et de sécurité, en la laissant sortir, alors que son état de santé ne lui permettait d’aller et venir qu’à l’intérieur de l’établissement, et non à l’extérieur.

    Le tribunal de grande instance de Soissons les déboute, mais la cour d’appel Amiens, qui statue le 26 mars 2020, infirme son jugement. Elle considère que « les moyens de surveillance et de sécurité mis en œuvre par l’Ehpad étaient insuffisants pour qu’une personne âgée ne puisse s’échapper de l’établissement » : « Aucune surveillance physique n’[avait] été mise en place pour contrôler l’accès au portail ». La cour juge que « le manquement de l’Ehpad à son obligation de surveillance et de sécurité est donc établi ». Elle alloue la somme de 10 000 euros à chacun des plaignants.

    #Ehpad #justice

  • « On a vécu une tragédie » : pourquoi les Ehpad payent un si lourd tribut à l’épidémie due au coronavirus
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/06/on-a-vecu-une-tragedie-pourquoi-les-ehpad-payent-un-lourd-tribut-a-l-epidemi

    Plus de 12 700 résidents sont morts du Covid-19. « Le Monde » a enquêté sur les dessous de cette tragédie, résultat d’un manque de masques et de tests disponibles.

    Depuis le début l’épidémie, plus de la moitié des 25 531 victimes du Covid-19 vivaient en maison de retraite. Au total, quelque 12 769 résidents en Etablissements pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont morts depuis le 1er mars, selon le dernier bilan de Santé publique France. Parmi eux, 3 298 sont décédés à l’hôpital.

    Alors que les portes de leurs établissements s’ouvrent de nouveau aux familles, directeurs, soignants, médecins estiment avoir mené « une guerre sans arme », sur « un front sous-estimé » par le gouvernement avec des « directives ministérielles peu claires, inadaptées » et « corrigées » trop tard. Pour ces sentinelles du grand âge, des vies auraient pu être épargnées. « On a vécu une tragédie » , s’afflige Malika Belarbi, déléguée nationale CGT et aide-soignante dans les Hauts-de-Seine.

    Alors que les premières plaintes en justice de proches de résidents décédés visent l’Etat mais aussi des Ehpad privés lucratifs, « il n’est pas question que l’on paye l’addition pour tout le monde », prévient Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privés pour personnes âgées (Synerpa). De bonne guerre ; elle braque les projeteurs sur les tutelles.
    « Force est de constater que quand Olivier Véran [ministre des solidarités et de la santé] a repris nombre de nos demandes, l’administration a déroulé derrière. Mais on a perdu un mois et demi. Un retard à l’allumage sans lequel, affirme-t-elle, on peut penser qu’il y aurait eu moins de morts. »

    Le secteur des Ehpad privés non lucratifs est tout aussi sévère contre l’exécutif. « Il y a eu un retard coupable de la prise en compte de la situation dans les Ehpad », lance Marie-Sophie Desaulle, présidente de la Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés (Fehap). Le gouvernement n’est toutefois pas le seul fautif, à ses yeux : « A chaque crise sanitaire, la France a pour réflexe de protéger la filière des soins, donc l’hôpital. A l’inverse, les pays nordiques, de culture anglo-saxonne, l’Allemagne notamment, prennent d’abord en compte la situation des personnes vulnérables. »

    Au sein de l’Etat, « la gestion de crise s’est faite, comme souvent en pareilles circonstances, de façon séquencée, observe l’ancienne secrétaire d’Etat, aujourd’hui présidente de la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, Marie-Anne Montchamp. La surchauffe à l’hôpital a fait qu’on a manqué de cerveau disponible pour piloter les Ehpad sans, pour autant, laisser suffisamment la capacité aux acteurs de s’organiser sur le terrain ».

    Au ministère de la santé, on préfère voir dans ces mises en cause un « jeu d’acteurs » et l’on balaie les reproches. « Il n’y a eu aucun décalage entre la gestion de la crise à l’hôpital et dans les Ehpad. Elles ont été menées en même temps. La prise de conscience des problèmes a été simultanée. C’est irréfutable ! » , riposte-t-on dans l’entourage d’Olivier Véran. Preuve en est que « beaucoup de décisions ont été prises début mars pour le secteur médicosocial » : les visites en Ehpad ont ainsi été interdites dès le 6 mars, bien avant le confinement national.

    L’Etat a beau réfuter tout manquement, les Ehpad n’en ont pas moins livré bataille à armes inégales selon les territoires, notamment en Bourgogne-Franche-Comté et dans le Grand Est. Si le virus a décimé plus de résidents à l’est qu’à l’ouest, le Covid-19 est entré partout : pas moins de 66 % des établissements ont déclaré un cas de contamination. Ouvrir la boîte noire de cette catastrophe permet d’en mesurer les ressorts.

    Des carences en masques

    Ce premier constat est unanime. Le manque de masques a conduit les soignants à transmettre le virus à des résidents qui l’ont payé de leur vie. La peur de la pénurie à tous les étages – au niveau de l’Etat, des Agences régionales de santé (ARS) et des directeurs d’Ehpad – a, de fait, conduit à un engrenage funeste.
    Depuis le début, assure le ministère, les Ehpad ont été « prioritaires ». Pourtant, la distribution de masques à large échelle n’a démarré que le 22 mars. Entre-temps, malgré un approvisionnement au gré des demandes, les Ehpad ont manqué de visibilité sur l’accès à de nouveaux stocks.

    L’Etat ayant réquisitionné la production nationale et les importations de masques jusqu’au 21 mars, il leur était quasi impossible de s’en procurer sur le marché. La peur du manque s’est répandue. Des directeurs les ont distribués au compte-gouttes. D’autant que protocole du ministère les y encourageait puisqu’il préconisait le port de masques en cas de Covid avéré ou suspecté. Et non de manière préventive. Certains directeurs ont même été jusqu’à les mettre sous clé.

    Le 22 mars, Olivier Véran annonce la distribution de 500 000 masques par jour. Dès lors, la doctrine évolue : tout Ehpad devra recevoir des masques à raison de deux par résident, « même s’il n’a pas de cas de Covid », précise le ministère.

    Malgré de multiples consignes envoyées aux ARS pour clarifier la ligne auprès des Ehpad, « un cafouillage » sur les règles de distribution a perduré, selon un acteur le dossier. Aide-soignante dans un Ehpad associatif à Montreuil, Maya (le prénom a été modifié) a vécu des situations qui l’ont révoltée : « J’ai vu des collègues, faute de masque et de surblouse, refuser de rentrer dans les chambres de malades du Covid. Des résidents sont alors restés sans médicament et sans manger. Les infirmières n’ont pas voulu aller non plus à leur chevet pour leur prodiguer leur traitement. Certaines avaient pourtant accès aux masques, contrairement aux soignants. »

    « Il y a eu une sous-estimation initiale des besoins des Ehpad parce que l’attention des pouvoirs publics a été concentrée uniquement sur ce qui se passait en réanimation, confirme Marc Bourquin, conseiller stratégique de la Fédération hospitalière de France (FHF). On peut le comprendre mais c’était une erreur, la suite l’a prouvée. Ce n’est pas faute d’avoir alerté sur la nécessité de traiter les Ehpad comme on a traité l’hôpital. »

    Un manque de tests

    A Chichilianne en Isère, le maire a déposé un bouquet de jonquilles sur la tombe de Georges Joubert au début du printemps. Le médecin urgentiste, venu pour tenter de réanimer l’ancien enseignant, dans sa chambre à la maison de retraite à Marseille, a obtenu qu’il soit testé in extremis, raconte sa fille, Catherine Duba Joubert. « Il l’a été sur son lit de mort alors que je demandais depuis des jours à la direction de l’établissement qu’il soit dépisté. » Le résultat indiquant qu’il était porteur du Covid-19 est arrivé après son décès… « Un test réalisé plus tôt aurait permis qu’il soit soigné », soupire celle qui a enterré son père le 8 avril au pied du mont Aiguille.

    Au sujet des tests, la critique des acteurs est presque aussi virulente. La ligne initiale du ministère a d’abord été restrictive : à partir de trois cas testés positif en Ehpad, il leur a été recommandé de cesser le dépistage, considérant que le foyer infectieux était identifié. Quand, le 30 mars, le Conseil scientifique chargé du suivi de l’épidémie indique « que les nouvelles capacités de tests diagnostiques devraient être prioritairement orientées vers les établissements médico-sociaux » , rappelle le ministère, il a « été alors décidé de flécher une immense majorité de ces nouvelles capacités de tests vers les Ehpad » .

    La doctrine a failli être fatale pour Jeanne Simon. Sur la foi d’une petite fièvre, cette résidente d’un Ehpad privé à Marseille a été placée dans l’aile des résidents qui montraient des symptômes du Covid. Trois tests consécutifs ont établi après coup qu’elle n’avait pas contracté la maladie. Jeanne a retrouvé sa chambre mais, regroupée une dizaine de jours avec des malades, elle a couru le risque d’être contaminée faute de test préalable.

    Comme la fille de Georges Joubert, Marina ne peut s’empêcher de penser que son père aurait pu être sauvé s’il avait été testé plus tôt. En convalescence dans un établissement privé à Sartrouville (Yvelines), « mon père n’a été testé que parce que l’hôpital où il devait être transféré a exigé qu’il le soit » . C’est seulement au lendemain de son décès que le test a révélé qu’il était positif.

    Certains Ehpad et quelques ARS se sont toutefois affranchis de la consigne des « trois tests maximum » pour dépister largement les résidents avant le 6 avril. L’ARS de la Nouvelle-Aquitaine a initié dès la fin mars un dépistage systématique des résidents et des personnels de tous les Ehpad dès la première suspicion de Covid. En Provence-Alpes-Côté d’Azur, le dépistage généralisé des résidents de l’Ehpad de Mauguio (Hérault) a permis de détecter des symptômes de la maladie jusque-là inconnus (diarrhée, chutes).

    Une prise en charge à l’hôpital inégale

    Tous les Ehpad touchés par le Covid ont été confrontés à la difficulté de la prise en charge des malades. D’une région à l’autre, les chances de pouvoir les hospitaliser quand leur état le permettait ont été très inégales. En Bourgogne-Franche-Comté, « nous avons eu beaucoup de refus de transferts de la part du SAMU ou des hôpitaux au début de la crise » , rapporte la patronne du Synerpa.

    Des refus liés à la saturation des hôpitaux, mais qui ont « été une perte de chance pour certains résidents, poursuit Mme Arnaiz-Maumé. Il a fallu attendre le 23 mars pour que le ministère installe une ligne directe permettant aux Ehpad de joindre le SAMU sans composer le 15, trop souvent saturé. » A partir de fin mars, rappelle de son côté le ministère, des lits ont été mis à disposition des Ehpad dans des hôpitaux de proximité.

    « Les chiffres montrent que les personnes âgées et même très âgées ont été, au final, très nombreuses à avoir été hospitalisées », fait-on valoir dans l’entourage d’Olivier Véran. De fait, un peu plus de 43 % des personnes hospitalisées pour Covid ont plus de 80 ans. Avec toutefois d’importants écarts régionaux. En Ile-de-France, 20 % des résidents d’Ehpad victimes du Covid sont morts à l’hôpital. Soit 1 000 sur environ 5 000, depuis le 1er mars. Dans les Hauts-de-France, ils sont environ 40 %.

    Un modèle à revoir

    La crise a aussi révélé les forces et des faiblesses des Ehpad. « Les établissements intégrés dans les filières gériatriques , relève M. Bourquin de la FHF, ont pu bénéficier de moyens supplémentaires : équipes mobiles de gériatrie, appel à des personnels hospitaliers, télé-expertise. »

    A l’inverse, un grand nombre d’Ehpad n’étaient pas préparés au choc. C’est le cas de petites structures communales démunies de tout matériel médical. Une partie de leurs résidents auraient eu sans doute plus de chances d’être sauvés s’ils avaient disposé d’appareil à oxygène mural, mais aussi d’aides-soignants ou de médecins généralistes alentours prêts à venir en renfort. « Ce constat ne fait qu’accréditer l’idée qu’il faut renforcer les liens des Ehpad avec l’ensemble des hôpitaux publics sur une même zone » , affirme M. Bourquin.

    Le bilan humain de la pandémie « surligne qu’on ne peut plus reproduire le modèle de l’Ehpad tel qu’il existe aujourd’hui » , abonde Jérôme Guedj, ex-député (PS) de l’Essonnne, missionné par Olivier Véran sur la protection des plus âgés pendant la crise.
    D’ores et déjà, à marche forcée, en traversant la tourmente, les Ehpad ont dû acquérir de nouveaux réflexes. « Nous avons fortement avancé, en quelques semaines, dans le traitement de difficultés que l’on essayait de surmonter depuis des années », se félicite l’entourage du ministre de la santé. La présence médicale a été renforcée, la téléconsultation déployée, des solutions de renforts en personnels ont été trouvées.

    La perspective du déconfinement et des effets du dépistage massif dans les Ehpad donnent toutefois déjà des sueurs froides à l’équipe d’Olivier Véran. Où trouver les nouveaux bénévoles qui suppléeront les soignants dépistés malades du Covid, qui ne pourront plus travailler ? Jérôme Guedj suggère la création d’une « réserve de volontaires pour le secteur médicosocial » que les départements, au titre du grand âge dans leurs compétences, pourraient organiser. « Certains ont été proactifs pendant la crise. Mais la plupart ont raté le coche » , assène l’ancien élu.

    Entre l’Etat et les départements qui cofinancent les Ehpad, un autre dossier brûlant est sur la table. Les Ehpad réclament plusieurs centaines de millions d’euros, « d’ici à l’été » , pour compenser leurs dépenses majorées par la crise et le manque à gagner du fait de l’arrêt des admissions. Emmanuel Maron a promis une prime pour tous les soignants. Les négociations commencent à peine pour savoir ce que chacun mettra de sa poche.

    #Ehpad

    • Ehpad : dans quelles conditions sont morts les résidents atteints du Covid-19 ?
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/06/ehpad-dans-quelles-conditions-sont-morts-les-residents-atteints-du-covid-19_

      La plupart des personnes âgées emportées par la maladie n’ont pas connu de détresse respiratoire aiguë, assurent les soignants. Mais il a été globalement compliqué de mettre en œuvre les soins palliatifs.
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      Comment sont-ils morts ? Ont-ils été accompagnés aux derniers moments de leur vie ? Ont-ils bénéficié de soins antidouleur lorsqu’ils en avaient besoin ? Telles sont les questions, lancinantes, que se posent les familles de ceux – et ils sont des milliers – auxquels le Covid-19, ces dernières semaines, a ôté la vie dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) où ils résidaient. Sans que leurs proches, le plus souvent, puissent venir leur dire adieu, ni même assister à leur mise en bière.

      Dans leur infortune, ces établissements ont eu une chance : la première vague de l’épidémie est survenue dans le Grand-Est, région plutôt bien dotée en matière de prise en charge du grand âge et d’organisation des soins palliatifs. Présent dans le Haut-Rhin dès début mars, le coronavirus atteint rapidement le Bas-Rhin. Le 15 mars, la barre du millier de cas déclarés est franchie dans le Grand-Est. Les hôpitaux sont au bord de la saturation. Dans les Ehpad, les premiers décès surviennent.
      Article réservé à nos abonnés Lire aussi Coronavirus : la pénurie de tests entrave le dépistage préventif dans les Ehpad
      « Dès ce moment-là, notre ARS [agence régionale de santé] nous a saisis pour répondre à la crainte que les résidents développent des symptômes insupportables et que personne ne s’en occupe », relate Véronique Legrain, médecin au Réseau alsacien de soins palliatifs. Très vite, cette structure de coordination appelle la dizaine d’équipes mobiles de soins palliatifs du territoire pour que chacune signale aux médecins coordinateurs des Ehpad de son secteur qu’elle est à leur disposition.

      Le réseau établit une liste de médicaments et de matériels nécessaires, puis propose un « protocole simplifié pour la prise en charge symptomatique de la dyspnée sans intention de sédation et de la détresse respiratoire avec sédation profonde chez un patient âgé “Covid +” en Ehpad » – protocole qui sera par la suite amplement relayé sur tout le territoire français. Enfin, il organise une astreinte d’infirmières libérales susceptibles de venir en renfort, la nuit, dans les Ehpad. A partir du 30 mars, une astreinte téléphonique avec numéro vert est mise en place, pour laquelle gériatres et experts en soins palliatifs se relaient vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept pour répondre aux sollicitations des Ehpad. Environ quinze appels sont reçus par jour. Avec toujours les mêmes questions : « Est-ce que je demande un transfert à l’hôpital ? » ; « Est-ce que je limite les soins ? », « Si oui, avec quels médicaments ? »

      « Fantasme collectif »

      « A partir de là, la situation est devenue à peu près contrôlable », résume Brigitte Klinkert. La présidente du conseil départemental ne le cache pas : le Haut-Rhin n’était pas préparé à l’augmentation subite des décès survenue dans la deuxième quinzaine de mars. « On parle souvent de vague, mais chez nous cela a été un véritable tsunami, rappelle-t-elle. Dans les Ehpad, la question de l’accompagnement en fin de vie s’est alors posée de manière cruciale. Et la situation a entraîné des situations difficiles, avec parfois un accompagnement insatisfaisant. » Le Haut-Rhin compte 74 Ehpad, soit 7 183 places. Au total, 2 088 résidents y ont été suspectés ou confirmés « Covid + ». Le 28 avril, 630 d’entre eux étaient morts, dont 578 sur le lieu de vie et 52 à l’hôpital.

      Morts comment ? Moins mal, semble-t-il, que ce que l’on a pu craindre. Tous les soignants que nous avons interrogés le répètent : les personnes âgées emportées par le Covid n’ont pas toutes connu une détresse respiratoire aiguë, tant s’en faut. « Les équipes du Grand-Est nous avaient avertis que certains patients mourraient en s’étouffant. C’est ce que nous voulions absolument éviter, et nos propositions thérapeutiques sont allées dans ce sens-là. Mais en fait, heureusement, ces décès difficiles ne sont pas la majorité », affirme Claire Fourcade, vice-présidence de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP). « On est dans un fantasme collectif d’asphyxie, on imagine toutes ces personnes âgées, seules dans leur chambre, en train de s’étouffer. La réalité est beaucoup plus nuancée. On peut mourir du coronavirus par épuisement, sans passer par la détresse respiratoire », confirme Véronique Legrain.

      « Sur les 29 résidents de notre Ehpad, 27 ont été atteints du Covid, et douze en sont morts, détaille Xavier Mattelaer, médecin de soins palliatifs à la clinique de la Toussaint, grosse structure médicale située au cœur de Strasbourg (Bas-Rhin) dont l’Ehpad a dû gérer un cluster. « Au départ, on se disait : “Ils sont tous âgés, ils ont tous des comorbidités, donc ils vont tous mourir d’une détresse respiratoire horrible.” Mais, finalement, on a eu onze patients asymptomatiques – dont une résidente qui va fêter mercredi prochain ses 100 ans est qui est en pleine forme. Et sur les douze résidents que nous avons perdus, il y a eu des détresses respiratoires, mais ça n’a pas été la règle. »

      A La Roselière (Kunheim, Haut-Rhin), Ehpad doté d’un médecin et de huit infirmières, on déplore douze morts sur 115 résidents. Mais aucun cas de détresse respiratoire aiguë. « La plupart sont morts durant la journée, quasiment d’un instant à l’autre. Comme si l’infection avait accéléré leur dégradation générale avant qu’ils n’arrivent à des complications pathologiques extrêmes », avance le docteur Marc Bouché, président du conseil d’administration de l’établissement. Au centre départemental de repos et de soins (CDRS) de Colmar (Haut-Rhin), le bilan que donne le chef du pôle médical, Stéphane Carnein, est plus contrasté : sur la trentaine de résidents (sur 340) décédés ces dernières semaines, « certains sont clairement morts du Covid et l’on a mis en place, quand il le fallait, les protocoles de fin de vie qui avaient été prévus ». Autrement dit : beaucoup d’oxygène pour les aider à respirer le mieux possible et, si cela ne suffisait pas, une sédation profonde et continue.

      Dans ces trois Ehpad du Grand-Est, pourtant relativement privilégiés sur le plan médical, le personnel n’en a pas moins été démuni devant l’ampleur et la brutalité des événements. Comment, dès lors, s’étonner que les structures défavorisées aient été débordées ? Partout, les remontées sont les mêmes : dans les établissements en difficulté, ce ne sont pas tant les produits sédatifs qui ont manqué que le manque de personnel, et de personnel formé. « Le plus souvent, les Ehpad sont en lien conventionnel avec une équipe de gériatrie hospitalière et une équipe de soins palliatifs. Mais, dans une crise aiguë comme celle-là, lorsqu’il n’y a la nuit qu’une aide-soignante pour l’ensemble des résidents, les conseils par téléphone ne suffisent pas », souligne la docteure Véronique Fournier, présidente du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie. Une réalité qu’a vécue de près la docteure Pauline Rabier, de l’équipe mobile de gériatrie de l’hôpital AP-HP du Kremlin-Bicêtre (Val-de-Marne), qui participe depuis le début de l’épidémie à la régulation d’une vingtaine d’Ehpad dans ce secteur de la région parisienne, soit environ un millier de résidents.

      « Morts brutales »

      « Dans 70 % de ces établissements, j’ai vu des médecins coordinateurs et des médecins prescripteurs extraordinaires, qui ont géré les fins de vie quasiment vingt-quatre heures sur vingt-quatre, raconte-t-elle. Mais quand il n’y avait ni médecin ni infirmière de nuit, la prise en charge des détresses respiratoires a parfois été extrêmement compliquée. Certains malades ont pu être transférés d’urgence à l’hôpital, mais, le plus souvent, ça n’a pas été possible. Et le personnel s’est retrouvé seul pour accompagner des patients qui sont morts de manière parfois extrêmement brutale. Quand il y a 30 décès en quinze jours dans de telles conditions, comment parler de soins palliatifs ? Il y a des soignants qui ont vu des morts franchement pas confortables. »

      En Normandie, zone relativement épargnée par l’épidémie, la cellule éthique régionale mise en œuvre au début de la crise sanitaire est pilotée par le professeur Grégoire Moutel, chef du service de médecine légale et droit de la santé au CHU de Caen. « Nous venons d’avoir une réunion de toutes les cellules régionales, et le constat est le même partout : même si de très bonnes choses ont été faites dans certains Ehpad, les soins palliatifs n’ont globalement pas pu être mis en œuvre correctement », estime-t-il.

      Car l’accompagnement de fin de vie, ce n’est pas seulement des médicaments, ni même un personnel soignant attentif et aidant. La présence des proches, elle aussi, en est un élément essentiel. Or, les proches étaient interdits de visites. Certains n’ont même été prévenus qu’après le décès, d’autres se sont vu refuser l’accès au dossier médical. « Il y a donc légitimement des gens dans le doute, qui ne savent pas si leurs proches ont bénéficié d’un accompagnement de qualité avant de mourir », conclut M. Moutel.

  • Entre retards de diagnostic et traitements interrompus, les répercussions du Covid-19 inquiètent
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/05/02/cancers-avc-maladies-cardiovasculaires-l-onde-de-choc-du-covid-19_6038430_32

    Selon les acteurs de santé, les dégâts collatéraux chez des patients souffrant de cancers ou de maladies cardiovasculaires pourraient faire davantage de morts en France que le Covid-19.

    Le bilan définitif du nombre de victimes dû au coronavirus n’est pas encore connu que l’on perçoit déjà l’onde de choc provoquée par le virus sur d’autres pathologies. La sidération et la gestion de crise ont, en effet, eu des effets indirects sur des maladies lourdes. Selon les acteurs de santé, s’il faudra du temps pour avoir des chiffres, les #dégâts_collatéraux pourraient faire davantage de morts en France que le Covid-19.

    Au cœur de la première région touchée par le virus, le Grand-Est, le docteur Thierry Arnaud, médecin généraliste à Mulhouse (Haut-Rhin), responsable de SOS-médecins et pilier de la régulation du SAMU local, estime que « le bilan sera lourd pour les malades hors Covid ». Selon lui, les cas de « syndrome de glissement » dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (#Ehpad) sont nombreux, et les altérations graves de pathologies sont courantes. « Certains, dit-il, ont préféré ne pas faire leur chimio par peur de l’hôpital et dans notre région, les scanners ayant été réservés aux patients Covid, un choix a été fait entre les différentes gravités, à cette échelle, c’est du jamais-vu. »

    Consultations en baisse

    En Ile-de-France, la crise a fait chuter les consultations de 40 % chez les généralistes, de près de 70 % chez les spécialistes et l’activité des urgences a régressé. « Les Franciliens ont eu moins recours aux soins, précise l’agence régionale de santé d’Ile-de-France, ce qui peut malheureusement engendrer, pour les cas les plus graves, des décès. » Pour l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), l’inquiétude porte surtout sur « la baisse importante et inquiétante de fréquentation des services hospitaliers d’#oncologie et sur la filière de prise en charge des cancers ».

    En cancérologie, les premières victimes des retards de prise en charge sont les enfants. L’Institut Curie, à Paris, a vu le nombre des urgences et consultations pédiatriques reculer de 30 %. « Or, chez eux, explique Daniel Orbach, chef de service pédiatrie à Curie, la tumeur cancéreuse se développe très rapidement, quelques jours suffisent, le défaut de diagnostic a des conséquences graves, surtout en termes de séquelles fonctionnelles, sur l’os ou la rétine par exemple. » Les premiers symptômes du cancer étant souvent banals, les familles ont préféré maintenir leurs enfants confinés plutôt que de consulter. « Parmi ceux que nous suivons, relate le docteur Orbach, des parents ont voulu décaler des consultations, on a dit non. Notre crainte, c’est la hausse du nombre de tumeurs plus étendues qu’elles n’auraient dû l’être. »

    Les adultes sont aussi concernés par ces retards de diagnostic, notamment pour les formes de cancer les plus agressives, comme celui du poumon. A Curie, le professeur François Le Tourneau, chef du département de l’oncologie médicale, assure que « pendant trois semaines, au lieu de 15 à 20 personnes par jour aux urgences, on n’avait que 2 à 3 patients ; fin avril, on est entre 5 et 10, et on s’attend à une vague de surdiagnostics à des stades plus graves ». Un constat partagé par l’autre grand institut français de lutte contre le cancer, Gustave-Roussy, dans le Val-de-Marne. Les urgences ont perdu 50 % de leur fréquentation. « On a envoyé des messages d’information aux 15 000 personnes inscrites dans nos fichiers, on a eu moins de 10 % de réponses », déplore Stéphane Pardoux, directeur adjoint de l’Institut. « Pour le suivi des patients, certains, ajoute-t-il, ont refusé des dates d’opération chirurgicale, la peur du Covid a anesthésié les esprits. »

    « Certains étaient décédés entre-temps »

    Les maladies cardiovasculaires ont également subi de plein fouet la crise due au coronavirus. En soins intensifs en #cardiologie à l’hôpital la Pitié-Salpétrière, à Paris, l’activité a baissé de plus de 15 % au bloc opératoire. Le chef du service, le professeur Johanne Silvain, ajoute que la cardiologie à la Pitié-Salpétrière a dû décaler trois quarts des opérations programmées. « Quand on a rappelé des patients pour fixer des dates, certains étaient décédés entre-temps », dit-il.

    En cardiologie, le temps de réaction est vital. Mi-avril, une Parisienne de 65 ans a subi un gros infarctus à son domicile, mais préférant restée confinée, elle n’a appelé personne car les symptômes étaient mineurs. Sept jours plus tard, elle est conduite à la Pitié-Salpétrière. Elle meurt d’une « rupture cardiaque », phénomène rare. Les médecins constateront les effets du temps perdu.

    Mais les dégâts collatéraux du Covid n’ont pas touché que les zones affectées par le virus. En Nouvelle-Aquitaine, le docteur François Rouanet, chef du pôle de neurosciences cliniques à l’hôpital Pellegrin à Bordeaux (Gironde), a vu, pendant vingt jours, le nombre d’#AVC baisser de 50 %. « On ne sait pas ce qu’ils sont devenus. La pathologie, elle, n’a pourtant pas disparu, cela nous fait craindre une hausse brutale des accidents et de la mortalité. » La peur du virus a joué. Le docteur Rouanet l’observe chez ses patients. « Certains ne font pas leur prise de sang, ce qui ouvre la voie à de graves hémorragies cérébrales. On a aussi des patients qui n’ont pas renouvelé leur médicament, aspirine ou anticoagulant, l’AVC peut survenir dans la semaine qui suit. »

    Dans les Ehpad, des résidents qui se laissent mourir

    Les Ehpad, enfin, ont durement subi les effets collatéraux du SARS-CoV-2. Pour Marc Bourquin, à la Fédération hospitalière de France (FHF), « en isolant strictement les résidents, on les a protégés, mais ce confinement sévère nous fait craindre une deuxième vague de décès ». Les dégâts psychosomatiques ont, selon lui, donné lieu à de nombreux syndromes d’abandon, conduisant les gens à se laisser mourir. Et le défaut de suivi des maladies chroniques a aggravé, voire compromis, la santé de patients déjà fragile.

    Les médecins ont alerté, dès mars, sur les dangers encourus par les résidents des Ehpad ne souffrant pas du Covid-19 à cause des mesures prises contre le virus. « Le 8 avril, avec la FHF, confie Florence Arnaiz-Maumé, de la Fédération d’Ehpad privés Synerpa, nous avons dit au premier ministre et au ministre de la santé que s’ils ne rouvraient pas les visites, on allait vers un autre drame. Le 13 avril, le chef de l’Etat les autorisait. »

    Il faudra donc du temps pour évaluer les dégâts sur les autres pathologies. Mais il est un chiffre que l’on ne connaîtra pas, celui des personnes mortes chez elles par défaut de soins. Les certificats de décès ne fournissent aucune information à ce sujet.

    #mort_par_défaut_de_soins

  • Coronavirus : en France, avoir un bilan final du nombre de morts prendra plusieurs mois, Henri Seckel et Chloé Hecketsweiler
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/05/02/coronavirus-en-france-avoir-un-bilan-final-prendra-plusieurs-mois_6038434_32

    Seule la généralisation du certificat de décès électronique permettrait un décompte précis des morts en temps réel.

    Soyons clairs : il est aujourd’hui impossible d’établir avec précision le nombre de victimes du Covid-19 en France. Les chiffres en temps réel avancés çà et là sont tantôt des hypothèses qui risquent d’être infirmées une fois l’épidémie achevée, tantôt l’addition de décès attribués avec certitude ou presque au virus, mais qui omet des milliers de cas. Le bilan quotidien du directeur général de la santé (DGS), Jérôme Salomon, se range dans la seconde catégorie. Vendredi 1er mai, il était de 24 594 décès causés par le SARS-CoV-2.

    Jusqu’à fin mars, le DGS n’annonçait que la mortalité « en milieu hospitalier », relayant le nombre de décès transmis chaque jour par les hôpitaux à Santé publique France (SPF) par l’intermédiaire du système Si-Vic (système d’information pour le suivi des victimes de situations sanitaires exceptionnelles), mis en place après les attentats de 2015. Au 1er mai, on dénombrait 15 369 décès à l’hôpital.

    De nombreux biais
    Depuis début avril sont comptabilisés, en outre, les décès survenus dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et autres établissements sociaux et médico-sociaux, remontés grâce à un système équivalent à Si-Vic mis en place en cours de l’épidémie. Près de 7 200 institutions, dont 4 500 Ehpad, sur les quelque 10 000 du pays ont transmis des données à SPF. Au 1er mai, 9 225 morts étaient recensés en #Ehpad – les 3 215 résidents morts après leur transfert à l’hôpital sont comptabilisés parmi les décès en milieu hospitalier.

    Reste la troisième catégorie, l’angle mort de cette pandémie : les #décès_à_domicile. Le syndicat de médecins généralistes MG France avance le nombre de 9 036 décès entre le 1er mars et le 19 avril, après extrapolation de chiffres fournis par 2 339 généralistes (sur 55 000 environ dans l’Hexagone). Ce total obtenu par une simple règle de trois est dénué de robustesse scientifique, mais d’évidence, il existe « en ville » une surmortalité liée au Covid-19 absente des statistiques.

    Par souci de transparence, le DGS a commencé à donner les chiffres de la mortalité de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qui ne les dévoile d’habitude qu’une fois par an. Cette statistique est très fiable – tous les certificats de décès atterrissent à l’Insee – mais ne renseigne pas sur la cause des décès. On sait donc que 106 732 personnes sont mortes en France entre le 1er mars et le 19 avril 2020 (dont 25 514 à domicile), contre 84 927 (dont 20 055 à domicile) sur la même période en 2019. Mais 21 805 morts en plus d’une année à l’autre (dont 5 459 à domicile) ne signifient pas 21 805 morts du Covid-19 : « La hausse est liée à l’épidémie, sans qu’il ne soit possible à ce jour d’en estimer la part attribuable précise », souligne SPF.

    Car les biais sont nombreux. Le confinement a permis d’éviter des décès liés aux accidents de la circulation ou du travail, ainsi que la propagation de maladies infectieuses ou virales hors coronavirus. A l’inverse, certaines pathologies n’ont pas été traitées correctement du fait de l’encombrement du système de soins, entraînant des décès évitables en temps normal. Il faut encore tenir compte de la hausse naturelle de la mortalité au sein d’une population vieillissante comme la nôtre. Bref, l’équation est complexe.

    Une seule institution sait la résoudre en France : le Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès (#CépiDc), qui dépend de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Mais il lui faut du temps. En effet, une fois qu’un médecin a rempli un #certificat_de_décès – à l’hôpital, en Ehpad ou à domicile –, le volet administratif parvient rapidement à l’Insee, mais le volet médical, un document papier sur lequel figure la cause du décès, met plusieurs semaines à parvenir au CépiDc, après être passé par les mairies puis les agences régionales de santé.

    Le médecin peut aussi, par le système baptisé #CertDc, remplir sur Internet un certificat de décès électronique qui parvient alors immédiatement au CépiDc. Mais ce système est méconnu, il n’élimine pas totalement la paperasse, alors les médecins l’utilisent peu : aujourd’hui, seuls 20 % des décès sont certifiés par CertDc, presque uniquement des décès à l’hôpital.

    Fin avril, le CépiDc avait reçu un peu plus de 8 000 certificats portant la mention Covid-19. « Je commence seulement à recevoir des certificats papier avec la mention Covid-19, ceux des morts de février », explique Claire Morgand, directrice adjointe du CépiDc, dont les modélisations prédictives, basées sur les certificats déjà reçus, situent le bilan actuel « entre 35 000 et 38 000 décès avec Covid-19 avéré ou suspecté », en incluant les morts à domicile.

    « A tâtons »

    Pour le bilan finalisé de la pandémie en France, prévient-elle, « il faudra attendre entre douze et dix-huit mois après le dernier décès ». Car il faudra, pour cela, avoir reçu tous les certificats et les avoir codés selon un processus chronophage, après avoir décrypté les formulaires remplis à la main par les médecins. Le CépiDc ne compte que quatre #codeurs – ils étaient 12 en 2012, il n’y en aura plus qu’un en 2021, après les départs en retraite non remplacés. Ils sont 50 en Allemagne – où il faut coder 900 000 décès par an, contre 600 000 en France. « Il y a une discordance entre l’importance de notre mission et nos moyens, regrette Claire Morgand. La visibilité finit par arriver, mais beaucoup trop tard. »

    Des chiffres de mortalité précis en temps réel offriraient une vision rapide et plus fine de l’évolution d’un virus, notamment sur le plan géographique, faciliteraient l’organisation des soins – la montée en charge des hôpitaux par exemple – et la réflexion autour de mesures de santé publique telles que le confinement. « Aujourd’hui, les décisions sont prises sur la base des tendances – une hausse, un plateau, une descente. S’ils avaient des indicateurs fiables et immédiats, les politiques prendraient des décisions plus fermes. Là, on voit qu’ils y vont à tâtons », estime Mme Morgand. A ce stade, les modélisations des épidémiologistes sont basées sur une estimation de la létalité du virus (le nombre de décès par rapport au nombre de personnes infectées) : des données réelles leur permettraient d’être plus précis.

    La crise actuelle accélérera-t-elle la dématérialisation de la certification des décès ? Pas sûr, craint Mme Morgand : « On a lancé ce système après la canicule de 2003, où l’on n’avait pas été capables de compter nos morts. On l’a relancé après la grippe H1N1 en 2009. Et puis le soufflé est retombé, on n’a pas mis les moyens nécessaires, et il ne se passe plus rien. Aujourd’hui, on n’est toujours pas capables de compter nos morts. »

    Sans doute est-ce marginal, mais n’y a-t-il pas des imprécisions sur les motifs de décès, qu’ils soient attribués au Covid-19 sans test ou scanner sur la base d’un diagnostique erroné, et, réciproquement, des décès du au Covid-19 attribués à d’autres causes ?

    #Covid_19 #mortalité

  • Ehpad Korian : le « coût des repas journalier dépasse à peine 4 euros par jour de matières premières par résident pour les quatre repas quotidiens ».
    Le géant des Ehpad Korian a programmé 54 millions d’euros de dividendes malgré le désastre sanitaire
    https://www.nouvelobs.com/economie/20200429.OBS28133/le-geant-des-ehpad-korian-a-programme-54-millions-d-euros-de-dividendes-m


    #EHPAD #covid-19 #mort #vieux #dividendes

    • Ehpad : le groupe Korian fait pression sur des familles
      de résidents décédés

      https://www.mediapart.fr/journal/france/300420/ehpad-le-groupe-korian-fait-pression-sur-des-familles-de-residents-decedes

      Après le deuil, des familles de victimes passent à l’attaque contre le premier opérateur français de maisons de retraite médicalisées, où le Covid-19 a fait des ravages, provoquant la mort de 606 personnes. À ce jour, au moins quatorze plaintes ont été déposées par des parents de personnes âgées mortes après avoir contracté le virus dans des établissements Korian.
      Dix plaintes ont été enregistrées par le parquet de Grasse pour les décès survenus dans l’Ehpad La Riviera de Mougins, dans les Alpes-Maritimes, le plus touché, où 37 personnes ont été emportées par le virus. Les tests réalisés le 6 avril à Mougins sur les 73 survivants sont accablants : 23 personnes sont indemnes, soit seulement un cinquième de l’effectif initial.

      [...] Dans les Hauts-de-Seine, où l’Ehpad Bel-Air de Korian à Clamart a également été contaminé, deux familles ont adressé des plaintes au parquet de Nanterre. Mais celui-ci se montre plus lent à la détente qu’à Grasse et n’a encore ouvert aucune enquête.

      [...] En attendant que la justice donne suite à leurs plaintes, les familles endeuillées de la région parisienne doivent faire face à un autre stress : les pressions dont elles sont l’objet de la part du groupe Korian. Car depuis l’onde de choc provoquée par les premiers articles de presse consacrés à l’hécatombe dans ses maisons de retraite, le groupe a engagé une contre-offensive méthodique, destinée à faire taire les critiques et redresser une image abîmée. Un impératif pour une entreprise cotée en bourse, dont le cours a perdu 30 % de sa valeur depuis le début de la crise... Le groupe, très rentable et en forte croissance, a réalisé en 2019 un bénéfice net de 136 millions d’euros, en progression de 10,4 % sur l’année précédente, pour un chiffre d’affaires de 3,612 milliards.

      Pour l’aider à gérer sa communication de crise, Korian a recours, depuis 2019, aux services de l’agence de communication Havas, en la personne de Vincent Deshayes, directeur au sein du pôle influence de Havas après avoir exercé pendant six années comme conseiller en communication, d’abord à l’Élysée sous la présidence de François Hollande, puis dans plusieurs cabinets ministériels.

      [...] Le 20 avril, Korian a annoncé son intention de porter plainte en diffamation contre Libération, suite à l’enquête parue ce jour-là sous le titre « Dans les Ehpad Korian “engloutis par la vague” du Covid 19 ».

      En outre, selon nos informations, deux proches de personnes décédées à l’Ehpad Bel-Air de Clamart ont reçu des courriers menaçants de la part d’un cabinet d’avocats parisien missionné par la directrice de l’établissement, pour s’être permis de critiquer publiquement la manière dont Korian avait géré l’épidémie... Dans l’un de ces courriers, l’avocat développe l’argumentaire [suivant] : « Les propos que vous tenez publiquement portent atteinte à l’honneur et à la considération de l’établissement Bel-Air, de ses salariés et de son encadrement. Si le groupe peut mettre les propos que vous tenez sur le compte d’une émotion en raison de la situation particulière que nous vivons actuellement, elle ne peut admettre que vous diffamiez publiquement le groupe alors que ce dernier est pleinement mobilisé pour lutter contre cette pandémie. »

      [...] De nombreux membres du personnel de Korian craignent désormais de s’exprimer, d’autant qu’une fracture s’est dessinée entre leurs représentants. Tandis que l’UNSA, le syndicat majoritaire, affiche ouvertement son soutien à la direction, un front CGT-SUD-FO fait entendre de vives critiques.

      #société_d'abandon #omerta #plaintes_en_justice #UNSA

  • Féministes néo-écossaises luttant contre le féminicide — Déclaration sur la fusillade de masse commise à Portapique la semaine dernière
    https://tradfem.wordpress.com/2020/04/25/feministes-neo-ecossaises-luttant-contre-le-feminicide-declaratio

    Nouvelle-Écosse, 24 avril 2020 – Nous avons le cœur lourd face à la perte de 22 personnes innocentes dans la pire fusillade de masse de l’histoire de notre pays. Nous sommes indignées que les femmes et les jeunes filles de notre province continuent de subir une violence aussi extrême aux mains de leurs proches dans l’endroit où elles devraient se sentir le plus en sécurité – dans leurs propres communautés.
    En tant que féministes, militantes et spécialistes du domaine de la violence masculine contre les femmes et les filles, nous savons que la plupart des meurtres de masse commencent par de la violence à domicile. Les premières victimes des hommes qui tuent sont souvent les épouses, les partenaires et les enfants. Les sévices et les agressions soutenues dont elles sont victimes sont souvent les signes les plus évidents de la future violence de masse de meurtriers. Ces schémas de violence et d’agressions commencent des jours, des mois, voire des années avant les meurtres.
    Il devient de plus en plus évident que la fusillade de masse des samedi 18 et dimanche 19 avril a commencé par des actes de torture et de violence envers la partenaire du meurtrier. Des médias ont indiqué que le meurtrier se serait battu avec sa partenaire lors d’une fête. En rentrant chez lui avec elle, cette violence de l’homme s’est intensifiée. Il l’a ligotée et lui a infligé « une agression grave » selon la Gendarmerie Royale du Canada. Elle a réussi à s’échapper et à se cacher dans le bois. L’homme a ensuite tué 22 personnes innocentes, dont 12 femmes et une jeune fille. Cette information est importante. Elle nous dit que la haine des femmes a été le carburant de cette tuerie, dont une bonne part semble avoir été planifiée à l’avance.

    Traduction : #Tradfem
    Version originale : https://www.rapereliefshelter.bc.ca/blog/nova-scotian-feminists-fighting-femicide-statement-mass-shootin
    #féminicide #violences_masculines #patriarcat #Canada

    • #Quebec : « Je m’avoue vaincue » : des « anges gardiens » démissionnent Magdaline Boutros - 25 Avril 2020
      https://www.ledevoir.com/societe/sante/577715/des-infirmieres-a-bout-je-m-avoue-vaincue
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      Se disant épuisées et à bout de souffle, des infirmières et des préposées aux bénéficiaires commencent à hisser le drapeau blanc.
      Valérie Gilbert travaillait au CHSLD Fernand-Larocque, à Laval, où 85 % des résidents sont infectés par la COVID-19. Vendredi, elle a remis sa démission.
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      « Je lève mon drapeau blanc, je m’avoue vaincue. Je quitte ce bateau qui coule plus rapidement que le Titanic. »
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      « Mais est-ce qu’il y a quelqu’un qui est au courant de ce qu’on nous impose, d’à quel point nos droits sont brimés en ce moment ? » se questionne-t-elle.
      Dans les derniers jours, cette mère de famille a appris que son employeur exigeait d’elle qu’elle travaille désormais trois fins de semaine par mois. « Tous les temps partiels ont été rehaussés à temps plein, on nous oblige à faire des shifts de nuit et c’est sans compter le temps supplémentaire obligatoire. On ne sera pas plus avancés si on est plein à démissionner ou à tomber en congé de maladie. »
      Et même là, les billets de médecin sont régulièrement contestés par les établissements, nous rapportent plusieurs travailleurs de la santé.

      « On doit maintenant étaler notre vie privée pour que les gens des ressources humaines évaluent notre dossier et décident s’ils nous obligent à travailler à temps plein ou si nos contraintes liées à notre vie familiale ou à nos problèmes médicaux [sont suffisantes et justifiées à leurs yeux] », indique une infirmière auxiliaire du CISSS de la Montérégie-Est qui a requis l’anonymat par crainte de représailles.

      Elle dit aussi réfléchir « plus que jamais » à démissionner. « Le public […] n’est pas au courant que tous nos droits sont brimés et que nous n’avons plus aucune qualité de vie et moins de reconnaissance que jamais. Que nous sommes intimidées, menacées et j’en passe. Plus de fériés, plus de vacances. Menace d’amende pour non-présence sur nos quarts de travail. […] Plus de port d’attache. Plus de quart de travail fixe. […] On ne sait même pas si on a encore le droit de démissionner, et sous peine de quoi ? » poursuit cette mère de jeunes enfants dont le conjoint travaille sur la route cinq jours par semaine.
      . . . . . .
      Une limite à la résilience
      « Avec l’arrêté ministériel, nos gestionnaires peuvent faire ce qu’ils veulent de nous », souffle également une infirmière du CISSS de Lanaudière qui a requis l’anonymat. Cette dernière a appris cette semaine qu’elle devait aller prêter main-forte en CHSLD, ce qu’elle fera.

      « Je vais avoir 100 patients à ma charge alors que je n’ai jamais travaillé avec cette clientèle. J’ai beaucoup de résilience, mais il y a quand même des limites à la résilience », s’indigne-t-elle, rappelant que si elle fait une faute professionnelle, elle en sera tenue responsable devant son ordre professionnel.

      #violence #harcèlement #management #coronavirus #covid-19 #CHSLD #Ehpad #travail #esclavage #capitalisme au pays de #justin_trudeau

  • #Coronavirus : masques, travail, écoles, transports… Le conseil scientifique très prudent sur les conditions du déconfinement
    https://www.lemonde.fr/planete/article/2020/04/25/coronavirus-masques-systematiques-teletravail-ecoles-le-conseil-scientifique

    Pour répartir au mieux les patients selon leur état de santé et éviter l’embouteillage dans les hôpitaux, il suggère la création d’« établissements intermédiaires pour la prise en charge des patients issus des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (#Ehpad) ». Il insiste aussi sur une « une médecine de ville repositionnée en première ligne », dotée d’outils de suivi numérique des patients. L’accès « sur tout le territoire » à des #tests « fiables » est un autre prérequis, avec la création de centres de diagnostics dédiés.

    #paywall

  • #Tragédie humaine dans les #maisons_de_retraite en #Europe | Le Devoir
    https://www.ledevoir.com/monde/europe/577598/une-tragedie-humaine-inimaginable-dans-les-maisons-de-retraite

    Les ravages du #coronavirus dans les maisons de retraite, qui représentent jusqu’à la moitié des décès enregistrés dans certains pays européens, sont une « tragédie humaine inimaginable », a déploré jeudi le directeur Europe de l’OMS.

    Dans ces établissements, dont il veut voir le fonctionnement évoluer, la situation est « profondément inquiétante », a déclaré Hans Kluge lors d’une conférence de presse virtuelle organisée depuis Copenhague, siège de la branche Europe de l’Organisation mondiale de la santé (#OMS).

    [...]

    Ainsi, au 13 avril, parmi les 444 décès enregistrés en Irlande, 55,2 % l’avaient été dans ce type d’établissements. Au 15 avril, la #France rapportait que 49,4 % des morts résidaient en #EHPAD (établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), selon les chiffres communiqués par l’OMS à l’AFP.

    Pour M. Kluge, « il existe un besoin immédiat et urgent de repenser et d’adapter le fonctionnement » de ces établissements face à l’épidémie.

    Il s’agit notamment d’y prioriser les dépistages, de bien équiper les soignants et d’organiser des unités spéciales pour les malades de la #COVID-19, avant même l’apparition de premiers cas.

    Car, a-t-il souligné, « même chez les personnes très âgées qui sont fragiles et vivent avec de multiples maladies chroniques, beaucoup ont de bonnes chances de se rétablir si elles sont bien soignées ».

  • Ehpad : les morts, les familles et le mur du silence
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/23/ehpad-les-morts-les-familles-et-le-mur-du-silence_6037517_3224.html


    Devant l’Ehpad La Riviera, du groupe Korian, à Mougins (Alpes-Maritimes), le 3 avril. SEBASTIEN NOGIER / EPA
    Avec des personnels non dépourvus de protections.

    Des établissements d’hébergement pour personnes âgées ont tardé à communiquer le nombre de morts dû au coronavirus et à informer les familles de l’état de santé de leurs proches. Certaines ont déjà porté plainte.

    La sonnerie du téléphone tire Sébastien Lévêque de son sommeil. Embrumé par la fatigue, l’ouvrier de 40 ans décroche. Il est 8 heures ce samedi 28 mars. Au bout du fil, une aide-soignante de la Rosemontoise, à Valdoie (Territoire de Belfort), la maison de retraite où vit son père Bernard depuis six ans, lui annonce sa mort dans la nuit, suspicion de Covid-19.

    « J’ai à peine eu le temps de reprendre mon souffle qu’elle a enchaîné sur les pompes funèbres. Que je devais les contacter en urgence pour faire enlever son corps, elle avait l’air pressée de s’en débarrasser. »
    Sébastien ne comprend pas, trois jours avant il avait eu un appel de l’Ehpad, son père était tombé, mais il était en forme, seulement 73 ans, et aucune pathologie. Il y avait bien cette petite grippe qui circulait un peu entre les résidents, mais rien de grave l’avait-on rassuré, et jamais le mot « Covid » n’avait été prononcé.

    Il ne reste de Bernard qu’une urne qui attend Sébastien sur une étagère des pompes funèbres de la petite ville de Delle. Le fils n’a jamais pu revoir son père, ni même récupérer ses affaires. Cette disparition sans bruit ni rites se transforme en deuil impossible. « Je me dis qu’il n’est pas mort, je ne réalise pas. C’est un choc terrible, un traumatisme. Nous, les familles, nous étions coupées du monde, on ne nous a rien dit. Il n’y a eu aucune communication, aucune humanité. Payer aussi cher pour mourir comme ça, j’ai la haine qui brûle en moi », pleure-t-il au téléphone.

    Début avril, l’affaire de la Rosemontoise éclate dans les journaux. Le virus a coûté la vie à dix-sept de ses résidents. L’établissement devient le premier en France placé sous tutelle dans le cadre d’une procédure d’urgence sanitaire. L’hécatombe s’est poursuivie depuis avec onze nouvelles victimes du Covid-19. Sébastien, lui, s’est rendu à la gendarmerie de Saint-Amour (Jura) pour porter plainte contre l’Ehpad pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « non-assistance à personne en danger ». « S’ils avaient mieux communiqué, s’ils avaient été transparents avec nous, je n’aurais pas porté plainte. Mais là maintenant on monte un collectif avec les familles, et on veut un procès », revendique ce supporteur du FC Sochaux-Montbéliard, initié au football par son père, ancien ouvrier chez Peugeot.

    Ni veillées ni embrassées une dernière fois par leurs proches, des milliers de personnes âgées sont mortes ces dernières semaines, comme Bernard Lévêque, asphyxiées par le Covid-19, seules au fond de leur chambre. Entre le 11 mars et le 20 avril, les maisons de retraite sont restées portes closes, pour ne plus laisser entrer le virus. Et certains Ehpad ont aussi érigé un mur du silence autour de la tragédie qui les ont frappés. Ces structures ont-elles été débordées par la violence de l’épidémie au point de ne plus pouvoir communiquer ou bien ont-elles opté pour l’opacité afin de masquer des défaillances ?
    Des dizaines de familles se sont déjà tournées vers la justice. Certaines pour obtenir le simple récit des faits, d’autres parce qu’elles ne croient pas à la fatalité. Les enquêteurs voient se multiplier le nombre de plaintes, « sans avoir les moyens d’y faire face », en plein confinement. « Elles sont de plus en plus nombreuses et vont augmenter dans les prochains mois, anticipe un gendarme missionné sur ce type de dossiers. Le problème, c’est que les gens ne sont plus habitués à la mort : ils veulent des réponses. »

    Au 17 avril, le parquet de Paris avait enregistré vingt-six plaintes pour mauvaise gestion de la crise sanitaire, sans être en mesure de distinguer celles qui concernent un hôpital, un Ehpad, ou une autre structure, ni celles déposées par des familles ou par des personnels. Le procureur de Paris, Rémy Heitz, a indiqué sur Franceinfo le 31 mars que le parquet n’en était pas « encore à orienter ces plaintes et à prendre des décisions. Mais nous les traiterons et nous allons les analyser ».

    Ailleurs, les enquêtes sont déjà lancées. Comme à Mougins (Alpes-Maritimes). Dans cette commune de la Côte d’Azur, la maison de retraite La Riviera a vécu un cauchemar à huis clos. Depuis le 17 mars, trente-sept personnes âgées y sont mortes du Covid-19, soit plus du tiers des cent neuf résidents.
    Aucun drame n’a connu le même retentissement médiatique depuis le début de la crise sanitaire. Aucun n’a donné lieu à autant de plaintes, connues à ce jour. Sept familles de résidents décédés ont porté plainte contre X. Les premières ont débouché sur l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « non-assistance à personne en danger » et « homicide involontaire » par le parquet de Grasse, le 2 avril. Depuis, quatre ont directement saisi le tribunal. Le maire (Les Républicains) de la ville, Richard Galy, s’est porté partie civile dans le dossier.

    « Aucun symptôme » du Covid-19

    Ces plaintes sont toutes motivées par « la loi du silence », selon les familles concernées, qui a régi La Riviera les deux dernières semaines de mars. Le 15, le virus pénètre dans l’établissement, par l’intermédiaire de son directeur et de son médecin coordinateur, tous les deux testés positifs et placés en arrêt maladie. Le 31, Nice-Matin titre sur les « douze morts » de Mougins, et lève le voile sur une hécatombe à l’insu des familles. Alors qu’un journaliste fait le pied de grue devant l’établissement pour obtenir des réponses, la veille, Korian − le groupe privé français est le leader européen des maisons de retraite − et l’agence régionale de santé (ARS) Provence-Alpes-Côte-d’Azur avaient d’abord tenté d’expliquer que les morts étaient « peut-être liées à des causes naturelles ».

    Pourtant, administrativement, le Covid-19 est bien mentionné. Les certificats de décès remis aux pompes funèbres qui enchaînaient les allers-retours dans l’Ehpad depuis quinze jours indiquaient bien : « suspicion Covid-19. » Charles-Ange Ginesy, président (Les Républicains) du conseil départemental des Alpes-Maritimes, assure avoir reçu du directeur régional de Korian de PACA-Est le premier signalement de décès lié au virus le 18 mars, dans le « reporting » régulier qu’il a exigé des Ehpad au début de la crise. Entre le 18 et le 30 mars, il reçoit quatre bilans. Le dernier date du 28 mars : douze morts.

    Dans ce dernier décompte figure Yvette Sinicropi, 84 ans, décédée le 26 mars dans cet établissement. Son mari, 91 ans, a d’abord reçu un appel de l’Ehpad. Sa femme « n’était pas très bien », on lui demande s’il a un contact avec une entreprise de pompes funèbres. Nouveau coup de fil dans la matinée : Yvette est morte, mais personne n’évoque le Covid-19. On assure même à la famille qu’elle ne présentait « aucun symptôme ». Son époux est prié de venir chercher ses affaires. C’est en route vers la maison de retraite que le nonagénaire est alerté par un message d’un de ses fils, qui, ayant lu Nice-Matin, lui dit de faire demi-tour. « N’y allez pas : il y a douze morts du Covid dans l’établissement ! »

    Ces omissions en cascade poussent les plaignants à rechercher des « responsables » de la mort de leurs proches. « J’ai des griefs autant envers l’Etat qui n’a pas bien géré la crise qu’envers la direction de Korian », assure Arnaud, petit-fils d’Odette Noyer qui a appris par les pompes funèbres que sa grand-mère était morte du Covid-19. Le jour de son décès, l’Ehpad lui a assuré qu’elle se portait bien même si elle avait été « mise sous oxygène »… Interrogé par Le Monde, le porte-parole de Korian affirme que « la famille » d’Odette a bien été informée à temps que son état s’était dégradé.

    Querelle des tests

    Depuis la médiatisation de la tragédie de La Riviera, la directrice générale du groupe, Sophie Boissard, a reconnu le 10 avril, sur RTL que « la violence de l’épidémie a été telle que l’information et les contacts n’ont peut-être pas été ce qu’ils auraient dû être au quotidien ». Face aux accusations « d’omerta » notamment de la part de l’avocat de plusieurs plaignants, Fabien Arakelian, le groupe choisit de se retrancher alors derrière la consigne des ARS de leur communiquer le bilan du nombre de morts, à elles et à elles seules. Conseillé par l’agence Havas, le groupe a, depuis, littéralement modifié sa stratégie de communication. Désormais, il publie un décompte national chaque semaine. Le 17 avril, on comptait 511 morts parmi les 23 000 résidents des 308 Ehpad que possède Korian en France. La justice devra répondre aux questions des familles : comment un tel désastre a-t-il pu se produire ? Quelles erreurs, quelles négligences ont été commises ? Par qui ?

    A Mougins, le scandale « ne fait que commencer », assure une source proche du dossier. Mais déjà en coulisses l’Etat déplore l’attitude du groupe privé qui ne l’a pas suffisamment alerté. La sous-préfète de Grasse, Anne Frackowiak-Jacobs, regrettait dans les colonnes de Nice-Matin, début avril, « que la réaction du groupe Korian n’ait pas été aussi rapide que nous l’aurions souhaité ». Trois jours plus tard, Charles-Antoine Pinel, directeur général France Seniors chez Korian, accusait « les autorités sanitaires locales » d’avoir « tardé à réagir ». Du côté des gendarmes, on indique que « tout le monde − l’ARS comme Korian − est entendu ».

    Ces attaques réciproques ont révélé une difficulté structurelle à coopérer entre les ARS et les Ehpad − si ce n’est un gouffre −. Parmi les nombreux exemples de difficultés dans la répartition des rôles, que le drame de Mougins met en lumière, figure la querelle des tests.
    L’absence de dépistage précoce des résidents a été pointée du doigt par la droite locale. Le maire (LR) de Mougins, Richard Galy, a été le premier à souhaiter des tests systématiques. Le président du conseil départemental, Charles-Ange Ginesy (LR), a écrit au ministre de la santé et des solidarités, Olivier Véran, et à l’ARS dès le 24 mars, pour demander « un élargissement immédiat des dépistages de l’ensemble des résidents ». En vain.

    A Mougins, seuls trois tests ont été réalisés mi-mars, conformément à la consigne du ministère de la santé. La règle en vigueur était alors de cesser les dépistages au-delà de trois cas de Covid-19 avérés. Pourtant Louise (son prénom a été modifié) comme d’autres proches de résidents en est certaine : « Si tous les pensionnaires avaient été testés vers le 20 mars, une bonne partie seraient encore en vie aujourd’hui », assure cette femme qui a attendu deux semaines pour apprendre que sa mère avait contracté le Covid-19, dont elle a finalement guéri.
    La direction du groupe et l’ARS PACA auraient-ils dû enfreindre la consigne nationale et décider un dépistage plus large ? Ont-ils fait preuve de légèreté ? L’un et l’autre se sont renvoyé la responsabilité de ne pas avoir pris l’initiative. « L’ARS était d’abord soucieuse de disposer de tests suffisants pour les hôpitaux, ce que l’on peut comprendre », concède un responsable du groupe. Un fonctionnaire d’une ARS, interrogé par Le Monde rappelle toutefois que les décisions d’ordre médical relèvent des établissements. En clair, Korian n’avait pas besoin du feu vert de l’ARS pour lancer des tests. « Aucun laboratoire n’était en mesure de [leur] délivrer des tests en grand nombre sans l’aval de l’ARS », rétorque la direction de Korian.

    Devant la campagne politique de la droite locale en faveur des tests et l’émoi des familles face à la série noire des décès, Philippe De Mester, le patron de l’ARS PACA, a fini par faire passer des messages au cabinet d’Olivier Véran pour que les tests puissent être réalisés à plus large échelle dans les Ehpad. Korian, de son côté, a actionné ses relais : « On a mis un grand coup de pression sur le ministère », reconnaît Florence Arnaiz-Maumé, déléguée générale du Syndicat national des établissements et résidences privées pour personnes âgées (Synerpa).
    La demande a été entendue. Le 6 avril, Olivier Véran annonce le virage. Il faudra, dit-il, « tester tous les résidents et tous les personnels à compter de l’apparition du premier cas confirmé de malade de coronavirus » au sein des Ehpad. Sans la tragédie de Mougins et son retentissement médiatique, le gouvernement n’aurait sans doute pas fait cette annonce aussi vite. Il n’en reste pas moins qu’à Mougins, entre le premier cas de Covid-19 et le dépistage des résidents, il se sera écoulé plus de trois semaines. Pendant lesquelles plus d’un tiers d’entre eux sont morts.

    « Comptage informel »

    Du temps perdu pour sauver des vies ? Korian balaie cette accusation. Quand bien même le nombre de résidents atteints aurait été détecté très en amont, un responsable du groupe confie au Monde qu’il aurait été difficile d’organiser dès la mi-mars une « unité Covid de taille suffisante » pour isoler tous les résidents malades des autres. Très vite, les onze lits prévus initialement se sont révélés insuffisants. Il a fallu que plusieurs dizaines de personnes meurent pour que « d’autres lits se libèrent », déplore cet acteur au cœur de la gestion de crise. Et qu’enfin le 9 avril les personnes contaminées soient regroupées par étage.

    Si Korian doit répondre des accusations d’opacité, il n’est pas le seul. Orpea, numéro 2 sur le marché privé, se distingue aussi par sa discrétion depuis le début de la crise sanitaire, regrette Guillaume Gobet, délégué syndical CGT : « Ces grands groupes privés de santé ont du mal à dire publiquement qu’il n’y a pas assez de matériel, de personnel, ou que la crise du Covid est difficile. Ils sont là pour faire de l’argent, pas du social, et l’image de marque, les belles plaquettes, c’est important pour les investisseurs. ».

    Ce représentant syndical s’étonne qu’Orpea passe aussi facilement à travers les gouttes médiatiques. En effet, à part à la résidence du Parc, à Chambray-lès-Tours (Indre-et-Loire), où la situation est qualifiée « d’explosive » par France Bleu Touraine et dans lequel le directeur a confirmé au Monde « neuf décès » tout en s’étonnant de cet adjectif « explosif », aucun autre établissement sous la bannière Orpea qui verrait un quart à un tiers de ses résidents disparaître en quelques semaines, ne défraye la chronique. « Moi, je n’ai aucun chiffre, explique Guillaume Gobet, on fait un comptage informel à la CGT, mais on n’arrive pas à savoir. Appelez le siège, si vous avez des infos, ça m’intéresse, moi je n’en ai jamais eu. »

    Pour le savoir, il faut contacter Image 7, la puissante agence de communication dirigée par Anne Méaux, qui s’occupe d’Orpea. La réponse tombe douze heures après :
    « Malgré toutes les précautions que nous avons prises dès la mi-février et l’engagement de nos collaborateurs, nous comptons naturellement des décès parmi nos résidents. Il y a d’une part les décès de résidents testés positifs au Covid mais également les décès suspectés d’être liés au Covid. Sur ces deux catégories, nous comptons en France 420 décès soit 1,5 % de nos résidents et patients. »

    Dans quels établissements ces décès ont-ils eu lieu ? Pourquoi aussi peu d’entre eux ne sont apparus sur les radars médiatiques ? A ces questions, pas de réponse. Un reporter niçois décrypte : « J’ai peur que tant qu’il n’y a pas des journalistes postés tous les jours devant tous les établissements de France, il y ait des “Mougins” qu’on ignore partout sur le territoire. »

    Le secteur privé n’a pas le monopole du manque de transparence. A la Rosemontoise, à Valdoie, l’établissement à but non lucratif, où est mort Bernard Lévêque, le père de Sébastien Lévêque, l’opacité était une consigne transmise par l’encadrement aux soignants. « On nous disait de dire aux familles que tout allait bien, ou juste que leurs proches pouvaient être un peu malades mais de ne pas rentrer dans les détails », raconte Marie (le prénom a été modifié). Quand fuite le bilan accablant des dix-sept morts, le téléphone de l’accueil s’affole : « Une dizaine de familles se sont mises à appeler régulièrement : “vous nous dites qu’ici c’est le paradis, mais dans les médias on voit que c’est l’enfer, on veut la vérité”. » Quelques membres du personnel brisent l’omerta et parlent aux journalistes, prenant le risque de « se faire virer pour faute lourde plutôt que d’être poursuivi pour non-assistance à personne en danger », déplore Marie.

    Un mail tombe dans la foulée sur l’intranet :
    « Si la presse ou toute personne étrangère cherche des informations sur l’Ehpad (…) la Rosemontoise, personne d’autre que l’ARS ou le CD [conseil départemental] ne sont habilités à répondre. Toute personne qui communiquera qqs infos quelle qu’elle soit est susceptible de sanction. Merci de répondre à rien ni à personne. (…) Si vous voyez la presse ou toute personne étrangère à l’Ehpad, vous êtes prié de bien vouloir le signaler à l’équipe de direction. »

    A l’oral est même ajouté que parler, « c’est du pénal » . « Sur le moment, ça fait froid dans le dos. Puis l’injustice l’emporte, on se dit qu’il faut protéger les résidents, le cœur est plus fort que la peur », termine Marie.
    Il a fallu deux semaines pour que Joël Goldschmidt accepte de répondre aux questions du Monde. Le président de l’association Servir, qui gère l’Ehpad de la Rosemontoise ainsi que trois autres institutions médico-sociales de la région, ne voulait pas s’exprimer trop vite. Ce chercheur des laboratoires Roche à Bâle (Suisse), âgé de 59 ans, dirige bénévolement cette structure chrétienne évangéliste à laquelle est rattachée la maison de retraite de Valdoie. Il fait des milliers de kilomètres par an, « même pas remboursés », précise-t-il, et connaît lui-même bien le Covid-19 : il a passé son mois de mars alité à cause du virus, son père vient d’en mourir. La crise à la Rosemontoise a percuté de plein fouet son engagement religieux. Attaché à ses valeurs d’humanité, Joël Goldschmidt a très mal vécu les accusations « d’inhumanité » qui ont fleuri dans les journaux.

    « On nous disait de dire aux familles que tout allait bien, ou juste que leurs proches pouvaient être un peu malades mais de ne pas rentrer dans les détails », raconte une soignante à la Rosemontoise
    « Moi-même j’ai perdu mon père du Covid, mais je n’ai pas accusé l’hôpital d’avoir mal fait son travail. On n’a jamais vécu une crise comme ça, je ne vois pas comment elle aurait pu être gérée parfaitement. Oui, il y a eu des loupés sur l’information et la transparence. Il faut avoir l’humilité de le reconnaître. Parler plus n’aurait pas fait baisser le nombre de morts, mais oui ça aurait diminué le choc », se défend-il. A l’évocation du mail de menaces de sanction aux employés, il répond y être étranger, que c’est « difficilement entendable » d’avoir fait cela, mais qu’il s’agissait de rappeler que la communication sur l’hécatombe de la Rosemontoise était réservée à l’ARS.

    Silence et discrétion

    Cette consigne de silence et de discrétion a effectivement été transmise à tous les Ehpad du territoire. Olivier Obrecht est le directeur adjoint de l’ARS de Bourgogne-Franche-Comté. C’est lui qui échange avec les journalistes depuis le début de la crise qui a durement frappé sa région. A la question sur la non-diffusion des chiffres des décès et des contaminations, il répond que « ça n’est pas une information d’utilité publique ».

    « Autant on a incité les Ehpad à tout dire aux familles des résidents, et ne pas l’avoir fait est une anomalie, autant on leur a dit d’être très vigilants avec la presse. J’assume la retenue d’informations, car l’important est ailleurs, il faut s’occuper des soignants et des vivants. Notre boulot à l’ARS, c’est l’organisation d’un système, pas la transparence. Et le bilan des morts Ehpad par Ehpad n’a aucun intérêt. On ne voulait pas stigmatiser ceux où il y avait des décès comme étant des mauvais Ehpad, car c’est rarement le cas », explique-t-il.
    Derrière les murs de la Rosemontoise, les pensionnaires vont enfin prendre leur première douche après un mois de toilettes à la va-vite pratiquées par des soignants débordés par le Covid. La plainte de Sébastien Lévêque n’est pas encore arrivée au siège de l’association Servir. Joël Goldschmidt ne prend pas ça « à la légère » − sa responsabilité de président pourrait être engagée −, mais il reste « serein ». Olivier Obrecht concède que les plaintes vont sûrement se multiplier à l’issue de l’épidémie : « Les contentieux sur la prise en charge sont liés à un défaut de communication. Les gens ont l’impression qu’on leur ment, alors ils attaquent en justice. »

    Ces plaintes déboucheront-elles sur des procès, celles de Valdoie, de Mougins, mais aussi de Clamart (Hauts-de-Seine), là encore contre Korian, ou de Chaville (Hauts-de-Seine) contre un Ehpad privé du groupe Villa Beausoleil ? « Les Ehpad n’auront pas de mal à démontrer qu’ils ont fait tout leur possible, veut croire Florence Arnaiz Maumé. Il leur sera facile de prouver que leur responsabilité n’est pas engagée. En revanche, il est certain que l’Etat a tardé à réagir », soutient la directrice générale du Synerpa. « Dans ce genre de dossier, on assiste souvent à une conjonction de défaillances », reconnaît un enquêteur. De fait, philosophe-t-il : « Quand un avion s’écrase, c’est rarement uniquement la faute du pilote. »

    #Ehpad #loi_du_silence

    • Pour celles et ceux qui veulent voir des #blouses

      Coronavirus : un million de blouses en tissu commandées pour les hôpitaux et les Ehpad ce Mercredi 22 Avril 2020
      https://fr.fashionnetwork.com/news/Coronavirus-un-million-de-blouses-en-tissu-commandees-pour-les-ho

      Paris, 22 avr 2020 (AFP) - Deux centrales d’achat hospitalières ont annoncé mercredi avoir commandé « plus d’un million de surblouses en tissu » destinées aux hôpitaux, cliniques et Ehpad publics et privés, qui en manquent cruellement pour faire face à l’épidémie de coronavirus.

      La pénurie de surblouses jetables en plastique risquant de durer « en raison d’une offre insuffisante à l’échelle mondiale », ce « programme commun d’achat » soutenu par le ministère de la Santé « vise à faire fabriquer, en quelques semaines, plus d’un million de surblouses en tissu », indiquent dans un communiqué le Resah et UniHA.

Les deux centrales d’achat ont d’abord sollicité trois entreprises de l’habillement (ALM-Halbout, Grandjard et Mulliez) avec qui elles sont déjà en contrat et qui produiront 580.000 unités « livrables de manière échelonnée d’ici la fin juin ».

      Elles ont par ailleurs lancé « un appel à participation » aux professionnels de la confection, via le comité stratégique de filière textile.

Un modèle en tissu « peut être lavé environ 100 fois », réduisant d’autant la consommation de blouses, dont il faut cependant assurer la collecte et le nettoyage.

Pour cela, des contacts ont été pris « avec les blanchisseries tant publiques que privées intervenant habituellement dans le traitement du linge hospitalier, afin de s’assurer qu’elles se préparent à être en capacité de faire face à la demande ».

      #EnMarche se #Réveil #Hôpital #Ehpad #ALM-Halbout #Grandjard #Mulliez

  • Corona Chroniques, #Jour36 - davduf.net
    http://www.davduf.net/corona-chroniques-jour36

    MATIN. #Korian est leader sur le secteur des Ehpad en France. 294 établissements, 30 000 lits, un patrimoine immobilier de 2 milliards, 136 millions d’euros de bénéfices — et une surmortalité suspecte. Ce matin, Libération a enquêté. Et c’est froid comme un dernier plateau-repas. Une employée résume : « Chez Korian, tout est conditionné par l’argent. On sait que le directeur a un fixe et un variable, aligné sur les économies qu’il va faire dans son établissement. » Et ça mange pas de (petit) pain, chez ces Gens-là (à 30 centimes l’unité, ceux au lait auraient été supprimés de certains petits-déjeuners). Jusqu’à ce que des familles portent plainte et que Korian dévisse en bourse.

    A 10h08, BFM Business claironne : c’est justement le moment ou jamais d’acheter du Korian ! (Un ami, la semaine dernière : « pour ta plongée de fin du monde, tu devrais regarder cette chaîne, ça va te distraire » — en un mot, BFM Business c’est la même vision du monde que BFM, mais sans s’encombrer de nuances). Sur l’écran, une aiguille de tableau de bord s’affole dans le vert, le cadran va de gauche à droite, du rouge VENDRE à RESTER A l’ECART en rose, pour passer par NEUTRE, CONSERVER, et finir par le graal vert prairie : ACHETER. Au téléphone, un marchand déballe son tapis : de la mastodonte comme ça, à prix d’ami, il faudrait être couillon pour pas se baisser. Selon l’adage, le malheur des uns fait le bonheur du petit porteur.

    Leçon de boursicotage. Grâce à « une surmédiatisation à cause de deux ou trois Ehpad, où il y a eu énormément de décès », le titre Korian ne vaut donc plus rien. Et cette conjoncture, faut voir loin, faut voir long terme, ces morts « c’est quand même marginal à l’échelle du groupe » note le commerçant. Et si, bien sûr, « le business doit s’adapter et c’est compliqué, beaucoup d’établissements ne peuvent plus prendre de résidents » (comprendre le non-dit : rupture de stock) c’est justement ça qui est juteux, vous voyez pas, la voilà l’affaire, le voilà le vert : ces résidents qui meurent et qui manquent (à gagner), « ce sera passager ». « Tout ceci devrait finir par se tasser, je ne sais pas si ce sera à la fin du #confinement, mais les activités pourront reprendre leur cours. Et on retrouvera à ce moment-là un business, toujours le même, un business solide, en croissance. » Et en avant le mouroir-caisse.

    Malicieuse, l’équipe d’Arrêt sur Images rappelle que les rédactions de Libération et de BFM appartiennent au même milliardaire et se partagent le même immeuble. Pendant que le chroniqueur télé remballe sa camelote, on s’interroge : dans l’éco-système investigation / profits boursiers, qui sortira gagnant ? Ceux en quête de liquidités ou ceux en quête de vérité ? Le propriétaire des deux, metteur en scène de toute la scène ? Vertiges. Et si c’était ça, la morale de l’histoire ? Dans sa folie meurtrière, le Covid-19 a aussi du bon. Il remet la réalité à sa place, et son sens premier à la guerre économique.

  • « L’âpre combat d’une équipe médicale face à un virus indomptable » : quand un infectiologue raconte ses indignations
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/18/l-apre-combat-d-une-equipe-medicale-face-a-un-virus-indomptable-quand-un-inf

    Dans sa chronique, Frédéric Potet, journaliste au « Monde », revient sur le carnet de bord tenu au temps du Covid-19 par le professeur Louis Bernard, praticien au service des maladies infectieuses du CHU de Tours.

    Chronique. Le matin tôt, avant de partir sauver des vies à l’hôpital, le professeur Louis Bernard écrit. L’aube ne va pas tarder, le café coule dans la machine : stylo à la main, le praticien relate sa journée de la veille au service des maladies infectieuses du CHU de Tours, unité qu’il dirige depuis 2009. Publié sur le site Internet de France Bleu Touraine, son « Journal d’un médecin » n’est qu’un témoignage parmi d’autres au milieu du grand feuilleton national des ravages du Covid-19, qu’offrent à lire les médias depuis le début de l’épidémie. Celui-ci prend aux tripes, il émeut et bouscule. Louis Bernard a la plume aussi acérée que la lame d’un bistouri.

    Ecrits au présent, ses courts billets racontent l’âpre combat d’une équipe médicale face à un virus indomptable, qualifié, ici, d’ « araignée tissant inexorablement sa toile au milieu des poumons » , là de « loup » frappant aux portes des bergeries que sont les Ehpad. Agé de 57 ans, le professeur Bernard dépeint également une autre bataille, celle qu’il mène au jour le jour contre un ennemi de l’intérieur : les normes, ces « fichues normes » qui l’empêchent d’exercer la médecine comme il le souhaiterait, dans l’urgence d’une situation exceptionnelle.

    Alors le médecin s’indigne. Il s’indigne contre l’interdiction faite aux proches d’une malade, à l’article de la mort, de lui « tenir la main jusqu’au dernier souffle » . « Nous pouvions équiper la famille, l’habiller, la protéger de l’épidémie. Où était le problème ? » , s’offusque le praticien. La dame s’est éteinte dans la solitude : « Son corps a été mis dans un sac. Hermétique. Selon les normes. Une mise en bière immédiate. Selon les normes » , écrit-il.

    Découverte de « l’horreur »

    Louis Bernard s’indigne également d’ avoir dû attendre trois semaines, et la rédaction d’un décret ministériel , pour pouvoir monter une structure d’intervention dans un Ehpad situé à seulement 700 mètres de l’hôpital Bretonneau, où il exerce. Quand il finit par pénétrer dans le bâtiment avec une équipe de gériatres, d’infectiologues et de spécialistes en soins palliatifs, il découvre « l’horreur » : cinq morts, 26 retraités positifs, dont 10 graves, un tiers du personnel touché, des résidents ne pouvant « avoir accès à l’eau, aux soins, faute de professionnels pour les accompagner » , constate-t-il.

    « J’appelle les services de l’Etat pour expliquer et demander de l’aide. Réponse : “Oui, oui, nous sommes au courant, nous allons prendre des mesures.” Quand ? Où est la réserve sanitaire ? Pourquoi aucune prévention, aucune réaction ? » , fustige-t-il avant de dénoncer l’indifférence collective dans laquelle se déroulent de pareils drames. « Sur la route du retour, je repense à ces drones qui repèrent ceux qui trichent avec le confinement. Ces drones ne voient pas nos aînés qui tendent leur solitude oubliée vers un verre d’eau. Honte à nous » , assène-t-il dans son carnet de bord.

    Ancien chef de clinique à Paris, Louis Bernard incrimine surtout l’agence régionale de santé (ARS), située à Orléans, à 120 kilomètres de Tours, dont il dénonce, sans ambages, le « grand pouvoir de nuisance » à travers « ces fameuses procédures, totalement anachroniques » , qui « étouffent le bon sens et donc l’efficacité » . Peu importe que la raison impose l’envoi de renforts dans les Ehpad et de tests pour les personnels y travaillant : « La réponse de l’ARS (…) : nous allons évaluer la situation. Faites-nous l’inévitable “retex”. Le retour d’expérience. Encore une procédure » , se désespère l’infectiologue.

    L’inertie du mille-feuille

    A l’instar de son collègue neurochirurgien du CHU de Tours, Stéphane Velut, auteur d’un court essai (L’Hôpital, une nouvelle industrie, collection « Tracts », Gallimard) dans lequel il explique comment le langage des sphères de la communication et de l’économie s’est introduit dans le secteur hospitalier (Le Monde des 22-23 mars), Louis Bernard instruit le procès, plus large, d’une stratégie d’Etat, victime de l’inertie du mille-feuille : « Notre système de santé était déjà à genoux bien avant cette crise. Une restriction, drastique, quotidienne, depuis dix ans. Du pain sec et de l’eau. Une tarification à l’activité. Inadaptée, spéculative, qui s’alourdit encore face à un système pyramidal, amorphe ou peu réactif. Des formulaires à remplir pour tout et pour rien avec pour réponse l’attente. »

    Et le chef de service d’enfoncer le clou : « Jeter à la figure du personnel hospitalier, héroïque en ce moment plus encore que d’habitude, que l’on maintient des projets de fermeture de lits en pleine épidémie est vraiment incroyable. »

    Dans son Journal, Louis Bernard se fend aussi de considérations plus positives. Comme l’admiration qu’il porte aux infirmières, aides-soignantes et assistantes sociales de son service. Ou l’espoir qu’il nourrit dans la transfusion de plasma de patients immunisés, expérience testée à Paris : « Si cela fonctionne, l’histoire pourrait être alors très belle : des enfants porteurs de ce virus de mort le transmettent inconsciemment à leurs parents. Et c’est le sang de ces parents immunisés après avoir développé la maladie que l’on injecterait aux anciens pour les protéger et les sauver. Avec, au finish, une image nocturne souriante : celle de ces enfants, guérisseurs insouciants, courant librement dans un monde moins pollué et plus humain. »

    L’idée de consigner ainsi son ressenti est venue à Louis Bernard « par analogie » , explique-t-il lors d’un entretien téléphonique, en pensant à son grand-père maternel, qui tint un carnet sur le front de la première guerre mondiale. Comme pour Emmanuel Macron, la terminologie militaire fait sens, chez lui, pour combattre le nouveau coronavirus.
    Sa dénonciation « d’un commandement aléatoire possédant une connaissance du terrain médiocre » ne lui a pas valu de remontrances, pour l’heure, de la part de sa hiérarchie. « Je vis Covid. Personne ne va venir me chercher, là où je suis », dit-il en guise de plaisanterie.

    #CHU #Ehpad #ARS #normes #T2A #nuisibles

    • Louis Bernard s’indigne également d’ avoir dû attendre trois semaines, et la rédaction d’un décret ministériel , pour pouvoir monter une structure d’intervention dans un Ehpad situé à seulement 700 mètres de l’hôpital Bretonneau, où il exerce. Quand il finit par pénétrer dans le bâtiment avec une équipe de gériatres, d’infectiologues et de spécialistes en soins palliatifs, il découvre « l’horreur » : cinq morts, 26 retraités positifs, dont 10 graves, un tiers du personnel touché, des résidents ne pouvant « avoir accès à l’eau, aux soins, faute de professionnels pour les accompagner » , constate-t-il.

      l’équivalent au canada soulève actuellement un tollé, en france quedalle

  • Comment les Allemands comptent-ils les #décès liés au Covid-19 ? - Libération
    https://www.liberation.fr/checknews/2020/04/09/comment-les-allemands-comptent-ils-les-deces-lies-au-covid-19_1784630

    Certains commentateurs avaient émis l’hypothèse, pour expliquer la mortalité plus basse qu’ailleurs, que l’#Allemagne ne comptait comme victimes du #-19 que les patients décédés directement de la maladie. Supposition inexacte, selon l’Institut Robert Koch. Les 1 861 morts comprennent « aussi bien les personnes qui sont mortes directement de la maladie que les patients atteints de maladies sous-jacentes qui ont été infectés par le Covid-19 et pour lesquels il n’est pas possible de déterminer clairement la cause finale du décès ».

    Concernant les tests post-mortem, une porte-parole de l’institut nous indique que « les patients décédés qui n’ont pas été testés pour le Covid-19 au cours de leur vie mais qui sont soupçonnés d’être morts du Covid-19 peuvent être testés pour le virus post mortem ». En théorie, des tests post-mortem peuvent donc avoir lieu, mais l’institut Robert Koch indique qu’il ne dispose pas du nombre de tests post-mortem effectués en Allemagne : « Nous ne recevons que les résultats des tests eux-mêmes », sans distinction de l’état du malade (toujours en vie ou décédé).

    En #France, les chiffres communiqués font la distinction entre les morts en milieu hospitalier ou en Ehpad… tandis que les morts à domicile ne sont pas encore comptabilisés. Ces distinctions n’apparaissent pas dans les données de l’Institut Robert Koch. Les personnes qui meurent dans les maisons de retraite ou à domicile sont comptabilisées dans ses statistiques, ou le RKI ne compte que ceux qui meurent à l’hôpital ? L’institut recense « tous les cas où le Covid-19 a été confirmé par des diagnostics de laboratoire », qu’importe le lieu du décès.

    Enfin, nous avons interrogé l’Institut Robert Koch sur un cas particulier : si cinq personnes meurent dans une maison de retraite mais qu’une seule a été diagnostiquée auparavant, le RKI compte-t-il un mort ou cinq ? En France, selon la doctrine appliquée depuis plusieurs semaines, les tests ne sont effectués que sur les premiers malades dans un #Ehpad. Le diagnostic se fait ensuite sur la seule base des examens cliniques. Ainsi, si un pensionnaire d’un Ehpad où un malade a été testé positif, décède en présentant les symptômes de la maladie, il sera considéré comme un mort possible du Covid, même s’il n’a pas été dépisté. Et comptabilisé parmi les victimes du virus. C’est ainsi que les autorités sanitaires évoquent chaque soir dans le bilan des morts en Ehpad les morts confirmés et les morts possibles. Rien de tel en Allemagne.

    « Selon la définition de référence actuelle, un seul cas confirmé en laboratoire serait compté – les autres seraient comptés uniquement s’ils peuvent être confirmés en laboratoire post mortem. Mais le RKI recommande des tests très larges, en particulier pour les foyers dans les maisons de retraite, de sorte que dans un tel contexte, tous devraient effectivement être testés. »

  • L’hécatombe du Covid-19 parmi les personnes âgées : colère et indignation !
    http://solidaires.org/L-hecatombe-du-Covid-19-parmi-les-personnes-agees-colere-et-indignation

    C’est dans les rangs des retraités qu’on comptera le plus de victimes, en EHPAD, à domicile, à l’hôpital. Pour enrayer la propagation de la maladie, l’urgence est de remédier à la pénurie de moyens, de personnels, de lits et de respirateurs dans les hôpitaux et, partout, de gants, masques, écrans faciaux, lunettes, blouses, gel hydro-alcoolique, ... afin que les personnels soignants et de service se protègent et protègent les résidents et patients.
    Il est désormais urgent que l’ensemble des personnes âgées puisse avoir accès aux tests de dépistage permettant l’accès aux soins pour les malades et le déconfinement pour ceux qui ne le sont pas.

    Tiens, dans le « groupe des 9 » qui publie ce communiqué, personne de la CFDT, qui signe des communiqués communs pour la bonne marche de l’économie avec le Medef.
    https://www.ouest-france.fr/economie/entreprises/crise-du-coronavirus/coronavirus-pour-le-medef-et-la-cfdt-face-la-crise-l-heure-est-au-rasse

    #Ehpad

    • C’est suffisamment rare et inhabituel pour être souligné : le président du Medef des Pays de la Loire, Samuel Tual, et la secrétaire régionale de la CFDT, Isabelle Mercier [...] cosignent un communiqué commun, ce mercredi 8 avril 2020

      Ils ont la mémoire courte chez ouest-torchon, les retraites, la loi travail etc...

      Il est essentiel que, dans un avenir le plus proche possible, la vie économique et sociale de la Nation puisse être progressivement restaurée. Il en va de l’avenir de notre pays, de notre région, de nos entreprises et de ses emplois.

      « De la méthode construite aujourd’hui dans le dialogue dépendra la solidité des réponses qui permettront ensuite de s’adapter à d’éventuelles répliques. »

      et de la solidité de ceux qui seront passés entre les gouttes.
      dans l’entretien avec I.Mercier

      Les plus vulnérables, CDD, intérimaires, stagiaires, apprentis, sont en première ligne…

      Pour eux, c’est catastrophique. Moins structurés, les précaires trinquent encore plus. C’est la double peine. Même s’il est fondamental et nécessaire de donner des aides aux entreprises, il faut aussi se mobiliser pour la masse silencieuse, alors que les associations ont du mal à fonctionner à cause du confinement.

      si même la CFDT dit ça...

    • Depuis que la CFDT plaide pour les « réformes » néolibérales, elle le fait en prétendant les orienter de façon à ouvrir de nouveaux droits à des salariés non garantis, « exclus ». C’est un reste de ce souci social extra professionnel et interprofesionnel post-déconfesionalisation qui avait fait de ce syndicat un des fers de lance des luttes d’immigrés (OS) et de femmes (ces couches dominées du salariat avaient ainsi pu faire usage de ce syndicat). Premiers « syndicats de chômeurs », et rares expérience de syndicalisation par bassin d’emploi, par delà les entreprises, statuts, etc. Les derniers y ont été les premiers dans l’après 68, en conjonction avec des couches qualifiés modernistes. Et cela donne encore, à l’occasion, un type de prise en compte des dégâts du progrès de la précarisation effectivement plus consistant que chez les autres syndicats.

  • Tragédie à huis clos à la maison de retraite de Mougins | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/france/080420/tragedie-huis-clos-la-maison-de-retraite-de-mougins

    SANTÉ ENQUÊTE
    Tragédie à huis clos à la maison de retraite de Mougins
    8 AVRIL 2020 PAR HÉLÈNE CONSTANTY

    34 personnes sont mortes à la maison de retraite La Riviera de Mougins, dans les Alpes-Maritimes. Cet établissement est géré par le groupe #Korian fortement mis en cause pour son absence de réaction et d’information. Parmi les personnes survivantes, 33 sont atteintes par le virus.
    Dans cette maison de retraite sans charme, à la façade de béton couleur saumon, édifiée dans les années 1980 en bordure de la voie rapide qui relie Cannes et Grasse, le virus a tué avec la facilité d’un loup dans une bergerie.

    Le premier décès d’un malade atteint du Covid-19, intervenu le 15 mars en fin de journée, a été signalé à l’Agence régionale de santé (ARS) le 17 mars. Deux jours plus tard, l’établissement déclarait deux nouveaux décès. Conformément au Plan bleu, qui détaille les modalités d’organisation à mettre en œuvre en cas de crise sanitaire, la maison de retraite était dès lors considérée comme un foyer de propagation du virus.

    Elle était censée réorganiser les lieux, en séparant les malades des bien-portants, pour empêcher la contamination. Mais l’architecture du bâtiment, sur quatre étages autour d’un grand hall central, n’a pas permis pas de créer deux secteurs bien distincts, avec un secteur réservé aux malades du Covid-19 isolés de manière étanche des autres résidents.

    « Dès le 16 mars au matin, après le premier cas de Covid-19 confirmé, le directeur régional s’est rendu sur place pour s’assurer du renforcement des mesures barrières et de la mise en place du confinement en chambre. Un étage entier de onze lits a été réservé au quatrième étage pour accueillir les résidents symptomatiques », précise un porte-parole de Korian, dans une réponse écrite à nos questions. À partir du 20 mars, les nouveaux malades n’ont plus été testés.

    Pendant que l’épidémie se propageait, les familles ignoraient tout. Depuis le 6 mars, toute visite est interdite par Korian, qui a anticipé les recommandations faites par le gouvernement une semaine plus tard. Les proches des résidents, inquiets, n’ont plus que le téléphone pour prendre des nouvelles.

    La première semaine du confinement, Josy B. téléphone pour s’enquérir de l’état de santé de son père, âgé de 93 ans, hébergé à La Riviera depuis cinq ans. Une jeune femme lui répond que son père est très faible, qu’il est tombé et s’est ouvert le front, mais ne présente pas de signe de Covid-19. Josy, inquiète, insiste pour que la maison de retraite appelle le 15, comme le recommandent alors les autorités sanitaires. Son père est emmené aux urgences d’une clinique voisine, où il est testé positif au Covid-19. Il y décèdera quelques jours plus tard, le 22 mars.

    « Le lendemain, j’ai appelé la maison de retraite pour les prévenir. Un quart d’heure plus tard, je recevais sur ma messagerie le solde de tout compte ! » Choquée par le manque de soins dont son père a été victime et par la défaillance de Korian en matière de communication avec les familles, Josy envisage de porter plainte.

    Pendant quinze jours, les personnes âgées meurent donc en silence à La Riviera. Rien ne filtre du drame qui se joue à l’intérieur. Jusqu’à ce que Nice Matin, alerté par des riverains, mène l’enquête et se fasse confirmer par l’ARS des informations sur le nombre de décès… Mardi 31 mars, le quotidien consacre sa une à l’Ehpad de Mougins, sous le titre « Coronavirus, douze morts à la maison de retraite », illustrée de la photo d’un corbillard quittant l’établissement.

    Dès lors, Korian ne peut plus cacher la vérité. Le groupe cherche juste à limiter les dégâts en termes d’image, alors que son cours de bourse dégringole. En un mois, l’action Korian, cotée sur le marché parisien Euronext, a perdu la moitié de sa valeur, tombant de 45,50 euros le 19 février à 26,12 euros le 17 mars. Le 31 mars, elle est faiblement remontée à 28,28 euros. Une catastrophe pour le premier groupe privé de maisons de retraites médicalisées, dont le cours de bourse constitue l’alpha et l’oméga.

    « Toutes nos pensées vont vers les familles en ces moments douloureux. Elles sont informées régulièrement, dans une volonté de transparence […]. En revanche, dans l’information des familles, nous ne rentrons pas dans un décompte », explique un porte-parole du groupe, cité par Nice Matin le 31 mars.

    Ce que Korian ne dit pas, c’est que le directeur de l’Ehpad La Riviera et son médecin coordonnateur sont eux aussi malades et absents depuis le début de l’épidémie. « Dès la première semaine, c’était un bateau sans capitaine. Les personnes décisionnaires ayant dû être écartées, la prise de décision est devenue compliquée. Ils n’ont sans doute pas été relayés efficacement au niveau régional et national », déplore Richard Galy, le maire de Mougins. Lui-même médecin généraliste, l’élu LR a pris contact, dès le début du confinement, avec toutes les maisons de retraite de sa commune afin de connaître leurs besoins et coordonner les actions avec l’ARS. « Lorsque j’ai su que le virus circulait dans l’établissement, j’ai demandé que tout le monde soit testé, à la fois les résidents et le personnel. Mais rien n’a été fait jusqu’au 6 avril », constate-t-il.

    Le 31 mars, une réunion d’urgence a été organisée entre la préfecture, la mairie, l’ARS et Korian, au cours de laquelle le manque de réactivité de ce dernier a été pointé. « La réaction du groupe Korian n’a pas été aussi rapide que nous l’aurions souhaité face à la gravité de la situation. […] Des mesures barrières n’ont pas été prises », regrette Anne Frackowiak-Jacobs, la sous-préfète de Grasse, citée par Nice Matin.

    L’administration reproche notamment au gestionnaire de n’avoir pas donné suite à deux préconisations de l’ARS : solliciter l’équipe mobile d’hygiène d’un centre hospitalier voisin et recourir à un service d’hospitalisation à domicile, afin de soulager les équipes soignantes de l’établissement.

    Le groupe Korian assure avoir « sollicité à deux reprises une équipe mobile d’hygiène qui n’est jamais venue ». Le centre hospitalier de Grasse n’a pas souhaité répondre à nos questions à ce sujet. En matière d’hospitalisation à domicile, les ressources existaient pourtant, dans un département encore peu touché par le virus. Le 6 avril, il n’y avait que 80 patients atteints du Covid-19 en réanimation dans les Alpes-Maritimes et un total de 47 décès en milieu hospitalier.

    « L’Ehpad de Mougins n’a pas souhaité faire appel à nos équipes »

    À vingt kilomètres de Mougins, l’Institut Arnault-Tzanck dispose d’un service de pointe en matière d’hospitalisation et de soins infirmiers palliatifs à domicile, avec des équipes actives dans l’ensemble du département des Alpes-Maritimes, capables de prendre en charge des centaines de malades. « Dès que nous avons appris l’existence des premiers cas suspects de Covid-19, nous avons dit à l’ARS que nous étions disponibles et nous avons contacté tous les Ehpad pour leur proposer nos services. La direction régionale de Korian nous a répondu qu’elle “gérait”. L’Ehpad de Mougins n’a pas souhaité faire appel à nos équipes, ni pour les malades du Covid-19 qui auraient pu bénéficier d’hospitalisation à domicile, dans leur chambre de la maison de retraite, ni pour les #soins_palliatifs », précise Michel Salvadori, le directeur de l’Institut Arnault-Tzanck.

    Ce n’est sans doute pas un hasard si le virus a causé de tels ravages dans cette maison de retraite de Mougins en particulier. Au sein du groupe Korian, La Riviera a la réputation d’un établissement à problèmes, marqué par des difficultés de recrutement de personnel soignant et un absentéisme chronique, dans lequel les cadres ne restent pas longtemps. Pas moins de six directeurs s’y sont succédé ces cinq dernières années !

    L’un d’eux, Jean Arcelin, y a laissé tellement de plumes qu’il a quitté la profession, dégoûté, et écrit un livre poignant, Tu verras maman, tu seras bien (Éditions XO, mars 2019), dans lequel il témoigne de sa descente aux enfers. Ni Korian ni La Riviera ne sont nommés, mais c’est bien là que Jean Arcelin a pris ses fonctions, en juillet 2015 et travaillé jusqu’en 2017. Les circonstances mêmes de son arrivée sont révélatrices. Dans un chapitre intitulé « Les vers », Jean Arcelin raconte qu’il a pris son poste après le décès d’une résidente dans des conditions particulièrement sordides, survenu peu de temps auparavant. Un « événement indésirable grave » ou EIG, dans le jargon des Ehpad…
    Voici comment, selon l’auteur, la directrice régionale lui a présenté les faits : « La résidente était en fin de vie, avec des escarres au dernier stade. Les pansements ont été mal faits ou pas changés à temps. C’est l’été, les fenêtres restent ouvertes et des mouches sont entrées dans la chambre. La résidente a été hospitalisée parce que des vers sont apparus dans les plaies. Elle est décédée il y a quelques jours d’une septicémie à la clinique de Mougins. Comme je vous l’ai dit, la famille l’a appris par quelqu’un de l’équipe, parce que l’hôpital ne donne pas ce genre de détail. Évidemment, c’est mauvais pour l’image de l’établissement. »

    Selon Jean Arcelin, l’une des raisons des difficultés rencontrées à Mougins tient à la conception même du bâtiment, tout en hauteur, conçu pour des personnes âgées valides. Le lieu, qui a beaucoup vieilli, accueille maintenant des personnes de plus en plus dépendantes. Mais au-delà du problème architectural, c’est la gestion même du groupe Korian qu’il met en cause. Il dénonce la faiblesse des moyens alloués aux soins et à la nourriture, au regard des sommes versées par les résidents dans cet établissement (3 000 euros par mois en moyenne).

    « J’avais 120 résidents, mais seulement deux soignants la nuit, de 20 heures à 7 heures du matin. Il faut imaginer ce que ça donne, les résidents ayant un mauvais sommeil. Les deux tiers dorment, mais un tiers ne dort pas », dit-il dans un témoignage vidéo publié par l’Obs. Selon lui, la maltraitance dont sont victimes les personnes âgées est due au manque de moyens, lui-même causé par la recherche du profit par les établissements privés. « J’avais 4,35 euros pour nourrir un résident pendant 24 heures. Que l’on me demande de changer ma baguette de boulanger pour une baguette industrielle qui n’était pas bonne et causait des problèmes de déglutition m’était insupportable », dit-il. Dans le même temps, les directeurs subissent une pression permanente pour dégager une rentabilité maximale.

    Accablé par cette gestion contraire à son éthique personnelle, Jean Arcelin, victime d’un burn out, a préféré quitter la profession et retourner à son ancien métier de vendeur automobile.

    Après son départ, plusieurs directeurs se sont succédé. L’avant-dernier, touché par le Covid-19, était arrivé en août 2019. Depuis son arrêt médical, c’est le directeur régional qui a pris les rênes de la maison de retraite, dans le climat délétère causé par le virus.

    La règle dans le groupe est de ne pas communiquer sur la réalité de la situation sanitaire. « On a comme consigne de ne jamais répondre à un journaliste, dit encore Jean Arcelin dans un entretien publié par le site Atlantico. Quand un journaliste appelle, il doit passer par la cellule presse qui lui donne des éléments de langage, comme un homme politique. Qu’est-ce qu’il y a à cacher ? »

    Ce manque de communication revient comme un leitmotiv dans les récriminations des familles des résidents de La Riviera, comme Robert Fanna, un habitant de Mougins dont la mère, âgée de 89 ans, atteinte de la maladie d’Alzheimer et le frère, 65 ans, handicapé par une sclérose en plaques, y résident tous deux.

    « C’est voyant la une de Nice Matin, le 31 mars, que j’ai réalisé qu’il se passait quelque chose de grave. Pourtant, j’ai l’habitude de téléphoner tous les deux jours. On me disait que tout allait bien. J’ai immédiatement demandé à notre médecin de famille de se rendre sur place. Il était le seul à pouvoir entrer, puisque les visites des familles sont interdites. Il m’a dit que maman allait bien mais que mon frère était alité, fiévreux, délirant, avec des difficultés à respirer. Nous avons réussi à le faire hospitaliser au centre médico-chirurgical Arnault-Tzanck, où il a été testé positif au Covid-19. Il est entre la vie et la mort. J’en veux à Korian de nous avoir caché la vérité et j’espère que les familles dont les parents sont décédés iront porter plainte », dit Robert Fanna.

    Le porte-parole du groupe Korian conteste toute défaillance dans la communication avec les familles, tout en reconnaissant avoir rencontré des difficultés : « Le directeur de l’établissement a prévenu personnellement l’ensemble des familles de la présence du Covid-19 le 16 mars, après le diagnostic confirmé d’un premier cas. Ensuite, les situations individuelles ont été suivies au cas par cas, l’équipe habituelle étant elle-même pour partie touchée par l’épidémie et remplacée, ce qui a pu préjudicier à la régularité des contacts. Je précise que les équipes soignantes n’informent que le référent familial ou la personne de confiance, et non l’ensemble des membres de la famille. »
    À ce jour, une plainte contre X pour mise en danger de la vie d’autrui a été déposée auprès du procureur de la République de Grasse, qui a ouvert une enquête préliminaire. D’autres pourraient suivre.

    #Ehpad

  • Des familles se battent face à des directions d’Ehpad muettes | Mediapart
    https://www.mediapart.fr/journal/france/080420/des-familles-se-battent-face-des-directions-d-ehpad-muettes
    Évacuation d’un corps dans un Ehpad de Mulhouse, le 5 avril 2020. © SEBASTIEN BOZON / AFP

    La transparence est loin d’être de mise dans les Ehpad. Des familles reprochent aux directions de plusieurs établissements privés qu’une chape de plomb se soit abattue sur l’état de santé de leurs parents, parfois même jusqu’à leur décès. Le groupe no 1 #Korian est particulièrement visé.

    Pour nombre de familles, les maisons de retraite se sont transformées en véritables boîtes noires. Confinés depuis le 6 mars, et pour nombre d’entre eux dans leurs chambres depuis le 17 mars, les résidents des Ehpad vivent coupés de leurs proches. Parfois même quand la maladie, voire le décès, survient. La règle, quand une épidémie est là, est pourtant d’informer les familles, a fortiori quand le plan bleu est déclenché (voir ici et ici la marche à suivre fournie par les agences régionales de santé).

    Cette absence de transparence, c’est ce que vit Laura Marquez et sa famille. Sa grand-mère, 86 ans, est résidente de la Fondation Rothschild (établissement de santé privé à but non lucratif), à Paris, où au moins trente-quatre personnes sont décédées depuis le début de l’épidémie. « C’est en appelant pour l’appareil auditif de ma grand-mère qu’une aide-soignante nous a informés qu’elle était malade. Le lendemain, en rappelant, une soignante nous a annoncé qu’elle avait été testée positive au Covid-19. Cela a été un choc pour ma mère. Il n’y a eu aucun protocole d’annonce et si nous n’avions pas insisté, quand l’aurions-nous su ? »

    Depuis presque une semaine, Laura et ses proches ne cessent de téléphoner à la Fondation pour prendre des nouvelles. « Impossible de joindre qui que ce soit, ni le standard, ni le médecin, ni les infirmières de l’étage. Personne ne répond au téléphone. Nous sommes dans l’angoisse que sa situation se dégrade. » 

    Mardi 7 avril, la famille réussit enfin à joindre le médecin. « On tente de nous rassurer sur les résidents qui ont guéri, son état est stable et on a enfin pu la voir par Skype mais cette lutte pour obtenir des informations ne présage rien de bon. Si elle décède, rien n’est mis en place pour que nous restions en contact et l’accompagner un minimum. C’est ce qu’il y a le plus dur à vivre pour nous. »

    Interrogée sur ces dysfonctionnements, la Fondation Rothschild ne nous a pas rappelés. Mediapart a eu connaissance d’un défaut d’information aux familles similaire, dans le même établissement, pour un résident finalement décédé, cette semaine.

    Dans ce flot de témoignages reçus par Mediapart, le groupe privé Korian, numéro un du secteur des Ehpad, est particulièrement critiqué pour sa gestion opaque de la maladie et des décès (voir à ce sujet notre enquête sur le cas de Mougins, dans les Alpes-Maritimes). Car si les trois cents Ehpad du groupe en France ne sont pas tous soumis au même régime, dans certains établissements, même en dehors des gros foyers d’infection comme le Grand Est ou l’Île-de-France, c’est l’hécatombe.

    À Thise, dans le Doubs, vingt-cinq résidents sont décédés au mois de mars, même si le maire, interrogé par Mediapart, rappelle que l’épidémie semble désormais localement reculer. À Mougins, dans les Alpes-Maritimes, trente-quatre morts sont à déplorer. À Villers-sous-Saint-Leu, dans l’Oise, environ vingt décès, que les familles des résidents ont découverts pour certains par voie de presse, selon cet article du Parisien.
    La situation serait également « catastrophique » à Saint-Jean-de-Losne, en Côte-d’Or, ou à Pollionnay, près de Lyon, où l’Ehpad a connu treize décès consécutifs. Questionné sur le nombre de décès par établissement, le groupe Korian n’a pas souhaité répondre, rappelant qu’il est communiqué via la plateforme mise en place par Santé publique France aux autorités.

    En Île-de-France, c’est l’établissement Korian de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) qui a défrayé la chronique. « Il y a dix-neuf décès pour 84 résidents, rapporte Nadia Boutmar, déléguée syndicale CGT en charge du secteur. Il y a eu des failles pour en arriver là. C’est un Ehpad où c’est un peu la pagaille, avec une seule directrice pour deux établissements, un sur la commune de Louveciennes, et un autre à Saint-Germain, avec énormément de personnels vacataires, et une dizaine au moins de salariés contaminés. » 

    Selon Korian, un nouveau directeur était en cours de prise de poste à Saint-Germain-en-Laye au début du mois de mars. « Sa prise de fonction a été effective au 15 mars », nous a répondu le groupe, qui dément une majorité de vacataires parmi les effectifs mais concède que depuis le début du mois de mars, compte tenu des absences maladie, « des remplaçants ont été mobilisés sur le site pour assurer la continuité des soins ».

    Interrogé sur plusieurs dysfonctionnements, Korian nous a répondu par courriel que « dans cette période épidémique et de confinement », les établissements du groupe s’efforçaient de maintenir un « lien régulier personnalisé, par téléphone, ou par mail, avec chaque référent familial et d’informer régulièrement [les familles] sur la situation et la vie de l’établissement ». Depuis le 1er avril, une cellule d’écoute familiale dédiée a d’ailleurs été mise en place pour « épauler les équipes très sollicitées dans cette période ».

    Le récit de Richard Percevault n’est cependant guère rassurant. Cet homme a perdu sa mère, résidente de l’Ehpad Castel-Voltaire à Châtillon dans les Hauts-de-Seine, le 25 mars. Il a encore du mal à y voir clair et a tenu à consigner, par écrit et avec l’aide de son frère, la chronologie des faits. Au téléphone, il prévient : « D’habitude, je suis plutôt un calme, mais ce que nous avons vécu est dingue, il faut que cela se sache. »

    L’établissement où vit sa mère a, comme les autres, stoppé les visites le 6 mars, puis appliqué un confinement strict en chambre, le 17 mars, pour éviter la propagation du virus. Trois jours plus tard, premier coup de téléphone, la mère de Richard doit subir un prélèvement nasal, car elle semble être touchée par le Covid-19.

    Le 23 mars, sans aucune nouvelle du résultat, son fils contacte l’établissement, qui ne peut le renseigner. Le lendemain, un courriel informe l’ensemble des familles qu’un cas a été diagnostiqué et la personne hospitalisée. « Mais toujours aucune nouvelle de notre maman », rapporte Richard. Le 24 mars, une personne à l’accueil lui explique confusément que sa mère est partie à l’hôpital. Elle est finalement décédée le jour suivant, dans la résidence. Ces péripéties morbides ne s’arrêtent pas là.

    Alors que la famille Percevault se met d’accord pour une crémation avec les pompes funèbres le 2 avril, Richard et son frère apprennent le 1er avril que la mise en bière a eu lieu le jour du décès, dans l’Ehpad, donc le 25 mars. Le personnel des pompes funèbres, ayant estimé qu’il s’agissait d’un cas de Covid-19, avait appliqué le protocole de mise en bière immédiate. Mais personne n’a jugé bon de prévenir la famille. « Ma mère avait 93 ans, nous savions sa fin proche et inéluctable, raconte Richard Percevault. Mais le plus terrible, c’est de ne pas l’avoir revue, et de ne rien savoir du tout de ses derniers jours. » Korian a assuré à Mediapart le 8 avril « être en relation » avec cette famille.

    Olivia Mokiejewski a vécu le même black-out, dans l’Ehpad Bel-Air, situé à Clamart, à quelques kilomètres à vol d’oiseau de Châtillon. Alors que l’épidémie bat son plein dehors, elle remarque que l’animateur en charge du Skype avec les familles manipule la tablette, la passe de mains en mains, sans masque ni protection. « C’est comme si je voyais la contamination en direct, raconte Oliva Mokiejewski. Après cela, j’ai vu ma grand-mère s’affaiblir, se dégrader à chaque fois que je lui parlais. J’ai fait près d’une vingtaine de mails, sans réponse, à la direction et à l’ARS, pour qu’ils la testent, pour qu’ils la soignent. » Sa grand-mère est décédée le 4 avril.

    À force d’insister, elle a bien obtenu la visite d’un médecin, choisi par Korian, qui estime que tout va bien. Olivia Mokiejewski décide alors de faire rentrer l’un de ses proches, médecin également, dans l’établissement. Sa grand-mère s’avère être en réalité en détresse respiratoire, et le Samu l’emporte à l’hôpital, où elle sera testée positive au Covid-19. « Elle est arrivée dénutrie et de déshydratée, avec les deux poumons sévèrement touchés. Donc l’infection n’était pas récente », précise sa petite-fille, furieuse.

    Le 30 mars 2020, la veille du jour où Hermine rentre en soin intensif à l’hôpital, les familles de l’Ehpad Bel-Air reçoivent, d’après des informations obtenues par Mediapart, ce message de la directrice de l’établissement : « Comme vous le savez, l’équipe de la résidence Bel-Air est mobilisée en continu depuis plusieurs semaines pour mettre en place toutes les mesures de protection afin de limiter l’exposition de nos résidents au virus. À ce jour, grâce à cela, nous n’enregistrons aucun cas de coronavirus parmi nos résidents, ni nos salariés ». Le mail envoyé le 30 mars « tenait compte des informations à notre disposition à cette date », assure Korian. « Le premier diagnostic d’un cas de Covid au sein de l’établissement a été reçu le 1er avril au soir, et un nouveau mail est parti immédiatement aux familles. »

    Puis, Olivia reçoit un message de l’animateur de la résidence, l’informant que « sa grand-mère n’est pas disponible » pour un Skype. Pour cause, sa grand-mère est déjà à l’hôpital. D’après le travail d’enquête de France Inter mené sur cet Ehpad, au moins quatre soignants présentaient par ailleurs, lors de toute cette période, des symptômes du Covid-19, une aide-soignante ayant même dû être hospitalisée.

    Là encore, les familles n’en ont pas été informées. Les familles ont également appris que la directrice avait fait rentrer son enfant dans l’établissement, faute de mode de garde, ce que ne dément pas le groupe, d’après un courrier transmis à l’ARS.

    Lorsque l’on contacte Laurence, elle a passé la journée à tenter de trouver une solution pour hospitaliser son père malade. Il réside au même étage qu’Hermine, dans la résidence Bel-Air de Clamart et présente les symptômes du Covid-19. « Après le départ de cette résidente à l’hôpital fin mars, la moutarde m’est montée au nez, se souvient Laurence. J’ai appelé son médecin traitant qui a beaucoup hésité à venir, faute de protection adéquate. Elle a fini par décider par téléphone de le tester et de le mettre sous antibiotiques. »

    Le test, fait par prélèvement, est revenu négatif. « Lundi 6 avril, j’ai enfin eu un appel pour me dire que mon père n’allait pas bien, poursuit Laurence, manifestement secouée. C’est la première fois que j’ai le médecin coordonnateur au téléphone depuis que l’Ehpad est fermé aux familles, le 6 mars. Le premier mail que nous avons reçu de la direction date du 24 mars, et il nous dit que tout va bien ! Alors qu’à cette date, des salariés sont déjà malades ! »

    Pascal en avait lui aussi assez d’entendre le personnel lui dire que sa mère, 81 ans, était systématiquement « endormie », « à la toilette », à l’heure du Skype. Il a fini par avoir, mercredi 1er avril, un infirmier vacataire de l’Ehpad Bel-Air au téléphone, qui lui annonce que sa mère ne « va pas très bien ». « Elle toussait abondamment, avait le souffle très court et était dans un état de fatigue perceptible même au téléphone. » 

    Après plusieurs courriels comminatoires, il obtient que sa mère soit testée pour le Covid-19. « Les tests sont externalisés, il faut attendre trois jours, comment penser que pendant tout ce temps, son état ne va pas encore se dégrader ? », s’inquiète Pascal. En confiance auprès d’un cadre de santé et d’un agent d’accueil, il demande à les avoir au téléphone, mais tous les deux sont en arrêt maladie. « Ce qu’on reproche à Korian, c’est ça : d’avoir des informations, au hasard, par téléphone… » 

    Interrogé par Mediapart sur ces nouveaux éléments, le groupe Korian n’en démord pas : la grand-mère d’Olivia Mokiejewski « est la première personne à avoir été testée Covid 19, lors de son hospitalisation ».

    « Combien souffrent sans que les familles soient au courant ? »

    Nathalie* a placé en février, la boule au ventre, son père dans un Ehpad géré par Korian, dans l’Essonne. Elle avait déjà découvert, avant la crise du Covid, son parent, plusieurs jours après une chute, « des points de suture sur le crâne », sans avoir été informée d’un quelconque passage aux urgences. Depuis la fermeture des portes de l’établissement, les seules infos reçues tiennent dans un courriel, reçu le 20 mars, qui informe les familles de la contamination du médecin coordonnateur et de deux cas suspects parmi les résidents.

    Le mercredi 25 mars, elle joint son père au téléphone. Il tousse, respire mal, a de fortes douleurs. Faute de professionnel disponible dans l’établissement, Nathalie envoie sa propre généraliste dans l’Ehpad, qui ne peut guère faire autre chose que d’administrer de l’oxygène et des médicaments pour la douleur.

    Le soir même, la direction de l’établissement envoie un mail aux familles des résidents pour communiquer sur deux cas testés positifs, mais sans signes graves selon elle. Trois jours plus tard, le père de Nathalie décède. Les divers messages d’alerte de sa fille à la direction sont restés sans réponse, jusqu’à l’annonce de sa mort.

    Là encore, les détails de la fin de vie sont sordides. « Indiqué non Covid-19 initialement sur le certificat de décès fourni par l’établissement, les pompes funèbres sont venues mais l’ont ramené, car pour eux il était contaminé. Il fallait donc une mise en bière immédiate. Son corps a donc fait un aller-retour entre samedi et dimanche… », souffle Nathalie.

    Cette proche, confrontée au deuil dans des circonstances extrêmes, se dit cependant favorisée : « J’ai pu parler à mon père pour lui dire au revoir. On ne peut pas les sauver tous de ce virus. Et je sais que ma médecin l’a soulagé, à la fin. Mais combien souffrent sans que les familles soient au courant ? »

    Albert Papadacci, délégué central CGT du groupe Korian, fait le même constat d’un manque de transparence. « Les morts, ça fait peur aux investisseurs, à la bourse et à l’image de marque. » Les groupes privés, et Korian en tête, sont encore traumatisés par la diffusion, en 2018, d’un reportage accablant, sur France 2, qui montrait la maltraitance institutionnelle dans certains établissements.

    Mais selon le syndicaliste, le groupe refuse aussi de communiquer en direction de ses propres salariés sur sa situation : « Korian ne nous dit rien sur la contamination. Nous faisons comme on peut et de manière forcément parcellaire, par le biais de groupes WhatsApp, notre propre décompte pour y voir clair. » À ce jour, le syndicat CGT chiffre à 120 le nombre de morts chez les résidents de Korian. Mercredi 8 avril la CGT a annoncé sur son blog le décès d’une aide-soignante, salariée du groupe à Mulhouse, emportée par le Covid.

    Interrogé sur ces chiffres, le groupe répond à nouveau que les décès dont il a connaissance sont « communiqués sur la plate-forme ministérielle Santé publique France » et que depuis le 3 mars 2020, des réunions extraordinaires avec le CSE Central de Korian sont organisées pour permettre aux représentants du personnel « d’avoir toutes les informations nécessaires pour accompagner les équipes sur le terrain ».

    Pareille hécatombe ne surprend guère Albert Papadacci : « Nous étions en confinement strict le 17 mars, mais nous n’avons eu des masques que le 24 ! La direction écrit que l’ensemble des salariés est équipé de masques mais c’est faux. Nous savons que des cuisiniers, des lingères, des salariés du ménage n’en ont pas ! Korian se défausse sur les consignes de l’ARS, qui a longtemps expliqué que les masques étaient réservés aux soignants, mais c’est un jeu qui va finir par nous coûter cher. »

    Chez Korian, on répond que dès le 22 mars, après la levée des mesures de réquisition prises par l’État sur les masques et les équipements individuels de protection, « il a été décidé, après consultation des instances représentatives du personnel, d’imposer le port systématique et permanent du masque par l’ensemble du personnel dans tout le réseau médico-social, sur la base d’une dotation d’un masque toutes les 4 heures pour les soignants, un masque par jour pour les administratifs et des masques masques FFP2 pour les actes invasifs ».

    L’homologue d’Albert Papadacci dans le groupe Orpea (l’un des trois mastodontes du secteur avec Domus Vi), Guillaume Gobet, tente lui aussi de compiler des données : « L’ensemble du privé lucratif est dans le même bateau. Nous n’avons aucun retour sur le nombre de personnes contaminées ou les décès, sauf par voie de presse. » Le dirigeant d’Orpea, Jean-Claude Brdenk a ainsi estimé, dans Les Échos le 1er avril, le pourcentage de résidents testés positifs au Covid-19 dans ses structures à 0,5 %, et considère le nombre de décès dans ses établissements comparable aux années passées.

    « Nous avons eu un décès brutal, la semaine dernière, évacué à toute vitesse, rapporte pourtant Sophie *, pharmacienne dans une structure Orpea du Sud de la France. Le test a été négatif mais ce résident avait tous les symptômes du Covid, insuffisance respiratoire, température. Ce cas sera-t-il comptabilisé par le groupe ? Qu’est-ce que l’on a dit aux familles ? »

    Malgré la colère, Albert Papadacci chez Korian essaye de comprendre ce qui a déraillé, lui qui, il y a quinze jours encore, louait encore une direction générale qui « pour une fois, avait mis le paquet ». « Je pense encore qu’elle fait le maximum dans les consignes mais ce n’est pas suivi d’effets sur le terrain. Nous faisons face à des directeurs, localement, à qui on demande depuis longtemps d’avoir surtout l’œil rivé sur la facture. »
    Une famille, dont la parente réside, en bonne santé, dans un établissement Korian à Paris, met de son côté en garde contre la généralisation : « Attention aux procès d’intention. Il faut redire notre immense respect pour ce personnel qui s’occupe de nos parents, dans des conditions difficiles. »

    Laurence, depuis Clamart, s’estime tout à fait consciente de la complexité de l’exercice mais persiste : « On ne reproche pas à Korian que le Covid soit rentré. Ce que nous contestons, c’est cette attitude de déni, ce silence. Nous souffrons déjà de ne plus voir nos parents, nous savons qu’ils vont inexorablement baisser, c’est dur à vivre. Et en plus, on nous ment en nous disant que tout va bien. »

    #Ehpad #usines_à_caches

  • Corona Chroniques, #Jour23 - davduf.net
    http://www.davduf.net/corona-chroniques-jour23

    Dans les #Ehpad, c’est l’hécatombe. Plus rien ni personne ne peut cacher ces morts qu’on ne saurait voir. Maintenant, on sait. Sous l’acronyme, le retour des mouroirs. Les bilans macabres doublent : 1500 morts disparus dans la journée, dont la moitié en asiles de vieux/usines à cash. Il y a ceux qui meurent de fièvre, ou d’asphyxie ; ceux qui meurent, littéralement, de chagrin — et tous : qui meurent seuls. A la radio, s’échappent parfois des pleurs d’enfants, hommes et femmes eux-mêmes parents, qui n’ont pu embrasser une dernière fois leur parent. Chaque pleur est un avertissement. Une insupportable rumeur.

    Comme par magie noire, les décomptes ne donnent pas de reportages télé à l’italienne, quand les mêmes déflagrations touchaient nos voisins. C’est la règle journalistique du mort kilométrique (qui veut, en temps normal, que plus la mort est locale, plus elle fait la manchette) qui est désormais inversée. Ici, ce soir, c’est la tchernobylisation (le nuage de morts s’est étatiquement et médiatiquement arrêté aux frontières). Je prends des nouvelles de ma mère (chez elle, la vaillante). Contre les vents mauvais, on cause de demain, de cet été, quand on sera bien.

    A 20h, #OnGifle.

  • Dans les Ehpad décimés par le coronavirus, « c’est un cauchemar collectif »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/04/02/dans-les-ehpad-decimes-par-le-coronavirus-c-est-un-cauchemar-collectif_60353

    Alors qu’au moins 884 personnes sont mortes à cause du Covid-19 dans ces établissements, les directeurs sont désemparés et les soignants ont peur de propager la mort.

    Certaines images la hantent. Celles des « bâches en plastique » avec lesquelles elle a « camouflé les corps » pour « s’en débarrasser le plus vite possible ». « C’est dur à dire, mais on les considère comme un danger pour la population vivante », se justifie cette directrice remplaçante, qui raconte « la vague » de Covid-19 qui s’est abattue à partir du 20 mars sur l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) de Coinces, à Salbris (Loir-et-Cher). « Si je pleure, ce sont des larmes d’impuissance », ajoute cette femme, qui n’a pas souhaité que son nom apparaisse.

    La situation de son établissement n’est pas un cas isolé en France. Au moins 884 personnes sont mortes dans des Ehpad depuis le début de la crise sanitaire, selon une estimation donnée jeudi 2 avril par Jérôme Salomon, le directeur général de la santé, qui concerne 7 400 établissements sur 10 600. Une hécatombe silencieuse, sur laquelle a alerté la presse, et dont les autorités dévoilent l’ampleur, en cette troisième semaine de confinement.

    A Salbris, l’épidémie de Covid-19 a d’abord frappé l’encadrement. Contaminé, le directeur a dû confier les commandes de l’établissement d’une centaine de lits à sa remplaçante le 23 mars. Elle témoigne du « rouleau compresseur » auquel elle a dû faire face « en catastrophe ». La mort, fulgurante, s’était engouffrée dans les lieux avant son arrivée. Le 26 mars, trois personnes âgées sont parties en une seule nuit. « Les gens meurent seuls. C’est inhumain. Il n’y a plus d’humanité. L’épidémie nous condamne à nier l’humain », continue-t-elle, en pleurs.

    « On est habitués, mais là, c’est tous les jours »

    A l’écart de la Sologne opulente des grandes réserves de chasse, l’Ehpad de Salbris fonctionne financièrement sur le fil du rasoir. Ici plus qu’ailleurs, l’établissement tourne avec un personnel en sous-effectif, peu qualifié et mal préparé aux gestes de prévention.
    Du coup, porter des masques et des blouses pour protéger les résidents n’est pas allé de soi au début. Quand le virus est entré, « on se doutait qu’on serait défaits, poursuit la directrice. On l’a payé cash malgré l’énorme dévouement de nos soignants ».

    Il aura fallu huit morts pour que l’Agence régionale de santé (ARS) Centre-Val de Loire et la préfecture envoient, samedi 28 mars, l’« artillerie lourde ». Sinon, « c’était la boucherie assurée », rapporte un professionnel.
    Des soignants et infirmiers ont été dépêchés en renfort, du matériel acheminé avec l’aide du conseil départemental. Mais le temps que la mobilisation s’organise, deux résidents supplémentaires sont morts. Le bilan s’élevait à douze décès, jeudi 2 avril.

    Certaines régions sont plus meurtries que d’autres. L’Alsace verse un lourd tribut. A l’Ehpad de Rhinau (Bas-Rhin), l’alerte initiale remonte au dimanche 22 mars avec « la première décompensation » d’un résident, 95 ans, souffrant de la maladie d’Alzheimer : « Une asphyxie terrible ! Je n’ai jamais vécu une scène pareille. On avait l’impression que ce patient se noyait, raconte Pascal Meyvaert, médecin généraliste et président de l’Association des médecins coordonnateurs en Ehpad d’Alsace. Le lendemain, quand les aides-soignantes en parlaient, certaines fondaient en larmes. » Le vieil homme a fini par mourir à l’hôpital, le 27 mars.

    Entre-temps, des « kits de sédation » commandés par M. Meyvaert sont arrivés à l’Ehpad. Ils ont permis de soulager la douleur d’autres résidents victimes de cette « décompensation » brutale.
    La nuit du 28 mars, le docteur Meyvaert est appelé pour signer le cinquième certificat de « décès Covid ». « Celui-là, c’était mon petit papy. Quand je venais le voir, il se mettait au garde-à-vous, il me disait “mon colonel !” Il me faisait rire à chaque fois. Il va me manquer… », glisse-t-il la voix blanche. Face au choc, il avoue son désarroi : « On a l’habitude d’être confrontés à la mort dans les Ehpad. Mais un ou deux décès par mois, c’est déjà beaucoup. Là, c’est tous les jours. Et on pressent que le nombre va augmenter. C’est terrible. »
    « Je m’y attends, je vois leur état »

    Comme à Rhinau, tout est allé très vite à Boulogne-Billancourt. Trois résidents sont morts dans l’un des plus gros Ehpad de la plus grande ville des Hauts-de-Seine. « Je m’attends au pire, il y en a au moins trois, je m’y attends, je vois leur état, je vois les mimiques de leurs corps qui disent “j’en peux plus, je suis fatigué, laissez-moi partir” », redoute Marie-France.
    Infirmière, elle veille sur trente-sept lits, dont vingt occupés par des malades avérés ou suspectés du Covid-19. Souvent seule infirmière à l’étage, elle travaille quinze heures par jour. A raison de centaines de lavages de main quotidiens, ses doigts et ses paumes sont brûlés par le gel hydroalcoolique, ce liquide translucide qui tue le virus. « C’est pire que la canicule de 2003 – là, au moins, on savait que c’était dû à la chaleur, donc la température nous disait quand ça allait s’arrêter. Là, on n’en sait rien. »

    Toutes les nuits, Marie-France fait des insomnies : elle se réveille en sursaut, et revit la chronologie des événements. A 19 h 30, elle est bien passée voir la vieille dame qui regardait la télévision, l’a quittée en lançant un « à demain » enjoué en sortant de la chambre. Une heure plus tard, sa collègue l’appelle : « On vient de la trouver morte, la télécommande à la main. » Le lendemain, à 20 heures, Marie-France pose une perfusion sur une résidente. A 21 h 30 : « Marie, il y en a encore une à ton étage qui est partie. »

    Hantée par ces décès, l’infirmière de 47 ans se demande si c’est de sa faute, si c’est elle qui les a contaminées. Un matin, elle s’est effondrée. « C’est inhumain ce qu’on fait, on n’a pas le matériel, pas les effectifs, pas les moyens », a-t-elle hurlé au visage d’une cadre de santé de l’établissement. En la voyant repasser dans sa « tenue de cosmonaute » dans les couloirs, ses patients lui ont dit qu’ils la soutenaient !
    Cette peur de propager la mort faute de matériel de protection est largement partagée dans les Ehpad. « Le ministère nous a dit au début de la crise de porter le masque uniquement au contact des patients malades ou suspectés. Cette directive intenable a généré la crainte de contaminer chacun de nos résidents. Une culpabilité qui nous ronge », confie un directeur d’établissement du centre de la France.

    Il y a la culpabilité, mais aussi cette douleur de devoir préparer les proches au deuil, alors que les Ehpad sont coupés de l’extérieur. « Il est arrivé qu’on fasse des séances sur Skype avec les familles lors de la fin de vie d’un résident », rapporte Bernard Oddos, vice-président du Syndicat des médecins coordonnateurs et gériatres en Ehpad (SMCG-CSMF).
    Ce praticien insiste sur « l’empathie » des agents : « Je connais des infirmières et des directeurs qui ont tenu la main de résidents pour leur prodiguer les caresses et la chaleur indispensables au moment du passage », poursuit ce médecin coordonnateur dans plusieurs Ehpad parisiens. Quand survient la mort, il faut « annoncer à la famille qu’elle ne reverra plus son proche que dans une boîte fermée. C’est heurtant, difficilement supportable », confie la directrice confrontée à la situation à Salbris.

    « Ça doit être foutu pour qu’ils insistent comme ça »

    Sur la dernière photo prise d’elle, Jeannine Fournier sourit, enlacée par trois de ses petits-enfants. Le 1er mars, à l’Ehpad du Chêne de Saint-Dizier (Haute-Marne), cette ancienne ouvrière vernisseuse célèbre la fête des grand-mères. Il y a sur la tablette au-dessus de son lit une bouteille de mousseux sans alcool – c’est dimanche matin –, un flacon d’eau de Cologne qui vient de lui être offert, et des œufs en chocolat d’une Pâques qu’elle ne verra pas.
    A 92 ans, Jeannine, vieille dame coquette mais troublée par la maladie d’Alzheimer, demandait tout le temps « Où est Jean ? », son mari disparu. « Chaque fois que je lui disais qu’il était mort, elle éclatait en sanglots, alors je finissais par lui dire qu’il n’était pas là, qu’il dormait », décrit son fils Thierry, une semaine après le décès de « la mère », comme il l’appelle. La mère, aux bronches usées par des années de produits chimiques inhalés à l’usine, n’a pas survécu au Covid-19 qui s’est abattu sur sa maison de retraite, dans laquelle dix-huit résidents sont morts en dix jours.

    « A partir de la mi-mars, quand le numéro de l’Ehpad apparaissait sur mon téléphone, je tournais le dos », raconte-t-il. Le 22 mars, c’est la médecin remplaçante de la maison de retraite – le titulaire a été contaminé – qui le contacte. Une petite dose de morphine a été administrée à « la mère » pour l’aider à respirer, elle n’a pas été testée mais présente des symptômes. Au téléphone, la soignante insiste. Est-ce qu’il ne veut vraiment pas discuter avec Jeannine ? Elle est encore consciente, elle l’entend, il peut lui parler. « Je n’ai jamais eu l’habitude de dire “je t’aime” à ma mère, ou quoi que ce soit, encore moins par téléphone. J’ai rien dit, elle m’a reposé la question, j’ai pas su quoi dire. » Il raccroche, explique à sa femme que « ça doit être foutu pour qu’ils insistent comme ça ».

    Le lendemain, à 10 heures, le numéro de l’Ehpad s’affiche encore. Sa femme décroche, Thierry est juste derrière, la secrétaire de la maison de retraite parle de « la maman du monsieur laveur de vitres » – l’homme de 56 ans, cloué depuis chez lui à cause d’une sciatique carabinée, connaît bien les soignants de Saint-Dizier qu’il croise depuis des années lorsqu’il nettoie leurs fenêtres. « C’est fini, elle est partie », énonce la voix.

    « J’ai ressenti un immense vide, je n’avais plus qu’elle. Et puis le virus m’a volé sa mort, elle est morte toute seule, je n’ai pas pu être à côté d’elle ni lui tenir la main. Bien sûr qu’elle était usée, mais c’est terrorisant de passer de l’autre côté, et ça, c’est pas une belle manière de mourir », poursuit Thierry. De la mère, il n’apercevra qu’un cercueil dans le cimetière de Gigny, à Saint-Dizier. « Je n’ai vu qu’une boîte en bois, j’imagine que dedans c’est ma mère, mais je n’en suis pas sûr, je n’ai pas vu son corps », s’amuse-t-il presque. Six personnes autour du trou de terre, un employé des pompes funèbres qui gère l’office religieux, et une cérémonie qu’il filme en direct sur Messenger pour sa sœur qui n’a pas pu venir, encore à cause du virus. Trente minutes plus tard, Jeannine est enterrée, et Thierry ne comprend pas. « Pourquoi est-ce qu’il y a eu dix-huit morts d’un coup à Saint-Dizier ? Comment la mère a-t-elle pu être infectée, alors qu’elle ne bougeait pas de sa chambre ? C’est sûrement un soignant », suppute-t-il.
    Jérôme Goeminne, le directeur du groupement hospitalier de territoire Cœur Grand Est, auquel est rattaché l’établissement du Chêne, n’a pas la réponse à toutes ces questions qui viennent des proches des victimes. Il parle de « cauchemar collectif ». La semaine dernière, en conférence de presse, il répétait cette phrase : « On a tout fait, et ça n’a pas suffi. On est coupable de rien. »

    #Ehpad