Articles repérés par Hervé Le Crosnier

Je prend ici des notes sur mes lectures. Les citations proviennent des articles cités.

  • Elon Musk à l’Elysée : peut-on encore recevoir le patron de Twitter comme n’importe quel patron ?
    https://www.lemonde.fr/pixels/article/2023/05/16/elon-musk-a-l-elysee-peut-on-encore-recevoir-le-patron-de-twitter-comme-n-im

    Ça pique, et c’est sacrément bien vu...

    Pour le gouvernement, la venue d’Elon Musk en France était un petit événement. Lundi 15 mai, le patron de Tesla, SpaceX et Twitter était de passage à Paris et Versailles pour Choose France, le désormais rituel grand raout des patrons conviés par le président de la République, Emmanuel Macron. Plusieurs responsables français n’ont pas manqué l’occasion de s’afficher en sa présence : le ministre délégué chargé de la transition numérique et des télécommunications, Jean-Noël Barrot, a fièrement posé à ses côtés sur son compte Instagram ; Emmanuel Macron a, lui, gratifié ses followers d’une photo prise à l’Elysée, où on le voit, souriant et en bras de chemise, devisant avec l’homme d’affaires ; quant au ministre de l’économie, Bruno Le Maire, c’est sur LinkedIn qu’il a posté un selfie avec l’ancien homme le plus riche du monde.

    Le texte qui accompagne cette photo vante un « échange constructif » au sujet du « climat », des « véhicules électriques », de « l’intelligence artificielle », de « l’attractivité de la France » et de « l’espace ». Au-delà de ces discussions pourtant, le gouvernement espérait surtout décrocher de la part du patron de Tesla un investissement dans l’Hexagone. C’est raté. Mollement, Elon Musk s’est contenté de se dire « confiant [sur le fait] que Tesla fera des investissements significatifs en France ».

    Mais cet engagement très vague n’est pas le réel problème posé par la venue, la réception et la mise en scène de la présence d’Elon Musk à Choose France. Le chef de l’Etat et les ministres pensaient sans doute s’afficher avec le visionnaire patron de Tesla, qui a contribué à la popularisation des voitures électriques, et de SpaceX, qui a révolutionné l’industrie spatiale. Mais nous sommes en 2023. Nul ne peut plus ignorer qu’Elon Musk est aussi un patron de plus en plus extrême, qui a plongé un réseau social au rôle déjà ambigu sur le débat démocratique dans des abîmes de complotisme et de désinformation.

    C’est aux côtés du héraut de l’extrême droite américaine, qui multiplie les appels du pied au mouvement suprémaciste blanc américain, que Bruno Le Maire s’est ainsi tenu, épaule contre épaule et le téléphone à bout de bras. C’est le patron d’un réseau social ayant, deux jours plus tôt, fait une faveur à l’autocrate Erdogan en censurant son opposition la veille d’une élection, qu’Emmanuel Macron a reçu. C’est avec un patron à la dérive vers un complotisme primaire que Jean-Noël Barrot a mis en scène son échange.
    Haine et désinformation

    Nul besoin d’être un exégète de sa prose pour comprendre qu’Elon Musk n’est pas simplement le patron d’entreprises à succès. Une rapide lecture de ses tweets devrait convaincre n’importe quel responsable politique qu’Elon Musk pourrait davantage relever d’une commission d’enquête parlementaire ou d’un régulateur que d’une invitation à l’Elysée.

    Il n’avait ainsi quitté Emmanuel Macron que depuis quelques heures qu’il reprenait à son compte une des principales obsessions antisémites. Dans un tweet, vu, au 16 mai à 21 heures, plus de 6,2 millions de fois, il prête au financier George Soros la volonté d’« éroder le tissu même de la civilisation ». « Soros déteste l’humanité », poursuit le patron de Twitter, qui ne fait même plus mine de cacher ses idées.

    @krassenstein You assume they are good intentions. They are not. He wants to erode the very fabric of civilization. Soros hates humanity.
    — elonmusk (@Elon Musk)

    Et Elon Musk est loin de s’arrêter là. Il a également appuyé une théorie complotiste remettant en question le caractère néonazi de la dernière tuerie de masse aux Etats-Unis, pourtant perpétrée par un homme arborant un tatouage représentant une croix gammée. Il a accusé notamment le site d’investigation Bellingcat, qui a révélé le profil du tueur, d’être coutumier de psyops (« opérations psychologiques », un terme issu du vocable militaire et à la forte consonance complotiste). Des tweets mensongers qui ont été vus plus de 15 millions de fois.
    Lire aussi la synthèse : Complotistes, homophobes, néonazis… Dix comptes emblématiques de la dérive de Twitter sous Elon Musk

    Elon Musk a aussi multiplié les références, qui font le bonheur de la droite radicale américaine, au « virus de la pensée woke » (responsable, dans un raisonnement qui n’appartient qu’à lui, des difficultés… de la ville de San Francisco) ; il a aligné les marques d’intérêt pour, voire de soutien à, des théories proches du suprémacisme blanc ; il a montré son intérêt à un tweet hostile au soutien américain à l’Ukraine ; il a aussi publié des tweets conspirationnistes sur le Covid-19, mais aussi sur son rival Facebook ou encore sur les médias américains… Et tout cela en seulement une semaine.

    Sauf qu’au-delà de ces sept derniers jours, le fil Twitter d’Elon Musk, c’est aussi l’augmentation « sans précédent » des contenus haineux et le départ d’une bonne partie des équipes responsables de la modération. Un exode qui est allé jusqu’à alarmer l’Arcom, l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, que le gouvernement voit en fer de lance de la lutte contre la haine en ligne.
    Lire aussi l’analyse : Article réservé à nos abonnés Sur Twitter, Elon Musk et sa « bulle de filtre » très droitière

    Le Twitter d’Elon Musk, c’est celui qui suspend (avant de les rétablir sous la pression) les comptes de journalistes critiques, qui amnistie une foule de comptes suspendus, permettant le retour de ce que le réseau social a de pire en matière de désinformation et de haine. C’est aussi celui dont les changements des règles de modération concernant le Covid-19 lui ont attiré les vives critiques de nombreux experts en santé publique.

    Depuis des années, ce gouvernement alerte sur les dérives des réseaux sociaux et martèle sa volonté de mieux les encadrer, comme en témoigne son nouveau projet de loi visant à lutter contre « l’insécurité numérique », qui prévoit notamment de mieux lutter contre le harcèlement et l’appel à la haine sur Internet. Cela aurait pu le faire hésiter à se prendre en selfie avec l’un de ses pires représentants, accueilli en grande pompe sous les dorures de Versailles.

    Martin Untersinger

    #Elon_Musk #France #Génuflexions