Les comptes qui publient des dénonciations anonymes d’inconduites sexuelles se sont multipliés au cours des derniers jours. Et pendant que certains s’inquiètent de possibles dérapages, une cofondatrice d’un de ces comptes y voit plutôt une occasion de libérer la parole des victimes.
La femme que nous avons rencontrée a demandé l’anonymat parce qu’elle craint des représailles. Elle a créé, avec d’autres personnes, une page Facebook qui mène vers une liste qui contient des centaines de noms, tous présentés comme de potentiels agresseurs. « Ça a été créé pour donner une parole aux victimes pour qu’elles puissent dénoncer leur agresseur », explique-t-elle.
Le geste reproché à chacune de ces personnes n’est toutefois pas précisé. Un code allant de 1 à 3 a été récemment ajouté aux côtés de plusieurs noms pour préciser le degré de gravité des allégations, qui vont des propos déplacés au viol.
La cofondatrice du compte justifie le fait de nommer les agresseurs allégués par la volonté de protéger des victimes potentielles. Elle mentionne aussi ne pas souhaiter de mal aux personnes dont le nom se retrouve sur la liste.
On ne cherche aucune vengeance, on ne cherche pas à ce que les personnes nommées se fassent harceler. L’objectif de tout ça, c’est vraiment d’avoir une prise de conscience sociétale.
Elle dit d’ailleurs se réjouir d’observer une remise en question chez bien des gens. « Tout le monde se questionne présentement sur des comportements problématiques qu’ils ont pu avoir, raconte-t-elle. Moi-même, je me questionne. »
Elle ajoute aussi que, selon elle, ce moyen de dénoncer n’est pas moins valide que la voie légale. « Le chemin judiciaire n’est pas un chemin choisi par toutes et n’est pas bénéfique pour la reconstruction de chacune », soutient-elle.
Le danger des fausses allégations
La cofondatrice du compte souligne qu’un protocole a été mis en place pour éviter que de fausses allégations ne soient publiées. Par exemple, le récit des événements doit provenir directement de la victime alléguée. Le risque d’une fausse allégation existe, mais est minime selon elle. « Il va y avoir des vies gâchées, avoue-t-elle. Mais il y a des vies gâchées déjà, d’un côté comme de l’autre. »
Une femme dehors
Laurie Fradette-Drouin est sexologue et coordonnatrice de la Chaire de recherche sur les violences sexistes et sexuelles en milieu d’enseignement supérieur de l’UQAM.
Photo : Radio-Canada
La sexologue et coordonnatrice de la Chaire de recherche sur les violences sexistes et sexuelles en milieu d’enseignement supérieur de l’UQAM, Laurie Fradette-Drouin, considère de son côté que les médias sociaux ne sont pas la voie idéale pour ce type de dénonciations, mais que cette nouvelle vague demeure légitime.
C’est certain que ça peut être un enjeu, le fait qu’il y ait des faux témoignages. Par contre, l’enjeu le plus important ici, c’est la problématique qui est derrière tout ça : le fait que les violences sexuelles sont encore très présentes dans la société.
Selon elle, l’ampleur de ce mouvement de dénonciations montre à quel point il reste du chemin à faire pour prévenir les violences sexuelles, que ce soit en matière de prévention ou d’éducation.
Le danger du « tribunal populaire »
Bien qu’elle se réjouisse de voir des femmes continuer de dénoncer la violence sexuelle, ce récent mouvement laisse une impression de malaise à la journaliste et chroniqueuse au journal Le Devoir Francine Pelletier. Elle souligne comprendre les motivations derrière ces dénonciations sur les réseaux sociaux, mais s’inquiète de la méthode employée.
« Il y a d’autres façons de faire, affirme-t-elle. En commençant par s’adresser directement aux gens, aux hommes dans ce cas-ci, qui soi-disant ont commis des fautes. Adressez-vous à eux d’abord plutôt que décider que ce sont des brebis galeuses, que ce sont des parias de la société. Je pense qu’il y a une justice élémentaire à respecter. »
La cofondatrice du compte de dénonciation à qui nous avons parlé dit d’ailleurs être bien consciente que le mouvement dérange.
Elle confirme avoir déjà reçu des mises en demeure et s’attend à des poursuites. Elle est malgré tout convaincue que l’action des dénonciatrices reste pertinente et nécessaire.