Les Inrocks - Christian Salmon : « L’homme politique est peut-être en train de disparaître »

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  • A travers l’analyse de la prestation de Hollande sur M6, l’intéressante dissection de l’état de la démocratie française ...

    http://www.lemonde.fr/actualite-medias/article/2013/06/17/il-y-avait-un-decalage-entre-le-discours-de-hollande-et-les-reportages-de-ca

    Le style de François Hollande n’a-t-il pas généré un décalage entre son discours et les reportages sur les difficultés concrètes des électeurs ? Un Nicolas Sarkozy aurait-il été plus à l’aise dans ce type de format ? « François Hollande a dans sa façon de parler une approche très économique et ’techno’. Sarkozy parlait plus du quotidien », note Stéphane Rozès, qui regrette le spectre trop précis de « Capital » : « Le format ramène les questions du pays à des questions purement économiques. »

    Hollande n’est pas du tout pédagogue. C’est un très mauvais « manager ».
    Il est de l’ancienne école, mais ça ne fonctionne plus. En tous cas moins bien.

    On n’est plus dans les années 60, où quand les gens écoutaient un homme politique, ils se disaient « on n’y comprend rien, c’est qu’il est plus intelligent que nous. Tant mieux, il est compétent. »
    Aujourd’hui la méthode a fait long feu.
    Et les gens ont changé.
    Aujourd’hui beaucoup veulent un communiquant. Ils veulent du bon sens, du limpide. Ils veulent qu’on appelle un chat un chat, il leur faut des schémas simples : les gentils / les méchants, les victimes / les coupables, les bons / les mauvais. Ils veulent comprendre et voir des solutions, tout de suite. Ils veulent du jugement, pas de l’analyse. Du concret, pas de l’abstrait. De la langue de fiel, pas de la langue de bois..
    Ils veulent être rassurés, même si c’est à court terme. Ils sont dans l’émotion, pas dans la raison.

    Voilà qui est confirmé par la suite de l’analyse... Hollande trop « élitiste », trop déformé par l’ENA...
    On pense forcément à Nicolas Sarkozy, qui comme Berlusconi, est un virtuose du poujadisme cathodique moderne...

    "Il y avait un décalage entre le discours de François Hollande et les reportages, mais « Capital », c’est une émission économique, et le président ne s’adressait peut-être pas à tous les Français, mais au public de l’émission, CSP+, jeunes, décideurs...", estime Christian Delporte, historien et spécialiste de la communication politique, selon lequel les chiffres d’audience, « très moyens », montrent que « Capital » a réuni dimanche son « public habituel ».

    « Nicolas Sarkozy aurait sans doute mieux rebondi que François Hollande sur l’ordinaire des reportages, pense M. Delporte. Il avait toujours une anecdote – ’Quelqu’un m’a dit que...’ –, il jouait sur les sentiments. François Hollande n’est pas dans ce registre, il est dans le raisonnement, et c’est vrai que ça marche souvent un peu moins bien à la télévision. »

    Enfin pour conclure, une vraie belle illustration de l’analyse de Christian Salmon, « La puissance de la communication est l’envers de l’impuissance politique » (relayée ici http://seenthis.net/messages/146287)

    Pour Frédéric Dabi, directeur général adjoint de l’Ifop, le format de « Capital » convenait toutefois bien sur le principe à François Hollande, qui pendant la présidentielle apparaissait plus « en proximité » avec les électeurs que Nicolas Sarkozy : « Aujourd’hui, malgré sa forte impopularité, le président a gardé une image personnelle relativement bonne : sympathique, intègre et proche des gens. » Sa cote d’image personnelle serait de dix points supérieure aux baromètres sur son action politique, qui ne recueillent qu’un tiers d’opinions positives, note le politologue.

    "Mais le danger de ce type de formats, de réaction à du testimonial, c’est pour le responsable politique de donner un sentiment d’impuissance, selon M. Dabi. « Et c’est le principal grief fait à la classe politique : plutôt que le ’tous pourris’, nous sentons dans les études d’opinion le ’tous impuissants’. »

    Il semble effectivement que l’opinion veuille un communiquant puissant qui fasse illusion, à défaut d’un politicien puissant.
    Bien qu’à priori plus intègre que Sarkozy, Hollande semble tout autant décrié, voire détesté.
    Effectivement, c’est comme si le « tous impuissants » était tout aussi grave, si ce n’est plus, que le « tous pourris ».
    Pour une bonne partie de la droite, virile et phallocrate, pour ne pas dire misogyne et homophobe, celle qui préfère Sarko ou Copé à Fillon, il semble en effet que la corruption soit moins grave que l’impuissance de façade...

    http://www.lesinrocks.com/2013/04/28/actualite/christian-salmon-lhomme-politique-est-peut-etre-en-train-de-disparaitre-

    • Bien qu’à priori plus intègre que Sarkozy, Hollande semble tout autant décrié, voire détesté.

      L’intégrité, c’est ce qui mesure la capacité à tenir ses promesses ou au contraire à ne surtout pas les tenir ?

      Parler d’intégrité pour ces gens me semble totalement inepte. Un peu comme de disserter sur l’intégrité de Barroso, Obama ou de Ashton.

    • Matrix est une métaphore à travailler totalement. Ces gens ne sont que les représentants clonés à l’infini d’un même système. Et disserter sur leurs éventuels mérites est totalement infécond. C’est désespérant, d’une certaine façon, mais à mon avis, en définitive, impérativement nécessaire. C’est la seule façon de commencer à comprendre pourquoi, par exemple, les élections de juin 2012 en Grèce n’ont rien donné. Cf. le dernier post du Yéti sur son blog.

    • Et disserter sur leurs éventuels mérites est totalement infécond

      Je suis d’accord pour dire que parler des travers ou vertus individus est une façon bien pratique d’occulter les vices du système. Je suis le premier à dénoncer la personnification du pouvoir, cet acharnement à s’accrocher au monarchisme républicain de la Vème république cathodique, quand tout au contraire devrait nous pousser à assumer collectivement les responsabilités et donc l’autorité...
      C’est toute la stratégie des dominants que de faire croire que le système est parfait, et que tout ce qui va mal est dû à l’existence de brebis galeuses à neutraliser. Souviens-toi de la crise de 2008 expliquée par Sarkozy : il suffisait de nettoyer le système bancaire au karscher pour virer les escrocs et zou, ça repart... Donc oui on est d’accord, je n’attends rien des individus.

      Mon propos ne consistait pas ici à dire qu’Hollande était mieux ou moins bien que Sarkozy, je m’en fous réellement de ces deux là (enfin, pas tout à fait, ils me filent des boutons) non, c’était de réfléchir à ce qui faisait que « l’opinion » (de droite) semblait préférer l’agitation stérile et roublarde du lièvre Sarkozy, au train train débonnaire et propret de la tortue Hollande (qui par ailleurs a fait plus de réformes de « droite » en un an et demi que Sarkozy en 5 ans). Cela illustrait la thèse de Salmon, à savoir que moins les politiques ont de pouvoir politique, plus ils doivent le remplacer par un pseudo pouvoir médiatique...

      (sinon je ne suis pas d’accord pour dire que Hollande n’a pas tenu ses promesses de campagne... Comme il l’avait laissé entendre pendant la campagne, il n’est pas vraiment de gauche, donc il a appliqué le programme du PS à sa sauce, c’est en dire en le vidant de sa substance, ce qui, vu sa consistance initiale, fut très vite réalisé..)

  • Le symptôme de la mise sous tutelle des Etats par le pouvoir financier : les élus, anciens intermittents du pouvoir, nouveaux intermittents du spectacle.
    Disparition du représentant « politique » pour peu qu’il en ait beaucoup existé, remplacé par le dirigeant, c’est à dire une sorte de pdg, de « manager » du peuple, chargée de faire appliquer une politique non plus décidée par le peuple, mais par les créanciers « actionnaires » financiers de l’Etat..

    http://www.lesinrocks.com/2013/04/28/actualite/christian-salmon-lhomme-politique-est-peut-etre-en-train-de-disparaitre-

    Plus l’Etat est “insouverain”, plus les communicants prennent de l’importance et cannibalisent le politique. Dans son livre sur les sociétés sans Etat, Pierre Clastres définissait le rôle du chef comme une autorité sans pouvoir, une parole sans pouvoir de commandement. Il le définissait comme un mannequin du pouvoir. L’Etat ayant perdu beaucoup de ses prérogatives, le chef d’Etat est de plus en plus un homme qui parle, raconte des histoires. Ses missions régaliennes ? Rassurer, redonner confiance, conjurer la spirale de l’incrédulité. Avant, un ministre était entouré de conseillers techniques ; aujourd’hui, il vit et travaille surtout avec son chargé de communication ; plus de 50 % de son temps est consacré à occuper une place dans les médias. Une logique de “réapparition” spectrale, de persistance et de survie médiatique. La puissance de la communication est l’envers de l’impuissance politique.

  • Christian Salmon : « L’homme politique est peut-être en train de disparaître »
    http://www.lesinrocks.com/2013/04/28/actualite/christian-salmon-lhomme-politique-est-peut-etre-en-train-de-disparaitre-

    Plus l’Etat est “insouverain”, plus les communicants prennent de l’importance et cannibalisent le politique. Dans son livre sur les sociétés sans Etat, Pierre Clastres définissait le rôle du chef comme une autorité sans pouvoir, une parole sans pouvoir de commandement. Il le définissait comme un mannequin du pouvoir. L’Etat ayant perdu beaucoup de ses prérogatives, le chef d’Etat est de plus en plus un homme qui parle, raconte des histoires. Ses missions régaliennes ? Rassurer, redonner confiance, (...)

    • Euh son évocation de Clastres est un peu pourrie là, vu que ce dernier montrait justement qu’il pouvait y avoir une autorité symbolique mais sans qu’elle soit liée à un vrai pouvoir coercitif, et que finalement c’était pas si mal foutu. Là on a l’impression qu’il dit ça comme si Clastres disait que c’était mal car il en parle dans un passage où lui dit que c’est pas bien.

    • Mmmmh, je sais pas, je comprends peut-être de traviole mais :
      – son discours un peu tout du long est une critique de communicants ;
      – il commence le passage en disant "Plus l’Etat est “insouverain”, plus les communicants prennent de l’importance et cannibalisent le politique." sous entendu donc que pour lui ce n’est pas bien ;
      – juste après il cite Clastres qui a analysé les sociétés sans État, où le chef avait seulement un pouvoir symbolique, dans la parole, mais non coercitif (or je le rappelle, Clastres pensait que ces sociétés faisait volontairement ça pour ne pas avoir d’État, et que c’était plutôt "bien")
      – sa citation vient comme un appui à sa critique des communicants et de l’État qui n’aurait plus de pouvoir, alors que Clastres a un propos à priori inverse

      C’est comme ça que j’avais compris ce passage, pour l’instant. :)