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  • Katalin Kariko, pionnière du vaccin à ARN messager : « J’étais l’archétype de la scientifique qui lutte. Et qui chute »

    S’il fallait retenir un visage de l’extraordinaire épopée du vaccin à ARN messager, ça serait le sien. Depuis un an, Katalin Kariko collectionne les honneurs. Cette chercheuse qui, à 67 ans, n’était jamais allée à Paris y est passée deux fois en juin : pour recevoir la grande médaille de l’Académie des sciences et le prix international L’Oréal-Unesco Pour les femmes et la science. L’occasion pour la biochimiste hongroise, désormais vice-présidente de l’entreprise allemande BioNTech, de revenir sur les multiples embûches qui ont jalonné son parcours.

    Je ne serais pas arrivée là si…

    … Si je n’avais pas été si souvent limogée des postes que j’occupais. Mon histoire n’est pas celle de la femme à succès qui, pas après pas, avance dans sa carrière, en enchaînant les promotions pour atteindre la gloire et les prix internationaux. Pendant longtemps, la réussite m’a même fuie. Vu de l’extérieur, j’étais l’archétype de la scientifique qui lutte. Et qui chute.

    Moi je voyais bien que j’avançais, j’avais confiance et ça me rendait heureuse malgré tout. Mais les institutions dans lesquelles je travaillais ne m’ont jamais montré beaucoup de soutien. En revanche, elles ont toutes fini par me montrer la porte. Sans cela, je n’aurais pas quitté la Hongrie, ni Temple University, le premier établissement qui m’a accueillie aux Etats-Unis, ni l’université de Pennsylvanie ensuite, et je ne serais jamais allée chez BioNTech…

    J’ai fini par comprendre que le système est tel qu’il n’accorde le soutien financier, les promotions, les bourses qu’à ceux qui gravitent déjà près du centre, où règnent les théories dominantes du moment. A l’inverse, l’originalité et l’indépendance s’affirment à la périphérie. Le prix à payer est lourd, mais c’est cela qui m’a permis de rester concentrée sur mon objectif.

    Commençons par votre première mise à l’écart, en Hongrie. Que s’est-il passé ?

    Mon laboratoire a perdu ses financements. J’étais postdoctorante là-bas, je travaillais déjà sur l’ARN messager et, le jour de mes 30 ans, j’ai appris que je devais partir. J’adorais travailler dans ce centre de recherche, j’adorais la Hongrie. D’autres rêvaient des Etats-Unis, moi pas du tout. Quand j’ai compris que j’allais devoir m’exiler si je voulais continuer à faire la biochimie que j’aimais, ça m’a terrifiée.

    Avez-vous connu une enfance heureuse ?

    Oh oui ! Mon père était boucher, ma mère comptable. Ils n’avaient pas dépassé l’éducation primaire, mais c’étaient tous les deux des personnes intelligentes. Mon père jouait du violon, il multipliait les nombres à deux chiffres instantanément : 28 fois 64, paf !

    La maison ne comptait qu’une pièce où nous vivions à quatre, un poêle à bois, l’électricité, mais pas d’eau courante, pas de frigo, pas de télévision évidemment. Mais personne dans le quartier n’avait tout ça, ce n’était pas un problème. Et tout le monde travaillait, beaucoup. On avait des cochons, des poulets, un jardin avec nos légumes. Moi et ma grande sœur avions notre coin où nous regardions les plantes germer et grandir.

    Etait-ce le début de votre intérêt pour la biologie ?

    C’est possible. J’étais très curieuse. Quand mon père tuait le cochon, ma sœur allait se cacher, moi j’essayais de comprendre où se trouvait chacun des organes. En vérité, je pense que tout enfant qui voit un poussin sortir d’un œuf, la vie bourgeonner au printemps ou les cigognes revenir chaque année se pose des questions.

    Et puis j’ai eu des professeurs formidables. Ils nous faisaient mettre les mains dans la science. A l’école primaire, on fabriquait des cristaux à partir de solutions saturées et d’un petit fil. Depuis, dès que je vois un cristal… je tourne la tête pour regarder sa forme… La science m’a toujours fascinée et donc j’avais de très bons résultats.

    A 14 ans, j’ai terminé troisième au concours national de biologie à Budapest. Et à 16 ans, j’ai commencé à vouloir devenir scientifique. C’est aussi l’année où la classe a écrit une lettre à Janos Selye [1907-1982], le médecin hongrois installé au Canada qui a inventé la notion de stress. Il nous a répondu, on a tous lu son livre. Ça m’a passionnée. Il expliquait comment le stress peut nous tuer, mais aussi que sans lui on ne pourrait pas se lever le matin. Et que transformer le stress négatif en stress positif était l’enjeu d’une vie. Qu’il fallait se concentrer sur ce que l’on pouvait changer, ne pas perdre son temps en se comparant aux autres et en se lamentant sur son sort. Après cette lecture, je n’ai jamais cessé d’appliquer ces préceptes.

    Comment avez-vous décidé de travailler sur l’ARN messager ?

    Par hasard. J’étais à l’université de Szeged, en maîtrise, dans un laboratoire spécialisé dans les lipides, un truc assez ennuyeux, et deux étudiants sont venus demander de l’aide pour faire des liposomes, ces bulles de lipides qui permettent d’acheminer l’ADN dans les cellules. J’ai appris à le faire. Et un jour, un professeur est venu au labo, c’était le chef d’une équipe qui travaillait sur l’ARN. Mes compétences l’intéressaient. J’ai basculé et fait ma thèse avec lui. C’était une équipe financée par des industriels. On pensait que l’ARN pouvait avoir un effet antiviral. Mais les expériences étaient difficiles, même si nous avions des résultats encourageants. Ils ont retiré leur soutien.

    Direction les Etats-Unis…

    J’ai d’abord postulé à Montpellier, à Londres et à Madrid. Les universités étaient prêtes à m’accueillir, mais il me fallait une bourse et la Hongrie n’en donnait pas. J’ai donc pris ma respiration et candidaté aux Etats-Unis, et Temple University, en Pennsylvanie, m’a acceptée.

    A l’époque, en 1985, nous avions le droit d’emporter 50 dollars par personne. Donc 100 dollars pour mon mari et ma fille. Moi, rien, car j’avais un contrat de travail. On a vendu notre Lada, changé l’argent au noir et récupéré 800 livres sterling qu’on a cousues dans le nounours de ma fille de 2 ans. Trois allers simples et nous voilà à Philadelphie, juste tous les trois, dans une société inconnue, pas d’amis, le niveau de vie qui s’effondre. En Hongrie, nous avions une machine à laver, là il fallait aller dans une laverie automatique.

    Le rêve américain…

    C’est l’histoire de beaucoup d’immigrants, partout dans le monde. Le quotidien est une épreuve continuelle. Pour tenir, il faut une foi inébranlable en soi et beaucoup travailler. C’est pour ça que les immigrants sont si particuliers, qu’ils accomplissent des choses incroyables. Au laboratoire, j’ai travaillé comme une folle, appris énormément de choses, beaucoup publié, si bien qu’au bout de trois ans j’ai reçu une offre d’embauche de l’université Johns-Hopkins. Quand j’en ai parlé à mon patron, il m’a dit qu’il n’en était pas question, que je lui devais mon invitation aux Etats-Unis. Et quand j’ai décidé d’accepter, il m’a dénoncée aux services de l’immigration qui ont voulu m’expulser. J’ai dû payer 1 000 dollars de frais d’avocats – j’en gagnais 17 000 par an. Le tribunal m’a donné raison mais, entre-temps, Johns-Hopkins avait annulé mon contrat au motif que j’étais une fugitive…

    J’ai trouvé un CDD à Bethesda, près de Washington, dans une faculté de médecine militaire. Ma famille était restée à Philadelphie, moi je dormais dans mon bureau car on ne pouvait pas payer deux loyers, je me lavais au gymnase. Neuf mois comme ça. Finalement, après des dizaines de candidatures, j’ai été acceptée à l’université de Pennsylvanie.
    La prestigieuse UPenn, une des universités privées de l’Ivy League…

    Oui, chez Elliot Barnathan, au département de cardiologie. Il m’a toujours soutenue. Mes recherches sur l’ARN messager n’étaient pas au cœur de l’activité de l’équipe, mais il avait confiance en moi. Sauf qu’en 1995, au bout de cinq ans, la direction de l’université m’a rétrogradée, écartée de la liste académique, parce que je n’avais pas obtenu de financement des NIH [instituts américains de la santé] ou d’ailleurs. J’avais le choix entre rester comme assistante de recherche avec un salaire de misère ou partir. Je suis restée car j’aimais mon travail et l’équipe. Et je voyais que nous progressions. C’est essentiel : être tenace, ce n’est pas s’entêter pour s’entêter, c’est tenir compte des progrès, des résultats, et, s’ils sont là, y croire et poursuivre. Je n’avais plus de bureau, mais Elliot m’a accueillie dans le sien, a financé mes recherches et créé un poste temporaire pour moi.

    Enfin un peu de stabilité…

    Deux ans. Car en 1997, il a quitté UPenn. Sa remplaçante ne voulait plus de moi. Là, j’ai été sauvée par un ancien étudiant, David Langer, devenu résident en neurochirurgie, qui a convaincu son patron de m’accueillir. Voilà pourquoi toute la recherche sur l’ARN messager a été conduite au département de neurochirurgie, ce qui à première vue n’a pas beaucoup de sens, mais le département était riche, ça ne leur coûtait pas grand-chose de me donner un peu d’espace et 40 000 dollars de salaire annuel. Et l’ARN messager pouvait aider à lutter contre les accidents vasculaires cérébraux (AVC). En tout cas, c’était notre idée. Toute ma vie j’ai travaillé avec des gens de domaines autres que le mien – des chimistes en Hongrie, un cardiologue, des neurochirurgiens –, à chercher des terrains communs et à s’enrichir mutuellement de nos approches.

    La rencontre avec l’infectiologue Drew Weissman devant la photocopieuse, moment devenu légendaire, s’inscrit-elle dans cette lignée ?

    Bien sûr. Je plaidais pour l’ARN messager partout où je pouvais. A UPenn, j’avais du mal à me faire entendre car c’était un des temples de la thérapie génique, qui consiste à modifier l’ADN pour vaincre les maladies d’origine génétique. Mais ces interventions sont aussi très risquées. UPenn l’a appris à ses dépens avec la mort d’un jeune homme pendant un essai clinique, en 1999, ce qui a conduit à tout arrêter.

    Mon argument, c’était que la plupart des pathologies sont temporaires. Pour soigner les multiples ampoules sur les mains de ma fille [Susan Francia, qui est double championne olympique d’aviron pour les Etats-Unis], je n’ai pas besoin de modifier son génome. Avec l’ARN messager, vous délivrez une information que vos cellules vont transformer en protéines thérapeutiques, et ça s’arrête dès que vous êtes guéri, ou immunisé si c’est un vaccin. Quand j’ai croisé Drew, qu’il m’a expliqué qu’il voulait mettre au point un vaccin contre le sida, je lui ai dit que je pouvais lui fabriquer de l’ARN pour ça. Et il m’a répondu oui.

    Le coup de chance ?

    Notre chance, c’est qu’en 1998 nous n’avions pas encore Internet. Nous étions obligés de photocopier des articles. A partir de 2002, c’était fini, on téléchargeait tout directement. Heureusement que le progrès n’a pas été plus rapide.

    Votre collaboration a-t-elle rapidement été fructueuse ?

    On a vite vu que l’ARN était très actif in vitro sur les cellules dendritiques, les éducatrices du système immunitaire. Mais sur les souris, il créait de l’inflammation. On a cherché d’où venait le problème. Et, après de nombreux essais, nous avons compris, puis démontré qu’en modifiant une des bases on évitait l’inflammation. Ça nous a pris sept ans.

    C’est l’article de 2005, la clé de voûte de l’édifice pour lequel vous êtes unanimement saluée. Avez-vous alors changé de catégorie ?

    Pas vraiment, non. D’abord ce papier a été refusé par les grandes revues. Nature l’a écarté au motif qu’il était « incrémentiel », je ne savais même pas ce que ça voulait dire. J’ai regardé dans le dictionnaire : des progrès infimes. L’article a fini dans Immunity, une revue beaucoup plus confidentielle. Il est passé pratiquement inaperçu. J’ai reçu en tout et pour tout deux invitations, à Hokkaïdo, au Japon, et à l’université Rockefeller, à New York.

    De 2005 à 2012, vous poursuivez la mise au point de votre système, en purifiant l’ARN messager, en augmentant son efficacité, en perfectionnant l’acheminement vers les cellules, in vitro et sur des souris. La reconnaissance est-elle cette fois au rendez-vous ?

    Dans la communauté de l’ARN messager, oui, forcément. Mais dans mon université, pas du tout. En 2008, j’ai mis en avant ma reconnaissance internationale pour pouvoir retrouver, treize ans après, un poste d’enseignante-chercheuse. Ils m’ont dit qu’en deux siècles et demi personne n’avait jamais été réintégré. « C’est la règle. » Je leur ai dit qu’il y avait aussi une règle qui obligeait Rosa Parks à s’asseoir au fond du bus. Ils m’ont répondu que c’était leur décision, que je n’avais pas le niveau. Je suis encore restée quatre ans, grâce à un contrat industriel, mais à Noël 2012 ils m’ont demandé de partir.

    Comment avez-vous réagi ?

    J’ai perdu 10 kilos en quelques mois. Et puis j’ai repensé à Janos Selye : se concentrer sur ce que l’on peut changer et ce que l’on veut vraiment faire. Moi, je voulais soigner les gens.

    Dans le domaine de l’ARN messager, il y avait trois biotechs. Moderna proposait de m’embaucher, mais je n’ai pas aimé le contact. Curevac pensait qu’il n’était pas nécessaire de modifier l’ARN messager, moi j’étais convaincue que si. Restait BioNTech : Ugur Sahin, son PDG, était clair, direct, et ils avaient un premier essai clinique en cours. Pour moi, c’était essentiel. A 58 ans, je voulais voir mes idées aboutir.

    Rêviez-vous déjà du vaccin ?

    Pas du tout. J’ai même dit à Ugur que tout m’intéressait sauf les vaccins. Je voulais un traitement. Contre le cancer, le diabète, l’anémie, peu m’importait. Mais pas un vaccin. Ugur a dit O.K. et m’a permis de monter mon équipe. Lui ne croyait pas vraiment à l’ARN modifié, mais il m’a fait confiance. D’autant qu’en 2014 Sanofi nous a donné 62,5 millions de dollars pour développer des traitements. C’était la première fois qu’un industriel s’impliquait véritablement. Devant l’argent, on s’incline. Quand Pfizer a proposé de s’associer pour un vaccin contre la grippe, en 2018, ça ne nous intéressait pas vraiment mais on voulait leur argent, donc on a travaillé.

    C’est grâce à cela que, lorsque l’épidémie de Covid-19 a commencé, vous étiez prêts à répondre ?

    Comme Stéphane Bancel chez Moderna, Ugur Sahin a tout de suite compris l’importance de cette pandémie et ce que nous allions pouvoir apporter avec notre technologie. Ce sont eux les visionnaires, pas moi. Mais ils se sont évidemment appuyés sur les vingt ans de recherches que nous avions accomplies avec Drew.

    Vous qui rêviez de soigner des gens, qu’avez-vous ressenti quand les résultats de l’essai clinique de phase 3 sont arrivés, avec cette efficacité impressionnante de 95 % ?

    C’était l’anniversaire de ma fille. Le téléphone a sonné : Ugur Sahin. « Tu es seule ? » Je suis sortie de la pièce. Il m’a donné le résultat. Je suis rentrée. Mon mari m’a demandé ce que c’était. Je lui ai répondu : « Le vaccin marche. »

    La vérité, c’est que je m’y attendais. A chaque étape, nous faisions beaucoup mieux que tous les autres vaccins, avec des niveaux d’anticorps incroyables. Pour fêter ça, j’ai mangé un Gruber, un cookie au chocolat et au beurre de cacahuète.

    Réservez-vous le champagne pour le Nobel que chacun vous promet ?

    Franchement, ce n’est pas ce qui compte. Dans les prix – j’en ai reçu quelques-uns –, ce que je préfère, ce sont les gens formidables qu’ils vous permettent de rencontrer. Autrement, si pendant quarante ans j’ai pu fonctionner sans reconnaissance, je peux bien me passer du Nobel. Je sais que pour ce cher Janos Selye, on a tous besoin d’encouragements réguliers. C’est peut-être là que je suis exceptionnelle.

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2022/07/03/katalin-kariko-pionniere-du-vaccin-a-arn-messager-j-etais-l-archetype-de-la-

    #ARN_messager : la leçon de liberté de Katalin Kariko, 1er décembre 2020
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/01/arn-messager-la-lecon-de-liberte-de-katalin-kariko_6061779_3232.html

    #Katalin_Kariko #recherche #santé #découverte_scientfique

  • Covid : l’imagination au pouvoir ? | Les Echos
    https://www.lesechos.fr/politique-societe/gouvernement/covid-limagination-au-pouvoir-1293706

    Deux infos en une, c’est jour de chance. L’exécutif va investir sur les traitements face au Covid-19, notamment ceux à base d’anticorps monoclonaux, fait-il savoir. Mais pas n’importe qui au sein de l’exécutif : le chef de l’Etat lui-même, qui a décelé leur efficacité dans une étude scientifique que ses experts médicaux n’avaient pas pris la peine de relever, laisse fuiter l’Elysée, dans l’espoir que nous en tirions tous cette conclusion : Emmanuel Macron est créatif, il cherche, il tente, il trouve des fonds, pousse les essais, et mobilise ses troupes. Tout aura bien été essayé pour venir à bout du satané virus.

    Je ne sais pas ce qui le pire : le fait que Macron impose lui-même un traitement médical pas étayé, comme le premier Trump ou Bolsonaro venu, ou qu’on trouve des journalistes pour s’en enthousiasmer.

    (Quelqu’un a commencé une liste de ces articles sur le thème « Macron prix Nobel de médecine » ? Ou bien on a un hashtag dédié ?)

  • L’embrasement du #Roforofo_Jazz sur un nouvel EP

    Avec la sortie d’un EP 5 titres Fire Eater, le combo parisien marque son goût prononcé pour les mélanges aventureux, mixant #hip_hop, #afrobeat et #jazz dans un style unique.

    Afro Latin Vintage Orchestra, Oghene Kologbo, les Frères Smith, Los Tres Puntos, No Water Please, ou encore Sax Machine, chacun de ces groupes cache dans son line-up un ou plusieurs des membres de Roforofo Jazz. Le live band composé de sept musiciens et du MC originaire de Chicago Days (alias RacecaR) se retrouve aujourd’hui a remué sédiments et limons musicaux dans un marécage de radicalité hip hop, de groove #funk, de puissance afro, de liberté jazz avec un goût prononcé pour les mélanges aventureux.

    https://pan-african-music.com/roforofo-jazz-fire-eater

    https://officehomerecords.bandcamp.com/album/fire-eater

    #musique

  • « La mise en cause de la responsabilité politique des ministres est devenue un exercice improbable sous la Ve République », Jean-Baptiste Jacquin, 22 décembre 2020
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/22/la-judiciarisation-de-la-vie-politique-poison-pour-la-democratie_6064174_323

    Depuis mars, 150 plaintes ont été déposées devant la Cour de justice de la République, juridiction d’exception, contre la gestion de la crise due au Covid-19 par le gouvernement.

    Analyse. C’est un des paradoxes de cette année 2020, rarement institution promise à la disparition n’aura été autant sollicitée. La Cour de #justice de la République (#CJR) a été saisie, depuis mars, de 150 plaintes contre la gestion de la #crise_sanitaire par le #gouvernement, selon un pointage au 14 décembre. Sans compter la vingtaine de plaintes récemment adressées, toutes sur le même modèle, invoquant le crime de génocide et rapidement classées sans suite.

    Les personnalités ciblées sont l’ex-premier ministre Edouard Philippe, l’ex-ministre de la santé Agnès Buzyn et son successeur, Olivier Véran. L’actuel chef du gouvernement, Jean Castex, vient loin derrière dans ce hit-parade des personnes mises en cause par des citoyens ou associations professionnelles devant la juridiction spéciale chargée de juger les ministres pour les infractions commises dans l’exercice de leurs fonctions.

    Le défi de la CJR sera de démêler la responsabilité pénale de la responsabilité politique. Une véritable gageure pour cette institution née en 1993 sur les décombres de la Haute Cour de justice, discréditée lors du scandale du sang contaminé. Elle est investie de pouvoirs juridiques et judiciaires particulièrement délicats – qualifier ici pénalement des actions ou des inactions de membres du gouvernement – mais sa composition est très politique : six députés, six sénateurs et trois magistrats du siège de la Cour de cassation.

    Décisions déconcertantes voire choquantes

    Le résultat de cette étonnante construction a été une série de décisions déconcertantes voire choquantes (affaires Christine Lagarde, Charles Pasqua, etc.). Seule décision à n’avoir pas subi les foudres des juristes ou commentateurs, la condamnation de l’ancien garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas, en 2019, dans un dossier factuellement simple et politiquement peu sensible.

    Incomprise, bancale, décriée, voire discréditée, cette justice d’exception doit disparaître, ont promis successivement les présidents de la République François Hollande et Emmanuel Macron. Mais, aucun projet de révision constitutionnelle n’a abouti depuis 2008, il faut donc faire avec cette CJR.

    Dès le 7 juillet, François Molins, le procureur général de la Cour de cassation, a saisi la commission d’instruction de la CJR d’une information judiciaire pour « abstention de combat­tre un sinistre » sur la base de neuf plaintes auxquelles il en a joint quatre autres depuis. Restent une soixantaine de plaintes dont la recevabilité n’a pas encore été examinée, les autres ayant été classées sans suite.

    Le constitutionnaliste et politologue Olivier Duhamel voit dans la multiplication des mises en cause de ministres devant cette cour le signe de « la défiance à l’égard des élites en général, des responsables politiques en particulier, et l’essor de la victimisation ». Mais quelles sont les alternatives ?

    La mise en cause de la responsabilité politique des ministres est devenue un exercice improbable sous la Ve République sous l’effet conjugué du présidentialisme avec des membres du gouvernement rendant compte au président, lui-même irresponsable juridiquement, un Parlement aux prérogatives écornées, et un fait majoritaire synonyme d’étouffoir. Une seule #motion_de_censure a été votée depuis 1958 contre un gouvernement, en 1962.

    « Dysfonctionnement »

    « Le mouvement de #judiciarisation que l’on observe depuis une trentaine d’années résulte du dysfonctionnement des mécanismes classiques de la responsabilité politique, analyse Cécile Guérin-Bargues, professeure de droit public à l’université Paris-II. Les prétoires sont vus comme des forums plus légitimes que le Parlement. »

    Dans le cas de la gestion de l’épidémie de SARS-CoV-2, le recours à une #procédure_pénale ne sera pas sans poser des difficultés. « La négligence d’un ministre ou son incompétence, bref un ministre qui n’est pas bon face à une situation de crise, cela ne devrait pas être pris sous l’angle pénal », estime Mme Guérin-Bargues. La qualification retenue pour l’information judiciaire peut surprendre. L’infraction d’ « abstention de combattre un sinistre » est un délit volontaire, et non une négligence. « On distord le droit pénal pour y faire entrer une action qui relève du politique », craint cette universitaire. La commission d’instruction de la Cour peut néanmoins librement requalifier les faits.

    Le recours à la CJR serait-il un remède pire que le mal ? Le temps judiciaire n’est pas le temps politique. L’instruction devrait au minimum durer dix-huit mois et si une ou plusieurs des personnalités mises en cause étaient renvoyées devant la Cour, le procès ne se tiendra pas avant la mi-2022, voire 2023. Une éventuelle condamnation tomberait bien tard pour se dire que l’équipe en place n’aurait pas dû rester jusqu’en 2022.

    Dans le cas contraire, avec un non-lieu ou une relaxe comme épilogue pour des raisons de qualification pénale ou faute d’élément probant, les faux espoirs entretenus dans l’opinion auront été tout aussi dévastateurs. Au risque d’alimenter le populisme sur le thème de l’impunité et de la connivence entre les puissants.

    La multiplication de ces procédures des investigations qui les accompagnent pourrait en outre distiller un poison dans le processus de décision politique. Comment arbitrer en fonction d’intérêts contradictoires, ce que l’on demande aux gouvernants, ou fixer des priorités (la santé contre l’économie, les soignants contre les soignés, les écoles contre les restaurants, etc.) avec une épée de Damoclès pénale en permanence au-dessus de la tête ?

    Olivier Duhamel y voit un « double effet pervers, avec un excès de prudence des ministres au risque de l’immobilisme, et une inflation des décisions prises par le président, seul irresponsable ». La responsabilité politique des gouvernants n’y aura rien gagné. Les citoyens non plus.

    Zut, il va falloir remplacer le féodal expert du droit public de la Véme. Sinon, l’article dit bien qu’espère quelque chose des procédures pénales contre le gouvernement est illusoire (sauf, parfois, contre tel ou tel de ses membres, tant ils sont nombreux à avoir des casseroles "personnelles").

    #Covid-19

  • « L’intime est la part de l’existence sur laquelle ni l’Etat, ni la société, ni même la médecine ne devraient avoir autorité », Michaël Fœssel, entretien avec Nicolas Truong
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/31/l-intime-est-la-part-de-l-existence-sur-laquelle-ni-l-etat-ni-la-societe-ni-

    ENTRETIEN« Les penseurs de l’#intime » (9/10). Parce qu’avec les mesures sanitaires et sécuritaires le pouvoir s’est invité au cœur de notre #intimité, le philosophe Michaël Fœssel espère que l’épreuve de la privation des libertés suscitera un regain d’intérêt politique.
    Professeur de philosophie à l’Ecole polytechnique et membre du comité de rédaction de la revue Esprit, Michaël Fœssel a récemment publié Récidive . 1938 (PUF, 2019). Spécialiste de l’œuvre d’Emmanuel Kant, il explique pourquoi l’intime est une question politique et devient, dans une société démocratique, « un objet de revendications » .

    Vous avez été atteint du Covid-19. Que vous a révélé l’expérience et l’épreuve intime d’être affecté par une maladie planétaire ?

    Une maladie contagieuse nous ramène à un régime permanent d’auscultation de soi et d’inspection des autres. Aussi longtemps que l’on n’est pas atteint par un virus devenu le principal, sinon l’unique, thème de préoccupation planétaire, il se présente comme une sorte de menace abstraite. On n’a pas l’expérience de la maladie, mais celle de ses effets sociaux. Lorsque l’on apprend qu’on a contracté le virus, quelque chose d’étrange se produit : c’est comme si les discours et les alertes qui rythment l’actualité depuis des mois étaient subitement entrés dans votre corps.

    J’ai eu des symptômes tout à fait bénins, j’imagine que pour ceux qui ont développé des formes graves la maladie est devenue, comme toute pathologie sérieuse, un combat intime. Mais le vécu de cette épidémie n’est pas seulement fonction de sa gravité objective. Subi sur un mode anodin, le Covid-19 est une expérience où l’intime et le public s’entrelacent, au point que l’on ne sait plus si l’on souffre d’un virus singulier ou du mal du siècle. Il est difficile de se convaincre que ce n’est « que cela » (encore une fois, dans mon cas), alors que cette maladie est représentée dans tous les esprits et sur tous les écrans. C’est un peu comme si un fait géopolitique d’ampleur inégalée s’était logé en soi et que le moindre accès de fièvre annonçait la fin du monde.

    Comme d’autres, j’ai fait l’expérience qu’il n’est guère difficile de susciter l’attention dès que l’on a contracté ce virus. Il faut d’ailleurs noter qu’à cette occasion le secret médical a volé en éclats : il n’est pas une personnalité publique morte du Covid dont on ignore la cause du décès. Cette attention mondiale s’est, hélas, accompagnée d’une mise entre parenthèses d’autres maladies, pourtant bien plus graves.

    Dans quelle mesure la gestion sécuritaire de la #crise_sanitaire conduit-elle à ce que vous avez appelé la « privation de l’intime » ?

    Si l’intime désigne ce que l’on désire cacher, ou du moins soustraire au jugement de la société, il est clair qu’une maladie contagieuse le fragilise. L’« ennemi invisible » affecte des corps bien visibles qui deviennent facilement suspects. Les applications destinées à tracer chacun de nos mouvements, l’obligation de s’enregistrer dans les restaurants ou la recherche administrative des cas contacts entraînent un effacement de la sphère intime.

    On a prétendu que le confinement était une occasion de retrouver des expériences intimes en mettant entre parenthèses certaines contraintes sociales. Cela revient à confondre l’intime et le privé. L’impératif de « rester chez soi » relève d’un recentrage sur la sphère privée (familiale ou individuelle) supposée plus sûre que les interactions sociales, ce qui est loin d’être toujours le cas. A la différence du privé, l’intime est une notion relationnelle : les liens intimes se nouent à l’abri des regards, mais ce sont tout de même des liens.

    De ce point de vue, l’interdiction qui a été faite d’accompagner des proches au seuil de la mort, malgré ses justifications sanitaires, a quelque chose de scandaleux. On ne peut pas sacrifier à la vie ce qui humanise la vie. Il n’y a d’ailleurs pas grand sens à dire que nous devons « vivre avec le virus ». C’est avec des gens que nous vivons. L’intime est la part de l’existence sur laquelle ni l’Etat, ni la société, ni même la médecine ne devraient avoir autorité.

    Dans quelle mesure l’intime est-il #politique ?

    L’intime est politique par le seul fait qu’il n’est jamais donné, mais toujours conquis. Au siècle des Lumières, l’invention de l’espace public est contemporaine de la popularisation du journal intime, un moyen pour les femmes d’exprimer leurs sentiments à l’abri du regard de leurs maris et de leurs confesseurs. Pour conquérir le droit d’être un peu moins jugés, il a fallu que les femmes, les couples non mariés, les homosexuels, etc., exposent dans l’espace public leurs formes de vie. De ce point de vue, il n’y a pas d’opposition entre la politique et l’intime.

    Dans une société démocratique, l’intime devient un objet de revendications parce que l’espace domestique est aussi un lieu d’injustices et de violences. Il est dès lors inévitable, et même souhaitable, que ce qui était jusque-là considéré comme relevant de la sphère « privée » devienne visible. C’est bien ce que montre le phénomène #metoo : une politisation de fait des relations entre les sexes, en tant qu’elles demeurent profondément inégalitaires. Cela n’implique pas l’exhibition de soi, ni l’immixtion de l’Etat dans chaque détail de la vie amoureuse ou sexuelle des individus. Cela montre en revanche que la démocratie repose sur ce que Claude Lefort appelait la « légitimité du débat sur le légitime et l’illégitime ».

    Il n’y a pas de raison que ce débat ne porte que sur des thèmes institutionnels, économiques ou identitaires jugés nobles sous prétexte qu’ils sont traditionnels. On se rend d’ailleurs facilement compte que ce qui relève du « sociétal » (où l’on cantonne souvent l’intime) engage des questions sociales. La précarité matérielle s’accompagne le plus souvent d’une réduction de l’espace intime. On perd une dimension de sa vie lorsque l’on est contraint en permanence de chercher les moyens de la gagner.

    Alors que les réseaux sociaux mettent en scène notre extimité, pourquoi plaidez-vous pour un « partage de l’intime » ?

    Le désir de partager ses expériences intimes est naturel : les humains sont en quête de légitimation dans toutes les sphères de leur expérience. Nous discutons de nos amours, faisons le récit de nos fantasmes ou parlons de nos corps parce que nous sommes des êtres de langage soucieux de confronter nos expériences. Le problème est de savoir avec qui ce partage s’effectue, et selon quelles modalités. Fondés sur le désir de montrer qui l’on est et ce que l’on vit, les réseaux sociaux donnent l’illusion que ce partage peut être universel. Ils suggèrent qu’une expérience est réelle à condition d’être partagée par le plus grand nombre.

    Il me semble que les connexions rendues possibles par Internet exploitent un doute éminemment contemporain sur l’intime. Pour être sûrs qu’une expérience amoureuse ou sexuelle a véritablement eu lieu et qu’elle a du sens, nous sommes invités à la confier à nos followers qui la transformeront en objet discursif. Il en va de même de ces œuvres d’art que nous prenons en photo sur nos téléphones portables et envoyons sur le Web avant même de les regarder.

    Cela relève moins de l’exhibitionnisme que d’une incertitude sur la signification de ce que nous vivons. Les « pouces bleus », les « like » ou le nombre d’« amis » sur Facebook répondent à cette incertitude, mais d’une manière qui s’avère le plus souvent illusoire. Une expérience intime se réalise en effet dans le sensible. Elle suppose une proximité des corps et des paroles que les instruments numériques ne peuvent que mimer.

    Dans « Récidive », ouvrage dans lequel vous montrez des analogies entre les renoncements politiques, éthiques et sociaux de l’année 1938 et ceux de notre temps, vous parlez d’une « défaite des #sentiments ». Pour quelles raisons l’érosion de certains #affects menace-t-elle la démocratie ?

    En lisant la presse et la littérature françaises de 1938, j’ai été frappé par la concomitance entre la montée en puissance des discours autoritaires et la promotion de l’insensibilité au rang de vertu politique. C’est une année où, bien au-delà des cercles antisémites traditionnels, on parle des réfugiés juifs venus d’Allemagne avec une hostilité déguisée en froideur comptable.

    C’est aussi l’année où Sartre écrit L’Enfance d’un chef , une nouvelle où il décrit comment un adolescent devient fasciste en se rendant insensible au monde et en fondant son caractère sur le mépris des juifs et du Front populaire. C’est en 1938, enfin, que Bernanos écrit, dans Les Grands Cimetières sous la lune : « L’homme de ce temps a le cœur dur et la tripe sensible. » L’abandon des principes démocratiques suppose une sorte de glaciation des subjectivités : un mélange de dureté et de sensiblerie caractéristique des périodes où la peur devient la passion sociale dominante.

    La situation actuelle est bien sûr différente historiquement de ce qu’elle était à la fin des années 1930. En revanche, l’alliance entre une raison gestionnaire désincarnée et des passions tristes a resurgi de manière spectaculaire depuis que l’Europe s’est à nouveau installée dans un régime de crise permanente.

    Or, la démocratie ne repose pas seulement sur des procédures réglées par le droit. Elle suppose aussi une capacité d’empathie qui est mise à rude épreuve dès lors que l’autre en général – l’étranger, le pauvre et désormais même l’autre corps susceptible de porter le virus – est vu comme une menace. A l’inverse, une démocratie vivante est une démocratie sensible où le fait de devoir vivre les uns avec les autres est perçu autrement que comme une contrainte.

    Après les attentats de 2015, les terrasses et les cafés étaient considérés comme des îlots de résistance, ou plutôt comme des lieux de l’affirmation d’une liberté et d’une manière de vivre. Aujourd’hui, ils représentent ce qui nous menace…

    L’idée énoncée après les attentats, selon laquelle le désir d’aller au café constitue un acte de résistance, me semble aussi exagérée que celle, développée aujourd’hui, selon laquelle ce désir relève du comble de l’incivilité. On peut néanmoins se souvenir qu’en 2015 les terroristes ont intentionnellement visé des lieux de plaisir qu’ils assimilaient à la décadence des sociétés démocratiques. Rétrospectivement, cela donne un goût amer aux discours actuels qui incriminent l’inconscience des Français, particulièrement des jeunes, accusés de sacrifier les règles sanitaires à leur hédonisme.

    Ces discours manquent de base empirique : on devrait plutôt reconnaître que la plupart des citoyens se plient à des contraintes qui auraient été inimaginables il y a moins d’un an. Surtout, les postures hygiénistes consonnent un peu trop avec des tendances autoritaires qui précédaient la pandémie.

    La fête est-elle finie ?

    Pour en revenir à l’avant-guerre, Marc Bloch note, dans L’Etrange Défaite , que l’un des manquements de la République française de la fin des années 1930 est de ne pas avoir su offrir de fêtes à ses citoyens. Il compare l’abattement qui a suivi le Front populaire aux fêtes organisées dans le même temps par les Etats fascistes. Non pas, évidemment, que Bloch regrette que les démocraties n’aient pas organisé l’équivalent des congrès nazis de Nuremberg. Tout au contraire, il aurait souhaité des fêtes destinées à renforcer le goût pour la liberté et l’égalité, au plus loin du culte du chef qui réunissait alors les foules allemandes.

    Par cette remarque inattendue dans une analyse consacrée à la défaite militaire la plus dramatique qu’ait essuyée la France dans son histoire, Bloch exprime à merveille l’importance du sensible dans l’adhésion à la démocratie.

    Une #fête authentique est une expérience de l’égalité heureuse où les hiérarchies sociales sont mises en suspens. A la différence des fêtes d’Etat organisées dans les pays autoritaires, elles n’ont pas un centre (le chef) vers lequel convergent les regards de spectateurs réduits à la passivité. Elles rappellent de manière concrète que les rôles sociaux ne sont pas fixés pour toujours, et que la séparation entre la scène et la salle n’est pas intangible.

    Le #couvre-feu abolit une partie de la vie nocturne. Pourquoi, d’un point de vue sanitaire ou #sécuritaire, les nuits sont-elles autant surveillées ?

    Il faut reconnaître que la nuit n’est pas un espace propice au respect scrupuleux de la distanciation physique. Non seulement en raison des comportements excentriques qu’elle favorise, mais aussi du fait de l’obscurité relative qui y règne. La morale de la vigilance et de la précaution qui prime lors de la présence d’une maladie contagieuse suppose un usage performant de la vue. Là encore, on ne sort pas du sensible et de ses liens avec la politique. Pour pouvoir calculer les risques, il faut y voir clair. C’est précisément ce que la nuit rend plus difficile.

    Je n’ai aucune compétence pour juger de la pertinence du couvre-feu du point de vue sanitaire. Mais cette mesure, qui n’est rien d’autre qu’un confinement appliqué au temps nocturne, relève aussi de la défiance traditionnelle des autorités à l’égard de la nuit. Pour s’exercer efficacement, le pouvoir doit voir les corps, il cherche même à prévoir leurs comportements. Comme la nuit est le lieu de l’imprévisible, elle constitue un défi à l’ordre.

    Bien avant la pandémie, la multiplication des caméras de vidéosurveillance, la lumière blanche des néons et les restrictions administratives en matière de vie nocturne trahissaient le désir de domestiquer la nuit, de la rendre aussi transparente que le jour. La crise sanitaire est survenue dans un contexte déjà dominé par le sécuritaire, donc hostile au crépuscule.

    Passé cette épreuve où le clair-obscur apparaît comme une menace, on peut espérer que le désir de nuit, c’est-à-dire celui de ne pas être reconnu, retrouvera ses droits. La nuit, nous sommes moins regardés, donc aussi moins regardants. Cette tolérance du regard est liée à la démocratie comme valorisation sensible des libertés.

    Pourquoi les gens sont-ils beaux la nuit, comme le dit un personnage du film « La Maman et la Putain », de Jean Eustache ?

    Alexandre (Jean-Pierre Léaud), qui prononce cette phrase, est un personnage qui tente de justifier son goût pour la nuit alors même qu’il provoque sa séparation d’avec sa compagne qui, elle, a choisi de vivre le jour. Ce n’est pas que les gens sont objectivement plus beaux la nuit, c’est que le beau devient ici une dimension du regard, davantage qu’un attribut des corps. En plein jour, c’est par comparaison que l’on déclare quelqu’un « beau » (mais aussi élégant, doué, intéressant, compétitif, etc.).

    Dans un système économique concurrentiel, le critère du jugement est la performance. La nuit, les comparaisons sont plus difficiles du fait de l’obscurité. Au point que l’on a dû inventer un personnage spécifiquement assigné à cette tâche : le physionomiste, qui, à la porte d’un bar ou d’un club, décide qui a le droit d’entrer et qui doit rester sur le seuil. Dire, comme Alexandre, que les gens sont beaux la nuit, c’est dire que le clair-obscur rend indulgent à l’égard d’excentricités qui seraient mal vues en pleine lumière.

    Que va-t-on chercher dans la nuit, sinon un suspens de la logique de la comparaison ? Cela ne vaut pas seulement de la nuit festive, mais aussi de la nuit contemplative du promeneur. Le nocturne n’abolit pas la vision, il permet de voir et de percevoir autrement et avec davantage de bienveillance. Là encore, la politique n’est pas loin. Une tradition héritée du droit romain veut que les témoignages nocturnes sont irrecevables par un juge. Du fait de l’obscurité, on ne peut donner un crédit entier à ce que le témoin prétend avoir vu. En conséquence, le juge passe l’éponge sur les accusations. La nuit le rend lui-même plus indulgent.

    Comment peut-on retrouver le sens de la fête, de la nuit et de la démocratie après l’épreuve vécue par un pays coincé entre la pandémie et les attentats, le sanitaire et le sécuritaire ? Que nous est-il permis d’espérer en 2021 ?

    Il faut peut-être partir de ce que la crise sanitaire a révélé, en provoquant parfois de l’exaspération : une extension considérable du domaine du pouvoir d’Etat. Il sera plus difficile de dire que nous vivons dans un monde postpolitique, uniquement régulé par l’économie et peuplé d’individus consommateurs, maintenant que nous avons tous fait l’expérience que les gouvernements et les administrations peuvent du jour au lendemain décider du droit des citoyens à franchir leur porte. Un libéral se scandaliserait de cette incursion de l’#Etat dans l’intime.

    On a beaucoup stigmatisé l’infantilisation dont faisaient l’objet les Français, souvent à juste titre. Mais puisque nous sommes à la période des vœux, on peut risquer un pari plus optimiste. Ceux qui aiment la fête, mais aussi ceux qui ont un goût pour les promenades impromptues, les rencontres à visage découvert, les voyages à plus d’un kilomètre de leur domicile, les activités sportives, les cultes religieux, etc. pourront se dire que leurs désirs sont liés à l’état de l’hôpital et à la pratique des gouvernants.

    Ces dernières années, l’attachement aux #libertés a souvent été présenté comme un luxe de privilégiés, inconscients des enjeux sécuritaires. On s’aperçoit en général de leur valeur existentielle au moment où l’on en est privé. La situation actuelle nous apprend que la politique n’est pas un vain mot et que dans une démocratie tout se tient : les mesures en matière de santé publique, les libertés civiles et les expériences les plus ordinaires.

    Je ne pense pas que l’on puisse attendre quoi que ce soit de bon d’une épidémie. Mais il est permis d’espérer que les mesures qui ont été prises pour lutter contre elle seront l’occasion d’un regain d’intérêt pour la politique. Le fait que le pouvoir se soit invité dans les vies intimes peut susciter un désir de participer collectivement à son exercice, sans lequel il n’y a pas de démocratie.

    « Nous sommes confinés mentalement, bien plus encore que nous ne l’avons été physiquement », Claire Marin
    https://seenthis.net/messages/893277

    « C’est désormais dans l’intime que les femmes cherchent leur dignité », Eva Illouz
    https://seenthis.net/messages/893985

  • Sahara occidental : « Entre la diplomatie agressive de Donald Trump et celle, plus policée, de l’Union européenne, la différence n’est pas aussi grande »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/28/sahara-occidental-entre-la-diplomatie-agressive-de-donald-trump-et-celle-plu

    Reconnu par l’ONU et les juridictions internationales, le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui est bafoué par Donald Trump, mais l’Union européenne laisse faire et pratique ses propres « arrangements », déplorent, dans une tribune au « Monde », le juriste François Dubuisson et le magistrat Ghislain Poissonnier.

    #paywall

    • La récente annonce faite par le président Donald Trump de la normalisation des relations entre le Maroc et Israël https://www.lemonde.fr/afrique/article/2020/12/11/le-deal-de-donald-trump-entre-le-maroc-et-israel_6063018_3212.html a remis sur le devant de la scène un conflit oublié, celui du Sahara occidental. La reconnaissance d’Israël par les Emirats arabes unis, Bahreïn et le Soudan avait été obtenue par la promesse d’avantages économiques et militaires. Cette fois, ce sont les droits de tout un peuple qui ont été bradés par l’administration états-unienne, pour s’assurer les bonnes faveurs marocaines.

      En effet, dans une déclaration publiée le 10 décembre, les Etats-Unis « reconnaissent la souveraineté marocaine sur l’ensemble du territoire du Sahara occidental », en estimant « qu’un Etat sahraoui indépendant n’est pas une option réaliste pour résoudre le conflit ». Une fois de plus, et à l’instar de son « accord du siècle » supposé résoudre le conflit israélo-palestinien, Donal Trump prétend régler un différend au Moyen-Orient au mépris des principes du droit international et sans consulter l’une des parties, en l’occurrence le peuple sahraoui, représenté par le Front Polisario.

      A cet égard, il est bon de rappeler que le Sahara occidental, ancienne colonie espagnole, est inscrit sur la liste des territoires non autonomes établie par les Nations unies, et que son peuple bénéficie du droit à l’autodétermination, comme l’ont reconnu de nombreuses résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies (notamment la résolution 2229 du 20 décembre 1966), ainsi qu’un avis de la Cour internationale de justice rendu en 1975. https://www.icj-cij.org/public/files/case-related/61/6196.pdf

      Lire aussi « Le traitement des militants sahraouis s’inscrit dans le retour au Maroc d’une répression des voix critiques »

      En violation de ces principes, la majeure partie du territoire du Sahara occidental a été conquise par le Maroc en 1975, qu’il a ensuite annexé, la présence marocaine ayant été qualifiée d’« occupation » par l’Assemblée générale de l’ONU (résolution 34/37 du 21 novembre 1979).

      Silence

      Il en résulte que le Sahara occidental se voit reconnaître un statut séparé et distinct par rapport à celui de tout Etat, y compris celui du Maroc. Il en résulte aussi que sa population dispose d’un droit à l’autodétermination, qui doit être mis en œuvre par la tenue d’un référendum, exigée de longue date par le Conseil de sécurité de l’ONU, à laquelle le #Maroc s’oppose, s’en tenant à une offre d’autonomie sous souveraineté marocaine, solution désormais avalisée par les Etats-Unis.

      Article réservé à nos abonnés Lire aussi Le Sahara occidental en proie à un regain de tension

      Dans un tel contexte, on s’attendrait à une prise de position forte de la part de l’Union européenne (UE) ou de la France, rappelant les Etats-Unis au strict respect du droit international, mettant en garde le Maroc et #Israël contre toute velléité de « normaliser » leurs #annexions et #occupations respectives.
      Mais jusqu’à présent, c’est le silence qui domine, renvoyant l’UE et la France à leurs propres ambiguïtés, leurs propres « petits arrangements » avec le respect du droit international.

      En effet, depuis de très nombreuses années, l’UE a conclu des accords économiques et commerciaux avec le Maroc qui sont, dans les faits, appliqués au Sahara occidental, contribuant ainsi à renforcer l’emprise du royaume sur ce territoire.

      La prétention des autorités européennes de ne pas voir dans cette application une reconnaissance officielle de la souveraineté marocaine est en réalité de peu de poids face à la contribution qu’elle apporte à la position du Maroc, telle qu’elle vient encore de se manifester dans le cadre de l’accord de normalisation conclu avec Israël et les Etats-Unis.

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      Cette politique économique a récemment été mise au pas par deux décisions de la Cour de justice de l’Union européenne (le 21 décembre 2016 et le 27 février 2018). Celle-ci a rappelé qu’au regard du droit international, les accords conclus par l’UE avec le Maroc (sur la pêche, sur l’agriculture, sur le transport aérien, etc.) ne pouvaient s’appliquer au territoire du Sahara occidental sans méconnaître le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui, dont le consentement serait nécessaire pour toute conclusion de tels accords.

      Droits humains au second plan

      Pourtant, en méconnaissance des principes rappelés par la Cour de justice, l’Union européenne a conclu de nouveaux accords économiques avec le Maroc https://www.lemonde.fr/afrique/article/2019/01/17/le-parlement-europeen-inclut-le-sahara-occidental-dans-son-accord-commercial qui, cette fois, s’appliquent très explicitement au territoire du Sahara occidental, sans avoir obtenu le consentement du peuple sahraoui à travers son représentant, le Front Polisario. Des recours en annulation ont à nouveau dû être intentés contre ces nouveaux accords, preuve que l’obtention du respect effectif de leurs obligations par les autorités de l’UE dans le dossier du Sahara occidental est un labeur de très longue haleine.

      Lire aussi Le « deal » de Donald Trump entre le Maroc et Israël

      Finalement, on constate qu’entre la diplomatie agressive de Donald Trump, qui entend résoudre les conflits du Moyen-Orient à coups de Tweet, de passages en force, de plans élaborés sans les parties prenantes et de mise au rebut des règles du droit international, et celle, plus policée, de l’Union européenne, qui affirme de beaux principes sans jamais s’efforcer de les mettre en œuvre, la différence n’est pas aussi grande qu’il n’y paraît.

      L’UE privilégie les partenariats, comme ceux noués avec Israël et le Maroc, sous l’angle des avantages économiques, du contrôle de l’immigration et de la lutte contre le terrorisme, en faisant passer au second plan les droits humains, comme ceux des peuples palestinien et sahraoui.

      Il est grand temps que l’Union européenne, dont le traité précise que le respect du droit international doit être au cœur de sa politique étrangère, se ressaisisse en condamnant très clairement la déclaration du président Trump concernant la reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le Sahara occidental, et en mettant enfin ses accords commerciaux conclus avec le Maroc en harmonie avec le droit international, comme le lui demande la Cour de justice de l’Union européenne.

      #Sahara_occidental #Union_européenne

  • Claire Marin : « Nous sommes confinés mentalement, bien plus encore que nous ne l’avons été physiquement »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/27/claire-marin-nous-sommes-confines-mentalement-bien-plus-encore-que-nous-ne-l

    EntretienLes penseurs de l’intime (5/10) Philosophe des épreuves de la vie, Claire Marin explique dans un entretien au « Monde » comment la crise sanitaire accentue les ruptures sociales, professionnelles ou familiales et nous prépare « douloureusement à vivre autrement » en 2021.

    Entretien. Née en 1974, Claire Marin est philosophe et enseigne dans les classes préparatoires aux grandes écoles à Paris. Membre associée de l’Ecole normale supérieure, elle dirige le Séminaire international d’études sur le soin. Autrice de Rupture(s) (L’Observatoire, 2019), un ouvrage remarqué sur la philosophie de la séparation, elle analyse la façon dont la crise sanitaire affecte notre intimité.

    L’essor du virtuel, du télétravail et de la pédagogie en ligne est-il le signe d’un accroissement des libertés ou celui d’une nouvelle aliénation ?

    L’usage démultiplié du virtuel et des technologies de la distance a eu des effets très différents selon les cadres et les situations dans lesquels il s’est déployé. Il a montré ses faiblesses dans les domaines où la transmission s’appuie sur la relation et la présence réelle dans un même espace – coprésence qui permet une circularité des échanges, une appréhension de l’humeur des participants, une intuition de la réception du message dispensé.

    En visioconférence, « il nous manque tous ces petits signes quasi imperceptibles que le virtuel ne peut pas saisir »

    En clair, en matière d’enseignement, en particulier avec les plus jeunes, cela ne peut constituer à mon sens qu’une solution ponctuelle ou complémentaire. Ce serait une erreur de l’institutionnaliser. On perd ce qui fait l’essence – et l’intérêt – de ce métier, qui ne peut se réduire à un simple transfert de données du professeur à l’élève, mais qui doit rester une relation humaine. Le virtuel la détruit ou, tout au moins, l’appauvrit considérablement.

    Sur une mosaïque de visioconférence, on ne peut regarder personne dans les yeux. Même si mon regard s’adresse au visage de l’une des personnes, elle ne le sait pas, car elle ignore où son visage est placé (et se déplace, au gré des connexions des uns et des autres) sur l’écran. Les prises de parole se chevauchent, conduisant soit au silence pesant soit à la cacophonie. Les échanges sont souvent assez maladroits et insatisfaisants, les connexions parfois mauvaises. Tous ces éléments parasitent la conversation, l’interrompent, obligent à reprendre le fil des propos. Il nous manque tous ces petits signes quasi imperceptibles que le virtuel ne peut pas saisir, signes qui indiquent l’impatience de l’un à prendre la parole, la distance que traduit le léger retrait de l’autre, etc. Il nous manque la fluidité et la spontanéité des échanges de la « vraie vie ».

    Ce que nous avons découvert, c’est que notre vie n’est pas un fond d’écran sur lequel nous pouvons ouvrir une multitude de fenêtres en même temps. Ce à quoi le virtuel nous laisse croire, le « multitasking » magique (« je peux regarder ce film en répondant à mes messages »), l’expérience réelle l’a assez brutalement contredit. Je ne peux pas travailler si mes enfants jouent bruyamment aux aventuriers dans la pièce d’à côté. Les espaces incompatibles – privés et professionnels, intimes et sociaux – ne peuvent se confondre et se superposer sans dommage.

    Or, c’est bien ce qu’il faut faire sous la pression du travail à distance : vider l’espace familial de sa couleur personnelle et intime pour le convertir en lieu plus neutre de travail, imposer le silence aux enfants ou les restreindre à l’espace le plus lointain, vider la maison de sa qualité propre pour en faire un lieu où les regards extérieurs pourront pénétrer. Nous avons vu et donné à voir un peu de l’envers du décor : les intérieurs bourgeois, bohèmes, minimalistes ou surchargés de nos collègues, des artistes, des journalistes, des responsables politiques, les bibliothèques imposantes ou les étagères en kit, les lits superposés ou les grandes baies vitrées, les vis-à-vis oppressants ou la vue sur la mer. Le domaine privé l’est encore un peu moins qu’auparavant. Nous sommes entrés les uns chez les autres sans hospitalité.

    Nos ressources psychiques, comme nos capacités d’endurance physique, ne sont pas illimitées. Si nous étions capables de nous soucier des autres, de faire preuve de sollicitude, d’empathie, de générosité au printemps, c’est que nous n’étions pas éprouvés comme nous le sommes désormais, que nous pensions vivre une parenthèse et que nous avions même l’espoir d’effets positifs. Désormais, nous ne pouvons plus nous appuyer sur ce genre d’espérances. Un certain nombre d’élans ont été déçus et de nombreuses situations se sont aggravées. Il faut désormais gérer les effets de la première vague.

    #Confinement #Claire_Marin #Visioconférence

  • « Nous sommes confinés mentalement, bien plus encore que nous ne l’avons été physiquement », Claire Marin
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/27/claire-marin-nous-sommes-confines-mentalement-bien-plus-encore-que-nous-ne-l

    ENTRETIEN Les penseurs de l’intime (5/10) Philosophe des épreuves de la vie, Claire Marin explique dans un entretien au « Monde » comment la crise sanitaire accentue les ruptures sociales, professionnelles ou familiales et nous prépare « douloureusement à vivre autrement » en 2021.

    Née en 1974, Claire Marin est philosophe et enseigne dans les classes préparatoires aux grandes écoles à Paris. Membre associée de l’Ecole normale supérieure, elle dirige le Séminaire international d’études sur le #soin. Autrice de Rupture(s) (L’Observatoire, 2019), un ouvrage remarqué sur la philosophie de la séparation, elle analyse la façon dont la crise sanitaire affecte notre intimité.

    Dès le début de la crise sanitaire et du confinement de la population française, liés à la pandémie de Covid-19, la société a voulu se projeter vers « le monde d’après ». Pourquoi l’expression – qui a pratiquement disparu – paraît-elle obsolète aujourd’hui ?

    Pour traverser et supporter une épreuve, on a d’abord besoin de se dire qu’elle aura une fin, qu’elle ne durera pas indéfiniment et qu’elle a un sens : qu’elle permettra une clarification des lignes, une redéfinition plus satisfaisante de notre existence, un changement social, politique, économique… Bref, on a besoin de penser que les sacrifices qu’elle exige, la souffrance qu’elle impose, seront d’une certaine manière compensés par l’entrée dans une autre réalité où l’on trouvera des bénéfices, des améliorations.

    On a besoin de l’inscrire dans un mouvement dialectique où le négatif est le passage obligé pour atteindre une situation meilleure. Le négatif aurait quelque chose de purificateur, d’une certaine manière. Car ce qui est insupportable, c’est de penser que l’épreuve puisse ne servir à rien, ne rien changer. C’est pour cette raison sans doute que l’on a tant parlé du « monde d’après », cette représentation nous aidait à tenir dans les moments angoissants.

    Or, assez rapidement, cette image soutenante d’un « monde d’après » a disparu. Plus personne n’emploie cette expression, si ce n’est de manière ironique. On est en train d’intégrer plus ou moins consciemment l’idée que le schéma qui s’annonce n’est sans doute pas celui d’une séparation nette et franche entre l’avant et l’après, mais celui d’un glissement vers un nouveau rythme d’existence, fait de crises et de moments plus calmes, plus « normaux », dans une alternance dictée par des priorités sanitaires.

    Sans jouer les Cassandre, il n’est pas impossible que ce genre d’épisodes s’inscrive dans une série plus longue. Il va falloir peut-être admettre que 2020 nous prépare douloureusement à l’idée de devoir vivre autrement. Même si l’on espère désormais, de manière beaucoup plus modeste, un simple « retour à la normale », on mesure bien tout ce qui a été changé, pour le meilleur et pour le pire. Et on peut s’inquiéter légitimement des impacts à long terme de ces modifications du travail, de l’enseignement, du soin, du rapport à la sécurité et des relations entre les individus

    Parmi les désirs de changement ou de rupture, il y a le souhait assez répandu de changer de vie, notamment en s’installant à la campagne. Comment penser cette envie de vivre ailleurs et autrement ?

    Il n’est pas très surprenant qu’étant assignés à un lieu nous ayons rêvé d’autres lieux, de lieux tout autres, qui étaient peut-être même, sans qu’on s’en rende bien compte, plus des utopies que des lieux réels. Notre rapport à l’espace, ou plus exactement aux espaces, a été profondément modifié par l’expérience du confinement. C’est ce pluriel d’espaces que nous avons soudain perdu, réalisant ainsi à quel point notre vie est désormais plus dans l’espace du dehors que dans celui du dedans. Michel Foucault dit que « nous vivons dans l’espace du dehors par lequel nous sommes attirés hors de nous-mêmes » (« Des espaces autres », Dits et écrits IV ). Or nous avons été et sommes encore privés de ces espaces autres, qu’il s’agisse des lieux de passage, comme les rues, ou des « espaces de halte provisoire » comme les cafés ou les cinémas.

    Ces espaces extérieurs nous libèrent aussi du tête-à-tête avec nous-mêmes. En cela, ils nous sont nécessaires et fonctionnent comme un principe de « divertissement » psychique : ils nous délivrent du poids d’être sans cesse ramenés à nous. C’est ce retour forcé à soi qui peut nous paraître intolérable et qui nourrit ces élans projectifs vers d’autres lieux. En période de confinement, la maison n’est plus seulement un espace de repos, elle peut devenir lieu d’enfermement et, pour reprendre une autre expression de Foucault, « topie impitoyable » : un espace qui renvoie sans cesse chacun à lui-même, d’une manière parfois violente. Ou encore, huis clos intolérable et infernal avec les autres, devenus trop présents.

    Peut-être est-ce plus d’un jardin que nous avons finalement rêvé, puisqu’il est dans notre imaginaire la conjugaison parfaite de la nature et du monde. Il est la nature transformée par la culture, créant pour nous un petit monde naturel organisé, domestiqué. Le jardin est pour nous, comme le rappelle Foucault, une sorte d’« hétérotopie heureuse », un espace autre qui constitue pour nous à la fois « une petite parcelle du monde » et la « totalité du monde ». C’est bien là le rôle de ces hétérotopies de « compensation », comme le dit le philosophe : « Créer un autre espace, un espace réel, aussi parfait, aussi méticuleux, aussi bien arrangé que le nôtre est désordonné, mal agencé et brouillon. » Créer à travers ce lieu fantasmé un petit monde maîtrisé, alors que celui que nous connaissions semble s’effondrer.

    L’essor du virtuel, du télétravail et de la pédagogie en ligne est-il le signe d’un accroissement des libertés ou celui d’une nouvelle aliénation ?

    L’usage démultiplié du virtuel et des technologies de la distance a eu des effets très différents selon les cadres et les situations dans lesquels il s’est déployé. Il a montré ses faiblesses dans les domaines où la transmission s’appuie sur la relation et la présence réelle dans un même espace – coprésence qui permet une circularité des échanges, une appréhension de l’humeur des participants, une intuition de la réception du message dispensé.

    En clair, en matière d’enseignement, en particulier avec les plus jeunes, cela ne peut constituer à mon sens qu’une solution ponctuelle ou complémentaire. Ce serait une erreur de l’institutionnaliser. On perd ce qui fait l’essence – et l’intérêt – de ce métier, qui ne peut se réduire à un simple transfert de données du professeur à l’élève, mais qui doit rester une relation humaine. Le virtuel la détruit ou, tout au moins, l’appauvrit considérablement.

    Sur une mosaïque de visioconférence, on ne peut regarder personne dans les yeux. Même si mon regard s’adresse au visage de l’une des personnes, elle ne le sait pas, car elle ignore où son visage est placé (et se déplace, au gré des connexions des uns et des autres) sur l’écran. Les prises de parole se chevauchent, conduisant soit au silence pesant soit à la cacophonie. Les échanges sont souvent assez maladroits et insatisfaisants, les connexions parfois mauvaises. Tous ces éléments parasitent la conversation, l’interrompent, obligent à reprendre le fil des propos. Il nous manque tous ces petits signes quasi imperceptibles que le virtuel ne peut pas saisir, signes qui indiquent l’impatience de l’un à prendre la parole, la distance que traduit le léger retrait de l’autre, etc. Il nous manque la fluidité et la spontanéité des échanges de la « vraie vie ».

    Mais le télétravail n’a-t-il pas aussi libéré du temps et de l’espace ?

    Certes, le télétravail peut aussi être vécu comme une forme de libération. Parce qu’il épargne les heures perdues dans les transports, qu’il permet des aménagements dans les horaires et que certains y découvrent une plus grande efficacité, les conditions d’une meilleure concentration que dans les open spaces où l’on est sans cesse dérangé. Des études suggèrent même qu’il augmente la productivité. Certains de ces aménagements seront sans doute amenés à perdurer dans le fonctionnement de l’entreprise à l’avenir. Mais on voit aussi que ce travail à distance ne permet pas la stimulation des échanges réels ; les moments créatifs seraient aussi ceux de la machine à café et des discussions informelles.

    Ce que nous avons découvert, c’est que notre vie n’est pas un fond d’écran sur lequel nous pouvons ouvrir une multitude de fenêtres en même temps. Ce à quoi le virtuel nous laisse croire, le « multitasking » magique (« je peux regarder ce film en répondant à mes messages »), l’expérience réelle l’a assez brutalement contredit. Je ne peux pas travailler si mes enfants jouent bruyamment aux aventuriers dans la pièce d’à côté. Les espaces incompatibles – privés et professionnels, intimes et sociaux – ne peuvent se confondre et se superposer sans dommage.

    Or, c’est bien ce qu’il faut faire sous la pression du travail à distance : vider l’espace familial de sa couleur personnelle et intime pour le convertir en lieu plus neutre de travail, imposer le silence aux enfants ou les restreindre à l’espace le plus lointain, vider la maison de sa qualité propre pour en faire un lieu où les regards extérieurs pourront pénétrer. Nous avons vu et donné à voir un peu de l’envers du décor : les intérieurs bourgeois, bohèmes, minimalistes ou surchargés de nos collègues, des artistes, des journalistes, des responsables politiques, les bibliothèques imposantes ou les étagères en kit, les lits superposés ou les grandes baies vitrées, les vis-à-vis oppressants ou la vue sur la mer. Le domaine privé l’est encore un peu moins qu’auparavant. Nous sommes entrés les uns chez les autres sans hospitalité.

    On a beaucoup parlé du manque de contact à travers l’évitement du toucher, mais c’est la présence qui vous apparaît comme la véritable question éthique à questionner. Pour quelles raisons ?

    Toutes les formes de toucher ne sont pas à mettre sur le même plan. Certains contacts peuvent disparaître – les femmes en particulier ne s’en plaindront pas. On sait intuitivement quels sont les contacts qui empiètent sur notre espace personnel de manière illégitime et envahissante, profitant de certaines habitudes sociales, et quels sont ceux qui au contraire nous rassurent, nous encouragent ou nous réconfortent. Certaines mises à distance ne sont pas si désagréables. On a apprécié, pendant un temps bref, de ne plus être compressé dans une rame de métro ou dans un bus.

    Je ne crois pas que l’on aille vers une société sans contact, une société de l’évitement physique. Le toucher nous manque et nous avons du mal à refréner l’élan spontané vers ceux que l’on aime. La question de la présence me paraît en effet essentielle. Parce qu’elle se colore des affects des autres, elle transmet les humeurs, on y palpe l’atmosphère d’une situation. Elle véhicule les tensions, les amitiés, les affinités, les attentes ou le désintérêt. Et elle motive. On n’a pas le même enthousiasme ni la même efficacité lorsque l’on tente d’intéresser des visages sur un écran ou des personnes présentes dans le même espace réel et dont on perçoit spontanément les réactions, les mimiques, les légers mouvements de retrait ou d’intérêt. En virtuel, nous sommes des hommes-troncs, réduits dans notre expression corporelle, privés d’une partie de ces signifiants implicites essentiels. Les corps ainsi corsetés par le cadre de la vidéo perdent énormément en expressivité. On devient littéralement des « présentateurs » que la posture figée restreint et limite.

    Sans faire un cours d’étymologie, praesens en latin renvoie à l’idée d’« être en avant ». La présence est par nature dynamique, elle est mouvement vers l’autre, attention, élan. Le virtuel autorise plus facilement la présence passive, la « consommation » d’informations, le peu d’implication. La distance du virtuel n’est pas seulement géographique, elle est aussi psychologique, elle peut se redoubler d’une posture de retrait ou d’évitement (on participe peu, on éteint son micro ou sa caméra), notamment parce que l’exposition virtuelle peut mettre mal à l’aise : mon visage s’affiche aussi, alors que l’un des plaisirs des interactions est sans doute de pouvoir l’oublier.

    Avec la pandémie de Covid-19, la maladie est devenue un sujet « extime ». Elle focalise l’attention, concentre les conversations, oriente l’action au risque de la transformer en obligation morale. Comment vivre avec cette présence ?

    La maladie est en effet un sujet de conversation à la fois public et quotidien. Ce qui était de l’ordre du privé, de l’intime, est désormais une préoccupation collective, que l’on vit en même temps que les autres mais qui ne nous rapproche pas pour autant. C’est une expérience générale mais qui ne crée pas de liens véritables, elle a plutôt tendance à les empêcher, les interdire et peut-être plus durablement les abîmer dans les formes de ressentiment, de colère ou de dépression qu’elle engendre.

    Ce que l’on découvre, c’est que l’on ne vit pas avec une maladie ou sa menace, mais qu’on s’efforce de vivre malgré elle, c’est-à-dire dans la restriction de libertés, dans la perte de contact, dans une vie réduite, souvent appauvrie sur le plan professionnel, social et affectif. Une vie où les projections, les anticipations sont suspendues, où tout est susceptible d’être remis en question du jour au lendemain. Cette existence sur le mode de l’incertitude et de l’inquiétude est celle que connaissent les malades au long cours. Elle concerne désormais chacun d’entre nous.

    Même si nous ne le sommes pas, nous vivons d’une certaine manière comme des malades. Fragilisés dans notre confiance spontanée dans la vie – confiance dont nous n’avons même pas conscience tant que nous sommes en bonne santé –, nous calculons désormais nos gestes et évaluons les risques des sorties, des rencontres. Et cette inquiétude latente nous épuise. L’omniprésence du virus dans les médias, les discussions, produit un effet obsessionnel. Nous ne pouvons pas nous « distraire » de cette idée anxiogène. Nous sommes confinés mentalement bien plus encore que nous ne l’avons été physiquement.

    Pourquoi la maladie est-elle une catastrophe intime et dans quelle mesure l’intimité est-elle, selon vous, interdite au malade ?

    Elle est une catastrophe parce qu’elle bouleverse la perception de soi, le sentiment d’identité. Elle peut être vécue comme une déchéance physique, une expérience humiliante, dégradante ou terrifiante, comme cela a été le cas pour certains malades du Covid très gravement atteints. L’intimité est d’autant plus interdite au malade durant cette pandémie que cette maladie nous oblige à l’exposer, à nous signaler comme malade. Nous devons dire que nous sommes malades pour avertir et protéger les autres du danger que nous constituons. Atteints du Covid, nous ne sommes pas « seulement » des victimes, nous devenons une menace. Nous ne pouvons plus bénéficier du soutien que le malade trouve habituellement auprès des siens, à travers des gestes de réconfort ou une simple présence.

    Cette crise sanitaire oblige aussi les malades « discrets », ceux dont la pathologie peut être vécue sans être dévoilée, à rendre publique leur maladie : il a ainsi fallu dire qu’on était à risque, là où l’on pouvait être fragile sans que les collègues ou les voisins le sachent. Cette crise nous piège dans une visibilité contrainte. Elle nous rend transparents malgré nous, elle dit qui nous fréquentons (lorsque nous devons identifier des cas contacts), elle rend publique une partie de ce qui restait encore, dans cette époque de la grande exhibition, secret ou privé.

    Dernier point : la logique sanitaire crée des « malades potentiels », désigne comme vulnérables des personnes âgées qui ne se seraient jusqu’alors pas définies comme telles. Cette opposition entre le sentiment de soi et l’étiquette apposée arbitrairement, cette fragilité décrétée, est aussi une expérience assez violente, comme un vieillissement soudain et accéléré. La maladie s’est immiscée dans nos vies, dans nos gestes, nos habitudes et notre imaginaire. Elle est le nom d’une nouvelle inquiétude contemporaine.

    Nos vies ne sont-elles pas réduites à l’économie, dans une sorte de métro-boulot-dodo sanitaire et autoritaire ?

    Oui, dans tous les sens du terme. D’abord, littéralement, puisque l’étymologie d’économie nous renvoie à l’idée de gérer la maison ; il s’agit d’assurer la base économique qui nous permet d’avoir un toit et de nous nourrir. Pour certains, cette tâche est déjà extrêmement difficile, car leur source de subsistance (et d’existence, le travail n’étant pas nécessaire que sur le plan matériel) est suspendue. Parce qu’ils sont « non essentiels ». On note au passage la violence de cette nouvelle hiérarchie. Qu’est-ce qui nous est vraiment essentiel ? Pouvoir se mêler aux autres, dans des espaces communs, comme les restaurants, les cafés, les cinémas ou les piscines et les terrains de foot, est un besoin essentiel, nécessaire à notre équilibre psychique. Nous sommes des animaux sociaux.

    Mais on peut également dire que nous vivons en « mode économique », puisque la plupart des vies ont perdu de leur ampleur, sur différents plans. Soit parce que les revenus ont été diminués par la crise – il n’est pas rare que, dans une famille, l’un des membres soit assez sérieusement touché. Soit parce que, sur un plan existentiel, nos vies nous paraissent rétrécies : nous ne pouvons plus voir nos proches ou nos amis comme nous le souhaiterions, nous devons renoncer aux échanges, aux sorties, aux plaisirs qui donnent de l’intensité, du relief ou du sens à un quotidien devenu bien morne.

    Pourquoi, depuis la deuxième vague de l’épidémie, avons-nous l’impression de vivre « un jour sans fin », pour reprendre l’expression du président de la République ?

    Précisément parce que la vie s’étant réduite à une logique de nécessité. Elle semble plus répétitive, il y a moins d’éléments de surprise, moins de possibilités de rencontre, moins d’imprévu. La vie perd de sa diversité en se resserrant sur les seuls espaces réels ou virtuels de la famille et du travail. Et puis, si le premier confinement avait été envisagé dans un état d’esprit d’abord solidaire et combatif, on sent bien que la population est épuisée – certaines catégories tout particulièrement, comme les soignants.

    Nos ressources psychiques, comme nos capacités d’endurance physique, ne sont pas illimitées. Si nous étions capables de nous soucier des autres, de faire preuve de sollicitude, d’empathie, de générosité au printemps, c’est que nous n’étions pas éprouvés comme nous le sommes désormais, que nous pensions vivre une parenthèse et que nous avions même l’espoir d’effets positifs. Désormais, nous ne pouvons plus nous appuyer sur ce genre d’espérances. Un certain nombre d’élans ont été déçus et de nombreuses situations se sont aggravées. Il faut désormais gérer les effets de la première vague.

    Dans les hôpitaux, les urgences doivent faire face non seulement au manque de soignants, mais aussi aux conséquences dramatiques des retards de diagnostic liés au premier confinement. Les patients arrivent dans des états critiques, les « pertes de chances » sont réelles. Ils sont les victimes indirectes du Covid-19. Dans les écoles, collèges, lycées et facultés, on voit les séquelles de longs mois sans présence en classe ; les lacunes importantes, la fébrilité et l’inquiétude, notamment des élèves les plus âgés, pour leurs examens, leur avenir. On peut avoir l’impression d’être face à des tâches démesurées et on craint évidemment la perspective de Sisyphe. Est-ce que tout cela ne recommencera pas de nouveau d’ici quelques mois ? Certaines journées ressemblent à un mauvais rêve dont on ne réussit pas à s’extraire.

    Comment remédier à la rupture de certains liens provoquée par la crise sanitaire ?

    Je crois que les liens « essentiels » – puisqu’il me semble qu’ici cet adjectif est justifié – survivront à cette épreuve. Mais je m’inquiète aussi de notre « épuisement » et des habitudes virtuelles : est-ce que nous retrouverons l’élan, l’énergie ? Est-ce que nous serons capables des efforts que demandent les relations ou est-ce qu’une nouvelle hiérarchie se mettra en place, entre ce qui peut se contenter d’un « Zoom » et ce qui mérite qu’on se déplace, qu’on se rencontre ? Il me semble que quelque chose de cette logique – s’épargner l’effort de certaines relations – se dessine déjà. Or, c’est souvent dans les marges d’une rencontre que se jouent l’intensité et la profondeur qu’une relation peut prendre.

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    Claire Marin, philosophe des épreuves de la vie

    Son écriture philosophique a l’éclat de son regard bleuté, emprunt d’une immense clarté. Claire Marin est pourtant une philosophe des épreuves de la vie – ruptures, deuils, maladie –, une analyste de ces états limites où les frontières de l’identité se brouillent et lors desquelles la couleur des sentiments n’est pas aisée à démêler. Mais elle parvient toujours à dégager une idée d’une émotion, à tirer un concept d’un affect. A trouver les mots pour décrire une douleur, explorer une faille, un tourment ou accompagner un élan.
    Avec Rupture(s) (L’Observatoire, 2019), Claire Marin s’est imposée comme l’une des plus subtiles et pénétrantes philosophes de l’intime. Loin d’un « usage dévoyé » de la notion de #résilience, qui suppose chez les individus une capacité à rebondir en toutes circonstances, Claire Marin a montré qu’une séparation (amoureuse ou familiale) peut « nous disloquer jusqu’à la folie » . Mais elle a relevé aussi comment une rupture peut « être créatrice si elle se saisit de ce qu’elle brise » et tient dans « la capacité à réinventer son existence ou son identité en rompant avec les éléments mortifères du passé ».

    Lire aussi Claire Marin : « Avoir le courage de rompre est souvent le premier moment d’une réconciliation avec soi-même »

    C’est sans doute l’épreuve de la maladie qui lui a donné une si grande acuité. Atteinte d’une maladie auto-immune qui s’attaque aux cellules de l’organisme et les détruit, Claire Marin sait qu’elle est « face à [sa] propre déconstruction », puisque son corps s’effondre comme « un château de cartes ». Autrice de plusieurs ouvrages théoriques consacrés à cette déflagration ( Violences de la maladie, violence de la vie, Armand Colin, 2008 ; La Maladie, catastrophe intime, PUF, 2014), elle a mis au jour dans un récit vif et concis, Hors de moi (Allia, 2008), « l’invisibilité » dont souffrent les malades ( « Les médecins entrent dans la chambre et parlent de vous comme si vous n’étiez pas là » ), l’inexplicable « ivresse de la douleur », et révélé la seule puissance capable de la contrer : le désir. D’aimer, d’enfanter. Le désir d’écrire et le plaisir de lire aussi.

    « Donner de la chair à la théorie »

    Car Claire Marin carbure à la littérature : Artaud, Michaux, Woolf ou Flannery O’Connor qui fut atteinte de la même maladie. Et Pauline Delabroy-Allard, Vincent Delecroix, Philippe Forest, Laurent Mauvignier, Charles Juliet ou Annie Ernaux pour les contemporains. Malgré les rechutes, l’aberration de certains traitements, la mise à nu et parfois même l’humiliation de séances d’auscultation, la souffrance s’est déplacée aujourd’hui « à la périphérie de [sa] vie ». Sa capacité à cerner les ressorts de l’intimité est sans nul doute également venue d’une formation littéraire et philosophique empreinte de récits de soi.
    Marquée par la lecture des Essais de Montaigne ( « Je suis moi-même la matière de mon livre ») et des Confessions de Rousseau ( « J’ai dévoilé mon intérieur tel que tu l’as vu toi-même » ), elle donne ses premiers cours sur l’intériorité (de Plotin à Michaux) et fait sa thèse sur l’habitude. Des sujets de recherche peu communs dans sa discipline. Sa démarche consiste à « donner de la chair à la théorie ». En résumé, dit-elle, « lire Annie Ernaux permet de ressentir ce que dit Bourdieu ». D’où son rattachement à ces penseurs contemporains qui s’enracinent dans un vécu, telles Judith Butler et Chantal Jaquet.

    C’est pourquoi Claire Marin réalise en 2018, avec sensibilité et discernement, le portrait de ses élèves d’une classe préparatoire en banlieue parisienne, à Cergy, auprès de qui, écrit-elle, « on se retrouve pris au piège de nos propres préjugés ». Son titre ? La Relève (Cerf, 2018). Le mot lui va bien. Car Claire Marin sait à la fois se relever (d’une rupture) et révéler (les plis de notre intimité). C’est pourquoi elle incarne incontestablement l’une des figures les plus prometteuses de la relève philosophique française.

    #Crise_sanitaire #Claire_Marin #philosophie #intime #technologies_de_la_distance #télétravail #émotion #affect #concept

  • #Covid-19 : « La plupart des pays avaient besoin d’un #vaccin que l’on aurait pu produire, stocker et administrer simplement et à bas coût », William A. Haseltine
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/24/covid-19-la-plupart-des-pays-avaient-besoin-d-un-vaccin-que-l-on-aurait-pu-p

    L’efficacité des vaccins anti-Covid-19 de Pfizer et Moderna, démontrée à plus de 90 % lors de l’essai clinique de phase 3, a été acclamée aux Etats-Unis et en Europe, et le gouvernement britannique a même autorisé le vaccin Pfizer pour une campagne massive. Or, si ces vaccins sont à l’évidence révolutionnaires, l’accomplissement qu’ils représentent à l’échelle de la planète doit être relativisé. Pfizer et Moderna ont créé une Lamborghini quand la plupart des pays avaient besoin d’une Toyota – c’est-à-dire d’un vaccin que l’on aurait pu produire, stocker et administrer simplement et à bas coût, de préférence en utilisant les chaînes de distribution déjà existantes.

    Pour rester stable, le vaccin Pfizer doit être stocké dans des congélateurs spéciaux maintenus à ultrabasse température (− 70 °C). Ces conteneurs, qui ne sont fabriqués que par quelques rares « fermes de congélation », coûtent entre 10 000 dollars et 15 000 dollars (soit de 8 200 à 12 300 euros) pièce. Même si le vaccin Moderna n’exige pas une telle congélation – les − 20 °C requis correspondent à un congélateur domestique standard –, les deux vaccins doivent être pareillement administrés en deux doses espacées d’un mois. Ces difficultés logistiques ne sont certes pas rares, mais elles ne sont clairement pas idéales quand l’objectif est une inoculation mondiale.

    Des alternatives existent

    Même aux Etats-Unis et en Europe, où les gouvernements ont déjà acheté des centaines de millions de doses de vaccin à ARN messager, les hôpitaux peineront à sécuriser les équipements nécessaires à leur stockage et à leur acheminement – notamment ceux dans les petites villes et zones rurales dont les habitants, exposés à de mauvaises conditions socio-économiques et sanitaires, sont particulièrement vulnérables au Covid-19.

    Cela vaut également pour les régions reculées d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie. Airlangga Hartarto, à la tête du groupe de travail sur le Covid-19 indonésien, a déclaré à Reuters que dans son pays, le vaccin Pfizer avait d’ores et déjà été écarté car il est peu probable qu’il puisse être distribué à 270 millions d’individus dispersés sur plus de 17 000 îles. D’après l’Organisation mondiale de la santé, c’est essentiellement l’incapacité à préserver la chaîne du froid qui explique pourquoi plus de 50 % de vaccins sont perdus chaque année.

    Heureusement, des alternatives existent, comme le vaccin adénovirus développé par les entreprises AstraZeneca et Johnson & Johnson. Celui-ci utilise un virus respiratoire bénin comme vecteur plutôt que des protéines synthétiques, comme c’est le cas des vaccins ARN. Les vaccins adénovirus présentent toutefois un défaut profond et fondamental : les récipiendaires risquent de développer une immunité non seulement au Covid-19, mais aussi au vecteur lui-même, ce qui voudrait dire qu’il faudrait alors recommencer à zéro et développer un autre candidat-vaccin. Le vaccin AstraZeneca et d’autres de ce genre sont un peu comme une Mercedes – ça ne demande pas le même entretien qu’une Lamborghini, mais reste clairement moins pratique qu’une Toyota.

    Les exemples de l’hépatite B et de la polio

    La vaccination anti-Covid-19 ne sera très probablement pas l’affaire d’une seule fois ; comme pour la grippe saisonnière, il faudra certainement prévoir une vaccination annuelle voire bisannuelle. Le vaccin le plus efficace sera donc celui que l’on pourra déployer pendant des années.

    Deux types de vaccins rentrent dans cette catégorie : les vaccins sous-unités et les vaccins inactivés. Dans le premier cas, des particules virales fractionnées sont injectées par voie intramusculaire. Cette technologie est à la base du vaccin qui a joué un rôle crucial dans l’élimination de l’hépatite B, une infection particulièrement répandue en Afrique et dans le Pacifique occidental, qui s’attaque au foie et peut provoquer des cancers lorsqu’elle est contractée à un jeune âge.

    Dans le deuxième cas, le virus est cultivé, tué et transformé pour susciter une forme de défense de l’organisme. Le meilleur exemple en est le « vaccin Salk » contre la poliomyélite. Mis au point en 1955, il fut essentiel pour éradiquer la polio. Il fait partie, à ce jour, des vaccins les plus sûrs et les plus efficaces : bien administré, il protège 99 enfants sur 100. Si le vaccin antipolio oral coûte moins cher et est plus facile à administrer, à l’inverse du vaccin inactivé, il peut générer des souches affaiblies de poliovirus.

    Aucun pays n’est une île

    Trois des quatre candidats vaccins anti-Covid-19 retenus en Chine sont de type inactivés. Alors que l’on attend encore la publication des données sur leur innocuité et leur efficacité, des centaines de milliers de doses auraient déjà été administrés. De nouveaux essais cliniques de phase 3 sont en cours dans plusieurs pays à travers le monde, de Bahreïn aux Emirats arabes unis, de l’Argentine au Pérou.
    Les vaccins inactivés ne sont pas sans risque : plusieurs, par le passé, ont déjà mal tourné à cause d’une évaluation insuffisante de leur sûreté ou par manque de contrôle. Mais, bien faits, ils représentent aussi le moyen le plus éprouvé dont nous disposons.

    D’autres vaccins que ceux de type ARN messager, plus viables d’un point de vue logistique et en termes de rentabilité, ne seront pas disponibles dans l’immédiat. Mais quand ils seront commercialisés, ils toucheront sûrement beaucoup plus de gens dans le besoin. Je dirais qu’il nous faudra attendre encore deux à trois mois, et que nous saurons alors quelles populations les vaccins Pfizer et Moderna ne pourront pas concerner.

    Dans une pandémie, aucun pays n’est une île – une leçon répétée chaque semaine à la Chine, chaque fois que de nouveaux cas d’infections arrivent sous une forme ou une autre depuis l’étranger. Un vaccin exclusivement réservé aux pays urbains à hauts revenus ne suffira pas. La solution la plus pragmatique est un vaccin viable et à un prix abordable pour tous.

    Traduit de l’anglais par Pauline Colonna d’Istria
    William A. Haseltine est un scientifique américain, ancien professeur à l’école de médecine de Harvard et président d’Access Health International, une ONG dédiée à l’amélioration de l’accès aux soins de santé dans le monde.

    #santé_publique #pandémie

  • « Chroniques de géo’virale » : penser le monde avec le Covid-19
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/22/chroniques-de-geo-virale-penser-le-monde-avec-le-covid-19_6064175_3232.html

    Il a suffi d’un battement d’écailles d’un pangolin à Wuhan pour provoquer une pandémie planétaire et pour que, quelques semaines plus tard, le monde soit à l’arrêt. Fasciné par la « cinétique », la rapidité à laquelle le virus s’est propagé sur la planète, Michel Lussault s’est lancé lors du confinement printanier dans la diffusion d’une série de chroniques vidéo, dites de « géo’virale », pour essayer de comprendre cette crise inédite. Le recueil de ces chroniques, qui vient de paraître, aurait pu être sous-titré : « Penser le monde avec le virus ». Car ce SARS-coV-2 est un « extraordinaire révélateur » de la puissance de l’urbanisation planétaire… et aussi de ses faiblesses, de ses vulnérabilités.Le virus se propage par le biais de l’intense mobilité de biens et de personnes, clé de voûte du monde urbanisé. Celui-ci est tellement « interrelié » qu’un micro-événement peut provoquer la paralysie de tout le système. Trafic aérien, parcs d’attractions, zones touristiques, stades, grands centres commerciaux… qui pouvait imaginer que tous ces « emblèmes de la mondialisation triomphante » se retrouvent à l’arrêt simultanément ?
    Pour autant – et fort heureusement – ce monde urbanisé n’est pas homogène. Chaque maillon de ce réseau planétaire a ses spécificités. Sinon, comment expliquer que d’un pays à un autre, d’une région à une autre, d’une ville à une autre, voire d’un îlot à un autre, les conditions de la contagion et l’impact de l’épidémie ne soient pas les mêmes ? L’épidémie est loin d’être insensible aux inégalités sociales. La situation prépandémique du système de soin, tout comme l’état de préparation des pouvoirs publics et de la société sont aussi des facteurs décisifs.
    Michel Lussault apporte ici des nuances au rôle que peut jouer la configuration géographique. La densité urbaine est une condition favorable à la diffusion somme toute relative, observe-t-il. Priment sur la densité les « interactions de proximité physique entre personnes » : « Un espace peu peuplé et peu dense, mais où les habitants sont en contact quotidien étroit, sera un terrain de jeu idéal pour le virus tout autant sinon plus qu’un espace dense où il y a peu de contacts entre les habitants. » « Le coronavirus prospère là où l’interaction humaine est intense », insiste-t-il. Ce qui explique d’ailleurs que le confinement et les mesures de distanciations sociales « remettent en question immédiatement l’urbanité »,
    Au sortir de cette pandémie, certains seront tentés par un repli sur leur citadelle domestique. Mais Michel Lussault veut croire que beaucoup chercheront à retrouver des relations sociales. Considérant cette pandémie comme un « fait anthropocène total » – le bouleversement des écosystèmes lié à l’urbanisme n’en est-il pas à l’origine ? – le géographe interpelle : et si finalement, cette crise était une opportunité pour lancer une réflexion sur la façon dont nous pouvons organiser nos villes différemment ? Etre plus attentifs à ce qui nous protège et nous permet de mieux vivre, collectivement ?

    #Covid-19#migrant#migration#sante#urbain#ville#interaction#densite#circulation#distanciation#contact#confinement#michellussault#geographie

  • « La stratégie de Facebook, c’est acquérir, copier ou tuer (les concurrents) »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/21/la-strategie-de-facebook-c-est-acquerir-copier-ou-tuer-les-concurrents_60641

    Le professeur de communication Charles Cuvelliez et le cryptographe Jean-Jacques Quisquater analysent, dans une tribune au « Monde », la nouvelle approche de la concurrence que manifeste la plainte déposée par l’administration américaine contre Facebook

    Tribune. Le 9 décembre, la Federal Trade Commission (FTC), la puissante agence américaine de concurrence et de protection des consommateurs, a déposé une plainte contre Facebook pour atteinte à la concurrence. Elle n’y va pas par quatre chemins : considérant que les réseaux sociaux constituent un nouveau marché, elle déclare Facebook en abus de position dominante. Elle ne réclame rien de moins que le démantèlement de Facebook en lui retirant Instagram et WhatsApp.

    Les Etat-Unis brûlent ainsi les étapes de la politique de la concurrence, passant directement des amendes salées mais sans grand effet au grand soir du démantèlement des monopoles, mesure qui n’a été appliquée que deux fois au XXe siècle, contre le pétrolier Standard Oil (1911) puis contre la compagnie de téléphone AT&T (1984).

    Certes, Facebook répondra que rien de ce qu’il fait ne porte préjudice au consommateur puisque son service est gratuit ! Car tout l’arsenal des lois anti-trust repose sur le fait qu’il y ait préjudice pour les consommateurs… Mais la FTC assimile bien le rachat d’Instagram en 2011, et celui de WhatsApp en 2014 comme des initiatives contraires à la concurrence, car n’ayant comme objectif, à une époque où Facebook craignait de rater le virage du mobile, que d’empêcher ces concurrents potentiels d’occuper le terrain.

    Une conception élargie des infractions à la concurrence

    Aujourd’hui, Facebook les maintient en vie sous son contrôle, dans le même but. Les sévères restrictions imposées aux développeurs qui veulent bénéficier de l’écosystème Facebook complètent le tableau : bannissement des fonctionnalités qui font de l’ombre à Facebook, interdiction de renvoyer à des réseaux sociaux concurrents (s’il y en a). La FTC est ainsi passée des (modestes) amendes infligées pour le mauvais usage des données privées à une conception beaucoup plus large des infractions aux règles de la concurrence.

    Le rapport de la Commission anti-trust du Congrès américain aura préparé le terrain. Il identifie bien deux barrières à l’entrée pour des concurrents : les données que Facebook a accumulées, mais aussi le coût social élevé à quitter Facebook. Quitter ce réseau n’est pas juste se priver de ses « amis », c’est se priver de l’accès à des groupes professionnels, et parfois aux administrations pour interagir avec elles.

    Or, Facebook ne peut pas sérieusement prétendre que Twitter, Snapchat et Pinterest sont des concurrents, ni même YouTube, pour accéder à de tels services. Passer chez un concurrent est d’ailleurs quasiment insurmontable : les autres réseaux sociaux, quand ils osent exister, ne sont pas interopérables avec Facebook.Retour ligne automatique
    Le risque d’une rupture technologique

    Or, personne ne va récupérer les photos, posts, discussions et connexions sur Facebook pour les installer un par un manuellement sur un réseau concurrent avec lequel il n’est pas familier. D’ailleurs, le téléchargement de toutes ces données sur Facebook est limité. Qui peut se permettre de quitter Facebook, se demande le rapport ? C’est se priver du volume grandissant des applications qui utilisent les fonctionnalités de Facebook, un des griefs de la FTC.

    Le marché de Facebook, c’est la minute d’attention. Les parts de marché de Facebook devraient être mesurées ainsi : le temps passé sur son réseau social versus celui passé sur Internet. Facebook n’est en réalité confronté qu’à la concurrence interne de sa propre famille de produits : Instagram ou WhatsApp. C’est un exemple unique de collusion interne au sein d’un monopole, en théorie sévèrement punie.

    Avec les photos pour l’un, les textos améliorés pour l’autre, ces deux-là risquaient de créer une concurrence sérieuse avec le mobile, comme outils disruptifs proposant des formes innovantes de réseau social : c’est bien pour cela que Facebook les a rachetés. Le temps leur a d’ailleurs donné raison, mais dans le giron de Facebook. Comme l’affirme la FTC, Facebook, développé avant les smartphones, savait très bien que les puissants effets réseaux dont il disposait pouvaient s’effondrer à l’occasion d’une rupture technologique.Retour ligne automatique
    14 millards de dollars pour acheter WhatsApp

    Facebook Messenger était à la peine contre WhatsApp, et Instagram était en avance pour l’utilisation des photos dans son application sociale. Facebook a acquis 63 sociétés depuis 2004, outre WhatsApp et Instagram. Il n’en a pas résulté 63 nouveaux produits « Facebook ». Des documents internes ont prouvé que l’acquisition de ces sociétés tenait quasi totalement à la menace potentielle de concurrence.

    Pourtant, quand la Commission européenne examina l’acquisition de WhatsApp, elle conclut que Facebook Messenger et Whatsapp n’étaient pas concurrents : on a dû bien rire à Menlo Park. Pour la Commission européenne, communiquer par WhatsApp ou Messenger n’aurait rien à voir avec des réseaux sociaux. Zuckerberg pensait visiblement autrement, au point de mettre 14 milliards de dollars sur la table en 2014 pour acheter WhatsApp.

    Les analystes financiers qui suivaient Facebook à l’époque, cités par la FTC, furent plus clairvoyants : Facebook, écrivaient-ils, est venu à bout d’une grave menace. De tels montants, ajoute la FTC, signaient le crime : la stratégie de Facebook, c’est acquérir, copier ou tuer (les concurrents). Quand Facebook ne put pas acquérir Snapchat, Mark Zuckerberg demanda immédiatement de copier son concept phare, à savoir du contenu posté pendant 24 heures.Retour ligne automatique
    Facebook veut faire oublier Internet

    Même chose pour Houseparty, que Facebook copia au point d’en diminuer de moitié le nombre de clients actifs en un an. On connaît mieux certaines conduites intrusives de Facebook parce qu’elles ont fait scandale. Par exemple, son application Onavo, présentée comme une sécurisation de la connexion des mobiles vers Internet, mais qui mesurait en réalité l’utilisation des autres applis par l’utilisateur.

    Apple a retiré Onavo de son Apple Store. Selon la FTC, cet espionnage n’avait pour but que de permettre à Facebook d’identifier les applis à succès pour mieux les neutraliser. Le successeur d’Onavo, Facebook Research, a fait lui aussi scandale, après que le site d’analyses technologiques TechCrunch a révélé que Facebook payait des jeunes pour le télécharger et se laisser espionner.

    Pour le congrès américain, Facebook veut faire oublier Internet, se transformer en une sorte de système d’exploitation ou de plate-forme de développement qui recueillerait tout ce qu’on pourrait imaginer d’applications sociales, sauf celles qui, parce que trop sociales et trop populaires grâce à lui, voient leur accès coupé… par Facebook.Retour ligne automatique
    De longs procès entre Facebook et l’administration américaine

    Ce fut le cas de MessageMe qui utilisait les données graphes de Facebook pour trouver les amis, devenant un concurrent dangereux de Facebook Messenger. Et quand il ne coupe pas l’accès, il applique sa politique et ses conditions d’accès à la tête du client, selon le degré de dangerosité. Sans oublier les chouchous : Amazon a eu accès à des fonctionnalités cachées de Facebook parce qu’il a associé Facebook à sa tentative de lancer un smartphone…

    Le remède proposé par la FTC est donc de séparer Facebook d’Instagram et WhatsApp, qui ont été les germes d’une concurrence possible. La FTC veut aussi lever les contraintes imposées par Facebook aux développeurs qui utilisent son écosystème, car ils sont aussi des germes de concurrence possible. Mais il faut s’attendre à des années de procès entre Facebook et l’administration américaine, et ces entraves à la concurrence pourront perdurer tant qu’il sera en cours. Avec son Digital Market Act et son Digital Service Act, l’Europe pourrait bien avoir dès lors une longueur d’avance : celle d’une régulation qui vise à prévenir de tels abus, et ne plus en être réduit à les punir quand le mal est fait.

    Charles Cuvelliez (Professeur à l’Ecole polytechnique de Bruxelles (université de Bruxelles)) et Jean-Jacques Quisquater (Professeur à l’Ecole polytechnique de Louvain (université de Louvain) et au Massachussets Institute of Technology /MIT)

    #Apple #Facebook #Instagram #WhatsApp #Onavo #domination #FTC

  • Comment la police veut combattre les black blocs , Jean-Marc Leclerc
    https://www.lefigaro.fr/actualite-france/comment-la-police-veut-combattre-les-black-blocs-20201218

    Des black blocs marchant devant un scooter en feu, lors de la manifestation des « gilets jaunes », le 12 septembre à Paris. Xeuhma/Hans Lucas via AFP

    ENQUÊTE - Le combat qui s’engage pour tenter de contenir les #casseurs sera de longue haleine. Plusieurs options sont sur la table.

    « Force reste à la loi. Plusieurs centaines de casseurs étaient venues pour commettre des violences. La stratégie de fermeté anticasseurs - 142 interpellations et encadrement du cortège - a permis de les en empêcher, de protéger les commerçants ». Le tweet volontariste du ministre de l’Intérieur après la #manifestation parisienne du 12 décembre dernier contre la loi « sécurité globale » masque une autre réalité : pour parvenir à ce résultat, il a fallu mettre sur le terrain trois policiers ou gendarmes par casseur. Il y avait 500 casseurs sur le pavé parisien ce samedi-là et 3 000 membres de forces de l’ordre, dont une moitié mobilisée sur l’essaim des enragés venus en découdre.

    « Près de 150 interpellations dans un cortège de 5 000 manifestants, c’est bien, mais après les gardes à vue, l’essentiel des interpellés échappera à une peine effective, faute de preuves suffisantes, aux yeux des magistrats du siège », spécule un professionnel du #maintien_de_l’ordre.


    Comment l’épisode Notre-Dame-des-Landes sert de laboratoire à la Chancellerie, Paule Gonzalès
    https://www.lefigaro.fr/actualite-france/comment-l-episode-notre-dame-des-landes-sert-de-laboratoire-a-la-chanceller
    Des forces de l’ordre face à des zadistes, le 17 mai 2018. GUILLAUME SOUVANT/AFP

    DÉCRYPTAGE - À l’époque, les parquets de Nantes et de Saint-Nazaire étaient confrontés à des difficultés aujourd’hui récurrentes dans les manifestations.


    Classique : Au “Figaro”, un journaliste [Jean-Marc Leclerc] qui connaît très bien l’Intérieur, 28/11/11
    https://www.telerama.fr/medias/au-figaro-un-journaliste-qui-connait-tres-bien-l-interieur,75644.php
    ...désigné en 2011 par un ministre de l’intérieur comme "personnalité qualifiée" pour être membre d’un "groupe de travail sur l’amélioration du contrôle et de l’organisation des bases de données de la police [!]"...

    #police #renseignement_opérationnel #black_bloc #justice #Judiciarisation

    #paywall (il doit manquer des morceaux)

    • Clappings, fumigènes, « ACAB »... Dans les manifestations, l’influence des supporteurs « ultras » au sein du black bloc, Abel Mestre (...)
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2020/12/19/violences-pendant-les-manifestations-des-supporteurs-de-football-ultras-deso

      Les supporteurs de football radicaux sont de plus en plus présents dans le cortège de tête. Le phénomène s’est amplifié pendant le mouvement des « gilets jaunes », puis avec celui contre la loi « sécurité globale ».

      A première vue, la scène est classique. Le 28 novembre, lors de la manifestation parisienne contre la loi « sécurité globale », des manifestants affrontent les forces de l’ordre, comme c’est devenu la règle à chaque manifestation depuis le mouvement contre la loi travail, en 2016. Ils font partie du cortège de tête et sont adeptes de la stratégie du black bloc, où des militants radicaux se réclamant de l’antifascisme, de l’anarchisme ou de l’autonomie revêtent une tenue entièrement noire, masques ou cagoules compris, afin de ne pas être identifiables. Mais, si l’on s’attarde sur les détails, ce qu’il se passe ce jour-là semble incongru. La charge se fait derrière une banderole qui est bien particulière : elle représente un portrait de Diego Maradona, joueur de football argentin et idole d’une partie de la gauche, mort trois jours plus tôt.

      Cette irruption du football dans une manifestation politique n’est pas anecdotique. Elle marque les liens forts qui unissent depuis plusieurs années, notamment à Paris, une partie des supporteurs radicaux des tribunes, les ultras, et ceux du mouvement social. Les « ultras » – qui soutiennent de manière collective et organisée leur équipe avec des chants, des slogans et des scénographies, pour qui la violence est acceptée mais n’est pas une fin en soi, contrairement aux hooligans – étaient ainsi présents dans les cortèges contre la loi travail il y a un peu plus de quatre ans, pendant le mouvement des « gilets jaunes » en 2018-2019 et, donc, cette fois-ci contre la loi « sécurité globale ». Edouard (le prénom a été changé), la petite trentaine, supporteur du PSG et qui manifeste dans le cortège de tête, confirme : « Il y a pas mal d’ultras qui viennent des tribunes. Cette fois-ci, c’est dans de plus fortes proportions : il y en avait 30 à 50 en première ligne aux dernières manifs. »

      Plus encore que numériquement, l’influence ultra se note dans certains codes repris dans les cortèges : des chants rythmés par des clappings (comme le chant Siamo tutti antifascisti, « nous sommes tous antifascistes »), la généralisation des fumigènes (utilisés par les seuls cheminots dans les années 1990) et, surtout, le mot d’ordre « ACAB ». Cet acronyme signifie « All Cops Are Bastards » (« Tous les flics sont des bâtards »). On peut le retrouver dans sa déclinaison numérique (« 1312 », selon l’ordre des lettres dans l’alphabet), voire dans une version « horaire » avec, parfois, des rassemblements convoqués à 13 h 12. Il est peu à peu devenu un signe transversal de ralliement et de sentiment antipolice.

      Des codes « spectaculaires »

      Au départ, ACAB est une chanson d’un groupe skinhead londonien, The 4-Skins, sortie au début des années 1980. La première fois que des ultras le reprennent sur une banderole, c’est à Padoue, en Italie, dans les années 1990. Sa déclinaison numérique est quant à elle l’idée des supporteurs de Livourne. « Les ultras importent des codes, une nouvelle manière de faire. Ces codes sont repris car ils sont spectaculaires dans l’espace public, encore plus dans une manifestation, explique au Monde Sébastien Louis, docteur en histoire contemporaine, spécialiste du supportérisme radical. Chez les ultras, il y a une cohésion de groupe, où le collectif est mis en avant par rapport aux individualités. Il y a aussi des personnes prêtes à aller au contact, qui sont disposées à la violence. C’est quelque chose que les militants d’extrême gauche n’ont pas, à part dans les manifs. »

      Olivier Laval, ancien ultra parisien, qui collabore à Encré dans la tribune, revue spécialisée sur ce thème, détaille : « Les ultras ont une aptitude à faire face aux forces de l’ordre. Aucun segment de la population n’est autant confronté au maintien de l’ordre qu’eux. Quand, toutes les semaines, tu vois des CRS ou des gendarmes mobiles, ils ne t’impressionnent plus. Ils savent se fondre dans la masse pour ne pas se faire repérer, leur mode opératoire est fait de petits groupes mobiles. »

      Le sigle « ACAB » est, en tout cas, passé des tribunes aux cortèges. La multiplication des affaires de violences policières, aussi bien pendant les manifestations qu’en dehors, joue ainsi un rôle de ciment pour des contestations protéiformes qui dépassent les structures traditionnelles syndicales et partidaires. Les images d’affrontements avec les forces de l’ordre lors des manifestations peuvent également attirer des supporteurs au départ peu politisés, pour qui le réflexe « antiflic » reste une base de la culture ultra.

      Ce mélange des genres n’est pas nouveau. Il est même consubstantiel aux ultras. Cette mouvance est née dans l’Italie de la fin des années 1960. Pour la première fois, des jeunes tifosi s’organisent au sein de groupes aux noms provocateurs comme les Fedayn (AS Roma) ou les Brigate rossonere (« brigades rouges et noires ») du Milan AC. Certains d’entre eux reprennent même le geste mimant le pistolet P38, comme dans les cortèges de la gauche extraparlementaire de l’époque. « Il s’agit davantage d’une source d’inspiration et d’une récupération des noms et des symboles que de l’expression immédiate d’une culture politique. Les ultras ne sont pas des courroies de transmission des organisations extraparlementaires qu’ils parodient », nuance Sébastien Louis, dans son livre référence Ultras, les autres protagonistes du football (Mare et Martin, 2017).

      En près de cinquante ans, les interactions entre ultras et contestation politique ont cependant évolué, voire ont changé de nature : en Europe, les idées d’extrême droite ont peu à peu gagné les esprits, en particulier en Italie (Vérone, Lazio Rome, entre autres) ou encore en Grèce. Au Moyen-Orient, les ultras ont joué un rôle important lors de la révolution égyptienne de 2011 contre le régime d’Hosni Moubarak. Ces supporteurs deviennent, ici ou là (Turquie, Tunisie…), des acteurs politiques évoluant hors des structures institutionnelles.

      Une « porosité limitée »

      En France, dans la géographie des virages ultras, Paris est une exception. Pourquoi certains ultras viennent-ils aujourd’hui dans le cortège de tête ? La polarité entre les tribunes Auteuil du Parc des Princes (dont les abonnés sont souvent issus des quartiers populaires et ont, au fil du temps, assumé un discours antiraciste) et Boulogne (où de nombreux supporteurs, par le passé, étaient d’extrême droite) a joué il y a quelques années le rôle d’un catalyseur, d’un accélérateur de conscientisation politique.

      Pour comprendre ce phénomène, il faut revenir aux années 2005-2010 et à la « guerre des tribunes parisiennes ». Les ultras d’Auteuil prenant de plus en plus de poids, les incidents et les affrontements se multiplient et s’intensifient avec leurs rivaux de Boulogne, en particulier les hooligans. Jusqu’au 28 février 2010, où une bagarre entre les deux tribunes laisse un blessé grave, Yann Lorence, du kop de Boulogne. Il mourra après trois semaines de coma. A la suite de ces événements, le président du PSG de l’époque, Robin Leproux, met en place son plan de sécurisation du stade, les ultras se retrouvant « à la rue ». Edouard se souvient : « L’antagonisme avec Boulogne a radicalisé une minorité à Auteuil. C’est comme ça que j’ai rencontré des militants, en allant traîner à Ménilmontant [quartier parisien où les antifascistes sont implantés]. »

      Sébastien Louis confirme : « Paris est un cas spécifique en raison de l’opposition entre les Tigris Mystic [groupe de la tribune Auteuil, aujourd’hui dissous] et Boulogne, de la violence qui a continué autour du stade [en 2010]. » Il poursuit : « C’est vrai qu’il y a des signes de politisation, comme la banderole à Auteuil dénonçant la politique extrêmement répressive de la Chine contre les Ouïgours [en 2019], mais il faut rester prudents. Certains ultras fréquentent des activistes de gauche, ils se nourrissent. Mais la porosité est limitée. Peu d’ultras sont militants et peu de militants sont ultras. » En clair : si des ultras participent à certaines manifestations, la grande majorité se tient très éloignée de la politique. Certains préfèrent ainsi les actions caritatives, comme à Saint-Etienne où ils distribuent des colis alimentaires.

      « Rupture générationnelle »

      Il n’empêche. La situation des tribunes parisiennes a contribué à l’émergence d’une nouvelle génération de militants, dont l’Action antifasciste Paris-Banlieue (AFA) est la composante la plus connue. « Il y a eu une rupture générationnelle dans le mouvement antifasciste parisien, confirme Marco (le prénom a été changé), 33 ans, qui évolue dans ces milieux. Avant, c’était très influencé par le punk rock et les redskins [skinheads d’extrême gauche], la CNT [Confédération nationale du travail] était hégémonique. Le nouveau mouvement antifa naît avec une génération tournée vers le stade, notamment à Auteuil, qui est fortement implantée en banlieue et qui a plus une culture rap. Le lien se fait au moment de “la guerre des tribunes”, où des gens du stade sont venus avec les antifas pour aller trouver les mecs de Boulogne. » A en croire certains activistes du cortège de tête, il y a aujourd’hui une « agrégation » entre les militants « autonomes, des “gilets jaunes”, des gens qui viennent du stade. Et les antifascistes font le lien ».

      Il est vrai qu’une des particularités de l’AFA est d’être à la confluence de ces divers mouvements. Ses militants théorisent l’idée d’« autodéfense populaire », qui entend combattre, selon leur terminologie, « les aspects fascistes » du régime politique français, notamment, selon eux, les violences policières dans les quartiers populaires ou la « justice de classe ». Une répression qui s’exprime, toujours selon ces militants, d’abord dans les quartiers populaires mais aussi envers les supporteurs de football, avant de se généraliser à l’ensemble du mouvement social. En découle une convergence des objectifs contre un système qui s’incarne dans un adversaire commun : le policier.

    • « Le black bloc est difficile à cerner, il s’agrège et se défait au gré des événements » , Sylvain Boulouque, historien, 29 avril 2019
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/04/29/le-black-bloc-un-ensemble-heterogene-aux-traditions-politiques-bigarrees_545

      Plusieurs générations et traditions politiques cohabitent au sein de cette mouvance qui pratique l’émeute urbaine pour lutter contre le capitalisme, explique l’universitaire Sylvain Boulouque dans une tribune au « Monde ».

      Tribune. Depuis maintenant une vingtaine d’années, dans de nombreuses manifestations et partout dans les démocraties libérales, un nouveau groupe est apparu dans les cortèges : le black bloc, qui se présente comme une nouvelle pratique de l’anticapitalisme, en réplique aux nouveaux moyens de surveillance et de contrôle, et aux mutations de l’économie mondiale.

      Le black bloc est avant tout une pratique manifestante. Formés de plusieurs dizaines ou centaines de personnes qui se masquent le visage et se couvrent de vêtements noirs, ces groupes cherchent à faire reculer les barrages policiers et à ouvrir un trajet non officiel aux manifestations. Ils assument et s’efforcent de banaliser un niveau de violence urbaine impliquant des risques élevés, tant pour les membres des forces de l’ordre que pour eux-mêmes, et pour les manifestants de base pris dans les affrontements.

      De plus en plus souvent mixte – la présence de femmes y est en augmentation –, le black bloc est difficile à cerner, tant politiquement que socialement.
      Au-delà de l’aversion commune envers le « capitalisme », il recrute sur des bases plus affinitaires que strictement idéologiques. Il s’agrège et se défait au gré des événements. Défiant l’ordre public, il s’en prend à tout bien matériel susceptible de symboliser le libéralisme économique et laisse derrière lui, inscrits au fil des dégradations, des slogans souvent rédigés dans une veine sarcastique.

      Anonymat

      Le black bloc n’a pas pignon sur rue. Si des appels explicites à l’émeute urbaine circulent et peuvent être relayés, notamment sur certains sites et sur les réseaux sociaux, ils ne sont pas signés et, comme la tenue noire, renvoient à l’anonymat. Ses membres, sauf exception, ne revendiquent jamais ouvertement leur participation.
      Pour pouvoir se mettre en ordre de bataille, le black bloc bénéficie de la bienveillance des autres manifestants qui, sans prendre part aux affrontements, protègent sa formation. Le « cortège de tête », informel, avec lequel il n’a pas de démarcation claire, est à la fois son refuge et sa protection.

      Dans ces groupes, plusieurs générations et plusieurs factions politiques cohabitent. Les plus anciens ont transmis l’expérience acquise depuis les années 1970. Si dans les deux décennies suivantes, les actions violentes sont devenues moins fréquentes, la culture de l’émeute n’a pas pour autant disparu.

      Anarchisme

      En Europe, ces pratiques renaissent à Gênes (Italie) en 2001 puis à Evian (Haute-Savoie) en 2003. Une nouvelle vague d’émeutiers émerge à Strasbourg, puis à Poitiers en 2009, rejoints ensuite par une frange des participants aux « zones à défendre » de Notre-Dame-des-Landes (loire-Atlantique) et de Sivens (Tarn) entre 2014 et 2018.
      S’y mêlent certains manifestants contre la « loi travail » en 2016, des participants aux mouvements universitaires de 2018, jusqu’à la « casse » d’ampleur du 1er mai 2018. Il semble falloir compter aujourd’hui aussi avec le ralliement de « gilets jaunes ».

      Le black bloc forme donc un ensemble hétérogène aux traditions politiques bigarrées, comme le résume le slogan « Beau comme une insurrection impure », renvoyant au mélange des appartenances et des révoltes. Il bénéficie de la mansuétude voire du soutien tacite d’une partie de la gauche radicale anticapitaliste.

      Les groupes se réclamant de l’anarchisme sont une composante importante, comme l’indiquent les drapeaux noirs et noir et rouge ainsi que le « A » cerclé bombé sur les murs. A la frontière entre anarchisme et marxisme, les différents courants héritiers de « l’autonomie » des années 1980, refusant les formes traditionnelles de la contestation politique, sont très présents.

      De manière toujours informelle et déterminée par des choix individuels, des membres et des sympathisants de diverses déclinaisons du marxisme, se réclamant pour quelques-uns du maoïsme et pour d’autres du trotskisme, participent aussi aux affrontements. Cette porosité – impensable jusque dans les années 1990 – s’explique par l’affaiblissement des barrières idéologiques, les solidarités de terrain l’emportant sur les appartenances politiques.

      Patchwork idéologique

      L’explication est à chercher dans leurs engagements spécifiques et notamment dans la sociabilité associative.
      Toujours sans aucune généralisation possible, les émeutiers peuvent appartenir à des nébuleuses variées : antifascistes radicaux, membres de collectifs contre les violences policières, aide aux migrants, écologie radicale, collectifs féministes, groupes de « solidarité internationale » avec les Palestiniens et les Kurdes, par exemple. La pratique sportive joue aussi un rôle, des sports de combat jusqu’au football, notamment à travers les clubs de supporteurs des villes ouvrières ou des quartiers populaires.

      Loin du cliché sur les émeutiers issus prioritairement des milieux intellectuels, le black bloc actuel est beaucoup plus divers dans sa composition sociale. Si les premières analyses des participants au début des années 2000 montraient un haut niveau d’études, les différents éléments aujourd’hui recueillis soulignent une présence plus forte des milieux populaires.

      Cette « sédimentation » insurrectionnelle repose également sur des cultures musicales partagées. Si les plus anciens ont baigné dans l’atmosphère du punk rock anglais, les générations récentes ont de nouvelles références, où les paroles et les concerts soulignent la détestation de l’ordre social.

      Les références historiques mises en avant témoignent aussi de ce patchwork idéologique : la Révolution française, la Commune de Paris restent incontournables mais s’y ajoutent les révoltes contemporaines. Les slogans utilisés soulignent le caractère bigarré d’une mouvance où se mêlent le vocabulaire propre aux banlieues, les clins d’œil aux séries télévisés, mais aussi la reprise d’aphorismes de René Char, comme « Agir en primitif et prévoir en stratège ».

      Le black bloc souligne l’hétérogénéité des formes de l’anticapitalisme contemporain. Ses participants sont pour beaucoup des enfants de la démocratisation scolaire. Majoritairement issus des banlieues proches et plus marginalement des centres-villes, beaucoup se sont formés à la politique sur les bancs de l’université.
      Les métiers qu’ils exercent recoupent en grande partie les classes moyennes. Ils renouvellent une volonté de rupture avec le fonctionnement de la société actuelle et s’inscrivent dans une forme de continuité, comme si les « enragés » d’hier étaient devenus les « ingouvernables » d’aujourd’hui.

      #anticapitalisme #black_bloc #analyse #histoire

    • Black blocs : qu’est-ce que la « violence légitime » ?
      https://www.lemonde.fr/campus/article/2018/05/09/black-blocs-qu-est-ce-que-la-violence-legitime_5296478_4401467.html

      La violence est un état de fait, elle est aussi un problème de droit, analyse le professeur de philosophie Thomas Schauder. Sans une certaine dose de violence, l’ordre peut-il être respecté ? Et sans violence, l’ordre pourrait-il être renversé ?

      #violence_politique #violence_légitime

    • Black bloc : « La multiplication des manifestations a offert à certains l’occasion d’apprendre le cycle provocation-répression », Sylvain Boulouque, Historien
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/21/black-bloc-la-multiplication-des-manifestations-a-offert-a-certains-l-occasi

      Tribune. Contrairement à ce qui est généralement affirmé, le black bloc n’est pas un mouvement politique, mais une pratique manifestante, apparue d’abord dans la mouvance autonome allemande et qui s’est depuis développée dans la gauche émeutière européenne. L’un des premiers Schwarzer Blocks est apparu à Frankfurt, le 1er mai 1980. Il s’agissait d’un groupe anarchiste manifestant le visage découvert.

      L’expression est ensuite reprise par la police allemande pour désigner les autonomes tentant d’empêcher les expulsions des squats. Elle connaît une réappropriation positive dans les années 1990 et se dessine sous sa forme actuelle. Le black bloc est aujourd’hui une pratique manifestante internationale qui se retrouve aussi bien à Hongkong, à Barcelone, à Santiago…

      Les émeutiers ne se revendiquent pas forcément de cette mouvance. Cette pratique prend une tonalité particulière en France parce qu’elle s’inscrit dans la continuité de deux siècles d’émeutes urbaines depuis la Révolution française. En France, actuellement, de l’observation du phénomène black bloc, quelques constantes se dégagent.

      Une force capable de défier l’Etat

      Le bloc se constitue en avant ou dans le cortège au début ou au cours des manifestations. Pour se développer, il doit bénéficier d’un effet de surprise, d’un terrain et d’un milieu favorables. Le bloc se forme au sein d’une foule plutôt bienveillante, parfois appelée, en fonction de sa place dans la manifestation, « cortège de tête ». Il lui sert de zone de protection et de refuge. Ses participants s’habillent de noir pour rester dans l’anonymat et éviter toute personnalisation, par refus du principe du chef et parfois même par romantisme révolutionnaire.

      Les émeutiers se pensent et se constituent comme une force capable de défier l’Etat. Ses membres affirment une forme de désobéissance civile. Ils rejettent les manifestations imposées par les pouvoirs publics et s’inscrivent dans une logique révolutionnaire visant à rompre avec les pratiques dites réformistes des manifestations pacifiques. Le recours à la violence est une de ses expressions possibles. Il est l’affaire de choix individuels ; tous les manifestants physiquement présents au sein du bloc ne participent pas à l’émeute ou à des actions violentes, mais se montrent solidaires ou refusent de condamner les choix des autres.

      Force est de constater que les actions du black bloc ne sont médiatisées que lorsque certains de ses participants ont recours à la violence. Ainsi, peu de commentateurs ont fait état de l’existence d’un « pink bloc » lors de la manifestation féministe du 23 novembre 2019 à Paris ; personne, ou presque, n’a relevé qu’à Hambourg, le 6 décembre dernier, un black bloc de plus de 3 000 personnes a manifesté pacifiquement pour afficher sa solidarité avec cinq manifestants incarcérés lors de précédentes manifestations pour des actions violentes.

      Des émeutiers pas tous issus de la catégorie des CSP +

      Inversement, les dégradations sont filmées en direct avec une forme de fascination, voire une certaine délectation. Elles sont ensuite reprises en boucle et font l’objet d’une avalanche de déclarations politiques, traduisant les discours sécuritaires qui viennent étayer des projets de lois ou des discours politiques dans les traditions des mouvements de droite conservatrice ou nationaliste, sur lesquels se greffe une pseudo-analyse du phénomène black bloc, souvent éloignée des réalités sociopolitiques.

      Les émeutiers appartiendraient tous à la catégorie des CSP +, seraient des enfants de bonnes familles, voire des enfants d’enseignants. Or, excepté quelques cas isolés, rien ne permet de valider ces hypothèses. Régulièrement brandi par une partie de la sphère politique de gauche et de droite, le thème des provocations policières – les « casseurs » seraient manipulés pour discréditer les mouvements revendicatifs, voire certains d’entre eux seraient des policiers – relève, pour l’essentiel, de la fantasmagorie.

      Cette fantasmagorie rejoint des thèses avancées principalement par le Parti communiste français pour qualifier les actions des autonomes dans les années 1970, sans qu’aucune preuve n’ait été apportée, hormis la réalité de certaines infiltrations à des fins de surveillance. Dans la même logique, une partie de la mouvance antifasciste est parfois incriminée par l’extrême droite, qui, par un procédé rhétorique, cherche à jeter l’opprobre sur le mot même.

      Un reflet de l’évolution d’une partie de la société

      Si les tenues et les pratiques manifestantes peuvent parfois être proches et si quelques manifestants participent à ces actions, rien ne prouve que la majorité des militants qui se revendiquent « antifas » participent aux violences. L’accusation de laxisme de la justice bute sur la réalité des faits. Des dizaines de personnes ont été condamnées à des peines de prison ferme et plusieurs centaines ont été frappées d’interdiction, avec des mises à l’épreuve, de manifester ou de se rendre dans les villes le jour des manifestations depuis 2016.

      Ces débats biaisés empêchent de comprendre la nature et la transformation du phénomène. En effet, si le black bloc est une pratique manifestante, cherchant à renvoyer l’Etat à ses propres contradictions, il est aussi un reflet de l’évolution d’une partie de la société, la renvoyant à sa propre violence. La forme du black bloc semble en mutation, un reflet et une conséquence de la déshumanisation et de la crise sociale, d’une part, et de l’augmentation des violences policières, d’autre part.

      Comme la pratique émeutière se diffuse in situ, par l’expérimentation de la rue, la multiplication des manifestations a offert à de nouvelles générations l’occasion d’apprendre le cycle provocation-répression. Les anciennes générations cohabitent avec de nouvelles, dont le profil évolue. On assiste à un élargissement générationnel – des mineurs aux cinquantenaires –, quantitatif, et à une diffusion géographique du nombre de personnes pouvant potentiellement participer aux émeutes.

      L’émergence d’une nouvelle forme de conflictualité

      Les blocs se formaient principalement dans quelques îlots (Paris, le Grand-Ouest). Aujourd’hui, dans toutes les grandes villes se produit ce type d’action. Socialement, une mutation s’opère. Les informations qui émergent suite aux différents procès et aux comparutions immédiates montrent que toutes les catégories sociales se retrouvent devant la justice. Aux profils majoritairement d’étudiants et d’ouvriers qui composaient les accusés auparavant succèdent, devant les tribunaux, des individus aux situations encore plus précaires.

      Ils viennent non des centres-villes mais des banlieues et, plus encore, des périphéries. La socialisation politique évolue. Les nouveaux émeutiers se sont forgé une opinion de manifestation en manifestation. Les slogans et graffitis qui accompagnent les émeutes se sont modifiés. L’anticapitalisme demeure, mais le caractère sarcastique et symbolique des attaques s’est réduit, sans avoir totalement disparu.

      Cette mutation traduit l’émergence d’une nouvelle forme de conflictualité, illustration d’une rupture interne dans la violence politique et sociale, subie comme exprimée. Le caractère jusque-là codifié des émeutes tend à disparaître. La tendance actuelle est bien plus inscrite comme une forme de révolte contemporaine qui, faute de perspectives, verse dans le nihilisme.

      #autonomes #anticapitalisme #précaires

  • « Les préoccupations sur l’éthique des algorithmes doivent être prises très au sérieux »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/17/les-preoccupations-sur-l-ethique-des-algorithmes-doivent-etre-prises-tres-au

    C’est aussi l’occasion de dire au monde universitaire que la seule amélioration des performances algorithmiques ne devrait pas être sa préoccupation première, que la recherche publique doit investir beaucoup plus dans la conception d’algorithmes à la fois éthiques et robustes, résistant aux utilisations malveillantes, et que les préoccupations sur ces sujets et les solutions possibles doivent être promues, notamment au moment de la revue par les pairs des travaux des chercheurs. Rendre les algorithmes robustement bénéfiques est un fabuleux chantier. Il est urgent de montrer qu’il nous tient à cœur.

  • Covid-19 : « Il est probable que lors des deux vagues, les trajets domicile-travail ont largement contribué à la propagation du virus »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/12/covid-19-il-est-probable-que-lors-des-deux-vagues-les-trajets-domicile-trava

    Malgré une fréquentation moyenne en baisse de 30 % en octobre, la promiscuité de l’heure de pointe expose à un risque important de contamination, comme l’indique le professeur Yves Buisson, membre de l’Académie de médecine et responsable de la cellule de veille sur le Covid-19 : « Si vous restez plus de dix minutes entassés les uns sur les autres dans les transports en commun et qu’un porteur du virus se trouve au milieu, la contamination peut arriver. » Il est donc probable que lors des deux vagues, les trajets domicile-travail ont largement contribué à la propagation du virus. Et qu’il en sera probablement de même après le déconfinement à venir. Est-il possible de limiter la fréquentation des transports de telle sorte qu’ils ne contribuent pas à l’accélération de la diffusion du virus ? Et qu’ainsi nos voisins arrêtent de railler l’inconstance de nos politiques ? Les mesures évidentes n’ont pas suffi. Les invitations de la ministre du travail au télétravail n’ont convaincu ni les entreprises ni leurs salariés. Le télétravail forcé n’est, quant à lui, pas constitutionnel. Le développement de l’usage du vélo, pourtant très bien exécuté par la ville de Paris, ne peut pas suffire : son usage se révèle saisonnier et plus adapté aux loisirs qu’aux trajets professionnels. Des négociations sont engagées entre les organisations patronales et syndicales sur le télétravail ; elles prendront du temps. Reste qu’il faut résorber ce foyer de contamination, le plus vite possible et pour de bon. A court terme, seules les entreprises peuvent agir : inciter au télétravail, vérifier que cette incitation est respectée, décaler les horaires de travail…A moyen terme, il faut donner une incitation financière aux entreprises qui permettront à leurs employés d’éviter les transports aux heures de pointe. A long terme, nous devons rendre nos villes résilientes, grâce à des stratégies de coopération territoriale, de développement du coworking et d’échanges d’emplois. Ensemble, ces mesures ont le potentiel de réduire de plus de 30 % les déplacements pendulaires.

    #Covid-19#migrant#migration#mobilite#deplacement#sante#ville#resilience#teletrvail#contamination#transport

  • Covid-19 : « Il est probable que lors des deux vagues, les trajets domicile-travail ont largement contribué à la propagation du virus »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/12/covid-19-il-est-probable-que-lors-des-deux-vagues-les-trajets-domicile-trava

    Les consultants Joël Hazan et Ugo Deschamps notent les inconnues sur la mobilité des salariés, cruciale pour un déconfinement durable.

    Tribune De quoi les Français ont-ils le plus de mal à se priver pendant cette période de restrictions ? De se rendre sur leur lieu de travail… Tous les chiffres le confirment. Le 29 octobre, avant l’instauration du couvre-feu, la fréquentation des musées, magasins et restaurants était en baisse de 34 % en Ile-de-France par rapport au niveau précrise, alors que la fréquentation des bureaux ne reculait que de 17 %.

    Une fois le deuxième confinement engagé en novembre, cette fréquentation des lieux de travail baissait de seulement 31 %, alors qu’elle avait chuté de 56 % lors du premier confinement. Déjà, avant la crise, seuls 7 % des salariés français pratiquaient régulièrement le télétravail… alors même que l’amélioration de la productivité et de la satisfaction des employés a été maintes fois démontrée.

    Cet apparent besoin de se retrouver sur le lieu de travail aggrave-t-il la propagation du virus ? Très probablement. D’abord, tout le monde le reconnaît, à cause des contaminations entre collègues qui représentent plus d’un quart des clusters identifiés. Ensuite, et c’est moins largement admis, à cause des trajets domicile-travail.

    L’heure de pointe expose à un risque de contamination

    Si les images de quais et rames de métro bondés enflamment régulièrement les réseaux sociaux, certains, s’appuyant sur les rapports de Santé publique France, ont cru pouvoir annoncer que les transports n’avaient que peu d’impact : « Moins de 1 % des clusters sont détectés dans les transports en commun. » C’était sans compter que les #clusters identifiés ne représentent que 10 % des cas de contamination.

    Les entreprises et les rassemblements familiaux ne sont pas les principaux lieux de transmission : ils sont les seuls que nous savons retracer. Si rien ne peut être prouvé, tous les indices convergent cependant. En Ile-de-France, 65 % des trajets domicile-travail se font en transports en commun, durent en moyenne 1 heure 24 et continuent à s’effectuer à 71 % en heure de pointe malgré les risques afférents.

    Malgré une fréquentation moyenne en baisse de 30 % en octobre, la promiscuité de l’heure de pointe expose à un risque important de contamination, comme l’indique le professeur Yves Buisson, membre de l’Académie de médecine et responsable de la cellule de veille sur le Covid-19 : « Si vous restez plus de dix minutes entassés les uns sur les autres dans les transports en commun et qu’un porteur du virus se trouve au milieu, la contamination peut arriver. »

    Réduire de plus de 30 % les déplacements pendulaires

    Il est donc probable que lors des deux vagues, les trajets domicile-travail ont largement contribué à la propagation du virus. Et qu’il en sera probablement de même après le déconfinement à venir. Est-il possible de limiter la fréquentation des transports de telle sorte qu’ils ne contribuent pas à l’accélération de la diffusion du virus ? Et qu’ainsi nos voisins arrêtent de railler l’inconstance de nos politiques ?

    Les mesures évidentes n’ont pas suffi. Les invitations de la ministre du travail au télétravail n’ont convaincu ni les entreprises ni leurs salariés. Le télétravail forcé n’est, quant à lui, pas constitutionnel. Le développement de l’usage du vélo, pourtant très bien exécuté par la ville de Paris, ne peut pas suffire : son usage se révèle saisonnier et plus adapté aux loisirs qu’aux trajets professionnels. Des négociations sont engagées entre les organisations patronales et syndicales sur le télétravail ; elles prendront du temps.

    Reste qu’il faut résorber ce foyer de contamination, le plus vite possible et pour de bon. A court terme, seules les entreprises peuvent agir : inciter au télétravail, vérifier que cette incitation est respectée, décaler les horaires de travail…

    A moyen terme, il faut donner une incitation financière aux entreprises qui permettront à leurs employés d’éviter les transports aux heures de pointe. A long terme, nous devons rendre nos villes résilientes, grâce à des stratégies de coopération territoriale, de développement du coworking et d’échanges d’emplois. Ensemble, ces mesures ont le potentiel de réduire de plus de 30 % les déplacements pendulaires.

    Ugo Deschamps(Consultant au Boston Consulting Group/ BCG) et Joël Hazan(Directeur associé au Boston Consulting Group/ BCG et chercheur associé du BCG Henderson Institute)

    À la poursuite du #déconfinement_durable #covid-19 #transports #travail #télétravail

  • « Que les décideurs politiques ouvrent le débat sur l’effondrement de la société pour que nous puissions commencer à nous y préparer »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/10/que-les-decideurs-politiques-ouvrent-le-debat-sur-l-effondrement-de-la-socie

    « 
    Un débat public sur cette menace de l’effondrement est indispensable afin de pouvoir en réduire la probabilité, la rapidité, la gravité et les dommages infligés aux plus vulnérables comme à la nature, relève dans une tribune au « Monde » un collectif de plus de 400 scientifiques d’une vingtaine de pays.

    –---

    Nous sommes des scientifiques et universitaires de plus de vingt pays et nous appelons les décideurs politiques à s’engager ouvertement face au risque de bouleversements, voire d’effondrement, de nos sociétés. Cinq ans après l’accord de Paris de 2015 sur le climat, nous n’avons pas réussi à réduire nos émissions de carbone, et nous devons maintenant faire face aux conséquences.

    S’il est essentiel d’agir avec courage et équité pour réduire les émissions et réabsorber naturellement du carbone, nombreux sont les chercheurs qui considèrent désormais l’effondrement de la société au cours de ce siècle comme un scénario crédible. Les avis diffèrent sur le lieu, l’étendue, la date, la durée et la cause de ces bouleversements ; mais la manière dont les sociétés modernes exploitent les hommes et la nature est une préoccupation commune à tous.

    [...]

    #effondrement #tribune #paywall #collapsologie

    • On parle d’un effondrement à venir, comme si la dégradation des conditions de la vie sur Terre n’était pas déjà en route depuis un moment. Pas un mot sur les mouvements de résistance qui existent déjà, et qu’il faudrait encourager et soutenir.

      Cet appel s’adresse aux dirigeants de la part de « scientifiques » qui se veulent les conseillers d’un Prince Eclairé et Charmant (l’Etat, sa Police, son Armée) qui est sensé défendre le bien public alors qu’il est évident qu’il défend « la liberté du commerce et de l’industrie », et donc les intérêts des classes dominantes. En Marche vers la #technocratie collapsologique. On y retrouve bien sûr #Pabo_Servigne et sa #bêtise_politique insondable...

      Texte complet et en français de la tribune : https://framaforms.org/appel400scientifiques-1607524970

  • « Croire à la science ou pas est devenu une question éminemment politique, sans doute celle qui va décider de l’avenir du monde » - Eva Illouz
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/12/10/eva-illouz-croire-a-la-science-ou-pas-est-devenu-une-question-eminemment-pol

    La sociologue Eva Illouz retrace l’histoire du complotisme et analyse les causes profondes de l’importance qu’il a prise cette dernière décennie, jusqu’à remettre en question « le pari que les démocraties ont fait sur la liberté d’expression et sur la force de la vérité ».

    Tribune. Un habitant de l’Etat du Montana récemment interviewé par National Public Radio (NPR), réseau américain de radiodiffusion de service public, s’exprimait ainsi : « Ce sont des mensonges. Il y a beaucoup de preuves que la “pandémie” due au coronavirus est liée à la Chine communiste. Ils sont en train d’essayer d’imposer le marxisme communiste dans notre pays. »

    Dans ces quelques phrases se trouvent résumées presque toutes les caractéristiques de la pensée complotiste : déni de la réalité telle qu’elle est établie par le consensus scientifique ou politique ; perception de la présence malfaisante d’une entité étrangère au sein du pays (ici, la Chine) ; affirmation que cette entité manipule la réalité, répand des mensonges et a pour but ultime le contrôle de la nation ; conviction que cette entité est d’autant plus puissante qu’elle est secrète et invisible.

    Chimère cohérente et argumentée

    La théorie du complot a donc ici une vocation justicière : elle se propose de dénoncer les manipulations et les mensonges proférés par des autorités (sanitaires, médiatiques, économiques, politiques) et de dévoiler une réalité cachée, celle du vrai pouvoir. Ce récit vise à mettre au jour le pouvoir mondial d’un groupe (les juifs ; la finance internationale) ou d’une personne (les Clinton ; George Soros ; Bill Gates) qui menace la nation ou le peuple : le complotisme se veut donc un contre-pouvoir. Dans ce sens, il a une affinité à la fois avec l’extrême gauche, qui dénonce le pouvoir insidieux des élites, et l’extrême droite, qui défend la nation assiégée.

    Même si le complotisme est une forme de pensée magique ou d’hallucination collective, il ne ressort pas du mensonge : il est au contraire une parole de conviction et relève de l’ignorance. L’historien des sciences Robert Proctor et le linguiste Iain Boal ont proposé, sous le nom d’« agnotologie », d’étudier l’ignorance comme fait social. Le complotisme en fait partie, mais avec une nuance importante. Si l’ignorance se définit par l’absence d’un savoir (par exemple 62 % d’Américains interrogés ne pouvaient pas nommer les trois branches du gouvernement de leur pays), le complotisme se présente au contraire comme un savoir privilégié, une chimère cohérente et argumentée.

    Plus réservée aux religions

    En tant que telle, la pensée complotiste n’est pas nouvelle. L’antijudaïsme médiéval prenait lui aussi la forme de grands délires complotistes, imaginant par exemple que les juifs buvaient le sang des enfants chrétiens pour préparer la matza , le pain azyme consommé à Pâques (le mot « cabale » est un exemple de cet imaginaire à la fois complotiste et antijuif). Mais la pensée complotiste moderne n’est plus réservée aux religions ; elle est en passe de devenir un des discours centraux de notre espace public. En 2014, NPR révélait que la moitié des Américains croyaient au moins en une théorie complotiste. Plus récemment, il est apparu que 70 % de l’électorat républicain pense que les élections ont été frauduleuses. Le groupe QAnon, qui n’a pas été désavoué par Donald Trump et compte même parmi ses plus fidèles adhérents, diffuse l’idée qu’un culte satanique de pédophiles contrôle le monde. L’annonce finale de la victoire de Joe Biden a été vue par le président et son équipe comme un vaste complot fomenté par les démocrates, les industries pharmaceutiques, la Fondation Clinton et le milliardaire George Soros. Cela aura des incidences graves sur la perception de la légitimité du président élu.

    Le complotisme est en passe de dissoudre l’une des dimensions constitutives de la démocratie, à savoir la tension entre croyances fausses et croyances vraies, entre opinion du peuple et opinion des élites expertes. La liberté d’expression avancée par la doctrine libérale de John Stuart Mill envisageait une telle friction mais considérait avec confiance que la vérité saurait prévaloir. Le pari que les démocraties ont fait sur la liberté d’expression et sur la force de la vérité est désormais remis en question.

    La riposte au complotisme est particulièrement difficile parce que ce dernier s’appuie sur des éléments légitimes de la pensée actuelle et s’engouffre dans les brèches des épistémologies contemporaines. La pandémie due au Covid-19 a montré de façon éclatante que la fragilité de la démocratie commence par son épistémologie.

    Le complotisme contemporain prend la forme du doute critique, remettant en question le pouvoir politique et l’autorité des experts. Douter de l’autorité était l’injonction glorieuse des Lumières, mais celle-ci se voit dévoyée dans les théories qui construisent le monde comme une vaste toile d’intérêts cachés. Dans une lettre à Arnold Ruge écrite en 1843, Marx appelait à « la critique impitoyable de tout ce qui existe, impitoyable en ce sens qu’elle n’a ni peur des résultats auxquels elle aboutit ni de conflit avec les pouvoirs en place ». Douter de toute autorité établie, voir le monde comme une vaste toile d’intérêts cachés est en effet une constante de la pensée complotiste contemporaine, qui ne croit ni aux procédures de comptage de voix, ni aux principes de virologie, ni aux méthodes scientifiques de certification des médicaments ou au réchauffement climatique. La seule vérité est celle de l’intérêt de ceux à qui le savoir profite.

    Comme l’a écrit Luc Boltanski dans une étude remarquable ( Enigmes et complots. Une enquête à propos d’enquêtes , Gallimard, 2012), le complotisme s’intensifie avec la naissance de l’Etat moderne et avec l’incertitude qui l’accompagne sur la nature du pouvoir politique : qui au juste nous gouverne est la question posée par le complotisme. Est-ce l’Etat, les compagnies de pétrole, les industries pharmaceutiques, les milliardaires ou bien une coalition secrète entre tous ces acteurs ? Comme le sociologue, le complotiste cherche à révéler la réalité des intérêts cachés et se veut donc être une intelligence critique. « A une réalité de surface, apparente mais sans doute illusoire, bien qu’elle ait un statut officiel, s’oppose une réalité profonde, cachée, menaçante, officieuse, mais bien plus réelle », nous dit Luc Boltanski.

    « Imagination paranoïaque »

    Cette façon critique d’interroger le monde aboutit à ce que l’historien de la littérature John Farrell appelle une « imagination paranoïaque », qui est, selon lui, une des grandes figures de la modernité. Pour Farrell, l’individu moderne perd progressivement de son pouvoir sur son environnement et perçoit le monde comme indifférent ou même hostile à ses besoins, d’où l’émergence du doute systématique. Le résultat, nous dit-il, est qu’il n’est plus possible de trouver une autorité épistémique ou morale.

    C’est d’autant plus le cas qu’un pan entier de la pensée philosophique du XXe siècle a eu pour but de remettre en question la notion de vérité et le bien-fondé – moral et épistémique – de la recherche de la vérité. Des générations entières formées au foucaldisme ont appris que le savoir était une technique de pouvoir et sont devenues des virtuoses de la suspicion – malgré le désaveu de Michel Foucault pour toute méthodologie de la suspicion. Il avait éludé la question de l’intérêt, mais sa philosophie eut pour effet de faire de la science, au sein même de la communauté scientifique, une question de croyance, position intellectuelle qui ne pouvait que légitimer en retour le camp des non-croyants. Cette remise en question du savoir officiel s’est manifestée avec acuité pendant la crise sanitaire qui a exposé le spectacle des désaccords scientifiques, de la fragilité du consensus scientifique et du caractère construit de ses vérités.

    Subjectivation de la vérité

    La critique du pouvoir, de l’autorité experte et de la science s’est adossée à un autre phénomène, lui aussi central à la culture du doute : le subjectivisme ou l’idée que chacun a le droit de définir sa vérité. Porter atteinte à la vision du réel tel que chacun le définit est devenu une atteinte à la personne elle-même. Cette subjectivation de la vérité a été le résultat conjugué du psychologisme, qui octroie à l’individu la légitimité de ses émotions et de ses interprétations du monde, et des valeurs du pluralisme et de la tolérance, apanage des démocraties qui se doivent de respecter les individus et leurs visions du monde, aussi idiosyncratiques soient-elles. Toutes ces perspectives – du doute, de la critique systématique, de la défiance des autorités, du respect de l’intériorité des individus — ont été centrales à la mise en place et au déploiement de la culture démocratique.

    Mais il y a une raison finale, non moins importante, à la montée du complotisme : la démocratie s’est révélée être un régime politique profondément divisé entre sa propre théâtralisation, la mise en scène d’elle-même sous le regard incessant des médias, et une forme cachée, voire souterraine, d’actions politiques faites de compromis, de quid pro quo, d’intérêts financiers, d’ambitions personnelles et de pressions exercées sur l’appareil de l’Etat par des organisations qui veulent rester dans l’ombre.

    Parce que le régime démocratique présuppose l’intérêt général et la transparence, tout écart de ces normes crée une méfiance profonde vis-à-vis du pouvoir. Jamais les représentants des institutions démocratiques n’ont été en crise et n’ont autant souffert du manque de confiance de la part des citoyens dans une grande partie du monde démocratique.

    Par le biais des grands médias, la vie politique est désormais ponctuée par des scandales qui semblent révéler les rouages et machinations sordides du pouvoir : le Watergate a montré que Richard Nixon avait enfreint la Constitution en espionnant le parti rival et en tentant de faire disparaître les preuves de son crime ; le scandale de l’Iran-Contra avait mis au jour le fait que Ronald Reagan vendait en secret des armes à l’Iran de Khomeiny, malgré l’embargo officiel, pour reverser l’argent des ventes à ceux qui combattaient le régime sandiniste au Nicaragua. Les armes de destruction massive au nom desquelles la guerre en Irak avait été engagée se sont avérées inexistantes. Sous les feux de la rampe, la vie politique démocratique s’est révélée dans toute la splendeur de ses mensonges et ses intrigues. Le roman et les films d’espionnage, les séries télévisées à audience internationale comme House of Cards ou Borgen, sont venus s’ajouter à ce nouvel imaginaire, pointant vers une réalité cachée d’un monde politique essentiellement corrompu par l’argent et le pouvoir.

    Image dégradée de la politique

    Le conspirationniste représente une anomie épistémique qui reflète la perception de l’anomie du monde politique. Il se nourrit donc de la dégradation réelle de l’image de la politique et des politiciens, d’un climat intellectuel qui a attaqué sans relâche la notion d’autorité épistémique, et du subjectivisme qui donne à l’individu tout pouvoir de définir sa propre réalité.

    Dans ce sens, le complotisme est un non-savoir – ou une forme organisée d’ignorance qui se veut être plus intelligente que le « système ». C’est la raison pour laquelle certains ont avancé que le complotisme est le fait d’individus aliénés qui ne se sentent pas représentés par les institutions.

    Le complotisme de cette dernière décennie signale une transformation inédite de la démocratie : l’alignement des camps politiques autour des questions du savoir et de l’autorité épistémique. Pendant la crise sanitaire, les camps républicain et démocrate ont été profondément divisés, précisément sur le bien-fondé de l’autorité médicale. Les résultats des élections avaient commencé par donner une victoire à M. Trump mais ont changé quand on a commencé le comptage des voix par courrier, c’est-à-dire les voix de ceux qui ne se sont pas rendus aux urnes parce qu’ils croyaient dans l’autorité des experts sanitaires.
    Historiquement, le complotisme a existé autant à droite qu’à gauche, mais récemment il est devenu essentiellement l’arme idéologique de l’extrême droite. Cela est dû au fait que pour les populistes, les autorités médicales et scientifiques sont désormais des élites tout court, des groupes dont la parole compte autant que la leur. C’est aussi dû aux énormes efforts de la classe industrielle alliée à la droite et de l’extrême droite pour nier le réchauffement climatique, efforts qui ont nécessité le rejet même de la science. Croire ou pas à la science est devenu une question éminemment politique, sans doute celle qui va décider de l’avenir du monde. L’épistémologie est désormais au cœur de notre démocratie et de son avenir.

    Eva Illouz est directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Ses recherches portent notamment sur la sociologie des émotions et de la culture. Elle a rédigé plusieurs essais, parmi lesquels Les Sentiments du capitalisme (Seuil, 2006), Pourquoi l’amour fait mal (Seuil, 2012), Happycratie. Comment l’industrie du bonheur a pris le contrôle de nos vies, coécrit avec Edgar Cabanas (Premier Parallèle, 2018), et Les Marchandises émotionnelles (Premier Parallèle, 2019).

    #Lumières #critique #complotisme #démocratie #science #élites

    • On reste pour le moins sur sa faim. Ce texte comporte des éléments mais au regard de ce que l’on trouve de plus fin et éclairant dans le travail habituel de Illouz sur les subjectivités, il y a de quoi être déçu : de dire que la science est affaire de croyance (et pas d’examen) ; d’amalgamer la pensée critique (ici la citation de Marx) au complotisme alors que celle-ci est dans le droit fil de la tradition philosophique, et en particulier de Hegel, lorsqu’elle prétend « dévoiler » des mécanismes sous jacents du « fonctionnement » de la société (les rapports sociaux, la propriété privée) ; d’oser résumer les fafs au nationalisme alors même que les divers mouvements fascistes se sont toujours présentés peu ou prou comme « révolutionnaires » et dénonçaient férocement des élites dont seul un chef digne de nom pourrait venir à bout ; de nous ressortir l’équation parfaitement bourgeoise (politiquement) qui fait de la démocratie une affaire d’"intérêt général" (inexistant, purement idéologique).
      Tout se passe comme si faute d’avoir bricolé une méthode adéquate à son objet (inédit pour elle ?) elle en était réduite à employer des grosses catégories (démocratie, intérêt général). Pas facile de passer d’un terrain (l’intime, les relations, les subjectivités) à un autre.

    • Douter de l’autorité était l’injonction glorieuse des Lumières, mais celle-ci se voit dévoyée dans les théories qui construisent le monde comme une vaste toile d’intérêts cachés.

      Mon précédent commentaire était trop négatif, excusez. Cette tribune d’Illouz contribue à éclairer le renversement contre-révolutionnaire (un de plus) qui fait le complotisme (la sociologie de l’intérêt n’a pas d’intérêt, disait l’autre).