« La gauche devrait arrêter de se focaliser sur la prise du pouvoir par les urnes »

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    C’est selon moi le signe d’une très grande réussite de la forme étatique à monopoliser la politique et la puissance. L’idée s’est imposée que la seule manière d’être une puissance consiste à essayer de conquérir le pouvoir d’État en se présentant à des élections. Sauf que le jeu est pipé : cette mise en scène de la puissance de l’État est en grande partie fausse. On le voit avec les expériences de coalition de gauche au gouvernement. On se rend compte alors que cette puissance est loin d’être absolue, face aux pouvoirs économiques notamment. Au sein de ces partis de gauche, on observe aussi des dynamiques de bureaucratisation, de reconstitution d’oligarchies, qui font que la partie n’est jamais gagnée pour les citoyens. Bref, être en capacité de peser est bien plus compliqué que le seul fait de s’organiser pour la conquête du pouvoir d’État. Cela doit donc passer par d’autres types d’activités, comme avoir un mouvement syndical impliqué dans une politique de transformation sociale en dehors de l’État, ce qui a été délaissé.

    On observe pourtant des réussites : le mouvement féministe comme le mouvement antiraciste radical ont connu de véritables succès dans leur capacité à faire puissance et à changer le monde sans prendre le pouvoir. Et la riposte du patriarcat, du capitalisme et de systèmes de racisme organisé a été immédiate et très puissante : on les accuse de séparatisme, on les accuse de vouloir bouleverser je ne sais quel universalisme républicain. On voit en tout cas sur ces sujets que quelque chose bouge à partir du moment où les personnes, en particulier celles qui subissent des formes de domination, décident de s’extraire du fétichisme de la conquête du pouvoir d’État.

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    Après quatre années de macronisme, un an de pandémie, et une banalisation des diatribes autoritaires ou d’extrême droite, notre démocratie est bien malade. Le chercheur en science politique Samuel Hayat imagine des remèdes de guérison.

    Le caractère oligarchique du régime, c’est-à-dire l’unité fondamentale des gouvernants malgré la mise en scène de leurs divisions, se voit moins quand on a l’illusion d’une concurrence entre partis ayant des projets politiques différents. Désormais, du fait de l’affaiblissement de toutes les forces d’opposition et de la situation sanitaire, il règne en surface une sorte d’unanimité, qui rend visible le fait oligarchique. C’est d’autant plus frappant qu’avec cette crise, le pouvoir n’a jamais été autant en représentation. La parole gouvernementale est omniprésente dans les médias. Nous avons passé une année suspendus à la parole du Prince, qui joue l’épidémiologiste en chef. S’ajoute à cela l’intensité du mépris que le pouvoir a pour la société, quand elle résiste à ses projets – je pense même qu’il y a une mise en scène de ce mépris. Cette méthode de gestion extrêmement brutale peut susciter de l’abattement et de la sidération. C’est par exemple ce qui domine aujourd’hui dans l’enseignement supérieur et la recherche, depuis le mouvement assez fort des universitaires contre les réformes imposées l’année dernière. Ce sont des métiers qui, par leur caractère plutôt bourgeois, avaient l’habitude d’être pris en considération par le pouvoir. Cette fois, le pouvoir n’en a eu strictement rien à faire : il a passé ses réformes en utilisant l’urgence sanitaire, et en faisant fi de la contestation...

    ... Ce que nous avons tous et toutes en commun dans une société démocratique, ce sont des droits. Ces droits sont plus ou moins respectés ou réalisés selon les personnes, et leur situation de classe, de genre, de race. Prendre parti c’est donc s’organiser entre personnes pour que ces droits deviennent véritablement effectifs. Cela peut prendre de nombreuses formes : se rassembler en tant que travailleurs pour un revenu décent, entre habitants d’un même type de quartiers pour une politique de la ville plus égalitaire, s’associer entre femmes pour organiser la lutte contre des violences sexuelles et sexistes... Ces personnes vivent des situations qui ne sont pas forcément communes à toute la société. Ce qui est commun, c’est l’horizon général de la réalisation de ces droits.

    Il faut faire accepter cela aux pouvoirs, politiques, économiques ou médiatiques, car dès que des gens se rassemblent, ces pouvoirs crient au séparatisme ! C’est un paradoxe extraordinaire quand on sait que cette idée de séparation est à la base de la puissance du mouvement ouvrier : à la fin du 19ème siècle, des pamphlets appelaient les ouvriers à s’organiser de manière séparée du reste de la société, en particulier de la bourgeoisie. Aujourd’hui c’est quelque chose qu’on veut rendre illégal.

    Comment analysez-vous dans ce contexte, les récentes tribunes de généraux en retraite, l’activisme de certains syndicats policiers d’extrême droite et les propos de ceux, à droite, qui laissent planer la menace d’une guerre civile ?

    Dès que des gens s’organisent pour que leurs droits soient reconnus, des forces réactionnaires s’organisent pour nier ces droits, pour présenter ces revendications comme un danger pour l’ordre social. Il faut bien voir que nier les droits de certains, c’est maintenir les privilèges pour d’autres. Tout le problème est que ces poussées réactionnaires peuvent agréger beaucoup de monde, tous ceux qui pensent, à tort ou à raison, avoir quelque chose à perdre aux transformations qui résultent nécessairement d’une extension de leurs droits à des groupes qui en étaient jusque là exclus, officiellement ou non. D’où l’importance, pour les dominés, de faire front contre ces forces.