Ils ne parviennent plus à courir, au bout d’une minute, ils sont essoufflés. Médecin-conseil, elle démissionne pour alerter sur la santé des jeunes

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  • Ils ne parviennent plus à courir, au bout d’une minute, ils sont essoufflés. Médecin-conseil, elle démissionne pour alerter sur la santé des jeunes
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    Il y a quelques jours, Sophie Cha a adressé une lettre de démission à sa direction. Le 31 décembre, elle quitte ses fonctions de médecin-conseiller à la DRAJES, la délégation « jeunesse et sport » de Bretagne. Un geste fort pour alerter. Enfants et adolescents ne bougent plus suffisamment dit-elle. Si rien n’est fait, ils auront une espérance de vie inférieure à la nôtre.

    Au pied de son bureau, quelques cartons posés indiquent l’imminence de son départ. Sophie Cha quitte son poste. La mort dans l’âme, « je ne vais pas continuer à venir tous les matins pour faire des rapports et des recommandations qui ne servent à rien ».

    Depuis 8 ans, elle occupait le poste de médecin-conseiller à la DRAJES, la Délégation Régionale Académique Jeunesse Engagement et Sport de Bretagne. C’est ce qu’on appelle plus communément la direction « jeunesse et sport », qui est rattachée au ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et des Sports.

    Au fil des années, et dans une indifférence quasi-générale, elle a vu la situation se dégrader. « En 40 ans, les jeunes ont perdu 25% de condition physique. Le constat est terrible car cela veut dire qu’ils vont mourir plus vite. »

    « Les professeurs d’EPS nous disent que les jeunes ne parviennent plus à courir. Au bout d’une minute, ils sont essoufflés. Ils ne savent plus faire une roulade, ni marcher sur une poutre. C’est inquiétant », explique la médecin.

    Dans une tribune publiée cet automne dans la Revue du praticien, Sophie Cha rappelait les recommandations de l’OMS ( organisation mondiale de la santé) sur le volume d’activité physique nécessaire à une bonne santé. « Les enfants et les adolescents de 5 à 17 ans devraient consacrer en moyenne 60 minutes par jour à une activité physique d’intensité modérée à soutenue tout au long de la semaine. Des activités d’endurance plus intenses, ainsi que celles qui renforcent le système musculaire et l’état osseux, devraient être pratiquées au moins 3 fois par semaine. »

    « Pourtant, constate-t-elle, depuis plus de vingt ans, on assiste à un effondrement du niveau d’activité physique de la population. A l’adolescence, 77% des garçons et 85% des filles sont en deçà des préconisations. »

    Depuis les années 1970, tous les dix ans, les enfants perdent en moyenne 5 % de leurs capacités cardiorespiratoires.
    Les risques de l’inactivité

    « Et la perte du goût de l’effort commence dès le plus jeune âge remarque la médecin. Regardez dans la rue ou devant les écoles, indique-t-elle. Aujourd’hui, on voit dans des poussettes des enfants qui sont grands, en tout cas, qui sont en âge de marcher. Ils prennent l’habitude de se laisser promener et ne découvrent pas le plaisir de cheminer sur leurs deux jambes. »

    Les professeurs d’EPS signalent aussi que les enfants sont de plus en plus souvent dans le plâtre. « Comme on fabrique notre capital osseux en bougeant et notamment en multipliant les activités à impacts, course, sauts à la corde, moins on bouge, moins on a des os solides et cela n’augure rien de bon pour l’avenir », souligne Sophie Cha. « Notre capital osseux est à son maximum au début de l’âge adulte vers 20-22 ans et commence dès lors à décroître. Mais si on part avec un capital osseux bas, on ira plus vite vers l’ostéoporose, vers des problèmes de fractures. »

    Sophie Cha tire la sonnette d’alarme depuis longtemps. Dans une autre tribune, publiée cette fois dans Café pédagogique, Sophie Cha appelait à dire « Stop aux dispenses d’EPS. »

    Dans les faits, ces dispenses d’EPS n’existent officiellement plus depuis 1988 ! Elles ont été supprimées par un décret 88-977. « L’Education physique et sportive est comme les autres une matière obligatoire et vitale » insiste la praticienne. En cas de difficultés d’un élève pour telle ou telle activité, un certificat médical devra comporter des indications utiles à l’adaptation de la pratique, précise le texte. « Mais on ne dispense pas de maths un élève dyscalculique s’agace Sophie Cha, au contraire, on cherche à l’aider, à le faire progresser. Ce doit être pareil pour le sport »

    « On sait que l’adolescence est un moment difficile où les jeunes ne se sentent pas très bien dans leurs corps, reconnaît Sophie Cha, mais justement, le sport pourrait les aider. Au lieu de cela, observe-t-elle, les médecins cèdent à la pression et signent des dispenses, les parents font des mots d’excuse. »

    Sophie Cha travaille sur la question avec un sociologue. " On a un florilège, témoigne-t-elle. L’autre jour, il y a une maman qui a écrit : "Ma fille a commencé à fumer, elle est essoufflée quand elle fait du sport, je vous remercie de ne plus la faire courir ! « Et ça ne heurte personne ! »
    Des effets sur la santé mentale des jeunes

    Sur l’écran de son ordinateur portable, la médecin fait défiler les enquêtes épidémiologiques et les rapports qui s’inquiètent de l’état des enfants et des adolescents. « C’est comme le réchauffement climatique, on sait ce qui va se passer, tous les arguments scientifiques sont là, écrits noir sur blanc sous nos yeux. »

    « On a des jeunes qui à 11 ans font des tentatives de suicide. C’est quelque chose que l’on ne voyait pas avant », s’alarme Sophie Cha.

    Le Haut conseil de la famille de l’enfance et de l’âge a publié une étude en mars 2023, « Comment venir en aide à nos enfants ? » Les chiffres sont à peine croyables, s’inquiète-t-elle. On met les enfants sous anxiolytiques dès 9 ans. Entre 2014 et 2021, les prescriptions d’antidépresseurs ont augmenté de 62%, celles de psychostimulants de 78% et celles d’hypnotiques et de sédatifs de 155%."
    La faute aux écrans ?

    La médecin ne cherche à incriminer personne mais elle constate." Quand on interroge les adolescents sur leurs occupations, on en voit qui nous disent qu’ils passent parfois 12 à 13h par jour devant les écrans le week-end et 7 à 8h par jour dans la semaine. « 

    Souvent les parents baissent les bras et démissionnent. Ils n’ont pas envie de batailler sur les téléphones portables, les jeux vidéo et les heures devant les séries. Alors ils laissent faire. »

    « Biologiquement, explique Sophie Cha, n otre cerveau est programmé pour être attiré par ce qui bouge. À certains moments, c’est notre survie qui en dépend. » Quand une bête féroce ou un ennemi arrivait en trombe ou quand une voiture débouche à toute allure, nous sommes programmés pour le voir rapidement. Mais aujourd’hui, notre cerveau est bombardé d’images qui bougent à toute vitesse, dans tous les sens et il est captivé.

    Nous passons 60% de notre temps libre devant un écran, quand nous consacrons 4% de ce temps à la pratique sportive.

    La faute à l’époque ?

    Tout semble s’additionner pour laisser aux petits une chance de ne pas sauter dans leurs baskets regrette la médecin. L’épidémie de Covid qui a cloué tout le monde à la maison, l’aménagement des villes qui fait craindre le pire. « Qui peut laisser aujourd’hui des petits jouer dans la rue ou dans les squares ? interroge Sophie Cha. On a peur qu’ils se fassent mal, qu’ils soient écrasés par les voitures ou kidnappés. On fait des enfants bulle. »

    Mais en surprotégeant nos chères têtes blondes, on risque de leur faire courir de plus graves dangers. Dans les cours d’école, par exemple, aujourd’hui, on a peur que l’enfant se blesse s’il joue à chat ou à n’importe quoi. « Tout est paralysé, cingle Sophie Cha, mais en empêchant un enfant de bouger aujourd’hui, on met sa santé présente et future en danger et c’est beaucoup plus nocif pour lui. »

    Les maladies chroniques sont devenues première cause de mortalité dans le monde. « Les maladies cardiovasculaires, le diabète de type 2, les cancers et les maladies respiratoires sont les fléaux modernes Leur apparition est consécutive, pour 25 % des cas en moyenne, au manque d’activité physique et à la sédentarité, écrit Sophie Cha dans la tribune, et elle tend à se produire de plus en plus tôt dans la vie. Même si le niveau d’activité physique des jeunes se maintenait au niveau actuel, il faudrait s’attendre à l’émergence de 6 millions de nouveaux cas de maladies chroniques en France d’ici à 2030. »

    Tous les ans, le nombre d’adolescents qui entrent dans des diabètes de type 2, (normalement diabète de l’adulte) augmente de 2%, ajoute-la médecin. « Le fait que tout cela soit documenté par des milliers d’articles scientifiques, c’est encore plus rageant. »

    Car Sophie Cha s’inquiète pour les années à venir. « Notre système de soins est à bout de souffle, confie-t-elle, nous n’avons plus suffisamment de médecins et nous manquons de médicaments. Comment ferons-nous pour soigner les gens s’ils sont beaucoup plus malades ? Nous aurons des populations qui vont développer des diabètes, de l’hypertension et on ne pourra pas les soigner. »
    Bougez, bougez, bougez !

    « La première chose à faire, c’est de dire aux jeunes de bouger », répète donc Sophie. Cha. « Il faut qu’ils sortent de leurs chambres, qu’ils sortent de chez eux, qu’ils rencontrent des gens, voient la lumière du jour. »
    Car c’est aussi en courant que l’on devient coureur. « Souvent, quand on fait une activité sportive, on est fier de l’avoir fait, on gagne en estime de soin, en confiance. On reprend possession de son corps et on secrète des endorphines et de la dopamine qui sont des hormones du bonheur » décrit la médecin.

    Dans quelques jours, au mois de janvier, l’activité physique doit devenir « Grande cause nationale ». Ce sera sans Sophie Cha. « De toute façon, on dit blanc et on fait noir ! »

    Elle espère que sa démission invitera parents, médecins et autorités à réfléchir. « Il faut faire bouger les jeunes et le faire vite parce que d’années en années, la situation s’aggrave. »

    • Donc, les gamins essoufflés au bout de 2 min, c’est la faute à eux-même parce qu’ils ne bougent pas assez !

      Bien joué, la disparition du covid long dans le tableau général !

      Là, j’ai un peu crapahuté dans les Pyrénées au soleil dominical et j’ai croisé 2 jeunes raisonnablement en forme (silhouette assez sportive) qui respiraient comme des phoques et toussaient comme des perdues, en mode à bout de souffle.

    • Ne pas bouger assez, ce n’est pas une faute, et pas une faute de gamins, c’est une erreur qui résulte d’une condition sociale qui nous éloigne de nos besoins, dont des besoins physiologiques, ici exceptionnellement « gratuits », une erreur, une conformation, dont on nous vend d’ailleurs l’antidote (les salles d’activité physique), pendant que toutes les instances de santé ânonnent la même rengaine," l’activité physique " premier facteur de santé dès lors que l’on a sa dose de calories plus ou moins assurée. Signe de plus que notre civilisation est, y compris à bas bruit, là-aussi mortifère - comme dans le cas de la prolifération des particules fines ou de la multiplication des additifs alimentaires.

      #santé #activité_physique #sédentarité

    • Et c’est à ce point mortifère que même l’industrie alimentaire pourvoyeuse de #junkfood y va de sa petite recommandation sur tous les emballages publicitaires qu’elle nous impose. Comme ça on ne pourra pas dire qu’on n’était pas prévenu.
      De même d’ailleurs pour les marchands de bagnoles qui vous incite à préférer les « mobilités douces ».