Nidal

“You know what I did? I left troops to take the oil. I took the oil. The only troops I have are taking the oil, they’re protecting the oil. I took over the oil.”

  • Je viens de poster en petits morceaux une réponse sur le blog d’Alain Gresh :
    http://blog.mondediplo.net/2011-10-27-Tunisie-les-editocrates-repartent-en-guerre

    Bonjour Alain,

    Évidemment, il faut toujours dénoncer les simplifications qui masquent mal le racisme de notre éditocratie, mais pour autant on peut tout de même s’inquiéter pour nos amis tunisiens.

    D’abord, oui, vous avez raison de rappeler qu’il faut avant tout se réjouir de la tenue d’élections en Tunisie, et partager l’esprit et la joie des votants. Ensuite, oui encore, il faut refuser les simplifications de nos éditorialistes autour de la notion d’« islamisme ».

    En revanche, je pense qu’il faut s’inquiéter des financements massifs venus de l’étranger en faveur des partis conservateurs locaux. Il ne s’est d’ailleurs jamais agit d’interdire tel ou tel parti, mais de réguler les financements électoraux. La question n’est pas une lubie occidentale, mais une question qui s’est bel et bien posée au niveau de la commission électorale :

    En juillet dernier :
    http://www.romandie.com/news/n/_Tunisie_decret_loi_sur_le_financement_des_partis_politiques_examine_mercr

    En préparation depuis plusieurs semaines, le décret-loi consacre notamment l’interdiction formelle de financement direct ou indirect provenant de l’étranger, sous peine de sanctions pénales, a précisé à l’AFP Samir Rabhi, porte-parole de la Haute instance.

    [...]

    Certains partis refusent ce décret-loi, on s’attend à une forte résistance, mais je suis confiant sur l’issue du vote, a-t-il dit.

    Les grandes formations historiques, tels le PDP (parti démocrate progressiste) et Ennahda, le mouvement islamiste légalisé après la révolution, contestent le projet qui risque, selon des commentateurs, de réduire leurs marges de manoeuvre conséquente.

    Concernant précisément An-Nahda, un article du New York Times indique ses financements (d’innombrables articles vont dans ce sens) :

    Alarmed at the flood of money, the commission overseeing the political transition sought last June to impose rules limiting campaign spending, banning foreign contributions and even barring candidates from giving interviews to foreign-owned news media, a move thought to be aimed mainly at thwarting the potential of the Qatar-owned network Al Jazeera to favor Ennahda candidates.

    In response, Ennahda withdrew its representative on the commission.

    Angry Arab a d’ailleurs commenté ainsi le résultat de l’élection hier :

    There should be strict monitoring in that to ban the transfer of foreign money. No, An-Nahda did not win in Tunisia: it was not an election between parties. It was merely a competition between Qatari money (which went for An-Nahda) and between US money (which went to the “liberal” business parties). Qatari money won against US money. As simple as that. Just as the last parliamentary election in Lebanon saw a competition between Saudi money and Iranian money (Saudi money won). It is a sham.

    Cet argent étant immédiatement utilisé pour détourner le débat démocratique vers des questions invraisemblables quand on pense à la situation économique que nous affrontons tous. J’ai écris un billet à ce sujet hier :
    http://seenthis.net/messages/38880

    Mais il y a un aspect de ces mouvements qui, à mon avis, est beaucoup plus important (et nuisible). Ils permettent de détourner le débat politique vers des questions de société invraisemblables. La répartition de l’argent des ressources naturelles ? Qui possède la terre ? Quelle politique fiscale ? Quelle politique économique ? Quel rapport entretenir avec les monopoles étrangers ? Quelles lois pour protéger les travailleurs ? Quels financements publics pour l’école, la santé, etc. ? Quels systèmes de retraite, d’assurance santé… ? Toutes ces questions disparaissent immanquablement, remplacées au profit d’immenses débats sur le voile à l’université, l’« inspiration » de l’islam pour la loi commune, la répression du blasphème et du changement de religion ou, truc qui plaît carrément, le « dialogue inter-religieux »...

    C’est exactement le même principe que ces « questions à la con » que la droite américaine est parvenue à imposer dans le débat démocratique (prière à l’école, etc.), pour éviter que les questions économiques et politiques importantes fassent l’objet d’un débat public. Thème fréquent de Serge Halimi.

    Même rôle que tient, objectivement, l’extrême-droite en Europe. Ou comment la présence de Le Pen sert d’alibi pour que Sarkozy impose des questions délirantes (identité nationale, voile intégral) alors que l’Europe affronte une crise économique sans précédent depuis 80 ans.

    Un article du Akhbar (libanais) traduit aujourd’hui en anglais évoque également cet aspect « débat-piège » : les progressistes auraient perdu les élections, parce que justement les partis conservateurs (soutenus par les Séoudiens d’un côté, par les Américains de l’autre) ont réussi à imposer la « question de l’identité culturelle » :

    “Many factors came together leading to this result. The Tunisian people settled the struggle over cultural identity that flared up in the past few months when they chose conservative parties whose electoral platforms advocated protecting Tunisia’s Arab and Muslim identity.” The electoral victory of parties with conservative and traditional orientations is a blow to their leftist counterparts, who, the professor said, fell in the trap of a cultural identity struggle which led to their resounding defeat.

    Ou, pour revenir au billet d’Angry Arab :

    There are tons of real reforms that we need to implement before we reach the point where we can call for free elections. Cleaning up the economic systems and freeing our countries from foreign intervention in many forms is the priority. No elections are meaningful before we first implement changes in the economic and banking systems where a special electoral commission can monitor all banking transactions within a year prior to an election.

    La question, évidemment, est liée à la possibilité très forte (de très nombreux commentateurs l’évoquent) d’une contre-révolution orchestrée par l’Arabie séoudite, lancée au lendemain de la chute de Moubarak. J’ai posté un billet hier soir :
    http://seenthis.net/messages/39066

    Il est tout de même très possible que de très lourds financements, méthodes professionnelles de propagande, achats massifs de voix, etc., soient en réalité indispensables pour permettre l’arrivée au pouvoir d’« islamistes » qui sont, c’est épatant, compatibles avec l’OTAN, commerciaux avec Israël, partisans du capitalisme néolibéral et de la libre circulation des capitaux étrangers, etc. (Le Liban est un très bon exemple, la Tunisie de Ben Ali n’était pas loin.)