« Sur la reproduction, on a renforcé la croyance que tout est possible »

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  • René Frydman : « Sur la reproduction, on a renforcé la croyance que tout est possible »
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2024/01/18/rene-frydman-sur-la-reproduction-on-a-renforce-la-croyance-que-tout-est-poss

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    En 1986, votre premier livre évoquait « l’irrésistible désir de naissance ». Le dernier s’intitule « La Tyrannie de la reproduction ». Du désir à la tyrannie, qu’avez-vous observé pendant toutes ces années ?

    En quarante ans, la société a changé, les problèmes d’infertilité ne sont plus tout à fait les mêmes. Aujourd’hui, le désir d’enfant est beaucoup plus tardif et certaines techniques se sont développées. Je pense aux traitements de l’infertilité masculine, au dépistage génétique préimplantatoire ou encore à la congélation des ovocytes… Tout cela a d’une certaine manière ouvert le champ des possibles et renforcé la croyance que tout est possible.

    Cela conduit parfois à une forme d’acharnement chez certains couples, certaines femmes, je l’ai vu en consultation. D’autant plus que, dans notre pays, les techniques de procréation médicalement assistée [PMA] sont prises en charge par la Sécurité sociale, ce qui n’est pas le cas ailleurs. Et donc on glisse de plus en plus du « je désire un enfant » à « j’y ai droit ».

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    Les partisans de cette pratique vous opposent l’argument de la GPA éthique. Qu’en pensez-vous ?

    La GPA existe depuis trente ans et je n’ai jamais vu de GPA hors marchandisation, en dehors de très rares cas, qui sont d’ailleurs très médiatisés. Je ne vous parle pas de cas particuliers, entre sœurs par exemple, ce qui soulève d’autres questions liées à la dette morale. C’est un autre sujet.

    La GPA éthique [hors marchandisation] n’existe pas et n’existera jamais. C’est un vœu pieux. Tout simplement parce que vous êtes dans le cadre d’un contrat de protection de l’enfant ou de la mère qui peut aboutir là aussi à des excès. Quand vous regardez un contrat de GPA, cela peut aller très loin, avec des consignes sur la manière de se conduire pendant la grossesse, une interdiction de fumer, de boire… Et, finalement, ce n’est pas la mère porteuse qui est la plus gagnante dans ces histoires. Sans oublier les histoires dramatiques, liées aux imprévus d’une grossesse. Je pense notamment à ce couple d’Australiens qui a laissé un des jumeaux nés d’une mère porteuse parce qu’il était trisomique.

    Au-delà des risques liés à cette marchandisation, vous soulignez votre attachement au lien qui se crée entre la mère et le bébé tout au long de la grossesse…

    On a beaucoup œuvré en obstétrique sur l’accueil de l’enfant lors de l’accouchement en privilégiant la présence du père, pour que la mère garde le nouveau-né un moment contre elle… On fait tout pour le contact et le rapprochement, parce qu’un certain nombre d’études montrent que l’épigénétique, c’est-à-dire l’environnement, joue un rôle très important. Un embryon implanté dans le corps d’une femme ou d’une autre ne sera pas le même bébé. D’ailleurs, lorsqu’une femme bénéficie d’un don d’ovocyte, on lui dit certes que c’est l’ADN d’une autre femme mais que, comme elle porte cet enfant, elle va tisser des liens jusqu’à l’accouchement et que ce sera son enfant. Ce lien est tel qu’il peut rester très longtemps après la naissance des cellules fœtales dans le sang maternel.

    D’un côté, on valorise ce lien-là, de l’autre, avec la GPA, on objecte que cela n’a aucune importance pour la mère porteuse. Ce discours est totalement contradictoire selon les intérêts poursuivis.

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    https://jpst.it/3yjU1

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