Le Vent Se Lève

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  • Italie : quand le #profit fait dérailler les trains

    Le secteur des #chemins_de_fer italien est souvent cité comme l’exemple par excellence du succès des politiques de #libéralisation_du_marché. Dans les années quatre-vingt-dix, la division des rôles entre le gestionnaire du réseau (#Rfi, #Rete_ferroviaria_italiana) et le gestionnaire des transports (#Trenitalia) est réalisée avec un double objectif : d’une part, la mise en œuvre des politiques communautaires européennes visant à accroître la #compétitivité, d’autre part la transformation du secteur ferroviaire vers un mode de gestion d’entreprise privée, afin de le rendre rentable. Une vision qui établit une différence manifeste avec toute autre perspective concevant la #mobilité comme un #service_public à garantir, même en l’absence de profit. Par Giorgio De Girolamo, Lorenzo Mobilio et Ferdinando Pezzopane, traduit par Letizia Freitas [1].

    Dans la droite ligne de cette approche, les #conditions_de-travail du personnel ferroviaire et la dimension réglementaire de la Convention collective nationale accusent un retard considérable comparées à d’autres services publics (si l’on tient compte également de la taille de #Fs, #Ferrovie_dello_Stato, l’entreprise ferroviaire publique au statut de société anonyme par actions au capital détenu à 100% par l’État italien, Rfi et Treniralia sont des filiales de FS, ndlr). La recherche constante de #réduction_des_coûts s’est imposée, au détriment des travailleurs de Trenitalia et de Rfi.

    Responsable des infrastructures, Rfi a progressivement réduit sa #masse_salariale, passant de 38 501 employés en 2001 à 29 073 en 2022, un quart de moins en une vingtaine d’années. Une diminution principalement motivée, non pas par une absence de besoin en main d’œuvre, mais par l’#externalisation du travail de #construction et de #manutention, confié à d’autres entreprises à travers un système d’#appels_d’offre et de #sous-traitance.

    Actuellement – selon les estimations des syndicats – 10 000 travailleurs externalisés opèrent sur les chemins de fers italiens. Il apparaît évident que cette gestion de la manutention rend la #sécurité accessoire et les #accidents, non pas des évènements tragiques et occasionnels, mais de tristes et amères certitudes. La stratégie de Rfi basée sur des #coûts_réduits et la rapidité d’exécution des travaux repose sur une dégradation structurelle des conditions de travail, qui se répercute sur la sécurité de tous les travailleurs FS, leur santé et la sécurité du service fourni. Avec des conséquences qui se transforment trop souvent en actualités dramatiques, comme dans le cas de #Brandizzo (accident ferroviaire dans lequel un train de la ligne Turin-Milan, a tué cinq ouvriers qui travaillaient sur les rails, le 31 aout 2023, ndlr).

    Dans cette phase de renouvellement de la Convention collective nationale de travail (Ccnl) – arrivée à échéance le 31 décembre 2023 – une assemblée autogérée de conducteurs de train et de chefs de bord s’est mise en place, avec un rôle de premier plan inédit. Cette assemblée a proposé – à travers deux grèves, dont l’une d’une durée de 24 heures, le 23 et le 24 mars, et une participation supérieure à 65 % au niveau national (et des pics à 90 % dans certaines régions) – une plateforme de renouvellement de la Ccnl alternative à celle formulée par les syndicats signataires.

    Une initiative qui ouvre des pistes de réflexion sur la place centrale du #transport_public_ferroviaire dans un monde se voulant plus durable. Un horizon qui rend également possible une convergence avec les revendications des mouvements écologistes. Cette convergence des mouvements sociaux serait en mesure, et ce ne serait pas la première fois, de redonner de la force à une négociation collective affaiblie.

    Nous en avons discuté avec Lorenzo Mobilio, Rsu (Rappresentanza sindacale unitaria) di Napoli-Campi Flegrei et membre de la coordination nationale de l’Union syndicale de base (Usb) qui participe à ce processus d’assemblée.

    La #grève du rail des 23 et 24 mars, d’une durée de 24 heures, n’est pas la première grève du secteur. En novembre 2023, la restriction du droit de grève demandée par le ministre Matteo Salvini avait fait scandale. Elle avait été réitérée en décembre par ordonnance, puis a été récemment annulée par le Tar Lazio (Tribunale amministrativo regionale de Lazio) pour excès de pouvoir. Ce conflit démarre donc dès 2023. Pourriez-vous préciser les processus qui ont conduit à cette grève, et ses implications en termes de participation ?

    Le mouvement de grève actuel dans le secteur ferroviaire est né de la création en septembre 2023 de l’assemblée nationale PdM (personale di macchina, conducteurs de train) et PdB (personale di bordo, personnel de bord).

    En septembre nous avons fait naître cette assemblée et nous avons conçu des étapes intermédiaires, comme un questionnaire qui a reçu plus de 3 000 réponses. À partir de ce questionnaire, nous avons mis en place une plateforme pour recueillir les revendications, puis nous l’avons transmise à tous les syndicats, qu’ils soient ou non signataires. Seuls Confederazione unitaria di base (Cub), Unione sindacale di base (Usb) et Sindacato generale di base (Sgb) ont répondu à l’appel. Chacun de ces syndicats a ensuite créé sa propre plateforme, ainsi que des assemblées autonomes qui ont tenté de négocier pour faire émerger un projet unique, à même de rassembler toutes les sensibilités présentes autour de la table

    L’assemblée du PdM et du PdB, a alors décidé de lancer la première action de grève de 2024, centrée sur le renouvellement de la convention collective nationale. La première grève a donc eu lieu le 12 février et n’a duré que 8 heures, c’est la règle dans le secteur ferroviaire. En revanche les suivantes peuvent durer vingt-quatre heures. Le premier jour de grève a été très suivi, avec une participation de 50 à 55 % dans toute l’Italie. C’est un nombre significatif si l’on considère que la grève avait été lancée par une nouvelle entité (l’assemblée PdM et PdB), déclarée par trois syndicats, et que de nombreux collègues, en vertu de la loi 146/1990 (définissant les règles sur l’exercice du droit de grève dans les services publics essentiels et sur la sauvegarde des droits protégés par la Constitution, ndlr) considèrent la grève comme un outil peu adéquat.

    Après le 12 février, l’objectif de l’assemblée a été de déterminer une nouvelle date pour une grève de 24 heures. Nous avons retenu un jour férié, car il n’y a pas de service minimum à assurer pour les trains régionaux et les trains de marchandises. En revanche, c’est le cas pour les trains interurbains et à grande vitesse, mais avec un service minimum plus réduit par rapport à un jour de semaine. Un choix qui, selon nous, garantirait une plus grande participation, et en effet les chiffres ont été plus élevés que ceux du 12 février. Le taux de participation était de 65 à 70 % sur tout le territoire national, avec des pics à 90 % dans certaines régions, comme la Campanie.

    Les grèves des derniers mois ont déjà produit des résultats. Il est bon de rappeler que les négociations pour le renouvellement de la Ccnl ont débuté en août 2023. Nous avons vu que les syndicats signataires ont commencé à réviser certaines de leurs demandes, en les adaptant – bien qu’encore très partiellement – à ce qui est ressorti de l’assemblée du PdM et du PdB.

    Sur votre plateforme, il est fait référence aux shifts désormais insoutenables que les conducteurs de train et les chefs de bord sont contraints d’effectuer. Il est clair que des shifts fatigants, ou plutôt épuisants, représentent un problème de sécurité non seulement pour les travailleurs, mais aussi pour les voyageurs. De quoi parle-t-on ?

    Tout d’abord, il est utile de rappeler que les conducteurs de train et les chefs de bord sont justement responsables de la sécurité du trafic ferroviaire et du convoi. Pourtant ces dernières années, l’entreprise nous a considérés uniquement comme des travailleurs à exploiter jusqu’à la limite de la durée du travail établie par la législation européenne. La loi sur la durée du travail et les directives européennes prévoient une durée de travail maximale de 13 heures, avec 11 heures de repos.

    À ce jour, la réglementation établit une durée de travail quotidienne maximale de 10 heures et jusqu’à 11 heures pour les trains de marchandises. Ces derniers temps, l’entreprise a essayé de nous pousser à travailler jusqu’à la limite. En oubliant qu’il fallait veiller à garantir au personnel garant de la sécurité un certain repos physique et psychologique, afin qu’un train puisse circuler en toute sécurité.

    Ils ne tiennent même pas compte du fait que lorsque vous allez dormir hors site, le temps de repos réel est bien inférieur à 8 heures, avec peut-être 5 heures de sommeil effectif.

    Nos shifts se succèdent sur 24 heures, pour une moyenne de 38 heures de travail hebdomadaire. Cela signifie qu’il peut y avoir des semaines au cours desquelles nous travaillons 44 heures, d’autres pendant lesquelles nous travaillons 30 heures, mais nous ne pouvons pas aller en deçà. Malgré ce que déclarent certains ministres, nous n’avons pas de repos le week-end. En réalité, nous avons droit au repos le week-end une seule fois par mois, car il est généralement calculé sur une base de 6 jours travaillés et parfois nous n’avons même pas deux jours de repos complets à la fin de notre service.

    Au fil des années, nos conditions de travail se sont dégradées et les résultats sont visibles : on constate une augmentation des sauts d’arrêt en gare, qui ne sont donc pas desservis, des passages alors que la signalisation est rouge et d’autres symptômes de distraction. Tout cela se produit lorsqu’il n’y a qu’un seul conducteur de train pendant la journée, alors que la nuit, heureusement, il y en a encore deux. Par nuit, nous entendons la plage horaire allant de minuit à 5 heures du matin. Si un train part à 5 heures, il n’y a qu’un seul conducteur, qui pour pouvoir prendre son poste à cette heure-là, se sera certainement réveillé au moins à 3 h 30. Ce shift – étant de jour – peut durer jusqu’à 10 heures et donc, vous vous réveillez à 3h30 du matin en travaillant peut-être jusqu’à 14h00 ou 14h30. De plus, au lieu d’embaucher, l’entreprise préfère avoir recours aux heures supplémentaires.

    En termes d’horaires, nous avons demandé de travailler 36 heures par semaine au lieu de 38. Pour le travail de jour, nous souhaitons la suppression du maximum de 10 heures par jour, contre un maximum de 8. Nous avons prescrit un maximum de 6 heures de travail la nuit – la nuit s’entendant de minuit à 6h00 et non 5h00- avec un nombre maximum de quatre nuits par mois, des périodes de repos hebdomadaires de 58 heures, deux jours complets de repos et un repos entre un shift et le suivant d’une durée de 16 heures contre 14 actuellement.

    Un autre problème à ne pas sous-estimer : les horaires des repas prévoient seulement 30 minutes pour manger, en comptabilisant le temps nécessaire pour se rendre au restaurant en gare. Par conséquent, de nombreux collègues apportent leur propre repas et ne mangent pas sur site. Dans le cadre des revendications, nous avons demandé une augmentation du temps pour se restaurer qui tiennent compte des horaires d’ouverture des restaurants.

    En référence à la question de la sécurité : comme vous le mentionniez, les trains de jour circulent actuellement avec un seul conducteur, une situation qui, ces dernières années, a conduit à une série d’accidents dus à des malaises soudains. Que proposez-vous ?

    Au sujet du double conducteur, il y a eu une vive discussion sur ce qu’il fallait intégrer à la plateforme. Certains proposaient un retour au double conducteur, d’autres étaient partisans de créer une figure intermédiaire entre le conducteur et le chef de bord, qui serait habilitée à conduire. Ces derniers jours, la question de la sécurité est redevenue centrale, car un conducteur a perdu la vie alors qu’il conduisait.

    Je crois qu’il est important de rappeler que le délai pour porter secours aux conducteurs et au personnel de bord en cas de malaise, a été établi par l’entreprise selon les délais généraux qui prévoient l’arrivée d’une ambulance en 8 minutes en ville et dans les centres urbains, en 20 minutes dans les espaces extra-urbains. Ce sont des délais calculés pour des cas fondamentalement différents. En 20 minutes, le temps nécessaire pour sauver un être humain d’une crise cardiaque, il est peu probable qu’une ambulance parvienne à secourir du personnel dans un train situé en dehors d’un centre-ville.

    Pour cette raison, la présence d’un second conducteur ou d’un autre travailleur autorisé à conduire est cruciale, car en cas de malaise cela permettrait au train d’être amené en toute sécurité jusqu’à la gare, sans interruption soudaine et en réduisant les délais d’intervention du personnel médical.

    Toujours sur le plan de la sécurité et du travail, il nous semble important de souligner que l’espérance de vie des conducteurs de train est actuellement, selon diverses études – dont celle menée par l’Université Sapienza de Rome – égale à 64 ans, donc inférieure à l’âge de départ à la retraite fixé à 67 ans. Quels raisonnements avez-vous conduit sur les aspects liés à la sécurité sociale ?

    Ce nombre provient d’une étude réalisée par la revue des conducteurs de train In Marcia, l’Université Sapienza de Rome, la Région Toscane et l’Asl Toscane (Azienda sanitaria locale de Toscane). Cette étude indépendante, publiée en 2010, a révélé que l’espérance de vie des conducteurs de train était, en effet, de 64 ans. Précédemment en tant que catégorie professionnelle, nous avions droit à la retraite à 58 ans. En 2012, avec la loi Fornero, nous avons été regroupés avec toutes les autres catégories. On n’a même pas reconnu la pénibilité de notre travail, ce qui nous aurait octroyé une réduction de trois ans sur l’âge de départ à la retraite.

    Aucun syndicat n’a appelé à la grève en 2012. De ce fait, depuis il n’y a pas eu d’évolution, la pénibilité de notre travail n’a pas été reconnue et la loi nous permettant de prendre notre retraite à 58 ans n’a pas été rétablie. Aucun gouvernement n’a pris en charge ces questions. Notre exigence – minimale, nous tenons à le préciser – est d’entrer dans la catégorie des métiers pénibles.

    Qu’en est-il du versant économique de la #convention_collective ?

    Sur l’aspect de la #rémunération, nous n’avons pas voulu porter de revendications excessives. Nous avons déjà vécu des renouvellements contractuels avec des syndicats qui, avant la hausse de l’inflation, sont restés sur des augmentations barémiques du salaire minimum de l’ordre de 30 euros bruts par mois. Cependant, la rémunération des conducteurs de train et des chefs de bord se compose de nombreux éléments supplémentaires (et variables, ndlr), ce qu’on appelle les compétences complémentaires, qui une fois additionnées, créent une différence pouvant atteindre 500 euros par mois.

    En réalité, ces compétences complémentaires stagnent depuis près de vingt ans : elles n’ont été ni augmentées ni réévaluées avec l’inflation. Alors que d’autres entreprises, y compris semi-publiques, ont appliqué des augmentations et des ajustements à l’inflation, sans passer par un renouvellement contractuel. Nous n’avons rien eu de tout cela et, bien qu’il y ait une renégociation de la convention en cours qui dure depuis août 2023, ni les syndicats signataires ni l’entreprise n’ont encore parlé de rémunération

    Cela peut sembler être une grosse somme, mais ces compétences font partie de notre salaire et n’ont pas été ajustées depuis vingt ans. C’est le minimum qu’on est en droit d’exiger.

    Les transports publics sont également au cœur des revendications des mouvements écologistes, qui demandent d’y investir beaucoup plus de ressources, notamment en raison des effets positifs sur l’emploi « vert ». En Italie pour tout le secteur, filière industrielle comprise, une étude de Cassa Depositi e Prestiti (Caisse des Dépôts et Consignations) estime un potentiel de 110 000 emplois par an. Les mobilisations de ces mouvements dans des pays comme l’Allemagne les ont amenés à se joindre aux syndicats – notamment avec Ver.di, le premier syndicat du secteur des services – pour le renouvellement des conventions collectives. Partagez-vous l’idée d’un lien étroit entre les transports publics et la transition écologique et pensez-vous qu’une convergence de deux luttes différentes -seulement en apparence­- pourrait servir les deux causes ?

    Nous pensons que le transport ferroviaire pourrait avoir un impact très positif sur l’environnement, en particulier le transport de marchandises, car on peut encourager le transport ferroviaire de marchandises, ce qui réduirait le fret routier. Ce n’est pas ce à quoi on assiste. Il y a encore trop peu d’entreprises dans ce domaine, qui par ailleurs entrent sur le marché avec la même logique de réaliser du profit sur le dos des travailleurs, avec une réglementation moins exigeante que la nôtre.

    Pour le transport de passagers, il est tout aussi important de réaliser des investissements afin de diminuer le nombre de voitures sur les routes, mais dans des régions comme la Campanie, la Sicile, la Sardaigne, etc. nous connaissons le mauvais état du réseau ferroviaire – on pense de manière complètement irrationnelle à construire des infrastructures à la fois nuisibles à l’environnement et inutiles dans l’état actuel des chemins de fer siciliens, comme le pont sur le détroit (projet de pont suspendu sur le détroit de Messine visant à relier la Sicile et la Calabre, ndlr).

    En tant qu’Usb, notre plateforme est plus large que celle de l’assemblée. Parmi nos revendications figure la protection de la fonction du service ferroviaire en tant que service public.

    « Cela signifie investir des ressources dans des zones où il n’y a aucun retour économique : quand votre priorité est d’assurer une mission de service public, vous dépensez cet argent quand même. »

    Lorsque le secteur ferroviaire est orienté vers la privatisation, la gestion privée devient incompatible avec une logique de service public et d’écologie. Le privé essaie d’économiser là où il le peut, en heures de travail, en sécurité, et exprime en amont une préférence pour le transport routier parce qu’il coûte moins cher. Pour l’Usb il pourrait donc facilement y avoir cette convergence. Dans nos revendications, elle existe déjà implicitement. Les opportunités futures ne manqueront pas pour l’expliciter et la mettre en œuvre.

    https://lvsl.fr/italie-quand-le-profit-fait-derailler-les-trains
    #transport_ferroviaire #Italie #trains #infrastructure

  • Dématérialiser pour mieux régner : l’algorithmisation du contrôle CAF
    https://lvsl.fr/dematerialiser-pour-mieux-regner-lalgorithmisation-du-controle-caf

    On sait que grâce à la dématérialisation des dix dernières années, la CAF dispose de profils très fins des allocataires. Elle dispose des données collectées par les services sociaux, partagées et interconnectées avec d’autres nombreux services. La volonté politique affichée au moment de développement de l’algorithme était de lutter contre la fraude à la CAF, en définissant un profil-type de « fraudeur » social et en le comparant à chaque allocataire. Ce profil type est constitué de plusieurs variables, qui correspondent à des caractéristiques, qui permettent d’établir pour chaque personne allocataire un score de risque qui va de zéro à un.

    Plus la personne est proche du profil type, plus le score de risque est élevé ; et plus le score est élevé plus cette personne a une probabilité de subir un contrôle. Parmi ces critères, figurent par exemple le fait d’être un parent seul ou d’être né en dehors de l’UE. Pour mieux comprendre le fonctionnement et les critères de l’algorithme, on a fait des demandes d’accès à des documents administratifs auprès de la CNAF. [Voir le détail du fonctionnement de l’algorithme et la liste des critères pris en compte dans l’enquête de la Quadrature, n.d.r.].

    • Que faire pour se défendre ? Face à une suspension de droits, la première des choses est de faire une demande de motif pour la suspension. Généralement il n’y a pas de réponse, donc on essaie d’avoir des arguments pour organiser la défense sans réponse sur les motifs. Il faut d’abord faire un recours amiable devant la commission de recours amiable : c’est obligatoire pour aller au contentieux. Et les commissions de recours amiable ne répondent jamais. Au bout de deux mois sans réponse, on va aller au contentieux, soit devant le tribunal administratif, soit devant le pôle social du tribunal judiciaire. Et là se pose le problème des délais. Le recours est censé être suspensif, c’est-à-dire de rétablir le versement des droits, mais le fait de faire un recours n’interrompt pas la suspension et les allocataires restent toujours sans ressources, dans une situation véritablement d’impasse.

      Il faut compter quatre, six mois, voire un an dans une procédure normale pour avoir une audience. Et une fois devant la justice, les CAF sont très familières d’un procédé qui est le renvoi d’audience : dès lors qu’elles reçoivent une assignation et qu’une date d’audience est fixée, elles font généralement un rappel partiel ou total des droits pour lesquels l’allocataire a saisi la juridiction, avec une incitation vive à ce que l’allocataire se désiste.

      Si ce dernier ne le fait pas et qu’il va jusqu’à l’audience, un renvoi est systématiquement demandé – les renvois c’est encore trois, quatre cinq, six, huit mois – et les CAF vont utiliser des manœuvres dilatoires, elles vont par exemple redéclencher un contrôle. Je l’ai vu dans tous les cas qui sont passés au pôle social du tribunal judiciaire. A l’issue de ce laborieux processus, on peut arriver à terme à obtenir des bons jugements et à rétablir la situation des personnes allocataires, mais elles se seront trouvées pendant huit, neuf, dix mois, un an sans ressources. Je vous laisse imaginer les situations que ça peut générer…

  • Rachat des turbines Arabelle : la soumission française aux États-Unis continue
    https://lvsl.fr/rachat-des-turbines-arabelle-la-soumission-francaise-aux-etats-unis-continue

    Deux ans après le discours de Belfort d’Emmanuel Macron au cours duquel le Président de la République annonçait un accord d’exclusivité entre EDF et General Electric (GE) pour l’acquisition des activités nucléaires de GE afin de garantir le plein contrôle de la technologie de turbine Arabelle, rien ne se passe comme prévu. Ce qui apparaît comme la poursuite d’un échec industriel, débuté avec la vente de la branche énergie d’Alstom à GE en 2014, est révélateur de l’inefficacité de la politique industrielle du chef de l’État.

    • débuté avec la vente de la branche énergie d’Alstom à GE en 2014, est révélateur de l’inefficacité de la politique industrielle du chef de l’État.

      « inefficace », ça dépend du point de vue ; et de l’objectif réel.

    • #haute_trahison, comme on dit dans certains milieux sérieux.

      Ces faits, de haute trahison, en continu depuis son arrivée, perdurent et empirent. En quelque sorte. Mais c’est Assange qui est en prison.

      A côté de ça, il te prétend qu’il nous faut dépenser collectivement des centaines de milliards pour de nouveaux EPR qu’on est incapable de construire, faute de compétences et de formation à ces compétences.

      Et #en_même_temps, il te détruit nos structures de formation, du plus jeune âge jusqu’aux plus hauts niveaux de nos structures de recherche. Comme si les deux choses étaient parfaitement indépendantes.

      Comme s’il était désirable de ne plus mettre en œuvre que des projets dispendieux qui n’aboutissent plus vraiment, mais qui coûtent horriblement chers, sans que personne ne soit jamais capable de savoir où est parti l’argent.

    • La vente des turbines Arabelle d’Alstom à l’américain GE, une tache qui ne s’efface pas - Transitions & Energies
      https://www.transitionsenergies.com/vente-turbines-arabelle-alstom-americain-ge-tache-efface-pas

      Annoncée en février 2022, en prélude à la soudaine conversion d’Emmanuel Macron à l’énergie nucléaire, la vente des activités nucléaire de l’américain General Electric (GE) à EDF et notamment de la fabrication des surpuissantes turbines à vapeur Arabelle tarde toujours à se concrétiser. Elle aurait dû être enfin finalisée le 1er décembre dernier mais a été une fois encore reportée. Elle permettrait d’effacer la vente désastreuse de cette activité à GE en 2015 par le français Alstom orchestrée par le ministre de l’Economie de l’époque, un certain Emmanuel Macron. La transaction bloque pour des raisons officielles, la présence parmi les acheteurs des turbines Arabelle du russe Rosatom, et officieuses… Avec la relance du nucléaire dans le monde, Washington a beaucoup moins envie de voir la France remettre la main sur les turbines Arabelle.

      C’est comme un Sparadrap dont le « Mozart de la finance » n’arrive pas à se débarrasser. La vente désastreuse des activités nucléaires d’Alstom à l’américain General Electric (GE), orchestrée et voulue par Emmanuel Macron en 2014 quand il était Secrétaire général adjoint de l’Elysée et en 2015 quand il était ministre de l’Economie et des Finances de François Hollande, n’est toujours pas effacée. Une opération qui a tourné au fiasco. GE n’a jamais tenu ses engagements en matière de technologie comme d’emplois. Au lieu de développer la société, le groupe américain n’a cessé de tailler dans ses effectifs. En huit ans, le conglomérat américain a supprimé 5.000 postes en France dont 1.200 dans l’usine de Belfort. Là même où Emmanuel Macron a acté sa soudaine conversion à l’énergie nucléaire dans un discours en février 2022… après l’avoir affaiblie pendant une décennie.

    • Eolien : General Electric va diviser par deux ses effectifs dans son usine de Montoir - France Bleu
      https://www.francebleu.fr/infos/economie-social/eolien-general-electric-va-diviser-par-deux-ses-effectifs-dans-son-usine-

      INFO FRANCE BLEU LOIRE OCEAN- Après avoir recruté à tour de bras, les Américains de l’usine d’éoliennes GE à Montoir (Loire-Atlantique) vont réduire les cadences et quasiment diviser par deux les effectifs d’ici juillet. Les intérimaires sont les premiers visés. Les syndicats disent leur inquiétude.

      Sur les 939 personnes qui travaillent aujourd’hui pour GE à Montoir, la direction nous a dit qu’il en resterait 489 d’ici juillet dont 429 CDI" raconte encore le syndicaliste. Les intérimaires, sous-traitants et prestataires sont comme toujours la première variable d’ajustement. Ils sont 500. Il en restera quelques dizaines. « Aucun CDI n’est menacé nous dit la direction, mais ne pas s’inquiéter serait irresponsable ». C ertains contrats sont en suspend et officiellement, le carnet de commande est à zéro après 2026.

      Rien de rassurant quand on sait que les Américains de General Electric sont, depuis cette année, déliés de leur engagement pris au moment du rachat d’Alstom il y a 10 ans. Celui notamment de conserver le site de Montoir-de-Bretagne.

      L’usine d’un géant qui, en attendant, va fermer ses portes pour quatre longues semaines cet été. Du jamais vu.

    • à Grenoble, Alstom avait un beau bureau d’étude plein de spécialistes des turbines ; vendu à GE par Macron. GE a maintenu un peu d’activité - genre, ils ont viré seulement la moitié des gens - quelques années, le temps de transférer la compétence aux US - peut-être. Et ont ensuite fermé le site.

      Merci Macron ! Grande constance dans la stratégie industrielle.


      Et sinon, trouvé au hasard des internets, un article du Figaro, qui te ferait acheter un manuel de conspi pour les nuls :

      https://www.lefigaro.fr/vox/politique/le-bilan-de-la-vente-d-alstom-est-catastrophique-pour-l-emploi-et-pour-notr (déjà cité ici)

  • L’échec des protestations de masse à l’ère de l’atomisation
    https://lvsl.fr/lechec-des-protestations-de-masse-a-lere-de-latomisation

    L’époque est marquée par une résurgence des protestations, et une radicalisation de leur mode opératoire. Paradoxalement, elles ont une prise de moins en moins forte sur la réalité politique. Que l’on pense à l’invasion du Capitole aux États-Unis à l’issue de la défaite de Donald Trump, ou aux manifestations de masse qui secouent aujourd’hui l’Europe sur la question palestinienne, un gouffre se creuse entre les moyens déployés et l’impact sur le cours des choses. Pour le comprendre, il faut appréhender les décennies d’atomisation qui ont conduit à la situation actuelle, où la politique de masse semble condamnée à l’impuissance. Par Anton Jäger, traduction Alexandra Knez.
    Cet article a été originellement publié sur Sidecar, le blog de la New Left Review, sous le titre « Political Instincts ? ».

    Deux hommes en tenue paramilitaire de piètre qualité se tiennent l’un à côté de l’autre, leurs casquettes MAGA dépassant la marée tourbillonnante de drapeaux et de mégaphones. « On peut prendre ce truc », s’exclame le premier. « Et après, on fera quoi ? », demande son compagnon. « On mettra des têtes sur des piques ». Trois ans plus tard, ces scènes rocambolesques de l’émeute du Capitole du 6 janvier, désormais bien ancrées dans l’inconscient politique, apparaissent comme un miroir grossissant de l’époque. Elles illustrent surtout une culture dans laquelle l’action politique a été découplée de ses résultats concrets.

    Ce soulèvement a incité des milliers d’Américains à envahir le siège de l’hégémonie mondiale. Pourtant, cette action n’a pas eu de conséquences institutionnelles tangibles. Le palais d’hiver américain a été pris d’assaut, mais cela n’a pas débouché sur un coup d’État révolutionnaire ni sur un affrontement entre deux pouvoirs. Au lieu de cela, la plupart des insurgés – des fantassins de la lumpenbourgeoisie américaine, des vendeurs de cosmétiques new-yorkais aux agents immobiliers floridiens – ont rapidement été arrêtés sur le chemin du retour, incriminés par leurs livestreams et leurs publications sur les réseaux sociaux. Aujourd’hui, il ne reste plus grand-chose de cette fronde trumpienne, alors que l’ex-président se prépare à sa prochaine croisade. Un putsch similaire au Brésil n’a pas non plus abouti.

    • Le XIXè siècle a été marqué par un besoin plus pressant de garantir une passivité politique généralisée. Comme l’a fait remarquer Moses Finley, être citoyen dans l’Athènes d’Aristote c’était de facto être actif, avec peu de distinction entre les droits civiques et politiques, et des frontières rigides entre les esclaves et les non-esclaves. Dans les années 1830 et 1840, le mouvement pour le suffrage universel a rendu ces démarcations impossibles. Les prolétaires ambitionnaient de se transformer en citoyens actifs, menaçant ainsi l’ordre établi du règne de la propriété privée construit après 1789. Pour enrayer cette perspective, il fallait construire une nouvelle cité censitaire, dans laquelle les masses seraient exclues de la prise de décision, tandis que les élites pourraient continuer à mettre en œuvre la soi-disant volonté démocratique. Le régime plébiscitaire de Louis Bonaparte III, qualifié de « politique du sac de pommes de terre » dans Le 18 Brumaire de Marx, en est une manifestation. Cette « antirévolution créative », comme l’a appelée Hans Rosenberg, était une tentative de cadrer le suffrage universel en le plaçant dans des contraintes autoritaires qui permettraient la modernisation capitaliste.

      Walter Bagehot – sommité du magazine The Economist, théoricien de la Banque centrale et chantre de la Constitution anglaise – a défendu le coup d’État de Bonaparte en 1851 comme le seul moyen de concilier démocratisation et accumulation du capital. « Nous n’avons pas d’esclaves à contenir par des terreurs spéciales et une législation indépendante », écrivait-il. « Mais nous avons des classes entières incapables de comprendre l’idée d’une constitution, incapables de ressentir le moindre attachement à des lois impersonnelles. Le bonapartisme était une solution naturelle. La question a été posée au peuple français : « Voulez-vous être gouvernés par Louis Napoléon ? Serez-vous gouvernés par Louis Napoléon ou par une assemblée ? » Le peuple français répondit : « Nous serons gouvernés par le seul homme que nous pouvons imaginer, et non par le grand nombre de personnes que nous ne pouvons pas imaginer ».

      Bagehot affirmait que les socialistes et les libéraux qui se plaignaient de l’autoritarisme de Bonaparte étaient eux-mêmes coupables de trahir la démocratie. Commentant le résultat d’un plébiscite de 1870 qui a ratifié certaines des réformes de Bonaparte, il a affirmé que ces critiques « devraient apprendre […] que s’ils sont de vrais démocrates, ils ne devraient plus tenter de perturber l’ordre existant, au moins pendant la vie de l’empereur ». Pour eux, écrivait-il, « la démocratie semble consister le plus souvent à utiliser librement le nom du peuple contre la grande majorité du peuple ». Telle était la réponse capitaliste appropriée à la politique de masse : l’atomisation forcée du peuple – réprimant le syndicalisme pour garantir les intérêts du capital, avec le soutien passif d’une société démobilisée.

      Richard Tuck a décrit les nouvelles variantes de cette tradition au XXè siècle, dont témoignent les travaux de Vilfredo Pareto, Kenneth Arrow et Mancur Olson, entre autres. Pour ces personnalités, l’action collective et la mise en commun des intérêts étaient exigeantes et peu attrayantes ; le vote aux élections était généralement exercé avec réticence plutôt qu’avec conviction ; les syndicats profitaient autant aux membres qu’aux non-membres ; et les termes du contrat social devaient souvent être imposés par la force.

      Dans les années 1950, Arrow a recyclé une idée proposée à l’origine par le marquis de Condorcet, affirmant qu’il était théoriquement impossible pour trois électeurs d’assurer une harmonie parfaite entre leurs préférences (si l’électeur un préférait A à B et C, l’électeur deux B à C et A, et l’électeur trois C à A et B, la formation d’une préférence majoritaire était impossible sans une intervention dictatoriale). Le « théorème d’impossibilité » d’Arrow a été considéré comme une preuve que l’action collective elle-même était pleine de contradictions ; Olson l’a radicalisé pour promouvoir sa thèse selon laquelle le parasitisme était la règle plutôt que l’exception dans les grandes organisations. Ainsi la conclusion selon laquelle l’homme n’est pas naturellement enclin à la politique a fini par dominer ce domaine de la littérature sceptique de l’après-guerre.

      Vers la fin du vingtième siècle, avec la baisse drastique de la participation électorale, la forte baisse du nombre de jours de grève et le processus plus large de retrait de la vie politique organisée, l’apolitisme humain a semblé passer d’un discours académique à une réalité empirique. Alors que Kant parlait d’une « insociable sociabilité », on pourrait désormais parler d’une « insociabilité sociable » : une insociabilité qui renforce l’atomisation au lieu de la sublimer.

      Toutefois, comme l’a montré la décennie de contestations, la formule de Bagehot ne tient plus. Le soutien passif à l’ordre en place ne peut être assuré ; les citoyens sont prêts à se révolter en grand nombre. Pourtant, les mouvements sociaux naissants restent paralysés par l’offensive néolibérale contre la société civile. Comment conceptualiser au mieux cette nouvelle conjoncture ? Le concept d’ « hyperpolitique » – une forme de politisation sans conséquences politiques claires – peut s’avérer utile. La post-politique s’est achevée dans les années 2010. La sphère publique a été repolitisée et réenchantée, mais dans des termes plus individualistes et court-termistes, évoquant la fluidité et l’éphémérité du monde en ligne. Il s’agit d’une forme d’action politique toujours « modique » – peu coûteuse, accessible, de faible durée et, trop souvent, de faible valeur. Elle se distingue à la fois de la post-politique des années 1990, dans laquelle le public et le privé ont été radicalement séparés, et des politiques de masse traditionnelles du vingtième siècle. Ce qui nous reste, c’est un sourire sans chat (ndlr. Le chat de Cheshire d’Alice aux pays des merveilles) : une action politique sans influence sur les politiques gouvernementales ni liens institutionnels.

      Si le présent hyperpolitique semble refléter le monde en ligne – avec son curieux mélange d’activisme et d’atomisation – il peut également être comparé à une autre entité amorphe : le marché. Comme l’a noté Hayek, la psychologie de la planification et la politique de masse sont étroitement liées : les politiciens guettent leurs opportunités sur des décennies ; Les planificateurs soviétiques évaluaient les besoins humains au travers de plans quinquennaux ; Mao, très conscient de la longue durée, a hiberné en exil rural pendant plus de vingt ans ; les nazis mesuraient leur temps en millénaires. L’horizon du marché, lui, est beaucoup plus proche : les oscillations du cycle économique offrent des récompenses instantanées. Aujourd’hui, les hommes politiques se demandent s’ils peuvent lancer leur campagne en quelques semaines, les citoyens manifestent pour une journée, les influenceurs pétitionnent ou protestent avec un tweet monosyllabique.

      Il en résulte une prépondérance des « guerres de mouvement » sur les « guerres de position », les principales formes d’engagement politique étant aussi éphémères que les transactions commerciales. Il s’agit plus d’une question de nécessité que de choix : l’environnement législatif pour la mise en place d’institutions durables reste hostile, et les militants doivent faire face à un paysage social vicié et à une Kulturindustrie d’une ampleur sans précédent. Sous ces contraintes structurelles se cachent des questions de stratégie. Si l’internet a radicalement réduit les coûts de l’expression politique, il a également pulvérisé le terrain de la politique radicale, brouillant les frontières entre le parti et la société et engendrant un chaos d’acteurs en ligne. Comme le remarquait Eric Hobsbawm, la négociation collective « par l’émeute » reste préférable à l’apathie post-politique.

      La jacquerie des agriculteurs européens au cours des derniers mois indique clairement le potentiel (conservateur) de ces guerres de mouvement. Cependant, en l’absence de modèles d’adhésion formalisés, il est peu probable que la politique de protestation contemporaine nous ramène aux années « superpolitiques » de la décennie 1930. Au contraire, elle pourrait donner lieu à des reproductions postmodernes de soulèvements paysans de l’ancien régime : une oscillation entre la passivité et l’activité, mais qui réduit rarement le différentiel de pouvoir global au sein de la société. D’où la reprise en forme de K des années 2020 : une trajectoire qui n’aurait agréé ni à Bagehot, ni à Marx.

    • Texte original (EN) https://seenthis.net/messages/1049204

      Très intéressant.

      Le sujet mérite qu’on s’intéresse à ses raisons et expressions matérielles précises. Le texte en qustion ne mentionne jamais les relations entre les classes économiques et nous prive ainsi d’une compréhention effective du problème.


      Là on nous décrit des phénomènes et indique quelques penseurs non-matérialistes historiques qui ont travaillé sur la philosophie politique. Bref c’est le point de vue des puissants . Il faudra développer les idées en attaquant la réalité.

      cf. https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Th%C3%A8ses_sur_Feuerbach

      Le titre français de l’article est intéressant parce qu’il n’a rien à faire avec le sens de l’article. « Political Instinct ? » est le titre du text anglais. On y apprend qu’il y a « atomisation » et baisse des journées de grève mais c’est tout. On le savait déjà. On peut aller plus loin en passant de la théorie à la pratique.

      Conséquence de la réflexion : il faut défendre les organisations ouvrières et travailler pour la constitution de structures acceuillantes, solidaires et solides qui seront adaptées à notre existence à l’ère de l’internet.

      #politique #philosophie #libéralisme #société #organisations #mouvement_ouvrier #activisme #individualisme

  • Qui est réellement Ursula von der Leyen ?
    https://lvsl.fr/ursula-von-der-leyen-derriere-lemballement-mediatique


    Elle est décrite par le magazine Forbes comme la « femme la plus puissante du monde » depuis deux ans. Elle occupe la première place de la catégorie Dreamers du média Politico. Elle bénéficie de portraits tous plus hagiographiques les uns que les autres dans la grande presse. La carrière de la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen est pourtant entachée de nombreux scandales. Intronisée par les conservateurs pour mener un second mandat, elle concentre à elle seule les raisons du rejet populaire des institutions européennes.

    Reproduction sociale et scandales politiques

    Née dans une grande famille aristocratique, fille de l’ancien fonctionnaire européen et président du Conseil fédéral Allemand Ernst Albrecht, Ursula Von der Leyen fréquente dès l’âge de six ans l’École européenne. Cet établissement (il en existe quatorze dans le continent européen) est réservé aux enfants de fonctionnaires européens, d’institutions intergouvernementales (parmi lesquelles l’OTAN), ou de certaines sociétés privées. Ce privilège lui permet de devenir trilingue (allemand-français-anglais). Elle étudie ensuite les mathématiques, puis les sciences économiques, avant de se rediriger vers des études de médecine, pour passer sa thèse d’exercice – dans laquelle sont relevés pas moins d’un plagiat toutes les deux pages – en 1991.

    Encartée depuis 1990 au sein de l’Union chrétienne-démocrate d’Allemagne, parti libéral-conservateur ayant également abrité son père (en tant que vice-président fédéral), puis l’ex-chancelière Angela Merkel, Ursula Von der Leyen se lance officiellement en politique en 2001, en remportant un mandat d’élue locale dans la région d’Hanovre. Elle est élue députée en 2003 au Landtag de Basse-Saxe. S’ensuivent plusieurs passages dans les ministères fédéraux : Ursula Von der Leyen est nommée en 2005, par Angela Merkel, ministre fédérale de la Famille, des Personnes âgées, des Femmes et de la Jeunesse  ; en 2009, ministre fédérale du Travail  ; puis, en 2013, ministre fédérale de la Défense, où elle sera la première femme à occuper le poste.

    Son passage au ministère de la Défense est marqué par plusieurs scandales : entre accumulation de mauvaises décisions de gestion, procédures contractuelles non respectées et gaspillage d’argent public (plusieurs dizaines de millions d’euros ont été dilapidés sans aucun contrôle pour payer des consultants, conseillers et autres sous-traitants privés), l’image d’Ursula Von der Leyen pâtit de son exercice de la fonction.

    À son départ du ministère, sa popularité est évaluée à moins de 30% (elle est considérée comme la 2ᵉ personne la moins compétente du gouvernement), et sa compétence pour diriger la Commission européenne est appuyée par un tiers de la population. Peu importe, l’enquête parlementaire diligentée par l’opposition a été rendue impossible  ; les traces ont toutes été rigoureusement effacées des deux téléphones professionnels de l’ex-ministre de la Défense.
    Mais alors, pourquoi proposer une ministre très impopulaire, couverte de nombreuses affaires, à la tête de la Commission européenne  ? Ce n’est nul autre qu’Emmanuel Macron, qui propose son nom à la chancelière de l’époque Angela Merkel en juillet 2019, la décrivant comme « l’avion de combat du futur », et saluant « son efficacité, sa capacité à faire ». Tenons-nous le pour dit.

    Scandale Pfizer et revirements en chaîne

    Élue en 2019 d’une courte majorité (51,7% des voix), Ursula Von der Leyen douche rapidement les espoirs du centre-gauche réformiste, en appliquant quasi-immédiatement une politique dans la continuité de Jean-Claude Juncker. Jusqu’ici, rien d’étonnant. Mais rapidement, une affaire éclate. En avril 2021, en pleine période de crise sanitaire, un article du New York Times révélait des SMS échangés entre la présidente de la Commission européenne et Albert Bourla, PDG de la société pharmaceutique Pfizer.

    Ces messages, échangés pendant plus d’un mois, portaient sur les négociations sur un contrat d’achat de 1,8 milliard de doses du vaccin Pfizer/BioNTech contre le COVID-19. Ces doses se révéleront plus onéreuses que prévu : 19,50€ par vaccin au lieu des 15,50€ prévus. Trois ans plus tard, la situation est toujours bloquée  ; Ursula Von der Leyen refuse de divulguer les échanges, malgré les demandes répétées de la médiatrice européenne Émilie O’Reilly. Malgré un surcoût de pas moins de 7,2 milliards d’euros d’argent public…

    Ursula Von der Leyen, c’est aussi une idée particulière de la tenue des promesses. Récemment, nous pouvions apprendre qu’elle commençait à revenir sur certaines mesures qu’elle souhaitait mettre en œuvre : le Pacte vert pour l’Europe, qui a pour objectif de rendre l’Europe climatiquement neutre en 2050. Même son de cloche pour l’élargissement de l’Union européenne à l’Ukraine, qu’elle défend ardemment depuis l’invasion du pays par la Russie. La perspective d’une réélection (ou d’une éjection) ne se comptant plus qu’en mois, la fait donc gouverner en fonction des différents sondages d’opinion sur les échéances électorales. Et tant pis si l’Europe entière en pâtit.

    Celle qui voulait pourtant faire de l’Europe « le premier continent neutre pour le climat » commence à lentement, méticuleusement, détricoter ce Pacte vert pour l’Europe, qu’elle a pourtant érigé au rang de priorité lors de son premier mandat. À l’instar d’Emmanuel Macron, qui réclame désormais une « pause » dans les politiques climatiques (ont-elles seulement commencé  ?), ou du Parti Populaire Européen (dans lequel siègent la CDU, les Républicains, ou encore Forza Italia) qui le fustige, la présidente de la Commission européenne s’accommode sans mal aux jérémiades de ses semblables libéraux-conservateurs.

    Reine du dumping social et de la concurrence effrénée

    Comme nous l’analysions ici, l’élargissement de l’UE vers l’Ukraine et d’autres pays d’Europe de l’Est, pose des problèmes majeurs. Outre le soutien légitime au pays agressé, l’intégration de celle-ci au sein de l’UE aurait de lourdes conséquences économiques et géopolitiques. Le détricotage progressif des États-providence européens, ainsi que du droit du travail et des acquis sociaux, risque d’être brutalement accéléré, comme les élargissements de 2004 (entrée de dix pays d’Europe centrale) et 2007 (entrée de la Bulgarie et de la Roumanie) l’ont démontré.

    Suivant les « quatre libertés » du marché unique européen – libre circulation des biens, des capitaux, des services et des personnes -, les grandes entreprises ont ainsi pu délocaliser à tour de bras leur production vers l’Europe de l’Est, afin de bénéficier d’un coût du travail nettement plus faible. Le salaire minimum est fixé, en Ukraine, à 168€ par mois – un montant bien inférieur aux 400€ des travailleurs bulgares, pour l’heure les plus mal lotis du continent. Et dans un contexte où les régressions sociales (suspensions massives du droit de grève entre autres) ainsi que les attaques contre les syndicats sont légion, et où le président Zelensky continue à mener une politique de séduction des investisseurs occidentaux, on peut prévoir une nouvelle baisse du « coût du travail » ukrainien.

    L’entrée de l’Ukraine dans l’UE pourrait également avoir des effets délétères sur le plan agricole. Bénéficiant d’immenses productions de céréales, l’Ukraine a pu être le témoin privilégié du scénario (et de ses conséquences) selon lequel le pays entrerait dans l’UE. Quelques mois après l’entrée de ce système de vente, le prix du blé a ainsi chuté en Hongrie de 31%, et celui du maïs de 28%. Les bénéficiaires d’une telle éventualité sont bien connus. Profitant de la possibilité de recourir aux travailleurs détachés (c’est-à-dire de la main d’œuvre moins chère), les grandes multinationales salivent déjà à l’idée de délocaliser leurs usines encore plus à l’Est.

    Fuite en avant militariste

    L’élargissement de l’UE vers les pays baltes et l’Europe de l’Est révèle également un alignement de l’Europe sur les positions américaines. Le directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) Pascal Boniface précise qu’une entrée de l’Ukraine dans l’UE conduira le pays à être « un relais des positions des États-Unis », « estimant qu’il doit tout aux États-Unis et non à l’Europe ». De fait, il n’est pas difficile de voir que les précédentes extensions de l’Union européenne à l’Est ont accru son alignement sur les positions américaines…

    Autre sujet qui a valu de nombreuses critiques à Ursula Von der Leyen, la question palestinienne. Se rendant à Tel Aviv en octobre dernier, sans en avertir le Conseil européen (avec qui elle entretient de mauvaises relations), et sans avoir la compétence en matière de politique étrangère, elle exprimait son soutien au « droit d’Israël à se défendre ». Aucune déclaration sur le fait que le droit international devait être respecté  ; pire, aucun mot de compassion ni de soutien pour la population de Gaza, sous les bombardements depuis maintenant près de cinq mois. Cette position, pour le moins unilatérale, a été pointée du doigt par de nombreux pays européens (Portugal, Espagne, Luxembourg, Irlande, Belgique…), dont les ministres des Affaires étrangères avaient adopté des positions nettement plus équilibrées.

    Moins commentées, ses bonnes relations avec le régime azéri d’Ilham Aliev soulèvent elles aussi de nombreuses questions. En juillet 2022, elle rencontrait le chef d’État d’Azerbaïdjan à Bakou et signait un accord gazier visant à pallier les pénuries énergétiques de l’Union européenne. Résultat : un affaiblissement conséquent de l’Union européenne, placée de facto en situation de dépendance envers un gouvernement aux aspirations belliqueuses. La présidente de la Commission européenne n’ignorait vraisemblablement pas qu’Ilham Aliev n’avait pas hésité, lors de la guerre des quarante-quatre jours de l’automne 2020 contre l’Arménie, à contourner les conventions internationales en utilisant bombes au phosphore, torture de prisonniers de guerre et l’emploi de mercenaires syriens recrutés dans les mouvements djihadistes. Puis, qu’il a récidivé en septembre 2023, en déclenchant tout bonnement une guerre contre la république auto-proclamée du Haut-Karabagh.

    Ursula Von der Leyen, c’est enfin une autre idée de la diplomatie. Après avoir rejeté en bloc toute idée d’un cessez-le-feu, elle juge désormais une guerre à l’échelle européenne « pas impossible » et affirme que « nous devrions [y] être préparés ». Thierry Breton, commissaire au Marché intérieur, abonde dans ce sens et compte « passer en économie de guerre ». Dès 2014, lorsqu’elle était ministre de la Défense, Ursula Von der Leyen défendait une politique étrangère très ferme, envoyant armes et matériel militaires aux forces armées kurdes et irakiennes, rompant ainsi avec la tradition allemande de ne pas exporter de matériel militaire vers une zone en conflit. Et tant pis pour les millions d’euros gaspillés sur les avions de chasse et de transport militaires restés au sol, ainsi que les hélicoptères jamais remis en état de voler. Une fuite en avant militariste qui résonne étrangement avec l’actualité française contemporaine…

  • Contre la décroissance néo-mathusienne, défendre le marxisme
    https://lvsl.fr/contre-la-decroissance-neo-malthusienne-defendre-le-marxisme

    Face au désastre écologique provoqué par la croissance, il faut ralentir. Face aux dégâts générés par les grands projets industriels, il faut se recentrer sur l’échelon local. Contre un techno-solutionnisme prométhéen, il faut oeuvrer à la sobriété par le bas. Ces slogans sont emblématiques de la pensée « décroissante », en particulier telle que la théorise l’auteur à grand succès Kohei Saito. Son oeuvre, au retentissement considérable, prétend s’inscrire dans l’héritage marxiste. Mais bien loin de prolonger le Capital, elle reconduit les postulats malthusiens des adversaires de Karl Marx. Et contient des directives stratégiques catastrophiques pour les écologistes. Par Matt Huber, professeur de géographie à l’Université de Syracuse, auteur de Climate Change as Class War (Verso, 2022) et Leigh Philipps, journaliste et auteur de Austerity Ecology [1].

    NDLR : cet article, critique de la décroissance, ne reflète pas l’opinion de l’ensemble de la rédaction du Vent Se Lève en la matière – un article favorable à cette notion a notamment été publié ici. De même, les analyses de John Bellamy Foster et de Kohei Saito, critiquées dans l’article qui suit, ont été analysés de manière approbative ici et ici.

    Presque chaque jour, les gros titres nous livrent de nouvelles manifestations de la cherté de la vie quotidienne pour des millions de personnes – de l’inflation (tirée par les profits) à la crise du logement en passant par l’envolée des coûts de l’éducation et de la santé. Dans le monde capitaliste avancé, depuis plus de quatre décennies, les travailleurs ont souffert des attaques contre les services publics, de la désindustrialisation, d’emplois de plus en plus précaires, de salaires en stagnation.

    Pourtant, un nombre croissant d’écologistes en viennent à affirmer qu’en raison de la crise climatique, les travailleurs consommeraient… trop. Qu’ils devraient se serrer la ceinture pour permettra la « décroissance » de l’économie occidentale afin de respecter les limites planétaires. Les partisans de la « décroissance » mettent en avant les compensations qu’ils obtiendraient en échange : une multitude de nouveaux programmes sociaux et une réduction de la semaine de travail.

    Pour autant, puisque les travailleurs des pays riches sont des acteurs du « mode de vie impérialiste » – partenaires, avec la classe capitaliste, de l’exploitation des travailleurs et des ressources du Sud – ils devront, selon le théoricien japonais du « communisme décroissant » Kohei Saito, abandonner « leur style de vie extravagant ». Ils ne sont pas exploités et précaires, mais plutôt « protégés par l’invisibilité des coûts de [leur] mode de vie ».

    Il semble à première vue incohérent de souhaiter une organisation victorieuse des travailleurs pour conquérir des salaires plus élevés, tout précisant que leur mode de vie est non seulement extravagant, mais carrément impérial. Aussi cet enthousiasme pour l’idéologie de la décroissance ne semble-t-il compatible ni avec un horizon socialiste, ni avec une perspective syndicale, et encore moins avec la critique marxiste du capitalisme.

    Pourtant, les idées de Saito – qui ne se contente pas de suggérer une hybridation entre décroissance et marxisme, mais proclame également que Marx était le théoricien originel de la décroissance ! -, ont trouvé un grand écho parmi la gauche écologiste non marxiste, et même les « éco-marxistes » auto-proclamés.

    Doit-on réellement abandonner la critique marxiste du malthusianisme (que l’on définira ici comme une adhésion à la thèse de limites fixes à la croissance), ainsi que l’horizon marxiste d’une « libération de la production » des contraintes irrationnelles du marché ? La popularité des thèses de Saito impose d’interroger ces lignes directrices. Et de constater l’incompatibilité entre une perspective décroissante et une perspective marxiste traditionnelle – qui apparaît bien plus clairement que les assertions selon lesquelles les travailleurs des pays développés auraient un mode de vie « impérialiste » et participeraient à la dégradation écologique...

  • Chronique de la #gauche_bourgeoise (dite de gouvernement)

    Raphaël Glucksmann, nouvel enfant prodige de la bourgeoisie de gauche
    https://lvsl.fr/raphael-glucksmann-nouvel-enfant-prodige-de-la-bourgeoisie-de-gauche

    Comme il y a cinq ans, une petite musique se fait entendre dans le paysage audiovisuel français : un homme providentiel incarnerait le changement tant attendu. Ce champion du progrès, de la liberté, du droit des peuples, de l’environnement, en bref de l’Europe se nomme Raphaël Glucksmann. Nous voilà sauvés, soupirent les Français – du moins, une partie d’entre eux. Une partie d’ailleurs plutôt aisée, inquiète des populismes, déçue du macronisme. Des rédactions parisiennes aux amphithéâtres de sciences politiques, on plébiscite la candidature Glucksmann. D’où vient donc ce nouveau héraut du centre-gauche, qui a désormais « la cote dans les milieux d’affaires » selon le quotidien pro-business l’Opinion ?

  • #François_Piquemal : « la #rénovation_urbaine se fait sans les habitants des #quartiers_populaires »

    Il y a 20 ans naissait l’#Agence_Nationale_pour_la_Rénovation_Urbaine (#ANRU). Créée pour centraliser toutes les procédures de #réhabilitation des quartiers urbains défavorisés, elle promettait de transformer en profondeur la vie des habitants, notamment en rénovant des centaines de milliers de logements. Malgré les milliards d’euros investis, les révoltes urbaines de l’été 2023 ont démontré combien les « #cités » restent frappées par la #précarité, le #chômage, l’#insécurité et le manque de #services_publics. Comment expliquer cet échec ?

    Pour le député insoumis #François_Piquemal, qui a visité une trentaine de quartiers en rénovation dans toute la #France, la #rénovation_urbaine est réalisée sans prendre en compte les demandes des habitants et avec une obsession pour les #démolitions, qui pose de grands problèmes écologiques et ne règle pas les problèmes sous-jacents. Il nous présente les conclusions de son rapport très complet sur la question et nous livre ses préconisations pour une autre politique de rénovation urbaine, autour d’une planification écologique et territoriale beaucoup plus forte. Entretien.

    Le Vent Se Lève – Vous avez sorti l’an dernier un rapport intitulé « Allo ANRU », qui résume un travail de plusieurs mois mené avec vos collègues députés insoumis, basé sur une trentaine de visites de quartiers populaires concernés par la rénovation urbaine dans toute la France. Pourquoi vous être intéressé à ce sujet ?

    François Piquemal – Il y a trois raisons pour moi de m’intéresser à la rénovation urbaine. D’abord, mon parcours politique débute avec un engagement dans l’association « Les Motivés » entre 2005 et 2008 à Toulouse, qui comptait des conseillers municipaux d’opposition (Toulouse est dirigée par la droite depuis 2001, à l’exception d’un mandat dominé par le PS entre 2008 et 2014, ndlr). C’est la période à laquelle l’ANRU est mise en place, suite aux annonces de Jean-Louis Borloo en 2003. Le hasard a fait que j’ai été désigné comme un des militants en charge des questions de logement, donc je me suis plongé dans le sujet.

    Par ailleurs, j’ai une formation d’historien-géographe et j’ai beaucoup étudié la rénovation urbaine lorsque j’ai passé ma licence de géographie. Enfin, j’étais aussi un militant de l’association Droit au Logement (DAL) et nous avions de grandes luttes nationales sur la question de la rénovation urbaine, notamment à Grenoble (quartier de la Villeneuve) et à Poissy (La Coudraie). A Toulouse, la contestation des plans de rénovation urbaine est également arrivée assez vite, dans les quartiers du Mirail et des Izards, et je m’y suis impliqué.

    Lorsque je suis devenu député en 2022, j’ai voulu poursuivre ces combats autour du logement. Et là, j’ai réalisé que l’ANRU allait avoir 20 ans d’existence et qu’il y avait très peu de travaux parlementaires sur le sujet. Bien sûr, il y a des livres, notamment ceux du sociologue Renaud Epstein, mais de manière générale, la rénovation urbaine est assez méconnue, alors même qu’elle est souvent critiquée, tant par des chercheurs que par les habitants des quartiers populaires. Donc j’ai décidé de m’emparer du sujet. J’en ai parlé à mes collègues insoumis et pratiquement tous ont des projets de rénovation urbaine dans leur circonscription. Certains connaissaient bien le sujet, comme Marianne Maximi à Clermont-Ferrand ou David Guiraud à Roubaix, mais la plupart avaient du mal à se positionner parmi les avis contradictoires qu’ils entendaient. Donc nous avons mené ce travail de manière collective.

    LVSL – Ce sujet est très peu abordé dans le débat public, alors même qu’il s’agit du plus grand chantier civil de France. Les chiffres sont impressionnants : sur 20 ans, ce sont 700 quartiers et 5 à 7 millions de personnes, soit un Français sur dix, qui sont concernés. 165.000 logements ont été détruits, 142.000 construits, 410.000 réhabilités et 385.000 « résidentialisés », c’est-à-dire dont l’espace public environnant a été profondément transformé. Pourtant, les révoltes urbaines de l’été dernier nous ont rappelé à quel point les problèmes des quartiers en question n’ont pas été résolus. On entend parfois que le problème vient avant tout d’un manque de financement de la part de l’Etat. Partagez-vous cette analyse ?

    F. P. – D’abord, les chiffres que vous venez de citer sont ceux du premier programme de l’ANRU, désormais terminé. Un second a été lancé depuis 2018, mais pour l’instant on dispose de peu de données sur celui-ci. Effectivement, lors de son lancement par Jean-Louis Borloo, la rénovation urbaine est présentée comme le plus grand chantier civil depuis le tunnel sous la Manche et les objectifs sont immenses : réduire le chômage et la précarité, renforcer l’accès aux services publics et aux commodités de la ville et combattre l’insécurité. On en est encore loin.

    Ensuite, qui finance la rénovation urbaine ? Quand on regarde dans le détail, on se rend compte que l’Etat est peu présent, comme le montre un documentaire de Blast. Ce sont les collectivités locales et les bailleurs sociaux qui investissent, en plus du « 1% patronal » versé par les entreprises. Concernant l’usage de ces moyens, on a des fourchettes de coût pour des démolitions ou des reconstructions, mais là encore les chiffres varient beaucoup.

    LVSL – Vous rappelez que les financements de l’Etat sont très faibles dans la rénovation urbaine. Pourtant, certains responsables politiques, comme Eric Zemmour, Jordan Bardella ou Sabrina Agresti-Roubache, secrétaire d’Etat à la ville de Macron, estiment que trop d’argent a été investi dans ces quartiers…

    F. P. – C’est un discours que l’on entend souvent. Mais on ne met pas plus d’argent dans les quartiers populaires que dans d’autres types de territoires. Par exemple, on mentionne souvent le chiffre de 90 à 100 milliards d’euros en 40 ans, avec les douze plans banlieue qui se sont succédé depuis 1977. Dit comme ça, ça semble énorme. Mais en réalité, cela représente en moyenne 110€ par habitant et par an dans les quartiers de la politique de la ville (QPV), un chiffre inférieur aux montants dépensés pour les Français n’habitant pas en QPV. Néanmoins, nous manquons encore d’informations précises et j’ai posé une question au gouvernement pour avoir des chiffres plus détaillés.

    LVSL – Parmi les objectifs mis en avant par l’ANRU dans les opérations qu’elle conduit, on retrouve tout le temps le terme de « mixité sociale ». Il est vrai que ces quartiers se sont souvent ghettoïsés et accueillent des populations très touchées par la pauvreté, le chômage et l’insécurité. Pour parvenir à cette fameuse mixité, il semble que l’ANRU cherche à gentrifier ces quartiers en y faisant venir des couches moyennes. Quel regard portez-vous sur cette façon d’assurer la « mixité sociale » ?

    F. P. – D’abord, il faut questionner la notion même de mixité sociale. Ce concept, personne ne peut être contre. Mais chacun a une idée différente de comment y parvenir ! Pour la droite, la mixité sociale passe par le fait que les classes moyennes et populaires deviennent des petits propriétaires. Pour la gauche, c’est la loi SRU, c’est-à-dire l’obligation d’avoir 25% de logement public dans chaque commune, afin d’équilibrer la répartition sur le territoire national.

    Peu à peu, la gauche et la droite traditionnelles ont convergé, c’est ce que le philosophe italien Antonio Gramsci appelle le « transformisme ». En réalité, c’est surtout l’imaginaire de la droite s’est imposé : aujourd’hui, vivre en logement public n’est pas perçu comme souhaitable, à tort ou à raison. Ceux qui y vivent ou attendent un logement public ne voient cela que comme une étape dans leur parcours résidentiel, avant de devenir enfin petit propriétaire. Dès lors, habiter en logement public devient un stigmate de positionnement social et les quartiers où ce type de logement domine sont de moins en moins bien perçus.

    Concrètement, ça veut dire que dans un quartier avec 50 ou 60% de logement public, la politique mise en œuvre pour parvenir à la mixité sociale est de faire de l’accession à la propriété, pour faire venir d’autres populations. Ca part d’un présupposé empreint de mépris de classe : améliorer la vie des personnes appartenant aux classes populaires passerait par le fait qu’elles aient des voisins plus riches. Comme si cela allait forcément leur amener plus de services publics ou de revenus sur leur compte en banque.

    Quels résultats a cette politique sur le terrain ? Il a deux cas de figure. Soit, les acquéreurs sont soit des multi-propriétaires qui investissent et qui vont louer les appartements en question aux personnes qui étaient déjà là. C’est notamment ce que j’ai observé avec Clémence Guetté à Choisy-le-Roi. Soit, les nouveaux propriétaires sont d’anciens locataires du quartier, mais qui sont trop pauvres pour assumer les charges de copropriété et les immeubles se dégradent très vite. C’est un phénomène qu’on voit beaucoup à Montpellier par exemple. Dans les deux cas, c’est un échec car on reproduit les situations de précarité dans le quartier.

    Ensuite, il faut convaincre les personnes qui veulent devenir petits propriétaires de s’installer dans ces quartiers, qui font l’objet de beaucoup de clichés. Allez dire à un Parisien de la classe moyenne d’aller habiter à la Goutte d’Or (quartier populaire à l’est de Montmartre, ndlr), il ne va pas y aller ! C’est une impasse. Rendre le quartier attractif pour les couches moyennes demande un immense travail de transformation urbanistique et symbolique. Très souvent, la rénovation urbaine conduit à faire partir la moitié des habitants d’origine. Certes, sur le papier, on peut trouver 50% de gens qui veulent partir, mais encore faut-il qu’ils désirent aller ailleurs ! Or, on a souvent des attaches dans un quartier et les logements proposés ailleurs ne correspondent pas toujours aux besoins.

    Donc pour les faire quitter le quartier, la « solution » est en général de laisser celui-ci se dégrader jusqu’à ce que la vie des habitants soit suffisamment invivable pour qu’ils partent. Par exemple, vous réduisez le ramassage des déchets ou vous laissez les dealers prendre le contrôle des cages d’escaliers.

    LVSL – Mais cet abandon, c’est une politique délibérée des pouvoirs publics, qu’il s’agisse de l’ANRU ou de certaines mairies ? Ou c’est lié au fait que la commune n’a plus les moyens d’assurer tous les services ?

    F. P. – Dans certains quartiers de Toulouse, que je connais bien, je pense que cet abandon est un choix délibéré de la municipalité et de la métropole. Par exemple, dans le quartier des Izards, il y avait un grand immeuble de logement public, certes vieillissant, mais qui pouvait être rénové. Il a été décidé de le raser. Or, beaucoup d’habitants ne voulaient pas partir, notamment les personnes âgées. Dans le même temps, d’autres appartements étaient vides. Certains ont été squattés par des réfugiés syriens, avant que le bailleur ne décide de payer des agents de sécurité pour les expulser. Par contre, ces agents laissaient sciemment les dealers faire leur business dans le quartier !

    Dans d’autres cas, le bailleur décide tout simplement d’abandonner peu à peu un immeuble voué à la démolition. Donc ils vont supprimer un concierge, ne pas faire les rénovations courantes etc. Et on touche là à un grand paradoxe de la rénovation urbaine : en délaissant certains immeubles, on dégrade aussi l’image du quartier dans lequel on souhaite faire venir des personnes plus aisées.

    LVSL – Il semble aussi que la « mixité sociale » soit toujours entendue dans le même sens : on essaie de faire venir ces ménages plus aisés dans les quartiers défavorisés, mais les ghettos de riches ne semblent pas poser problème aux pouvoirs publics…

    F. P. – En effet, il y a une grande hypocrisie. Faire venir des habitants plus riches dans un quartier prioritaire, pourquoi pas ? Mais où vont aller ceux qui partent ? Idéalement, ils visent un quartier plus agréable, qui a une meilleure réputation. Sauf que beaucoup de maires choisissent de ne pas respecter la loi SRU et de maintenir une ségrégation sociale. Résultat : les bailleurs sociaux ne peuvent souvent proposer aux personnes à reloger que des appartements trop chers ou inadaptés à leurs besoins.

    Donc on les déplace dans d’autres endroits, qui deviennent de futurs QPV. A Toulouse par exemple, beaucoup des personnes délogées par les programmes de rénovation urbaine sont envoyées au quartier Borderouge, un nouveau quartier avec des loyers abordables. Sauf que les difficultés sociales de ces personnes n’ont pas été résolues. Donc cela revient juste à déplacer le problème.

    LVSL – Ces déplacements de population sont liés au fait que les programmes de rénovation urbaine ont un fort ratio de démolitions. Bien sûr, il y a des logements insalubres trop compliqués à rénover qu’il vaut mieux détruire, mais beaucoup de démolitions ne semblent pas nécessaires. Pensez-vous que l’ANRU a une obsession pour les démolitions ?

    F. P. – Oui. C’est très bien montré dans le film Bâtiment 5 de Ladj Ly, dont la première scène est une démolition d’immeubles devant les édiles de la ville et les habitants du quartier. Je pense que l’ANRU cherchait à l’origine un effet spectaculaire : en dynamitant un immeuble, on montre de manière forte que le quartier va changer. C’est un acte qui permet d’affirmer une volonté politique d’aller jusqu’au bout, de vraiment faire changer le quartier en reconstruisant tout.

    Mais deux choses ont été occultées par cet engouement autour des démolitions. D’abord, l’attachement des gens à leur lieu de vie. C’est quelque chose qu’on retrouve beaucoup dans le rap, par exemple chez PNL ou Koba LaD, dont le « bâtiment 7 » est devenu très célèbre. Ce lien affectif et humain à son habitat est souvent passé sous silence.

    L’autre aspect qui a été oublié, sans doute parce qu’on était en 2003 lorsque l’ANRU a été lancée, c’est le coût écologique de ces démolitions. Aujourd’hui, si un ministre annonçait autant de démolitions et de reconstructions, cela soulèverait beaucoup de débats. A Toulouse, le commissaire enquêteur a montré dans son rapport sur le Mirail à quel point démolir des immeubles fonctionnels, bien que nécessitant des rénovations, est une hérésie écologique. A Clermont-Ferrand, ma collègue Marianne Maximi nous a expliqué qu’une part des déchets issus des démolitions s’est retrouvée sur le plateau de Gergovie, où sont conduites des fouilles archéologiques.

    LVSL – Maintenant que les impacts de ces démolitions, tant pour les habitants que pour l’environnement, sont mieux connus, l’ANRU a-t-elle changé de doctrine ?

    F. P. – C’est son discours officiel, mais pour l’instant ça ne se vérifie pas toujours dans les actes. J’attends que les démolitions soient annulées pour certains dossiers emblématiques pour y croire. Le quartier de l’Alma à Roubaix est un très bon exemple : les bâtiments en brique sont fonctionnels et superbes d’un point de vue architectural. Certains ont même été refaits à neuf durant la dernière décennie, pourquoi les détruire ?

    Maintenir ces démolitions est d’autant plus absurde que ces quartiers sont plein de savoir-faire, notamment car beaucoup d’habitants bossent dans le secteur du BTP. Je le vois très bien au Mirail à Toulouse : dans le même périmètre, il y a l’école d’architecture, la fac de sciences sociales, plein d’employés du BTP, une école d’assistants sociaux et un gros vivier associatif. Pourquoi ne pas les réunir pour imaginer le futur du quartier ? La rénovation urbaine doit se faire avec les habitants, pas sans eux.

    LVSL – Vous consacrez justement une partie entière du rapport aux perceptions de la rénovation urbaine par les habitants et les associations locales, que vous avez rencontré. Sauf exception, ils ne se sentent pas du tout écoutés par les pouvoirs publics et l’ANRU. L’agence dit pourtant chercher à prendre en compte leurs avis…

    F. P. – Il y a eu plein de dispositifs, le dernier en date étant les conseils citoyens. Mais ils ne réunissent qu’une part infime de la population des quartiers. Parfois les membres sont tirés au sort, mais on ne sait pas comment. En fait le problème, c’est que l’ANRU est un peu l’Union européenne de l’urbanisme. Tout décideur politique peut dire « c’est pas moi, c’est l’ANRU ». Or, les gens ne connaissent pas l’agence, son fonctionnement etc. Plusieurs entités se renvoient la balle, tout est abstrait, et on ne sait plus vers qui se tourner. Cela crée une vraie déconnexion entre les habitants et les décisions prises pour leur quartier. La rénovation se fait sans les habitants et se fait de manière descendante. Même Jean-Louis Borloo qui en est à l’origine en est aujourd’hui assez critique.

    A l’origine, les habitants ne sont pas opposés à la rénovation de leur quartier. Mais quand on leur dit que la moitié vont devoir partir et qu’ils voient les conditions de relogement, c’est déjà moins sympa. Pour ceux qui restent, l’habitat change, mais les services publics sont toujours exsangues, la précarité et l’insécurité sont toujours là etc. Dans les rares cas où la rénovation se passe bien et le quartier s’améliore, elle peut même pousser les habitants historiques à partir car les loyers augmentent. Mais ça reste rare : la rénovation urbaine aboutit bien plus souvent à la stagnation qu’à la progression.

    LVSL – L’histoire de la rénovation urbaine est aussi celle des luttes locales contre les démolitions et pour des meilleures conditions de relogement. Cela a parfois pu aboutir à des référendums locaux, soutenus ou non par la mairie. Quel bilan tirez-vous de ces luttes ?

    F. P. – D’abord ce sont des luttes très difficiles. Il faut un niveau d’information très important et se battre contre plusieurs collectivités plus l’ANRU, qui vont tous se renvoyer la balle. Le premier réflexe des habitants, c’est la résignation. Ils se disent « à quoi bon ? » et ne savent pas par quel bout prendre le problème. En plus, ces luttes débutent souvent lorsqu’on arrive à une situation critique et que beaucoup d’habitants sont déjà partis, ce qui est un peu tard.

    Il y a tout de même des exemples de luttes victorieuses comme la Coudraie à Poissy ou, en partie, la Villeneuve à Grenoble. Même pour l’Alma de Roubaix ou le Mirail de Toulouse, il reste de l’espoir. Surtout, ces luttes ont montré les impasses et les absurdités de la rénovation urbaine. La bataille idéologique autour de l’ANRU a été gagnée : aujourd’hui, personne ne peut dire que cette façon de faire a fonctionné et que les problèmes de ces quartiers ont été résolus. Certains en tirent comme conclusion qu’il faut tout arrêter, d’autres qu’il faut réformer l’ANRU.

    LVSL – Comment l’agence a-t-elle reçu votre rapport ?

    F. P. – Pas très bien. Ils étaient notamment en désaccord avec certains chiffres que nous citons, mais on a justement besoin de meilleures informations. Au-delà de cette querelle, je sais qu’il y a des personnes bien intentionnées à l’ANRU et que certains se disent que l’existence de cette agence est déjà mieux que rien. Certes, mais il faut faire le bilan économique, écologique et humain de ces 20 ans et réformer l’agence.

    Jean-Louis Borloo est d’accord avec moi, il voit que la rénovation urbaine seule ne peut pas résoudre les problèmes de ces quartiers. Il l’avait notamment dit lors de l’appel de Grigny (ville la plus pauvre de France, ndlr) avec des maires de tous les horizons politiques. Je ne partage pas toutes les suggestions de Borloo, mais au moins la démarche est bonne. Mais ses propositions ont été enterrées par Macron dès 2018…

    LVSL – Justement, quelles répercussions votre rapport a-t-il eu dans le monde politique ? On en a très peu entendu parler, malgré les révoltes urbaines de l’été dernier…

    F. P. – Oui, le rapport Allo ANRU est sorti en avril 2023 et l’intérêt médiatique, qui reste limité, n’est arrivé qu’avec la mort de Nahel. Cela montre à quel point ce sujet est délaissé. Sur le plan politique, je souhaite mener une mission d’information pour boucler ce bilan de l’ANRU et pouvoir interroger d’autres personnes que nous n’avons pas pu rencontrer dans le cadre de ce rapport. Je pense à des associations, des collectifs d’habitants, des chercheurs, des élus locaux, Jean-Louis Borloo…

    Tous ces regards sont complémentaires. Par exemple, l’avis d’Eric Piolle, le maire de Grenoble, était intéressant car il exprimait la position délicate d’une municipalité prise entre le marteau et l’enclume (les habitants de la Villeneuve s’opposent aux démolitions, tandis que l’ANRU veut les poursuivre, ndlr). Une fois le constat terminé, il faudra définir une nouvelle politique de rénovation urbaine pour les deux prochaines décennies.

    LVSL – Concrètement, quelles politiques faudrait-il mettre en place ?

    F. P. – Des mesures isolées, comme l’encadrement à la baisse des loyers (réclamé par la France Insoumise, ndlr), peuvent être positives, mais ne suffiront pas. A minima, il faut être intraitable sur l’application de la loi SRU, pour faire respecter partout le seuil de 25% de logement public. On pourrait aussi réfléchir à imposer ce seuil par quartier, pour éviter que ces logements soient tous concentrés dans un ou deux quartiers d’une même ville.

    Ensuite, il faut changer la perception du logement public, c’est d’ailleurs pour cela que je préfère ce terme à celui de « logement social ». 80% des Français y sont éligibles, pourquoi seuls les plus pauvres devraient-ils y loger ? Je comprends bien sûr le souhait d’être petit propriétaire, mais il faut que le logement public soit tout aussi désirable. C’est un choix politique : le logement public peut être en pointe, notamment sur la transition écologique. Je prends souvent l’exemple de Vienne, en Autriche, où il y a 60% de logement public et qui est reconnue comme une ville où il fait bon vivre.

    Pour y parvenir, il faudra construire plus de #logements_publics, mais avec une #planification à grande échelle, comme l’avait fait le général de Gaulle en créant la DATAR en 1963. Mais cette fois-ci, cette planification doit être centrée sur des objectifs écologiques, ce qui implique notamment d’organiser la #démétropolisation. Il faut déconcentrer la population, les emplois et les services des grands centres urbains, qui sont saturés et vulnérables au changement climatique. Il s’agit de redévelopper des villes comme Albi, Lodève, Maubeuge… en leur donnant des fonctions industrielles ou économiques, pour rééquilibrer le territoire. C’est ambitieux, quasi-soviétique diront certains, mais nous sommes parvenus à le faire dans le passé.

    https://lvsl.fr/francois-piquemal-la-renovation-urbaine-se-fait-sans-les-habitants-des-quartier

    #quartiers_populaires #urbanisme #TRUST #Master_TRUST #logement #aménagement_territorial #écologie

  • Christophe Bex : « Le gouvernement est incapable de répondre aux problèmes des agriculteurs »
    https://lvsl.fr/christophe-bex-le-gouvernement-est-incapable-de-repondre-aux-problemes-des-agri

    L’agriculture fait face au même dilemme que l’industrie avant elle : que veut-on produire, où, et dans quelles conditions sociales et environnementales ? Soit on se focalise sur quelques secteurs exportateurs et on importe tout le reste, avec un coût humain et environnemental considérable, soit on relocalise, on réindustrialise, on répond aux besoins français en priorité, avec les savoir-faire des travailleurs. Pour l’instant, c’est la première option qui est choisie. En Lorraine par exemple, lorsque la sidérurgie a été liquidée avec l’aide des socialistes au pouvoir, on a remplacé les hauts-fourneaux par un parc d’attractions, le Schtroumpfland, en espérant redynamiser le secteur.

    #agroindustrie #capitalisme_des_flux #paysannerie #agriculteurs #travail #rémunérations #appauvrissement

  • Occupied
    https://www.arte.tv/fr/videos/RC-021466/occupied

    La #Russie occupe la #Norvège avec l’assentiment de l’UE [les E-U ont quitté l’Otan, ndc] pour s’approprier son #pétrole. Face à cette occupation “douce”, citoyens et politiques norvégiens doivent faire un choix : résister ou collaborer ? Série scandinave captivante, Occupied est un #thriller #géopolitique imaginé par le maître du polar Jo Nesbø.

    Une suggestion chronophage, avec manipulations et cliffhanger partout, toutes mes excuses. Une longue liste d’ingrédients, entre technocratie européenne et héritiers de l’okhrana et du KGB, le Kompromat comme si on y était ! avec espionnage et opérations spéciales, anti-terrorisme et campagnes en ligne, love affair et fermes à trolls, oligarques russes et coups d’état militaires, « conflits d’intérêt » (comme on dit pudiquement) et écologie sous l’angle exclusif du climat et des énergies fossiles (à la manière de Sabotage, ce film inspiré par la thèse de Malm), manifs (ridicules) et politique institutionnelle façon marigot mortel. De quoi stimuler notre passion pour des décideurs, tantôt marionnettistes, tantôt marionnettes.

    #série #énergies_fossiles #écologie #impuissance

  • +10% pour les prix de l’électricité : Macron prêt à racketter les travailleurs pour combler ses déficits !
    https://www.revolutionpermanente.fr/10-pour-les-prix-de-l-electricite-Macron-pret-a-racketter-les-t

    Ce mercredi 10 janvier, la commission de régulation de l’énergie (CRE) a annoncé une hausse potentielle de 10% des prix de l’énergie sur l’année à venir. Cette nouvelle hausse n’est pas liée à l’augmentation des coûts de l’électricité, mais à « une décision gouvernementale » a expliqué Emmanuel Wargon, présidente de la CRE dans un entretien pour France Info. Selon elle, « les prix sur les marchés ont beaucoup baissé en 2023 », notamment du fait de la remise en route des réacteurs nucléaires.

    En effet, comme l’explique le journal Les Échos : « les prix de l’électricité sur les marchés de gros ont chuté de plus de 30 % ces six derniers mois ». Fin Décembre, le ministre délégué chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave expliquait sur France Info : « Le prix de l’électricité baisse dans notre pays, ce qui nous permet de remettre progressivement des taxes ».

    Cette nouvelle augmentation des prix de l’énergie est donc liée à la remise en place de la TVA et de la Taxe Intérieure de Consommation Finale sur l’Electricité (TIFCE), qui comme le note le HuffingtonPost « avait été réduite à 1 euro par mégawattheure (MWh) pendant la crise contre 32 euros auparavant. Cette dernière devrait voir une hausse de 70% et passer à 22,45 euros par MWh selon Emmanuelle Wargon. Mais alors que les prix de l’énergie baissent, l’exécutif veut désormais réactiver cette taxe pour combler les déficits publiques, étant donné qu’elle constituerait un manque à gagner de 9 milliards d’euros rapporte selon Les Echos. « Nous devons mieux maîtriser nos finances publiques », expliquait le ministre Cazenave.

    Cette remise en place des taxes a été décidée par Bruno Le Maire dans la Loi du 29 décembre 2023 de finances pour 2024, pour atteindre son objectif de 12 milliards d’économies en 2025 et doit être confirmée prochainement. « Le gouvernement doit rendre sa décision à la fin du mois de janvier, la balle est dans son camp » explique un expert dans l’Energie.

    L’augmentation de 10% de la facture d’électricité en février s’inscrirait dans la continuité d’autres hausse des prix de l’électricité, de 15% l’année dernière et 10% cet été. Cela pourrait donc signifier une hausse de 39% en un an, soit en moyenne 130 euros par foyer selon BFM. La décision du gouvernement de remettre en place la taxe sur l’énergie s’associe à la fin du bouclier tarifaire, prévue pour fin 2024.

    Une nouvelle attaque qui touche l’ensemble des travailleurs, un nouveau coup dur pour les plus précaires

    Cette nouvelle attaque dirigée par le gouvernement s’inscrit dans un contexte où la hausse du coût de la vie frappe toujours plus durement les travailleurs, notamment les plus précaires. Selon une enquête de la Fondation Abbé Pierre 12 millions de personnes auraient des difficultés à se chauffer en France, soit un habitant sur cinq. Ces difficultés à se chauffer touchent même la majorité de la population, puisque 80% explique réduire sa consommation dans la même enquête. Une autre enquête de l’Insee relayée par Libération montre, de son côté, que « plus d’1 personne sur 10 ne peut couvrir ses dépenses essentielles de la vie courante (nourriture, chauffage, factures) » et « plus de 10% des ménages déclarent ne pas pouvoir chauffer suffisamment leur logement ».

    Dans un contexte économique marqué par le maintien d’une inflation forte, notamment sur les prix de l’alimentation, avec des prévisions de l’Insee qui atteignent les 18%, cette nouvelle hausse va donc continuer d’obliger les travailleurs à se serrer la ceinture. Effectivement, ces difficultés vont évidement d’abord concerner les populations déjà les plus précaires, comme les jeunes qui sont 86% à avoir baissé leurs dépenses d’électricité selon l’enquête sur la précarité étudiante de notre collectif Le Poing Levé.

    Malgré cette situation, les grandes entreprises n’ont pas prévu d’arrêter d’augmenter les prix dans tous les domaines, comme l’explique le patron de Système U qui a déclaré que « 90% des entreprises demandent une hausse des prix ». De leur côté, les mastodontes de l’énergie comme Total continuent d’enregistrer des bénéfices records, 6,7 milliards de dollars au troisième trimestre de 2023.

    Alors que l’inflation ne cesse de rogner nos conditions de vie et que le grand patronat tout comme le gouvernement ne compte pas s’arrêter en si bon chemin, il est urgent de se mobiliser pour refuser de payer le coût de la crise économique. Pendant que les patrons se gavent, comme en témoignent les derniers chiffres records du CAC40, il nous faut opposer un programme en toute indépendance de classe qui prend l’argent là où il se trouve, c’est-à-dire dans les poches du patronat. Pour cela, nous devons exiger l’expropriation des grands groupes de l’énergie sous contrôle des travailleurs qui est la seule façon de contrôler les prix, et défendre la seule mesure qui permette de maintenir nos salaires face à la hausse des prix à savoir l’indexation des salaires sur l’inflation.

    • Réforme des prix de l’électricité : tout changer pour ne rien changer
      https://lvsl.fr/reforme-des-prix-de-lelectricite-tout-changer-pour-ne-rien-changer

      « Nous avons réussi à trouver un équilibre vital entre la compétitivité de notre industrie, la stabilité pour les ménages et le développement d’EDF ». A la mi-novembre 2023, après deux ans de crise sur le marché de l’électricité, Bruno Le Maire était fier d’annoncer un accord entre l’Etat et EDF. A l’entendre, tous les problèmes constatés ces dernières années ont été résolus. Le tout en restant pourtant dans le cadre de marché imposé par l’Union européenne. En somme, la France aurait réussi l’impossible : garantir des prix stables tout en permettant une concurrence… qui implique une fluctuation des prix.

      Alors que la crise énergétique n’est toujours pas vraiment derrière nous et que les investissements pour la maintenance et le renouvellement des centrales électriques dans les années à venir sont considérables, cet accord mérite une attention particulière. Devant la technicité du sujet, la plupart des médias ont pourtant renoncé à se plonger dans les détails de la réforme et se sont contentés de reprendre les déclarations officielles. Cet accord comporte pourtant de grandes zones d’ombre, qui invitent à relativiser les propos optimistes du ministre de l’Économie. Alors qu’en est-il vraiment ?

  • Disgrâce de la « théorie du Nudge »
    https://lvsl.fr/disgrace-de-la-theorie-du-nudge

    Si la transition écologique traîne, c’est à cause de « biais » cognitifs, qu’il faudrait corriger. Si notre système de santé est menacé, c’est parce que les citoyens ne possèdent pas les incitations nécessaires pour prévenir les maladies évitables. Telle était la vision portée par l’administration Obama : en « incitant » (to nudge) les agents à effectuer des modifications insensibles de leur comportement, on produirait des changements structurels. La tâche des politiques publiques serait donc de mettre en place des nudges destinés à corriger les biais des agents. L’administration Obama s’appuyait sur « l’économie comportementale », une discipline dont deux des principaux promoteurs médiatiques ont récemment été pointés du doigt pour la falsification de leurs travaux…
    ... Au lieu d’instaurer un système de santé gratuit et accessible pour tous, la théorie du nudge proposait ainsi de corriger les mauvaises habitudes de la population en influençant leurs choix en matière alimentaire, sportifs ou sanitaires. De la même manière, il ne s’agirait plus de renforcer la sécurité sociale et les retraites publiques, mais d’inciter à mieux épargner. L’économie comportementale nourrissait donc l’espoir qu’un gouvernement progressiste soucieux de l’équilibre budgétaire puisse encore améliorer la vie des gens, si bien qu’Obama lui-même a signé un décret en 2015 ordonnant à toutes les branches du gouvernement d’exploiter les connaissances de l’économie comportementale…

    Les implications politiques d’une science aujourd’hui remise en cause par la communauté universitaire sont nombreuses. Avec elles, l’ère des solutions politiques modestes et courageuses est probablement révolue. Alors qu’en 2008 le New Yorker faisait l’éloge d’Ariely, Lewis-Kraus observe désormais, dans un article paru dans ce même journal, que cette théorie maintenant célèbre a été élaborée dans un laboratoire financé par BlackRock et MetLife, le Center for Advanced Hindsight. Lewis-Kraus ne se contente pas de dénoncer Ariely et les nombreux autres escrocs du secteur : ses reportages remettent aussi en question toute l’idéologie qui sous-tend l’administration Obama.

    Il écrit qu’« au cours des dernières années, d’éminents spécialistes du comportement en sont venus à regretter leur participation au fantasme selon lequel des modifications du comportement humain répareraient le monde ». Il note le prisme de compréhension individuel plutôt que systémique et cite un économiste de l’Université de Chicago qui a déclaré : « C’est ce que les PDG adorent, n’est-ce pas ? C’est mièvre, cela ne touche pas vraiment à leur pouvoir tout en prétendant faire ce qu’il faut. »
    Au-delà du nudge

    Ce n’est pas la première fois que les médias confèrent une ample couverture à des recherches frauduleuses, dénoncées par les universitaires. Mais si l’on se souvient de l’enthousiasme suscité par ces théories à l’époque d’Obama, il est surprenant de voir tant de figures médiatiques critiquer la politique des « coups de pouce » et réclamer des changements plus structurels. À cet égard, il est encourageant de constater que même une partie du consensus démocrate s’éloigne de solutions qui n’impliquent pas une redistribuent des richesses. L’élection de Shawn Fain à la présidence des Travailleurs unis de l’automobile, l’apparition de Joe Biden sur un piquet de grève, les milliards investis dans les emplois et les infrastructures verts, et la présence au gouvernement d’Alexandria Ocasio-Cortez constituent autant de signes qu’un abandon du dogme antérieur.

    L’enthousiasme généré par les sciences du comportement semble désormais révolu. L’idée que les enjeux politiques se résument à bien autre chose que des prises de décision individuelles fait son chemin. Qui peut encore défendre que des problèmes comme l’inflation, la crise climatique ou les bas salaires requièrent des nudge pour conduire les agents à se comporter autrement ?

  • Assistanat pour ultra-riches : le CAC40 sous perfusion de l’État
    https://lvsl.fr/assistanat-pour-ultra-riches-le-cac40-sous-perfusion-de-letat

    157 milliards d’euros, soit 6,4 % du PIB. Les montants en jeu sont astronomiques, et augmentent d’année en année. En janvier 2007, un rapport public les évaluait à 65 milliards d’euros par an, dont 90 % financées par l’État et le reste par les collectivités locales et d’autres acteurs publics, pour un montant global équivalent à 3,5 % du PIB1. En juin 2013, un rapport publié par l’Inspection générale des finances nous apprend qu’elles atteignaient 110 milliards d’euros par an2. Puis 140 milliards d’euros en 2018, selon les propos de Gérald Darmanin, alors ministre de l’Action et des Comptes publics. Des chercheurs de l’Ires de l’université de Lille ont réévalué ce montant à 157 milliards d’euros pour l’année 20193.

    Comment se représenter des sommes aussi monstrueuses ? Prenons quelques exemples… 157 milliards d’euros d’aides publiques aux entreprises, c’est :

    – l’équivalent de 6,4 % du PIB,

    – plus de 30 % du budget de l’État,

    – presque 10 milliards d’euros de plus que l’ensemble des aides sociales (allocations familiales, pauvreté, chômage et aides au logement), pourtant régulièrement pointées du doigt et accusées de coûter « un pognon de dingue » à la collectivité4.

  • #Start-up_nation : quand l’État programme son #obsolescence
    (publié en 2021)

    Depuis de nombreuses années, les start-ups françaises peuvent se targuer d’avoir à leur disposition de nombreuses subventions publiques et un environnement médiatique favorable. Partant du postulat que la puissance privée est seule capable d’imagination et d’innovation, l’État français finance à tour de bras ces « jeunes pousses » dans l’espoir schumpéterien de révolutionner son #économie. Cette #stratégie_économique condamne pourtant la puissance publique à l’#impuissance et à l’#attentisme.

    En 2017, #Emmanuel_Macron avait largement axé sa campagne présidentielle sur un discours général favorable à l’entreprenariat. La stratégie économique française valorise ainsi la création de nouvelles entreprises, dites jeunes pousses ou start-ups. En avril 2017, le futur président français assène qu’une « start-up nation est une Nation où chacun peut se dire qu’il pourra créer une start-up. Je veux que la France en soit une ». Ces entités ont pour vocation de proposer des technologies de ruptures disruptives, selon l’expression de l’économiste américain Clayton Christensen, c’est-à-dire une redéfinition des règles du jeu économique venant remplacer les anciens schémas de pensée.

    Cette configuration institutionnelle favorable aux start-ups n’est cependant pas apparue subitement lors de la dernière présidentielle. Le label #French_Tech est en effet lancé dès 2013 par #Fleur_Pellerin, alors Ministre déléguée chargée des Petites et moyennes entreprises, de l’Innovation et de l’Économie numérique. Ce programme a pour ambition de développer les jeunes pousses hexagonales. Les successeurs de Fleur Pellerin vous tous accompagner et poursuivre ce mouvement d’effervescence : en 2015 sont lancés le French Tech Ticket ainsi que le French Tech Visa en 2017.

    Ce discours s’accompagne d’un appel à créer le plus de licornes possibles : des start-ups valorisées sur les marchés à plus d’un milliard d’euros. Alors que la France compte 3 licornes en 2017, ce chiffre est passé à 15 en 2020. Le gouvernement espère qu’il en sera crée 10 de plus d’ici 2025. Ce constant appel à l’#innovation s’inspire de l’exemple israélien, parangon de la start-up nation, qui compte une jeune pousse pour 1400 habitants. Poussé par l’afflux de liquidités fourni par son ministère de la défense, l’État hébreux s’est lancé très tôt dans cette stratégie économique. Les nombreuses start-ups qui y sont créées permettent à #Israël de mieux peser sur la scène internationale : son secteur de l’innovation représente 10% de son PIB et près de la moitié de ses exportations.

    De l’État providence à l’État subventionneur

    Toutes ces entreprises ne se sont pas créées d’elles-mêmes. Pour leur écrasante majorité, elles ont largement été financées par la puissance publique. Dès 2012, tout un écosystème institutionnel favorable à l’entreprenariat individuel est mis en place. En pleine campagne présidentielle, #François_Hollande promet une réindustrialisation rapide et efficace de la France. Afin d’atteindre cet objectif ambitieux, ce dernier entend créer « une banque publique d’investissement qui […] accompagnera le développement des entreprises stratégiques ». Quatre mois plus tard naît la #Banque_Publique_d’Investissement (#BPI), détenue par la #Caisse_des_Dépôts_et_des_Consignations (#CDC) ainsi que par l’État. La BPI a pour mission de « financer des projets de long terme » et d’œuvrer à la « #conversion_numérique » de l’Hexagone. Très vite, l’institution devient un outil permettant à l’État de financer massivement les start-ups. La BPI subventionne ainsi le label French Tech à hauteur de 200 millions d’euros et est actionnaire de nombreuses start-ups françaises.

    Comme le pointe un rapport publié par Rolland Berger, une grande majorité des entreprises du #French_Tech_Next 40/120 — un programme regroupant les start-ups françaises les plus prometteuses — a reçu des prêts et des #subventions de la puissance publique. On estime ainsi que 89% de ces entreprises ont reçu une aide indirecte de la BPI ! En pleine crise sanitaire, l’institution obtient plus de 2 milliards d’euros pour soutenir ces entreprises innovantes tandis que 3,7 milliards du plan de relance décidé en 2020 par le gouvernement a été fléché vers la création et l’aide aux start-ups. Cedric O, Secrétaire d’État chargé de la Transition numérique, confirme ainsi qu’il « va y avoir des opportunités suite à la crise [sanitaire], tout comme celle de 2008 ».

    Pour autant, l’État français ne soutient pas ses start-ups uniquement sur le plan financier. La loi Pacte de 2019, en continuité avec la loi Allègre de 1999, facilite les passerelles public-privé et encourage les chercheurs à créer des entreprises. Ces dispositions législatives permettent à des recherches menées et financées grâce à de l’argent public d’être « valorisées », c’est-à-dire en réalité privatisées, par le secteur lucratif. Des #Sociétés_d’Accélération_du_Transfert_de_Technologies (#SATT) ont été créées pour accélérer ce processus dans de nombreuses universités. Plus de 250 start-ups ont été développées par le prisme de ce réseau depuis 2012. L’Union européenne n’est pas en reste dans cette stratégie de soutien massif aux « jeunes pousses ». Sa stratégie Horizon 2020, un programme de 79 milliards d’euros étalé entre 2014 et 2020, dédiait 20% de son budget à la création de start-ups. Pléthore de pays européens se tournent eux aussi vers des stratégies de numérisation de l’économie, souvent via un soutien sans faille aux start-ups. En 2012, le ministre italien de l’économie, sous le gouvernement du technocrate Mario Monti, a promulgué une loi qui a permis à l’État italien de dépenser 200 millions d’euros pour aider les jeunes entreprises du pays, dans le but de « promouvoir la mobilité sociale ». Depuis 2019, le fonds national pour l’innovation italien a dépensé 245 millions d’euros pour subventionner 480 start-ups.
    Le mythe des start-ups souveraines et créatrices d’emplois

    Si les nations européennes axent autant leurs stratégies économiques sur le développement des start-ups, c’est avant tout car cette politique permet aux États de prétendre agir dans des domaines clefs où leur incurie a mainte fois été pointée du doigt : la lutte contre le chômage de masse et la mise en place d’une souveraineté technologique.

    Nombre de médias se sont ainsi fait le relais de la start-up mania, louant la capacité de la French Tech à « créer 224.000 nouveaux emplois d’ici à 2025 » et à être le « fer de lance de l’économie ». Ces jeunes pousses permettraient de créer jusqu’à « 5,2 emplois indirects qui dépendent de [leur] activité » et d’œuvrer à la réindustrialisation de la France. Ce constat mérite pourtant d’être nuancé. Comme cela a déjà été évoqué, la start-up mania s’accompagne d’une aide inconditionnelle de l’État français par le prisme de la BPI. Pourtant, comme l’ont analysé nos confrères du Média, le bilan de l’institution est tâché de nombreux scandales. La banque, dès sa création, n’a pas été pensée comme un organisme capable de contenir et d’endiguer la désindustrialisation de l’Hexagone. M. Moscovici, alors ministre des finances, déclarait ainsi en 2012, que « la BPI n’est pas un outil défensif, c’est un outil offensif, n’en faisons pas un pompier ». L’institution est en effet souvent demeurée indifférente aux plans de licenciements et en a même favorisé certains comme le confirment les exemples des entreprises Veralia et Arjowiggins. Une loi du 23 mars 2020 a quant à elle permis d’ouvrir le conseil d’administration de l’institution à des acteurs privés, laissant une fois de plus planer le doute sur la capacité et la volonté de la banque publique d’agir pour le bien commun.

    Il est également permis de rester sceptique face à une stratégie de réduction de chômage structurelle se basant principalement sur le soutien à des start-ups qui participent à la « plateformisation » de notre économie. En proposant de mettre en contact clients et professionnels, des entreprises telles que Uber ou Deliveroo s’évertuent à détruire code du travail et régulations étatiques. Alors qu’elles sont vendues comme des instruments permettant de lutter contre le chômage, ces start-ups ne peuvent exister et espérer devenir rentables que par une grande flexibilité et en excluant leurs travailleurs du salariat. Le gouvernement socialiste espagnol vient ainsi récemment de légiférer afin de contrôler ces géants de l’économie de plateforme, permettant de conférer un statut de salarié aux livreurs qui étaient considérés comme des travailleurs indépendants. À peine la nouvelle annoncée, Deliveroo a annoncé qu’elle comptait mettre fin à ses activités dans le pays, tandis que ses concurrents Stuart, Glovo et UberEats critiquaient cette décision qui va mettre « en danger un secteur qui apporte 700 millions d’euros au PIB national ».

    En somme, la France semble avoir abandonné toute stratégie ambitieuse de réduction du chômage de masse. Plutôt que de défendre le droit de tout citoyen à obtenir un emploi, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946, l’État dépense des sommes faramineuses afin d’encourager la création d’entreprises à l’avenir très incertain. Dans cette politique qui s’apparente à un véritable choix du chômage, les citoyens sont appelés à innover alors même que les multiples causes du chômage structurelle sont éludées. Pour autant, cette incurie étatique ne date ni du quinquennat Hollande ni du mandat du président Macron : Raymond Barre déclarait en 1980 que « les chômeurs pourraient essayer de créer leur entreprise au lieu de se borner à toucher les allocations de chômage ! ».

    NDLR : Pour en savoir plus sur les choix politiques et économiques ayant conduit à un chômage de masse persistant, lire sur LVSL l’interview de Benoît Collombat par le même auteur : « Le choix du chômage est la conséquence de décisions néolibérales ».

    Outre l’argument des créations d’emplois, le soutien aux start-ups est également justifié par une nécessaire préservation de la souveraineté nationale. Dès qu’éclate en 2013 l’affaire Snowden, la préservation de la vie privée et la souveraineté technologique deviennent des préoccupations politiques majeures. Des entrepreneurs ont profité de ce phénomène pour proposer des technologies souveraines capables de réduire l’impuissance des nations européennes face à l’espionnage de masse. Les États comme la France vont alors largement baser leur politique de défense de la souveraineté nationale par un soutien massif à des start-ups.

    L’exemple de l’entreprise Qwant est sur ce point éloquent tant il permet de montrer les insuffisances et les impasses d’une telle approche. Fondée en 2011 par Jean-Manuel Rozan, Eric Léandri et Patrick Constant, l’entreprise se rêve en « Google français » en proposant un moteur de recherche souverain. Alors que la société n’est pas loin de la faillite, l’affaire Snowden lui permet de faire un large lobbying au sein des institutions françaises. Ces efforts seront rapidement récompensés puisque la Caisse des Dépôts et des Consignations investit en 2017 plus de 20 millions d’euros dans le projet tout en détenant 20% de son capital. En janvier 2020, l’État annonce même que Qwant est désormais installé sur les postes informatiques de l’administration publique. Pourtant, force est de constater que cette aide massive n’a pas permis de bâtir un moteur de recherche réellement souverain : en 2019, soit sept ans après sa création, Qwant utilise la technologie de Bing (Microsoft) dans 75% des recherches effectuées. Une note de la Direction interministérielle du numérique (DINUM) pointe également les nombreuses failles de l’entreprise, tels que les salaires mirobolants de ses dirigeants et les nombreux problèmes techniques du logiciel utilisé par Qwant, qui laissent perplexe quant au soutien massif que lui prodigue l’État. Plus largement, rien n’indique qu’une entreprise créée sur le sol français ne tombera pas aux mains de fonds d’investissements étrangers : parmi les licornes « françaises », la start-up Aircall (téléphonie via IP) est détenue à majorité par des acteurs non-français, tandis que Voodoo (jeux vidéo) a fait rentrer le géant chinois Tencent à son capital.
    Quand les start-ups remplacent l’État

    Le recours aux start-ups s’explique également par une prétendue incapacité de l’État à innover, à comprendre le marché et à « prendre des risques ». Ce mythe, pourtant déconstruit méthodiquement par l’économiste Mariana Mazzucato dans The Entrepreneurial State (paru en français en 2020), laisse penser que seul le secteur privé est capable de faire évoluer nos activités économiques et donc de créer des emplois. Comme l’analyse l’auteure, « le « retard » de l’Europe par rapport aux États-Unis est souvent attribué à la faiblesse de son secteur du capital-risque. Les exemples des secteurs de haute technologie aux États-Unis sont souvent utilisés pour expliquer pourquoi nous avons besoin de moins d’État et de plus de marché ». Nombre de start-ups se servent de ce mythe auto-réalisateur pour légitimer leur activité.

    Il est intéressant de noter que cette mentalité a également imprégné les dirigeants d’institutions publiques. Un rapport de la CDC ayant fuité en 2020 et prétendant redéfinir et révolutionner la politique de santé française chantait les louanges du secteur privé, des partenariats public-privé et de 700 start-ups de la healthtech. La puissance publique finance volontiers des jeunes pousses du domaine de la santé, à l’image d’Owkin, qui utilise l’intelligence artificielle pour traiter des données médicales, ou encore Lucine qui, grâce à des sons et des images, revendique la capacité de libérer des endorphines, de la morphine ou de l’adrénaline. La CDC détient également 38,8% d’Icade santé, un des acteurs majeurs du secteur privé et lucratif de la santé en France. De fait, les start-ups médicales s’immiscent de plus en plus au sein des institutions privées, à l’image d’Happytal, financé à hauteur de 3 millions d’euros par la BPI, qui propose à prix d’or aux hôpitaux des services de pré-admission en ligne ou de conciergerie de patients hospitalisés. Pour encourager les jeunes pousses à envahir les hôpitaux publics, la puissance publique va jusqu’à prodiguer, via un guide produit par BPI France, des conseils pour entrepreneurs peu scrupuleux expliquant comment passer outre des agents publics dubitatifs et méfiants qui ont « tendance à freiner les discussions » !

    Ainsi, comme l’analyse Mariana Mazzucato, « c’est donc une prophétie auto-réalisatrice que de considérer l’État comme encombrant et uniquement capable de corriger les défaillances du marché ». Pourtant, les start-ups ne pullulent pas uniquement grâce à ce zeitgeist favorable à l’entreprenariat, mais profitent directement de l’incapacité de l’État à fournir des services à ses citoyens, renforçant d’autant plus le mythe évoqué par Mariana Mazzucato. L’exemple de l’attribution à Doctolib du vaste marché de la prise de rendez-vous en ligne des Hôpitaux de Paris (AP-HP) en 2016 est révélateur de ce phénomène : devenu incapable de fournir un service public de prise de rendez-vous, l’État a dû confier les données de santé de millions de français à cette start-up française. La même expérience s’est répétée lors de la prise des rendez-vous de la vaccination contre le COVID-19, qui ont permis à l’entreprise d’engranger des millions de nouveaux clients sans aucune dépense de publicité.
    Vers une bulle spéculative ?

    Outre les questions que soulève le soutien massif de l’État français aux jeunes pousses du numérique, il convient également de se poser la question de la crédibilité économique de ces entreprises. En effet, il apparaît que nombre de ces sociétés participent à la financiarisation de nos activités économiques et deviennent des actifs spéculatifs et instables. Plus que de « changer le monde », un créateur de start-up recherche principalement à réaliser un « exit », c’est-à-dire à réaliser une belle plus-value via le rachat ou l’entrée en bourse de son entreprise. Dans un climat hostile et instable — on estime que seulement 20 % des jeunes pousses réussissent cet « exit » — les entrepreneurs sont poussés à dilapider le plus rapidement l’argent qu’ils ont à leur disposition. Cette stratégie, dénommée burn rate, est souvent perçue comme une perspective de croissance future par les investisseurs.

    De plus, les entrepreneurs sont souvent poussés à embellir leurs entreprises en exagérant le potentiel des services qu’elles proposent, voire en mentant sur leurs résultats, comme le montrent les exemples de Theranos (tests sanguins soi-disant révolutionnaires), Rifft (objets connectés) ou The Camp (technopôle provençal en perdition adoubé par M. Macron). Cela conduit les start-ups technologiques à avoir un ratio de valorisation sur chiffre d’affaires très élevé. Alors qu’il n’est que de 2,6 fois pour Amazon, c’est-à-dire que la valorisation boursière de l’entreprise n’excède « que » de 2,6 fois son chiffre d’affaires, ce nombre atteint plus de 50 pour certaines licornes. Pour AirBnb, la troisième licorne mondiale valorisée à 25,5 milliards de dollars, le chiffre est par exemple de 28,6. Alors que dans une entreprise traditionnelle la valeur des actions est estimée par les investisseurs en fonction de l’estimation des bénéfices futurs d’une entreprise, ce chiffre est très largement secondaire dans les levées de fonds de start-ups. Ainsi, de nombreuses licornes ne prévoient pas à court ou moyen terme de réaliser des bénéfices. L’entreprise Lyft a par exemple enregistré l’an dernier une perte de 911 millions de dollar, tandis qu’Uber a perdu 800 millions de dollars en un trimestre. On estime que sur les 147 licornes qui existent autour du globe, seulement 33 sont rentables. En somme, les investisseurs s’intéressent principalement à la capacité d’une start-up à produire une masse d’utilisateurs la plus large possible. Ce phénomène justifie des dépenses gargantuesques par ces mastodontes de l’économie de plateforme : Lyft a dépensé 1,3 milliard de dollars en marketing et en incitations pour les chauffeurs et les coursiers en 2018. Cet écosystème très instable a toutes les chances de participer à la création d’une bulle spéculative sous la forme d’une pyramide de Ponzi. En effet, si nombre de ces entreprises sont incapables à moyen terme de produire un quelconque bénéfice, que leurs actifs sont surévalués et que les règles du jeu économique poussent les entrepreneurs à dépenser sans compter tout en accentuant excessivement les mérites de leurs produits, les marchés financiers risquent de connaître une nouvelle crise technologique comparable à celle de 2001.

    La stratégie économique de soutien massif aux start-ups adoptée par l’État français s’apparente ainsi fortement à une politique néolibérale. En effet, comme ont pu l’analyser Michel Foucault et Barbara Stiegler, le néolibéralisme, loin d’être favorable à un État minimal, comme le libéralisme classique, prône l’émergence d’un État fort capable de réguler l’économie et d’adapter les masses au sens de l’évolution capitaliste ; c’est-à-dire aux besoins du marché. Ce constat conduit l’auteure d’Il faut s’adapter (Gallimard, 2019) à affirmer que « la plupart du temps les responsables de gauche caricaturent ainsi le néolibéralisme en le prenant pour un ultralibéralisme lointain […] si bien que dès qu’un gouvernement fait appel à plus l’État, ces responsables croient que ça signifie que la menace ultralibérale a été repoussée ». De fait, plutôt que de considérer de facto une politique de soutien aux start-ups comme souhaitable et efficace, il conviendrait de rester prudent vis-à-vis de ce genre d’initiative. Une telle attitude serait d’autant plus vertueuse qu’elle permettrait de comprendre que « l’économie disruptive », loin de dynamiter les codes du secteur économique, imite sans scrupule les recettes du « monde d’avant ». Les concepts flous de « start-up » ou de « technologies de ruptures » y sont les nouveaux arguments d’autorité justifiant la destruction de nos écosystèmes, la disparition des petites entreprises et des services publics et la précarisation de pans entiers de la populations.

    NDLR : Pour en savoir plus sur la différence entre libéralisme et néolibéralisme, lire sur LVSL l’article réalisé par Vincent Ortiz et Pablo Patarin : L’impératif néolibéral de « l’adaptation » : retour sur l’ouvrage de Barbara Stiegler.

    https://lvsl.fr/start-up-nation-quand-letat-programme-son-obsolescence

    #start-up #macronisme #Macron #France

    • Ces dispositions législatives permettent à des recherches menées et financées grâce à de l’argent public d’être « valorisées », c’est-à-dire en réalité privatisées, par le secteur lucratif.

      On ne saurait mieux dire...

  • Second mandat ou second empire ?

    L’annonce surprise du président Macron, d’une journée spéciale qui ravira les amateurs de mode - Sortiraparis.com
    https://www.sortiraparis.com/actualites/a-paris/articles/302151-l-annonce-surprise-du-president-macron-d-une-journee-speciale-q

    La Fashion Week de Paris est rythmée par une ribambelle d’évènements tels que les pop-up et soirées, mais aussi et surtout le fameux Dîner de la mode ! Pour sa troisième édition, le 2 octobre 2023 au Palais de l’Élysée, le président Emmanuel Macron et son épouse Brigitte ont reçu le gotha de l’industrie de la mode, des créateurs aux célébrités en passant par la presse internationale. Et, surprise ... Lors de cet évènement prestigieux, le dirigeant de l’hexagone a annoncé une grande nouvelle : la mise en place d’une journée dédiée à la mode en juin 2024.

    Anna Wintour, Olivier Rousteing, Pharrell Williams ou encore Loïc Prigent, présents au dîner, en sont témoins : la mode aura bel et bien le droit à sa journée de festivités l’été prochain ! Selon Vogue Business, le rendez-vous serait prévu pour le 23 juin 2024 et se tiendra sur la Place Vendôme. À peine un mois avant le début des Jeux Olympiques de Paris, cette journée offrira, entre autres, l’occasion d’explorer les synergies entre les mondes de la mode et du sport.

  • La bataille oubliée de Salvador Allende pour la souveraineté technologique
    https://lvsl.fr/la-bataille-oubliee-de-salvador-allende-pour-la-souverainete-technologique

    Il n’était pas le seul à penser de la sorte. Une grande hétérogénéité caractérisait l’Union populaire, cette coalition qui a dirigé le Chili pendant trois ans sous sa présidence. Dans les ministères, on croisait aussi bien des socialistes bon teint que les marxistes-léninistes du MIR (Movimiento de izquierda revolucionaria, « mouvement de la gauche révolutionnaire »). Mais s’il est un point qui faisait consensus, c’est le caractère néfaste du monopole américain sur le secteur des télécommunications au Chili.

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    LA PREMIÈRE VIE DE FIDEL CASTRO : PORTRAIT DE CUBA AVANT LA …
    En Amérique latine, la multinationale ITT (International Telephone and Telegraph, basée à Washington) est honnie, d’abord pour les tarifs abusifs qu’elle pratique. C’est en les dénonçant que le jeune avocat cubain Fidel Castro obtient une première notoriété. Mais ce n’est pas la seule raison, ni la principale. Confier un secteur aussi stratégique à des capitaux étrangers et privés, estime-t-on, nuit à la souveraineté des populations latino-américaines – et les condamne à un sous-développement chronique. Une fois élu, Allende entreprend d’exproprier ITT. Une lutte souterraine s’engage.

    Ainsi, Allende tente d’attirer des ingénieurs du monde entier afin de poser les fondements d’un système de télécommunications qui permettrait au Chili de se passer des brevets et infrastructures fournis par Washington. Parmi eux, l’excentrique britannique Anthony Stafford Beer, versé dans la cybernétique. Avant les tristement célèbres Chicago boys, d’autres contingents internationaux ont cherché à bouleverser l’organisation sociale du pays : les Santiago boys.

    DE L’ÉCONOMIE DE GUERRE CIVILE À LA PLANIFICATION ?
    C’est lors de la grève des camionneurs que le projet Cybersyn révèle son utilité. En 1972, le pays manque d’être paralysé : sous l’impulsion du mouvement d’extrême droite Patria y libertad et de la CIA, les conducteurs routiers se livrent à une obstruction des voies publiques. En face, les militants du MIR tentent de faire échouer le mouvement et d’assurer autant que possible la normalité des échanges.
    L’outil des Santiago boys permet alors de faire état, en temps réel, de la situation des uns et des autres : les entreprises dont les routes sont bloquées, celles dont les routes sont libres, les entreprises en pénurie, celles qui sont en excédent, peuvent être mises en rapport. On espère ainsi mettre en échec l’asphyxie de l’économie souhaitée par les grévistes. Bien sûr, Cybersyn demeure encore embryonnaire.
    Mais l’idée fait son chemin : ce mode de coordination, si prometteur en temps de guerre civile, ne pourrait-il pas être généralisé en temps de paix ? Si l’ensemble des entreprises du pays étaient connecteés au telex, elles pourraient faire état, en temps réel, de leurs intrants et de leurs extrants. Il serait alors possible d’agréger ces données, d’établir des régularités, et de repérer (avant même que les agents en aient conscience) les éventuels problèmes dans le processus de production.

    Le podcast de Morozov offre une plongée dans les canaux souterrains du coup d’État de 1973, avec une précision chirurgicale. Il dévoile à quel point les réseaux de communication abandonnent leur apparente neutralité sitôt que la situation politique se tend, pour devenir des armes de guerre – aux côtés de la finance ou de l’armée.
    On ne peut s’empêcher d’effectuer un parallèle avec la situation présente – et de contraster le volontarisme politique de l’Union populaire chilienne avec l’atonie d’une grande partie de la gauche contemporaine. Quant l’une tentait de se débarrasser d’ITT, l’autre semble paralysée face aux GAFAM – quand elle n’y est pas totalement indifférente.
    Les multiples affaires d’espionnage du gouvernement américain sur ses homologues européens, permises par leur suprématie technologique, n’ont soulevé qu’une faible indignation. L’affaire Pierucci, qui a vu un cadre français d’Alstom arrêté par le Department of Justice (DOJ) des États-Unis, puis condamné sur la base de messages échangés via Gmail (à laquelle le DOJ avait bien sûr accès), n’a jamais réellement mobilisé la gauche française. Et face au Cloud Act voté sous le mandat de Donald Trump, qui officialise le droit pour les États-Unis de violer la confidentialité des échanges si leur intérêt national le leur intime, la gauche européenne est surtout demeurée muette.
    On objectera avec raison que les Big Tech américaines présentent des défis autrement plus importants que les multinationales de la télécommunication d’antan. Mais qui pourra dire que l’expérience de l’Unité populaire face à ITT n’est pas riche d’enseignements pour le présent ? Et que le dédain d’une partie de la gauche française pour toute forme de souveraineté numérique ne constitue pas un problème majeur ?

    #Cybersin #Géopolitique_technologie

  • Comment le yoga façonne l’être néolibéral
    https://lvsl.fr/comment-le-yoga-faconne-letre-neoliberal

    Qu’il soit pratiqué dans une salle de sport, devant ses followers Instagram, seul sur son tapis ou même en entreprise, le yoga n’en finit pas de séduire de nouveaux adeptes. En vendant la découverte d’un « soi » intérieur et en promettant d’aider à atteindre une forme de perfection spirituelle et physique, il offre à des millions de personnes l’espoir d’une vie saine et pleinement épanouie. Un horizon que la société ne paraît plus capable d’apporter depuis longtemps. Mais pour Zineb Fahsi, professeure de yoga, cette quête d’un « meilleur soi » n’est rien d’autre qu’une façon de faire accepter son sort à l’individu néolibéral, tout en l’appelant à se dépasser, en particulier au travail. Dans son livre Le yoga, nouvel esprit du capitalisme (éditions Textuel, 2023), elle explique comment cette pratique hindoue a été transformée en vulgaire développement personnel. Extraits.

    « Manger équilibré, faire du yoga… Même enfermés, on n’aura donc jamais la paix ? » Cet article exaspéré de la journaliste Barbara Krief, est publié sur le site de Rue89 en avril 2020, après les quinze premiers jours du premier confinement en France suite à la pandémie de Covid-19. Soulignant la multiplication des injonctions à « profiter » du confinement, à le considérer comme une opportunité pour tendre vers un meilleur soi et apprendre de nouvelles compétences, bref, à faire du confinement un moment productif et épanouissant, cet article est révélateur de la prééminence de la culture du perfectionnement de soi, quelles que soient les circonstances, et bien souvent au mépris de celles et ceux qui n’ont pas le luxe de pouvoir s’adonner au souci de soi. Comme en écho à cet article, une coach new age et professeure de yoga très suivie sur les réseaux sociaux a récemment partagé sur son compte Instagram le faux dialogue suivant : « Moi : “Utilises-tu la crise mondiale actuelle comme un catalyseur pour te propulser vers la meilleure version de toi-même jamais atteinte ?” – Eux : “Non.” – Moi : “Ça serait plus cool que tu le fasses.” » Les discours d’auto-perfectionnement sont donc omniprésents dans le milieu du yoga et constituent son nouveau but : devenir une meilleure personne, atteindre une meilleure existence ici-bas par le développement de son plein potentiel, par le biais d’exercices physiques et d’une transformation psychique.

    Le narcissisme et la compétition, moteurs de la dépression

  • Niger : les pièges de l’interventionnisme
    https://lvsl.fr/niger-les-pieges-de-linterventionnisme

    Pour justifier son droit à intervenir au Niger afin d’y rétablir le président Mohamed Bazoum, la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) fait fi de la complexité de la situation. Une armée étrangère, loin d’être accueillie à bras ouverts par les Nigériens, sera perçue comme une menace pour leur auto-détermination. À Niamey, les officiers au pouvoir s’appuient quant à eux sur l’insatisfaction générée par la présidence de Mohamed Bazoum. Élu en 2021 suite à un scrutin contesté, il est perçu comme excessivement proche du pouvoir français. La voie de l’intervention militaire pour lui permettre de reprendre les rennes du pays ne fera que radicaliser les soutiens au putsch. C’est l’analyse d‘Aoife McCullough – doctorante à la London School of Economics – et d’Aziz Garba – doctorant à l’Université catholique de Louvain -, dans un article originellement publié sur Afrique XXI.
    https://afriquexxi.info/Au-Niger-le-pari-risque-de-la-Cedeao

    • Pour l’historienne Camille Lefebvre, l’occupation coloniale française du #Niger à la fin du XIXe siècle est primordiale pour comprendre le ressentiment des Nigériens à l’égard de la France, même s’il est instrumentalisé par les militaires putschistes.

      « Certains s’interrogent sur le pourquoi du ressentiments des populations du Niger à l’égard de la France. Une partie de ses raisons se trouve dans la violence de l’occupation coloniale dans cette région.
      Comprendre cette histoire est aujourd’hui nécessaire.
      Merci à Fayard d’en rendre accessible gratuitement l’introduction et le premier chapitre à ce lien liseuse-hachette » Camille Lefebvre

      https://www.liseuse-hachette.fr/?ean=9782213719610


      Camille Lefebvre nous immerge dans les premiers temps de la colonisation et redonne vie aux mondes qui s’enchevêtrent alors, pour nous aider à saisir comment s’est peu à peu construite la domination coloniale.
      Au début du xxe siècle, quatre-vingts militaires français accompagnés de six cents tirailleurs envahissent deux puissantes villes du Sahara et du Sahel. La France, comme plusieurs autres pays européens, considère alors les territoires africains comme des espaces à s’approprier. Elle se substitue par la force aux gouvernements existants, au nom d’une supériorité civilisationnelle fondée sur le racisme.
      Depuis le cœur de ces deux villes, grâce à une documentation exceptionnelle, Camille Lefebvre examine comment s’est imposée la domination coloniale. Militaires français, tirailleurs, mais aussi les sultans et leur cour, les lettrés et les savants de la région, sans oublier l’immense masse de la population, de statut servile ou libre, hommes et femmes : tous reprennent vie, dans l’épaisseur et la complexité de leurs relations. Leur histoire révèle la profondeur des mondes sociaux en présence ; elle retisse les fils épars et fragmentés des mondes enchevêtrés par la colonisation.
      Les sociétés dans lesquelles nous vivons, en France comme au Niger, sont en partie issues des rapports de domination qui se sont alors noués ; s’intéresser à la complexité de ce moment nous donne des outils pour penser notre présent.

      « Ce que dit Camille Lefebvre sur l’empreinte indélébile de la violence colonisatrice au Niger s’observe dans toutes les anciennes colonies, par exemple en Algérie. L’histoire n’en sera "apaisée" que lorsque la France l’aura reconnue et regrettée solennellement. Et réparée. »

  • Oppenheimer : le spectacle de la fin du monde
    https://lvsl.fr/oppenheimer-le-spectacle-de-la-fin-du-monde

    À l’occasion de la sortie en salles d’Oppenheimer, le réalisateur Christopher Nolan a précisé ses intentions à la presse : mettre en évidence la nouveauté radicale du monde produit par la bombe, au sein duquel l’humanité est désormais capable de s’autodétruire. Le film espère ainsi susciter chez les spectateurs un sens fugace de la « responsabilité » et raviver les inquiétudes concernant la prolifération des armes nucléaires. Une préoccupation d’actualité, au regard de la poursuite du conflit russo-ukrainien, et dont la pertinence aurait pu être assurée, si la caméra de Christopher Nolan avait fait preuve de davantage d’inventivité. Malgré une esthétique recherchée, Oppenheimer s’en remet pourtant aux poncifs individualistes de la narration hollywoodienne et n’hésite pas à sacrifier la métaphysique de la bombe à l’industrie culturelle américaine.

    L’impossible biopic de la bombe

    Si le film avait suivi sa prétention de placer en son centre l’inhumanité de l’arme nucléaire, on aurait pu imaginer, en toute hypothèse, le personnage du scientifique s’effaçant derrière ce produit technique ultime qui s’est incarné sous la forme d’une bombe. Une telle potentialité technologique s’accommodait cependant mal d’un genre comme le biopic, qui s’intéresse aux créateurs plutôt qu’aux créations, tout en perpétuant certains canevas bien connus à Hollywood. On peut l’expliquer en revenant à la construction de l’image médiatique du « géant de la science » dont Einstein avait déjà fait les frais : c’est l’image, telle que décrite par le philologue russe Mikhaïl Bakhtine, d’un original absolu, mauvais élève par excellence et manifestant son exubérance par quelques manies iconiques. Le scientifique selon Hollywood exhibe souvent de telles excentricités qui doivent extérieurement le distinguer du commun ; inadaptation sociale, singularité d’apparence ou attitudes intempestives sans lesquels il est impensable qu’il pût jamais inventer quoi que ce soit. C’est que les « génies » ne demeurent cinématographiquement dignes d’intérêt que s’ils agissent en impulsifs introspectifs.

  • “Je ne dors plus” : la fin du revenu de citoyenneté sème la confusion en Italie
    https://www.courrierinternational.com/article/pauvrete-je-ne-dors-plus-la-fin-du-revenu-de-citoyennete-seme

    La droite italienne estime que la disparition du revenu de citoyenneté a pour but de lutter contre “l’assistanat”. Une femme à Naples, le 10 juillet 2023. Photo Ciro De Luca/REUTERS
    [ Mention spéciale au service icono pour cette photo bien pourrie ! ]

    À partir du 1er août, environ 169 000 familles transalpines cesseront de percevoir l’aide sociale destinée aux plus démunis. Si la mesure avait été annoncée il y a plusieurs mois par le gouvernement conservateur, la transition vers un nouveau système suscite de nombreuses de polémiques.

    Le témoignage de Barbara, relayé par Avvenire, symbolise la détresse à laquelle font face certaines personnes ces derniers jours. “Jeudi après midi, j’ai reçu un SMS qui m’informait que mon revenu de citoyenneté serait suspendu à partir du 1er août, raconte au quotidien catholique cette femme de 35 ans. J’ai pensé à une erreur, mais on m’a dit que seules les personnes avec des fils mineurs ou avec un handicap bénéficieront dans le futur d’une mesure similaire. Pour ma part, je vais recevoir des informations pour poursuivre un parcours d’insertion au travail [elle est actuellement au chômage], mais je ne sais pas quelle indemnité je vais recevoir et quand. Depuis deux jours, je ne dors plus. Ma première pensée a été le loyer. Je ne peux pas me permettre de ne pas payer.”

    https://jpst.it/3j_gd