« Qu’est-ce qu’une #dette, en fin de compte ? Une dette est la perversion d’une promesse. C’est une promesse doublement corrompue par les mathématiques et la violence. »
De la #monnaie grecque (Classical Numismatic/CC)
Et ce passage de la promesse à sa perversion commence avec les pièces de monnaie.
La différence entre le #crédit et la monnaie sonnante et trébuchante, c’est que les pièces peuvent êtres volées et personne ne demandera d’où elles viennent.
A la taverne du coin, la soldatesque aura du mal à faire accepter une ardoise. Si elle tend du flouze, le patron sera moins réticent. En temps de guerre, la confiance se fait rare, le crédit aussi. Les pièces de monnaie sont apparues dans le sillage des soldats.
Pour Graeber, le processus est simple :
pour nourrir une armée, il faut que les #soldats puissent acheter avec des pièces de la boustifaille sur des marchés ;
pour cela, il faut créer des marchés – où les soldats pourront acheter des poules, des fruits, des légumes ;
ce que font les conquérants en exigeant que les #taxes soient payées en pièces métalliques. L’or et l’argent étant acquis par la guerre, extraits des mines par des esclaves et distribués aux soldats ;
pour obtenir ces pièces et payer les taxes, les peuples « occupés » sont donc forcés de vendre leurs poules, fruits et légumes aux #militaires ;
bingo.
Du coup, les #historiens font valser les périodes :
en temps de paix, c’est la monnaie virtuelle qui prédomine (la confiance règne, on se fait crédit) ;
en temps de #guerre, la monnaie « en dure » fait la loi (on préfère des pièces à une promesse).
Les bons du Trésor américain, « un tribut impérialiste »
L’#anthropologue va plus loin :
« De fait, on pourrait interpréter l’ensemble de l’#Empire romain à son apogée comme une immense machine à extraire des métaux précieux, à les transformer en pièces de monnaie et à les distribuer à l’armée – tout en encourageant les populations conquises, par des politiques fiscales, à utiliser ces pièces dans leurs transactions quotidiennes. »
Plus près de nous, la #Banque d’Angleterre a été créée lorsqu’un consortium de quarante marchands de Londres et d’Edimbourg a offert au roi Guillaume III un prêt de 1,2 million de livres pour l’aider à financer sa guerre contre la France.
Bref, la monnaie – et la dette – auraient toujours à voir avec la violence et l’esclavage. Et Graeber de souligner, perfide, que les « bons du Trésor » émis par les Etats-Unis sont achetés par les pays placés sous leur protection militaire. Ne peut-on pas parler de « tribut » ?
« Le système de bons du Trésor américain, par exemple, est un tribut impérialiste. Pendant la guerre froide, les Etats qui ont acheté la dette américaine n’étaient autres que l’Allemagne de l’Ouest, le Japon, la Corée du Sud, les pays du Golfe, tous sous protection américaine. A plusieurs reprises, l’Allemagne a essayé de se désengager de cette dette et, à chaque fois, les #Etats-Unis ont menacé de retirer leurs troupes de l’Allemagne de l’Ouest. Les bons du Trésor sont en réalité un impôt indirect qui finance le budget du Pentagone. »
Au commencement, le troc. Au cœur de l’économie se nicherait un « penchant naturel à tous les hommes » qui « les porte à trafiquer, à faire des trocs et des échanges ». Le postulat d’#Adam_Smith est devenu une vérité acceptée.
Selon cette thèse, la monnaie naît des difficultés pratiques posées par le troc. Si tu n’as pas besoin d’une vache en échange de tes poulets, je te les paie avec des pièces.
Le crédit se développerait en dernier. Après le troc et la monnaie.
« Historiquement, les marchés commerciaux sont nés du vol »
Sauf que, selon #David_Graeber, c’est bidon. Personne n’a jamais vu une #société fonctionner ainsi. Les #échanges se font d’abord entre voisins. Les gens se connaissent, se font confiance. « Prends la vache si tu la veux ! » Même si c’est un non-dit, celui qui repart avec le bovidé sait qu’il en doit une à son voisin. Le crédit apparaît en premier. Vient ensuite la monnaie.
Alors pourquoi les #économistes s’entêtent selon Graeber ?
« L’inlassable récitation du mythe du troc, utilisée comme une incantation, est avant tout pour les économistes une façon de conjurer le risque de devoir regarder en face cette réalité. [...] Historiquement, les marchés commerciaux sont nés du vol. »
Schématisons. Pour Graeber, c’est l’#esclavage, puis le #monnayage, qui en arrachant les personnes et les objets à leur contexte ont participé à faire émerger l’idée d’un #marché impersonnel traversé de rapports froids et mathématiques.