• Une jeunesse allemande / Entretien de Jean-Gabriel Périot (avec Alain Brossat) « Le silence qui parle
    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/10/16/une-jeunesse-allemande-entretien-de-jean-gabriel-periot-ave

    Dès les premières images de ton #film, on mesure à quel point les événements et les personnages qui y sont évoqués se sont éloignés de nous. Ce n’est pas seulement la question du « temps qui passe » – c’est que, distinctement, nous ne sommes plus dans la même époque que les activistes de la #Fraction_Armée_Rouge et le milieu dont ils émanent. Ce n’est pas exclusivement un enjeu de pratiques politiques, mais aussi bien, de sensibilité historique, de conduites sociales, de culture des corps (tabagisme et révolution, révolution et cheveux longs.)… Je me demandais si le choix que tu as fait de ne construire ton film qu’autour de documents d’#archives, en bannissant notamment les témoignages de contemporains de ces événements avait pour vocation d’entériner cet effet d’éloignement – ou bien si, au contraire, à travers la présentation de l’archive, tu incites le spectateur à chercher dans cette scène dramatique de l’Allemagne des années 1970, des pistes conduisant à notre propre actualité ? 

    Il me semble que le film appartient, sans que cela soit contradictoire, à deux temps distincts : un #passé effectivement révolu dont presque tout nous sépare, et notre propre #présent. Cet effet de balancement s’ancre en effet dans le choix d’utiliser uniquement des archives contemporaines de l’histoire en train de se dérouler, sans interview, voix-off ou commentaire rajouté. Généralement quand un film utilise des archives, il y a toujours un narrateur (interviewé ou commentateur) qui a pour rôle d’expliquer, de contextualiser, mais finalement aussi, d’inscrire les archives dans un temps passé et révolu. Pourtant les images d’archive en elles-mêmes sont toujours au « présent de l’indicatif » : elles racontent ou montrent ce qui est en train de se passer au moment où elles sont filmées. Dans mon film, en enlevant tout commentaire contemporain, je fais en sorte que les archives restent au « présent », et le film se déroule comme se déroule un film de fiction : on suit une histoire en train de se raconter, on regarde les personnages évoluer de manière presque « indépendante » (et ce même si certains spectateurs connaissent en partie les événements dont le film traite).
    Une autre raison de ce mouvement de bascule entre le passé et le contemporain est que je fais ce film depuis #aujourd’hui. Si j’ai décidé de faire un film sur cette histoire passée, c’est qu’elle me renseigne sur l’époque dans laquelle je vis. Une jeunesse allemande n’a jamais eu la prétention de raconter in extenso l’histoire de la RAF, ce qui est d’ailleurs impossible. Il est évident que les choix que j’ai opérés dans cette matière très riche proviennent de ce que tel ou tel épisode de cette #histoire ou que telle ou telle archive me touchait ou m’interrogeait plus que d’autres. Il me semble que c’est parce que j’ai assumé ma propre subjectivité que ce film peut jouer en même temps sur deux temps différents.
    Ensuite, chaque spectateur s’empare à son tour du film avec sa propre subjectivité, avec des savoirs et des opinions politiques différentes et il va ressentir différemment que d’autres spectateurs ou différemment de moi ce qui relèverait d’un temps révolu ou ce qui fait écho avec aujourd’hui.

    Bande annonce
    https://www.youtube.com/watch?v=ueEKLDIhb2U

    Une présentation
    http://www.dailymotion.com/video/x2k46l9

  • Vandales et migrants – inhospitalité contemporaine / Alain Brossat « Le silence qui parle

    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/10/01/vandales-et-migrants-inhospitalite-contemporaine-alain-bros

    via @isskein et @cie813 à qui je dis merci

    os philosophes sont vraiment de grands enfants. Ils ont fait de l’hospitalité, motif enchanté par excellence, un de leurs motifs de prédilection – Nancy, Derrida, Schérer - Je sens que Badiou lui-même ne va pas tarder à s’y mettre… Mais pourquoi ériger l’hospitalité à la dignité du concept plutôt que son contraire, l’inhospitalité, le refus d’hospitalité ou bien encore l’hospitalité feinte, plus ou moins traîtresse qui, pourtant, dans la vie des sociétés et dans l’histoire, se rencontre de manière bien plus courante ?

    La première chose que doit bien admettre le sujet éthique contemporain, lorsqu’il prend acte de ce que l’hospitalité a, à rigoureusement parler, un pacte avec l’infini, je veux dire qu’elle se doit, pour faire vraiment sens, d’être inconditionnelle, c’est ceci : elle ne saurait, pour ce qui le concerne, lui, elle, constituer une norme de conduite, elle est vouée, pour lui, pour elle, à demeurer un « cristal », un idéal impraticable, une idéalité teintée de sublime – lequel/laquelle d’entre nous est prêt à ouvrir toutes grandes les portes de son petit chez soi au premier inconnu venu, ceci sans condition aucune ?

    #migration #asile #réfugiés

  • Vandales et migrants – inhospitalité contemporaine / Alain Brossat, « Le silence qui parle
    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/10/01/vandales-et-migrants-inhospitalite-contemporaine-alain-bros

    L’une des raisons pour lesquelles la philosophie « cale » sur le sujet de l’#inhospitalité est sans doute que celle-ci, dans les sociétés contemporaines, ne saurait être une affaire privée, qu’elle est le fait, massivement, des #Etats en premier lieu. Autant, à rigoureusement parler, on ne peut pas demander à des Etats de pratiquer l’hospitalité, celle-ci étant inconditionnelle et infinie, ce qui heurte de front toute espèce de rationalité gouvernementale, autant donc on doit établir une distinction conceptuelle claire et nette entre pratique de l’hospitalité et respect des droits humains – autant on est en droit aujourd’hui de s’étonner de ce prodige : s’il est avéré que l’hospitalité ne saurait se convertir en #politique, à proprement parler, il apparaît en contrepartie que l’inhospitalité, elle, peut être une politique, et elle le peut tellement qu’elle est devenue, jusqu’à quelques relatifs et tout provisoires retournements récents, la loi d’airain des politiques européennes face aux étrangers précaires, aux #migrants et demandeurs d’asile.
    La philosophie se sent à l’aise avec l’hospitalité dans la mesure où celle-ci est quelque chose qui se joue entre les hommes et les dieux, soit des objets familiers à sa grande tradition – ce n’est pas pour rien que René Schérer a titré son beau livre sur l’hospitalité Zeus hospitalier. La philosophie d’orientation éthique a beaucoup plus de mal avec la #critique_de_l’Etat. Or, parler de l’inhospitalité contemporaine, c’est parler de l’Etat en premier lieu, et, au sens que Foucault donne à cette expression, du #gouvernement_des_vivants.

  • Espagne : « C’est une vague de soulèvements qui commence » / Entretien avec Paul B. Preciado « Le silence qui parle
    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/05/28/espagne-cest-une-vague-de-soulevements-qui-commence-entreti

    Le philosophe Paul B. Preciado, figure des queer studies, est un observateur enthousiaste des mutations politiques de l’Espagne. Après la victoire de plusieurs candidatures citoyennes et « indignées » aux municipales, en particulier à Barcelone, l’un de ses lieux d’attache, l’auteur de Testo Junkie (Grasset, 2008) revient sur la genèse de ces #mouvements inédits, qui « repolitisent les classes moyennes appauvries par la crise » et rompent avec une culture politique née de la transition post-franquiste.

    Qu’est-ce qui vous séduit le plus, dans la plate-forme citoyenne qui a remporté les élections dimanche à Barcelone ?

    Je trouve tout excitant. Ce sont des partis politiques nouveaux, qui ne reproduisent pas la structure des professionnels de la politique, qui n’ont ni l’argent, ni les réseaux des partis « installés ». Dans la victoire d’#Ada_Colau, il y a plusieurs choses qui ont compté, et qui sont assez extraordinaires. D’abord, la mobilisation des classes moyennes appauvries, précarisées par la crise après 2008. Cette #politisation est le résultat d’un travail extraordinaire, mené par Ada Colau et la PAH [la #plateforme_anti-expulsions immobilières lancée en 2009 en Catalogne – ndlr] qui a su élargir cette expérience et sa force de transformation au-delà de ce réseau d’activistes.

    Avec la PAH, on touche à la question du logement, de l’habitat, de la survie, de la vulnérabilité du corps. La PAH a su organiser la #vulnérabilité pour la transformer en action politique. La comparaison est trop forte, mais pour moi, il s’est passé un tout petit peu quelque chose comme les luttes pour les malades du sida dans les années 80. Cela a servi de levier pour repolitiser toute une classe qui traversait une énorme dépression politique. La capture des désirs par le #capitalisme_néolibéral produit une #déprime_collective, qui s’exprime sous la forme d’une #dépolitisation totale. En inventant des techniques politiques nouvelles, comme le scratche , Ada Colau et d’autres ont réenchanté le domaine de la politique. C’est sans doute ce qu’il y a de plus beau dans leur victoire. Les corps sont sortis dans les rues, et la #ville entière a été repolitisée par leur présence.

    #précarisation

  • Feu la gauche et l’infini planétaire / revue Exemple
    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/04/03/feu-la-gauche-et-linfini-planetaire-revue-exemple

    (...) Parce que la gauche est incapable de se référer à un point – au moins un point – révolutionnaire. Ce point #révolutionnaire a conditionné le discours et les pratiques de ce qu’on pourrait nommer la gauche officielle. Par gauche officielle, entendons celle qui, croyant aux vertus de la représentation, et cherchant l’accès au pouvoir par des moyens formellement démocratiques, considérait que l’élan révolutionnaire devait être freiné pour être réalisé. Ce frein a porté le nom de réforme. Là où la #pensée révolutionnaire visait la vitesse infinie d’un changement absolu de la réalité sociale, la pensée réformiste de la gauche officielle consistait à modifier le régime de vitesse du changement et son ampleur. Ne devait être sujet à la transformation sociale non la société tout entière, mais seulement tel ou tel de ses aspects (le domaine de la santé, celui du droit du travail, etc.).

    Or une fois le point révolutionnaire abandonné, le #contrôle #politique de la vitesse organisé par la #gauche officielle change d’objet. Au lieu de ralentir la révolution, l’enjeu devient : ralentir les effets destructeurs du capitalisme. Non pas le capitalisme lui-même (les privatisations, la financiarisation de la vie, l’extraction destructrice des ressources énergétiques, etc.), qui devient l’incarnation du changement à vitesse infinie que la gauche relaie sans frottements et souvent initie, mais ses soi-disant dommages collatéraux (la pollution, la désaffection psychique et sociale, etc.). Les réformes ne consistent plus à différer la révolution, mais la catastrophe. Ces réformes se transforment dès lors en normes temporaires, par exemple diminuer la vitesse sur les routes en cas de « pics » de pollution – en ne voyant pas que la baisse tendancielle de la vitesse a pour horizon une immobilisation des voitures qui ne modifierait en rien les causes structurelles de l’asphyxie écologique.

    Cette situation a longtemps été délicate pour la gauche officieuse qui avait su garder un goût pour la justice. Elle ne croyait certes pas à quelque révolution, mais elle refusait de s’en tenir au seul traitement normatif des dégâts du capitalisme ; elle votait à reculons pour la gauche officielle, et finissait parfois par s’abstenir – à reculons. Mais à la faveur de la dissolution du point révolutionnaire, un autre aspect de la réalité sociale a pris lentement corps, jusqu’à devenir prédominant, et nourrir l’hégémonie discursive des droites extrêmes : les questions identitaires. Ces questions ont pris un tournant dramatique après les massacres de janvier. Lors des journées qui ont suivi ces massacres ont eu lieu de grands rassemblements de deuil qui n’étaient pas forcément politiques ; et certains ont eu raison d’en indiquer le caractère anthropologique et affectif. Mais l’on n’est pas maître de la destinée politique d’un moment anthropologique : la nature empirique de ces rassemblements massifs – près de 4 millions de personne le 11 janvier – s’est cristallisée en socle transcendantal, donnant l’assise à des transformations de la psychè collective française dont on ne peut pas encore mesurer tous les aspects. A cette sanglante occasion, la gauche officieuse semble s’être débarrassée du fantôme de la réforme qui était encore hantée par le fantôme de la révolution. Désormais, le combat est devenu clair : sauver l’identité française. Sa république, sa laïcité, ses traditions ; son impertinence sans limite, son nationalisme goguenard, sa franche cécité citoyenne aux gens de couleur.

    Désormais, l’ennemi n’est plus le #capitalisme, mais l’islam – un #islam toujours sur le point de s’ajouter un -isme. Contre celui-ci, il faut la république indivisible, identique à elle-même, ancrée dans son passé – une #identité nationale, courageusement patriotique, purement de souche, que le monde entier nous jalouse. Nous, républicains français, nationaux égaux entre nous, sauront sauver les hommes et les femmes de couleur de leurs traditions oppressives. Tradition contre tradition. Identité contre identité.(...)

    Revue #Exemple
    http://www.editions-nous.com/exemple/index.html

    • Rancière : « Les idéaux républicains sont devenus des armes de discrimination et de mépris »
      http://bibliobs.nouvelobs.com/essais/20150403.OBS6427/jacques-ranciere-les-ideaux-republicains-sont-devenus-des-armes-

      la liberté d’expression est un principe qui régit les rapports entre les individus et l’Etat en interdisant à ce dernier d’empêcher l’expression des opinions qui lui sont contraires.

      Or, ce qui a été bafoué le 7 janvier à « Charlie », c’est un tout autre principe : le principe qu’on ne tire pas sur quelqu’un parce qu’on n’aime pas ce qu’il dit, le principe qui règle la manière dont individus et groupes vivent ensemble et apprennent à se respecter mutuellement.

      Mais on ne s’est pas intéressé à cette dimension et on a choisi de se polariser sur le principe de la liberté d’expression. Ce faisant, on a ajouté un nouveau chapitre à la campagne qui, depuis des années, utilise les grandes #valeurs_universelles pour mieux disqualifier une partie de la #population, en opposant les « bons Français », partisans de la République, de la laïcité ou de la liberté d’expression, aux immigrés, forcément communautaristes, islamistes, intolérants, sexistes et arriérés. (...)

      On nous dit que le Front national s’est « dédiabolisé ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’il a mis de côté les gens trop ouvertement racistes ? Oui. Mais surtout que la différence même entre les idées du FN et les idées considérées comme respectables et appartenant à l’héritage républicain s’est évaporée.

      #Jacques_Rancière #disqualification #universalisme_confisqué_et_manipulé #intellectuels #gauche #FN

    • Euh, bon, pourquoi pas, rien n’oblige à une lecture bienveillante. Il me semble quand même que dire comme le fait Exemple que l’on passe de l’empirie au transcendantal, du phénomène anthropologique à l’institution d’une forme de pensée normative, à une loi du groupe, de la société, ce n’est pas tout à fait rien, et pas tout à fait inutile pour comprendre les surenchères administratives, policières judiciaires et sociels sur « l’apologie de terrorisme », par exemple.
      Il n’est pas tout à fait périmé non plus de prendre la gauche telle quelle se donne, axée sur des questions #identitaires.

  • Les schizoanalyses / Félix Guattari, revue Chimères n°1, 1987, Le silence qui parle
    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/03/12/les-schizoanalyses-felix-guattari

    Les formes archaïques d’énonciation reposaient, pour l’essentiel, sur la parole et la communication directe, tandis que les nouveaux agencements ont de plus en plus recours à des flux informatifs médiatiques, portés sur des canaux de plus en plus machiniques (les machines dont il est ici question n’étant pas seulement d’ordre technique mais aussi scientifiques, sociales, esthétiques, etc.) qui débordent de toutes parts les anciens #territoires_subjectifs individuels et collectifs. Alors que l’#énonciation territorialisée était logocentrique et impliquait une maîtrise personnalisée des ensembles qu’elle discursivait, l’énonciation déterritorialisée, qui peut être qualifiée de machino-centrique, s’en remet à des mémoires et à des procédures non humaines pour traiter des complexes sémiotiques échappant, pour une très large part, à un contrôle conscientiel direct.

    On trouve bon nombre des articles de #Félix_Guattari publiés dans Chimères là :
    http://www.revue-chimeres.fr/drupal_chimeres/?q=taxonomy_menu/3/236

  • Avec Jean Oury. Vivre avec la folie / #Revue_Chimères n°84 - Le silence qui parle
    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/02/19/vivre-avec-la-folie-olivier-apprill-edito-de-la-revue-chime

    « Refaire le #club_thérapeutique, tout le temps. » Cette petite phrase de #Jean_Oury, extraite d’un dialogue avec Danielle Sivadon en 2004 (1), aurait pu être prononcée au printemps dernier comme il y a cinquante ans. Elle exprime une constance mais aussi une exigence : donner du #pouvoir aux malades, créer de la responsabilité, du #mouvement, du #possible. C’est à ces tâches essentielles que le fondateur de la #clinique psychiatrique de La Borde se consacrait encore quelques jours avant sa mort, le 15 mai dernier, à l’âge de 90 ans.

    Rendre hommage à celui que ses pairs considèrent comme l’un des meilleurs connaisseurs de la #psychose, c’est d’abord prendre la mesure de cette passion médicale (2) qui voit en chaque individu, plus ou moins fou, un sujet à part entière. C’est surtout honorer un engagement au jour le jour, une disponibilité, une présence confondue avec l’accueil permanent de l’autre.

    Jean Oury n’a jamais cessé de l’affirmer : dans l’abord de la #folie, le plus petit détail, un simple geste ou un sourire peuvent avoir une valeur inestimable. Ce souci de l’#ambiance, ces paroles qui soignent, cet humour, cette bienveillance, ces moments féconds au cours desquels une existence parfois bifurque constituent l’arrière-fond sensible dont ce numéro de Chimères se veut l’écho, nourri d’expériences, de témoignages et de récits souvent placés sous le signe d’une « vraie rencontre ». Une sorte de #constellation affective où les voix de plusieurs générations de patients, de « psychistes », d’artistes, d’amis proches ou de compagnons de route se mêlent pour composer un portrait multiple, polyphonique, de l’homme qui a tracé « son chemin en marchant » et su s’adresser, avec une qualité de parole incomparable, à ce qu’il y a de plus #singulier en chacun.

    En soutenant l’hypothèse que l’hôpital peut devenir un instrument thérapeutique et que la folie est aussi #création, Jean Oury abroge toutes les formes de ségrégation et tout réductionnisme de la maladie mentale. Autant de révolutions partagées au long de son parcours commun avec son ami #Félix_Guattari : la machine bicéphale Oury-Félix occupe une place privilégiée dans ce numéro de Chimères. Un agencement foisonnant, tour à tour créateur et conflictuel, qui constitue le caractère le plus visible de cette amitié – terme sans doute à entendre ici dans le sens d’une « condition pour l’exercice de la pensée » (3). Pensée en extension chez l’un, locale et intensive chez l’autre, dont la complémentarité aura permis d’instituer un milieu et un lieu « qui n’en a jamais fini de se construire » (4).

    Ce #lieu de #soin, bien réel et pourtant toujours à venir, Jean Oury en a lui-même élaboré la formule logique, la topique, dans son concept princeps de « collectif ». Réussir à déchiffrer ce qui se passe dans la vie quotidienne, sur le terrain, au travail, entre les gens, afin qu’une organisation d’ensemble puisse tenir compte du #désir_inconscient, est au principe même d’une « #psychiatrie_concrète » (autre nom de la #psychothérapie_institutionnelle) pour laquelle le médecin directeur de #La_Borde a oeuvré sans relâche.

    Tel est peut-être l’un des legs les plus manifestes de Jean Oury aux pensées qui n’ont pas renoncé à transformer l’état des choses. Un legs clinique, philosophique, politique, poétique, #éthique, dont la « valeur humaine » imprègne toutes les pages qui suivent. Accueillir, soigner, penser, vivre avec la folie : la contingence, une vie…

    Olivier Apprill
    Vivre avec la folie / 2015
    Édito du n°84 de la revue Chimères : Avec Jean Oury

    Numéro dirigé par Olivier Apprill et Jean-Claude Polack

    Télécharger le sommaire : Chimeres 84 sommaire
    http://lesilencequiparle.e.l.f.unblog.fr/files/2015/02/chimeres-84-sommaire.pdf

    • Assemblée nationale, Audition de M. Jean Oury, dir. de la clinique de La Borde (Cour-Cheverny) - Jeudi 31 Janvier 2013
      http://www.dailymotion.com/video/x17i0np_audition-de-m-jean-oury-dir-de-la-clinique-de-la-borde-cour-che

      Alors, la vie quotidienne ? (séminaire de Ste Anne septembre 1986)
      http://www.revue-institutions.com/articles/19/Document5.pdf

      De l’#institution. #Transfert, multiréférentialité et #vie_quotidienne dans l’approche thérapeutique de la psychose (2003)
      http://www.cairn.info/revue-cahiers-de-psychologie-clinique-2003-2-page-155.htm

      La destruction programmée de la psychiatrie (2008)
      http://www.cairn.info/revue-sud-nord-2008-1-page-37.htm

      « La psychiatrie n’est pas une spécialité de la #médecine, ce serait plutôt l’inverse », (une rengaine de J.O).

      Le pré-pathique et le tailleur de pierre
      http://www.revue-chimeres.fr/drupal_chimeres/files/40chi04.pdf

      JE VOUDRAIS ESSAYER DE FAIRE PASSER une dimension de la communication que j’appelle « pré-pathique », importante aussi bien sur le plan psychiatrique (de l’autisme ou de la #schizophrénie) que dans le domaine de la #normopathie (on est tous des normopathes et c’est la chose la plus incurable qui soit). Il ne s’agit donc pas ici d’une « communication » au sens restreint du terme mais de déchiffrer ce qui est en question dans « ce qui se passe ». Cela rejoint ce que j’appelle « les #entours » : terme banal qui me semble plus évocateur et plus poétique que le mot ambiance. On peut être non pas en face mais avec quelqu’un, et alors on essaye de repérer ce qui se passe. « Passage » est un mot privilégié de #Kierkegaard par lequel il traduisait le terme grec de kinésis . Il y a du mouvement ; s’il n’y a pas de mouvement, il ne se passe rien. Mais le mouvement ce n’est pas l’agitation. Ce qui exige une distinctivité : quand on passe d’un point à un autre, si le deuxième point n’est pas différent du premier, autant rester sur place. C’est la #critique que j’adresse à la plupart des #établissements. Ils sont tous pareils : aussi bien le bureau du médecin, que celui du directeur, ou la cuisine, la bibliothèque... C’est la même odeur, la même « olor ».

      #Santé_mentale ? #François_Tosquelles #Jacques_Lacan #DSM #diagnostic #fonction_d'accueil

    • « Séminaire de Sainte-Anne » de Jean Oury (1ère partie)

      http://www.franceculture.fr/player/export-inline?content=4329375

      Le psychiatre Jean Oury, fondateur de la psychothérapie institutionnelle, « plus grand connaisseur vivant de la psychose » (P. Delion), tient depuis 1980 un séminaire à #Sainte-Anne. Nous présenterons l’ethos, la parole, et l’histoire de ce lieu crucial pour l’actualité et l’histoire de la psychiatrie et de la #psychanalyse. Notre approche n’est pas clinique, mais une analyse praxique du discours, où sens, éthique et pertinence sont le nœud épistémologique hors duquel la pensée d’Oury reste impensable. Nous établirons l’objet du discours d’Oury, son régime praxique et sa profonde homologie de #structure et de #logique avec la folie. C’est au tissage de cette pensée et de sa parole que nous serons surtout sensibles : comment Oury propose une #praxis_théorique singulière ? Sur le plan de l’histoire des idées, des liens seront établis en permanence entre la pensée d’Oury et ses compagnons (Tosquelles, Guattari, #Gentis… ), avec les grands corps théoriques et cliniques (et surtout #Freud, Lacan), politiques (#marxisme antistalinien), philosophiques (Kierkegaard, Heidegger, #Maldiney) et artistiques (art brut… ). Le tout nourrit une pensée qui articule singulièrement logique, clinique et #politique. Enfin, nous insisterons sur les liens récents établis entre psychothérapie institutionnelle et logique peircienne. Il en sort un savoir incomparable à toute autre approche de la psychose. Quant à l’archéologie de ce discours, nous établirons l’aire que dessinent trois autres discours : le #séminaire de La Borde (clinique dirigée par Oury), recueil du savoir clinique d’Oury ; les rencontres du #GTPSI (moment important des années 1960, il est à la psychiatrie ce que les avant-gardes sont à l’art contemporain) ; l’œuvre écrite d’Oury, entre prose poétique et méditation philosophique.

      Avec Olivier Apprill et Pierre Johan Laffite.

      #audio

    • « Cadrer » le dérèglement - La « grille », Félix Guattari, exposé lors du stage de formation de la clinique de La Borde, 29 Janvier 1987.
      http://www.revue-chimeres.fr/drupal_chimeres/files/34chi01.pdf

      En ce qui me concerne, Je me suis totalement investi dans cette expérience à partir de 1955 ; bien que j’ y aie participé de façon assez suivie dès la phase préparatoire de Saumery. Et c’est durant cette période-là que se sont posés les grands problèmes qui devaient marquer l’évolution ultérieure. Assez rapidement, la clinique a augmenté sa capacité ; elle est pas- sée à soixante malades, puis quelques années plus tard à sa capacité actuelle. Corrélativement, le #personnel a augmenté et les anciennes méthodes d’#organisation consensuelle, fusionnelle, ne pouvaient évidemment plus fonctionner de la même façon. Quand je suis arrivé, j’ai commencé à m’occuper des #activités d’animation et des ateliers. J’ai contribué à la mise en place de pas mal des institutions qui devaient se maintenir de façon durable — quoique toujours en évolution. Mais, assez rapidement, j’ai été amené à m’occuper des problèmes de gestion. Durant les années antérieures, s’étaient instituées des différences de #salaires assez marquées, pour des raisons, d’ailleurs, plutôt contingentes, en raison d’arrangements qui se faisaient au fur et à mesure de l’arrivée des nouveaux membres du personnel. Tout ça pour dire qu’il y avait une situation assez floue, assez peu maîtrisée. Une des premières difficultés à laquelle je me suis trouvé confronté a été relative au #budget des ateliers, lorsqu’ils furent instaurés de façon plus systématique, avec la mise en place du Club ; l’administratrice de cette époque refusait systématiquement de les aider financièrement et il a fallu que je me substitue a elle. À côté de cela, Oury se méfiait beaucoup de quelque chose qui existait dans la plupart des établissements publics, à savoir l’existence d’ergothérapeutes ou de sociothérapeutes spécialisés qui fonctionnaient de façon autonome par rapport au reste du personnel et qui devaient d’ailleurs acquérir ulté- rieurement une qualification particulière. Ça ne nous parais- sait pas souhaitable, parce qu’au contraire on voulait à tout prix éviter que les activités ne deviennent stéréotypées, refer- mées sur elles-mêmes. Pour nous, le but n’était pas de parve- nir à stabiliser une activité particulière. Son fonctionnement ne nous intéressait que pour autant qu’il permettait d’enrichir les #rapports_sociaux, de promouvoir un certain type de #responsabilisation, aussi bien chez les #pensionnaires que dans le personnel. Donc, nous n’étions pas trop favorables à l’implantation d’ateliers standardisés (vannerie, poterie, etc.) avec le ronron du responsable qui vient faire son petit boulot à longueur d’année et avec des pensionnaires qui viennent là régulièrement, mais de façon un peu mécanique. Notre objectif de thérapie institutionnelle n’était pas de produire des objets ni même de produire de « la relation » pour elle-même, mais de développer de nouvelles formes de #subjectivité. Alors, à partir de là, toutes sortes de problèmes se posent sous un angle différent : on s’aperçoit que pour faire des #ateliers, pour développer des activités, le plus important n’est pas la qualification du personnel soignant (diplôme d’infirmier, de psychologue, etc.), mais les compétences de gens qui peuvent avoir travaillé dans le domaine agricole ou comme lingère, cuisinier, etc. Or, bien entendu, pour pouvoir suffisamment dégager ces personnes de leur service, de leur fonction et pour pouvoir les affecter au travail des ateliers et des activités rattachées au Club, il est nécessaire d’inventer de nouvelles solutions organisationnelles, parce que sinon ça déséquilibrerait les services. En fait, ça n’allait de soi d’aucun point de vue, ni dans la tête du personnel soignant, ni dans celles des personnes directement concernées. Il a donc fallu instituer un système, qu’on pourrait dire de dérèglement de l’ordre « normal » des choses, le système dit de « #la_grille », qui consiste à confectionner un organigramme évolutif où chacun a sa place en fonction 1) de tâches régulières, 2) de tâches occasionnelles, 3) de « #roulements », c’est-à-dire de de tâches collectives qu’on ne veut pas spécialiser sur une catégorie particulière de personnel (exemple : les roulements de nuit, les roulements qui consistent à venir à 5 h du matin, la vaisselle, etc.). La grille est donc un tableau à double entrée permettant de gérer collectivement les affectations individuelles par rapport aux tâches. C’est une sorte d’instrument de réglage du nécessaire dérèglement institutionnel, afin qu’il soit rendu possible, et, cela étant, pour qu’il soit « cadré ».

    • Le tact et la fonction soignante, Entretien avec Jean Oury... ou la question de la complexité...
      https://www.s-passformation.fr/actualites/le-tact-et-la-fonction-soignante-entretien-avec-le-dr-oury-ou-la-que

      L’invisible (Lo Invisible) - Entrevista a Jean Oury - Nicolas Philibert
      https://www.youtube.com/watch?v=BG0yOfIlUc0

      « moi je suis un soignant toi t’est un soigné mais ça veut rien dire, c’est une fonction »

      #fonction_soignante #tact #vie_quotidienne #le_singulier #transfert #transfert_dissocié #potentiel_soignant #aseptie #greffes_d'ouvert #passerelles #isolés #la_moindre_des_choses #l'avec

  • Le vide du pouvoir en Italie (Ecrits corsaires) / Pier Paolo Pasolini - Le silence qui parle
    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/02/17/le-vide-du-pouvoir-en-italie-ecrits-corsaires-pier-paolo-pa

    « La distinction entre fascisme adjectif et #fascisme substantif remonte à rien moins qu’au journal il Politecnico, c’est-à-dire à l’immédiat après-guerre… » Ainsi commence une intervention de Franco Fortini sur le fascisme (l’Europeo, 26-12-1974) : intervention à laquelle, comme on dit, je souscris complètement et pleinement. Je ne peux pourtant pas souscrire à son tendancieux début. En effet, la distinction entre « fascismes » faite dans le Politecnico n’est ni pertinente, ni actuelle. Elle pouvait encore être valable jusqu’à il y a une dizaine d’années : quand le régime démocrate-chrétien était encore la continuation pure et simple du régime fasciste.
    Mais, il y a une dizaine d’années, il s’est passé « quelque chose ». Quelque chose qui n’existait, ni n’était prévisible, non seulement à l’époque du Politecnico, mais encore un an avant que cela ne se passât (ou carrément, comme on le verra, pendant que cela se passait).
    La vraie confrontation entre les « fascismes » ne peut donc pas être « chronologiquement » celle du fascisme fasciste avec le fascisme démocrate-chrétien, mais celle du fascisme fasciste avec le fascisme radicalement, totalement et imprévisiblement nouveau qui est né de ce « quelque chose » qui s’est passé il y a une dizaine d’années.
    Puisque je suis écrivain et que je polémique ou, du moins, que je discute avec d’autres écrivains, que l’on me permette de donner une définition à caractère poético-littéraire de ce phénomène qui est intervenu en Italie en ce temps-là. Cela servira à simplifier et à abréger (et probablement aussi à mieux comprendre) notre propos.

    Au début des années 60, à cause de la pollution atmosphérique et, surtout, à la campagne, à cause de la pollution de l’eau (fleuves d’azur et canaux limpides), les #lucioles ont commencé à disparaître. Cela a été un phénomène foudroyant et fulgurant. Après quelques années, il n’y avait plus de lucioles. (Aujourd’hui, c’est un souvenir quelque peu poignant du passé : un homme de naguère qui a un tel souvenir ne peut se retrouver jeune dans les nouveaux jeunes, et ne peut donc plus avoir les beaux regrets d’autrefois).

    Ce « quelque chose » qui est intervenu il y a une dizaine d’années, nous l’appellerons donc la « disparition des lucioles ».
    Le régime démocrate-chrétien a connu deux phases complètement distinctes, qui, non seulement, ne peuvent être confrontées l’une à l’autre, ce qui impliquerait une certaine continuité entre elles, mais encore qui sont devenues franchement incommensurables d’un point de vue historique. La première phase de ce régime (comme, à juste titre, les radicaux ont toujours tenu à l’appeler) est celle qui va de la fin de la guerre à la disparition des lucioles, et la seconde, celle qui va de la disparition des lucioles à aujourd’hui. Observons-les l’une après l’autre.

  • La Parole contraire / Erri de Luca / Piazza Fontana / Marco Tullio Giordana « Le silence qui parle
    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/02/02/la-parole-contraire-erri-de-luca-piazza-fontana-marco-tulli

    Pasolini était doté de surcroît du courage physique qui consiste à être seul en terre de personne. Je le revois assistant aux manifestations de la gauche révolutionnaire : entre nos rangs serrés et ceux des troupes se créait le vide. Les boutiques baissaient leurs rideaux, les passants disparaissaient. Dans ce vide comprimé, on pouvait voir un homme qui était là pour témoigner. Il portait un imperméable clair, une veste, une cravate et une chemise blanche. Il se tenait là où aucun de ses semblables n’osait être. Il savait être là.
    J’insiste sur lui pour comparer ces temps-là avec les temps actuels. Expulsé du PCI (Parti communiste italien) parce que homosexuel, il a soutenu les idées de la gauche révolutionnaire. Il a accepté de servir de directeur responsable de #Lotta_Continua, mensuel à l’époque, pas encore quotidien. Pour pouvoir être imprimé et diffusé, un journal devait avoir un journaliste officiel comme directeur responsable. C’est à lui qu’arrivaient les plaintes. De nombreux #intellectuels de l’époque acceptèrent de signer un journal dans lequel ils n’écrivaient pas et dont ils ne partageaient pas les idées, mais qui avait besoin d’eux pour paraître. Ils assumèrent les plaintes et affrontèrent des procès au nom de la liberté de la presse.
    Pasolini signa avec Giovanni Bonfanti la mise en scène d’un film de Lotta Continua 12 décembre. Ce jour-là, de l’année 1969, une bombe massacrait des clients de la Banque de l’Agriculture à Milan. Un an après, le documentaire 12 décembre racontait les mois cruciaux d’une Italie en pleine transformation de conscience. On tourna quatre-vingts kilomètres de pellicule.
    Tel était le climat civil de ces années-là : le plus grand intellectuel italien était du côté de la gauche révolutionnaire tout en écrivant dans la presse officielle et en étant invité régulièrement par la télévision publique.
    Autre hasard des temps et du rapport entre cultures et luttes civiles : 11 septembre 1973, le coup d’État militaire au Chili renverse le gouvernement démocratique et tue le président Salvador Allende. Lotta Continua lance immédiatement une souscription publique pour des fonds destinés à la résistance, titre : « Des #armes pour le MIR » (la gauche #révolutionnaire chilienne).
    On a recueilli des millions de l’époque, destinés à l’appui de la lutte armée et de la résistance clandestine. De grands noms du cinéma apportèrent immédiatement leur soutien : Marco Bellocchio, Luigi Comencini, Roberto Faenza, Mario Monicelli, Elio Petri, Salvatore Samperi, Paolo et Vittorio Taviani, Cesare Zavattini.
    Essayez donc aujourd’hui de demander au firmament du tapis rouge une signature pour la plus innocente pétition.

  • Les aventures de la liberté d’expression / Alain Brossat « Le silence qui parle
    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/01/31/les-aventures-de-la-liberte-dexpression-alain-brossat

    Voici ce dont ne se sont pas avisé ceux qui, d’instinct, après les attentats du 7 janvier 2015, ont adopté le slogan « Je suis Charlie » : la liberté d’expression, la liberté de parole, la liberté de la presse dont se réclame ce journal est, sous couvert d’une pratique débridée de « la satire », rigoureusement homogène à celle que promeuvent les activistes du Front national lorsqu’ils s’en vont organiser un « apéro gros rouge et saucisson » à Barbès ou dans tout autre espace urbain densément peuplé de « travailleurs immigrés ». Il s’agit de la liberté de provoquer, outrager, humilier avec le consentement actif de l’Etat – c’est-à-dire sous protection policière – une fraction de la population à laquelle il est ainsi question de faire savoir (au cas où elle l’aurait oublié, ce qui est improbable…) qu’elle n’est pas d’ici mais bien d’ailleurs ; qu’à ce titre sa présence parmi ou au côté de ceux qui sont ici vraiment chez eux n’est que conditionnelle, litigieuse et, au fond, constamment revocable (1). Bien regrettable est alors la distraction de ceux/celles qui, animé(e)s des plus vertueuses dispositions et intentions du monde, ne s’avisent pas que leur ralliement à une prétendue normativité démocratique et républicaine, laquelle s’opposerait à d’autres coutumes et sensibilités d’inspiration religieuse et venues d’ailleurs, a pour effet de reproduire la même fracture exactement dans le corps du peuple que celle sur laquelle prospèrent les discours ouvertement xénophobes – la fracture entre ceux qui sont ici chez eux, de plein droit, dans la mesure où ils s’identifient aux institutions et à l’histoire de l’Etat, et les autres qui ne le sont pas pleinement ou pas vraiment, dans la mesure où ils n’admettent pas que l’on insulte leurs croyances, leur foi et leurs coutumes. Le « c’est ainsi qu’on fait ici, telles sont nos coutumes et nos lois » qu’opposent les intégristes d’un républicanisme et expéditif et d’un démocratisme biaisé à tous ceux qu’offense leur zèle provocateur se poursuit logiquement en « et si vous n’êtes pas contents de ces règlements et de l’usage libéral que nous en faisons, allez voir ailleurs ! » ; il converge ici très ostensiblement avec le discours identitaire et autochtoniste qui spécule sans relâche sur la fracture entre vrais Français et supefétatoires ou indésirables. On s’en tait déjà avisé en plus d’une occasion lors du « débat sur le foulard » de triste mémoire – quand des enseignants d’extrême gauche étaient aux avant-postes de la traque aux adolescentes « voilées » dans les collèges et lycées.

    Ces « libertés » sont donc distinctement entendues comme destinées à mettre en scène et rendre visible (donc accentuer, de ce fait même) l’opposition entre ceux qui sont bien fondés à se moquer, à ridiculiser et outrager du fait même qu’ils occupent la place de l’autochtone (une place toute imaginaire, est-il besoin de le préciser) et ces autres dont la vocation est d’encaisser ces sarcasmes et ces moqueries, du fait de leur origine déficitaire, de leurs mœurs et leurs croyances – du fait même qu’ils sont, fondamentalement, des en-trop, des intrus, des parasites, des outsiders quintessentiels ; ceci, quels que soient leurs efforts pour se fondre dans le paysage ou s’assurer des positions dans ce pays auquel ils demeurent fondamentalement étrangers (comme leurs mœurs et leurs croyances l’attestent, une fois encore). Ce sont des « libertés » qui entendent s’exercer dans le but de reproduire la division entre « ceux d’ici » et les autres – l’opération de base du racisme moderne, comme l’ont montré, entre autres, Michel Foucault et Etienne Balibar.

    #xénophobie #liberté_d'expression #charlie_hebdo #valeurs_républicaines

    • Si le projet républicain est mort, c’est aussi de la gauche dont il faut faire le deuil. Il n’y aura pas d’intégration par l’école de la république, pas de plein emploi, pas de libéralisme sagement domestiqué, pas de police respectueuse. (...)
      Ce qui fait tressaillir d’angoisse ce monde c’est sa propre fin dont les signes sont omniprésents. Sa mythologie hollywoodienne la met en scène à toutes les sauces. Que « l’économie de marché et la démocratie » ne constituent ni la fin de l’histoire, ni le devenir inéluctable de toutes les formes de vie humaines représente un choc à n’en pas douter. Ce qui se joue sous nos yeux n’est rien d’autre que la fin de l’hégémonie de l’occident sur le plan spirituel et culturel aussi. Chez ses propres enfants d’abord. Pour horrible que ce soit, le fait que trois d’entre eux retournent leur rage et leurs armes de la manière la plus violente contre ce qu’ils perçoivent comme les symboles de leur humiliation, emportés par une ligne de fuite fasciste, n’est peut être pas ce qu’il y a de plus notable dans l’époque. Beaucoup plus nombreux en effet sont ceux qui désertent littéralement ce qu’on leur propose ici. Qu’il y ait d’autres idées de la vie et du bonheur, que des mondes adviennent et qu’il y ait du sens à les défendre, que toute vie commune ne doive pas se dire dans la langue de la république et de l’économie, voilà qui constitue un mystère insondable pour un pouvoir qui constate que la greffe ne prend décidemment pas sur la totalité du corps social. Trainer deux jeunes de quinze ans, partis naïvement faire la guerre contre Bachar El-Assad, dans les bureaux de la DCRI à leur retour en dit long par exemple sur ce désarroi. Comme le fait de programmer une opération militaire pour déloger une bande de zadistes armés de cabanes dans les arbres et de bottes en caoutchouc.

      La république est morte. L’époque est nihiliste. C’est de là dont il faut partir. Il faut aller au bout d’un certain désespoir pour en finir avec cette attente triste, perpétuellement déçue. Beaucoup déjà ne désirent plus l’intégration pour avoir bien senti que c’est là où les mailles du pouvoir n’enchâssent pas complètement l’existence que surgit du sens.

      Feu la république.
      http://ledesertdureel.over-blog.com/2015/01/feu-la-republique.html

  • Spectres de Marx / Jacques Derrida « Le silence qui parle
    http://lesilencequiparle.unblog.fr/2015/01/16/spectres-de-marx-jacques-derrida

    Ce sera toujours une faute de ne pas lire et relire et discuter Marx. C’est-à-dire aussi quelques autres – et au-delà de la « lecture » ou de la « discussion » d’école. Ce sera de plus en plus une faute, un manquement à la responsabilité théorique, philosophique, #politique.  Dès lors que la machine à dogmes et les appareils idéologiques « marxistes » (États, partis, cellules, syndicats et autres lieux de production doctrinale) sont en cours de disparition, nous n’avons plus d’excuse, seulement des alibis, pour nous détourner de cette responsabilité. Il n’y aura pas d’avenir sans cela. Pas sans Marx, pas d’avenir sans Marx. Sans la mémoire et sans l’héritage de Marx : en tout cas d’un certain Marx, de son génie, de l’un au moins de ses esprits. Car ce sera notre hypothèse ou plutôt notre parti pris il y en a plus d’un, il doit y en avoir plus d’un.
    Pourtant, parmi toutes les tentations auxquelles je devrai résister aujourd’hui, il y aurait celle de la mémoire : raconter ce qu’a été pour moi, et pour ceux de ma génération qui l’ont partagée toute une vie durant, l’expérience du marxisme, la figure quasiment paternelle de Marx, sa dispute en nous avec d’autres filiations, la lecture des textes et l’interprétation d’un monde dans lequel l’héritage marxiste était – il le reste encore, et donc il le restera – absolument et de part en part déterminant. Il n’est pas nécessaire d’être marxiste ou communiste pour se rendre à cette évidence. Nous habitons tous un monde, certains diraient une culture, qui garde, de façon directement visible ou non, à une profondeur incalculable, la marque de cet héritage.
    #Jacques_Derrida
    Spectres de #Marx / 1993

    #livre_en_ligne