Lukas Stella

INTOXICATION MENTALE, Représentation, confusion, aliénation et servitude, Éditions L’Harmattan, 2018. — L’INVENTION DE LA CRISE, 
Escroquerie sur un futur en perdition, Éditions L’Harmattan, 2012. — STRATAGÈMES DU CHANGEMENT De l’illusion de l’invraisemblable à l’invention des possibles Éditions Libertaires, 2009. — ABORDAGES INFORMATIQUES (La machine à réduire) Croyances informatisées dans l’ordre des choses marchandes, Éditions du Monde libertaire - Alternative Libertaire, 2002 — http://inventin.lautre.net/linvecris.html

  • LA LIBERTÉ ÇA NE S’IMPOSE PAS !

    Jamais les anarchistes n’ont été autant décriés, divisés et récupérés. Chez les altermondialistes ou activistes, tout le monde se dit plus ou moins libertaire. Mais l’anarchisme est une idéologie gauchiste, doctrine de cette élite d’illuminés qui prêchent l’unique vérité qu’ils possèdent, pour convaincre, convertir en adeptes de leur révolution, spécialistes éclairés d’une vérité auto-proclamée découpée en petits morceaux.

    Les prolétaires n’accepteront jamais d’être représentés par les élites bureaucratiques d’un parti à prétention révolutionnaire qui impose sa dictature sur un peuple qu’il considère ignorant. Tout prolétaire ne combat que pour sa propre abolition en tant qu’esclave, par son émancipation individuelle et collective, contre toute usurpation du pouvoir par une minorité d’accapareurs. Chacun devient son propre pouvoir qu’il coordonne avec les autres, car toute autorité est un abus de pouvoir.

    Il n’y a d’anarchisme individualiste ou bien collectiviste seulement pour ces intellos prétentieux, théoriciens révolutionnaires sans révolution, comme les deux faces d’une même pièce, le vrai et le faux d’une seule et même idéologie à laquelle il faut se soumettre. Ces disciples, seuls détenteurs de la vérité universelle, experts de l’apocalypse, sauveurs du désastre, ne savent plus élaborer d’analyses critiques globales cohérentes, mais seulement imaginer des prédictions, porter des jugements de valeur et des procès d’intention.

    Les idéologues gauchistes néo-léninistes récupèrent les intuitions et actions des mouvances révolutionnaires en les vidant de leur substance vitale subversive pour qu’elles servent d’arguments conceptuels à la gestion du désastre et à la conservation du système Étatique qu’ils n’envisagent même pas de renverser, si ce n’est qu’avec des notions abstraites qui ont perdus tout leur sens pratique, des représentations qui n’ont plus d’actions réelles pour se concrétiser, et le tout dans un style confusionniste prétentieux.

    Les anarchistes se battent contre toute autorité hiérarchique, contre toute uniformisation idéologique, contre toute croyance prédictive, tout modèle à reproduire, toute planification néo-capitaliste à suivre sous prétexte de réalisme. La liberté ça ne s’impose pas, ça se construit collectivement dans l’égalité générale !

    L’individualisme se renforce de son opposé collectiviste, et réciproquement. Ce conflit parcellaire est réducteur et aliène la compréhension humaine. L’individu y perd sa personnalité particulière et le collectif sa diversité solidaire. La personne se réalise et s’enrichit de ses libres rapports aux autres au sein d’un collectif égalitaire. La diversité des solidarités ne se construit qu’avec des personnalités et non pas des stéréotypes uniformisés dans l’individualité passive de consommateurs d’idéologies sur mesure et d’identités d’apparence en prêt à porter.
    Dans un monde où tout est cloisonné, où l’homme isolé est séparé de lui-même par le travail et les représentations marchandes, les anarchistes expérimentent une approche globale dans tous les cas particuliers. L’appréhension des liens et les interactions humaines au cours des situations est la clé de la compréhension de la complexité d’ensemble et de l’intelligence du moment.

    Nous n’avons pas besoin de majorité pour agir. Cette règle simplificatrice, fondement de la pseudo-démocratie bourgeoise, est une fabrique d’opposants et d’exclus. L’action, comme l’expression, n’a pas à restreindre ses libertés de mouvement dans une uniformisation contraignante. Agir et s’exprimer devrait être multiforme pour respecter la liberté de chacun, et s’enrichir en se renforçant de la diversité dans une mouvance complexe coordonnée. Le rassemblement de nos différences qui s’en mêlent et s’entremêlent au coeur des débats et des ébats, a des capacités bien plus grandes que la somme de ses composantes séparées les unes des autres. Lorsque la richesse multiple de ces interactions franchit un certain seuil, le mouvement global produit de façon discontinue de nouveaux comportements d’ensemble tout à fait imprévisibles. Notre éclectisme est notre force vitale.

    Passant du désir au plaisir de changer ensemble, le recadrage de nos points de vue, décalés dans l’invention d’un futur désirable, un devenir réalisable, change notre interprétation des situations. En modifiant ainsi les règles du jeu par débordement et détournement, ne respectant plus les codes ni les modes, nous augmentons le nombre des choix possibles, créant de nouveaux espaces de liberté. Cela nous permet d’utiliser les vertus de nos défauts, et ainsi débloquer l’accès à nos ressources en sommeil. Alors le bricolage opératoire se substitue aux croyances réductrices autoritaires, l’agitation contagieuse renverse les situations critiques.

    Un anarchiste n’a aucun principe à suivre, aucune ligne de conduite à respecter, aucun mode de vie à adopter, chacun est libre et responsable de ses choix envers les autres, tout est discutable à tout moment. L’amour, le plaisir, la paraisse, le jeu sur les règles du jeu, le détournement, la ridiculisation et le discrédit du spectacle et de la pub, l’irrespect de l’autorité et des interdits... sont autant de pratiques anarchistes nécessaires à un renversement de perspective et indispensables à l’irruption insurrectionnelle d’un mouvement révolutionnaire.

    Anarchiste n’est pas une étiquette, une identité, un logo ou un drapeau, mais bien une pratique vivante auto-organisatrice antiautoritaire d’une personne particulière dans ses expérimentations individuelles et collectives, qui la rend autonome, sociale et toujours ingouvernable.

    Lukas Stella


  • LE DROIT DE MANIFESTER MENACÉ

    Depuis près d’un an, nous avons enquêté sur le respect du droit de manifestation pacifique en France. Le constat est sans appel : l’application de l’état d’urgence et un usage disproportionné de la force ont restreint ce droit fondamental de manière préoccupante.
    Le droit de manifester est un droit fondamental, indispensable à la liberté d’expression, et à la possibilité de revendiquer ses opinions et ses droits. Il ne peut être restreint qu’à des conditions très strictes . Les autorités ont pour responsabilité de protéger tous nos droits fondamentaux, pourtant, ils sont de plus en plus présentés comme secondaires voire comme des menaces qu’il faudrait donc limiter.

    L’ÉTAT D’URGENCE DÉTOURNÉ POUR RESTREINDRE LE DROIT DE MANIFESTER

    En France, sous l’état d’urgence, 155 manifestations interdites en 18 mois
    Depuis novembre 2015 et les terribles attentats qui ont touché la France, l’état d’urgence a été instauré et renouvelé à cinq reprises. Alors que son objet est de prévenir de nouvelles attaques, les mesures de l’état d’urgence ont été utilisées pour interdire 155 manifestations. Tous les 3 jours environ, une manifestation est interdite en France sous ce prétexte. Par ailleurs, 595 interdictions individuelles de manifester ont été ordonnées par les préfectures en France, sous l’argument de prévenir les violences lors des manifestations, alors que le plus souvent il n’existait que peu ou pas d’éléments démontrant que ces personnes auraient participé à des violences.

    L’Etat n’a pas été en mesure de prouver pour chacune de ces interdictions qu’elles visaient à prévenir une menace spécifique, qui ne pouvait être évitée qu’en limitant un droit pourtant fondamental. De telles mesures, sans lien démontré avec la lutte contre la menace terroriste, ont un impact démesuré sur le droit des personnes à exercer leur liberté d’expression pacifique.
    Ainsi, de nombreuses personnes interdites de manifester avaient simplement été présentes lors de manifestations ayant donné lieu à des actes de violences par des manifestants, mais rien ne permettait de leur reprocher la participation aux dites violences.

    639 mesures d’interdictions individuelles de manifester ont été prises contre des personnes dont 21 dans le cadre des manifestations liées à la COP21, et 574 dans le cadre des manifestations contre la loi travail

    DES PRATIQUES POLICIÈRES CONTESTABLES

    Nous avons aussi pu constater un usage récurrent de certaines pratiques de maintien de l’ordre contraires au droit international.
    Par exemple, la fouille systématique et la confiscation d’outils de premiers secours, tels que les sérums physiologiques, les lunettes qui ne peuvent pas être considérées comme des armes par destination, empêchent les personnes de se soigner. Le fait que du matériel de premier secours ait été confisqué aux street medics est aussi choquant, car ce matériel peut être indispensable pour prodiguer des soins de première urgence.

    "À chaque fois on leur expliquait qu’on avait besoin de ce matériel pour prodiguer les premiers secours aux manifestants qui, par exemple, se sentaient mal à cause des lacrymogènes. Ils nous répondaient qu’on ne devait pas venir en manifestation si on avait peur que les lacrymogènes puissent être utilisés ».
    Annaliese, une Street-Medic (secouriste) à Nantes

    Des stratégies de maintien de l’ordre peuvent aussi mener à une hausse des tensions et limiter de manière disproportionnée le droit de manifester. Par exemple, l’usage fréquent et prolongé des nasses, cette pratique qui vise à confiner des manifestants pour les empêcher de manifester ou de rejoindre une manifestation, est une atteinte disproportionnée au droit de manifester, en particulier lorsque les personnes « nassées » sont des manifestants pacifiques. Pourtant, il existe des stratégies de maintien de l’ordre qui visent à diminuer les tensions plutôt qu’à les attiser.

    UN USAGE DISPROPORTIONNÉ ET ARBITRAIRE DE LA FORCE

    Notre recherche, confortée par l’observation de plusieurs manifestations, nous a permis de constater le recours par les forces de l’ordre à un usage disproportionné de la force. Selon des témoignages concordants recueillis auprès des streets medics, des bénévoles qui soignent les personnes blessées au cours de manifestations, plus de 1000 personnes auraient été blessées rien qu’à Paris lors des manifestations contre la loi travail. Bien sûr, les actes de violence de la part de certains manifestants à l’encontre des forces de l’ordre doivent aussi être condamnés. Toutefois, ils ne peuvent justifier une violence disproportionnée de la part des forces de l’ordre.

    Ces pratiques d’usage de la force, outre qu’elles peuvent avoir des conséquences dramatiques pour les personnes touchées, peuvent également, selon de nombreux témoignages, avoir un impact sur le droit de manifester en lui-même, les personnes ayant peur de revendiquer leurs droits en participant à des manifestations.

    "Je manifeste depuis mon jeune âge et je n’ai jamais vu une telle agressivité des forces de police. Je suis une femme de 50 ans, cadre dans le secteur privé et pacifique."
    Sandrine, manifestante à Rennes.
    Elle rajoute « et je veux démentir les autorités qui disent que la police ne s’en est prix qu’aux casseurs lors des manifestations du printemps 2016 ».

    DES JOURNALISTES INTIMIDÉS ET VIOLENTÉS

    Les violences à l’encontre de journalistes et autres travailleurs des médias lors des récentes manifestations ont fait le tour de la presse.
    L’usage de la violence de la part des forces de l’ordre contre des personnes filmant ou documentant des manifestations est particulièrement inquiétant car il remet en cause le droit à une information libre. Même en cas de violence, il est du devoir des autorités de permettre aux journalistes de mener à bien leur travail.

    "Je n’ai pas d’autres explications que d’avoir été visé volontairement car je filmais l’interpellation violente d’un manifestant. Il n’y avait pas d’autres manifestants autour de moi, ils étaient à au moins 20/30 mètres à l’arrière et ils étaient en train de se disperser."
    Joël, réalisateur indépendant

    MANIFESTER EST UN DROIT, PAS UNE MENACE

    Une manifestation doit toujours être considérée comme légale a priori, à moins que l’Etat puisse avancer des éléments précis justifiant son interdiction.
    De plus, les actes de violences commis pendant une manifestation ne peuvent être imputés qu’à leurs auteurs et ne suffisent pas à qualifier une manifestation de violente.

    Ainsi, toute intervention des forces de l’ordre ne doit viser que les individus responsables des violences. Il est du devoir de l’Etat de reconnaitre que les manifestations sont un usage légitime de l’espace public et il doit justifier d’une certaine tolérance envers les éventuelles perturbations non violentes qui pourraient avoir lieu. Pourtant, depuis l’instauration de l’état d’urgence, un glissement dangereux s’est opéré : des stratégies de maintien de l’ordre sont mises en place qui impactent fortement des droits fondamentaux dans l’objectif de prévenir des risques qui pourraient avoir lieu, sans aucune preuve concrète et solide que des événements dangereux pour la nation vont en effet arriver et que la seule solution pour y faire face est la restriction d’un ou de plusieurs droits fondamentaux. Cette logique dangereuse est celle de l’état d’urgence.
    Il est temps de mettre un terme à cette dérive : manifester est un droit, pas une menace.

    https://www.amnesty.fr/liberte-d-expression/actualites/droit-de-manifester-en-france
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    https://www.youtube.com/watch?v=DZGf9ZcuiRs

  • ‪LA MOTO À HYDROGÈNE‬

    Avec un peu de connaissances en mécanique, et beaucoup d’imagination, cet inventeur brésilien a créé, dans son garage de Sao Paulo, la Moto H2O. Ricardo Azevedo a transformé une Honda de 1993 en une moto futuriste, qui fonctionne à l’hydrogène, à faible coût. L’engin utilise une batterie de voiture pour produire de l’électricité, et avec l’électrolyse, l’hydrogène est isolé. La combustion fait avancer la moto.

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    Un Brésilien construit un moteur à eau pour sa moto !

    Ricardo Azevedo est un officier publique brésilien résidant à São Paulo. Dans son garage il a développé un moteur où il récupère l’hydrogène comme propulseur. Avec une autonomie de 500km/L, cela pourrait-il être une alternative au pétrole ?

    Avec un peu de connaissances en mécanique, et beaucoup d’imagination, cet inventeur brésilien a créé, dans son garage de Sao Paulo, la Moto H2O. Ricardo Azevedo a transformé une Honda de 1993 en une moto futuriste, qui fonctionne à l’hydrogène, à faible coût. L’engin utilise une batterie de voiture pour produire de l‘électricité, et avec l‘électrolyse, l’hydrogène est isolé. La combustion fait avancer la moto.
    Six mois après avoir lancé son concept, et après plusieurs tests et améliorations, Azevedo pense que son projet pourrait contribuer à réduire le niveau de pollution : seule de la vapeur d’eau s‘échappe, au lieu du monoxyde de carbone.
    Pour tester sa technologie maison, l’inventeur brésilien a utilisé plusieurs types d’eau, comme l’eau potable, l’eau minérale ou même l’eau d’une rivière locale très polluée. Et le résultat n’a pas varié.
    Si l’hydrogène n’est peut-être pas la seule réponse aux besoins énergétiques mondiaux, c’est au moins une alternative à la combustion de combustibles fossiles. Marcelo Alves est professeur de génie mécanique à l’Université de São Paulo, et il apprécie le procédé.
    L’hydrogène est l‘élément le plus abondant dans l’Univers, mais sur terre, l’hydrogène gazeux pur est très rare, car il est trop léger. L’hydrogène en général est lié à d’autres atomes, comme de l’oxygène dans l’eau.
    Les recherches sur la combustion de l’hydrogène se sont multipliées ces dernières années, et de nombreux constructeurs automobiles ont lancé différents types de véhicules.
    Un moteur à hydrogène, comme celui de Ricardo Azevedo, ne crée pas de pollution, comme les émissions de carbone des moteurs à essence classiques. Bien que le marché potentiel soit énorme, il est encore freiné par les moyens de contenir en toute sécurité le gaz d’hydrogène qui reste hautement inflammable.

    http://fr.euronews.com/2016/02/09/la-moto-a-hydrogene-inventee-dans-un-garage-bresilien
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    #hydrogen #carburant #moteuraeau
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    https://www.youtube.com/watch?v=mm6qwpJFEO0

  • NE RIEN FAIRE EST VITALE POUR LA SANTÉ

    Un célèbre neuropsychologue explique comment le fait de “ne rien faire” est en fait vitale pour la santé.

    Contrairement aux idées reçues, il est bon pour la santé de ne rien faire même si cela est généralement mal perçu en société, que ce soit dans la sphère privée ou professionnelle.

    En effet, une étude a été menée qui démontre que lorsque le corps humain ne fait pas d’activité, son cerveau se met en mode ” par défaut ” et fait alors le tri des informations qu’il contient. Cette étape est absolument indispensable pour le neuropsychologue Francis Eustache qui exerce au CHU de Caen.

    De cette façon, il pourra mieux comprendre l’environnement qui l’entoure et pourra mieux composer avec les situations ultérieures qui se présenteront à vous.

    En consultant cette vidéo, vous pourrez avoir la preuve que l’oisiveté n’est pas forcément un vilain défaut et qu’elle est essentielle pour votre cerveau. Conservez là bien sous la main car si on vous fait des reproches, vous aurez de quoi justifier votre choix de ne rien faire et mettre un terme à toute polémique. Désormais, vous pouvez rester allongé (e) sur votre canapé pendant des heures ou prolonger considérablement votre grasse matinée sans culpabiliser !

    https://share2give.eu/un-celebre-neuropsychologue-explique-comment-le-fait-de-ne-rien-faire-est

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    NE CULPABILISEZ PAS DE GLANDER

    Selon le neurochirurgien Caennais Francis Eustache, ne rien faire le dimanche aprèm est une chose absolument vitale pour votre moral, mais aussi pour votre mémoire. Oui, VITALE.

    Le scientifique, qui officie au CHU de Caen, en Normandie et qui travaille principalement sur la mémoire traumatique explique, dans un reportage consacré à l’art de ne rien faire pour France Télévisions, que lorsque l’on ne fait rien, une activité cérébrale vitale se met en place. Ce phénomène, nous l’appelons le « mode par défaut ».

    Le « mode par défaut » désigne ces instants d’oisiveté, faits de voyages de la pensée, ces pensées qui vont et qui viennent, ces mêmes instants qui nous permettent de consolider notre mémoire : « On se tourne vers nos pensées, on se tourne vers des informations récentes, auxquelles on a été confronté. Notre cerveau va permettre de faire en quelque sorte une synthèse entre ces informations nouvelles ou relativement nouvelles et des informations plus anciennes. […] C’est un des temps indispensables à la création de notre autobiographie. Si on n’a pas ces moments, notre autobiographie va manquer de pages, mais surtout une cohérence d’ensemble » explique le neurochirurgien.

    Nous sommes stimulés en permanence par des éléments extérieurs. Constamment sollicités par nos responsabilités personnelles et professionnelles, mais aussi par nos ordinateurs et nos smartphones, nous croulons, parfois sans le savoir, sous un flux astronomique d’informations.

    Et si vous mettiez fin, pour quelques heures seulement, à l’hyperstimulation que vous vivez au quotidien ? Et si, le temps d’un dimanche après-midi, vous fermiez le robinet des informations ? Cette fois, ne culpabilisez plus : c’est pour la bonne cause. Protégez votre « mode par défaut ».

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    QUE FAIT LE CERVEAU QUAND IL NE FAIT RIEN ?

    Même au repos, le cerveau demeure très actif. En fait, il ne s’arrête jamais. Plusieurs régions cérébrales, distantes les unes des autres mais activées de façon synchrone, forment un réseau étendu dont on découvre l’implication dans de nombreuses pathologies neuropsychiatriques comme la maladie d’Alzheimer, la dépression, la schizophrénie, l’autisme.

    Tout commence en novembre 1992 par une découverte fortuite faite par Bharat Biswal, un étudiant ingénieur électricien alors âgé de 25 ans. Voulant se former en biophysique et neurosciences, il se voit proposer un poste dans le département de radiologie de la faculté de médecine du Wisconsin, à Milwaukee (Etats-Unis). Il entreprend alors de réduire le bruit de fond des signaux générés par l’IRM fonctionnelle (IRMf) afin d’améliorer l’interprétation des données recueillies lors de la réalisation d’une tâche motrice.

    « Je ne pouvais travailler que tous les samedis soir car le reste du temps presque tous les scanners étaient pris par les cliniciens. A ma grande surprise, j’ai remarqué la présence d’une forte corrélation entre l’activité des cortex moteurs gauche et droit, alors même que le sujet était parfaitement immobile ! », se souvient Bharat Biswal, aujourd’hui ingénieur biomédical au département de radiologie de la New Jersey Medical School. Il venait de découvrir l’existence d’une activité spontanée, au repos, entre des régions distantes du système moteur qui apparaissent fonctionnellement couplées.

    « Réseau du mode par défaut »

    « D’autres études montreront qu’il existe dans le cerveau au repos, lorsque notre activité cognitive n’est pas dirigée vers un objectif spécifique, une activité cérébrale intense et soutenue dans des régions spatialement éloignées, indique le professeur Francis Eustache, qui dirige l’unité Inserm du laboratoire de neuropsychologie du CHU de Caen. « Ces structures sont fortement connectées sur le plan fonctionnel et forment un réseau caractérisé par la présence de fluctuations synchrones de basse fréquence. »

    Ce réseau est composé de régions du cortex préfrontal en avant et du cortex pariétal en arrière. Dans un article paru en 2001 dans les « Comptes rendus de l’Académie des sciences américaine (PNAS) », Marcus Raichle, professeur de radiologie à la Washington University School of Medicine (Saint Louis, Missouri), l’a baptisé « réseau du mode par défaut » pour signifier qu’il fonctionne même lorsque l’on ne fait rien. Depuis, cet article a été cité 2 595 fois dans la littérature scientifique.

    Le cerveau reste donc actif au repos. Un repos très relatif dans la mesure où « le cerveau, qui représente seulement 2 % de la masse corporelle totale, consomme au repos 20 % de l’énergie du corps. De plus, la réalisation d’une tâche n’exige qu’un faible surcoût d’énergie par rapport à celle consommée par un cerveau au repos : moins de 5 % », indique Marcus Raichle.

    Activités mentales d’introspection

    L’activité au repos du réseau par défaut (RD) présente la particularité de diminuer dès lors que le sujet réalise n’importe quelle tâche cognitive. Autrement dit, le RD se « désengage » lorsque le sujet réalise une action avec un objectif spécifique, tandis que l’activité des réseaux liés à une tâche diminue. Les activités de ces réseaux et celle du RD sont « anticorrélées », variant en sens inverse. Ainsi, une récente étude japonaise, conduite lors du visionnage de vidéos de « Mr Bean », a révélé que les clignements des yeux s’accompagnent d’un bref désengagement du réseau attentionnel en même temps que d’une activation du RD.

    Le RD serait associé à des activités mentales d’introspection, de référence à soi. Il serait également lié à la capacité de construire des simulations mentales basées sur des souvenirs autobiographiques, les expériences présentes, mais également sur des projections dans le futur. « Cette projection de soi par anticipation serait un élément-clé de l’activité cérébrale au repos. Le RD interviendrait dans l’élaboration de scénarios mentaux visant à imaginer ou planifier le futur, comme lorsqu’on se voit déjà se prélasser sur une plage en pensant à ses prochaines vacances d’été. Le RD pourrait également être requis lorsqu’on imagine des situations alternatives, qu’elles soient réalistes ou fantaisistes », déclare Gaël Chételat, directrice de recherche au CHU de Caen.

    De même, l’activité du RD serait sollicitée pour notre capacité à comprendre les états mentaux d’autrui. Autrement dit, à voyager dans la tête des autres. Enfin, l’activité de régions-clés du RD apparaît corrélée à la fréquence des rêveries diurnes, ces moments durant lesquels on se perd dans ses pensées.

    Evaluation de nombreuses hypothèses

    Selon le professeur Andreas Kleinschmidt, neurologue aux Hôpitaux universitaires de Genève, notre cerveau passerait son temps au repos à évaluer de nombreuses hypothèses concernant une situation qui pourrait se produire dans le futur. « Il s’agit d’un processus dynamique et évolutif, qui n’arrête pas de tourner. Selon nous, le cerveau cherche constamment à rétablir un équilibre entre les mondes intérieur et extérieur, ce qui sous-entend qu’il nous permet d’éviter les mauvaises surprises en faisant des hypothèses sur l’avenir. »
    Ainsi, poursuit-il, « lorsque nous sommes au volant de notre voiture, notre cerveau n’arrête pas de mettre à jour des spéculations qui nous préparent à nombre de situations qui pourraient se produire », comme anticiper que la voiture qui nous précède tombe brusquement en panne ou qu’un animal traverse subitement la route. Si cela devait se produire en réalité, nous serions à même de réagir rapidement.

    Pour le professeur Maurizio Corbetta, de la Washington University School of Medicine, Saint Louis (Missouri), « cette activité spontanée est une façon de garder opérationnels des processus qui peuvent servir. Cela prend moins d’énergie et cela va plus vite de garder un ordinateur avec tous ses programmes en mode veille, mais actifs, que de le rallumer à chaque fois quand vous faites quelque chose ».

    Niveau de conscience résiduelle des patients comateux

    L’activité du RD n’est pas altérée lors des premiers stades du sommeil, peu ou pas pendant une anesthésie légère ou en état d’hypnose. De façon encore plus surprenante, l’équipe du professeur Steven Laureys, de l’université de Liège, a montré que le RD des patients atteints du « locked-in syndrome », éveillés et conscients, mais incapables de bouger si ce n’est les yeux, est quasiment identique à celui de sujets sains. En revanche, l’activité du RD est significativement diminuée chez les patients en état végétatif, inconscients mais présentant un état d’éveil minimal, et chez les patients comateux. Elle serait complètement absente lors d’un coma irréversible.

    Les chercheurs belges considèrent que le niveau de connectivité au sein du RD pourrait renseigner sur le niveau de conscience résiduelle des patients comateux totalement incapables de communiquer et serait associé à la capacité de récupération de certains patients présentant un état de conscience altéré. Selon eux, l’IRMf au repos pourrait constituer un outil particulièrement intéressant, mais qui reste à valider, pour aider le clinicien à prédire les chances de récupération.

    Le RD n’est qu’un des « réseaux de l’état de repos », même si c’est celui qui possède les interconnexions les plus robustes et constantes, ainsi que l’activité métabolique la plus intense. De nombreux réseaux fonctionnels au repos ont été décrits, en rapport avec des systèmes cérébraux aussi divers que ceux impliqués dans la motricité, l’attention, la vision, l’audition, le langage. Ces réseaux liés au repos sont présents chez les primates et les rongeurs.

    Facteurs génétiques et environnementaux

    Le professeur Michael Greicius, du département de neurologie de la faculté de médecine de Stanford, en Californie, voit dans l’activité de ces réseaux fonctionnels au repos « un moyen de conserver les connexions qu’ils entretiennent constamment entre eux. On sait que les synapses [les points de liaison entre neurones] tendent à disparaître lorsqu’elles ne montrent pas une activité minimale. Ainsi, l’activité cérébrale au repos permettrait de préserver ces réseaux qui participent à l’organisation globale du cerveau ».

    Reste à comprendre les facteurs génétiques et environnementaux qui interviennent dans la construction et le maintien des réseaux liés à l’état de repos, mais également « les mécanismes cellulaires qui sous-tendent leur activité, ce que l’on ignore totalement aujourd’hui », souligne Marc Raichle.

    « Le but ultime est de comprendre comment des comportements humains complexes émergent de l’activité et de l’interaction de ces réseaux cérébraux fondamentaux, résume Michael Greicius. L’IRM fonctionnelle permet une acquisition relativement aisée des données d’activité des réseaux fonctionnels au repos, dont le RD. Contrairement à d’autres techniques d’imagerie, l’IRMf peut être utilisée chez des patients souffrant de démence ou de troubles psychiatriques sévères incapables de réaliser des tâches. La seule chose que l’on demande au sujet est de rester tranquille pendant environ huit minutes. » Cette facilité d’accès explique l’engouement de très nombreuses équipes pour cette technique.
    L’IRMf au repos a été utilisée pour analyser l’activité du RD dans une trentaine de troubles neuropsychiatriques, ainsi que pour évaluer l’impact de la privation de sommeil, de la méditation, de la musique sur ce réseau.

    « Hyperactivité du RD dans la schizophrénie »

    Susan Whitfield-Gabrieli, du département cerveau et sciences cognitives du MIT (Cambridge, Massachusetts), a rapporté la présence d’une « hyperactivité du RD dans la schizophrénie qui pourrait témoigner d’une amplification de la focalisation sur le monde mental intérieur dont témoigne la paranoïa ». Cette chercheuse a par ailleurs observé « une activité accrue du RD chez des individus sains, parents de premier degré de patients schizophrènes, ce qui suggère que ces perturbations fonctionnelles seraient associées aux processus physiopathologiques plutôt qu’une conséquence de la maladie ».
    Le réseau par défaut a été étudié dans les épisodes dépressifs majeurs. « Il existe une connectivité fonctionnelle accrue du RD dans la dépression, maladie dans laquelle on observe une rumination, les patients ne cessant de ressasser des idées négatives sur eux-mêmes », indique le professeur Philippe Fossati, psychiatre (centre émotion, CNRS, Pitié-Salpêtrière, Paris).

    Les patients dépressifs ayant une tendance à une focalisation sur soi excessive, les processus de référence à soi ont été étudiés en relation avec le RD. Ceux-ci interviennent à chaque fois que l’on se pose la question de savoir si un terme évoquant un trait de personnalité (avare, généreux, susceptible, etc.) s’applique à nous-même. L’équipe de Philippe Fossati a montré que la partie antérieure du réseau par défaut, normalement sollicitée dans les processus de référence à soi chez le sujet sain, était activée de manière excessive chez l’individu déprimé.

    Imagerie cérébrale

    Par ailleurs, certaines études ont montré une corrélation entre le niveau de connectivité au sein du RD et la durée de l’épisode dépressif. Des résultats obtenus par l’équipe de Philippe Fossati, non encore publiés, montrent que les données de l’imagerie cérébrale permettraient de prédire la réponse à tel ou tel type de traitement antidépresseur, ce qui ferait gagner du temps dans une prise en charge médicamenteuse efficace.

    De très récentes études tendent à montrer l’existence d’altérations du RD qui pourraient en partie expliquer certaines anomalies du comportement social chez des individus atteints d’autisme. On observerait une moindre activation au sein du RD, qui serait par ailleurs corrélée au degré des difficultés sociales éprouvées chez ces patients.

    Des anomalies du RD ont également été décrites chez les enfants d’âge scolaire souffrant de « trouble déficit d’attention/hyperactivité ». Enfin, des travaux ont évalué les altérations de certains réseaux fonctionnels au repos après survenue d’un dommage cérébral de moyenne gravité, qu’il s’agisse d’un accident vasculaire cérébral (AVC) ou d’un traumatisme.
    « Nous avons montré en IRMf, après AVC, l’existence de perturbations de l’activité des réseaux fonctionnels au repos, même dans des régions intactes sur le plan structurel, et rapporté qu’elles sont corrélées à des déficits comportementaux ainsi qu’aux capacités de récupération », indique Maurizio Corbetta, directeur du département de neuroréhabilitation (Saint-Louis, Missouri).

    Comprendre les mécanismes par lesquels des troubles neuropsychiatriques fort différents induisent des perturbations de la connectivité du réseau par défaut, et dans quelle mesure son atteinte renseigne sur le pronostic des patients : tel est désormais l’objectif majeur de ces recherches.

    Marc Gozlan, le Monde science et techno, 21/03/2013
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    https://youtu.be/566kRI-y3Uw

  • INSURGEONS-NOUS !

    Santé, éducation, logement, travail : ils sélectionnent, ils confisquent, ils rentabilisent, ils concurrencent, ils privatisent, ils pillent, ils exploitent, ils cassent, ils brisent. De là, ils sélectionnent, confisquent, rentabilisent, concurrencent, privatisent, pillent, exploitent, cassent, brisent, nos propres vies. La crise pour ceux qui la subissent est une mise à mort sociale, la crise pour ceux qui la décrètent est un mode de fonctionnement financier.

    S’indigner individuellement, c’est bien.
    Se révolter collectivement, c’est mieux.

    LA CRISE ? LE CAPITALISME

    Un système régit le monde, le capitalisme. Un système dont la crise est le principe de fonctionnement, le capitalisme. "Crise du chômage", "crise du logement", "crise de la consommation", "crise du plein-emploi", "crise du pétrole", "crise alimentaire", "crise humanitaire", "crise financière", "crise boursière", "crise sociale", "crise économique", "crise politique", "crise culturelle", "crise énergétique", "crise écologique", tel est le mode même du développement du capitalisme à travers l’histoire. Le capitalisme régit le monde, depuis deux siècles. Le capitalisme n’est autre que la loi du Capital. C’est-à-dire de la puissance financière, et le pouvoir de ceux qui la détiennent. Le capitalisme est un système qui divisent le monde entre ceux qui détiennent la puissance financière, et ceux qui y sont soumis.

    Ils nous parlent maintenant de "crise planétaire", de son urgence, de sa menace, de son irréversibilité, de sa fatalité. Spectaculaire, foudroyante, implacable. Ce n’est pas la première, ce n’est pas la dernière. Davantage, la crise planétaire est le mode continu du capitalisme.
    Le capitalisme régit le monde, divisé entre ceux qui détiennent la puissance financière et ceux qui y sont soumis. Deux langages, deux logiques de nécessités, deux classes. Le capitalisme divise le monde en deux logiques : celle du profit, de la stabilité de la puissance, de l’accroissement du pouvoir, de la maximisation de la rentabilité ; et celle de la vie, de la stabilité à se nourrir et se loger, de la maximisation de l’ordre de la nature, des nécessités humaines.

    Le capitalisme détruit le monde. L’économie de profit et la logique de la puissance financière saccagent écosystème et vies humaines. Le capitalisme soumet le monde aux lois du Capital, et l’assassine. Le capitalisme est un système de mort. Où il faut mourir pour lui : la nature, l’individu, des écosystèmes entiers, des peuples entiers.

    Les dernières "grandes crises planétaires", périodes nommées comme telles, celles du krash boursier de 1929 et du krash pétrolier de 1973 ont rendu possible et justifié les pires dictatures et les plus monstrueuses des guerres. Cette nouvelle "grande crise planétaire" depuis le semi-krash boursier de 2008 est en train actuellement de rendre possible et de justifier les pires dictatures et les plus monstrueuses des guerres. Mais depuis deux siècles de capitalisme, de crise continue, il n’y a finalement qu’une seule dictature et une seule guerre : la dictature du profit, du pouvoir, de la puissance financière, du Capital ; et la guerre entre les nécessités financières et les nécessités humaines, entre la classe des puissants et la classe de ceux qui travaillent pour eux, entre la classe qui détient le pouvoir financier et la classe de la masse populaire qui lui est soumis.

    Depuis deux siècles, la seule réalité planétaire est celle d’une guerre de classe. Une guerre entre la vie et la finance, entre l’humain et le profit, entre la nature et la statistique. La situation actuelle, en 2012, pour chaque quartier, chaque ville, chaque pays, chaque continent n’est qu’un écho plus retentissant encore de la réalité sociale mondiale, de deux siècles de crise continue planétaire : un monde, deux classes, une guerre.

    LEUR CRISE, NOTRE AUSTÉRITÉ

    Dettes bancaires, bourses déstabilisées, déroute économique, toutes les formules officielles sont bonnes pour amener la nécessité financière d’une "restructuration générale", qui n’est autre qu’une offensive violente du capitalisme pour se régénérer. Le capitalisme ne se régénère que par la casse sociale et l’écrasement de vies humaines. Comme il l’a toujours fait.

    Tout commence par des licenciements, des augmentations et créations de taxes, des coupes budgétaires, des pertes de subventions, des privatisations, des délocalisations, de manière graduelle avec l’apparence de phénomènes isolés. Puis on se rend compte de la cohérence précise et calculée de cette casse sociale qui va jusqu’au génocide social. C’est ce qui se passe actuellement en Grèce, où les offensives du Capital se sont multipliées et violemment durcies depuis 2008. La dette de grandes banques et des pertes boursières ont affamé tout un peuple qui meurt lentement de notre passivité internationale et de la répression d’Etat locale.
    L’Etat a effectivement une souveraineté, qui n’est pas une souveraineté populaire mais une souveraineté policière. L’Etat a pour seule fonction de maintenir l’ordre, par tous les moyens qu’il jugera nécessaire, pour permettre les mesures d’austérité de s’implanter sans discussion contre l’ensemble de la population. Ces mesures d’austérité obéissent aux nécessités du Capital.

    En cette période décisive se joue en Grèce un basculement. Un basculement irréversible et irrémédiable. Un basculement politique.
    Les puissants de ce monde, et en particulier de l’Europe, la Troïka, qui ne sont pas les gouvernements ou les partis mais l’appareil d’Etat en lui-même et le pouvoir financier, prétextent la « crise » pour déployer des « mesures d’austérité » et autres « plans de rigueur » pour se « serrer la ceinture » et en sortir. La crise est un fait. C’est le mode de fonctionnement de leur système et de leur régime, le capitalisme. Un capitalisme qui n’est ni « sauvage » ni « ultra », ni « virtuel » ni « inhumain », ni "néo-libéral" ni "démocrate". C’est le capitalisme, c’est tout. Régime et système des puissants, de la finance et des marchés, des patrons de multinationale et des bourses. Ce monde-là n’est pas le nôtre. Ce qui nous importe à nous est de nourrir nos familles et de vivre avec décence et dignité, d’avoir des enfants et de pouvoir se loger, se vêtir, et se subvenir. Ce monde nous le permet par mérite et par chantage, par menaces et par compétition, par isolement et par sélection.

    Aujourd’hui, leurs finances sont en "crise". Ce monde-là n’est pas le nôtre. Cette crise n’est pas la nôtre. C’est la crise de leur régime, de leur système, de leurs finances et de leurs multinationales. Ces riches et patrons si puissants, invisibles de notre quotidien, ont bâti leur pouvoir sur notre labeur et sur la spéculation virtuelle de leurs bourses folles à partir de notre travail. Ces riches et patrons si puissants voient leur pouvoir vaciller dans les rouages qui sont les leurs, et nous imposent à nous d’accroître notre labeur, de se plier davantage à leurs chantages et menaces. Ces riches et patrons, ces bourses et marchés, veulent sauver leur puissance sur nos vies, nos enfants, nos toits. Pour sauver leur puissance en déroute, ils nous écrasent, nous affament, nous exterminent. Et si nous ripostons avec tant soit peu de force, ils nous répriment, nous fichent, nous matraquent, nous emprisonnent.

    Aujourd’hui plus que jamais, ils font des premiers exclus et des premiers écrasés de cette logique et de ce régime l’alimentation fondamentale de nos peurs. Ils fabriquent des ennemis. Ils inventent des boucs-émissaires. Ils façonnent la prétendue « cause » de cette situation. Auparavant, cela a été « le juif », « le bolchevique », « l’homosexuel », « le fou », « l’inutile », façonnés en ennemi intérieur et extérieur, et finalement en « sous-homme ». Tout génocide est un génocide social. Toute extermination est une extermination sociale. La « crise » de 1929 a amené au nazisme, au franquisme, au fascisme. Aujourd’hui, de nouveau, plus de 80ans après la « grande crise » de 1929, voici de nouveau une dite « grande crise ». Européenne, mondiale, planétaire. Et aujourd’hui, de nouveau, plus que jamais, ils font des premiers exclus et des premiers écrasés de cette logique l’alimentation fondamentale de nos peurs. Ils fabriquent des ennemis. Ils inventent des boucs-émissaires. Ils façonnent la prétendue « cause » de cette situation. A présent, ils parlent de « l’immigré », de « l’arabe », de « l’islamiste », du « chômeur fainéant », de la « racaille de banlieue », du « profiteur étranger », du « terroriste », de « l’inutile », du « peuple grec fainéant », du « peuple grec lâche », façonnés en ennemi intérieur et extérieur, et progressivement en « sous-homme ». Justifiant progressivement les prochaines exterminations. Et toute extermination est sociale. Justifiant progressivement l’avènement déjà en cours de « l’Occidentisme », de « l’Européanisme », du fascisme.

    Aujourd’hui, "c’est la crise", disent-ils. C’est l’heure à nouveau d’une période de violente régénération du capitalisme. La crise, le mode de devéloppement du capitalisme. Sur l’écrasement de nos vies.

    Pour sauver leur pouvoir, les puissants doivent écraser la réalité humaine et la réalité de la vie. Pour sauver sa puissance, le capitalisme doit écraser l’humain et le vivant. Au début, c’est l’augmentation du chômage, jusqu’à être la réalité de plus de la moitié d’une population entière. C’est l’augmentation des taxes, des impôts et des factures. C’est l’augmentation des ressources d’énergie, des loyers et des denrées alimentaires. Simultanément ou par la suite, c’est la destruction de toute protection sociale. C’est les coupures budgétaires puis la fermeture stricte des hôpitaux, des écoles et des foyers d’accueil. C’est l’abolition de notre droit à la retraite, de notre droit à un toit, de notre droit à nous vêtir et nous nourrir. De notre droit à avoir des enfants et de vivre. Dans ce monde, cela relève effectivement de notre « droit ». Mais ce monde détruit ces « droits » et les transforme en « devoirs », par la menace et le chantage, par la peur et l’isolement. « Devoir » de travailler davantage pour moins de revenus, « devoir » de payer soi-même ses médicaments si l’on en a les moyens, « devoir » de payer plus cher notre nourriture et notre loyer, « devoir » de dénoncer « l’immigré clandestin » ou le « terroriste islamiste », « devoir » de ne pas faire grève et de la dénoncer en « prise d’otage », « devoir » de consentir voire d’applaudir la répression menée en guerre intérieure contre les affamés s’ils osent se défendre dans la rue, « devoir » de respecter avec silence le déploiement d’hélicoptères au-dessus des familles de banlieues, « devoir » de se résigner à la diminution des professeurs et instituteurs, « devoir » se résoudre aux contrats précaires et à la baisse voire l’abolition du salaire minimum. Au final, « devoir » accepter le diktat des riches et des puissants, ce monde en "crise", cette "crise" de leur régime, de leur système, de leurs finances et de leurs multinationales. Du capitalisme.

    Et si l’on refuse ce chantage, cette peur, cette menace, cette crise, ce monde, ce capitalisme ; si l’on refuse de travailler dans l’espoir strict de ne pas mourir de faim ou de froid ; si l’on refuse cette urgence et cette angoisse permanentes et écrasantes comme nouvelles règles de vie, comme équilibre de survie : celle de nos familles, de nos enfants, de nous-mêmes, alors c’est le fichage, le contrôle, la surveillance, la police, la prison, l’armée. Alors c’est le fascisme.

    Aujourd’hui, voilà ce qui se passe en Grèce. En Grèce, les mères abandonnent leurs enfants parce qu’elles n’arrivent plus à les nourrir. En Grèce, les migrants sont arrêtés par milliers dans de grandes rafles de rue et emmenés dans des centres de rétention d’où ils sont renvoyés sans un sou dans des pays en guerre. En Grèce, la police se militarise et occupe toutes les grandes avenues et rues de la capitale athénienne, équipés de boucliers et de casques, parfois de fusils- mitrailleurs, à grands renforts de bus blindés et de patrouilles de motos « voltigeurs ». En Grèce, des milliers de personnes abandonnent leurs appartements ou maisons aux loyers maintenant trop élevés et vivent dans des dizaines de « campements de pauvres » autour d’Athènes. En Grèce, des enfants affamés livrés à eux-mêmes sillonnent par trois ou cinq les grandes rues hostiles de la capitale, quémandant pièces ou bouts de pain en échange d’un paquet de mouchoir ou d’une mélodie à l’accordéon. En Grèce, des dizaines de milliers de foyers ont leur électricité coupée, faute de ne pas avoir payé des factures exorbitantes. En Grèce, 52% de la population ne trouve pas de travail et est condamnée au chômage forcé, tandis que 1 270 000 travailleurs (en février 2012) qui ont pu garder leur poste ne sont tout bonnement plus rémunérés du tout depuis cinq mois. En Grèce, il n’y a plus ni médicaments dans les hôpitaux, ni livres d’étude dans les écoles ; ni personnels dans les foyers d’accueil, ni nourritures abordables dans les supermarchés. En Grèce, la police tolère et protège le marché noir d’héroïne qui isole et tue des milliers de personnes se shootant de désespoir sur les trottoirs ; des centaines de « nouveaux » chômeurs expulsés de leurs foyers occupent des places entières devenues campements de la misère.
    En Grèce, les gens meurent, de faim, de froid, de drogue, de solitude, de répression, de désespoir, de misère.

    Aujourd’hui, ce qui devient un dernier point d’arrivée en Grèce est le nouveau point de départ ailleurs. En Espagne. Au Portugal. En Italie. En Islande. En France. Et vont suivre la même chute infernale pour tous et chacun, étape par étape, graduellement ou en accéléré, imposée par les nécessités propres des puissants, de cette crise, de ce monde en crise, du capitalisme.

    Mais aujourd’hui, en Grèce, le peuple refuse. Familles, pères, mères, frères, sœurs, parents, proches, amis, voisins, collègues, travailleurs, précaires, chômeurs, étudiants, lycéens, exploités, humiliés, tentent une nouvelle fois de résister. De se lever. De se solidariser. De s’organiser par eux-mêmes. De se confronter à la police. De faire grève. D’occuper leurs lieux de travail. D’occuper et paralyser mairies, hôtels de ville et préfectures. De tenir. De vaincre. Contre les nécessités propres des puissants, de cette crise, de ce monde en crise, du capitalisme.

    En ces journées décisives se joue en Grèce un basculement. Un basculement irréversible et irrémédiable. Un basculement politique.
    Le peuple grec, dans la réalité humaine et vivante de notre monde, qui n’est pas statistique ou équilibre financier, mais réel. Le réel. Notre réel. A tous. A chacun. De notre classe. Celui de devoir se nourrir, nourrir ses proches, nourrir ses enfants. Celui de devoir se loger, loger ses proches, loger ses enfants. Celui de devoir se soigner, soigner ses proches, soigner ses enfants. Celui de devoir se vêtir, vêtir ses proches, vêtir ses enfants. Celui de devoir s’éduquer, éduquer ses proches, éduquer ses enfants. Celui de vivre et non survivre, pour soi, ses proches, ses enfants. Ce « devoir » là n’est imposé par personne d’autre que nous-mêmes. Ce « devoir » là n’est autre que cette nécessité qui est nôtre, humaine, vivante, d’être et demeurer humains, vivants.
    La nécessité humaine et de la vie n’est pas celle de la puissance financière. La nécessité humaine et de la vie n’est pas celle du capitalisme. Notre nécessité à nous, hommes, femmes, simples, anonymes, sans autre ambition de n’être que ces hommes, ces femmes, simples, anonymes, sans autre pouvoir que celui de pouvoir avoir des enfants et les chérir, les nourrir, les loger, les éduquer ; cette nécessité et cette volonté, cette création et ce partage, n’appartient qu’à nous. Notre nécessité d’hommes et femmes simples et anonymes est celle obéissant à notre réalité humaine et vivante.

    Aujourd’hui, en Grèce, des hommes, des femmes, simples, anonymes, veulent défendre leur humanité et leurs vies. Aujourd’hui, en Grèce, des hommes, des femmes, se battent pour cela. Un homme, une femme, qui veut vivre aujourd’hui en Grèce, est un homme combattant, une femme combattante. Pour soi, ses proches, ses enfants.

    En cette période décisive se joue en Grèce un basculement. Un basculement irréversible et irrémédiable. Un basculement politique. Des hommes, des femmes, simples, anonymes, se battent, par centaines, par milliers, par centaines de milliers. Descendent dans la rue. Affrontent la police. Occupent leurs lieux de travail. Font grève des loyers et des factures. Pillent les supermarchés. Occupent et paralysent les lieux de pouvoir. Constituent des Comités de Quartiers. Envahissent et occupent des immeubles vides. Occupent les ministères. Occupent les hôtels de ville. Occupent les mairies. Laissent les banques s’effondrer. Assiègent le Parlement. Tentent de s’auto- organiser, de se réapproprier de manière autogestionnaire leur outil de travail.

    POUR SOI, SES PROCHES, SES ENFANTS

    Et des personnes meurent, des jeunes meurent, des mères meurent, des chômeurs meurent, des migrants meurent, des enfants meurent. Le peuple meurt de faim, de matraques, de froid, de grenades explosives, de solitude, de lacrymogènes asphyxiants, de désespoir, de voltigeurs.

    La « crise » de 1929 a amené au nazisme, au franquisme, au fascisme. Qui ont vaincu et régné sur la répression de révolutions et la mort de peuples entiers. Et un premier régime fasciste vainqueur de la mort d’une révolution et d’un peuple entier justifie la victoire et le règne de tous les régimes fascistes. Franco a vaincu et régné sur la mort de la vague révolutionnaire de 1936 en Espagne. Hitler, Pétain, Mussolini, Staline ont vaincu et régné par la victoire et le règne de Franco. Le fascisme européen a vaincu et régné sur le fascisme espagnol, qui fut le dernier à mourir.

    Aujourd’hui, de nouveau, plus de 80 ans après la « grande crise » de 1929, voici de nouveau la « grande crise ». Européenne, mondiale, planétaire. Et aujourd’hui, de nouveau, plus que jamais, ils font de l’écrasement de la révolte et la mort du peuple grec la condition nécessaire pour la victoire et le règne du fascisme en Grèce. Et un premier régime fasciste vainqueur de la mort d’une révolution et d’un peuple entier justifie la victoire et le règne de tous les régimes fascistes. Si le fascisme vainc et règne en Grèce, les régimes fascistes vont vaincre et régner dans toute l’Europe.
    Le combat des hommes, des femmes, simples, anonymes, grecques est le combat de tous les hommes et de toutes les femmes, simples, anonymes, d’Europe et au-delà. Le combat du peuple grec est le combat de tous les peuples d’Europe et au-delà. Laisser écraser la révolte du peuple grec et sa mort est laisser écraser toute possibilité de révolte des peuples d’Europe et au-delà, et permettre leur mort. Laisser la victoire du fascisme en Grèce, c’est laisser la victoire du fascisme dans toute l’Europe. Ce fut le cas avec la « crise » de 1929 et la victoire de Franco sur la révolution espagnole. Ce sera le cas avec la « crise » actuelle et la victoire du fascisme sur la révolte grecque. Et la révolte grecque, seule, isolée, abandonnée, comme le fut la révolution espagnole en 1936, sera réprimée, écrasée, exterminée.
    Être solidaire et combattre pour le peuple grec, c’est être solidaire et combattre pour tous les peuples d’Europe, pour tous les hommes et toutes les femmes, simples, anonymes, d’Europe. Pour soi, ses proches, ses enfants.

    DE LEUR CRISE À NOTRE AUSTÉRITÉ
    DE NOTRE AUSTÉRITÉ À NOTRE RÉSISTANCE

    Nous nous adressons à tous et chacun, de ceux qui cherchent du travail ou en ont un, de ceux qui veulent s’en sortir ou qui croient s’en être sortis, de ceux qui craquent dans les Pôle Emploi ou craquent de leurs conditions de boulot, de ceux qui n’ont pas le temps de rêver ou de ceux qui n’en peuvent plus du rêve marchandisé, de ceux qui galèrent déjà à nourrir leur famille ou de ceux qui n’osent pas avoir d’enfants en ayant déjà du mal à se nourrir eux-mêmes, de ceux pris dans la routine sans fin du travail ou de ceux pris dans la routine sans fin de la recherche de travail, de ceux à qui on reproche de vivre au-dessus de leurs moyens ou de ceux qui n’ont pas du tout de moyens ni de vie, de ceux qui n’ont pas de travail en étant sur-diplômés ou de ceux qui n’ont pas de travail sans aucun diplôme, à tous et chacun donc qui veulent s’en sortir et vivre avec le minimum de décence.

    Nous nous adressons à tous et chacun, effrayés ou ignorants de ce monde qui s’embrase, sympathisants ou fuyants de ce monde qui s’effondre, assommés de mots quotidiens martelés par des gens inconnus derrière l’écran de la télé d’Etat, tels "crise", "sécurité", "stabilité", "catastrophe", "chômage", "insécurité", "urgence", "désastre", "économie", "bourses", "marchés", qui s’alternent dans l’indifférence médiatique avec "football", "stars", "people", "nouvel écran plat". A tous ceux qui n’ont pas le temps de parler avant qu’on parle à leur place. A tous ceux qui n’ont pas le temps de vivre avant qu’on les détermine à leur place. A tous ceux qui craquent et à qui on parle comme des enfants attardés.

    Depuis 2008 et les nouvelles offensives, toujours plus violentes, du Capital à travers le monde, de nouveaux élans de résistance populaire se confrontent à la bourgeoisie régnante et à l’Etat répressif. La spirale des troubles et de cette guerre de classe a commencé dans le "monde arabe" avec les révolutions en Tunisie, Egypte, Lybie, Bahrein, Syrie, qui continuent encore. Pour balayer tous leurs ennemis. Elle a touché les Etats-Unis de "Occupy Wall Street" à "Occupy Oakland" et l’Europe où le massacre capitaliste des peuples a commencé en Grèce.

    A mesure que la crise et la casse sociale s’aggravent, des villes s’embrasent et la révolte s’étend. En huit mois, de l’été 2011 au printemps 2012, les capitales européennes des pays les plus touchés socialement ont brûlé : Londres du 6 au 11 août 2011, Rome le 15 octobre 2011, Athènes le 12 février 2012, Barcelone et Madrid le 29 mars 2012.

    La grève générale illimitée reste la première arme révolutionnaire de notre classe. C’est la seule arme qui peut faire changer la peur de camp : par le blocage de leur économie, l’expropriation des richesses et la réappropriation des outils de travail, alors c’est la bourgeoisie qui a peur et nous envoie toutes leurs polices.

    UN MONDE, DEUX CLASSES, UNE GUERRE

    Il n’y a pas de "vous", il n’y a pas "les autres", il n’y a pas "c’est la vie", il n’y a pas "là-bas", il n’y a pas "de toute façon", il n’y a qu’un nous. Nous. Nous qui travaillons et galèrons, nous à qui "les fins de mois" est une question quasi- existentielle, nous qui sommes des hommes, des femmes, simples, anonymes, qui voulons avant tout nous en sortir. Nous qui voulons avant tout nous nourrir, nous loger, nous vêtir, avoir des enfants sans nous sacrifier ni les sacrifier. Et nous sommes ces hommes, ces femmes, simples, anonymes, avant d’être des "clients", des "élèves", des "ménages", des "citoyens", des "consommateurs", des "actifs", des "inactifs", et nous avons des conditions de vie communes. Pour combler nos nécessités humaines, pour nous vêtir, nous loger, nous nourrir, subvenir nos enfants, nous devons travailler ou chercher du travail. Notre quotidien, nos conditions de vie sont communes : locataires pour nous loger, consommateurs pour nous nourrir et nous vêtir, salariés pour pouvoir être locataires et consommateurs. Ceux sans travail n’ont droit ni à se loger, ni à se vêtir, ni à se nourrir, ni à subvenir ces enfants.

    Nous, c’est tous ceux qui se sont posés au moins une fois la question "comment s’en sortir ?". Dans chaque quartier, dans chaque ville, dans chaque pays, sur chaque continent, nous sommes la masse innombrable qui nous posons au moins une fois la question "comment s’en sortir ?".

    Et dans chaque ville, dans chaque pays, sur chaque continent, il y a une poignée de personnes qui ne se sont jamais posés cette question. Une caste. Une oligarchie. Une classe séparée. Ils sont riches, l’ont toujours été et ne se posent que leur seule question possible : "comment être encore plus riche ?". Cette poignée de personnes, nous ne les croisons jamais dans notre quotidien, ils ne font pas partie de nos vies. Pourtant ce sont eux qui déterminent selon leurs nécessités propres et leur seule question toute la réalité quotidienne de nos vies. Ce sont les grands propriétaires, les PDG, les grands patrons, les multinationales, les directeurs banquiers, les chefs d’Etat, les ministres, les députés, les sénateurs, les préfets. Les puissants. Tous ceux-ci étant au service exclusif de ceux plus riches et plus puissants encore, les décideurs du monde, les décideurs du sort de la planète et de peuples entiers, et de nos vies particulières. Ces décideurs sont encore plus invisibles, n’ont ni nom ni visage, et ont créé toutes sortes d’instance en abréviation pour augmenter leur puissance et leur richesse, ces instances qui n’ont de sens réel pour nous que comme abréviation : FMI, OMC, UE, G8, S&P, BCE, CEE, ALENA, ONU, OCDE...

    Il y a nous, la classe des exploités. Il y a eux, la classe des exploiteurs. Et il n’y a de rapport entre ces deux classes qu’un rapport de guerre.

    Nous sommes ceux qui dès l’enfance parfois se demandent "comment s’en sortir", et ils sont ceux qui décident à notre place comment nous devons vivre et déterminent comment, à notre place, "s’en sortir". Selon leurs critères, leurs nécessités, leurs exigences : devenir plus puissant encore, devenir plus riche encore. Et à partir de là calculer, investir, écraser. Ces critères, ces nécessités, ces exigences, ne sont pas les nôtres. Les nôtres sont : se nourrir, se vêtir, se loger, subvenir nos enfants. Et à partir de là rencontrer, voyager, aimer.

    Nous sommes ceux qui "sont payés", ils sont ceux qui "payent" ; nous sommes ceux qui construisons, ils sont ceux qui se pavanent ; nous sommes ceux qui produisons, ils sont ceux qui se goinfrent ; nous sommes ceux qui travaillons, ils sont ceux qui se dorlotent ; nous sommes ceux qui tenons le plateau, ils sont ceux qui se servent ; nous sommes ceux qui cirons leurs chaussures, érigeons leurs palaces, gérons leurs dossiers, récurons leurs chiottes, administrons leurs rendez-vous, rédigeons leurs mémoires, médiatisons leurs débats, assurons leur sécurité, produisons leurs intérêts, suons leurs richesses, votons leurs puissances, applaudissons leurs discours, remercions leurs promesses, attendons leurs patiences, craignons leurs décisions, espérons leurs clémences, louons leurs propriétés. Nous sommes ceux qui travaillons, ils sont ceux qui décident, décrètent. Nous sommes ceux qui sommes licenciés, ils sont ceux qui le décident. Nous sommes ceux qui créons la richesse, ils sont ceux qui nous la confisquent. Nous sommes ceux qui construisons des maisons et des appartements, ils sont ceux qui les achètent. Nous sommes ceux qui payons des loyers, ils sont ceux qui décident de leur montant. Nous sommes ceux qui travaillons la terre et le pain, ils sont ceux qui les détiennent. Nous sommes ceux qui payons la nourriture, ils sont ceux qui décident des tarifs. Nous sommes ceux qui rendons possible la grande distribution, ils sont ceux qui décident des prix. Nous sommes ceux qui utilisons les transports en commun, ils sont ceux qui les rendent payants.

    Nous sommes ceux qui étudions, ils sont ceux qui décident du contenu et de la valeur des études. Nous sommes ceux qui allons à l’école, ils sont ceux qui décident du contenu et de la valeur de l’éducation. Nous sommes ceux qui allons dans les hôpitaux, ils sont ceux qui décident des moyens et de la valeur de la santé. Nous leur appartenons. Nous sommes leurs esclaves-salariés. Les lois du Capital et de ceux qui le détiennent, la bourgeoisie, ont fait de nous depuis plusieurs siècles leur main d’oeuvre, un prolétariat.

    Ils sont ceux qui détiennent les armes, nous sommes ceux qui les appréhendons. Ils sont ceux qui construisent les prisons, nous sommes ceux qui les remplissons. Ils sont ceux qui créent les frontières, nous sommes ceux qui les subissons. Ils sont ceux qui licencient, nous sommes ceux qui nous prenons des lacrymos pour oser l’avoir refusé. Ils sont ceux qui décrètent les guerres, nous sommes ceux qui y mourront.

    Ils ont le monopôle de la violence et du jugement, nous n’avons que le droit d’être violentés et jugés. Ils nous divisent entre "violents" et "non-violents" alors que ce sont eux qui ont matraques et gaz pour nous réprimer tous. Leur violence est légale, la nôtre est légitime. Leur justice emprisonne, notre justice soude et libère. Leurs polices servent de justice, leur justice sert de paix. Si telle est leur justice, il n’y a pas de paix, mais qu’une terreur policière qui protège les riches. Si telle est leur paix, la police est partout et la justice nulle part.

    Toute révolte est juste si elle ne se trompe pas d’ennemis. L’ennemi n’est pas le "pauvre", "l’arabe" ou la "banlieue" mais le riche et le puissant qui ont créé la pauvreté et le ghetto-banlieue et qui ont choisi d’y enfermer toute personne de couleur et anciens colonisés pour maintenir la division.

    Avant d’être arabe, noir, blanc, nous sommes des gens qui voulons nous en sortir, soumis au même sytème qui créée de la peur entre nous pour se faire oublier.
    Le racisme est une arme des puissants, des riches et de l’État. Eux qui construisent les murs qui nous divisent et les impasses qui nous bloquent, les barbelés périphériques qui nous séparent et les polices qui nous sélectionnent.

    La seule violence est celle de la puissance financière qui décide de nos vies. La seule violence est celle de l’Etat qui décide de notre valeur. La seule violence est celle de la police qui décide de notre "paix". Face à cela, toute notre résistance ne sera que défense et autodéfense.

    Seuls l’État et le Capital anticipent notre colère, nous qui avons du mal à anticiper notre propre misère. Ils se dotent de toutes les armes possibles, qui tuent et assassinent de manière "non létale". Des lycéens perdent leurs yeux sous les balles en caoutchouc pour défendre leurs études, des "banlieusards" perdent leurs vies accusés d’être pauvres de couleur et "ex"-colonisés, des sidérurgistes perdent leur dignité par les coups de matraque pour défendre leur emploi, des personnes âgées et des enfants se font gazer pour défendre le droit à la retraite.

    Guerre de classe, et nécessité fait loi. Nécessités humaines et naturelles contre nécessités économiques de profit et de puissance.

    APPEL AU COMBAT, APPEL À L’INSURRECTION

    La "démocratie représentative" est le nom donné par les puissants à un système où les règles du jeu et ses cartes sont détenus par les riches et les puissants. Et nous qui cherchons à nous en sortir dépendons des cartes sociales que les riches veulent bien nous distribuer. Mais ce sont toujours eux qui les distribuent.

    Ce ne sont pas les cartes qu’il faut changer, mais le jeu lui-même. Parce que nos vies et celles de nos enfants ne sont pas un jeu. A nous de faire en sorte que les riches ne jouent plus avec nos vies selon leurs propres joker et leurs propres bonus. C’est eux qui décident de la case de départ et de la case d’arrivée de chacun d’entre nous, et nous sommes condamnés à respecter les parcours qu’ils nous distribuent.

    Soyons notre propre case de départ et notre propre case d’arrivée à la fois, soyons notre propre parcours, éjectons les riches et les puissants du jeu. Notre monde n’est pas le leur, nos nécessités ne sont pas les leurs, nos envies et nos besoins ne sont pas les leurs. Déterminons nous-mêmes nos propres vies.

    Les "élections démocratiques et représentatives" sont l’illusion à nous faire
    changer de couleur. Le "pic" peut devenir "carreau" ou "trèfle", les cartes restent les mêmes, et ce sont toujours les mêmes qui les détiennent. Et nous sommes leur mise, leur gain, leur enjeu.

    SOYONS NOTRE PROPRE ENJEU

    Leurs principales armes pour nous faire accepter leur diktat financier sont la peur et le chantage. Peur de la banlieue, peur de l’autre, peur d’être solidaire, peur de se défendre, peur de faire grève, peur d’étudier sans travail au bout, peur du chômage, peur de son patron, peur d’avoir peur. La crise créée de la peur, elle est la peur, se veut notre peur pour avancer et imposer ses mesures.

    La question s’est posée en Tunisie, en Egypte, en Lybie, en Syrie, elle se pose aujourd’hui en Grèce, en Espagne, au Portugal, en Italie, commence à se poser en France et aux Etats-Unis, et finalement est la question que nous nous posons tous : jusqu’à quand ?

    JUSQU’ICI, "TOUT VA BIEN", MAIS JUSQU’À QUAND ?

    Pour ne plus avoir peur, il faut que la peur change de camp. A la finance d’avoir peur de notre colère, aux puissants d’avoir peur des sans-travail, aux policiers d’avoir peur de notre solidarité.

    Nous avons l’impression d’être dépassé, de ne plus comprendre ce qui se passe dans nos vies, de devoir se fier et avoir confiance en ceux qui détruisent nos vies pour qu’ils la protègent, mais la seule réponse à nos angoisses et notre urgence est le rapport à notre histoire, notre propre histoire, notre histoire de classe qui est une histoire de lutte et de combat.

    L’histoire n’est pas celle des chefs d’Etat ou des "grands noms", des "grands hommes", l’histoire n’est pas celle des dominants et des puissants, elle est faite et se fait toujours par les petites gens, les anonymes que nous sommes, les hommes et femmes simples que nous sommes fiers d’être. Les Tunisiens et les Egyptiens nous l’ont montré, et aujourd’hui ce sont les puissants qui ont peur "des gens", de ces gens qui font leur propre histoire, qui veulent leur propre victoire. Et ils ont peur que nous soyons l’écho, l’onde de choc en Europe des secousses tunisiennes, égyptiennes, lybiennes et syriennes.

    A vous, à nous, camarades, frères, sœurs, parents, proches, amis, voisins, collègues, travailleurs, précaires, chômeurs, étudiants, lycéens, exploités, humiliés ; De France, d’Espagne, d’Italie, du Portugal, d’Allemagne, d’Europe et au-delà ; ceci est un appel. Un appel de solidarité internationale. Entre les peuples. Entre les hommes, les femmes, simples, anonymes. Ceci est un appel au combat. Avec et pour le peuple grec assassiné. Avec et pour tous les peuples.

    Un appel à descendre dans la rue, occuper les lieux de travail, faire grève des loyers et des factures, occuper et paralyser les lieux de pouvoir, constituer des Comités de Quartiers, envahir et occuper les immeubles vides, occuper les ministères, les hôtels de ville, les mairies, laisser les banques s’effondrer, assiéger le Parlement. Par dizaines, par centaines, par milliers, par centaines de milliers. Pour soi, ses proches, ses enfants. Les nôtres, ceux de chacun, ceux de tous.

    Pour tous les hommes, toutes les femmes, simples, anonymes, et contre leurs patrons, leurs polices, leurs menaces, leurs chantages, leurs puissances, nos seules armes sont la solidarité, la détermination, l’auto-organisation par et pour nous-mêmes. Nous sommes notre propre nécessité, notre propre ambition, notre propre pouvoir.

    ALORS, ALORS SEULEMENT, CE SONT EUX QUI AURONT PEUR

    De l’indignation à la révolte, de la révolte à l’émeute, de l’émeute à la grève sauvage émeutière, de la grève sauvage émeutière à l’insurrection.

    Désormais nous avons compris, et nous n’avons plus peur : nous sommes notre propre solution, notre propre ambition, notre propre pouvoir. Nous ne comptons que sur notre propre force, sur notre propre capacité à organiser nous-mêmes nos vies, sur notre propre solidarité.

    L’insurrection ne sera ni "civique" ni "citoyenne", elle est confrontation de classe. Nous sommes non-violents avec ceux qui sont non-violents avec nous, mais nous revendiquons l’autodéfense par tous les moyens nécessaires contre toute violence à notre encontre. Cette violence est permanente, quotidienne, omniprésente, c’est la violence capitaliste. Se confronter à la police ou bloquer une entreprise relève de l’autodéfense contre la violence de licenciements de masse ou de hausse des factures. Bloquons leur économie et que la peur change de camp, comme lors du blocage des raffineries à l’automne 2010. Réapproprions-nous nos outils de travail quand ils veulent les fermer, créons des Assemblées de Quartiers et développons la démocratie directe, la seule à laquelle nous aspirons. Pour reprendre nos vies en main, ici, maintenant, nous-mêmes. Là où nous vivons et travaillons. Exproprions les richesses qu’ils nous ont volé, créons des Comités d’Autodéfense de Précaires et Chômeurs. N’attendons pas d’être pris dans l’urgence comme le sont les peuples grecs et espagnols aujourd’hui. Le désastre, nous y sommes déjà et il ne fera que s’aggraver, et arriver. Alors que capitalisme, crise et désastre sont déjà là. Cette impression commune que le ras-le-bol, la révolte, l’explosion, vont arriver. Alors que ras-le-bol, révolte et explosion sont déjà là.

    S’indigner ou prendre acte. Prenons acte.
    Tout de nous, rien d’eux.

    Des hommes, des femmes, simples, anonymes.
    https://juralib.noblogs.org/2012/05/16/insurgeons-nous

  • LES PRÉDATEURS MÈNENT UNE GUERRE CONTRE LES PEUPLES

    Le Comptoir : Dans votre dernier livre, Les prédateurs au pouvoir, vous attaquez la « pensée unique », expression peu claire car elle est utilisée par tout le monde d’Acrimed au FN. Comment définiriez-vous cette « pensée unique » ?

    Monique Pinçon-Charlot : Aujourd’hui, selon la perception de l’oligarchie, les partis sont morts et il n’y a plus de gauche ni de droite. Quand on emploie l’expression « pensée unique », on vise bien le fait que la pensée néo-libérale est devenue une seconde nature. Elle est devenue le réel, quelque chose qu’on ne peut pas remettre en question. Le néolibéralisme peut être amélioré, amendé pour être encore plus violent, mais il ne peut pas être critiqué. On est bien dans un totalitarisme oligarchique et qui me fait toujours penser au roman 1984 d’Orwell, avec Big Brother à la tête d’un parti unique.

    Lors de l’entre-deux-tours des présidentielles 2017, n’a t-on pas assisté à la démonstration de l’existence de cette pensée unique, avec l’injonction à voter Macron pour faire barrage au FN ? Sommes-nous dans ce que Emmanuel Todd appelait un « flash totalitaire » après les attentats de Charlie Hebdo ?

    Je suis assez d’accord avec la formule. J’y adhère d’autant plus que le Front national est un parti qui, après sa création, a été renforcé et mis en scène par les socialistes : c’est le cas depuis 1983, au moment où la pensée unique a commencé à se constituer dans le sillage du renoncement du Parti socialiste, avec le tournant de la rigueur. À partir de ce moment-là, Mitterrand a fait des démarches personnelles auprès des grands médias pour que Jean-Marie Le Pen ait son rond de serviette sur les plateaux télévisés. Il y a ensuite eu l’introduction de la proportionnelle intégrale aux législatives de 1986, qui a permis l’entrée de 36 députés FN à l’Assemblée nationale. Ces manœuvres politiques n’ont cessé de se poursuivre, avec pour objectif une instrumentalisation du Front national pour permettre au néo-libéralisme de rebondir. En 2002 s’est constitué un front républicain pour le second tour des élections présidentielles, front qui s’est aujourd’hui transfiguré en la personne d’Emmanuel Macron. Macron est l’emblème de l’oligarchie : il n’y a plus ni droite ni gauche, ni privé ni public, ni rive droite, ni rive gauche. Dès sa qualification pour le second tour, il est parti fêter sa victoire à la Rotonde et a été très peu adroit. Gauche libérale et droite se sont unies, et l’extrême-droite leur est bien utile.

    L’oligarchie dont vous parlez n’est-elle pas menacée par le retour en force dans les urnes d’une gauche plus radicale réunie autour de Jean-Luc Mélenchon ?

    Ce qui s’est passé lors de ce premier tour est très important. J’ai été très contente de ce résultat auquel j’ai personnellement contribué, avec toutefois des bémols. Michel et moi nous avons fait de multiples rencontres qui nous poussent à penser que le rapport de force de la gauche radicale est actuellement énorme. Si Mélenchon avait joué le jeu de la dynamique du Front de gauche et accepté qu’on l’ouvre à d’autres forces, des associations ou des individus, au lieu de créer La France insoumise, faisant cavalier seul, nous aurions été présents au second tour. Je regrette beaucoup ce qui s’est passé et j’appréhende les législatives. Je dis ça en tant que citoyenne en colère et en tant que sociologue malheureuse. J’ai peur que la classe dominante ait un coup d’avance sur nous. Malgré ses contradictions, et alors qu’elle représente très peu de monde, elle la jouera collectif aux législatives, avec le traditionnel jeu pervers des fausses contradictions et des oppositions mises en scène. Le Front national sera son allié, car il risque maintenant de capter la critique sociale et de se l’approprier. En haut, on a donc le collectivisme et la solidarité de classe, très clairement. Quand Marine Le Pen, qui est présidente de groupe au Parlement européen, s’oppose à la création d’une commission d’enquête sur la fraude fiscale, elle démontre une solidarité de classe avec ses proches mouillés dans l’affaire des Panama Papers. Quand il s’agit de voter le secret des affaires, c’est l’ensemble des eurodéputés du FN qui mettent comme un seul homme un bulletin “pour” dans l’urne. Ce sont des indicateurs de cette solidarité oligarchique. Ce ne sont que deux exemples, mais il y en a beaucoup d’autres. Et en face ? On assiste à la guerre des petits chefs, et c’est catastrophique. Tous ensemble, nous aurions été au second tour.

    Vous dites que le rapport de force est favorable à la gauche radicale en France. Cela veut-il dire que les Français n’aiment pas les riches ?

    Ce n’est pas une question d’aimer ou pas. La psychologisation du social n’entre pas en ligne de compte ici. C’est plutôt qu’on est dans une guerre, avec des prédateurs, très peu nombreux, mais très puissants. C’est la raison pour laquelle Michel et moi avons écrit notre dernier petit livre. On nous donne chaque jour en pâture des phénomènes de corruption, mais c’est encore bien trop gentil de parler de corruption. On masque derrière ce mot quelque chose qui relève de la prédation, du vol, d’une guerre contre les peuples, quelque chose qui fait système. Et face à cela, le peuple doit se défendre.

    Vous dépeignez donc la grande bourgeoisie et les réseaux qui sont à son service comme des « prédateurs ». Cela veut-il dire que plus on est riche, plus on est misanthrope ? Les grands bourgeois se rêvent-ils encore comme la “race des meilleurs”, comme une aristocratie ?

    Il existe dans notre pays une tradition qui remonte à la construction sociale de la noblesse. Ce qui est intéressant, c’est ce mythe du sang bleu. Les nobles l’étaient par le roi et leur peau devait être suffisamment blanche pour que leurs veines bleues soient visibles. Quelque part, on retrouve ici cette idée que l’excellence sociale doit passer par la race, par quelque chose qui a à voir avec une excellence corporelle, selon des critères précis. Après la Révolution, cette noblesse s’est transformée en bourgeoisie et en noblesse d’État. À son tour, cette bourgeoisie a constitué des dynasties familiales afin que les richesses et les privilèges demeurent toujours au sein des mêmes groupes de génération en génération. L’ordre de classes est ainsi reproduit.

    Vous faites donc remonter la pensée d’extrême droite à l’Ancien Régime ?

    Tout à fait. Dans notre petit livre Sociologie de la bourgeoisie, nous avions d’ailleurs consacré une page au Front national, dans laquelle nous relevions que de nombreux descendants de la noblesse d’Ancien Régime occupaient des postes de responsabilité du Front National.

    Dans Les prédateurs au pouvoir, vous citez le pape François. Pensez-vous que le souverain pontife mérite le surnom de “pape décroissant” ?

    Je ne sais pas si c’est une bonne façon de le nommer mais, à son arrivée, j’ai été saisie par sa façon de parler qui m’a semblé très en phase avec notre travail. J’ai été très surprise car je suis totalement athée. J’ai lu ses encycliques, et je trouve que c’est une personnalité tout à fait intéressante. En outre, son poste lui donne une place tellement importante au regard de l’humanité que je salue son travail et son courage.

    Vous mettez en garde contre les théories du complot. Que répondriez-vous à une personne qui vous reprocherait de vouloir construire une théorie du complot basée sur l’idée que les riches veulent détruire leurs semblables ?

    Aujourd’hui, les oligarques que sont Macron, Fillon, Valls et les autres ont mis au point des mots-écrans qui empêchent de penser, comme “populisme”, “système” ou “théorie du complot”. On n’analyse plus la société en termes de rapports de classe, avec des actionnaires qui s’en mettent plein les poches et qui traitent les salariés et les chômeurs comme une variable d’ajustement. On va toujours vers le moins-disant social, on tape systématiquement sur les petits, qu’on considère comme des moins que rien qui ne méritent aucun égard. Si ça continue, bientôt, ça sera même zéro salaire ! Le peuple est clairement esclavagisé, déshumanisé à son insu. Bien entendu, on fait tout pour le lui cacher. Le Front national détient le discours ad hoc pour capter les voix des mécontents. Nous n’avons pas besoin de théorie du complot, puisque nos travaux sociologiques démontrent que nous sommes face à une classe puissante, mobilisée en tous lieux et à tout instant pour défendre ses intérêts. Cette classe sociale – au sens marxiste du terme – n’a même pas besoin de chef d’orchestre puisque chacun de ses membres défend les intérêts de sa classe.

    Vous voulez dire que cela tient à l’éducation de la grande bourgeoisie ?

    Exactement. Ce sont les rallyes pour les jeunes, les cercles pour les adultes, des instances informelles comme Bilderberg, des instances de coordination institutionnelle comme Davos… Nous sommes face à une classe sociale mobilisée qui ne complote pas mais qui défend ses intérêts. Il n’existe pas de trou noir ou de zone opaque. Tout ça est disponible sur Internet, dans les beaux quartiers. Il revient au peuple, aux intellectuels, aux journalistes et aux enseignants de faire le boulot ! En creusant, on se rend bien compte que tout cela est public, visible, mais tout le monde ne se lance pas dans cette “vigilance oligarchique”, comme on aime l’appeler. Au sein des classes populaires, on constate même une forme de timidité sociale extrême à s’en prendre aux puissants, une peur.

    En 2016, vous avez donné une interview à L’Humanité dans laquelle vous racontiez qu’au moment de la sortie de votre livre Le président des riches, qui correspondait avec l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, vous avez été éjectés des réseaux grands-bourgeois qui vous avaient ouvert leurs portes. Que s’est-il passé à ce moment là ?

    Quand nous sommes partis à la retraite en 2007, nous n’avions plus de devoir de réserve puisque nous n’étions plus au CNRS. Nous avons alors ouvert notre travail d’investigation sociologique aux champs politiques et économiques. Avant, nous travaillions plutôt sur les mœurs et le patrimoine, avec des travaux sur les modes de vie, la chasse à courre, la transmission. Ce furent des sujets très importants à traiter, car c’est en passant par ce type de questionnement moins critique et clivant que nous avons pu comprendre petit à petit le fonctionnement de cette classe. Nous avons donc publié Le président des riches à la retraite, et ça a eu un effet impressionnant. Sous Sarkozy, nous étions dans la transversalité totale de l’oligarchie. On a vu comment s’écrivaient les lois, comment les choix économiques s’inscrivaient unilatéralement en direction des intérêts des plus riches. À partir de ce moment là, les portes des beaux quartiers se sont fermées et on a même eu un contrôle fiscal. Aujourd’hui, on travaille autrement, avec l’aide de salariés sous anonymat ou de lanceurs d’alerte.

    Vous parlez des mœurs de la grande bourgeoisie. Ces derniers ne sont-ils pas en train d’être réhabilités par Emmanuel Macron, avec son projet de relancer les chasses présidentielles et de donner un rôle politique plus important à la première dame de France ?

    Après Sarkozy, c’est un cran de plus qui va être franchi, assurément. Macron s’est présenté à une élection présidentielle sans jamais avoir été élu, quasiment en vertu du droit divin. Il gouvernera grâce aux ordonnances, au cynisme et aidé par la technocratie et la bureaucratie européennes. L’Union européenne s’est en effet construite à coup de normes, de directives, en ostracisant autant que faire se peut les référendums. Un président qui se dit ni de droite, ni de gauche et qui brouille les cartes entre privé et public, dans ce cadre là, ne peut qu’effectuer la synthèse des intérêts de l’oligarchie. Le fait qu’il soit arrivé en tête du premier tour et se montre maladroit et indécent sans s’excuser témoigne de son absence totale de culpabilité. Dans la tête de Macron, tout est parfaitement normal : arrivé au-dessus de tout, il a même le culot de déclarer que la suppression de l’ISF est une mesure de gauche !

    « Le déficit est construit comme une arme pour asservir les peuples : il n’a pas pour vocation à être remboursé. »

    C’est un fait incontestable : les riches n’aiment pas l’impôt. Par contre, ils adorent jouer les philanthropes, s’illustrer par des dons, se bâtir une légende dorée, comme Bernard Arnault le fait avec ses musées. Selon vous, ont-ils pour projet de remplacer les services publics dans leur mission culturelle ?

    Ce n’est pas que les riches n’aiment pas l’impôt, ça va plus loin : ils le refusent. Ils refusent de contribuer aux solidarités nationales. En ne payant pas leurs impôts, ils provoquent un déficit de 80 milliards d’euros dans les caisses de Bercy. Si les riches payaient à la hauteur de leur fortune, il n’y aurait plus de déficit public. Il faut réaffirmer que le déficit n’est pas quelque chose de naturel qui aurait vocation à être remboursé par les peuples. Le déficit est construit comme une arme pour asservir les peuples : il n’a pas pour vocation à être remboursé.
    Les riches ne sont pas solidaires, mais ils ont besoin, de temps en temps, de légitimer leur violence de classe avec des œuvres dites caritatives ou philanthropiques, du mécénat. Ce que de nombreux représentants du peuple ignorent, c’est qu’il s’agit encore une fois d’une arme supplémentaire qui permet de piocher dans les caisses de l’État, puisque le mécénat est défiscalisé à 66 %. La fondation Louis Vuitton, par exemple, a été payée en partie par l’argent du peuple français. Son propriétaire Bernard Arnault a de surcroît bénéficié de complicités de la mairie de Paris qui lui a permis d’installer sa fondation dans le bois de Boulogne, qui est un domaine public.

    Les riches possèdent tout, on pourrait ainsi imaginer qu’ils sont heureux. Pour autant, ne peut-on pas les imaginer malheureux, à l’instar des personnages du roman Les visages pâles de Solange Bied-Charreton ? Les malheurs de la grande bourgeoisie, est-ce une piste d’étude que vous avez déjà arpentée ?

    Les riches n’échappent pas aux drames et aux catastrophes humaines. Ils sont sujets aux accidents, aux maladies, ou encore au suicide. Cependant, notre approche de sociologues nous oblige à dire que la plupart des membres de ce groupe social sont parfaitement heureux. C’est très vite expliqué par le fait qu’ils naissent dans les beaux quartiers, jouissent d’une éducation spécifique, demeurent entre eux, avec le miroir de leurs semblables, sans jamais être confrontés à l’autre dissemblable, sauf éventuellement dans la situation du personnel domestique, qui renforce le sentiment de supériorité. Chaque individu de cette classe sociale vit dans un sentiment d’immunité psychologique : la culpabilité, la mauvaise conscience n’existent pas. En tant que classe, ils se sentent impunis : on l’a encore très bien vu avec François Fillon qui a maintenu sa candidature aux présidentielles malgré ses casseroles.

    Leur vie est faite d’entre-soi, les riches rencontrent les conditions de la pratique pour épanouir leur habitus, leur condition de dominants. Ils ne connaissent pas la frustration, ni le travail de deuil. Disons que le système de dispositions qui leur est donné à la naissance les amène plutôt à s’épanouir, à pouvoir faire ce pour quoi ils ont été constitués. Sociologiquement parlant, ce sont des gens sans problèmes. D’ailleurs, jusqu’à notre livre Le président des riches, les retours sur notre travail de la part de la grande bourgeoisie étaient positifs. Ces personnes se rendaient compte que Pierre Bourdieu, qu’ils prenaient pour un affreux gauchiste, avait développé une théorie qui fonctionnait parfaitement sur leur classe. Ils ont apprécié nos premiers travaux en nous disant qu’ils correspondaient à la réalité. Ils ont reconnu que le système théorique de Pierre Bourdieu avait permis de théoriser leur sens pratique. Dans notre premier livre sorti en 1989, nous avions garanti l’anonymat à un certain nombre de personnes que nous avions côtoyé dans les beaux quartiers : nous avions remplacé leurs noms par des titres de noblesse de branches éteintes. Nous avons été appelé par un membre du Jockey Club qui nous a dit que notre livre était formidable mais nous a reproché de les avoir affublé, lui et ses amis, d’affreux patronymes. Ils validaient tout, jusqu’à la question de la ségrégation spatiale, mais ils voulaient voir apparaître dans le livre leurs patronymes familiaux, capital symbolique auquel ils tiennent !

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    https://comptoir.org/2017/05/12/monique-pincon-charlot-nous-sommes-face-a-une-classe-sociale-puissante-et-

    • Les Candidats Du Système. Sociologie Du Conflit D’intérêts En Politique par Nicolas Framont
      http://www.editionsbdl.com/images/files/books/535.7e84ad4f.png?ts=1494753662

      La défiance envers la classe politique monte et ses liens multiples avec les puissances de l’argent posent problème à nombre de citoyens. Pourtant, le débat public n’en parle guère : Les commentateurs s’attardent plus souvent sur le caractère et les ambitions de tel ou tel politicien, sur les petites rivalités qui l’opposent à d’autres plutôt que sur son appartenance de classe. La description des liens d’intérêts et de connivence entre élite politique et élite économique est quant à elle largement oubliée.
      Or, l’absence d’analyse des causes de la défiance permet sa récupération opportuniste par nombre de politiques : tous accusent leurs adversaires d’incarner cette élite tant détestée, tandis que certains mettent à profit ce discrédit pour justifier un projet identitaire ou ultralibéral. En l’absence de description rigoureuse du phénomène, n’importe qui finit par pouvoir se dire «  anti-système  ».
      Pour redonner un sens à ces mots trop souvent dévoyés, ce livre fait état des liens d’intérêts et d’affinités entre la classe politique – y compris les plus «  anti-système  » de ses membres– et les puissances de l’argent. Il se base sur les travaux sociologiques et journalistiques qui ont mis au jour une réalité glaçante : la plupart des représentants du peuple sont dans un conflit d’intérêts permanent vis-à-vis de l’élite économique. Liens familiaux et d’amitié, «  pantouflage  » et mode de vie similaire contribuent à faire de nos dirigeants politiques les représentants de la classe supérieure avant d’être ceux de l’ensemble de la société.
      L’auteur réalise une synthèse des nombreux faits qui attestent de l’existence de ce conflit d’intérêts pour forger des outils d’analyse du monde politique accessibles et critiques. Il insiste sur la nécessité démocratique de mettre fin à cette monopolisation de la chose publique – La République – par une oligarchie.

      Nicolas Framont enseigne la sociologie à l’Université Paris-Sorbonne et co-dirige le trimestriel de réflexion politique Frustration. Ses recherches portent sur la sociologie des élites et la crise de la démocratie représentative. Il est le co-auteur de Les Français ont de bonnes raisons de ne pas voter (Le Bord de L’eau , 2015 ).

  • ENTRE L’INSURRECTION ET LA COMMUNE

    Le mouvement anarchiste est une croisée des chemins. De l’intérêt envers notre vision politique fait surface, et des collectifs à travers toute l’Amérique du Nord poursuivent leurs lancées avec de nouveaux projets et combattent la menace fasciste. Mais il est devenu clair pour beaucoup d’entre nous que notre vieille tactique ne peut seulement nous apporter qu’un succès limité. Nous avons à apprendre de notre histoire si nous voulons atteindre notre véritable potentiel. C’est le temps de surmonter les vielles divisions entre insurrectionnalistes et anarchistes sociaux. Le nouveau mouvement anarchiste se doit de combiner les meilleurs éléments de la tradition radicale dans une force cohérente pour un changement révolutionnaire. Le nouveau mouvement anarchiste doit être un mouvement de masse avec la force de renverser ce système décrépit. C’est de notre devoir de ne pas seulement de se battre, mais de gagner.

    Il est indéniable que l’anarchisme n’apprécierait pas la plate-forme et le prestige qu’il a actuellement sans la lutte héroïque des insurrectionnalistes de ces vingts dernières années. Aux cotés du mouvement Zapatiste, la bataille de Seattle a amené l’anarchisme encore une fois sous le feu des projecteurs du monde entier. Les confrontations aux évènements majeurs et les conférences ont attiré de nouvelles personnes vers le mouvement et a forcé une discussion sur la nature destructive du capitalisme et de la globalisation aux yeux du grand public. Au final, en revanche, ces confrontations ont pris un aspect prévisible que les forces de sécurité de l’État ont trouvé facile à contenir. De plus, l’anarchisme insurrectionnaliste était principalement contenu dans de petits cercles sociaux enracinés dans les scènes contre-culturel locale. Pendant que des facteurs structurels ont joué un rôle important dans la limitation de l’attrait vers l’anarchisme dans les années 90 et le début des années 2000, notre culture et notre vision insulaire nous a aussi empêché d’atteindre une audience plus grande. Nous ne pouvons simplement pas répéter cette approche limitante et espérer de meilleurs résultats cette fois-ci. Un insurrectionnalisme ravivé, en l’absence d’autres pratiques, ne peut pas nous faire avancer.

    La crise de 2008 a ouvert de nouvelles opportunités pour le mouvement. Les émeutes insurrectionnelles de 2008 en Grèce ont été rapidement suivi par les révoltes arabes de 2011. Ces soulèvements mettent en valeur aussi bien le potentiel que les limites de la semi-spontanéité, la mobilisation de masse, fournissant quant à lui un modèle pour le mouvement Occupy et les mouvements d’occupation des places. Encore une fois, la vision et les pratiques anarchistes ont joué un rôle clé dans ces mouvements. Beaucoup des anarchistes d’aujourd’hui y sont venus à travers le mouvement Occupy. Mais autant de participant-e-s vont vous le dire, Occupy et consœurs avaient pleins d’imperfections. Les assemblées générales basées sur le consensus contiennent souvent l’initiative plus qu’elles ne l’encourage ; les mouvements de résistance enracinés dans aucune communauté particulière ont fini par être dominés par des militants à temps plein. L’impulsion a forcément diminué, et la répression a réussi à casser les occupations.

    Même où des révolutions spontanées ont réussi à évincer un gouvernement, comme en Tunisie et en Égypte, il manquait la capacité de forcer un changement social plus grand. Quand le pouvoir était dans les rues, il n’y avait pas de structures sociales existantes ou d’organisations prêtes à démanteler l’État et à construire une nouvelle société. Les révolutionnaires Tunisien-e-s et Égyptien-ne-s ne sont pas à mettre en cause pour les erreurs de 2011. Ils et elles n’avaient pas le recul nécessaire. Mais nous avons une responsabilité d’apprendre de leurs expériences. Si un soulèvement de masse devait arriver maintenant en Amérique du Nord, nous nous heurterions sûrement aux mêmes problèmes. Privé d’une forme alternative de pouvoir, la montée révolutionnaire initial serait dévié ou co-opté par de puissante institutions organisées comme les militaires, les services secrets, ou le Parti Démocrate.

    Les projets des anarchistes sociaux, de Food Not Bombs aux réseaux de solidarité, ont aussi grandement contribué à la pratique anarchiste. Nous avons construit une confiance et forgé des liens avec nos quartiers, démontré par la pratique notre message, et aidé nos frères et nos sœurs à s’en sortir dans la société capitaliste. Mais ces projets sont des investissements sur le long-terme qui requièrent beaucoup d’heures de travail et souvent reçoivent peu d’attention en dehors des communautés locales. De plus, il a souvent été difficile de mettre en lumière les liens entre nos différents projets et d’expliquer comment ils se lient à notre vision globale. L’anarchisme social contribue aussi au mouvement, mais il ne peut pas tenir seul.

    Nous sommes dans une ère où l’anarchisme de masse est de nouveau possible. Nous n’avons pas besoin de diluer notre vision, modérer nos idées, ou s’engager dans des manœuvres politiciennes pour ramener des gens de notre côté. Les gens sont attirés à l’anarchisme et les idées anarchistes précisément à cause de notre refus du compromis sur la lutte pour la liberté. Nous pouvons certainement faire mieux pour communiquer notre message et atteindre une part plus importante des communautés de notre classe. Mais plus qu’un nouveau message, nous avons besoin d’un nouveau modèle et d’un ensemble de pratiques pouvant faire avancer notre mouvement au-delà de l’impasse actuelle. Certain-e-s de nos camarades développent déjà ces pratiques. L’essentiel est de les lier dans une stratégie cohérente.

    Notre but devrait être de tourner des communautés entières en bastions du mouvement anarchiste. Cette stratégie est basée sur trois piliers :
    – Autodéfense de la communauté.
- Autogestion de la communauté.
- Entraide et solidarité communautaire.
    Sans autodéfense, il n’y a pas d’espace pour que survive l’autonomie. Sans autogestion, il n’y a pas de moyen pour une communauté de prendre le contrôle de sa propre destinée. Sans entraide et solidarité, les méandres de la vie capitaliste finiront d’épuiser aussi bien les militants que les membres de la communauté. En combinant ces trois pratiques avec audace, l’action directe de l’anarchisme insurrectionnaliste offre un moyen d’aller de l’avant.

    Aussi bien les Black Panthers que la CNT-FAI ont connu le succès parce qu’ils ont simultanément employés une tactique révolutionnaire insurrectionnaliste et une approche sociale orienté sur un mouvement de masse. Quand ces deux éléments de leurs stratégies ont été coupés, comme durant la scission entre sociaux démocrates et insurrectionnalistes dans les Panthers, leurs forces a rapidement flétri. Un mouvement sans base ne peut pas survire longtemps. Un mouvement sans dents n’a pas la capacité d’impulser un vrai changement.

    Pendant que nous construisons notre propre pouvoir, nous avons besoin de continuellement souligner les deux aspects, insurrectionnel et social, de notre mouvement. Les projets comme l’Anarchist Road Care de Portland, par exemple, délivre ce message parfaitement : Nous sommes aussi bien les gens qui combattent les fascistes que les gens qui prennent soin de la communauté. Cela, bien sûr, a toujours fait partie de la pratique anarchiste. Mais explicitement et constamment faire ce lien aidera à créer une adhésion plus grande pour les éléments insurrectionnels du mouvement anarchiste dans nos communautés. Cela démontre aussi que nous prenons le projet de libération sérieusement et que nous sommes prêt-e-s à faire des sacrifices pour la liberté.

    Poursuivre avec succès cette stratégie veut dire équilibrer minutieusement entre les nécessités de la culture de la sécurité et l’indéniable bénéfice de l’organisation de masse ouverte à toutes et à tous. Tandis qu’un groupe de dix combattant-e-s entraîné sont souvent plus efficaces qu’un millier d’individus dispersés, il vaut mieux avoir un millier de camarades convenablement entraîné-e-s qu’une élite de dix cadres. Ce qui est arrivé à Auburn est une preuve suffisante : même le ou la combattant-e antifasciste le ou la plus capable peut être écrasé par dix flics, mais une foule d’un millier d’antifascistes compétant-e-s est presque impossible à arrêter. Pendant que nous devrions continuer à nous entraîner pour des actions en petits groupes efficaces, nous devons étendre l’esprit et la compétence de l’autodéfense à nos communautés plus globalement. Un manque d’un entraînement correct pour les militant-e-s est extrêmement dangereux, mais permettre aux militant-e-s de devenir isolé-e-s de la communauté l’est tout autant.

    Notre but ultime devrait être de créer un réseaux de communes, ou de quartiers libérés, avec le pouvoir de se défendre, de se gouverner et de s’assurer eux-mêmes. Insurrection et révolution ne devraient pas être la spécialité de petits groupes militants, mais le but des communautés entières. Blocs par blocs, communautés par communautés, nous construirons la révolution de la base. Quand l’opportunité arrivera, nous aurons les expériences et les structures nécessaires pour gouverner et s’assurer nous-mêmes sans l’État. Le Rojava est comme il est aujourd’hui parce que des militant-e-s préparaient le terrain pour la libération depuis des années avant 2012. Il est temps de ramener cette prévoyance et cette détermination en Amérique du Nord.

    Est-il possible de concevoir un voisinage ou un village ou le mouvement anarchiste prédomine ? Absolument. C’est le cas à Exarchia depuis des années maintenant. Malgré le fait qu’il ne soit pas explicitement un projet anarchiste, le mouvement Kurde dans l’Est de la Turquie et au Rojava a fait des avancées incroyables dans la résistance locale. La question fatidique est comment impliquer des gens ordinaires dans leur propre libération. C’est un engagement majeur, et il peut sembler intimidant de penser à comment nous pouvons jouer un rôle pour y parvenir. Commence là où tu es, prends un projet que tu peux gérer qui s’adresse à un besoin de la communauté. Même une poignée de gens peuvent commencer un entraînement à l’autodéfense, trouver des moyens de nourrir des gens, ou contrôler les abus de la police. Lie-toi avec des gens qui pensent comme toi, qu’ils ou elles se disent anarchistes ou non. Fais ce qui est nécessaire pour attirer l’attention des gens et insuffle-leur la volonté de croire qu’elles peuvent se libérer elles-mêmes. Ne sois pas trop frustré.e par d’inévitables échecs et contretemps. Nous sommes là-dedans pour le long cours. Mais si notre mouvement peut commencer à faire ce qu’il faut pour construire une base d’appui populaire, nous pourrions trouver que l’heure des comptes pourrait arriver plus tôt qu’on ne pourrait jamais l’avoir imaginé.

    https://www.facebook.com/groupe.bonsenfants/posts/1879235778984986:0

  • FACEBOOK CENSURE ET CONTRÔLE À TOUT VA

    Systématiquement depuis quelques semaines, Facebook censure les anticonformistes, bloque leur comptes, et rend l’anonymat impossible par l’assimilation à un numéro de téléphone ou une carte d’identité. Votre profil est une marchandise, et votre identité désincarnée un objet de commerce.

    La liberté d’expression n’y est plus qu’un mythe publicitaire, un système d’uniformisation où l’apparence de liberté individuelle est récupérée pour le contrôle et la délation au service de la dictature économique. La servitude y est volontairement affichée comme une marchandise comportementale sur le marché de l’exploitation.

    Si vous êtes facho et normalisé, Facebook est pour vous !
    En plus, actuellement ils embauchent pour développer une surveillance générale...

  • DES REPRÉSENTANTS NON REPRÉSENTATIFS !

    Sur 66 millions d’habitants en France, 52 millions ont plus de 18 ans, dont 8,5 millions ont voté pour le candidat arrivé en tête et qui a de grandes chances d’être élu. Alors 8,5 sur 52, cela ne fait que 16,35 % de la population en âge de voter qui va se faire passer pour une majorité représentative. Le choix d’une personne sur six sera imposé au 84 % restant.

    Lorsque la majorité des principaux candidats sont des escrocs qui ne se soumettent plus aux lois qu’ils sont censés faire respecter, lorsque depuis des dizaines d’années ils ne réalisent plus leurs programmes une fois au pouvoir, lorsque la plupart des décisions gouvernementales sont imposées par des directives européennes et financières prises par des individus non élus, alors on peut dire qu’un système basé sur le mensonge et l’escroquerie n’est plus démocratique.

  • La bourgeoisie gagne sur tout les fronts, pour l’instant. L’élection est un piège à con pour la population. Choisir entre la continuité en pire pour la grande majorité, et encore pire, sauf pour les bourgeois, c’est pas un choix mais une dictature des minorités dominantes...

  • LE PARI DE L’AUTONOMIE

    Nous avons le sentiment que nos vies nous sont volées, et nous voulons en reprendre le contrôle. C’est ce que nous appelons l’autonomie. C’est ce qui est déjà en chacun de nous et, parfois, jusque dans les gestes les plus anodins de nos quotidiens. Ce sont ces relations qui existent sans médiation, sans intermédiaire, par amour pour ses potes ou famille, qui n’ont pas besoin d’un intérêt matériel, ou d’une peur fabriquée de se faire pincer par les flics, le prof, ou le patron. Ces relations qu’on refuse d’abandonner parce qu’on ne veut simplement pas que notre pote se retrouve dans la merde, parce qu’on connaît son histoire et qu’on a envie de soigner son avenir. Ça existe dans la rue, entre voisins, entre amis, entre camarades ou entre collègues. Ce sont des liens dont on se sent fier, qu’on ne peut pas lâcher comme ça car ils constituent qui nous sommes. Ces liens sont autonomes. Ils se tissent sans être validés par une autorité surplombante. La question ne se pose pas quand il s’agit d’aller voir un pote à l’hosto. Dans un bureau, deux collègues n’ont pas besoin d’un DRH qui leur dit quoi faire pour trouver des gestes d’entraide dans le quotidien de leur travail. Ces liens ne s’inscrivent pas dans le champ de compétences d’un CV, mais sont pour autant une énergie incroyable. C’est là qu’on ne laisse pas filer ce qu’on crée au profit d’un prétendu intérêt général. C’est là aussi où l’on cultive sa puissance : en s’ouvrant peu à peu, à la mesure de notre force.

    Ces pratiques, ces liens, sont présents partout. Parfois ils nous permettent de respirer et de nous émanciper, parfois c’est ce qui nous fait rester dans la merde que nous vivons. C’est d’ailleurs bien souvent grâce à eux que l’exploitation marche aussi bien. Les organisateurs du contrôle l’ont bien compris et cherchent à recréer de manière fictive ces liens : des « pots entre collègues », des parts de tarte dégueulasses « offertes » par le boss pour souhaiter la nouvelle année, des poufs « sympa » et des moquettes « détente » installés à côté de la machine à café, des soirées d’intégration aux frais de la boîte.

    Les pratiques autonomes ont toujours été intolérantes à l’ordre et intolérables pour l’État et le travail capitaliste. Du moins, si elles ne sont pas contrôlées et, donc, faussées. Elles sont intolérables parce qu’elles refusent d’être gérées autrement que par ceux qui la vivent. En ce sens, elles recèlent le réservoir d’explosion des contrôles que nous subissons ou que nous exerçons parfois. C’est là que nous nous sentons bien, là que nous trouvons de la beauté, là que nous vivons. Mais c’est aussi là où nous pouvons faire péter la marmite.
    Quand ça arrive, il devient très difficile pour les pieuvres du contrôle de reprendre le dessus. Ce fut le cas dans bien des révolutions, dans bien des campagnes et dans bien des quartiers, c’est le cas à Notre Dame des Landes ou chez les Zapatistes au Mexique.

    Les îlots alternatifs ne représentent aucun danger pour le pouvoir tant qu’ils ne restent qu’une prison dorée. C’est en se liant que nous devenons dangereux. Parce que ce sont ces interdépendances qui nous rendent indispensables les uns aux autres et qui rendent, de fait, complètement inutile et inopérant l’exercice même du pouvoir. Qui a besoin d’aller au supermarché quand il produit lui-même ses légumes et profite déjà des céréales de son voisin ? Qui a besoin de faire appel à la police lors d’un conflit quand il connaît son quartier, l’histoire de chacun de ses habitants, ses parents, ses enfants.. Nous vivons dans un monde où nous sommes étrangers les uns aux autres, d’illustres inconnus perdus au milieu des métropoles. C’est précisément ce qui se situe entre les êtres, qui les sépare et les isole, que nous cherchons à reconstruire et que nous pensons comme l’élément premier d’une perspective révolutionnaire.

    Si on reprend l’exemple de la ZAD à NDDL, on déroule le fil logique de son territoire : un fort ancrage paysan lié à la création de la confédération paysanne dans la région, une histoire ouvrière de luttes au 19e siècle et la Commune de Nantes, une tradition libertaire dans la ville tout au long du 20e siècle. C’est en liant ces mondes, en faisant corps ensemble, que se vit la manifestation de réoccupation après les expulsions de 2012 à 40 000 personnes et qu’une cinquantaine de tracteurs s’enchaînent autour du lieu pris ce jour-là. Et c’est à partir de cette expérience, de cette rupture avec l’existant, qu’une société tente de se reconstruire. Ces réalités habitent déjà de nombreux territoires qui ne se revendiquent pas toujours en lutte et qui n’ont pas forcément l’écho d’une lutte contre un aéroport. C’est ce que Fianso produit lui aussi quand il tourne ses clips dans toutes les cités de France, de la Castellane aux Mureaux, et y reçoit un accueil toujours chaleureux, au-delà des divisions. C’est ce qui se vit dans certains coins reculés, de la Creuse au Pays Basque, et c’est cette diversité de liaisons et de sensibilités que nous appelons aussi autonomie.

    NOUS VIVONS DES TEMPS INTÉRESSANTS

    Déjà, tout un ensemble de personnes refusent la mascarade qui vient. Entartages, enfarinages, perturbations de meetings, attaques de permanences électorales, tags, textes, discussions, manifestations, banquets. S’attaquer à la classe politique, mettre des bâtons dans les roues de nos futurs dirigeants ne représente certainement pas une fin en soi, mais nous semble être un bon moyen de se trouver.

    « Il n’est rien de plus invraisemblable, de plus impossible, de plus fantaisiste qu’une révolution une heure avant qu’elle n’éclate ; il n’est rien de plus simple, de plus naturel et de plus évident qu’une révolution lorsqu’elle a livré sa première bataille et remporté sa première victoire. »
Rosa Luxembourg

    23 avril 2017, 20h01. Tout commence. 1er mai, Cortège de tête. 7 mai, 20H02. On est encore là, prêts à foutre le souk… Rendez-vous dans la rue.

    https://lundi.am/Nos-vies-ne-rentrent-plus-dans-leurs-urnes

  • Champs Élysées : coup de théâtre électoral ?
RÉFLEXIONS SUR L’ANTITERRORISME EN POLITIQUE

    Jeudi 20 avril au soir. Une campagne présidentielle marquée par d’innombrables affaires et un discrédit sans précédent de la classe politique s’achève sans passion. Quatre candidats sont au coude à coude, et la situation politique paraît plus incertaine que jamais.
    
C’est à ce moment précis, à trois jours du scrutin majeur qu’une fusillade éclate sur l’artère la plus célèbre de France. Alors que les candidats se succèdent à la télévision, un homme ouvre le feu sur les Champs Élysées. Un policier tombe blessé, un autre trouve la mort, peu avant son assaillant. Certains candidats blêmissent en direct sur les écrans. D’autres ont un mal fou à cacher leur immense satisfaction. Avec la précipitation de charognards affamés, trois candidats – Macron, Fillon et Marine Le Pen – ne parleront plus que d’antiterrorisme, de « barbares », de guerre et d’Islam lors de ce prime time qui conclut la campagne présidentielle. Coup de théâtre dans la dernière ligne droite avant l’élection.

    Quelques réflexions sur l’usage de l’antiterrorisme en politique.

    1 - « Il faudrait de nouveaux attentats pour sauver la campagne de Fillon ». C’est l’analyse lucide de Christophe Barbier, patron du journal L’Express, à l’antenne de BFM TV en février dernier, alors que le candidat de droite est au cœur de la tourmente. En grande difficulté, la candidate d’extrême droite a également fait une campagne ratée, dégringolant de façon constante dans les sondages. Le FN, pourtant grand favori, était même menacé de ne pas se qualifier au second tour. Un sondeur explique que l’attentat des Champs Élysées « réactive des thématiques chères à Marine Le Pen » alors qu’un autre ajoute : « s’il y a un effet [à cet attentat] c’est pour Marine Le Pen ». Paradoxalement, ces dernières semaines, la question de l’antiterrorisme n’était pas parvenue à s’imposer comme la thématique unique et centrale des débats de la campagne, et d’autres questions, comme l’écologie ou le partage des richesses, avaient traversé le débat public. L’attaque du 20 avril place finalement au centre du jeu, au moment crucial, les sujets indispensables à l’extrême droite. Et remet en lice ses candidats en grande difficulté à l’instant décisif. Les deux derniers jours de campagne auront la couleur des gyrophares.

    2-Nous apprenons aujourd’hui que les services de renseignement étaient informés depuis quelque temps que le tireur des Champs Élysées cherchait à se procurer des armes pour « tuer des policiers » et qu’il avait fait une demande de permis de chasse. A quelques jours des élections. Le tout sans être sérieusement inquiété. Il ne s’agit pas de verser dans le complotisme. Disons simplement qu’à un tel niveau d’incompétence des agents chargés de l’antiterrorisme, l’attaque illustre, pour le moins, le caractère nuisible et inefficace de l’état d’exception permanent, installé depuis deux ans en France.

    3-« Nous devons chérir les policiers ». C’est l’envolée lyrique du candidat socialiste ce 21 avril. Dans le même temps, son gouvernement promet un déploiement sécuritaire massif dans les jours à venir. Au début du mois de février, un jeune homme, Théo, était violé par la police à coup de matraque à Aulnay-sous-Bois. Quelques semaines plus tard, c’est un père de famille chinois qui était abattu par des agents de la BAC devant ses filles à Paris. Malgré les protestations, et même les émeutes, ni Benoît Hamon, ni les autres candidats n’avaient osé s’élever contre ces violences. Lors du débat télévisé du 20 avril, c’est finalement un unanimisme sécuritaire qui règne à l’antenne. Un seul refuse de jouer le jeu, maladroitement : le candidat du NPA. Il est pulvérisé en direct par les journalistes. En sortant de l’émission, il reçoit des menaces et des injures de la part de policiers : « enculé », « ordure ». Dans l’Antiquité Romaine, s’assurer le soutien de l’armée était indispensable pour trôner sur l’Empire. Se plier aux volontés de la police est un préalable indispensable pour acquérir le pouvoir dans une République.

    4 - Ceux qui appellent à mener une « guerre totale » au terrorisme sont les mêmes qui signent des contrats d’armement colossaux avec les dictatures du Golfe, Qatar et Arabie Saoudite, qui apportent un soutien logistique aux groupuscules djihadistes. Ce sont les mêmes qui provoquent des guerres au quatre coins du globe. Les mêmes qui font d’obscènes courbettes aux responsables du désastre.

    5- « La guerre contre le terrorisme doit rester la priorité » ose même, sur Twitter, le pitoyable Manuel Valls, qui tente un retour dans la vie publique. Toujours au diapason des candidats les plus réactionnaires. L’antiterrorisme apparaît finalement pour ce qu’il est : une usine de recyclage politique. La « menace terroriste » permet aux menteurs, aux voleurs et aux déchus de la classe dirigeante de prétendre continuer à gouverner sans être contestés. L’antiterrorisme est le joker suprême du jeu démocratique.

    6 - « Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique. » Guy Debord

    Nantes Révoltée
    https://www.facebook.com/Nantes.Revoltee/posts/1311870375515799:0

  • CHANGER DE GÉRANT NE CHANGERA QUE LES APPARENCES

    « La seule sauvegarde de l’État, c’est de répandre la peur et le désespoir. Il y réussit assez efficacement en accréditant une manière de vision apocalyptique. Il répand la rumeur que demain sera pire qu’aujourd’hui. La sagesse consiste donc, selon lui, à consommer, à dépenser avant la banqueroute, à rentabiliser tout ce qui peut l’être, quitte à sacrifier son existence et la planète entière pour que l’escroquerie généralisée se perpétue. »
    Raoul Vaneigem, L’État n’est plus rien, soyons tout.

    Personne ne peut prédire l’avenir, encore moins en ces temps d’incertitude et de confusion. Le contrôle de la crise, censé éviter le désastre général, se réduit à l’acceptation d’un renforcement des contraintes, ainsi qu’à un appauvrissement du plus grand nombre qui permet l’inflation sans fin des profits d’un petit nombre d’accapareurs. La catastrophe annoncée par les experts scientistes du pouvoir implique automatiquement la solution inévitable, qui se résume à des contraintes implacables imposées à notre survie amoindrie, une administration du désastre des plus autoritaire. La fiction annoncée d’une crise totale a été inventée pour pouvoir imposer les nouvelles consignes de soumission renforcée à la réorganisation sociale du capitalisme nouvellement mondialisé. L’hypothèse d’une catastrophe imminente permet de faire disparaître artificiellement le désastre mortifère qui est déjà là. L’empoisonnement généralisé de la vie n’est pas concevable par les experts scientistes, car l’ampleur du désastre, qui est déjà là, n’est pas calculable en utilisant les outils qui ont servi à le produire.

    Les capitalos-trafiquants milliardaires ont instauré une situation d’urgence permanente qui justifie les décisions arbitraires antidémocratiques, une stratégie de choc, où tout s’accélère, répandant la culpabilité, la peur et l’insécurité pour faire passer de force leurs plans d’austérité et de récession sociale, au risque de détruire l’économie. Plus il y a de dettes plus leurs profits augmentent. C’est une fuite en avant qu’ils feront durer aussi longtemps qu’ils le pourront.

    Les gouvernements, à la solde de la haute bourgeoisie, utilisent la peur de l’emballement de la crise pour renforcer l’exploitation en bloquant les salaires, détruisant le droit du travail et la protection sociale, et aussi, en durcissant les pressions policières et administratives sur les populations, pour faire accepter le rationnement et la misère.
    Les craintes affichées, et les alertes lancées par les experts sont effectivement traduites par des ordres indiscutables dès qu’il s’agit de faire adopter les normes d’une survie encore plus rationnée, en faisant prendre le « venin de la servitude » pour une vertu salvatrice. Le spectre de la catastrophe est utilisé comme conditionnement d’une soumission renforcée aux capitalos-trafiquants. La croyance stupide en leur toute-puissance engendre une peur qui accrédite l’invincibilité d’un système qui s’effondre un peu partout.

    L’apparente autodestruction du capitalisme n’est peut-être qu’un leurre pour mieux faire passer les pressions infernales sur des populations apeurées. Le système opaque de la finance évolue rapidement, les milliardaires s’adaptent très vite, car ils en ont les moyens, et ils anticipent les dépressions qu’ils provoquent, les krachs qu’ils déclenchent pour rafler le pactole. La crise c’est la guerre que la haute bourgeoisie a déclarée aux prolétaires, qui ont oublié qu’ils l’étaient, ainsi qu’à la petite bourgeoisie qui se fait plumer à chaque fois qu’une bulle financière éclate. Cette guerre peut durer longtemps. Le pillage qu’elle engendre nous apparaît sans fin. Quelques milliers d’individus à l’avidité maladive, aux fortunes gigantesques et aux pouvoirs sans limites, sont en train de ruiner l’économie réelle qu’ils ont délaissée parce qu’elle ne rapportait plus assez, malgré les pressions des actionnaires. Tant qu’il restera quelque chose à rafler, ils ne s’arrêteront jamais.

    Les tentatives étatiques de contrôle des flux financiers des capitalos-trafiquants, sont déjà vaines et sans effet notoire, car ce marché parallèle leur échappe totalement. Il faudrait être devin pour prédire l’avenir. L’autodestruction est probable, mais pas certaine, car il faut tenir compte des grandes facultés d’adaptation de ces grands usurpateurs, dès lors qu’il s’agit d’accomplir leurs mauvais coups en silence, de réaliser leurs forfaits dans la plus grande discrétion.
    Les restructurations des dettes souveraines, seules alternatives à la faillite proposées par les économistes et les politiques, ne font en fait que gagner un peu de temps en le perdant à ne rien faire sinon déplacer le problème dans un futur proche qu’ils espèrent meilleur sans trop y croire.
    Tout le monde peut aujourd’hui, se rendre compte que cette crise est devenue permanente pour la grande majorité, mais une aubaine pour une toute petite minorité qui en tire ses meilleurs profits.

    Lukas Stella, L’invention de la crise, escroquerie sur un futur en perdition, 2011 (extrait).

  • INTERNATIONALE DE COMBAT
    À CHICAGO EN 1886

    Au IVe congrès de l’American Federation of Labor, en 1884, les principaux syndicats ouvriers des États-Unis s’étaient donné deux ans pour imposer aux patrons une limitation de la journée de travail à huit heures. Ils avaient choisi de débuter leur action un 1er mai parce que beaucoup d’entreprises américaines entamaient ce jour-là leur année comptable.

    Le 1er mai 1886, la pression syndicale permet à environ 200 000 travailleurs américains d’obtenir la journée de huit heures. Mais d’autres, moins chanceux, au nombre d’environ 340 000, doivent faire grève pour forcer leur employeur à céder.

    Le 3 mai, une manifestation fait trois morts parmi les grévistes de la société McCormick Harvester, à Chicago. Une marche de protestation a lieu le lendemain et dans la soirée, tandis que la manifestation se disperse à Haymarket Square, il ne reste plus que 200 manifestants face à autant de policiers. C’est alors qu’une bombe explose devant les forces de l’ordre. Elle fait une quinzaine de morts dans les rangs de la police. Sept autres policiers sont tués dans la bagarre qui s’ensuit.
    Trois syndicalistes anarchistes sont jugés et condamnés à la prison à perpétuité. Cinq autres sont pendus le 11 novembre 1886 malgré des preuves incertaines. En 1893, ces anarchistes furent innocentés et réhabilités par le gouverneur de l’Illinois, qui confirma que c’était le chef de la police de Chicago qui avait tout organisé, et même commandité l’attentat pour justifier la répression.

    Trois ans après le drame de Chicago, la IIe Internationale réunit à Paris son deuxième congrès. Les congressistes se donnent pour objectif la journée de huit heures.
    Le 20 juin 1889, sur une proposition de Raymond Lavigne, ils décident qu’il sera « organisé une grande manifestation à date fixe de manière que dans tous les pays et dans toutes les villes à la fois, le même jour convenu, les travailleurs mettent les pouvoirs publics en demeure de réduire légalement à huit heures la journée de travail et d’appliquer les autres résolutions du congrès.
    Dès l’année suivante, le 1er mai 1890, des ouvriers font grève et défilent.

    https://rebellyon.info/Les-Martyrs-de-Chicago-aux-origines-du
    https://www.herodote.net/Tragedies_et_joies_du_1er_Mai-evenement-18860501.php

    Le 1er mai par Paul Lafargue

    PREMIER MAI 1890

    Le Congrès international de 1889 avait décidé une manifestation internationale du monde du travail le 1er Mai 1890. Quand les délégués qui avaient représenté le prolétariat français à ce congrès se réunirent pour organiser cette manifestation ils étaient sceptiques sur le résultat de leurs efforts. La tâche était d’autant plus difficile que le Parti socialiste français ne disposait d’aucun moyen financier ; de plus, les "possibilistes" se déclaraient contre toute manifestation et essayaient de la faire échouer, cependant que de leur côté, les monarchistes et les boulangistes essayaient de participer à la démonstration pour l’utiliser en faveur de leurs fins politiques.
    Abandonné à ses propres forces, le comité formé à Paris et en province n’avait pas réussi à provoquer une agitation assez forte pour déterminer un mouvement des masses ouvrières. Heureusement, ils devaient trouver dans la presse bourgeoise et chez le président du conseil Constant – 2e édition de Bismarck – une aide aussi vigoureuse qu’inattendue. Les délégués étaient fermement décidés à réaliser en dépit de toutes les difficultés la mission qui leur avait été confiée par le congrès international.

    A peine eurent-ils annoncé leur intention de fêter le 1er Mai que la bourgeoisie eut peur. Comment, les ouvriers voulaient forcer à une cessation de travail internationale ; par delà les océans et les frontières, ils entendaient exiger la journée légale de 8 heures ? C’était donc une insurrection ! C’était renverser toutes les notions bourgeoises sur la soumission loyale des ouvriers à la volonté des capitalistes et aux lois de leur économie nationale ! Le 1er Mai allait devenir un jour de révolte pour les esclaves salariés, qui allaient mettre le pays à feu et à sang ! Les journaux bourgeois, représentant les intérêts de la classe possédante qui tremblait pour son coffre-fort, publiaient des nouvelles, semant l’effroi parmi les petits bourgeois, en exagérant démesurément les moindres préparatifs de la manifestation. Le ministre Constant hurlait à la peur de la révolution et annonçait au monde entier, que pour en triompher, il allait mettre sur pied de guerre toutes les forces armées de l’Etat bourgeois. Ainsi la presse et le gouvernement contribuaient à organiser activement la manifestation de Mai 1890.

    La décomposition de la société capitaliste a déjà atteint un tel degré, que les institutions créées pour assurer sa sécurité, deviennent un facteur d’accélération de sa ruine.
    Les comités d’organisation constataient bientôt les résultats de la propagande faite par le gouvernement ; l’idée de la manifestation s’enracinait toujours plus profondément dans les esprits, elle pénétrait dans les masses du prolétariat et devenait le centre autour duquel s’orientaient les conversations dans les ateliers et les fabriques. Le 1er Mai dépassait les espérances des organisateurs de la démonstration.
    En des villes sur lesquelles ils ne comptaient pas ils furent surpris par la quantité d’ouvriers qui chômèrent.

    Les camarades du parti, à Sète, où ils ont conquis la majorité au conseil municipal, n’avaient pas osé proposer une manifestation ; ils s’étaient contentés d’organiser un meeting dans la soirée. Quels ne fut pas leur étonnement et leur joie, lorsqu’ils virent le 1er Mai tous les ouvriers du port chômer et, par leur exemple, faire cesser le travail aux tonneliers. Vers midi le chômage était général à Sète.

    La manifestation du 1er Mai 1890 fut en France plus imposante que n’espéraient les socialistes. Ce n’était pas encore toute la classe ouvrière qui fêtait ; seule sa partie la plus avancée avait prouvé qu’elle obéissait au mot d’ordre du Congrès international. Le 1er Mai 1890, le prolétariat d’Europe et d’Amérique s’était élevé dans son élite consciente ; les prolétaires de tous les pays se tendaient les mains par delà les préjugés, les frontières et les mers et jurèrent de lutter coude à coude pour se libérer du joug capitaliste.

    Les nouvelles et les mensonges étalés par la presse bourgeoise, avaient fait croire à des mesures répressives de la part du gouvernement. Les bourgeois avaient vu menacer sérieusement leur vie et leur propriété et imitaient les courageux criant devant le danger " soyez fermes, sauvons nous ". Les capitalistes s’effrayaient devant les démonstrations des ouvriers. Le 1er Mai, les magasins, les fenêtres des boutiques dans les quartiers riches de Paris étaient fermés ; on aurait dit une ville abandonnée, n’eussent été les places et les rues remplies de policiers et de soldats.

    Les capitalistes avaient eu aussi leur manifestation, la manifestation de leurs craintes. Le 1er Mai 1890 compte parmi les dates les plus importantes de ce siècle.
    L’histoire de l’humanité montrait pour la première fois le spectacle du prolétariat du monde entier, uni dans la même pensée, mû par la même volonté, suivant le même mot d’ordre ; rassemblement des forces ouvrières dans une action commune. Le 1er Mai aurait-il abouti à ce résultat, il aurait une signification immense : les socialistes internationalistes avaient remporté une victoire décisive sur les capitalistes qui avaient opposé à toute action de la classe ouvrière la résistance la plus violente.

    La bourgeoisie a appliqué tous les moyens matériels pour repousser l’organisation politique et économique de la classe ouvrière. Et le résultat ? Le prolétariat organise conformément au mot d’ordre d’un congrès, dans le tohu-bohu d’une exposition universelle de Paris, une manifestation mondiale et montre qu’il se lance uni contre la classe capitaliste pour revendiquer. Le 1er Mai 1890 se lève l’aurore d’une nouvelle ère.

    PREMIER MAI 1891

    Le 1er Mai 1890 avait soulevé les masses ouvrières. Des couches de la population laborieuse jusqu’alors restées à l’écart de la propagande socialiste, aspiraient maintenant au besoin de réformes sociales et ce qui est le plus important, croyaient à la possibilité de leur réalisation. Les pionniers de la cause ouvrière comprenaient que la manifestation offrait le puissant levier pour mettre le prolétariat en mouvement.
    Le congrès national décidait de répéter la manifestation et au congrès international de Bruxelles devait être formé le projet de proclamer le 1er Mai jour de fête permanente du prolétariat international.

    Encouragé par le succès du 1er Mai 1890, les socialistes marchaient avec enthousiasme à l’organisation de la démonstration du 1er Mai. Le conseil national du parti ouvrier et le conseil national de la fédération des syndicats lancèrent en février un appel qui fut affiché dans toutes les villes et les centres industriels. Je le publie à cette place comme un document historique, car il exerça l’effet décisif sur le succès de la démonstration.

    AUX OUVRIERS FRANÇAIS
    Manifestation internationale du 1er mai

    Camarades, nous approchons du 1er Mai ; tous les partis ouvriers d’Europe, d’Amérique, d’Australie ont décidé au congrès international de faire de cette date l’anniversaire international du travail. Les nouvelles parvenues de tous côtés montrent que les ouvriers s’apprêtent, jusque dans les coins les plus reculés, pour cette action internationale de solidarité.

    En ce jour les frontières doivent être abolies ; sur toute la terre on verra que ce qui doit être uni est uni, et décidé ce qui doit être décidé.

    D’un côté, la main dans la main, animés par l’espérance commune d’émancipation, les producteurs de toutes les richesses, les prolétaires qu’on cherche à jeter les uns contre les autres sous le couvert du patriotisme, d’un autre côté, les exploiteurs de toutes espèces coalisent leurs efforts, poussés par la peur et la lâcheté contre un courant historique qu’ils ne peuvent retenir et qui les emportera. Camarades, ouvriers de France : la question sociale est mise dans toute sa réalité devant les yeux des indifférents. Etant donné la surproduction de richesses qui devient pour la classe des producteurs, une source de misère, chacun doit réfléchir et se demander :
    Pourquoi de tels rapports sont-ils possibles ?

    Pourquoi les ouvriers de l’atelier, du comptoir, du magasin voient-ils qu’on leur diminue les salaires, qu’on prolonge leur journée de travail, que leurs femmes et leurs enfants sont toujours entraînés plus nombreux dans les bagnes capitalistes pour les concurrencer ? Pourquoi les petits marchands disparaissent-ils les uns après les autres, ruinés par les coopératives de consommation des entreprises et des grands magasins ?

    Pourquoi le petit propriétaire paysan est-il accablé d’impôts et d’hypothèques, tenaillé par l’usurier, chassé de la propriété du sol, sur lequel il peine tant, jusqu’au jour où, sous prétexte de défendre la patrie, il devra défendre le profit du voleur quotidien qui le spolie de son lopin de terre ?

    Si vous constatez qu’à notre époque, dans tous les systèmes politiques différents, dans les pays d’institutions républicaines, comme dans les monarchies, tout ce qui travaille et produit est exploité et opprimé, vous serez convaincus que la cause fondamentale du mal social que vous subissez dans l’ordre économique réside dans le fait que tous les moyens de production et les matières premières sont devenus le monopole de la classe capitaliste au lieu d’appartenir aux prolétaires qui leur donnent de la valeur par leur labeur.

    Vous aurez la conviction que pour changer cet état de choses il faut faire cesser la séparation existant entre le travail et la propriété : pour cela venir en masses conscientes vers le socialisme. Rompez avec les réactionnaires qui s’efforcent de ressusciter un ordre social mort et périmé, mais rompez aussi avec les républicains bourgeois au service, comme les royalistes, de vos exploiteurs et qui viennent d’organiser au profit des usuriers un nouveau complot de famine sous forme de droits de céréales, de viande, de vin, accourez vers le parti des masses, le parti du travail, avec lui menez la lutte jusqu’à la victoire, qui assurera au peuple la restitution des moyens de production, lui permettant ainsi de jouir du fruit de son travail.

    La journée légale de 8 heures, mot d’ordre revendicatif de la prochaine manifestation du 1er Mai, signifie les premiers pas sur la voie de votre libération qui dépend de vous.

    En forçant à limiter la somme de travail, que vos maîtres capitalistes cherchent à décharger le plus possible sur la classe ouvrière sans distinction d’âge et de sexe, vous ferez place dans les ateliers aux chômeurs affamés. Réclamez une augmentation de vos salaires indispensable pour votre développement spirituel et l’exercice de droits d’hommes et de socialistes.

    Conseil National du Parti socialiste : S. Dereure, Ferrant,Jules Guesde, Paul Lafargue.
Pour le Conseil National de la fédération des syndicats : A. Delcluze, Fournier, Manouvrier, A. Martin, Salemlier.
    
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    Cet appel était à peine affiché que la police le fit lacérer dans de nombreuses villes. Ferroul interpella à la Chambre le ministre Constant sur cette violation de la loi. Le ministre de l’Intérieur, qui passe pour spirituel chez les philistins, ne trouva d’autre réponse à faire sur la lacération des affiches qu’en prétendant qu’elles gênaient la circulation des rues en rassemblant la foule pour les lire.
    "Mais une affiche est posée pour être lue, répliqua Ferroul. Votre répression brutale et illégale donnera plus de publicité à l’appel des socialistes". L’appel fut en effet publié par toute la presse qui se mit cette année au service des socialistes, comme si elle avait été payée par eux. Les journaux s’informaient des moindres nouvelles relatives au 1er Mai et publièrent de nombreuses interviews avec les leaders socialistes de Paris et des départements.

    Les délégués demeurant à Paris qui avaient participé aux congrès de Lille et de Calais où une nouvelle démonstration du 1er Mai avait été décidée, croyaient que la manifestation projetée pourrait fournir l’occasion d’unir les différentes fractions du parti socialiste pour une action commune.
    Ils s’adressèrent à toutes les Chambres syndicales et aux groupes socialistes sans distinction de tendances pour réclamer l’envoi de délégués pour constituer un comité général, auquel devait être confié l’organisation de la manifestation.

    Les marxistes oublièrent tout ce qu’ils avaient reproché aux autres fractions, ils s’efforcèrent d’unir en un seul bloc toutes les forces révolutionnaires, mais leurs efforts échouèrent. Le comité général devint un foyer d’intrigues : les possibilistes, qui avaient repoussé l’année dernière cette manifestation, participaient au comité en vue de faire échouer cette manifestation au moins à Paris, car ils ne possédaient aucune influence en province. Les marxistes se souvenaient du concours que leur avait prêté partiellement M. Constant dans l’organisation de la fête du travail en 1890, ils ne voulurent pas lui enlever l’occasion cette fois encore d’offrir ses services.
    L’année dernière, il avait massé d’importantes forces de police, infanterie, cavalerie dans l’entourage du Sénat et de la Chambre des députés, jetant la terreur dans les quartiers riches. Les marxistes décidèrent de lui fournir le prétexte d’occuper militairement l’ensemble des quartiers de la capitale et de jeter ainsi la panique parmi toute la population de Paris.

    A cet effet, ils proposèrent au comité général de convoquer le soir du 1er Mai, tous les députés, les conseillers municipaux et les conseillers prud’homaux de Paris aux mairies des vingt arrondissements pour y recevoir les délégations qui devaient venir leur présenter les revendications sociales déterminées au nom de leurs électeurs. Constant avait mobilisé dans tous les quartiers les troupes provoquant ainsi une agitation et une grande effervescence. La vue de la force armée, loin de tranquilliser les bourgeois les effraya, car elle éveillait en eux la croyance que leur vie et leurs biens étaient en danger. Cette mobilisation provoqua au contraire la curiosité et la colère de la foule qu’elle devait endiguer.

    L’ouvrier parisien, qui en de tels moments révèle une combativité héroïque, est de nature un gai compagnon. Il ironise volontiers le gouvernement et raille la police, une manifestation est pour lui une fête. Il prend les choses gaiement. Il n’oppose aucune résistance aux attaques de la police et de la cavalerie, il court devant eux et s’écarte pour laisser passer "l’avalanche", mais revient immédiatement à la place d’où il avait été chassé. De telle sorte la force armée doit renouveler continuellement ses attaques pour balayer le terrain. Lors de la démission du président Grévy, la foule afflua durant trois jours auprès de la Chambre des députés, s’amusant à ce jeu de "flux et de reflux". Hommes et chevaux de la force armée s’étaient montrés si acharnés qu’en deux jours de semblable travail ils se rendirent impropres au service actif.
    La population parisienne a inauguré ainsi une nouvelle tactique de combats de rues : sans un coup de fusil elle pouvait réduire à l’impuissance toute une armée.

    L’envoi de délégations aux mairies, proposé par les marxistes, aurait permis aux Parisiens d’exercer leur art stratégique. Les troupes pénétraient-elles dans les quartiers isolés, elles ne pourraient laisser tranquilles les ouvriers indifférents, ils auraient abandonné en masse les ateliers pour voir ce qui se passait. Ils auraient grossi le nombre des manifestants venus en simples spectateurs, ils auraient pris part à la manifestation. Tous les faubourgs ouvriers seraient alarmés et la foule convoquée et mise en mouvement se serait portée naturellement vers la Chambre des députés, rendez-vous traditionnel du peuple de Paris. Sur la place de la Concorde, 2 à 300.000 hommes seraient accourus et la manifestation serait si imposante qu’on n’en aurait jamais vue de pareille.

    Les ouvriers parisiens auxquels on avait interdit les meetings en plein air, auraient conquis le droit de manifester dans la rue. Aucun gouvernement capitaliste n’enlèvera volontairement au prolétariat ce droit qui menace son existence.
    Les feuilles ministérielles et officielles dénoncèrent le projet des marxistes, et les possibilistes, qui au moment de la crise boulangiste se trouvèrent à la solde de Constant, intriguèrent pour faire échouer la grève générale.
Cependant, différer ne veut pas dire renoncer, l’avenir réalisera ce projet. Les Congrès de Lille et de Calais avaient résolu d’envoyer des délégués des groupes socialistes et des chambres syndicales de province à Paris. Ils devaient s’unir aux délégués parisiens pour présenter à la Chambre la revendication de la journée de 8 heures. Les possibilistes, formant la majorité au comité général, s’opposèrent à l’envoi de cette délégation. Les marxistes sortirent du comité et décidèrent d’organiser par leurs propres forces la manifestation. (...)

    Malgré les intrigues possibilistes, une quantité de travailleurs a "fêté" le 1er Mai ; la population ouvrière est venue en masse à la Chambre des députés pour donner plus de force par sa présence à la forte délégation de 37 hommes envoyée par les organisations parisiennes et départementales à laquelle s’était joint le député anglais Cunningham Graham. Certainement le nombre de manifestants eût été dix fois plus grand, sans ces manœuvres qui rejetaient chaque démonstration de rue, tandis que celle-ci est précisément le seul moyen de mettre en mouvement la population de Paris et d’exercer une pression sur les décisions des pouvoirs publics. M. Floquet, président de la Chambre et Arlequin de la comédie du parti radical, se refusa à recevoir les délégués parce que leur nombre, à ce qu’il dit, était trop grand.
    Quand les ouvriers et socialistes envoient une délégation revendiquer pacifiquement une réforme légale, les portes des pouvoirs publics restent fermées, tandis qu’elles sont largement ouvertes aux délégations capitalistes.

    LE PREMIER MAI DANS LES DÉPARTEMENTS

    Le 1er Mai 1890 avait été fêté dans les villes de province avec un plus grand enthousiasme qu’on escomptait. A Roubaix, par exemple, lès ouvriers avaient trouvé que ce n’était pas assez de manifester une journée et avaient fêté trois jours ; dans plusieurs endroits on a profité de l’occasion pour réclamer aux industriels des améliorations des conditions de vie et déclaré la grève.

    La manifestation avait causé aux cercles ouvriers une profonde impression, à tel point que l’ensemble des délégués aux congrès de Calais et de Lille (Octobre 1890) avait adopté la proposition que le premier mai, une grande démonstration ait lieu, mais que les ouvriers seraient libres dans chaque localité de la réaliser sous la forme qui serait possible.
    Le mot d’ordre lancé par le conseil national du parti, les chambres syndicales et les groupes socialistes commencèrent à agiter à partir de février la population ouvrière. Dans les grandes villes furent fondés des comités qui organisèrent des meetings et envoyèrent des orateurs là où il en était besoin. On me remit la tâche, fixée par le conseil national, d’agiter plusieurs centres industriels du département de la Seine Inférieure, de la Loire Inférieure, du Nord et du Pas-de-Calais.

    Mon voyage me conduisit dans des villes comme Fourmies, Wignelie, Anay et d’autres où jamais les réunions socialistes n’avaient été tenues.
    Ce qui me plut ce fut le grand nombre de travailleurs qui participa à mes meetings, écoutant avec attention, applaudissant avec enthousiasme, les théories socialistes.
    Un journal réactionnaire condamna les théories socialistes folles et criminelles, mais ne pût s’empêcher d’ajouter qu’elles pouvaient " enchaîner " l’esprit des ouvriers et soulever les masses ouvrières.

    Qu’est-ce que cela signifie ? Les théories de Marx ne sont pas les rêves utopiques d’un génial penseur, mais le réflexe spirituel du processus et des phénomènes réels de la société capitaliste. Voilà d’où leur vient leur puissance irrésistible de propagande. La classe des capitalistes n’a pas seulement organisé à son avantage la colossale centralisation des moyens de production, mais elle a créé en même temps la classe des prolétaires qui lui arrachera ses moyens de production. En accablant l’ouvrier de " surtravail ", en l’opprimant sous le fardeau de la misère, elle lui rend l’existence insupportable et le force à devenir révolutionnaire.

    Pendant ma tournée de propagande, je pus observer combien les masses ouvrières avaient été préparées pour le socialisme par le capitalisme. Comme je m’arrêtais à Nantes, une délégation d’ouvriers vint me trouver pour me demander de tenir une réunion à Saint-Nazaire qui suffirait à faire chômer l’ensemble des chantiers maritimes. Vu mon temps limité, je ne pus satisfaire leur demande ; leur attente ne fut pas vaine : sans grande réunion, le 1er Mai, tous les métallos de Saint-Nazaire, 500 environ, désertèrent le travail. A Fresnay-le-Grand, petite ville industrielle du département du Nord, qui compte 3.000 habitants, 1.000 assistèrent à mon exposé ; le 1er Mai, 3 tissages et 2 filatures furent fermés parce que le personnel n’était pas venu travailler. Qui se rappelle combien il était difficile d’intéresser les masses aux questions sociales, est surpris d’assister à un essor si immense accompli dans ces dernières années, surtout depuis le 1er Mai 1890.

    La question sociale est devenue le centre d’intérêt de la classe ouvrière. La manifestation de mai se montre comme le levier le plus puissant que les socialistes français possèdent pour influencer les masses et les mobiliser.

    Veut-on se rendre compte du progrès du socialisme, on n’a qu’à visiter les centres industriels de province. A Paris aussi bien que dans quelques grandes villes, qui font plutôt du commerce que de l’industrie, les ouvriers ont pris part depuis lors à des luttes politiques : ils embrassèrent la cause, les querelles de bourgeois avec tant de passion, qu’ils oubliaient leurs propres revendications. Aux questions politiques, ils ajoutèrent les questions de querelles religieuses, différents intérêts spirituels, qui occupent les populations des grandes villes.

    Dans les centres industriels, au contraire, le problème économique n’est pas caché et masqué par les questions politiques et religieuses ; là se montre ouvertement la lutte du capital contre le travail : l’ouvrier concentre toutes ses pensées et ses efforts sur ce seul point. Cette circonstance confère au mouvement ouvrier du département un caractère fortement socialiste, le prolétariat de province est plus socialiste aujourd’hui que la population ouvrière de Paris. Ce fait est de la plus haute importance pour notre mouvement historique.

    Depuis le commencement de notre siècle Paris a donné le signal de toutes les révolutions politiques. Paris fut le porteur du flambeau des révolutions en 1830, 1848 et 1871, les départements ratifièrent les changements accomplis dans la forme de gouvernement à Paris.
    Or, comme Paris maintenant n’a plus à faire les premiers pas vers une révolution politique mais vers une révolution sociale qui correspond au grand bouleversement de 1789, les départements sans préparation, surpris, étouffèrent la révolution de la capitale. Tout l’assaut de la réaction se porta sur elle, c’est la cause qui provoqua l’écrasement de la Commune de Paris. La province est aujourd’hui préparée à une révolution socialiste mieux même que Paris. La population de cette capitale est si nerveuse et impressionnable qu’elle peut être soulevée par une tempête et un jour être subitement précipitée dans un mouvement révolutionnaire. Donnerait-elle ce jour-là le signal de la révolution, la province se lèverait comme un seul homme pour la soutenir, pour la précéder même comme cela arriva en 1789. Les premières attaques contre la propriété foncière féodale partirent de la population paysanne. Les paysans et bourgeois s’emparèrent des châteaux et brûlèrent les titres de propriétés et de l’arbre généalogique, les Marseillais qui campaient aux Champs-Elysées prirent d’assaut les Tuileries le 10 août et portèrent le coup décisif à la royauté de droit divin.

    Depuis plusieurs années le mouvement socialiste est si renforcé en province qu’il influence les élections municipales ; jusque dans ces derniers temps les administrations des villes et les conseils municipaux appartenaient à la bourgeoisie ou se trouvaient aux mains des ouvriers dits intelligents, bénéficiant de la faveur de leurs maîtres. Les capitalistes avaient fait leur possible pour exclure les ouvriers et les socialistes des administrations municipales ; c’est pour cela qu’on décida que les fonctions municipales devaient être exercées gratuitement et les ouvriers qui étaient assez courageux pour se présenter eux-mêmes comme candidats étaient congédiés de leur travail.

    Malgré ces manœuvres, le chiffre de municipalités socialistes s’élevait à chaque élection, dans plusieurs villes, les socialistes gagnaient la majorité des municipalités. Le prolétariat a commencé à s’emparer des pouvoirs publics. Ce fait sera d’autant plus important que la situation deviendra plus sérieuse ; les municipalités socialistes se trouvant en liaison les unes avec les autres sont appelées à exercer l’influence décisive sur le cours des événements. Un des résultats de leur activité est la fondation dans plusieurs villes des Bourses de travail qui centralisent les forces ouvrières pour la lutte sur le terrain économique.

    Le 1er Mai devait avoir une grande importance dans les départements français. Partout où existaient des chambres syndicales et des groupes socialistes on essaya par tous les moyens d’organiser le chômage le plus général possible et des démonstrations de rues. En dépit des efforts des industriels et des armées du gouvernement pour empêcher l’agitation, celle-ci fut dirigée aussi tranquillement qu’énergiquement. Dans maintes localités comme à Fourmies, les ouvriers manifestèrent avant le 1er Mai leur intention de fêter ce jour-là. Dans d’autres villes, comme à Calais, la cessation du travail ne fut pas décidée dans un meeting public, enlevée par un discours, mais le personnel de 120 filatures dans un referendum se déclara unanimement pour un chômage général.

    Les industriels mécontents avouant qu’ils n’étaient par les maîtres des fabriques, n’osèrent pas repousser la résolution. A Roubaix, les fabricants se rappelaient que leurs efforts de l’an dernier avaient provoqué plusieurs grèves et manifestèrent leur intention de faire reconnaître le 1er Mai, comme le 14 juillet, fête légale. Dans plusieurs mines de charbon, les administrations furent assez intelligentes pour déclarer qu’elles n’approuveraient pas en vérité, le chômage d’un jour, mais elles se prononcèrent contre les propriétaires de mines qui ne chôment pas.

    LA BOUCHERIE DE FOURMIES DU 1ER MAI 1891

    M. Constant est un ministre qui pour garder son portefeuille, ne doit pas réaliser des réformes et bien administrer le pays, mais sauver constamment la république et la société. Il a sauvé la république du danger boulangiste, il fut aux dernières élections le sauveur des députés républicains qu’il aida par une pression administrative inouïe et l’argent des fonds secrets mis à sa disposition par la Chambre. Après le 1er mai 1890, il déclara aux petits-bourgeois qu’il avait sauvé la République et il devait se présenter cette année comme le sauveur de la société. Pour cela, il avait fait croire aux gens qu’un danger existait. A Paris, il fit placarder de sombres affiches anarchistes dans lesquelles il faisait savoir aux bons bourgeois que les terribles anarchistes se préparaient à mettre tout à feu et à sang. La police avait ordre de déchirer les placards, mais le texte en fut communiqué à la presse et fut imprimé. Les journaux bourgeois publièrent en même temps un tract pseudo anarchiste, dans lequel les soldats étaient invités à se révolter et à fusiller les officiers. La police assurait que cet appel devait être diffusé dans les casernes parmi les soldats, mais on se contenta de les remettre aux rédactions des feuilles parisiennes. La police ne parvint pas - malgré ses recherches laborieuses - à découvrir l’auteur et l’imprimeur des tracts, ni ceux qui les avaient diffusés. Ce subterfuge était si grossier, que, même des journaux réactionnaires comme le Soleil, laissaient entendre que Constant pouvait être lui-même l’auteur de tracts aussi incendiaires, ou qu’il y avait mis la main. Après avoir créé le danger, il ne restait plus à M. Constant qu’à sauver la société. Des troupes furent rassemblées à Paris et dans les villes où devaient avoir lieu les manifestations. Les régiments de la frontière avaient même reçu l’ordre de se tenir prêts à marcher au premier signal.

    Toute l’armée était mobilisée. Les sabres pouvaient fendre les têtes, les fusils tuer, pour écraser la manifestation du 1er mai. Le danger devait être bien grand, si l’on avait besoin d’un tel déplacement de forces pour sauver la société. La police avait reçu l’ordre de disloquer les manifestations et de provoquer la foule. La gendarmerie et l’armée devaient faire usage de leurs armes au moindre signal de résistance. A Marseille, Clichy, Lyon, Saint-Quentin, Charleville, Bordeaux, Nantes, presque partout où des ouvriers manifestaient publiquement, portaient à la mairie ou à la préfecture leurs revendications de la journée de 8 heures et une législation du travail, ils furent brutalement assaillis, chargés sauvagement par la gendarmerie et la police. La foule répondit par des cris, les coups de sifflets, dans maintes localités, et aussi par des jets de pierres et des coups de revolver.

    A Fourmies, la force armée est intervenue avec une cruauté inouïe. Les groupes du parti ouvrier de la localité avaient décidé à l’unanimité, dans une assemblée générale, le 20 avril, de fêter le 1er mai et de faire savoir aux fabricants qu’ils cesseraient le travail, ce jour-là. Les industriels de la région, groupés dans un syndicat, décidèrent dans une réunion et affichèrent qu’au 1er mai, les ouvriers absents des ateliers seraient licenciés.
    Ils avaient espéré épouvanter les ouvriers, mais ils ne purent que les exaspérer. Les plus indifférents furent pris de rage à cette menace qui les poussait à une cessation générale du travail. La quantité d’ouvriers qui ont été le 1er mai an travail fut si infime, que les fabricants durent les renvoyer chez eux.

    Les ateliers se vidaient, les rues et places regorgeaient d’ouvriers en habits de fête, qui se réjouissaient du magnifique rayon de soleil. Jamais on n’avait vu circuler autant de monde. Devant une filature, il y avait un rassemblement ; on y avait vu entrer des ouvriers et on saluait les jaunes de coups de sifflets et de cris de lâches et de traîtres.
    Ce fut le prétexte cherché pour l’intervention de la force armée. La gendarmerie attaqua la foule et procéda à de nombreuses arrestations. L’après-midi, arriva une troupe de jeunes gens, de femmes et d’enfants, en chantant sur cette même place et exigeant la libération des emprisonnés. Alors, les soldats, sans avoir été provoqués par la foule, sans avoir fait les trois sommations réglementaires, tirèrent. La boucherie aurait duré encore longtemps si le curé catholique Margerin, n’était pas sorti de la maison et n’avait pas crié : "Assez de victimes". Neuf enfants étaient couchés sur la place, un homme de 30 ans, 2 jeunes gens de 20 ans, 2 enfants de 11 et 12 ans et quatre jeunes filles de 17 à 20 ans.
    Une de ces dernières tenait un rameau dans la main, elle accompagnait son fiancé, portant un chapeau qui fut traversé par une balle. C’était la première fois que le fusil Lebel et la poudre sans fumée étaient essayés, et les deux avaient fait merveille.

    Un cri de terreur retentit dans toute la France à la nouvelle de cette terrible boucherie de gens pacifiques, qui n’avaient en rien troublé "l’ordre". Constant en était tout pétrifié. Lui qui se présentait avec cynisme devant la Chambre, ne laissa pas échapper un mot de regret. Oranger et Rocher purent l’appeler souvent "Assassin !"
    On chercha à décharger sur Constant seul la responsabilité du crime de Fourmies, mais les ouvriers ne se laissèrent pas tromper. Ils savaient bien que derrière Constant, se cachaient les officiers exécuteurs des volontés de la classe capitaliste, comme aussi les fabricants, leurs mandataires même et conseillers municipaux, qui appelèrent l’armée et lancèrent les soldats et officiers contre les ouvriers.

    La population ouvrière de Fourmies, siffla le 195e régiment qui avait participé à la tuerie et appela les soldats : "Assassins !" Le 84e régiment fut accueilli par des applaudissements car ses sous-officiers s’étaient refusés à faire feu sur la foule. Un soldat du 145e refusa de tirer ; l’officier, revolver au poing, le jeta par terre. "Je vois ma mère dans la foule", réplique le soldat.
    Quand Constant et les députés ministériels enterrèrent l’enquête sur les événements de Fourmies, ce fut parce qu’ils craignirent de découvrir les vrais coupables et de révéler que, dans de nombreux cas, soldats et officiers commandés, refusèrent d’obéir aux ordres de fusillades.
    "Une enquête, avoua un député, introduirait l’indiscipline dans l’armée et conduirait les soldats à retourner enfin leurs armes". Les fabricants avaient espéré mater la population : au contraire, elle était exaspérée. Les ouvriers baptisèrent les localités, les emplacements où avaient eu lieu la boucherie ; la place du marché, sur laquelle la foule s’était rassemblée, avait été appelée : place Lebel ; la rue Elliot où tombèrent les victimes, "la rue du crime". Un cabaretier fit monter en bronze une balle qui l’avait frappé, dans une porte d’armoire, avec l’inscription : "Preuve du 1er Mai 1891, j’ai fait des victimes".

    Tout Fourmies participa aux obsèques des neuf cadavres ; on refusa l’accès du cimetière au maire et aux conseillers municipaux. Quant aux familles des victimes, elles refusèrent l’argent offert par les autorités municipales pour les frais des funérailles et leurs besoins ; les ouvriers apportèrent les sommes recueillies par souscription. Autour de Fourmies, étaient différents centres industriels avec une population de 2 à 5.000 habitants, éloignés de quelques lieues. De toutes ces villes, des délégations vinrent à l’enterrement ; de grands centres comme Lille et Roubaix envoyèrent des couronnes et des délégués. Le cimetière est devenu un lieu de pèlerinage où chaque dimanche accourent des travailleurs des villages avoisinants pour déposer des gerbes sur les tombes des victimes. Toute une semaine, le travail cessa à Fourmies. Dans les centres industriels, des grèves éclatèrent pour des augmentations de salaires, réduction de la journée du travail, abolition des décrets des fabricants, congédiements des chefs brutaux. Toute la contrée entra en ébullition.

    Les conseils municipaux de Roubaix, Sète, Roanne, Calais, où étaient les socialistes, acceptèrent de recevoir l’argent pour les familles des victimes ; l’Intransigeant, avec Rochefort, ouvrit une souscription. Toute la France versa. Le 1er mai a déjà ses martyrs : 1869, les troupes du général Palikao menacèrent, massacrèrent à Ricamarie et à St-Aubin les mineurs insurgés ; deux années plus tard, toute la France salua le 4 septembre 1870 et la république fut proclamée, comme un jour de libération.

    Les socialistes se demandent combien d’années s’écouleront avant que la France se réjouisse de la victoire de la révolution sociale.
    La presse capitaliste de Fourmies et des environs chercha à étouffer la vérité et à faire croire que les ouvriers ne sont pas mécontents mais sont excités artificiellement par la propagande socialiste de Renaud-Caline et Lafargue. Les socialistes sont représentés comme des sorciers qui n’ont besoin que de se présenter quelque part pour transformer chaque chose en son contraire. A peine paraissent-ils en quelque endroit, les capitalistes qui en sont réduits au pain sec et à l’eau pure, parce que leurs ouvriers peuvent manger la meilleure viande et boire le vin le plus fameux, deviennent des exploiteurs qui font travailler leurs gens 12 heures durant pour de vrais salaires de famine ; et les ouvriers qui, jusqu’alors, étaient si contents de leur sort, s’imaginent encore une fois qu’ils sont devenus plus malheureux que les pierres de la rue. Si Ies industriels osaient formuler un souhait, ils exigeraient des bûchers publics, pour cuire à petit feu, ces rôtis de diables que sont les socialistes. En attendant la réalisation de cet idéal, ils ont en passant fait arrêter Fauline, le secrétaire du groupe du parti ouvrier de Fourmies. On l’accuse d’être l’auteur de la démonstration qui devait servir de prétexte à la boucherie. Comme les industriels, qui le haïssaient mortellement, ne peuvent le faire fusiller, ils veulent l’emprisonner pour longtemps. Mais les électeurs le vengeront en l’appelant, aux prochaines élections, maire de Fourmies.

    Le 1er mai ne ressemble pas en France aux autres démonstrations populaires comme le 14 juillet, le 18 mars, ni au dernier dimanche de mai.
    Le 18 mars, dans toute la France, les ouvriers rassemblés autour du drapeau du socialisme fêtent l’éveil de l’aurore de la révolution sociale. Le dimanche de la semaine de mai sanglante, les ouvriers et socialistes parisiens vont en pèlerinage au Mur des Fédérés du Père-Lachaise où les derniers combattants de la commune sont tombés, pour célébrer la mort de ces héros et jurer de les venger.

    La manifestation de mai revêt un tout autre caractère, comme j’ai pu le constater dans les localités, où m’appelaient mes tournées de propagande. Chaque ouvrier qui manifeste le 1er mai, a la conviction que les ouvriers du monde entier agissent et sentent comme lui. Il peut se trouver isolé en quelque coin du pays, il sait que la manifestation répond au célèbre mot d’ordre lancé par Marx et Engels : "Prolétaires de tous les pays, unissez-vous" ; l’internationalisme imprime à la manifestation de mai un cachet particulier, presque mystique. Il est touchant de voir les ouvriers qui ne sont jamais sortis de leur petite localité, et vivent en dehors de toute agitation, s’informant sur les manifestations de mai dans les autres pays, dont ils connaissent à peine le nom et dont la situation géographique leur est certainement inconnue.

    Ils attendent le 1er Mai comme un jour de libération, car ils se disent que la lutte des camarades, au dehors, ils ne savent pas au juste où, contribue à l’amélioration de leur vie. Les timides s’enhardissent en ce jour jusqu’à réclamer du patronat des améliorations de leurs conditions de travail ; ils déclarent des grèves sans savoir comment les mener. A leurs yeux, une force secrète enveloppe le 1er Mai pour le conduire à 1a victoire. La tuerie de Fourmies élèvera encore la mystique du 1er Mai ; dans plusieurs villes on parle d’envoyer des délégués le 1er Mai 1892 à Fourmies, comme si le cimetière devait devenir le lieu de pèlerinage des socialistes français.
    Le 1er Mai a fait sur la classe capitaliste une profonde impression. Le Figaro, organe de la riche bourgeoisie, voulant faire oublier que l’année dernière, il ridiculisait la manifestation en la qualifiant de farce, publiait le 2 mai une page de son collaborateur Saint-Seré, qui écrivait : "Si en Allemagne, comme en Belgique, tout se passe bien, on doit tenir pour très sérieuse la situation créée par le retour régulier et la généralité de cette manifestation d’ouvriers. Qu’on pense que cette manifestation a lieu à la même heure à Philadelphie, à Cracovie comme à Christiania et à Séville ; on doit confesser que, bien ou mal, l’étude de la pièce progresse et que sa première représentation, si éloignée qu’elle paraisse, sera terrible".

    Le Petit Journal et le Petit Parisien, vendus à des centaines de milliers d’exemplaires (l’édition du Petit Journal tire à plus d’un demi million) trouvent leurs chemins jusque dans les plus petits villages et recrutent leurs couches de lecteurs surtout dans la classe moyenne ; ils ont fait la propagande pour la manifestation de Mai et la journée de 8 heures, ils montrent du respect devant les socialistes. Les expressions des deux feuilles sont assez importantes, car elles reflètent les considérations de la petite bourgeoisie.

    Le Petit Parisien écrit, le 8 mai, sous le titre "Grève sanglante" : "Le progrès du mouvement est plus constant et toujours plus rapide. Si on revient au temps du gouvernement Louis Philippe, on se heurte à des insurrections comme celle du cloître St-Rémy ; on avait alors à faire à des centaines d’insurgés ; qui peuvent être facilement battus. Plus tard, en 1848, le soleil de juillet préside, après une bataille de 3 jours, à la défaite de 20.000 combattants.
    "La répression fut terrible, et quand elle fut accomplie, les aveugles crurent la guerre sociale conjurée à tout jamais. Et cependant on en est arrivé à la lutte fraternelle terrible de 1871 qui mena à l’organisation d’armées entières de guerre civile."

    " La simultanéité et l’unanimité avec lesquelles la manifestation de mai eut lieu dans le monde entier, renferme un sérieux avertissement. Il est évident que le flot monte et que les ouvriers ne sont plus disposés à une résignation ; à l’état de désespoir que leur donne l’organisation de la société à ce qu’ils disent. La solution du problème est difficile, répondent les adversaires du progrès. N’est-ce pas la langue que, en tous temps et en tous lieux ont parlé les heureux de ce monde ?

    L’antiquité ne comprend pas que le monde puisse exister sans esclavage ; le Moyen-Âge ne voulait pas libérer les serfs ; dans les yeux du vieux régime, comptent toujours les préjugés de la noblesse pour des dogmes inébranlables. Les époques tombent en poussière les unes après les autres. La grande révolution a passé, seulement ces principes n’ont pas abouti à leurs conséquences sociales nécessaires et l’heure approche où la vieille construction centenaire s’écroule, qu’il faut protéger par des réparations pour éviter sa chute. "

    L’impression de la manifestation de mai dut être bien profonde pour que Clemenceau, le volcan éteint du radicalisme s’exprime ainsi à la Chambre :
    "Messieurs, n’êtes-vous pas ému par l’importance que le 1er Mai a acquis ? Ne voit-on pas, à la lecture des journaux, la quantité de dépêches de toutes les parties d’Europe et d’Amérique, qui disent ce qui a été fait dans tous les centres ouvriers ?

    Vous avez accompagné en pensée les grandes processions qui ont traversé les villes aux applaudissements des masses populaires. Vous savez qu’en d’autres lieux on en est venu à des luttes, à des conflits avec la force armée ; ici vous avez vu l’enthousiasme, là la colère, partout l’ardeur passionnée. Il devient certain pour les plus myopes, que cela fermente dans la classe ouvrière, qu’un nouveau moment surgit dans l’histoire, qu’une nouvelle force terrible se révèle avec laquelle les politiques doivent compter.
    " Que signifie cela ? Nous devrons avoir le courage de répondre à cette question sous la forme que les pionniers du mouvement ont accepté : c’est le 4e Etat qui se lève et veut conquérir pour lui le pouvoir.

    J’affirme que le fait le plus important de la vie politique à présent est la révolution inévitable qui se prépare : l’organisation du 4e Etat, vous devez compter avec cela, vous devez vous opposer au 4e Etat avec violence, c’est la guerre civile !
    Recourez-vous à la violence, c’est la guerre civile ! Quel fatalisme !
    Les républiques parlementaires et les monarchies doivent-elles prévenir par des voies différentes les mêmes catastrophes ?"

    Les classes possédantes en France sont incapables de comprendre un tel langage. Sont-elles saisies de crainte, elles n’ont qu’une pensée : fuir sous la protection de Napoléon III, d’un Thiers ou de Constant, qui jouent la providence pour les protéger de chaque danger.
    Le développement économique et l’incompréhension infinie des classes dominantes préparent en France des événements terribles qui ne se termineront plus comme en 1830, 1848 et 1870, par une révolution politique, mais par une transformation sociale.

    Le 1er Mai a prouvé que dans tous les pays, avec la forme de production capitaliste, la classe ouvrière est pliée sous le même joug, souffre du même mal, mais sent le même besoin, est animée par la même pensée d’émancipation : le 1er Mai a prouvé, et ce fait mérite considération, que les prolétaires de tous les pays sont déjà prêts à s’unir pour une action de classe.

    Paul Lafargue

    --
    Né à Santiago de Cuba en 1842, afro-descendant de Saint-Domingue (République d’Haîti) par son père, Paul Lafargue arrive en France à l’âge de 9 ans et fait ses études à Bordeaux puis à Paris, où il est étudiant en médecine. Mais son engagement socialiste et son goût pour le drapeau rouge le font exclure de l’université du Second empire.
    Poursuivant ses études et ses activités militantes à Londres, Lafargue rencontre Karl Marx dont il devient le gendre en épousant sa fille Laura.
    Membre de la 1ère internationale, Lafargue soutient activement la Commune et doit s’exiler en Espagne en 1871. En 1880, de retour en France, il fonde en France, avec Jules Guesde, le Parti Ouvrier.
    Il est arrêté en 1883 et écroué pour ses activités révolutionnaires. C’est en prison qu’il rédige son célèbre essai "Le droit à la paresse" qui met à mal la glorification du travail.
    En 1891, il est élu député du Nord. Il se suicide en 1911 à Draveil avec sa femme, de peur que la vieillesse ne le prive de ses facultés.

    http://www.une-autre-histoire.org/paul-lafargue-biographie

  • LE CRIMINEL, C’EST L’ÉLECTEUR !

    C’est toi le criminel, ô Peuple, puisque c’est toi le Souverain. Tu es, il est vrai, le criminel inconscient et naïf. Tu votes et tu ne vois pas que tu es ta propre victime.
    Pourtant n’as-tu pas encore assez expérimenté que les députés, qui promettent de te défendre, comme tous les gouvernements du monde présent et passé, sont des menteurs et des impuissants ?
    Tu le sais et tu t’en plains ! Tu le sais et tu les nommes ! Les gouvernants quels qu’ils soient, ont travaillé, travaillent et travailleront pour leurs intérêts, pour ceux de leurs castes et de leurs coteries.

    Où en a-t-il été et comment pourrait-il en être autrement ? Les gouvernés sont des subalternes et des exploités : en connais-tu qui ne le soient pas ? Tant que tu n’as pas compris que c’est à toi seul qu’il appartient de produire et de vivre à ta guise, tant que tu supporteras, - par crainte,- et que tu fabriqueras toi-même, - par croyance à l’autorité nécessaire,- des chefs et des directeurs, sache-le bien aussi, tes délégués et tes maîtres vivront de ton labeur et de ta niaiserie. Tu te plains de tout ! Mais n’est-ce pas toi l’auteur des mille plaies qui te dévorent ?

    Tu te plains de la police, de l’armée, de la justice, des casernes, des prisons, des administrations, des lois, des ministres, du gouvernement, des financiers, des spéculateurs, des fonctionnaires, des patrons, des prêtres, des proprios, des salaires, des chômages, du parlement, des impôts, des gabelous, des rentiers, de la cherté des vivres, des fermages et des loyers, des longues journées d’atelier et d’usine, de la maigre pitance, des privations sans nombre et de la masse infinie des iniquités sociales.

    Tu te plains ; mais tu veux le maintien du système où tu végètes. Tu te révoltes parfois, mais pour recommencer toujours. C’est toi qui produis tout, qui laboures et sèmes, qui forges et tisses, qui pétris et transformes, qui construis et fabriques, qui alimentes et fécondes !
    Pourquoi donc ne consommes-tu pas à ta faim ? Pourquoi es-tu le mal vêtu, le mal nourri, le mal abrité ? Oui, pourquoi le sans pain, le sans souliers, le sans demeure ? Pourquoi n’es-tu pas ton maître ? Pourquoi te courbes-tu, obéis-tu, sers-tu ? Pourquoi es-tu l’inférieur, l’humilié, l’offensé, le serviteur, l’esclave ?

    Tu élabores tout et tu ne possèdes rien ? Tout est par toi et tu n’es rien.

    Je me trompe. Tu es l’électeur, le votard, celui qui accepte ce qui est ; celui qui, par le bulletin de vote, sanctionne toutes ses misères ; celui qui, en votant, consacre toutes ses servitudes.
    Tu es le volontaire valet, le domestique aimable, le laquais, le larbin, le chien léchant le fouet, rampant devant la poigne du maître. Tu es le sergot, le geôlier et le mouchard. Tu es le bon soldat, le portier modèle, le locataire bénévole. Tu es l’employé fidèle, le serviteur dévoué, le paysan sobre, l’ouvrier résigné de ton propre esclavage. Tu es toi-même ton bourreau. De quoi te plains-tu ?

    Tu es un danger pour nous, hommes libres, pour nous, anarchistes [sic]. Tu es un danger à l’égal des tyrans, des maîtres que tu te donnes, que tu nommes, que tu soutiens, que tu nourris, que tu protèges de tes baïonnettes, que tu défends de ta force de brute, que tu exaltes de ton ignorance, que tu légalises par tes bulletins de vote, - et que tu nous imposes par ton imbécillité.
    C’est bien toi le Souverain, que l’on flagorne et que l’on dupe. Les discours t’encensent. Les affiches te raccrochent ; tu aimes les âneries et les courtisaneries : sois satisfait, en attendant d’être fusillé aux colonies, d’être massacré aux frontières, à l’ombre de ton drapeau.

    Si des langues intéressées pourlèchent ta fiente royale, ô Souverain ! Si des candidats affamés de commandements et bourrés de platitudes, brossent l’échine et la croupe de ton autocratie de papier ; Si tu te grises de l’encens et des promesses que te déversent ceux qui t’ont toujours trahi, te trompent et te vendront demain : c’est que toi-même tu leur ressembles. C’est que tu ne vaux pas mieux que la horde de tes faméliques adulateurs. C’est que n’ayant pu t’élever à la conscience de ton individualité et de ton indépendance, tu es incapable de t’affranchir par toi-même. Tu ne veux, donc tu ne peux être libre.

    Allons, vote bien ! Aies confiance en tes mandataires, crois en tes élus. Mais cesse de te plaindre. Les jougs que tu subis, c’est toi-même qui te les imposes. Les crimes dont tu souffres, c’est toi qui les commets. C’est toi le maître, c’est toi le criminel, et, ironie, c’est toi l’esclave, c’est toi la victime.

    Nous autres, las de l’oppression des maîtres que tu nous donnes, las de supporter leur arrogance, las de supporter ta passivité, nous venons t’appeler à la réflexion, à l’action.
    Allons, un bon mouvement : quitte l’habit étroit de la législation, lave ton corps rudement, afin que crèvent les parasites et la vermine qui te dévorent. Alors seulement du pourras vivre pleinement.

    --
    Placard anti-électoral, 1er mars 1906. 
Publié par l’anarchie n°47 et signé Albert Libertad.

    https://infokiosques.net/spip.php?article412

  • POLITIQUE DE CRISE
    Mars 2017

    I – Misère des élections présidentielles

    « L’administration pénitentiaire du camp de travail national change régulièrement, puisque nous pouvons depuis un certain temps et occasionnellement élire une partie (seulement) de nos administrateurs pénitenciers. Ils proposent chacun une gestion un peu différente de notre prison : certains proposent d’expulser des prisonniers « étrangers » au profit des prisonniers « nationaux », d’autres qu’il y ait davantage de « sécurité », d’aucuns une libéralisation des échanges de prisonniers, de marchandises et de capitaux entre camps de travail nationaux, et même certains de rendre notre prison nationale « plus juste », « plus humaine » et/ou plus écologique ! Et ce, même si leur pratique est relativement identique (austérité, répression, réformes) puisqu’il s’agit de gérer une même prison en fonction des mêmes objectifs : faire en sorte qu’il n’y ait pas de révoltes des prisonniers, aux moyens d’une dose variable de répression et de misère matériellement augmentée (médias, « loisirs », consommation), faire en sorte qu’il n’y ait pas trop de déficit du budget pénitencier – et donc, si nécessaire, dépenser moins au service des prisonniers–, et surtout faire en sorte qu’il y ait une croissance et une profitabilité maximum du camp de travail national – au détriment des prisonniers évidemment. » (Comité érotique révolutionnaire, Libérons-nous du travail. En partant du Printemps 2016, Paris, 2017).

    On peut l’affirmer sans aucun doute : rarement une campagne présidentielle n’aura été menée avec autant de cynisme et de démagogie, de mépris et de mensonge, avec des candidats se présentant unanimement « anti-système » alors qu’ils en sont des défenseurs patentés. Combien votent, à cette élection présidentielle comme à chaque élection, pour tenter d’éviter qu’un pire encore pire n’arrive ? L’indécision, fait significatif, ne porte plus seulement sur le choix d’un candidat parmi d’autres mais également sur le fait même de choisir l’un d’entre eux, et l’abstention reste une candidate sûre pour une moitié des votant potentiels. Il apparaît en effet comme de plus en plus évident que tous et toutes sont portés par une commune vision du monde. Des libéraux de gauche, du centre et de droite à leurs adversaires keynésiens-étatistes de gauche « radicale » comme d’extrême-droite, on partage l’amour du travail, de la croissance économique et du capital national. Il faut dire qu’en vertu de leur aspiration commune au gouvernement du capitalisme national, ils ne peuvent qu’y adhérer, unanimes dans leur répression des mouvements sociaux, en se disputant seulement sur certaines modalités de gestion du camp de travail national.

    On cherche malgré tout à nous vendre un candidat comme marchandise performante, dans un mauvais spectacle déprimant de vacuité se répétant à chaque campagne présidentielle. La politique, ainsi, a aussi ses marchandises, ses consommateurs et ses publicités – et ses producteurs, puisqu’il faut travailler, produire des marchandises et de l’argent pour financer cette misérable politique qui est en même temps une politique de la misère. Pourtant, aucun changement réellement positif ne peut venir des urnes : c’était déjà vrai aux époques antérieures du capitalisme, c’est encore plus vrai dans une situation de crise profonde du capitalisme où le gouvernement n’a qu’une faible marge de manœuvre et ne peut utiliser celle-ci qu’au profit du pire, c’est-à-dire du durcissement sécuritaire, identitaire, budgétaire, impérialiste, raciste, classiste, sexiste, ne constituant pas des obstacles à une poursuite du capitalisme. Le gouvernement n’a d’autre choix pour continuer de se financer que de soutenir l’économie, et donc ses ravages écologiques comme sociaux. Le vote individuel n’a pratiquement aucune signification et ne changera rien – ou si peu de chose qu’il ne faut rien en espérer, sinon peut-être un moindre pire dans l’immédiat.

    Quelles options se proposent à nous à chaque élection, et notamment celle-ci ? Un libéralisme social-démocrate dégoulinant de renoncements, de mensonges et de sang. Des prophètes de l’apocalypse du capitalisme libéral-sécuritaire du centre et de droite. Un étatisme-keynésien proposant une version 21e siècle des deux premières années du gouvernement Mitterrand (relance étatiste du capitalisme national, laquelle avait lamentablement échouée, et permis au néo-libéralisme de se présenter comme sauveur), assortie d’un « anti-impérialisme » pro-Poutine et pro-Bachar et d’un attachement indécent aux frontières. Un étatisme-keynésien (auparavant libéral) d’extrême-droite avec son « État stratège », c’est-à-dire en faveur du capital national, du patriarcat franchouillard et des forces de répression aux pratiques vichystes, avec un discours subliminal de haine des musulmans et des étrangers. Sans compter des candidats conspirationnistes, confusionnistes, étatico-nationalistes, des restes en décomposition de l’extrême-gauche marxiste-léniniste, et quelques autres perles…

    Enfin, dans un climat de dénonciation des élus corrompus, nombre sont ceux espérant encore un « candidat intègre ». La corruption des gestionnaires de l’État capitaliste est pourtant structurelle : comment des individus privés poursuivant leur intérêt capitaliste, une fois élus, pourraient-ils se transmuer pour devenir d’intègres élus n’ayant que le bien commun pour objectif ? Il y a là une contradiction insoluble. Toute autre contestation de cette corruption n’est qu’un fantasme moraliste et une pure « indignation ». Mais cette contestation vaine nous révèle quelque chose. La politique réellement existante produit idéologiquement son double permettant de la justifier in fine, la politique « pure », « vraie » et « bonne », même si celle-ci ne peut tendanciellement exister – et ne serait de toute façon guère souhaitable.

    Un retour non-exhaustif sur l’histoire du réformisme anti-libéral de gauche – celui d’extrême-droite ayant montré en Allemagne en 1933-45 ce qu’il faisait au pouvoir une fois élu avec un programme « anticapitaliste » – devrait suffire à achever de nous convaincre que non, vraiment, il n’y a rien à chercher de ce côté-là :
    En 1918-19, la social-démocratie allemande au pouvoir écrase avec l’aide de l’extrême-droite et de l’armée une révolution populaire (République des conseils de Bavière, insurrection spartakiste de Berlin, conseils ouvriers dans l’ensemble du pays), tandis qu’en Italie, sa consœur du Parti Socialiste Italien contient l’explosion du prolétariat et ses grèves monumentales, et prépare donc indirectement l’avènement du fascisme en 1922 ;
    En 1936, le Front Populaire de Léon Blum, notamment composé des staliniens du PCF souhaitant une alliance avec l’URSS et son « capitalisme d’État » (Lénine), des socialistes abandonnant définitivement l’idée de révolution au profit d’une gestion réformiste de l’État bourgeois et des radicaux défenseurs d’un compromis avec Hitler comme avec Mussolini, fait tout pour mettre fin à une grève générale inédite dans l’histoire de France et au fort potentiel insurrectionnel, offrant en pâture deux semaines de congé payés et la semaine de 40 heures, mesures contre-révolutionnaires finalement abandonnées deux ans plus tard, et aboutissant au désarmement du prolétariat français face aux évènements de 1939-1940 ; Les bureaucrates du grand syndicat anarcho-syndicaliste espagnol CNT, en 1936-1939, sabordent leur propre programme de révolution sociale et de communisme libertaire au nom de l’alliance « anti-fasciste » avec Staline et une République bourgeoise ultra-répressive, mettent leurs militants au travail dans des usines capitalistes « autogérées » ou au front dans une armée classique au lieu d’entamer une guerre sociale de guérilla contre l’ordre répugnant du travail, livrent leurs militants révoltés en Mai 1937 à une terrible répression stalinino-républicaine, abandonnent leurs camarades des communes d’Aragon aux colonnes staliniennes en Août 1937, et rentrent dans un gouvernement stalino-socialiste au mépris de leurs principes libertaires ;
    De 1971 jusqu’au coup d’État de Pinochet du 11 septembre 1973, Allende, socialiste élu grâce au vote massif du prolétariat chilien, désarme celui-ci, incite au calme plutôt qu’à une révolution préventive, ne prend aucune mesure contre l’armée, créant ainsi un contexte favorable au coup d’État ;
    De 1968 jusqu’en 1977, un mouvement de grèves, de révolte et de refus du travail balaye l’Italie, pendant qu’un Parti Communiste Italien aux aguets dénonce cette révolte, sabote ces grèves, incite à une négociation salariale sous l’égide de syndicats réformistes, négocie avec une bourgeoisie italienne aux aguets un « compromis historique » qui n’aboutira pas, et accepte l’envoi des chars pour reconquérir Bologne insurgée en mars 1977 ;
    En 1981, l’élection de François Mitterrand met définitivement fin aux années 68, avec une mystification électoraliste annonçant un changement radical, et finalement un programme de relance keynésienne aboutissant deux ans plus tard (du fait de leur échec) au tournant néo-libéral de 1983, annonçant ainsi 15 ans d’apathie du mouvement social ;
    Le « socialisme du 21e siècle » d’Amérique latine, enfin, n’a guère donné de meilleurs résultats : en-dehors de mesures électoralistes d’aide aux plus pauvres et de quelques réformettes, ce sont des capitalismes nationaux avec un État fort, dépendants des hydrocarbures et des ressources minières, alliés aux Russes et autres « anti-impérialistes », avec à leur tête une bureaucratie corrompue, une armée forte et une nouvelle bourgeoisie, et réprimant au nom du « peuple » tout mouvement social indépendant du pouvoir.

    Bref, si certains veulent voter pour un moindre mal, qu’ils votent sans aucune illusion et se préparent à une lutte sociale sans merci contre leur propre candidat.

    II – La politique comme l’autre face du capitalisme

    « La démocratie même est l’autre face du capital, non son contraire » (Anselm Jappe, Les aventures de la marchandise, Paris, 2003)
    Le véritable enjeu n’est pas là.
    Pour le saisir, il nous faut commencer par rompre avec le discours dominant, celui des médias et des politiciens, des universitaires et des flics, des profs et des experts en tout genre, chantres de la conservation de l’ordre actuel. À parler leur langage nous nous rendons impuissants. Impuissants car incapables de penser la spécificité de ce monde avec lequel nous cherchons à rompre de tous nos vœux. Impuissants car muets face à la rhétorique trop bien huilée d’une société qui ne se pense qu’en vase clos. Impuissants car condamnés à la répétition du même.

    Naturaliser, ontologiser, déshistoriciser... autant de gros mots pour désigner ce mécanisme central de la pensée bourgeoise qui consiste à donner une dimension éternelle à un phénomène spécifique au monde qu’elle a contribué à faire naître. Ainsi en est-il de l’ « économie » comme il en est de la « politique ». La polarisation entre sphère économique et sphère politique, au lieu d’être saisie comme entièrement spécifique au capitalisme, se retrouve naturalisée et ainsi pensée comme constitutive de l’ensemble des formations sociales humaines, au même titre qu’un certain nombre de structures sociales propres à la modernité capitaliste. Historiens, philosophes politiques et économistes s’évertuent ainsi à fouiller dans l’histoire pour déterminer à quoi ressemblaient « politique » et « économie » au sein des sociétés pré-capitalistes. Le discours dominant dans la pensée contemporaine se refuse donc à saisir la spécificité de notre époque, fille d’une série de ruptures majeures qui en font toute la particularité. Le nier revient à faire de notre modernité capitaliste l’aboutissement logique et naturel de l’Histoire alors qu’elle ne s’est imposée qu’à coup de guerres, d’asservissement et de d’anéantissement des différentes modalités d’être-au-monde qui lui préexistaient.

    Les sociétés pré-capitalistes bien sûr satisfaisaient leurs besoins sociaux et avaient des formes d’organisation du collectif, pourtant elles ne connaissaient ni « économie » ni « politique » au sens actuel. Il n’y a pas de « politique » en-dehors de l’organisation du quotidien au sein des sociétés précapitalistes. Les sociétés gréco-romaines étaient « politiques », au sens antique de structuration sociale autour d’une polis (cité), mais étaient complètement « politiques », sans qu’il s’agisse d’un système séparé comme aujourd’hui. Les autres sociétés étaient étrangères à cette catégorie de « politique » puisqu’elles n’étaient pas fondées autour d’une polis (cité) et ne connaissaient pas de séparation entre « politique », « économie » et « religion », catégories spécifiquement modernes.
    L’apparition d’une « sphère économique » distincte et dominante est intimement liée à l’émergence du système capitaliste et de ses structures élémentaires. S’il est vrai que l’on peut trouver des ancêtres de ces différentes structures à divers moments de l’histoire, la cristallisation de celles-ci au sein d’une « sphère économique » séparée est propre à l’économie de marché totalitaire dans laquelle nous vivons. Il n’y a que lorsqu’émerge un Marché unifié, totalisant, de concurrence sans entraves et de vente contrainte généralisée de l’activité humaine, qu’advient l’économie comme sphère constitutive du capitalisme avec ses structures élémentaires de travail, de marchandise, d’argent, de valeur et de capital.

    Et sans cette sphère de l’économie, pas de politique, puisque celle-ci est en complète dépendance financière vis-à-vis d’elle. Réciproquement, pas d’économie sans politique, puisque celle-ci est un garant nécessaire de l’économie, de ses contrats et de ses propriétés, un agent nécessaire de fluidification, de gestion et de protection de l’économie avec ses infrastructures nationales, ses politiques macro-économiques, son armée, sa police et ses tribunaux. Ainsi, ce n’est que lorsqu’émerge parallèlement au Marché l’État unifié, bureaucratique, totalisant, que la « politique » fait son entrée fracassante dans l’histoire. La « politique » comme sphère centrale du capitalisme naît en initiant une guerre européenne de 28 ans causant des millions de morts, en massacrant des milliers de sans-culottes radicaux – dont certains aspiraient à une société de communes – et de gens ordinaires, en établissant un droit bourgeois, patriarcal, raciste, et en lançant une industrialisation broyeuse de vies. Et celle-ci n’est pas née de rien, mais de son ancêtre, la monarchie, et de siècles d’extorsion fiscale, de guerres, de répression des mouvements sociaux et de montée en puissance de l’administration, quatre phénomènes au fondement même de l’État moderne, c’est-à-dire de ses impôts, de son armée, de sa police et de sa justice, et enfin de sa bureaucratie.

    La politique, au sens moderne, désigne ainsi une sphère du capitalisme distincte de, mais tendanciellement subordonnée à, sa jumelle l’économie. Le capitalisme est, ainsi, une société (au moins) duale, avec ses structures élémentaires (travail, valeur, marchandise, argent, capital) d’un côté et des structures non-rentables mais nécessaires au fonctionnement et à une reproduction dynamique du capitalisme (droit, justice, police, armée, administration, gouvernement) de l’autre.

    En dehors d’un certain nombre de concessions temporaires, limitées et liées à un rapport de force mouvant, l’État vise avant tout à une optimisation du processus de valorisation capitaliste. La politique est ainsi, très largement, politique de l’économie, et ce au travers de moyens allant des politiques de libéralisation aux guerres colonialistes-impérialistes. Les politiques de l’État visent avant tout à une stimulation de l’économie, et celui-ci prend en charge l’ensemble des investissements nécessaires au fonctionnement optimal du Marché mais néanmoins non-rentables et/ou trop importants pour être réalisés par des capitalistes individuels (infrastructures, maintien de l’ordre, défense militaire, etc.) en contrepartie des impôts et aux autres ponctions de l’État. L’État ainsi développe des infrastructures de circulation (comme l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes) et de communication permettant au processus de valorisation nationale de se réaliser toujours plus vite et donc de rester compétitif au niveau mondial, visant ainsi une « circulation sans temps de circulation » (Marx).
    Si la théorie ne suffit pas à nous en convaincre, l’histoire s’en charge à merveille et il faut le répéter : il ne peut y avoir d’utilisation de l’État comme simple « moyen » en vue de se libérer du capitalisme – et de l’État, comme l’avait cru Lénine et son fameux « dépérissement de l’État » qui n’est jamais arrivé. Cette histoire n’est, on l’a déjà dit, qu’une succession d’échecs aux conséquences toujours plus désastreuses.
    III. État de crise, État d’exception
    « L’espace “juridiquement vide” de l’état d’exception […] tend désormais à coïncider partout avec l’ordre normal » (Giorgio Agamben, Homo sacer, Paris, Seuil, 2016)

    On aurait presque envie, à côté des conservateurs et autres défenseurs de l’ordre établi, de crier au principe de réalité tant les vaines illusions des restes de la social-démocratie de voir resurgir un État social semblent relever de l’aveuglement. Réalité historique autant que systémique, il n’y a rien à espérer, rien à attendre d’une situation dont il serait grand temps de prendre acte. On assiste depuis quelques dizaines d’années à un recentrement de l’État sur ses fonctions de gouvernement de crise de l’économie en crise, laquelle crise de l’économie et du travail s’est approfondie depuis 2008 au point de menacer jusqu’aux classes moyennes des centres capitalistes. Geste s’accompagnant inévitablement d’un renforcement de sa fonction de répression militaro-policière, dévoilant de nouveau par-là même son vrai visage, celui de ses origines, qu’il avait masqué au cours des dites « Trente Glorieuses » et auquel s’accroche désespérément l’altercapitalisme ambiant. Il n’y a plus de croissance, donc plus de droits sociaux, peut-il proclamer tranquillement. Le mensonge n’est pas celui, superficiel, qu’il n’y a plus d’argent, mais celui, fondamental, qu’il faut s’en remettre au dieu économie une fois de plus – et être offerts en sacrifice. Dans une situation économique de crise, on voit l’État se délester progressivement de ses fonctions « sociales » pour se recentrer sur l’essentiel : relancer l’économie, et gérer ses conséquences socialement désastreuses au travers d’une gestion répressive des masses précarisées ou devenues inutiles d’un point de vue économique. L’État-Providence se démasque en État de punition divine des infidèles de l’économie.

    Si la dynamique du capitalisme conduit intrinsèquement à une éviction progressive du travail du procès capitaliste de production, le phénomène a pris une nouvelle ampleur ces dernières décennies. Depuis 40 ans de « troisième révolution industrielle », avec l’introduction de l’informatique, de l’automatisation et de la robotique au sein du processus productif, cette substitution structurelle et tendancielle du travail par des machines-robots a pris une nouvelle dimension. La possibilité d’une substitution complète de certains pans du travail par des machines-robots (caisses automatiques, robots-ouvriers, chaînes de montage entièrement automatisées...) provoque l’explosion du chômage technologique au sein des centres capitalistes, et une stagnation des faibles salaires aux périphéries. La crise économique qui en résulte touche des masses toujours plus grandes d’individus, jusqu’aux métropoles occidentales désormais entourées de zones de concentration des individus exclus du travail, surexploités et/ou particulièrement précarisés.

    C’est dans ce cadre que l’État peut se déployer dans ce qu’il a de plus élémentaire : sa dimension « sécuritaire ». Sécurité de l’État lui-même, sécurité des entreprises et de leur extorsion de plus-value, sécurité des classes bourgeoises et de leurs propriétés, et sécurité-spectacle des citoyens ordinaires aux moyens de patrouilles militaires, et tout cela au détriment des classes populaires et des exclus du capitalisme. La « sécurité » devient une véritable technique de gouvernement sur fond de « guerre au terrorisme », laquelle justifie aux yeux de beaucoup une gestion oppressive des habitants racisés (ou non) des quartiers populaires et des migrants.
    Relancer l’économie, voilà l’idée fixe de ce monde où l’on marche sur la tête tout en se persuadant que c’est la seule façon de marcher. Mais quand l’air devient proprement irrespirable, que l’on se rend compte qu’on ne relancera jamais rien, alors c’est l’État sécuritaire, militaro-policier, répressif, cet État resserré autour de ses fonctions « minimales » de maintien de l’ordre capitaliste, qui s’impose, révélant ce qu’il a toujours été, un monstre froid, une monstrueuse organisation bureaucratique et militaire, un Léviathan.
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    La crise du capitalisme, désastreuse au sein des centres capitalistes, est encore pire à ses périphéries : elle se fait d’autant plus sentir qu’un État est situé en bas de la hiérarchie du système-monde capitaliste. Elle est en grande partie responsable de l’échec des modernisations de rattrapage d’une majorité des anciennes colonies, couplée à un maintien global des hiérarchies du système-monde capitaliste, et donc d’un échange inégal et d’une division inégale du processus international de production. Et cet échec des modernisations de rattrapage, générant une forte crise d’endettement et donc des politiques d’ajustement structurel, a entraîné un délitement des périphéries sous forme de paupérisation générale de leurs populations et/ou d’une multiplication des situations de guerre civile. En conséquence, des contingents toujours plus importants de ces populations se sont enfuis vers des centres en moins piètre état. Face à cette arrivée massive de réfugiés de crise, l’ensemble des États des centres capitalistes ont choisi une politique d’exclusion des non-rentables (en-dehors donc des migrants exploitables d’une manière profitable), une sorte d’ « impérialisme d’exclusion » corolaire d’un « impérialisme de crise ». Les États des centres capitalistes refusent d’une part d’assumer leur responsabilité dans l’effondrement des sociétés des périphéries capitalistes, alors qu’ils sont responsables de l’instauration du capitalisme dans ces sociétés qu’ils ont asservies, pillées, exploitées, racisées, endettées et enfin libéralisées, laissant ainsi des milliers de réfugiés du système-monde capitaliste en crise mourir chaque année à leurs portes. D’autre part, elles se contentent d’interventions militaires dans des périphéries en voie d’effondrement avec un objectif (souvent raté) de maintien de l’ordre mondial et de pillage de ce qu’il reste, aggravant souvent une situation déjà catastrophique. Les États des centres capitalistes se replient ainsi dans leur « forteresse », n’en sortant que pour ces opérations : ils sont des États d’exclusion, d’exclusion des réfugiés de l’économie en crise et de crise, des réfugiés du dérèglement climatique d’origine capitaliste, des réfugiés des guerres internes aux périphéries en voie d’effondrement, des réfugiés des guerres de maintien de l’ordre mondial ou encore des réfugiés du développement. Après avoir imposé au monde entier un mode d’organisation social aux effets dévastateurs, l’impérialisme des centres capitalistes s’en retire très progressivement en laissant derrière lui un désastre économique, social et politique qu’il refuse d’assumer.

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    Les évolutions contemporaines de l’État capitaliste de crise, et notamment son recentrement sur sa fonction policière et son durcissement en tant qu’organe répressif, loin de relever d’un changement de nature de ce dernier, sont plutôt l’affirmation même de ce qui fait sa nature : la violence constitutive du droit et de son maintien. Aux fondements de la souveraineté, qu’elle soit dite démocratique ou non, se trouve celui qui décide de l’état d’exception. L’état d’exception n’est pas une anomalie, ou encore l’opposé de l’État de droit : il est au fondement même de l’État et de son droit. L’État est cette structure capable de suspendre juridiquement son ordre juridique – comme il l’a fait en Allemagne en 1933 –, c’est-à-dire qu’il peut entreprendre des actions extra-constitutionnelles de manière constitutionnelle. Il y a donc, au fondement même de l’État « de droit », sa possible transformation en un « État d’exception » extraordinaire, de crise. Celui de l’état d’urgence depuis 2015 et ses fichés S, ses interdictions de manifestations, ses assignations à résidence, sa police toujours plus violente et sa justice fonctionnant comme machine à enfermer. Celui qui a fait de l’anti-terrorisme un procédé même de gouvernement, celui de l’affaire Tarnac.

    État d’urgence qu’on retrouve aujourd’hui en Turquie, hier dans l’Allemagne pré-hitlérienne de 1930, aux États-Unis à partir de 1941 – permettant l’enfermement dans des camps au milieu du désert de dizaines de milliers de Japonais –, dans l’Italie des années 1970-1980 pour réprimer l’Autonomie italienne, en Syrie depuis 1963… État d’urgence, hier encore, en France et en Algérie coloniale en 1955, 1958 et 1960-1963 – aboutissant aux massacres du 17 octobre 1961 et du 8 février 1962 –, en Nouvelle-Calédonie en 1984-85 dans l’optique d’une répression du mouvement indépendantiste, en 2005 en Île-de-France dans l’optique de l’écrasement des banlieues insurgées. État de siège (version militarisée de l’État d’urgence), avant-hier, celui de l’écrasement sanglant des ouvriers parisiens en juin 1848, des communards en 1871 ou des Kabyles insurgés cette même année. Demain, après-demain, l’article 16 autorisant une dictature présidentielle temporaire, l’état de siège dans l’optique de réprimer une insurrection populaire ? La frontière entre l’État de droit et celui d’exception est donc relative, poreuse, mystifiante, l’État de droit justifiant l’État d’exception au nom de son maintien. C’est ce que révèle la normalisation de l’État d’urgence, dispositif d’exception dont le prolongement indéfini ne semble en aucun cas perturber l’État de droit. Progressivement, les frontières entre démocratie parlementaire et dictature temporaire se font toujours plus poreuses, l’état d’exception se fondant toujours mieux dans l’état démocratique. Si le cadre constitutionnel nous fournit une vaste prison sociale dans laquelle l’on bénéficie encore d’une relative liberté de mouvement, qu’un état d’exception vienne suspendre cet ordre des choses et voilà les murs de la cage se rapprocher dangereusement. Disons-le, l’État d’exception commence à nous coller à la peau.

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    Mais cet État d’exception extraordinaire, propre aux crises économiques, sociales ou encore politiques du capitalisme, se double d’un état d’exception ordinaire, tout aussi constitutif de l’État moderne mais permanent, et simplement exacerbé en temps de crise. Constitutif de l’État moderne, non comme possibilité souveraine de suspendre légalement son ordre légal, mais comme monopole de la violence sur un territoire et une population donnée. « Le souverain […] se pose légalement en-dehors de la loi » (Agamben) : il faut comprendre cette sentence non comme l’exception de l’État, mais comme règle fondatrice de son appareil policier, militaire et judiciaire, révélant l’État comme une structure de domination arbitraire basé en dernière instance sur ces appareils répressifs. Arrestations, abus, suspension des droits civiques traversent de part en part l’état normal du droit sans pour autant nécessiter de suspension de l’ordre démocratique, révélant ainsi sa nature intrinsèquement répressive. La police illustre parfaitement cet État d’exception ordinaire dont elle est une pièce maîtresse : elle est fondée légalement à entreprendre des actions non-légales lorsqu’elles sont exécutées par des simples citoyens. Les policiers peuvent légalement fouiller, frapper ou encore séquestrer (dans un commissariat) des individus, contrairement aux autres citoyens. La police peut même de facto tuer (300 morts depuis 30 ans pour presque aucune condamnation judiciaire), stade suprême de l’État d’exception légalement fondé, et manifestation du « droit de vie et de mort » constitutif de l’État souverain. La justice n’est pas en reste. Elle est fondée légalement à entreprendre une action illégale lorsqu’elle est exécutée par des simples citoyens : enfermer (dans un établissement carcéral) et extorquer (sous forme d’une amende) des individus. L’État est bien cette coïncidence entre violence et droit dont parlait Agamben. Et cet État d’exception ordinaire s’acharne avant tout sur ceux susceptibles de menacer son ordre stato-capitaliste : militants politiques, participants aux luttes sociales, mais surtout prolétaires racisés de quartiers populaires constitués en zones d’exception permanentes. La hiérarchie raciste et de classe, dont l’État est un défenseur ultime, est ainsi violemment réaffirmée. L’État d’exception ordinaire règne, enfin, au sujet des violences domestiques faites aux femmes, en excluant ces violences de facto du droit, en renvoyant celles-ci au « privé », aboutissant finalement à un laisser-faire des viols et des violences patriarcales au sein du cadre domestique.

    Précisons-le, il ne s’agit pas de revendiquer, on ne saurait comment d’ailleurs, plus de droit et moins d’exception. L’État capitaliste est obligé d’être en partie « de droit » puisqu’il n’y a pas de capitalisme sans droit, sans garantie du respect des contrats, des dettes, des propriétés et des propriétaires. Mais en même temps, et au nom même de cette garantie de l’ordre capitaliste, l’État s’extrait du cadre légal qu’il a de toute façon lui-même créé. L’État d’exception ordinaire est donc un simple défenseur du droit capitaliste, c’est-à-dire de l’État de droit. Il ne faudrait donc pas opposer ces deux formes de l’État : il s’agit d’une seule et même structure se dédoublant de manière complémentaire, de deux faces d’une même pièce, d’un continuum au service de l’ordre capitaliste. L’État de droit en réalité justifie l’État d’exception ordinaire comme son garant nécessaire, de même qu’il justifie l’état d’exception extraordinaire comme son garant en dernier ressort– comme son cas limite.
    Pour en finir avec l’État de crise, l’État d’exclusion, l’État d’urgence, il faut en finir avec l’État d’exception ordinaire comme avec l’État de droit, donc en finir avec l’État, sa politique et son monde capitaliste.

    Comité érotique révolutionnaire
    https://lundi.am//Politique-de-crise

  • L’ANTICAPITALISME EST-IL TOUJOURS DE GAUCHE ?
     
    Anselm Jappe
     
    Dans les années 1990 on a proclamé le triomphe désormais mondial et définitif de l’économie de marché – au point que certains de ses apologistes ne croyaient même plus nécessaire d’utiliser des euphémismes, reprenant par défi le mot « capitalisme », depuis longtemps honni, pour en faire l’éloge. Mais au bout d’une dizaine d’années, avec l’éclatement des bulles spéculatives et le début du mouvement altermondialiste, le vent s’est mis à tourner.
    Depuis la crise de 2008, la critique du « capitalisme » s’est emparée à nouveau des esprits et, parfois, des rues. Les « indignés » et « Occupy Wall Street » ont fait des émules dans le monde entier. Dans de nombreux pays, surtout aux Etats-Unis et en Espagne, ils ont constitué les mouvements sociaux les plus importants depuis des décennies. Dans la gauche radicale, certains y voient déjà, en y additionnant les révoltes du « printemps arabe », les signes avant-coureurs de la prochaine révolution mondiale. Mais au-delà des protestations organisées, c’est jusque dans les médias officiels et les discours de café du commerce qu’on ne cesse de se poser la question : faut-il « limiter » le capitalisme ? Celui-ci traverse donc, c’est le moins que l’on puisse dire, une « crise de légitimité ».

    Le nouvel esprit anticapitaliste

    Mais que reproche-t-on au capitalisme ? Comme chacun sait, ce nouvel « esprit anticapitaliste » a principalement deux cibles : la financiarisation de l’économie et la rapacité d’une « élite » économique et politique totalement déconnecté de l’immense majorité de la population. Sur un plan plus général, on pointe aussi les inégalités toujours croissantes des revenus et la détérioration des conditions de travail – mais en les attribuant, tout comme les autres maux sociaux, à la finance et à la corruption.
    On peut facilement objecter qu’il ne s’agit pas là d’une critique du capitalisme, mais seulement de sa forme la plus extrême : le néolibéralisme. En effet, l’anticapitalisme actuel (au sens le plus large) demande d’abord le renforcement des pouvoirs publics, l’adoption de politiques économiques keynésiennes (programme de relance au lieu de sauvetages des banques) et la sauvegarde de l’Etat-providence. Des marxistes traditionnels appelleraient cela une critique de la « sphère de la circulation ». Ils font remarquer que la finance et le commerce, de même que les interventions de l’Etat, ne produisent pas de la valeur, mais se limitent à distribuer et à faire circuler celle-ci.

    Au-delà de la critique de la propriété privée des moyens de production : la critique catégorielle 

    Il faut s’attaquer, disent-ils, à la sphère de la production, où le profit nait de l’exploitation des travailleurs, laquelle est rendue possible par la propriété privée des moyens de production. Or, les indignés ou les « occupants » tiennent rarement compte de celle-ci. Mais même s’ils le faisaient, ce serait encore insuffisant : Marx a démontré – même si les marxistes l’ont vite oublié – que la propriété privée des moyens de production est elle-même la conséquence du fait que dans le capitalisme – et seulement dans le capitalisme – l’activité sociale prend la forme de la marchandise et de la valeur, de l’argent et du travail abstrait. Un véritable dépassement du capitalisme ne peut se concevoir sans se libérer de ces catégories.

    Les mouvements sociaux dont il est question ici n’aiment pas les discussions théoriques. A leurs yeux, celles-ci sapent l’unité et l’harmonie tant recherchées. Ce qui compte, c’est le « tous ensemble ». Dans les assemblées, par souci de démocratie, personne n’a le droit de parler plus de deux minutes. Un mouvement comme « Occupy Wall Street », fort d’avoir l’appui ou la « compréhension » de Barack Obama et du « guide » iranien Khamenei, de la présidente brésilienne Dilma Roussef, de l’ex-Premier ministre britannique Gordon Brown et du président vénézuélien Hugo Chavez, sans parler de certains banquiers comme George Soros, de divers prix Nobel de l’économie et d’hommes politiques du parti républicain, un tel mouvement ne peut pas se perdre dans des arguties dogmatiques. Et les théoriciens de gauche accourent pour leur donner raison : s’attaquer aux bourses et aux banques, disent-ils, constitue déjà un bon début.

    Un anticapitalisme de droite populiste

    Vraiment ? Toute critique du capitalisme est-elle nécessairement de gauche et prononcée au nom de l’émancipation sociale ? N’y a-t-il pas aussi un anticapitalisme populiste et de droite ? On se trompe en identifiant la « droite » exclusivement à la droite libérale (du genre UMP), qui prône le tout-marché et l’individualisme forcené dans le domaine économique. Depuis que la droite et la gauche existent, c’est-à-dire depuis la Révolution française, il y a toujours eu des représentants de la droite pour dénoncer certains aspects de la société capitaliste. Mais cela s’est toujours fait de manière partielle, et surtout dans le but de canaliser la rage des victimes du capitalisme contre certaines personnes et certains groupes sociaux auxquels on attribue la responsabilité de la misère.

    Ainsi, ces hommes de droite mettent les fondements du système à l’abri de toute contestation. Ce fut avec des slogans anticapitalistes qu’Hitler arriva au pouvoir, au milieu de la plus grave crise du capitalisme du XXe siècle. On oublie souvent que l’acronyme NSDAP signifiait « Parti national-socialiste des ouvriers allemands » et que les fascistes aimaient à faire des déclarations tonitruantes contre la « ploutocratie occidentale », la « haute finance » et « Wall Street ».

    Les explications offertes par l’extrême droite attirent une partie des victimes de la crise, car elles paraissent évidentes à ces dernières. Elles se concentrent presque toujours sur le rôle de l’argent. Hier c’était la chasse aux « usuriers », aujourd’hui aux « spéculateurs ». « Briser l’esclavage du taux d’intérêt » : voilà qui pourrait être un slogan du « mouvement des occupations ». En vérité, ce fut un des principaux points programmatiques du Parti nazi à ses débuts.

    Le travail sanctifié

    Marx a démontré que l’argent est le représentant du côté « abstrait » et quantitatif du travail, que l’argent est une marchandise et qu’il est normal dans le capitalisme que l’on paie, comme pour toute marchandise, un prix pour son usage (l’intérêt). Or, dans la rhétorique anticapitaliste de droite (de toute façon toujours hypocrite et jamais mise en pratique lorsque la droite est au pouvoir), le travail et les travailleurs sont sanctifiés (d’ailleurs, la droite compte aussi parmi les travailleurs les « capitalistes créateurs », ceux qui investissent leur capital dans la production réelle « au service de la communauté » et créent des postes de travail). Le capital monétaire, en revanche, serait le domaine des « parasites » égoïstes qui exploitent les honnêtes travailleurs et les honnêtes capitalistes en leur prêtant de l’argent – les nazis l’appelaient le « capital rapace ». Cette identification de tous les maux du capitalisme avec l’argent et les banques a une longue histoire et entraînait presque inévitablement l’antisémitisme. Et même aujourd’hui, la description des spéculateurs fait appel implicitement, et parfois explicitement, à des stéréotypes antisémites. La haine des « politiciens corrompus » ne manque pas de fondement – mais quand on l’absolutise, on prend le symptôme pour la cause et on attribue à la mauvaise volonté subjective de certains acteurs ce qui est dû à des contraintes systémiques qui demeurent totalement ignorées. L’identification unilatérale du capitalisme avec « l’impérialisme américain » va dans le même sens et réunit souvent des activistes de gauche et d’extrême droite.

    Une gauche en difficulté pour se démarquer

    Dans les mouvements sociaux des années 1960 et 1970, cette confusion entre contenus de gauche et de droite aurait été inimaginable. Aujourd’hui, il arrive de ramasser des tracts lors de manifestations où seulement le sigle de l’organisation atteste s’il émane d’un groupe de gauche ou d’extrême droite. En effet, la gauche est en grande difficulté pour se démarquer de la droite pour ce qui touche la critique de la finance. Elle a mal assimilé Marx quand celui-ci démontre que la finance est une simple conséquence de la logique marchande et du travail abstrait.

    En suivant plutôt, souvent sans l’admettre, la critique de l’argent proposée par Proudhon, la gauche a choisi, comme Lénine, le «  capital financier » comme objet facile de ses attaques, au lieu de critiquer le travail même. Si, aujourd’hui, on se contente d’attaquer les banques et les marchés financiers, on risque de ne pas faire un « premier pas » dans la bonne direction, mais d’aboutir à une désignation des « coupables » et de conserver d’autant mieux un ordre socio-économique que peu de gens ont actuellement le courage de mettre vraiment en discussion.

    Le nombre de groupes d’extrême droite se prétendant anticapitaliste est encore petit en France. Mais la Grèce a montré qu’en temps de crise, de tels groupes peuvent accroître l’adhésion à leur programme par vingt, et en un rien de temps. Le risque est grand que leurs arguments commencent à se répandre parmi les manifestants qui ont, certes, les meilleures intentions du monde, mais qui semblent incapables de voir jusqu’où peut mener la confusion entre critique de la finance et critique du capitalisme.
     
    Anselm Jappe
    Paru dans le journal français « La vie est à nous !/ Le Sarkophage », n°35, 16 mars-18 mai 2013 (l’article a été rédigé en 2012)

  • Politique de crise
    http://inventin.lautre.net/contributions.html#politiquedecrise

    L’administration pénitentiaire du camp de travail national change régulièrement, puisque nous pouvons depuis un certain temps et occasionnellement élire une partie, seulement, de nos administrateurs pénitenciers. Ils proposent chacun une gestion un peu différente de notre prison : certains proposent d’expulser des prisonniers étrangers au profit des prisonniers nationaux, d’autres qu’il y ait davantage de sécurité, d’aucuns une libéralisation des échanges de prisonniers, de marchandises et de capitaux entre camps de travail nationaux, et même certains de rendre notre prison nationale plus juste, plus humaine ou plus écologique ! Et ce, même si leur pratique est relativement identique, austérité, répression, réformes, puisqu’il s’agit de gérer une même prison en fonction des mêmes objectifs : faire en (...)