• De l’édition et de la diffusion - Comment faire circuler la recherche ?

    Une histoire de portail
    « Histoire Vivante » donne la parole cette semaine, non pas aux chercheurs, mais bien à ceux qui font circuler la recherche et ceci au travers dʹun portail dédié aux sciences humaines : « Cairn.info ». Avec nous : François Geze, PDG des Editions de la Découverte et Marc Minon Directeur de Cairn.info.

    https://www.rts.ch/play/radio/histoire-vivante/audio/de-ledition-et-de-la-diffusion-comment-faire-circuler-la-recherche-15?id=1062430

    5 émissions de 30mn, principalement sur cairn mais pas seulement.

  • Une défense de l’avortement | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-raisons-politiques-2003-4-page-3.htm

    Une bonne part de l’opposition à l’avortement se fonde sur la prémisse suivant laquelle le fœtus est un être humain, une personne dès l’instant de sa conception. Je ne crois pas que les argumentations qui défendent cette prémisse soient satisfaisantes. Prenons par exemple la plus commune. On nous demande de remarquer que le développement d’un être humain de la conception à l’enfance, en passant par sa naissance, est continu. On ajoute ensuite que tracer une frontière ou choisir un point dans ce développement et affirmer : « Avant ce point, la chose n’est pas une personne, après ce point, elle en est une », relève d’un choix arbitraire, pour lequel aucune bonne raison ne peut être trouvée dans la nature des choses. On conclut alors que le fœtus est une personne dès l’instant de sa conception ou, du moins, que nous ferions mieux de dire qu’il en est une. Mais cette conclusion ne découle pas des prémisses avancées. On peut dire la même chose de la transformation du gland en chêne, et il ne s’ensuit pas que les glands sont des chênes ou que nous ferions mieux de dire qu’ils en sont. Les argumentations de ce genre sont souvent qualifiées d’argumentations de la « pente savonneuse » - l’expression s’explicite sans doute d’elle-même - et il est étonnant que les adversaires de l’avortement leur accordent tant d’importance et qu’ils les utilisent de manière non critique.

  • Information_bien_public.

    information_bien_public.pdf
    https://www.kirchen.ch/ecouter-entendre/actualite/IMG/information_bien_public.pdf

    De nombreuses personnes et communautés
    estiment pourtant que participer à
    l’information et au savoir, et à leur diffusi
    on par la communication, reste de l’ordre du
    besoin existentiel comme la nourriture, les
    vêtements, le logement, l’éducation et les
    soins élémentaires de santé. Elles se f
    ondent sur la Déclaration universelle des
    droits humains pour réaffirmer que le droi
    t à l’information est un droit fondamental.
    L’article 19 affirme que « tout individu a droit
    à la liberté d’opinion et d’expression, ce
    qui implique le droit de ne pas être inquiét
    é pour ses opinions et celui de chercher,
    de recevoir et de répandre, sans considérat
    ion de frontières, les informations et les
    idées par quelque moyen d’expression que ce soit. »
    A l’évidence, le respect de ce droit fondamental n’est pas encore entré partout
    dans les mœurs. Il suffit de penser au contrô
    le exercé en Chine par les autorités sur
    Internet et à l’enregistrement des usagers
    et des informations qu’ils ont transmises
    sur la Toile. Les fréquentes censures
    de la presse ordonnées par des autorités
    gouvernementales, les interdictions de récept
    ion par satellite ou les restrictions à
    l’encontre de journaux reviennent quasiment à
    empêcher les activités de ces médias.
    L’accès général à l’information et à la communication est également entravé par le
    flux unilatéral d’informations du Nord au Sud.

    LA PRIVATISATION DE L’INFORMATION
    PAR LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE
    Michel VIVANT*
    Résumé

    L’information est une « notion fuyante ». Si l’on retient l’idée de message, qui postule sa communicabilité, le terme évoque la substance. C’est, dans l’univers du droit d’auteur, le fond par opposition à la forme. S’agissant de brevets, si le titulaire des droits est le seul à pouvoir exploiter l’invention brevetée, c’est en
    contrepartie de la divulgation qu’il fait de son invention : accès réservé contre accès intellectuel ouvert à tous. Alors, la privatisation de l’information est-elle une
    question pertinente ? C’est à cette interrogation qu’il sera tenté de répondre, par une réflexion menée en dehors des canons. Seront analysées les pratiques qui conduisent
    (ou risquent de conduire) à une monopolisation de l’information, étant donné qu’il faille souvent raisonner plus en termes de « réservation », voire
    d’« immobilisation » de l’information qu’en termes de propriété. Le raisonnement se fera en trois temps : tout d’abord, c’est le détournement des mécanismes légaux
    qui sera considéré, lorsque c’est la prise de distance avec la norme légale qui conduit subrepticement à une telle monopolisation. C’est ensuite un pur et simple
    contournement de ces mécanismes légaux qui pourra tendre vers ce résultat et qui sera étudié. Enfin, il faudra se demander si ce n’est pas l’oubli radical des
    mécanismes légaux, de leur économie, de leur philosophie qui pourrait bien être le moyen le plus accompli de parvenir, sans que cela soit dit, à cette monopolisation de
    l’information.

    Le capitalisme informationnel : modes d’analyse et de régulation.
    http://paigrain.debatpublic.net/docs/pha-tn-capinfo.pdf
    Les biens communs de l’information et leur gouvernance
    Philippe Aigrain.
    https://paigrain.debatpublic.net/docs/pha-venezia-291005.pdf

    Les biens communs informationnels (notez le pluriel)
    ne deviennent pas des espaces de consensus.
    Ils sont au contraire des espaces politiques par essence,
    traversés en permanence de conflits, de négociations, de mécanismes de pouvoir. Leur existence même repose sur des infrastructures qui cachent souvent en leur sein des ressources rares ou inégalement réparties, et donc ne relèvent pas d’un statut de biens communs mais constituent des biens publics sociaux. J’en citerai deux, les
    moteurs de recherche et les langues. Si vous avez écouté hier Christophe Bruno, je n’aurai pas pas de mal à vous convaincre qu’à la fois la fonction de moteur de recherche et les langues (y compris le lexique) constituent des ressources qui peuvent être le vecteur de l’introduction ou de la réintroduction de modes de propriété, de contrôle et
    de marchandisation. Mais il existe également
    une politique des langues et des cultures sur Interne
    t à une échelle bien plus générale. Toutes les
    langues n’y partent pas sur la même ligne, les plus m
    enacées étant celles de taille intermédiaire qui
    n’assurent ni fonction de lingua franca globale ou rég
    ionale, ni fonction d’affirmation identitaire forte
    d’un espace limité.

    BIENS COMMUNS. Toute « chose » ou entité immatérielle à laquelle on a décidé de donner un statut de propriété commune, de la faire appartenir à tous, parce qu’elle n’appartient à personne. Dans le sens moderne, la propriété commune est universelle, elle est cel
    le de l’humanité. Dans le sens ancien, il s’agissait souvent de la propriété d’une communauté restreinte. À ne pas confondre avec les biens publics dans
    le sens d’objets d’une propriété publique (gérée par des institutions publiques).
    BIENS COMMUNS INFORMATIONNELS. Bien communs qui peuventêtre créés, échangés et manipulés sous forme d’information, et dont les outils de création et le traitement sont souvent eux-mêmes informationnels (logiciels). Il peut s’agir de données, de connaissances, de
    créations dans tous les médias, d’idées, de logiciels. Les biens com-muns informationnels sont des biens publics parfaits au sens économique, contrairement aux biens communs physiques, qui gardenttoujours une part de rivalité ou d’excluabilité.
    Glossaire de
    Cause commune : l’information entre bien commun et
    propriété, Editions Fayard, 2005.
    http://www.causecommune.org

  • #Données_fantômes : ce qui n’est pas compté et qui compte

    La #discrimination par la collecte de données et la #catégorisation_informatique.

    Certaines données sont collectées, d’autres sont manquantes. Qu’est-ce qui préside à ce choix ? L’artiste et chercheuse nigérienne-américaine #Mimi_Onuoha interroge les façons dont les individus sont catégorisés. Elle s’attache à mettre en évidence que la #collecte, l’#enregistrement et l’#archivage des données sont liés aux questions de #contrôle et de #pouvoir.

    Le travail de Mimi Onuoha autour des « #banques_de_données_manquantes » éclaire la discrimination et la #violence algorithmique qui est infligée aux #queers, aux #migrants et aux #minorités, souvent exclus et mal représentés par les systèmes de #décision_automatique. Alors que les algorithmes sont de plus en plus utilisés dans l’élaboration des politiques civiques, sociales et culturelles, il devient crucial de réfléchir de manière critique aux politiques qui façonnent nos infrastructures numériques.

    https://gaite-lyrique.net/article/donnees-fantomes-ce-qui-nest-pas-compte-et-qui-compte
    #données #bases_de_données #invisibilité #catégorisation #inclus #exclus #exclusion #algorithmes
    signalé par @fil

    • –-> même si il ne s’agit pas de systèmes de décisions automatiques, cela me fait penser la différence de traitement des #corps des personnes en exil quand ces corps sont en vie ou quand ils ne le sont plus.
      Alors qu’on compte, surveille, contrôle les corps en vie, personne ne se préoccupe de faire de même avec les #morts.

      Là-dessus, un numéro de Plein Droit :
      Homicides aux #frontières

      Depuis des dizaines d’années, des migrant·e·s meurent aux frontières de l’Europe. On peut s’étonner de la différence de traitement réservé aux vivants et aux morts. Pour les premiers, les technologies les plus avancées pour identifier et garantir la traçabilité des nouveaux arrivants.
      Pour les seconds, le silence et l’anonymat. Objet anthropologique par excellence pour appréhender une société donnée, la mort pose d’autres questions dès lors qu’elle touche des personnes qui n’en sont pas membres.


      https://www.cairn.info/revue-plein-droit-2016-2-p-6.htm

  • Au sujet de l’islamo gauchisme

    Le pourrissement rouge et vert | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-l-homme-et-la-societe-2009-4-page-63.htm

    La représentation de l’ennemi est une technique de combat. La légitimation de la guerre intérieure désigne généralement une alliance entre les révolutionnaires et les étrangers. La doctrine française de la guerre contre-révolutionnaire, conçue durant les guerres coloniales d’Indochine et d’Algérie, a été organisée autour de la représentation d’un « pourrissement rouge et vert », désignant l’alliance des communistes et des colonisés. Cette double coloration, par le corps et par le camp, a accompagné le passage de techniques de guerre dans le domaine policier et permis de gérer une manifestation de colonisés comme une opération de défense en contexte de guerre totale.

    À la fin des années 1950, dans l’armée puis à la tête de la préfecture de police de Paris, un usage systématique de la métaphore médico-chirurgicale s’était imposé pour justifier l’éradication de la « la subversion islamo-communiste à l’intérieur du corps national ». Cette technique discursive a permis de légitimer la mise en œuvre de pratiques de guerre contre des civils et des nationaux comme une méthode proprement éthique et scientifique, nécessaire, urgente et indispensable pour assurer la survie du « monde libre ». On peut interroger le rôle que jouent des dispositifs imaginaires comme les métaphores et les couleurs dans la traduction de doctrines de guerre en pratiques de contrôle.

    I. La subversion rouge et verte
    L’armée française a connu une véritable transformation doctrinale à la sortie de la seconde guerre mondiale, dans le cadre de la guerre froide et sur le terrain des guerres coloniales. De hauts gradés influents comme le colonnel André Beaufre ou le général Jean De Lattre ont développé et réussi à imposer dans le champ de la production de contrôle, une réflexion sur la « guerre totale » face au communisme et sur la nécessité de mettre en œuvre une « défense globale » pour assurer la « survie de la nation » dans ce contexte. Leur argumentation a été organisée autour de la désignation d’une menace rouge à l’intérieur et à l’extérieur du territoire, permanente et mortelle. Le « monde communiste » était ainsi présenté comme l’instigateur de la plupart des désordres intérieurs, des grèves de 1947 à la Toussaint rouge, en passant par les soulèvements de Madagascar. L’articulation des menaces rouge et verte pour la coloration symbolique de l’ennemi intérieur fut généralisée dans ce contexte.

  • Identités professionnelles, ethnicité et racisme à l’hôpital : l’exemple de services de gériatrie | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-gerontologie-et-societe1-2011-4-page-49.htm

    La « diversité » ethnoculturelle est une réalité structurante de l’institution hospitalière en France au moins pour trois raisons. En premier lieu, l’hôpital public comme privé ne choisit pas les populations qu’il soigne. Dans une société de fait multiculturelle, cela concerne donc la patientèle. Ensuite, même dans un pays supposément aveugle aux catégories de l’ethnicité et de la « race » comme la France, l’institution hospitalière fonctionne avec son idéologie, son jeu de normes et de valeurs qui ne sont pas toujours celles valables dans le reste de la société : la logique qui prédomine dans les négociations autour des identités à l’hôpital est avant tout une logique qui lui est spécifique. Cela signifie qu’il n’est pas possible de réduire à l’espace normatif d’une philosophie publique nationale – le républicanisme à la française – les règles et les valeurs qui encadrent la « diversité » à l’hôpital. Enfin, en troisième lieu, la diversité ethnoculturelle est devenue une réalité de plus en plus importante dans la composition sociologique du personnel. Même s’il existe des spécificités d’emploi de certaines populations dans la fonction publique hospitalière – l’exemple du personnel paramédical originaire des Dom-Tom – la diversité des membres de l’institution concerne également de nouvelles générations de professionnels issus de l’immigration postcoloniale.
    2

    Nous proposons d’aborder ici ce triple aspect de la « diversité » à l’hôpital en analysant certaines des négociations qui ont lieu au sein de services de gériatrie. Inscrite dans une approche sociologique pragmatique [1]
    [1] Notamment : Luc Boltanski, Laurent Thévenot, De la...
    , notre analyse repose sur une étude empirique de deux ans réalisée dans quatre établissements hospitaliers de la région parisienne.
    3

    Notre article a un double objectif. Il s’agit d’abord de proposer une analyse de la « diversité » à partir d’un questionnement sur la construction des identités sociales en contexte hospitalier. Nous proposons une série d’hypothèses sur la structure des négociations qui conduisent les membres de l’institution à trouver des compromis à propos des identités professionnelles, de la place de leur institution dans le reste de la société, et de la représentation de populations perçues comme minoritaires dans la composition du personnel institutionnel.
    4

    En même temps, l’institution hospitalière n’est pas un espace institutionnel uniforme. Sa structure organisationnelle est fortement hiérarchisée, elle repose sur une division très forte du travail professionnel, notamment entre médicaux et paramédicaux. Surtout, l’institution est organisée en espaces très différenciés qui mettent en œuvre des pratiques et des techniques professionnelles et prennent en charge des usagers très différents. Notre second objectif est donc de nous concentrer sur l’un de ces espaces professionnels pour tester les hypothèses générales que nous faisons sur la place des identités dans les négociations institutionnelles : les services de gériatrie. Cela va nous permettre d’illustrer un aspect peu abordé par la littérature, celui de patients âgés « blancs » soignés par un personnel « noir » ou « immigré » – un espace social de reflux de catégories ethniques, raciales et de comportements racistes que les membres de l’institution doivent gérer au quotidien.

  • Anarchisme, libertarisme et environnementalisme  : la pensée anti-autoritaire et la quête de sociétés auto-organisées.
    https://www.cairn.info/revue-ecologie-et-politique1-2011-1-page-145.htm

    Peu de mouvements intellectuels peuvent se targuer d’avoir joué un rôle aussi important dans le développement et la formation de la pensée environnementaliste moderne que la tradition anarchiste et libertaire qui parcourt la pensée sociale et politique. Les généralisations sur les racines idéologiques communes d’une politique aussi hétérogène et divisée que l’environnementalisme sont bien entendu risquées. Pourtant, lorsque l’on se penche sur quelques mouvements marqués par la pensée radicale écologiste (le naturalisme philosophique, la défense de la décentralisation économique, politique et technologique ou la volonté d’établir une société durable grâce à des institutions participatives), l’esprit de l’anarchisme classique apparaît en première place de ce débat. On remarque en effet qu’à diverses occasions au cours des deux derniers siècles, bon nombre des idées structurantes des courants les plus radicaux de l’écologie politique contemporaine ont été introduites et développées par des personnalités qui se seraient définies elles-mêmes comme «  anarchistes  » ou «  libertaires  ».

  • À quoi sert l’analyse des controverses ?
    https://www.cairn.info/revue-mil-neuf-cent-2007-1-page-191.htm

    Initiée par les science studies une seconde approche consiste à voir dans les processus de dispute des phénomènes sui generis et, plus précisément, des actions collectives conduisant à la transformation du monde social. Affaires, scandales, polémiques et controverses sont envisagés ici comme des « moments effervescents » au sens de Durkheim ou, si l’on préfère, comme des occasions pour les acteurs sociaux de remettre en question certains rapports de force et certaines croyances jusqu’alors institués, de redistribuer entre eux « grandeurs » et positions de pouvoir, et d’inventer de nouveaux dispositifs organisationnels et techniques appelés à contraindre différemment leurs futures relations. Le chercheur qui se place dans cette perspective insiste sur la dimension performative ou, pour mieux dire, instituante des processus conflictuels qu’il étudie, se préoccupant finalement moins de ce qu’ils peuvent lui révéler d’une structure préexistante réputée avoir été leur cause que de ce qu’ils engendrent, qui ne leur préexistait pas, et de la façon dont ils l’engendrent. La question qu’il introduit au cœur de son enquête devient la suivante : que fait le processus conflictuel aux acteurs et aux institutions qui s’y impliquent ? Que fait-il à l’ordre social ou socio-technique lui-même ? Comment les change-t-il ?

  • La « fermeture du paysage » : au-delà du phénomène, petite chronique d’une construction sociale.
    https://www.cairn.info/revue-espace-geographique-2005-1-page-49.htm

    La fermeture du paysage est l’une des expressions qui reviennent le plus couramment à propos des territoires ruraux, comme une menace qui oblitérerait l’avenir de ces derniers. Ne semblant épargner aucune région [1][1] Si les grandes régions françaises d’openfield ne connaissent..., pouvant toucher des espaces remarquables comme des espaces plus ordinaires, elle suscite nombre d’études et de recherches, et légitime depuis les années 1990 nombre de dispositifs d’intervention publique : opérations groupées d’aménagement foncier (OGAF) puis opérations locales agri-environnement (OLAE), réglementation des boisements, CTE (contrat territorial d’exploitation) collectif (plateau de Millevaches par exemple), etc.

    Prologue : l’annonce de la mort sociale des campagnes
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    Au lendemain de la seconde guerre mondiale, l’agriculture ne manque pas d’être fortement concernée par la grande affaire du pays, la modernisation (Jollivet, 2001). Si la préoccupation dominante des années 1950 en matière agricole fut celle de la modernisation technique — ayant pour objectif l’augmentation de la production —, celle des années 1960 concerne l’organisation socio-économique — visant à accroître le revenu des agriculteurs (Houée, 1971). La diminution de la population agricole, non seulement n’est pas un problème, mais est perçue comme le passage obligé vers la modernisation.

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    Toutefois, les déséquilibres démographiques de la population agricole (baisse et vieillissement) vont rapidement cristalliser les angoisses d’une société en pleine mutation. Portant leurs regards sur des régions présentant des « conditions naturelles difficiles » (Jollivet, 1966), au premier rang desquelles des régions du Massif central, des scientifiques s’intéressent à la question de savoir « comment l’économie moderne se satisfait […] aujourd’hui d’un milieu naturel pauvre et d’une tradition paysanne élaborée dans cette pauvreté » (Fel, 1962).

  • Etude qualitative traitant de l’absence de baisse de la consommation du tabac chez les plus précaires (chômeurs notamment).

    La cigarette du pauvre.
    https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2010-3-page-535.html

    Première cause de mortalité prématurée dans les pays développés, le tabagisme est responsable chaque année en France de plus de 60 000 décès, auxquels il faudrait ajouter quelques milliers de décès annuels imputables au tabagisme passif. Pour faire reculer le tabagisme, les pouvoirs publics ont progressivement mis en place tout un arsenal de mesures : hausse régulière des taxes (et donc du prix des cigarettes) qui a commencé avec la loi Veil en 1976, interdiction de la publicité dès 1992 (loi Évin), restrictions sur les conditions de vente (entre 2000 et 2005 : vente interdite aux moins de 16 ans, proscription des paquets de dix cigarettes, suppression des mentions « légères »…), restriction sur les conditions d’usage (interdictions de fumer dans les lieux publics couverts et au travail, étendues aux débits de boissons et aux discothèques en 2008), sans oublier les campagnes d’information et de sensibilisation (dans les médias, à l’école, sur les paquets de cigarettes) [Peretti-Watel, 2007]… Sur le long terme, ces mesures ont contribué au recul du tabagisme, qui apparaît tout de même modeste au regard des moyens déployés : on comptait en France un peu plus de 40 % de fumeurs dans les années 1970, contre 31 % en 2008.

    2
    Depuis quelques années, donc, fumer ne va plus de soi. Confronté à une sorte d’« inversion des valeurs », le fumeur ne représente plus cette vie « plus forte », « plus chaude », « plus active », qu’il symbolisait durant l’après-guerre [Collins, 1975 ; Markle & Troyer, 1979]. Au contraire, une étude australienne montre que le fumeur est plutôt perçu aujourd’hui par l’opinion publique comme un être « malodorant » et « sans volonté », un « pollueur égoïste », un salarié « moins productif » que les autres, qui pèse sur les dépenses de santé et « empoisonne son entourage » [Lupton, 1995 ; Chapman & Freeman, 2008]. Bien sûr, les campagnes de prévention, la hausse du prix des cigarettes et l’interdiction de fumer dans les lieux publics couverts ont nourri ce processus de dénormalisation du tabagisme.

  • Faut-il être motivé pour tuer ?
    https://www.cairn.info/revue-geneses-2003-4-page-154.htm

    « Comment, en effet, ne pas être persuadé que l’occultation (consciente ou non, peu importe) des pratiques combattantes sur les champs de bataille, ne conduise à l’aseptisation et à la déréalisation des paroxysmes guerriers ? [Esquiver la place centrale du combat dans l’activité guerrière], c’est manifester un refus suspect de l’essentiel. »

    Contre ces « formes d’aseptisation » de la violence, il s’agit de tenter une « histoire d’en bas » (14-18, retrouver la guerre, p. 25) qui replace au cœur de la perspective l’examen minutieux des formes, y compris les plus extrêmes, des violences de combat. Le choix de s’intéresser aux brutalités interpersonnelles, même si elles sont numériquement marginales, plutôt qu’aux innombrables tueries anonymes est sous ce rapport comparable à celui de D. J. Goldhagen de délaisser la mort « industrielle » des camps. Ainsi, S. Audouin-Rouzeau indique lui-même (notons néanmoins que ces chiffres ne figurent pas dans 14-18, retrouver la guerre) que si le bombardement d’artillerie est responsable, en 14-18 comme en 39-45, de 70 à 80 % des blessures enregistrées (loin devant les blessures par balles), les pratiques de corps à corps ne représentent toujours que moins de 1 % de ce total [10][10] S. Audouin-Rouzeau, « Au cœur de la guerre… », op.....

  • Quand les classes supérieures s’arrangent avec le droit
    https://www.cairn.info/revue-societes-contemporaines-2017-4.htm

    Quelle « conscience du droit » spécifique ont-elles, précisément du fait de leur position ? Camille Herlin-Giret révèle que la sous-évaluation des biens pratiquée par les assujettis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), loin d’être un calcul utilitariste solitaire, procède d’une coordination collective.

    Alexis Spire, lui, observe la façon dont le rituel judiciaire est utilisé par les prévenus de quatre procès pour fraude fiscale pour faire valoir leurs mérites, euphémiser leur délit et se présenter comme victimes de l’arbitraire de l’administration. C’est dans l’espace à huis clos des cabinets de notaires et d’avocats que Céline Bessière et Sibylle Gollac pénètrent. Elles dévoilent à quel point le travail dans l’entre-soi de ces professionnels avec une clientèle choisie facilite des stratégies de transmission patrimoniale, fortement genrées, au service de la reproduction du capital économique, et aux dépens d’une administration fiscale domestiquée. Cette proximité sociale et la dimension genrée de ces arrangements sont aussi au coeur du travail d’Émilie Biland et Muriel Mille. Leur enquête sur les séparations de couples québécois fortunés, mais très inégalitaires, démontre qu’au cours de ces ruptures, les femmes sont conduites à faire davantage de concessions que les hommes. Ce sont enfin des classes supérieures moins fortunées, mais suffisamment dotées pour s’accommoder avec succès des règles juridiques, que suit Lorenzo Barrault-Stella dans leurs pratiques de contournement de la carte scolaire par l’usage de fausses adresses.

    #t'as_pas_19_€_ ?

  • Colères policières
    https://www.cairn.info/revue-esprit-2016-3-page-64.htm

    Le lendemain même des massacres de Paris, le 14 novembre 2015, les syndicats de police affirment sans attendre avoir « besoin de mesures exceptionnelles » (Alliance), en l’espèce le droit de porter l’arme de service en tout temps et en tous lieux, et ce, précisent les syndicats affiliés à l’Union nationale des syndicats autonomes, « sans haine et sans crainte ». Aussi rapide que fût leur revendication au port de l’arme (sous laquelle couve aussi, nous le verrons, celle d’une modification des règles de son usage), les syndicats n’ont pas oublié de livrer à côté de la haine cette autre passion qui compromet la police : la peur. Car, comme nous allons le voir, un jeu triangulaire met en scène les policiers, leurs organisations syndicales et le politique, autour de la colère, mais aussi de la peur.

    Reste la question centrale : le déchaînement ou la colère policière ne sont-ils pas, surtout dans les situations de confrontation aux foules, le résultat de la volonté du politique ? Supposer une « colère policière », n’est-ce pas d’emblée exonérer le politique de sa responsabilité ? Sur ce point, l’exemple tunisien semble offrir une réponse lisible : quelques jours après les massacres, et parce que des images avaient finalement circulé via l’internet, le président Ben Ali implore sa propre police dans son dernier discours télévisé : « Arrêtez les tirs de balles ! Les balles réelles sont inadmissibles ! » En est-il toujours ainsi du rapport entre police et politique ? Les échanges entre politique et organisations syndicales offrent un éclairage abondant sur le bon usage de la colère.

  • Les analyses sociologiques des relations police-population : vers une reconnaissance de la variété des pratiques policières. Présentation du dossier
    https://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2017-3-page-457.htm

    Les sociologues ont commencé à travailler sur la police dans les années 1960 aux États-Unis, quand le racisme et les violences policières participèrent au déclenchement de nombreuses émeutes urbaines qui firent près de 200 morts entre 1964 et 1968. Les enquêtes ethnographiques américaines qui ont donné son essor à la sociologie de la police ont imputé aux cadres professionnels du travail policier la responsabilité de cet état de fait.  Ces travaux développent la thèse selon laquelle la culture professionnelle qui prédomine dans le monde policier comporte une série de traits qui constituent une source structurelle de tensions avec une partie de la population.

  • Les « martyrs » jihadistes veulent-ils forcément mourir ? | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-francaise-de-science-politique-2011-5-page-867.htm

    Les attentats suicides et autres formes apparentées de violence autosacrificielle sont devenus un répertoire d’action privilégié des mouvements islamistes radicaux contemporains. En Asie du Sud, les groupes jihadistes  y ont recours dans le territoire disputé du Cachemire dès la fin des années 1990, puis dans le reste de l’Inde et au Pakistan (où une cinquantaine d’attaques de ce type ont lieu par an depuis 2007). Les facteurs historiques, politiques et stratégiques de ce phénomène, variables selon les pays, ont été précisément étudiés. Les motivations des exécutants continuent, quant à elles, de nous troubler, car enfin, « pourquoi des individus se tueraient pour d’autres raisons que de ne plus vouloir vivre ? »
    .

  • Colonisés-immigrés et « périls migratoires » : origines et permanence du racisme et d’une xénophobie d’Etat (1924-2007)
    http://journals.openedition.org/conflits/10363

    Dans un contexte marqué par l’avènement d’une xénophobie d’Etat, entre autres sanctionnée par la création du Ministère de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement, on s’intéressera aux origines d’une telle politique. Origines que l’on découvre, notamment, sous la Troisième et la Quatrième Républiques, dans les représentations alors forgées des colonisés-immigrés réputés inassimilables et nuisibles pour la santé et la sécurité publiques, et dans les dispositions juridiques destinées à contrôler leur entrée sur le territoire métropolitain. Dangerosité supposée des populations concernées qui font peser sur l’identité « raciale » et nationale du pays des menaces importantes, islamophobie et crainte de l’envahissement de la France ; tels sont, déjà à l’époque, les principaux arguments justifiant l’adoption de mesures toujours plus restrictives.

    Le traitement des immigrés en France : un continuum depuis 1945
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    https://www.cairn.info/load_pdf.php?ID_ARTICLE=COME_087_0121

  • ‪L’alimentation, arme du #genre‪ | Cairn.info
    https://www.cairn.info/revue-journal-des-anthropologues-2015-1-page-19.htm

    Ce dossier est le fruit d’une rencontre entre trois sociologues et une socio-anthropologue autour du constat suivant : un vide théorique caractérise le croisement des champs du genre et de l’ #alimentation dans le monde francophone. L’appel à contribution lancé en 2014 par le Journal des anthropologues avait pour objectif de sonder ce vide et de permettre l’émergence de questionnements inédits et de données susceptibles d’alimenter le peu d’études empiriques disponibles sur le sujet. Nous espérions, par cet appel, « essayer de savoir et de faire savoir ce que l’univers du savoir ne veut pas savoir », selon la formulation de Bourdieu (1997 : 14).
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    Les études sur l’alimentation et les études sur le genre ont plusieurs points communs [1]
    [1] Jarty J., Fournier T. « Mise en perspective des problématiques...
    . Elles ont dû extraire leurs objets de la gangue naturaliste où la pensée commune – et savante – les tenait (non, l’alimentation ne sert pas qu’à combler des besoins vitaux ; non, les catégories « hommes » et « femmes » ne sont pas données par la nature). Elles sont par constitution transdisciplinaires. Et elles entendent rendre compte dans toute sa complexité du fonctionne­ment de politiques sociales qui cherchent à s’ignorer comme telles (Lapeyre, 2014). À tous ces titres, elles ont rencontré des résistances académiques majeures.
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    Aujourd’hui en France, elles constituent des champs émergeants, et toutes deux font partie des axes prioritaires du CNRS. Mais ces axes restent étrangers l’un à l’autre. L’absence de connexion est très visible. La thématique de l’alimentation est quasiment absente de l’Introduction aux études sur le genre disponible en France ; les auteur-e-s y consacrent seulement un en­cart dans leur chapitre sur la socialisation (Bereni et al., 2012 : 119), constitué par un extrait de La Distinction de Bourdieu. Les études sur l’alimentation, de leur côté, n’ont pas pour cadre de référence le corpus théorique des études sur le genre. Si le sexe est régulièrement pris en compte comme variable sociologique, les données sont da­vantage interprétées au travers de la grille de lecture fournie par la sociologie de la famille (Bélorgey, 2011), hormis quelques travaux qui tentent de la dépasser (voir par exemple Corbeau, 2004 ; Fournier, 2012). Et les tensions sont particulièrement saillantes entre les études sur le genre et les recherches sur la famille, ces dernières n’ayant pas pour point de départ la question théorique des inégalités – particulièrement celles produites au sein de l’institution familiale (Ferrand, 2004).

    • Celui là aurais aussi sa place ici : https://seenthis.net/messages/633249

      il est mentionné aussi ici : https://seenthis.net/messages/577723#message651898

      L’anthropologue américain Robert Brightman, dans un article inti­tulé « La division du travail de quête alimentaire : biologie, tabous et politiques du genre », a proposé, à la suite de Tabet, que « la créa­tion et la reproduction sociale de la division genrée du travail chasse/collecte dérivent de l’appropriation intéressée par les hommes du travail de chasse, et du capital social accumulé de ses produits » (Brightman, 1996 : 718).

    • Une idée revient fréquemment dans le discours des socio­logues et des ethnologues qui n’ont pas chaussé les lunettes du genre : les femmes, étant tout le temps en cuisine, pourraient en réalité se réserver les meilleurs morceaux, et en tout cas manger à leur faim. Margarita Xanthakou, à partir de son terrain dans la région du Magne en Grèce (effectué il y a quarante ans) s’insurge contre cette « profonde idiotie ». Elle a constaté, tout au contraire, que les femmes se privent de viande pour leurs maris ou leurs fils, et que, « même les tomates », quand celles-ci sont rares, sont mises de côté pour les hommes, par les femmes elles-mêmes [4][4] Ethnologue, directrice de recherche émérite au CNRS.... La socialisa­tion au sacrifice est un des moyens par lequel les femmes sont sans doute amenées à ne pas remettre en question l’injustice alimentaire. La ségrégation des repas (ségrégation de lieu et/ou temporelle avec préséance des hommes) remplit très certainement une fonction similaire, car ne pas voir manger les autres est aussi une façon de ne pas avoir directement sous les yeux l’injustice. L’article d’Atse et d’Adon répète ce que bon nombre de travaux ont déjà noté sur le continent africain, en Europe rurale et ailleurs : les hommes, les enfants et les femmes forment des groupes qui mangent séparément. Cet article fait observer que les prérogatives masculines, si insatisfaites, sont rappelées par la violence : les hommes s’attendent à consommer les morceaux qui leur reviennent et les sanctions qui attendent les femmes en cas d’« oubli » ne sont pas particulièrement enviables. Loin de la socialisation au sacrifice, les femmes sont empêchées de manger ce qu’elles veulent parce qu’elles sont mena­cées, au sens propre, par les hommes. Mathieu, dans ses séminaires [5][5] « Anthropologie des sexes », à l’EHESS, Paris, dans..., n’a jamais cessé de rappeler que la domination n’est pas juste « symbolique » comme l’écrit Bourdieu, mais qu’elle est maintenue par une violence très concrète de la part de ceux qui ont intérêt à préserver leurs privilèges alimentaires. Dans leur approche critique de la notion de gatekeeper (Lewin, 1943), les sociologues Alex McIntosh et Mary Zey ont fourni des considérations épistémolo­giques précieuses : « la responsabilité n’est pas équivalente au con­trôle » disent-ils (1998 : 126). Ce qui signifie, comme le dit aussi Counihan (1999) que ce n’est pas parce que la nourriture est aux mains des femmes que les femmes en disposent selon leur bon vouloir, et encore moins pour en obtenir un pouvoir.

      Sur le consentement à l’oppression voire aussi ; https://seenthis.net/messages/396369#message396385

    • Concernant la répartition des viandes, quand celles-ci sont bouillies, les ethnologues peuvent aussi dire qu’il ne peut y avoir discrimination quand les gens mangent dans le même plat. Un argument entendu lors d’un séminaire de recherche [6][6] Séminaire de Cécile Barraud, EHESS, Paris, fin des... (fourni par un ethnologue océaniste) était que les aliments étaient tellement dissous par la cuisson qu’on ne pouvait reconnaître aucun morceau en particulier. Cet argument était avancé pour dire que même si les hommes avaient des morceaux attribués, ils ne pourraient en aucun cas les reconnaître dans la marmite et se les octroyer. L’article « Le gras viril et le maigre féminin » de G. Lacaze offre quelques données permettant de reconsidérer cet argument, même si c’est dans un tout autre contexte culturel. Chez les Mongols, dit-elle, l’alimentation quotidienne est constituée d’une soupe qui est en fait assez largement constituée de gras dissous. La consommation du gras – c’est d’ailleurs le sujet de son article – est la prérogative des hommes. Le contenu quotidien de la marmite est genré : le dessus − jugé comme étant le meilleur par les gens eux-mêmes – est attribué aux hommes, le fond, aux enfants et aux femmes. Est-ce une remarque d’une telle évidence que l’on ne pense pas à le mention­ner : le gras, élément plus léger que l’eau, surnage. Ainsi, le dessus de la marmite est effectivement plus riche en gras que le fond. Or c’est par ce type de considération que la question du genre peut être reliée à la question nutritionnelle. À quantité équivalente de protéines et de glucides, les lipides possèdent une valeur énergétique plus de deux fois supérieure : c’est aussi un fait bien connu des sociétés occidentales lipophobes. Le problème est bien ici de réussir à relier plusieurs champs du savoir. Un-e ethnologue recourant à une interprétation symboliste pourrait expliquer – au hasard – que si le dessus de la marmite est attribué aux hommes et le fond aux femmes, c’est à cause de l’association du haut avec ce qui est mas­culin et du bas avec ce qui est féminin. Ce type d’interprétation « symbolique » se donne l’apparence d’une analyse en termes de genre sans en être une. Les résultats de G. Lacaze offrent la possibi­lité de véritablement déplier une analyse en termes de dispositif de genre. Ils permettent en effet une mise en regard de l’association « symbolique » du masculin au gras et du féminin au maigre, des pratiques culinaires, du monopole réel des hommes sur les graisses, et de divers discours ethnophysiologiques (caractère goûteux et/ou énergétique de la graisse). Cette analyse permettrait elle‑même d’ouvrir sur une perspective comparative, car bien évidemment, le monopole masculin sur les graisses et leur extrême valorisation gus­tative ne sont pas propres aux Mongols (Touraille, 2008 : 305, 312).

      #marmite
      @simplicissimus cet extrait sur la division de genre de la viande chez les Mongoles devrait t’interesser

    • Sur l’ #alcool et le #genre

      Un article de ce numéro traite aussi du « boire » en France. Dans « Le genre de l’ivresse », N. Palierne, L. Gaussot et L. Le Minor, montrent que, contrairement à certains préjugés en vigueur, il n’existe pas de véritable mouvement d’égalisation de la consomma­tion d’alcool entre hommes et femmes au sein des générations les plus jeunes de Poitiers (population étudiante). Les auteurs observent un écart important entre le boire des femmes, qui donne lieu à un important contrôle (corporel et comportemental), et le boire des hommes, davantage lié à l’expression d’une masculinité qui favorise l’ostentation, l’excès, la prise de risque, et, par voie de conséquence, la dépendance alcoolique. La thématique du contrôle nous amène à envisager un autre aspect de la consommation différentielle. Dans les sociétés industrialisées, les femmes ne sont pas l’objet d’interdits alimentaires comme dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs ou dans les sociétés d’agriculteurs et d’éleveurs, présentes et passées. Pourtant, elles expérimentent des pressions sociales dont l’alimentation est aussi l’instrument, et qui ne sont pas moins redoutables : celle du contrôle de leur apparence corporelle, et dans une certaine mesure aussi, celle de leur pensée.

    • Sur la #grossophobie en lien avec le #care

      L’alimentation affecte le corps des individus tant par le biais des pratiques de consommation alimentaire différenciées que par celui de la division sexuelle du travail. S’il ne s’agit plus, ici, de restrictions et de tabous engendrés par le monopole des hommes sur les aliments protéinés, il s’agit cependant, là aussi, de pratiques de restrictions ciblant plus intensément les femmes que les hommes. L’article de S. Carof « Le régime amaigrissant : une pratique inégalitaire », confirme ce qu’une importante littérature a mis depuis longtemps en évidence (Counihan & Kaplan, 1998 ; Beardsworth et al., 2002 ; Gough, 2007) : les femmes se privent plus de manger que les hommes. Elles le font pour suivre l’injonction à réduire les proportions de leurs corps bien au-delà des recommandations médicales de santé. Ce façonnage est, pour certaines, impossible à atteindre biologiquement sans privations alimentaires importantes. Les hommes, de leur côté, manifestent une certaine complaisance pour leur propre masse graisseuse quand celle-ci semble confirmer la puissance « virile » de leur corps. Ce rapport au « gras viril », selon l’expression de G. Lacaze, qui ne s’élève cependant pas à celui des Mongols (mais offre des voies de comparaison), permet aux hommes un rapport moins obsessionnel à la nourriture (Sobal, 2005). L’alimentation représente le moyen principal de cette pression omniprésente à la minceur pour les femmes. Cette pression n’est pas imaginaire : dans certains milieux et dans bien des domaines du travail salarié, la minceur fait partie d’une caractéristique obligée pour les femmes, au même titre que le maquillage par exemple ou le port de talons (S. Carof). L’article « Moi, je ne demande pas à entrer dans une taille 36 » d’O. Lepiller interroge de son côté le recours beaucoup plus important des femmes à la chirurgie bariatrique. L’auteur montre de manière très incisive que l’injonction esthétique n’est plus vraiment opérante pour les femmes de plus de 45 ans qui tombent dans la catégorie médicale de l’obésité. La mise au rebut sexuel des femmes associée au concept de « ménopause » (Delanoë, 2007) et surtout les nouvelles charges de travail qui s’imposent à elles en termes de care sont évoquées pour expliquer le désir des femmes obèses de maîtriser une corpulence devenue incompatible avec le travail du care (Molinier, 2013). La pression du care augmente en effet pour les femmes à partir de cette tranche d’âge avec la prise en charge supplémentaire des membres vieillissants de la famille, ou des petits‑enfants, comme on le voit bien dans l’article de O. Lepiller. Les deux dernières études présentées dans ce dossier permettent de penser le corps des femmes comme dominé par l’alimentation au travers des deux grandes aires d’action du dispositif du genre : la sexualité et le travail (Clair, op. cit.).

    • Sur l’impacte psychologique des privations de #nourriture

      L’alimentation affecte aussi la pensée des individus. L’obnubilation de la nourriture qui tient les femmes est bien soulignée par S. Carof : le fait que les femmes sont amenées en permanence à penser à la nourriture pour contrôler leur corpulence à travers ce qu’elles vont, ou ne vont pas manger, ou de ce que mangent les autres dans le cadre de la division sexuelle du travail (articles de P. Cardon et d’H. Prévost), fonctionne comme une forme de colonisation et de domination de la pensée par l’alimentation. Comme le dit très bien une informatrice de S. Carof, quand on pense à la nourriture, notamment pour ne pas y succomber, on a du mal à se concentrer sur autre chose. Au xviiie siècle en Europe, le pain au chanvre qui plongeait les catégories sociales les plus pauvres dans un état d’hallucination permanent est décrit par l’historien P. Camporesi (1981) comme le moyen trouvé par les élites d’empêcher que les pauvres ne prennent conscience des injustices subies et s’insurgent contre l’ordre social. De même, l’ordre alimentaire genré rend les femmes tellement obsessionnelles de ce qu’elles ont le droit de manger, ou de ce qu’elles ne doivent pas manger, qu’il leur reste peu de temps pour prendre conscience des tenants et des aboutissants de ces normes et pour essayer de s’en libérer. Même si beaucoup de femmes s’autorestreignent et s’autocontrôlent (Germov & Williams, 1996 ; Saint Pol, 2010), et que personne ne leur enlève le pain de la bouche au sens littéral, celles-ci semblent toujours sous le coup d’une instance de jugement alimentaire. Entendre une femme qui s’excuse tout haut devant les autres de manger plus qu’elle ne devrait est la norme en France. Quant à celles qui sortent un tant soit peu du canon attendu (avec de sérieuses différences suivant les classes sociales cependant), les remarques en passant, les conseils alimentaires, ou les interventions nettement désobligeantes en provenance de l’entourage familial (notamment masculin) jalonnent leur vie, comme le rappellent S. Carof et O. Lepiller. Il existe donc bien un véritable rappel à l’ordre de la ligne (corporelle) pour les femmes françaises, qui ne consiste pas seulement en des pressions exercées par des images au travers des médias, mais qui relève aussi d’une contrainte et d’une violence psychologique réelle exercée par le cercle familial et professionnel, exactement comme P. Atse et P. Adon le décrivent pour les femmes akyées si elles ne respectent pas les prérogatives masculines sur certains morceaux de viande, ou comme le décrivent Manirakiza et al. pour les Yaoundéennes qui « osent » manger le gésier de poulet.

    • Sur l’alcoolisme des hommes et le fait qu’il cause plus de dégats sur les femmes et les enfants que sur les hommes...

      L’ordre alimentaire genré favorise presque immanquablement l’apparition d’inégalités de santé entre femmes et hommes. H. Prévost évoque les problèmes des femmes béninoises réassignées aux tâches alimentaires et en proie à la fatigue. P. Cardon évoque les difficultés des femmes atteintes d’un handicap physique qui ne peu­vent pas compter sur leur conjoint pour assumer les tâches culinaires et donc redoublent leurs efforts. P. Atse et P. Adon suggèrent les effets délétères des inégalités alimentaires sur la santé reproductive des femmes chez les Akyé. G. Lacaze évoque une malnutrition avé­rée des femmes mongoles. S. Carof et O. Lepiller rappellent que les régimes engendrent des comportements addictifs envers la nourri­ture. Ils suggèrent que l’injonction qui pèse sur le corps des femmes, associée aux charges de préparation des repas, crée un environne­ment pathogène générant des souffrances physiques et psychiques et favorisant in fine des prises de poids que seules les chirurgies, à un certain point, viennent soulager. Dans d’autres cas, plus rares, ce sont les hommes qui développent une souffrance psychique du fait de leur incompétence culinaire acquise et semblent alors être dominés, plus que bénéficiaires, de la division des rôles dans la préparation des repas (P. Cardon). De même, ce sont les hommes qui sont amenés à développer des problèmes de santé du fait du lien entre consommation d’alcool et construction de la masculinité. L’article « Le genre de l’ivresse » incite à affirmer que les corps et la pensée des hommes sont plus dominés par la boisson que ceux des femmes ne le sont. Prise sous l’angle du genre, la question des conséquences de la dépendance alcoolique sur l’entourage (Fainzang, 1993) enjoint néanmoins à pousser l’analyse en se demandant si les femmes (et les enfants) ne souffrent pas autant, sinon plus, de l’alcoolisme des hommes que les hommes eux‑mêmes.

      #renversionnite #inversion_patriarcale

    • #merci @mad_meg

      l’article de Gaëlle Lacaze (et son résumé)


      Journal des anthropologues
      2015/1 (n° 140-141), pp. 173-191

      Le maigre féminin et le gras viril chez les Mongols‪ | Cairn.info
      https://www.cairn.info/revue-journal-des-anthropologues-2015-1-page-173.htm

      Cet article examine l’influence des relations genrées sur les pratiques alimentaires chez les Mongols darhad. Dans les conceptions alimentaires, les techniques culinaires et les usages de consommation des pasteurs nomades, les inégalités genrées constituent un principe structurant. Néan­moins, chez les Mongols, où adaptabilité et flexibilité sont de rigueur, les inégalités apparaissent à l’observateur moins franches dans les pratiques que dans les discours.

  • Histoires du chariot de supermarché
    https://www.cairn.info/revue-vingtieme-siecle-revue-d-histoire-2006-3-page-77.htm

    Objet pour le moins banal et usuel, le chariot de supermarché a une histoire complexe. Sa conception puis sa fabrication n’allèrent pas de soi, d’autant que des querelles de paternité doublèrent les problèmes industriels. En retraçant le passé de cette icône des temps modernes, l’analyse jette surtout un regard inattendu sur la société de consommation et sur les chemins parfois détournés qu’une innovation, pour s’imposer, se doit d’emprunter.

    Le chariot de supermarché est devenu l’un des outils les plus banals de nos vies quotidiennes. Au fur et à mesure que se sont développés le libre-service et la grande distribution, le chariot a soutenu, physiquement et symboliquement, le développement de la société de consommation, en opérant l’indispensable continuité entre l’extension de la taille des grandes surfaces, l’accroissement du nombre et du type de produits proposés, l’élargissement des réfrigérateurs et des voitures, voire des estomacs. Il a ainsi contribué à façonner les contours d’une véritable consommation de masse. L’ubiquité et l’importance de l’objet posent immédiatement la question de son origine. Comment ce dispositif a-t-il été mis au point et imposé ? La conception du chariot croise trois histoires : la première est celle du chariot des origines (1936), telle qu’elle a été portée par son inventeur Sylvan N. Goldman et son biographe, Terry P. Wilson ; la deuxième est l’histoire du « chariot (à) charnière » d’Orla E. Watson, qui conçut les paniers emboîtables les uns dans les autres grâce à une porte battante à l’arrière (1946) ; la troisième est celle du chariot d’aujourd’hui, tel qu’il a pris forme dans le procès en paternité qui opposa Sylvan N. Goldman et Orla E. Watson, autour du brevet des telescoping shopping carts (1947-1949) [1][1] Nous remercions la Commission franco-américaine d’avoir.... Comme nous le verrons, ces trois histoires, à l’instar de l’objet dont elles traitent, sont emboîtées. Or le double emboîtement des chariots et de leur genèse pourrait porter bien des enseignements quant à la dynamique des innovations dans un contexte de consommation de masse.

  • La construction des prix à la SNCF, une socio-histoire de la tarification
    De la péréquation au yield management (1938-2012)
    parJean Finez

    https://www.cairn.info/revue-francaise-de-sociologie-2014-1-page-5.htm

    Comment atteindre l’équilibre financier, voire « rentabiliser » son activité ? Telle est l’une des préoccupations majeures de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF). En amont, l’entreprise engage des dépenses en vue de faire circuler des trains sur le réseau ferré. En aval, elle perçoit les recettes correspondant à la vente des billets. Le mode de fixation du tarif de transport est donc un paramètre essentiel de la gestion financière de la SNCF [1]L’enjeu de la tarification n’est pas nouveau : dès les débuts des chemins de fer, au milieu du XIXe siècle, la question du prix du billet de train constitue l’une des thématiques majeures de l’économie ferroviaire (Grall, 2003). Les réponses apportées varient néanmoins d’une époque à l’autre. Nous proposons une socio-histoire de la tarification du transport ferroviaire de voyageurs en France depuis 1938, date à laquelle la SNCF est créée par rachat des compagnies de chemins de fer privées qui, jusqu’alors, exploitaient le réseau national [2][