/2018

    • Ça me rappelle une conversation que j’ai eue avec une camarade de la fédé CGT de la santé, lors de la lutte sociale de cet automne à la clinique Floréal de Bagnolet.

      Il se trouve que nous avons évoqué la PMA, qui est une activité très rentable de façon générale et, en particulier, à Floréal ainsi qu’à la maternité des Bluets, historiquement liée à la CGT.

      Je lui ai fait part de mes interrogations sur la pratique de la PMA, d’un point de vue éthique.

      Mon interlocutrice m’a d’abord demandé si je n’avais pas confondu PMA et GPA, car, m’a-t-elle dit : « nous sommes féministes et, donc, contre la GPA ! ».

      Je lui ai confirmé que mes doutes concernaient bien la PMA, et que cela n’avait rien à voir avec les causes féministes et LGBT, lesquelles me semblent, en soi, totalement légitimes.

      Pour ce qui me concerne, l’interrogation porte sur la généralisation du diagnostic pré-implantatoire (DPI), associé à la PMA, ainsi qu’à la FIV : la DPI, dont le spectre de « prédispositions » sélectives s’élargit dangereusement, ne pourrait-il pas ouvrir la voie à la commercialisation du vivant et à l’eugénisme ?

      La camarade m’a regardé interloquée puis elle a tourné les talons avant de me lancer « ah oui mais ça, c’est un truc de conspirationniste ! »

    • C’était bien l’argument principal du livre « La reproduction artificielle de l’humain » avec force exemples déjà existants de la vie réelle (et ça ya déjà plusieurs années, dans d’autres pays que la France). Par ici on se dit toujours qu’on va faire de « l’eugénisme éthique, égalitaire, encadré par la loi » (mais on vit dans un monde capitaliste globalisé).

    • C’est sans doute largement lié à l’offensive médiatique actuelle (et donc sans doute antérieure aux États-Unis, puisque nous finissons toujours par hériter de leurs pires idées de merde) pour promouvoir l’« héritabilité génétique » de l’intelligence.

      Dénoncée en 2018 par exemple dans cette tribune du Monde :
      https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/04/25/halte-aux-fake-news-genetiques_5290360_1650684.html

      Et que Pr. Logo, par exemple, dénonce régulièrement dans son flux. (Parce que ça revient beaucoup en ce moment, semble-t-il.)

    • bé c’est l’histoire factuelle telle qu’elle est connue : eugénisme vent en poupe au 19ème, début 20ème (y compris sous forme d’eugénisme « de gauche », ou socialiste), puis suite aux nazis, dans les années suivant la WW2 le mot et les concepts derrières ont eu une grosse baisse et c’est devenu (très) négatif, et là depuis relativement peu, 15, 20 ans, c’est de nouveau en train de remontada, dans plusieurs milieux sociaux différents (dont de gauche donc). C’est pas qu’une question d’intelligence, ça vaut pour le corps parfait etc.

      Depuis le 19ème, ça reste sensiblement les mêmes ressorts, les mêmes débats, les mêmes arguments, les mêmes buts, sauf que maintenant avec le génie génétique comme technique (FIV, DPI).

      Ça ne dit rien des arguments pour ou contre à ce niveau, c’est parfaitement factuel de dire que ya eu remords et que ça a totalement baissé/presque disparu après les nazis, et que maintenant après plusieurs décennies une fois cette « affaire » tassée, ça remonte partout.

  • La sonde New Horizons poursuit sa visite des confins du Système solaire
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/12/31/la-sonde-new-horizons-poursuit-sa-visite-des-confins-du-systeme-solaire_5403


    Ultima Thulé, dans la ceinture de Kuiper.
    AP/NASA

    Cependant, la mission de #New_Horizons n’était pas terminée. Voilà que la sonde, désormais à 6,5 milliards de kilomètres de nous, resurgit pour le premier jour de 2019 où elle a survolé un petit astre glacé que la #NASA a baptisé #Ultima_Thulé, en référence au nom de Thulé que le navigateur massaliote Pythéas avait attribué, au IVe siècle av. J.-C., à la contrée la plus septentrionale de l’Europe.
    Le nom officiel de cet objet céleste d’une trentaine de kilomètres de diamètre est 2014 MU69. Il s’agit de l’un des milliers de corps qui occupent ce que les spécialistes nomment la ceinture de Kuiper, du nom de l’astronome néerlando-américain Gerard Kuiper (1905-1973) qui, le premier, suggéra l’existence, au-delà de l’orbite de Neptune, d’une zone peuplée d’astres froids et modestes en taille.
    […]
    Mardi 1er janvier, à 6 h 33 (heure de Paris), l’émissaire robotisé de la NASA, filant dans l’espace à près de 51 000 km/h, passera à 3 500 km d’Ultima Thulé, dont on sait déjà qu’il s’agit d’un objet de forme allongée, cette information ayant été obtenue en le regardant occulter une étoile.
    […]
    Dans une déclaration publiée par le Guardian, Alan Stern, le responsable de la mission, explique qu’il faudra « environ vingt mois pour récupérer les données » enregistrées lors du survol du 1er janvier. Et il pense déjà à la suite. La sonde a encore du carburant, ses instruments sont opérationnels, sa batterie nucléaire peut lui fournir de l’électricité pendant des années. Mais aucune nouvelle cible n’est en vue… Cette fois-ci, New Horizons pourrait bien poursuivre sa course vers nulle part.

  • Patrimoine scientifique : ces instruments sauvés de l’oubli
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/12/18/patrimoine-scientifique-ces-instruments-sauves-de-l-oubli_5399475_1650684.ht

    La science condamne à l’obsolescence les instruments qui lui permettent de progresser. Cet héritage, souvent menacé, est protégé par des passionnés et des institutions. Petit échantillon de machines oubliées, dont la forme et la fonction nous intriguent aujourd’hui.

    Un déménagement, la livraison d’une nouvelle machine, quoi de plus banal dans la vie d’un laboratoire scientifique ? Mais que faire des anciens instruments que l’on n’utilise plus ? Au mieux, ils moisissent dans quelque sous-sol, au pire ils disparaissent, jetés à la benne. Une pratique qui ne date pas d’hier : certains physiciens se désolent encore de la perte de centaines de magnifiques instruments d’optique en laiton et bois précieux lors du déménagement des laboratoires de la Sorbonne vers la toute nouvelle université de Jussieu dans les années 1960.

    Pourtant, au-delà de leur beauté, ces instruments scientifiques démodés sont de précieux témoins des évolutions des sciences et des techniques. Des amateurs passionnés et quelques institutions tentent de les préserver. Parmi les premiers, Christian Durix est l’organisateur de Bricasciences, un « salon des curiosités et antiquités scientifiques », qui se tient chaque automne à Bures-sur-Yvette (Essonne). On y trouve les objets les plus insolites, comme un appareil d’électrothérapie destiné à soigner le patient en lui envoyant des décharges électriques. « Ce salon a un double but : préserver le patrimoine et inciter aux vocations scientifiques, expose-t-il. Tous ces objets ont une histoire, on sent encore la main de leur inventeur ou de leur fabricant. Ces objets sont une clé d’entrée vers la science. Mais, dans certains cas, on ne comprend déjà plus à quoi ils servaient. » Hélas, la plupart des collectionneurs sont vieillissants, et la relève se fait attendre.

    « Mais que faire des anciens instruments que l’on n’utilise plus ? Au mieux, ils moisissent dans quelque sous-sol, au pire ils disparaissent, jetés à la benne »

    Heureusement, la sauvegarde du patrimoine scientifique ne repose pas uniquement sur la bonne volonté des passionnés. C’est même l’une des missions du Conservatoire national des arts et métiers (CNAM), de « sensibiliser les laboratoires au fait qu’ils possèdent un patrimoine », souligne Cyrille Foasso, responsable des collections d’instruments scientifiques. Une sensibilisation plutôt réussie, puisque des dizaines de particuliers, entreprises et laboratoires contactent chaque année le conservatoire lorsqu’ils pensent détenir un objet scientifique à intérêt patrimonial. Mais seule une minorité de ces objets intégrera les collections. « Nous choisissons les instruments qui racontent l’histoire d’un métier, d’une technique, d’un passé industriel ou d’un fabricant », précise Cyrille Foasso. La beauté n’est pas un critère, mais le caractère unique d’un appareil, si. Tel ce calculateur analogique donné par la société Matra, un ordinateur répandu dans les années 1960, que plus personne ne sait utiliser aujourd’hui. Mais la place manque, et les choix sont cruels : c’est « le Panthéon ou la poubelle ! », résume Cyrille Foasso. D’autant qu’un objet qui entre dans la collection d’un musée peut difficilement être déclassé. Les choix engagent pour longtemps.

    D’autres acteurs comme les universités doivent aujourd’hui prendre le relais et sauvegarder leur passé scientifique et technologique. C’est ce qu’a fait l’Ecole polytechnique, qui a inauguré, en mai dernier, Mus’X, un musée retraçant plus de deux cents ans de recherche et d’enseignement. Près de 1 000 mètres carrés abritent une exposition temporaire chaque année (aujourd’hui consacrée au mathématicien Gaspard Monge) et une exposition permanente. Les appareils d’optique ou de magnétisme y côtoient les uniformes de polytechniciens et les lettres de scientifiques en Egypte avec Napoléon. Bien sûr, un tel musée a un coût : 2,2 millions d’euros, financé en grande partie par un appel au mécénat auprès d’anciens polytechniciens.

    Même avec peu de financements, il arrive que le patrimoine scientifique soit sauvé grâce à quelques passionnés. A l’université de Rennes, deux enseignants-chercheurs en physique, Dominique Bernard et Jean-Paul Taché, ont patiemment récupéré, rénové et inventorié les instruments oubliés dans les caves ou jetés. Un millier d’objets, essentiellement de la seconde moitié du XIXe siècle, ont ainsi été sauvegardés, et parfois remis en état de fonctionnement. Les plus beaux viennent de faire l’objet d’un livre, Un trésor scientifique redécouvert (éd. Rennes en science, 255 pages, 23 euros, sur commande), de Dominique Bernard. Mais cette collection, conservée dans une galerie au sous-sol d’un bâtiment de l’université, n’est accessible qu’à quelques occasions, faute de lieu public et de personnel pour l’exposer. Car mettre à l’abri ne suffit pas. « Il faut faire vivre ces objets, créer des animations qui racontent leur histoire », estime Christian Durix. La science progresse chaque jour, mais ne doit pas en oublier son passé.

    La sphère céleste

    Richement ouvragée, cette sphère céleste, dite sphère de Bürgi, a été construite par l’horloger et fabricant d’instruments scientifiques suisse Jost Bürgi en 1580. Il était également ­mathématicien et l’astronome officiel du comte Guillaume IV de Hesse-Cassel, avant de se mettre au service de l’empereur Rodolphe II à Prague, où il travailla avec Kepler. Cette sphère, chef-d’œuvre de l’orfèvrerie de style Renaissance allemande, ­illustre la vision de l’époque de l’Univers, héritée des Grecs : la Terre est située au centre et entourée par les constellations. L’ensemble reproduit les principaux mouvements célestes tels qu’on les voit depuis la Terre. La sphère est mobile, elle effectue un tour complet en une journée. C’est avant tout une ­horloge qui donne l’heure, les ­minutes, sonne les quarts d’heure. Elle comporte un ­calendrier perpétuel qui précise même les années bissextiles.

    L’électroscope de Curie

    Cet instrument porte un nom ô combien prestigieux : « Electroscope de M. P Curie/Sté Centrale Matériel Scientifique/44 rue des Ecoles, Paris » indique l’inscription gravée à l’intérieur. Il s’agit d’un électroscope, un appareil ­inventé par l’abbé Nollet en 1750, destiné à mesurer la charge électrique d’objets. Son principe : deux feuilles métalliques très fines – souvent de l’or – sont ­suspendues à une électrode. Lorsque ces feuilles se chargent électriquement, elles se repoussent. Mesurer leur séparation permet d’en déduire la charge. Pierre ­Curie a adapté cet instrument pour déterminer le taux de radioactivité d’une substance. En effet, les rayonnements ­radioactifs ionisent les gaz de l’air, les rendant conducteurs. En présence d’un objet radioactif disposé sur un plateau ajouté à l’électroscope, les feuilles métalliques perdent leurs charges électriques, d’autant plus vite que l’air est très ionisé (donc d’autant plus vite que l’objet est radioactif). Il suffit de mesurer la vitesse à laquelle les feuilles métalliques se rapprochent, à l’aide d’une lunette microscopique et d’un chronomètre, pour ­connaître la radioactivité. C’est l’ancêtre des ­compteurs Geiger !

    Le gyroscope de Foucault

    On connaît le pendule de Foucault, dont un des exemplaires est présenté au Panthéon, et qui permet de visualiser la rotation de la Terre. Mais ce n’est pas le seul dispositif imaginé par Léon Foucault (1819-1868). Ce ­gyroscope sert lui aussi, comme le pendule, à montrer que la Terre tourne sur elle-même. Son principe : c’est une toupie, dont la roue tourne très vite (de 150 à 200 tours par minute), créant un effet étonnant : la toupie reste dans sa position, même instable, comme si elle n’était plus soumise à son poids. Cet effet est dû à la conservation du moment angulaire, une loi fondamentale de la physique. Mais, en fait, le gyroscope n’est pas tout à fait immobile dans notre référentiel Terre : la Terre tourne, mais notre gyroscope est ­immobile par rapport aux étoiles fixes, et on observe donc un léger mouvement de rotation du gyroscope à condition de mesurer suffisamment longtemps (une dizaine de minutes suffisent). Ce ­gyroscope a été fabriqué par la maison Gustave Froment, fondée en 1844. Aujourd’hui, de nombreux smartphones sont équipés de gyroscopes, très utiles pour les jeux.

    Le diapason de Koenig

    Seriez-vous capable d’entendre les sons émis par ce diapason géant de 1,30 mètre de hauteur ? Tout dépend de votre âge. En effet, ce diapason crée des sons à des fréquences variables entre 16 et 32 hertz, à la limite de l’audition humaine des sons graves. Or, si les jeunes entendent généralement à partir de 20 hertz (et jusqu’à 20 000 hertz dans les aigus), cette capacité diminue avec l’âge. Ce diapason a été construit par Rudolf ­Koenig, un physicien allemand spécialisé en acoustique (1832-1901), qui a notamment été l’élève du célèbre luthier français Jean- Baptiste Vuillaume. Ce diapason a la particularité d’être réglable : à l’aide de poids que l’on déplace sur ses branches, on modifie la fréquence de vibration. Plus les masses sont hautes, plus les branches vibrent lentement, et plus le son est grave. Rudolf Koenig a construit d’autres instruments acoustiques, comme des résonateurs de Helmoltz, permettant de dire si une fréquence est présente dans un son (elle fait alors résonner ces résonateurs, qui sont des sortes de sphères en laiton d’une fréquence propre bien précise). Il a également inventé un étonnant « analyseur harmonique à flamme », où les vibrations sonores renforcées par les résonateurs de Hermoltz mettent de l’air en mouvement, ce qui agite une flamme. On peut ainsi réellement visualiser les différents sons selon leur fréquence !

    Les bâtonnets de Neper

    Bâtonnets de Neper, bâton de Napier, ­réglette de Neper… cette invention possède de multiples appellations, à l’instar de son concepteur, le mathématicien et physicien écossais John Napier (1550-1617), connu sous le nom de Jean Neper en français. Ces bâtonnets servent à effectuer facilement des multiplications, des divisions, des ­calculs de puissances et même de racines carrées. C’est l’année de sa mort, en 1617, que John Napier publie un ouvrage intitulé Rabdologie, dans lequel il explique comment calculer à l’aide de ces bâtonnets. Ceux-ci sont gravés de nombres et disposés sur un plateau. En haut du bâtonnet est ­indiqué le nombre principal et, en dessous, tous les nombres de sa table de multiplication. Ainsi, le bâtonnet 8 comporte les nombres 16, 24, 32, etc. Pour une multiplication par un nombre à un chiffre, la lecture ­s’effectue directement, mais il faut faire quelques additions en plus pour les multiplications plus complexes. Ce système de calcul sera peaufiné au XIXe siècle, grâce à l’introduction de bâtonnets inclinés, ­facilitant la lecture. Ces bâtonnets de Neper font partie de la grande famille des abaques, les instruments mécaniques facilitant le calcul, dont le plus connu est le boulier. Même si les abaques sont ­toujours utilisés, ils ont été détrônés par les moyens automatiques de calcul, nés avec la Pascaline, la machine à calculer de Blaise Pascal, en 1646.

    Le goniomètre à cercle divisé

    Cet appareil, comme tous les goniomètres, sert à mesurer les angles. Il a été construit par les frères Emile (1834-1895) et Léon Brünner (1840-1894), fabricants parisiens d’instruments astronomiques et de cartographie. Il permet de mesurer très précisément les angles des cristaux, et la manière dont ils dévient ou réfléchissent la lumière. On peut en déduire de nombreuses propriétés, comme la longueur d’onde d’une lumière, l’indice de diffraction d’un cristal (sa capacité à dévier la lumière) ou l’épaisseur d’une lamelle de cristal. Il est composé d’un collimateur qui permet d’obtenir un faisceau de rayons de lumière parallèles, d’une ­lunette de visée et d’une plate-forme sur laquelle on place le cristal. Ces trois dispositifs tournent autour d’un même axe vertical. Un cercle muni de graduations (d’où le nom de goniomètre à cercle divisé) et deux oculaires permettent d’observer précisément ces graduations. On atteignait ainsi une grande précision : il était possible de mesurer des angles de 2 secondes d’arc (2/3600 degrés) avec une précision de 0,2 seconde d’arc.

    La machine à calculer universelle

    Cette machine à calculer universelle est un prototype développé par Louis Couffignal, mathématicien français (1902-1966). Mais sa production industrielle ne verra jamais le jour. Pourtant, Couffignal est un de ceux qui défendent le système binaire, aujourd’hui utilisé dans tous les ordinateurs, au détriment du système décimal. A la tête du Laboratoire de calcul mécanique de l’Institut Blaise-Pascal du CNRS à Paris, il reçoit pour mission de réaliser une « machine universelle », c’est-à-dire le premier ­ordinateur français. Cette maquette expérimentale réalisée entre 1947 et 1952 se heurte à plusieurs difficultés, notamment celle de l’approvisionnement en composants suffisamment fiables, et le manque de chercheurs formés. Mais surtout, Louis Couffignal confie la réalisation du calculateur à la société Logabax, qui connaît à ce moment de grandes difficultés financières et renonce à cette fabrication. Aucun constructeur ne souhaite prendre le relais, et le projet est définitivement abandonné en 1953. Le CNRS se cantonne dès lors aux mathématiques appliquées pour le calcul électronique, et ne s’occupe plus de construction de machines.

    L’œuf électrique

    L’œuf électrique permet de reproduire des aurores boréales en laboratoire. Conçu en 1862 par le savant genevois Auguste de La Rive ­(1801-1873), il est généralement constitué d’une sphère de verre munie d’un ­robinet permettant de faire le vide. Celui-ci, construit avant 1864 par le Suisse Eugen Schwerd, comporte deux sphères. A l’intérieur de chaque œuf figure une tige en fer doux, reliée à une bobine d’induction qui produit des décharges électriques lumineuses. Auguste de La Rive observe que, si l’on aimante la tige de fer, les décharges forment un anneau ­coloré semblable à une aurore boréale, qui se déplace dans un sens ou dans l’autre selon la direction du courant dans la tige de fer. Tous les ­travaux sur œufs électriques, débutés par l’Anglais Francis Hauksbee (1666-1713), puis l’abbé Nollet (1700-1770) en France et ­l’Anglais ­Humphry Davy ­(1778-1829), ont permis l’émergence, quelques décennies plus tard, de nos ampoules électriques.

  • Face aux enfants tyrans, des parents en détresse se forment à la non violence
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/12/11/face-aux-enfants-tyrans-la-resistance-non-violente_5395979_1650684.html

    Au CHU de Montpellier, un programme inspiré de Gandhi aide les parents à désamorcer les comportements agressifs de leur enfant.

    « Mon fils, il se sent propriétaire de la maison, c’est comme si c’était nous qui vivions chez lui. Il voit déjà comment déshériter sa sœur, mettre des appartements en location… », raconte une femme, dont la lassitude perce dans la voix. « Ma fille, c’est un peu pareil. Elle dit : “c’est Ma partie de canapé. Mon chat. Mon assiette.” Si je veux entrer dans sa chambre, elle m’attaque », soupire une autre.
    Dans une grande salle de réunion du service de pédopsychiatrie de l’hôpital Saint-Eloi, au CHU de Montpellier, ils sont une dizaine, femmes seules ou couples. Devant chacun, une étiquette avec un prénom, celui de leur enfant, devenu pour certains leur « bourreau ». « C’est sa chambre, mais c’est aussi chez vous, rebondit le docteur Nathalie Franc, praticien hospitalier, qui coanime cette réunion. Les parents doivent reprendre leur territoire, et c’est pour cela que faire un sit-in dans la chambre de l’enfant est intéressant. C’est un moyen pacifiste de dire : je suis là, je n’ai pas peur. »
    Hiérarchie familiale inversée

    « Reprendre le territoire », mais aussi « présence parentale », « réseau de soutien », « réagir à froid »… Autant de mots-clés avec lesquels ces parents apprennent ici à se familiariser. Depuis des mois, voire des années, ils avaient vu la hiérarchie familiale s’inverser, leur enfant ou adolescent prendre le pouvoir par la violence, les menaces, les manipulations. Ces familles sans antécédent de problème éducatif ont souffert le plus souvent dans le secret, d’autant plus facile à garder que les comportements tyranniques de ces jeunes sont en général ­concentrés au sein de la famille, et quasi inexistants à l’extérieur.
    Depuis six semaines, chaque jeudi à l’heure du déjeuner, ils se retrouvent pour une séance de groupe d’une heure trente, animée par Nathalie Franc et Florence Pupier, une autre pédopsychiatre du service.

    Objectif de ce program­me, quasi unique en France : désamorcer la violence, éviter l’escalade, et reprendre l’autorité grâce à une approche de résistance non violente (RNV). Inspiré des actions politiques de Gandhi et de Martin Luther King, le concept a été décliné et validé pour des jeunes violents ou autodestructeurs par le psychothérapeute israélien Haim Omer. Depuis trois ans, l’équipe de Montpellier l’a adapté pour des accompagnements parentaux en groupe, en treize séances. Une étude scientifique est en cours sur une soixantaine de familles, avec une comparaison sur un groupe témoin placé sur liste d’attente.

    Dans les premières séances, les deux animatrices ont donné beaucoup d’informations sur ce phénomène méconnu des enfants tyrans, posé les bases de la stratégie RNV. « Si on ne prend pas ce temps, ils ont l’impression que l’anxiété de l’enfant ou d’autres troubles psychologiques peuvent excuser son comportement. Il faut bien expliquer qu’aucun diagnostic ne justifie la violence de l’enfant », souligne Nathalie Franc.

    L’une des premières actions consiste en une déclaration solennelle, où les parents signifient au principal intéressé qu’ils ne vont plus tolérer ses comportements et vont – c’est l’un des points fondamentaux de la méthode – se faire aider d’un réseau de soutien.

    Avant d’aborder le menu du jour, la gestion des crises et le réseau de soutien, Florence Pupier et Nathalie Franc demandent aux participants ce qu’ils ont pu ou pas mettre en place depuis la précédente séance. Certains prendront souvent la parole, d’autres resteront mutiques. Tous n’en sont pas au même stade. Une maman n’a pas commencé, car « il faut trouver un moment où il n’a pas les écouteurs sur la tête ». Un couple dit avoir « préparé psychologiquement » son fils à la déclaration, mais qu’il n’était « pas content ». « Et vous, vous vous êtes sentis comment ? », interroge Florence Pupier. « J’ai réussi à mieux éviter l’escalade de la violence, mais maintenant le numéro trois recopie son frère. En tout cas j’évite de rentrer dans des discussions interminables », raconte la mère. « Désormais, elle gère mieux les crises que moi », acquiesce son mari. Plus tard dans la séance, il reconnaîtra qu’il en était arrivé à frapper son garçon, en se retenant pour ne pas y mettre les poings.

    Perte de contrôle

    A chaque occasion, les deux animatrices décryptent les mécanismes, rappellent les conseils fondamentaux du programme. Puis Florence Pupier fait un topo sur les crises émotionnelles. « Quand une crise a commencé, c’est trop tard, on ne peut plus raisonner l’enfant. L’idée, c’est de ne pas rester dans le rôle du punching-ball, sinon c’est comme s’il vous invitait à un match de boxe », explique-t-elle. « Ils ont perdu le contrôle et cherchent à ce que le parent se mette en crise lui aussi. La seule stratégie, à ce moment-là, c’est de se mettre à l’écart, voire de partir de la maison », complète Nathalie Franc.

    En fin de journée, les deux médecins passeront une heure à faire le bilan de la séance. Si elles connaissent bien les situations, elles n’ont pas toujours vu ces enfants tyrans en consultation, ceux-ci refusant souvent un suivi médical. La prise en charge et le contexte sont assez différents des émissions de télé-réalité comme « Super Nanny » ou « Ma famille a besoin d’aide ». « Ce sont des émissions intéressantes, mais qui axent sur le tout-éducatif, sans prendre en compte la vulnérabilité psychologique sous-jacente des enfants, pointe le docteur Franc. En outre, le profil n’est pas le même : dans ces deux programmes, ce sont souvent des familles avec des carences éducatives, ce qui n’est pas le cas avec les enfants tyrans. »
    Selon la pédopsychiatre, qui a une expérience sur 150 familles, tous ont des troubles psychologiques, même si un diagnostic précis n’est pas toujours posé.

    « Il y a souvent un trouble déficit de l’attention/hyperactivité (TDAH), une anxiété. Ces enfants, souvent issus de milieux favorisés, font de gros efforts pour s’adapter à l’extérieur et explosent en rentrant à la maison. »

    Quasiment seule en France à proposer ces prises en charge pour ces situations dont la prévalence reste inconnue, l’équipe de Montpellier croule sous les demandes. « Si les résultats de notre étude sont positifs, cela nous donnera des moyens et de la crédibilité pour que d’autres équipes nous suivent », pronostique Nathalie Franc.
    De façon générale, l’implication des familles est l’une des marques de fabrique de ce service dirigé par la professeure Diane Purper-Ouakil. « On lutte pour positionner les parents et travailler avec eux », insiste la pédopsychiatre, dont l’équipe propose des programmes d’entraînement aux habiletés parentales validés comme la métho­de Barkley pour le TDAH, et plus récemment « Incredible Years », une stratégie destinée aux parents d’enfants (de 3 à 6 ans) avec des troubles du comportement. Des projets de recherche sont aussi en cours pour développer des programmes innovants.

  • Vers une plus forte baisse du remboursement de l’homéopathie.
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/11/27/nofakemed-leur-croisade-contre-l-homeopathie_5389472_1650684.html

    La situation est inédite. Jusqu’ici, malgré moult offensives d’une partie du corps médical pointant l’absence de preuves d’efficacité des granules et le statut dérogatoire de leur mise sur le marché, le soufflé était toujours retombé. Un seul ministre de la santé (Jean-François Mattei, en 2003) avait touché au remboursement de ces traitements très populaires , faisant passer la prise en charge de 65 % à 35 %.

    Quelqu’un aurait-il la suite après le #paywall ?
    #médical #médecines_douces introduction du hash #Nofakemed

  • Des termites ont construit une « structure » aussi vaste que la Grande-Bretagne
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/11/23/decouverte-au-bresil-d-une-construction-de-termites-vaste-comme-la-grande-br

    Ils se dressent, mystérieux, sur une étendue de 230 000 km2 dans le nord-est du #Brésil, dans une région encore épargnée par l’agriculture intensive. Deux cents millions de monticules de terre d’environ 2,5 m de haut, fruit du travail patient d’une colonie de #termites depuis près de quatre mille ans, ont été découverts par une équipe de biologistes britanniques et brésiliens.

    Il s’agit de « la plus grande structure construite par une seule espèce d’insecte jamais découverte à ce jour », selon les chercheurs, qui ont publié lundi 19 novembre les résultats de leur étude dans la revue scientifique Current Biology.[...]

    Cet impressionnant chantier était longtemps resté dissimulé par la végétation de cette région semi-aride. Mais les récents effets de la #déforestation en ont mis au jour les contours.

    https://www.youtube.com/watch?time_continue=41&v=FlRz-Iqy-XQ

    #termitière

  • Les dilemmes moraux de l’humanité à l’épreuve de la voiture autonome
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/10/24/les-dilemmes-moraux-de-l-humanite-a-l-epreuve-de-la-voiture-autonome_5374081

    Une étude révèle les préférences de 2,5 millions de personnes contraintes de choisir les victimes d’un accident.

    Peut-on tuer un vieillard pour sauver un enfant ? Toute vie humaine a-t-elle au contraire la même valeur, sans considération d’âge, de genre ou d’état de santé ?

    Ces questions, médecins, assureurs et militaires se les posent depuis longtemps. « Mais jamais dans l’histoire de l’humanité avons-nous autorisé une machine à décider seule qui doit vivre et qui doit mourir, sans supervision humaine, en temps réel. Nous allons franchir cette barrière prochainement, pas sur un lointain champ de bataille, mais dans un des aspects les plus banals de notre vie, le transport quotidien. »

    L’équipe de scientifiques français et américains qui lance cette prophétie vise la voiture autonome, future vedette de l’automobile. Dans la revue Nature du jeudi 25 octobre, ces psychologues, anthropologues et spécialistes de l’intelligence artificielle (IA) poursuivent : « Avant d’autoriser nos voitures à prendre des décisions éthiques, il importe que nous ayons une conversation globale pour exprimer nos préférences aux entreprises qui concevront les algorithmes moraux et aux responsables politiques qui vont les réguler. »

    Les chercheurs avaient déjà ouvert cette grande discussion en 2016 dans la revue Science. Les personnes alors interrogées se prononçaient massivement en faveur d’algorithmes sauvant le maximum de vies. Leur position fléchissait toutefois si eux-mêmes ou un membre de leur famille se trouvait impliqué. L’échantillon qui avait été interrogé rassemblait un peu moins de 2 000 personnes.

    « Sauver les enfants »

    L’article de Nature rend compte d’une entreprise d’une tout autre ampleur. Plus de 2,5 millions de personnes venues de quelque 230 pays ou territoires ont cette fois livré leur choix. Pour recueillir une telle masse d’informations, Edmond Awad et Iyad Rahwan du Massachusetts Institute of Technology (MIT), Azim Shariff de l’université de Vancouver (Colombie-Britannique, Canada) et Jean-François Bonnefon, de l’Ecole d’économie de Toulouse, ont conçu un site Internet.

    Ils n’y posent pas de simples questions – rapidement vertigineuses – mais placent le participant devant des scénarios. Par exemple, les freins d’une voiture autonome lâchent. A bord, une femme et un enfant. Sur la route, trois personnes âgées traversent au rouge. Faut-il continuer tout droit et écraser les passants ou braquer et tuer les passagers ? Et si un chien s’invite sur la banquette ? Ou si l’on remplace les vieillards par un sans-abri et une femme enceinte ? L’aspect ludique de l’expérience et des relais influents de la planète numérique (YouTube, Reddit) ont assuré le succès de l’opération.

    Les quelque 40 millions de décisions prises par les internautes entre juin 2016 et janvier 2018 livrent de nombreux enseignements. « Sans surprise, trois positions se détachent : épargner le plus grand nombre, privilégier les humains sur les animaux et sauver les enfants », indique Jean-François Bonnefon.

    Sans surprise, mais pas sans poser question. En 2017, une commission d’éthique allemande sur les véhicules automatiques a émis les seules recommandations disponibles sur le sujet. Elle exclut toute préférence basée sur les caractéristiques personnelles, notamment l’âge… « L’opinion n’a pas forcément raison, poursuit le psychologue toulousain. Mais si un gouvernement décide d’imposer un autre choix, il doit être prêt à le défendre, notamment le jour où un enfant sera écrasé. »

    Préférences différentes selon les pays

    Au-delà de ces trois critères communs, six autres facteurs ont été examinés dans l’étude. Le statut social et le respect de la loi comptent : pour être sauvé, mieux vaut être socialement inséré et respecter les feux que sans-abri et traverser n’importe où. De même, mais de manière moins sensible, la probabilité d’être percuté augmente si l’on est obèse et baisse si l’on est une femme. Autant de positions peu sensibles aux variations individuelles.

    Les personnes sondées avaient la possibilité d’indiquer leur profil, ce que 492 921 personnes ont fait. Il apparaît que l’âge, l’éducation, le sexe, les revenus, la religion ou encore les opinions politiques n’expliquent pas leurs choix moraux.

    En revanche, l’origine géographique pèse de façon importante. Les scientifiques ont en effet dressé les profils des 130 pays pour lesquels plus de 100 personnes avaient répondu. Trois groupes émergent. Le premier (Ouest) rassemble l’essentiel des pays occidentaux – mais pas la France – et tout le Commonwealth. Le second (Est) réunit l’Asie et une partie des nations de culture islamique. Enfin le troisième, au Sud, regroupe l’Amérique latine, quelques pays d’Europe centrale mais aussi la France, le Maroc, l’Algérie, la Polynésie… « Mes collègues américains ne voyaient pas le rapport. Moi, notre passé colonial m’a sauté aux yeux », raconte Jean-François Bonnefon.

    Entre ces trois grandes familles, certaines différences marquantes émergent. Ainsi, la préférence accordée aux jeunes est bien moins marquée à l’Est qu’au Sud. Idem pour le statut social : l’Orient y apparaît moins sensible que l’Occident et le Sud. En revanche, malheur à celui qui n’y respecte pas la loi.

    « Ces scénarios seront rares »

    « Une expérience de psychologie sociale à une telle échelle est vraiment rare », salue Grégory Bonnet, enseignant-chercheur à l’université de Caen et coordinateur du projet Ethicaa, sur l’éthique des systèmes autonomes.

    Néanmoins, l’exercice a ses limites. Ainsi, la représentativité des participants est biaisée. Ils sont majoritairement des hommes, près de 70 %, et dans la tranche d’âge 20-30 ans. Les chercheurs ont pu néanmoins « redresser » les résultats dans le cas des Etats-Unis, en tenant compte des données démographiques, sans modifier leurs conclusions.

    Autre réserve : ces scénarios ne refléteraient pas la réalité. Pour Grégory Bonnet, « il n’y a rarement que deux choix possibles sur une route et ces choix ne conduisent pas à des conséquences “blanches ou noires”, c’est-à-dire à la mort des personnes ».

    Jean-Gabriel Ganascia, chercheur en informatique à Sorbonne Université, renchérit : « Ces scénarios seront rares, car les voitures autonomes sont conçues pour éviter de se mettre en danger. Or là, cela signifierait qu’elles n’ont pas vu certaines choses à temps, ou que des infractions ont été commises… » Il sourit également à l’idée que si les voitures s’interdisaient d’écraser des jeunes, ces derniers pourraient s’amuser à perturber le trafic en passant devant les véhicules

    « Dix ou cent décisions par seconde »

    « La voiture autonome ne prend pas une décision mais dix ou cent par seconde, ajoute Guillaume Devauchelle, directeur de la recherche et du développement chez Valéo. Avant de se trouver devant ce dilemme impossible, sans voie de dégagement possible, elle aura ralenti. Plus profondément, cet article regarde la mobilité de demain avec les yeux d’aujourd’hui. Or, tout le paradigme va changer. Si vous n’êtes pas au volant, le temps n’est plus perdu, la vitesse n’a plus la même valeur. Ces scénarios deviennent absurdes. »

    Autant d’objections que l’équipe franco-américaine connaît. « Quand nous avons commencé, beaucoup nous disaient que de tels dilemmes n’arriveraient jamais, assure Jean-François Bonnefon. Aujourd’hui, beaucoup s’y intéressent et certains travaillent avec nous. »

    Et puis la voiture n’est pas le seul intérêt de l’affaire. « On est parti de là et on en arrive à tracer un arbre phylogénétique moral de l’humanité », s’étonne-t-il. Du reste, le psychologue entend bien profiter de cette base, désormais ouverte à tous, pour fouiller cette carte du monde. Comment se transmettent les influences ? Qu’est-ce qui peut rapprocher Israël et la Jamaïque ? Et d’où vient l’exception française ? « Ça sera dans le prochain article », promet-il.

    • Tiens, c’est marrant, ça s’excite sur le sujet en ce moment. Du côté de la formalisation des dilemmes aussi. J’ai eu à examiner un papier sur le sujet en vue de son acceptation à une conférence il y a peu. Pourtant le titre ne laissait en rien présager qu’il parlait de ça ("The Weak Completion Semantics and Equality", un truc très très technique lié à la programmation logique), mais il se trouve que ça permet de très bien décrire les types de problèmes dont parle l’article du monde. Le résuméde l’article est là, le texte intégral n’est pas encore disponible (je ne connais pas la politique de diffusion des actes de cette conférence [petite rectification : l’article sera disponible en accès ouvert après que la conférence ait eu lieu]) :

      https://easychair.org/smart-program/LPAR-22/2018-11-21.html#talk:84999

    • Déjà abordé ici, en particulier là :
      https://seenthis.net/messages/731438

      Avec ce commentaire de ma part :

      Ce que je cherche c’est un article qui explique que la question est mal posée, et qu’il faut refuser d’y répondre. C’est un piège qui vise à nous faire accepter l’inacceptable en déplaçant la vraie question.

      Si la voiture hésite entre tuer une vieille ou un enfant, c’est qu’elle est mal construite et qu’il faut refuser de la lâcher dans la nature.

      #Tesla #algorithme #voiture #éthique #AI #question #piège #propagande

    • TU fais bien de répéter ton commentaire.
      Difficile de croire qu’on en est encore là - qu’on ose poser la question et qu’on ose y répondre. Donner à une machine le luxe de choisir entre buter un jeune ou un vieux signifie clairement que la machine a été déjà bien trop loin dans ses fonctions - et ses concepteurs bien trop loin dans leur dystopie.

      Je soupçonne même ces questionnements existentiel ô combien artificiels d’être une tentative de néo-colonialisme averti montrant combien les pays « du sud » et « de l’est » (c’est quoi ces termes ??) sont en retrait sur les critère de moralité des pays occidentaux (ou de l’élite capitaliste).

      Flippant.

      Luddites, réveillez-vous !
      Consciences, révoltez-vous !

      PS : source du Monde, l’étude du MIT :
      http://moralmachine.mit.edu

  • Retour inattendu des bébés tortues sur une plage de l’hérault
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/10/15/retour-inattendu-des-bebes-tortues-sur-une-plage-de-l-herault_5369595_165068

    L’heureux événement a eu lieu le 7 octobre, sur une plage de l’Hérault. Un couple de promeneurs a découvert sur le sable un bébé tortue. « Il y a vingt ans, ils n’auraient sans doute rien fait, mais aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, nous avons été instantanément prévenus, raconte Jean-Baptiste Sénégas, directeur du Centre d’études et de sauvegarde des tortues marines de Méditerranée (CESTMed), du Grau-du-Roi. Vingt minutes plus tard, nous étions sur place. »

    Ce que l’équipe découvre ce matin-là est proprement exceptionnel. Il y a le petit, affaibli et incapable de gagner la mer. Mais, surtout, des dizaines d’œufs, qui, dans l’après-midi, vont éclore les uns après les autres. Entre 17 heures et 19 heures, pas moins de 58 petites tortues dévalent la plage et rejoignent la mer. « Nous avons pris en charge quatre autres “tortillons”, trop faibles. Trois d’entre eux ont passé une nuit au chaud au centre, puis nous les avons ­relâchés le lendemain, précise Jean-Baptiste Sénégas. Il en reste deux, encore en soin chez nous. Ils reprennent des forces. » Le naturaliste, lui, se remet lentement de ses émotions.

  • Les parts d’ombre du génome humain
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/09/26/les-parts-d-ombre-du-genome-humain_5360331_1650684.html

    Nos 21 000 gènes ne représentent que 2 % du génome humain. Mais le reste n’est pas que de l’ADN poubelle. Une grande partie semble vouée à contrôler l’expression de nos gènes.

    Le dévoilement du génome humain est un chemin pavé de surprises. Un immense pas a été franchi en 1943 quand l’Américain Oswald Avery (1877-1955) a découvert que le support biologique de notre hérédité était l’ADN. En 1953, James Watson (né en 1928), Francis Crick (1916-2004) et la trop souvent oubliée ­Rosalind Franklin (1920-1958) révèlent sa structure – deux brins enroulés en une double hélice – qui lui permet d’être dédoublé, copié et transmis lors de la division cellulaire.

    Reste à lire cet ADN pour y trouver les ­gènes supports de notre hérédité. Il est constitué d’une succession de molécules, les nucléotides (ou bases), elles-mêmes composées d’une partie fixe (un phosphate et un sucre) et d’une partie variable, une base azotée. Il en existe quatre notées A, C, G et T, qui s’assemblent deux par deux (A-T ou G-C) sur le double brin.

    Décoder un gène revient à déterminer un enchaînement particulier de ces bases, une séquence capable d’être copiée en une molécule, l’ARN messager, afin de produire une protéine. Pour cela, il a fallu séquencer le génome. Comme le génome humain comprend 3,2 milliards de paires de base – dont 2,9 milliards sont lisibles – le travail s’annonçait titanesque. Il ira finalement assez vite. En 2003, 99 % du génome ­humain est séquencé. Surprise, il ne comporte qu’environ 20 000 gènes (le chiffre exact varie encore selon les auteurs) au lieu des 100 000 attendus, ce qui représente (seulement) 2 % de notre ADN.

    Le reste ne serait-il que de l’ADN inutile, souvent qualifié de « poubelle » ? Ou bien les clés de notre complexité se trouveraient-elles dans la partie non codante ? En 2012, le programme de recherche international Encode penche en faveur de la seconde hypothèse. Il annonce que 80 % du génome humain est doté d’une fonction biochimique. « En fait, 50 % du génome ­humain est constitué de séquences amorphes répétitives, de pseudogènes inactifs, de transposons, qui a priori ne sont pas fonctionnels. Encode n’a donc étudié que 80 % de l’autre partie, donc c’est 40 % du génome humain qui aurait des fonctions actives », précise Stanislas Lyonnet, directeur de l’Institut Imagine. Reste à savoir lesquelles.

    Séquences régulatrices

    D’une part, à côté des gènes qui codent les protéines, des gènes régulateurs traduits en ARN non codant contrôlent l’expression des gènes. Il y en a pratiquement autant que des gènes codants : 1700 micro-ARN, 8000 mini et 12000 grands. « Mais l’utilité de ces ARN synthétisés fait encore débat. Il faut prouver qu’ils ont tous un rôle, ce qui n’est pas encore fait », souligne le biologiste et historien Michel Morange. Une équipe américaine vient de décrire dans Nature Genetics un algorithme permettant de mieux appréhender les fonctions des grands ARN non codants.

    D’autre part, des parties de l’ADN non transcrites en ARN semblent aussi utiles. Ces séquences régulatrices souvent très courtes, 10 à 20 nucléotides, peuvent ­amplifier (« enhancer ») ou inhiber (« silencer ») la transcription d’un gène tout en étant assez éloignées de lui. « Nous avons montré qu’une anomalie congénitale, une fente dans le palais, était liée à l’anomalie d’un enhancer très éloigné du gène ­concerné, relate Stanislas Lyonnet. Souvent, pour trouver ces séquences, on regarde si elles existent chez d’autres espèces possédant la même caractéristique, donc si elles ont été conservées au cours de l’évolution. » Très nombreux, les enhancers formeraient près de 13 % du génome humain.

    Enfin, une nouvelle piste – l’approche ­topologique par régions du génome – est explorée, car, au-delà des séquences, l’organisation tridimensionnelle de l’ADN jouerait aussi un rôle dans la régulation. Bref, quand notre génome aura révélé toutes ses fonctions régulatrices, il nous ­livrera peut-être enfin la clé de notre complexité. Sans compter qu’un dixième de nos 21 000 gènes sont vraiment étudiés, la plupart des travaux se concentrant sur les mêmes 2 000 gènes, comme le dénonce une étude récente dans PLOS Biology.

  • Les « ticker tapers » voient la vie en sous-titres

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/08/28/les-ticker-tapers-voient-la-vie-en-sous-titres_5346883_1650684.html

    Plus de 1 % de la population visualiserait les paroles entendues, les pensées, voire les mélodies, sous forme écrite et en temps réel.

    Elle voit défiler en sous-titres les paroles entendues, ses pensées aussi. Tout s’imprime en lettres devant ses yeux. Elle possède une faculté rare, appelée « tickertaping » ou « ticker tape » en anglais, un terme qui fait référence aux bandes des anciens téléscripteurs.

    Informaticienne âgée de 23 ans, Mathilde (son prénom a été changé) affirme que, depuis qu’elle a appris à lire, ses perceptions auditives et ses réflexions s’imposent à elle sous forme écrite : « Quand j’entends ou pense à des mots, je les vois disposés en sous-titres, que je lis en lecture rapide. Ils apparaissent toujours en clair sur un fond plus foncé, dans la même police sans empattement, et se déplacent de gauche à droite sur une faible portion du champ visuel. » Sans majuscules ni ponctuations, « à part le point d’interrogation qui s’ajoute à la fin des questions ambiguës », indique-t-elle. Adepte du solfège, elle visualise aussi les notes des partitions musicales qui lui sont connues, sans rien voir dans le cas contraire. Plus étrange : « Quand quelqu’un parle, je convertis directement son discours en mots écrits. Je lis ce que disent les gens pour les comprendre, autrement je n’entends que du bruit incompréhensible. » Pour la jeune femme, le tickertaping est un « déchiffrage naturel ».

    Des causes inconnues

    Les premiers textes mentionnant cette caractéristique méconnue, sans pour autant la baptiser, remontent à 1883, notamment dans un livre de l’anthropologue Francis Galton, cousin de Charles Darwin. C’est l’an dernier que Mathilde s’est résolue à trouver un nom à cette étrangeté : « Je lisais des témoignages quand je suis tombée sur “ticker tape synesthesia”. » La synesthésie est un phénomène physiologique qui consiste en l’association de deux ou plusieurs sens : un synesthète peut sentir ou entendre une couleur, par exemple.

    La question de savoir si le tickertaping est une forme de synesthésie est ancienne. Plusieurs références anglo-saxonnes la considèrent comme telle. La synesthésie associant des couleurs à des lettres ou des chiffres est l’une des plus communes. Sur un forum, Mathilde a échangé avec un autre ticker taper. Ils ont noté la ressemblance dans leur disposition des mots sur une ligne et sa synchronisation audiovisuelle avec la lecture. Cependant, contrairement à Mathilde, son correspondant cumulait les synesthésies : « Il voyait les mots en couleurs, et distinguait même les consonnes des voyelles. » Voyelles en couleurs, consonnes en noir et blanc.

    « LE TICKERTAPING EST POSSIBLEMENT UNE EXAGÉRATION DE [LA] CONNEXION ENTRE LES REPRÉSENTATIONS MENTALES DE LA PHONOLOGIE ET DE L’ORTHOGRAPHE, À LAQUELLE S’AJOUTE UNE PUISSANTE FORCE DE VISUALISATION. » MARK PRICE, CHERCHEUR DE L’UNIVERSITÉ DE BERGEN

    Chercheur au centre de recherche Cerveau et Cognition à Toulouse, Jean-Michel Hupé souligne la divergence entre synesthésie et tickertaping. Après avoir sondé 3 743 personnes en France, M. Hupé avait signalé ces différences dans une publication parue sur le site Frontiers in psychology en 2013. Il prenait également en compte le non moins étonnant mirror-touch – le sujet ressent une sensation tactile involontaire quand il voit quelqu’un d’autre se toucher le corps – et arrivait aux mêmes conclusions.

    Selon M. Hupé, tout dépendrait des critères adoptés : le tickertaping et la synesthésie seraient tous les deux « subjectifs », mais la seconde serait, elle, « arbitraire » et plus « idiosyncratique ». Il pense que le tickertaping s’expliquerait plutôt par l’enseignement : les tout jeunes élèves, en apprenant à lire et à écrire, auraient développé des capacités de visualisation analogues. « Mais tant que les causes sont inconnues, il n’y aura pas de consensus », prévient M. Hupé.

    Quant à la proportion des ticker tapers dans la population, un article publié dans The Cognitive Neuroscience Journal en 2015 a tenté de l’évaluer. Des chercheurs de l’université de Bergen, en Norvège, recensent six personnes qui présentent un tickertaping « puissamment automatique » dans un échantillon de 425 adultes norvégiens. La mémorisation n’a pas fait partie des critères retenus. Directeur de l’étude, Mark Price se réfère néanmoins à un cas unique de tickertaping qui comptait les signes visualisés avec une rapidité inégalée. Le chercheur a son idée des raisons expliquant le phénomène, qu’il n’associe pas forcément à la synesthésie : « Quand on entend un mot, cela active notre connaissance de sa forme écrite. Mais d’habitude, cela se fait dans l’inconscient. Le tickertaping est possiblement une exagération de cette connexion entre les représentations mentales de la phonologie et de l’orthographe, à laquelle s’ajoute une puissante force de visualisation. »

    Conflit d’attention

    Mathilde se connaissait déjà un trait atypique : le syndrome d’Asperger, un trouble du spectre autistique. Cependant, l’informaticienne reste dubitative quant aux méthodes de diagnostic en France. Les autres ticker tapers qu’elle a connus le présenteraient aussi, remarque-t-elle. Mais M. Price n’a pas de preuve d’un lien entre tickertaping et Asperger : « A ma connaissance, aucun des ticker tapers que j’ai croisés n’était autiste », affirme-t-il. Sur ce point, afin d’éviter toute discrimination, il insiste sur l’importance de ne tirer aucune conclusion hâtive. C’est dire que la recherche a du chemin à faire.

    Quoique les explications tardent à venir, les réactions des ticker tapers à leurs propres capacités ne manquent pas. Pour Mathilde : « Ça facilite ma mémorisation orthographique des mots et consolide les informations de manière visuelle. » En contrepartie, le processus lui coûte en énergie : « Il m’incite à limiter les situations sociales. » Quand plusieurs interlocuteurs discutent à la fois : « Ça devient confus, je vois des mots isolés, je perds des phrases et je ne sais plus vraiment qui a dit quoi. » En regardant un film, Mathilde se fatigue : « Mes sous-titres sont dynamiques, alors que ceux du film sont statiques. » En entendant une langue étrangère qu’elle maîtrise, un conflit est aussitôt créé entre sa traduction et celle aperçue sur l’image.

    Mais peut-on freiner le tickertaping ? M. Price précise que la manifestation peut se présenter de deux manières, volontaire ou pas. Le tickertaping automatique, comme celui de Mathilde, est involontaire. Le chercheur rapporte avoir observé un cas involontaire qui a été privé de sous-titres : alors que le ticker taper vaquait à ses occupations dans un laboratoire, son attention a été un temps rivée ailleurs que sur la conversation en cours.

    La question se poserait plus sérieusement dans des situations perturbantes. M. Hupé évoque un ticker taper atteint de troubles obsessionnels que certains mots visualisés mettaient mal à l’aise. De son côté, Mathilde raconte un épisode troublant, vécu dans son sommeil. Alors que son tickertaping s’y produit rarement, un rêve récent l’a marquée : « Le sous-titrage y est apparu une seule fois, lors d’une écoute, et les mots sont restés figés dans l’espace. Ils ne s’effaçaient plus, même après que le silence fut revenu. J’angoissais. J’ai même essayé d’attraper les mots… » Avant de se réveiller en sursaut.

  • «  Race  » : la génétique face à ses démons

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/07/10/race-la-genetique-face-a-ses-demons_5328964_1650684.html?xtmc=david_reich&xt

    L’étude des génomes pourrait-elle réveiller la notion de «  race  », en passe d’être gommée de la Constitution  ? David Reich, spécialiste de l’ADN ancien, pose la question. Et créé une polémique.


    «  Trasi Henen  ». Photos extraites de la série «  There’s a Place in Hell for Me & My Friends  » (Oodee, 2012). Le photographe sud-africain Pieter Hugo a manipulé les couleurs pour faire ressortir la mélanine et mettre en évidence les contradictions des distinctions raciales fondées sur la couleur de la peau.

    La biologie peut-elle délimiter des groupes humains qui fonderaient l’existence de races à l’intérieur de l’espèce humaine ? Depuis les années 1970, les généticiens avaient tranché : la race est une construction sociale dont il n’existe aucun fondement en biologie. Ils se délestaient ainsi de cette question brûlante, à l’origine au XIXe siècle de théories dont la description emplit aujourd’hui les pages les plus dérangeantes de l’histoire de leur discipline.

    Mais voilà qu’un éminent généticien de l’université Harvard, David Reich, ravive les cendres qu’on croyait éteintes avec la publication de son livre Who We Are and How We Got Here ? (« Qui sommes-nous et comment sommes-nous arrivés ici ? », ­Pantheon Books, non traduit). Son credo ? Dénoncer l’« orthodoxie » du discours sur la diversité génétique qui s’est imposé au cours des dernières décennies et qui a fait de la race une question taboue. « Comment devons-nous nous préparer à la probabilité qu’au cours des années à venir des études génétiques montrent que de nombreuses caractéristiques sont influencées par des variations génétiques et que ces traits diffèrent entre les groupes humains ? », questionnait-il dans une tribune parue en avril dans le New York Times. « Argumenter qu’il n’est pas possible qu’il existe des différences substantielles entre les populations humaines ne fera que favoriser l’instrumentalisation raciste de la génétique que nous voulons justement éviter », concluait-il.

    A l’heure où la France a entrepris de gommer le mot « race » de sa Constitution par un vote des députés, le 27 juin, la polémique lancée par Reich rappelle que la génétique a longtemps flirté avec l’eugénisme, avant de s’en repentir. Et que sa ­prétention à pouvoir tout analyser ou presque peut la conduire à ignorer ses limites – un écueil dénoncé par un grand nombre d’anthropologues en réponse au texte de Reich.

    Comment les généticiens ont-ils effacé la notion de race de leur discipline ? Et pourquoi ressurgit-elle aujourd’hui sous la plume de l’un des leurs – dont les travaux, et c’est là une des subtilités de la polémique, démontrent par ailleurs que les populations humaines sont faites de métissages ?

    Il faut remonter, pour le comprendre, à l’évolution de la place en biologie du concept de race après les ravages de la seconde guerre mondiale. « En réalité, la race est moins un phénomène biologique qu’un mythe social. Ce mythe a fait un mal immense sur le plan social et moral », reconnaissait en 1950 la Déclaration de l’Unesco sur la race. Pourtant, à cette époque, la majorité des généticiens, parmi lesquels Theodosius Dobjansky ou Ronald Fisher, pensaient encore que les races humaines existaient, d’un point de vue biologique. Dès les années 1930, ils avaient entrepris de les redéfinir en s’appuyant sur des caractères qu’ils considéraient plus fiables que les caractères morphologiques, en particulier les groupes sanguins. Ils avaient notamment observé que le groupe O était présent chez 90 % des Amérindiens, et ils croyaient pouvoir décrire des groupes humains homogènes et stables.

    Mais ils s’aperçurent que cette particularité des Amérindiens ne reflétait en rien une pureté de race mais venait de leur histoire, en tant que ­population persécutée et isolée.

    Ni la couleur de peau ni le groupe sanguin ne sont l’expression d’un ensemble de variations communes à un même groupe humain. Les variations entre les êtres humains résultent à la fois de leur adaptation à leur environnement, comme le climat ou l’altitude, et de la diversité des origines géographiques des populations humaines.

    Partant de ce constat, certains généticiens, comme Richard Lewontin aux Etats-Unis ou ­Albert Jacquard en France, déclarèrent que toute tentative de classification des êtres humains en catégories biologiques relevait de choix arbitraires, car, quelles que soient les catégories, elles ne reposent que sur une part infime de l’ensemble des variations. Deux individus pris au hasard à l’intérieur d’un même groupe humain se distinguent par un nombre de variations plus élevé que celui qui distingue deux groupes entre eux. D’où un changement de point de vue que le séquençage du génome humain dans les années 1990 vint conforter. Il révéla de plus que les variations du génome humain ne concernaient qu’une infime partie du génome, de l’ordre de 0,1 %. Dès lors, un discours antiraciste sur la diversité génétique s’imposa dans la discipline, dont David Reich dénonce aujourd’hui l’« orthodoxie ».

    « La “race” est une construction sociale. Nous, les généticiens, n’utilisons quasiment jamais ce terme dans nos articles scientifiques parce qu’il est trop chargé de significations non scientifiques et que sa définition change dans le temps et l’espace », indique David Reich. S’il l’a utilisé, entre guillemets, dans sa tribune, c’était pour alerter sur le fait que le discours scientifique actuel risquait de laisser le champ libre à des sectaires et des faux experts – un champ où ils se sont déjà engouffrés. Trois mois après avoir lancé la polémique, il campe sur ses positions. « Je n’adhère pas à l’idée selon laquelle les différences biologiques moyennes entre deux groupes – par exemple entre des habitants de Taïwan et des habitants de Sardaigne – sont si pe­tites qu’elles peuvent êtres considérées comme ­dépourvues d’un sens biologique et ignorées, ­explique-t-il. C’est depuis un moment le message de nombreux universitaires, qui à mon avis est dangereux car il nuit à la compréhension et la considération de la diversité humaine. »

    « Les découvertes en génétique au cours des dernières décennies ont confirmé que la notion de race n’avait aucun fondement biologique, rétorque la généticienne Evelyne Heyer, du Muséum national d’histoire naturelle. D’une part, il n’existe pas de limites distinctes entre les groupes humains qui permettraient de définir des catégories “étanches”. D’autre part, les critères comme la couleur de peau ne concernent qu’une infime partie du génome. Enfin, les différences ne justifient pas l’existence de hiérarchie entre les êtres humains suivant leurs capacités », dit-elle. L’exposition « Nous et les autres », organisée au Musée de l’homme en 2017 et dont elle fut la commissaire, s’appuyait sur ce discours pour marquer la rupture de la science contemporaine avec les dérives racistes du XIXe siècle et louer l’étude de la diversité biologique. Mais c’est justement par l’étude de cette diversité que ressurgit la question de la race.

    De colossaux programmes de recherche

    Pourquoi ? Le séquençage du génome humain a inauguré de colossaux programmes de recherche axés sur deux champs de recherche, la génétique des populations et la génétique médicale. Dans le premier, contestant le monopole sur ces questions des préhistoriens, des anthropologues et des linguistes, les généticiens tentent de retracer les grands flux migratoires à l’origine du peuplement de la planète, en étudiant les signatures des origines géographiques contenues dans les génomes. Des prouesses techniques et scientifiques qui permettent aujourd’hui de réécrire l’histoire des peuples tels que les Vikings, les Juifs, les Sardes ou les Amérindiens.

    Dans le second, ils recherchent des prédispositions génétiques expliquant la fréquence particulièrement élevée dans certains groupes de population de maladies comme les cancers, le diabète, l’obésité ou la dépression. Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Islande ou encore l’Estonie financent des projets nationaux de génomique, avec, en point de mire, l’avènement d’une médecine personnalisée qui ciblerait un profil génétique en fonction du risque de maladie auquel il est associé.

    D’où le paradoxe : comment nier l’existence de catégories entre les êtres humains tout en délimitant pour ces études des groupes de population au sein desquels on étudie des variations génétiques ? En quoi l’existence de ces groupes mouvants questionne-t-elle la notion de race, qui postulait l’existence d’entités stables et étanches que les biologistes d’antan nommaient « catégories » ? Ces arbitrages biologiques n’ont-ils pas des soubassements politiques ?

    « Dès les années 1970, il y a une ambiguïté dans la rupture avec la notion de race dont nous ne sommes pas sortis. Vous pouvez dire que les races sont des catégories arbitraires qui ne valent pas pour une classification. Cela n’empêche pas que la diversité contenue entre deux catégories, si minime soit-elle, peut vous servir à tout un ensemble d’usages », analyse ainsi l’historien Claude-Olivier Doron. Les groupes délimités par les généticiens ont une existence qui résulte aussi d’une histoire sociale et politique. Ils sont le fruit d’une culture à laquelle, qu’ils le veuillent ou non, ils appartiennent aussi. « Les généticiens considèrent que leurs études sur la génétique des populations n’ont rien à voir avec les études anthropologiques sur lesquelles a été fondée la notion de race. Or, si les techniques, les disciplines et les enjeux ont changé, les grandes catégories de population sur lesquelles s’appuient ces études, tels que les Juifs, les Africains ou les Vikings, restent inchangées », dénonce l’historien Amos Morris-Reich, du Bucerius Institute de l’université de Haïfa, en Israël.

    « IL N’EXISTE PAS DE LIMITES DISTINCTES ENTRE LES GROUPES HUMAINS QUI PERMETTRAIENT
    DE DÉFINIR DES CATÉGORIES ÉTANCHES », ÉVELYNE HEYER, GÉNÉTICIENNE AU MUSÉUM NATIONAL D’HISTOIRE NATURELLE

    « Le contexte social et politique dans lequel sont menées les études en génomique n’est pas neutre. Etre noir au Etats-Unis n’a pas la même signification qu’au Brésil, et les résultats des analyses génétiques nourrissent des débats locaux et peuvent aussi être récupérés », renchérit l’anthropologue Sarah Abel, de l’université de Reykjavik, l’une des signataires d’une réponse à Reich publiée dans le New York Times.

    « Ce que je partage avec Reich, c’est le fait que laisser les choses non discutées donne la possibilité à un certain nombre de discours racistes de fleurir et de se développer, notamment sur Internet, et il y a besoin d’une pédagogie très précise sur ce que disent et ne disent pas les savoirs génétiques », tempère l’historien Claude-Olivier Doron. « Mais il se montre incapable, dans son article du New York Times, de cerner ces limites. Il confond une multiplicité de choses différentes : groupes fondés sur l’autodéclaration et/ou à partir des catégories du bureau du recensement américain, groupes ad hoc construits par les chercheurs pour des besoins de recherches, catégories anciennes issues des périodes coloniales, etc., sans jamais s’interroger sur les limites, les approximations, les biais de ce que prétend en dire la génétique », regrette-t-il.

    Résultats biaisés

    David Reich s’appuie sur les travaux de son équipe ayant abouti à l’identification, dans les génomes d’hommes afro-américains, de régions les prédisposant au cancer de la prostate. Face à cet argument, les réactions des spécialistes en sciences humaines sont unanimes. « Il faut intégrer la complexité des facteurs dans le risque de survenue des maladies. Dans le cas du cancer de la prostate, cité par David Reich, on s’intéresse de plus en plus aux effets cocktail des composants chimiques de l’environnement et on ne peut pas réduire le risque accru de ce cancer à sa dimension génétique », complète Catherine Bourgain, du Cermes 3, au CNRS, très critique vis-à-vis des modèles statistiques utilisés par David Reich qu’elle juge peu fiables pour l’évaluation de l’influence de facteurs environnementaux qui ­peuvent biaiser leurs résultats.

    Les populations afro-américaines, latinas ou amérindiennes sur lesquelles s’appuient les études en recherche biomédicale aux Etats-Unis sont par ailleurs défavorisées d’un point de vue socio-économique, ce qui les expose à des environnements et à des modes de vie favorisant la survenue des maladies pour lesquelles des prédispositions génétiques sont recherchées : pollution, stress ou encore alcoolisme.

    En 2004, la Food and Drug Administration (FDA) a approuvé le BiDil, un médicament destiné à corriger l’effet d’une mutation prédis­posant les populations afro-américaines à un risque accru d’infarctus du myocarde. « Le problème sur lequel il faut insister sur un cas comme le BiDil, comme sur tout un ensemble de cas, c’est que cela aboutit à l’occultation des autres va­riables, par exemple environnementales, qui peuvent être beaucoup plus importantes », insiste Claude-Olivier Doron.

    Ces études pourraient aussi raviver des stéréotypes ancrés dans l’inconscient collectif. Un programme national mexicain vise ainsi à séquencer le génome de différents types d’Indiens et de métisses afin d’étudier leurs prédispositions ­génétiques au déclenchement précoce du diabète de type 2 et de l’obésité. « La spécificité du débat mexicain, ce sont des mélanges de populations impliquant des Européens, des Afro-Américains et des Asiatiques, mais surtout différents types d’Indiens », explique l’historien Luc Berlivet, lui aussi du Cermes 3. « On voit réapparaître dans le débat des stéréotypes raciaux différents de ceux mobilisés avec les Afro-Américains ou les Amérindiens d’Amérique du Nord. Il ne s’agit plus de distinguer les Blancs des Afro-Américains ou des Latinos, mais différents types d’Indiens. Cela pose les mêmes questions mais de manière décalée », ajoute-t-il.

    Autre source d’inquiétude, une vision réductrice de la notion d’identité produite par les analyses en génétique des origines géographiques. D’autant plus qu’un marché s’est développé, avec des sociétés comme 23andMe, Ancestry.com ou MyHeritage, qui proposent à leurs clients la ­détermination de leurs origines géographiques au moyen de l’analyse génétique.

    Diffusés sans précaution, ces résultats peuvent attiser les tensions locales autour des questions identitaires ou révéler les stéréotypes racistes d’une culture, comme ce fut le cas au Brésil, avec les tests ADN sur les origines africaines. Malgré un récit national valorisant le métissage, les ­préjugés racistes sont ancrés dans la culture brésilienne en raison du passé esclavagiste du pays et de la vulgarisation des théories eugénistes valorisant les phénotypes « blancs » au début du XXe siècle. Les universités brésiliennes ont décidé d’instaurer des quotas d’étudiants à la peau noire dans les années 2000. « Dans ce contexte, il s’agissait de savoir comment se définissait la race noire, et les tests génétiques ont été disqualifiés lorsqu’ils ont révélé que le génome d’un célèbre danseur de samba noir contenait plus de 60 % de gènes européens, raconte l’anthropologue Sarah Abel. Ces résultats ont été utilisés pour dire que les quotas n’avaient pas lieu d’être, car la race n’avait pas de sens au Brésil, ou encore que cela ne servait à rien d’avoir 60 % de gènes européens lorsqu’on était arrêté par des policiers d’après la couleur de la peau. »

    En Europe et aux Etats-Unis, certains militants d’extrême droite devenus experts en génétique n’hésitent pas à s’emparer des données et des résultats des études génétiques pour étayer des idéologies fondées sur la pureté des origines et l’existence d’une identité européenne profonde. Les auteurs du site Humanbiologicaldiversity.com ont ainsi élaboré un argumentaire très étayé visant à refonder la réalité biologique de la race, en s’appuyant notamment sur les travaux de Luca Cavalli-Sforza, pionnier des études génétiques sur les origines géographiques.

    Si l’impact de ces instrumentalisations reste difficile à évaluer, les inquiétudes n’en sont pas moins fondées dans un contexte où les crispations identitaires font le terreau des partis populistes qui menacent les démocraties occidentales. « Il est important de garder à l’esprit l’histoire du racisme scientifique, pour se questionner sur les retombées sociales, politiques, éducatives des études en génomique. Le monde n’est plus le même qu’au temps de l’anthropologie physique, et les relations entre la science et la politique ont également changé. Mais la question de ces re­tombées se pose à tous, que nous soyons jour­nalistes, bioéthiciens, généticiens, historiens ou simples citoyens », conclut Amos Morris-Reich.

  • La nuit, dernier refuge des mammifères contre l’homme
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/06/14/la-nuit-dernier-refuge-des-mammiferes-contre-l-homme_5315289_1650684.html

    L’humain a pris possession de la planète. Principale espèce envahissante de notre globe, il a déjà modifié les trois quarts de la surface terrestre, estiment les chercheurs. Devant cette progression, la plupart des animaux ont choisi la fuite : plus loin des villes ou des axes routiers, plus haut dans les montagnes, au plus profond des forêts. Mais ce déplacement spatial n’est ni toujours possible ni nécessairement suffisant. Pour vivre heureux, de nombreux mammifères ont donc trouvé une autre parade, ce que l’écologue Ana Benitez-Lopez, de l’université de Radboud, aux Pays-Bas, nomme « l’ajustement temporel ». En termes plus simples, ils ont adopté un mode de vie nocturne.

    Dans un article publié vendredi 15 juin, dans la revue Science, une équipe de l’université Berkeley, en Californie, livre les résultats d’une « méta-analyse » des études conduites sur les mammifères soumis à la présence humaine. Ils ont ainsi extrait de 76 travaux de recherche, conduits sur les cinq continents depuis près de vingt-cinq ans, les données concernant l’équilibre entre jour et nuit de 62 espèces, selon qu’elles se trouvaient exposées ou non à la présence humaine. « Nous nous attendions à observer une certaine augmentation du caractère nocturne de la faune à proximité des humains, mais nous avons été surpris de la constance des résultats, souligne l’écologue Kaitlyn Gaynor, première signataire de l’article. La réponse des animaux est forte, quelle que soit la nature du dérangement que nous provoquons, et pas seulement lorsque nous mettons leur vie en danger. Cela suggère que notre seule présence suffit à perturber leurs modes de vie traditionnels. »

    #faune_sauvage #colonisation_humaine #nuit #vie_nocturne #refuge

  • Chute de l’intelligence : la piste environnementale relancée

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/06/11/chute-de-l-intelligence-la-piste-environnementale-relancee_5313110_1650684.h

    Le QI régresse depuis 1995 dans les pays développés. Une étude permet d’attribuer cette baisse à des facteurs environnementaux.

    Le constat est désormais connu, attesté : nos enfants sont plus bêtes que nous et tout porte à croire que leurs enfants le seront plus encore. Une série d’études conduites dans les pays développés a dressé ce triste constat. Suède, Norvège, Finlande, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Australie… les observations convergent – même si, dans le cas de la France, la faible taille de l’échantillon fait débat. Seuls les Etats-Unis semblent, pour l’heure, faire exception.

    L’origine de cette chute, en revanche, fait l’objet d’une vive controverse. Les uns mettent en avant des causes dites environnementales, terme à prendre au sens large. Selon leur spécialité, ils ­invoquent le dérèglement du système éducatif, le recul du livre, l’omniprésence des écrans, la crise de l’Etat-providence et la souffrance des dispositifs de santé publique, ou encore l’influence des perturbateurs endocriniens sur le développement embryonnaire. Les autres privilégient des explications plus biologiques. Ils avancent l’existence d’un effet dit « dysgénique » (par opposition à eugénique), qui voudrait que les familles les moins intelligentes procréent davantage et fassent donc baisser le niveau.

    Le phénomène n’est pas nouveau, disent-ils, mais il a longtemps été masqué par les gains éducatifs de toute la population. Les mêmes voient une autre cause à cette chute : l’immigration. ­Arrivés de pays pauvres, moins éduqués, les ­migrants, puis leurs enfants, lesteraient les performances moyennes. Sujet sensible, voire inflammable. En 2016 et 2017, deux articles, l’un faisant la synthèse de la littérature existante, l’autre analysant les données de treize pays, avaient successivement appuyé cette seconde thèse.

    Trente années de tests cognitifs

    Une équipe norvégienne vient, elle, de relancer la première. Dans un article publié dans les comptes rendus de l’Académie des sciences américaines (PNAS), lundi 11 juin, Bernt Brastberg et Ole Rogeberg affirment de façon catégorique que la baisse du quotient intellectuel présente une « origine environnementale ». Les deux économistes du centre Ragnar Frisch de l’université d’Oslo ont analysé trente années de tests cognitifs des jeunes conscrits norvégiens, de la génération née en 1962 à celle de 1991 (derniers enrôlés dans un service militaire obligatoire). Surtout, ils ont comparé l’évolution au sein même des fratries, de manière à écarter tout effet dysgénique ou migratoire. Leur constat est formel : l’évolution au sein des fratries reproduit avec une étonnante fidélité celle de l’ensemble de la population.

    Le choix de la Norvège n’est pas anecdotique. C’est là qu’en 2004, pour la première fois, a été observée ce que les spécialistes ont appelé « l’inversion de l’effet Flynn ». Portant le nom de son découvreur, le Néo-Zélandais James Flynn, cet effet voulait que, partout dans le monde, le QI suivît une courbe croissante. Les données rassemblées dans les années 1980 par le chercheur de l’université d’Otago, couvrant l’essentiel du XXe siècle dans plusieurs pays, conféraient à son constat une valeur de principe. Amélioration de la scolarisation, du niveau d’études, des conditions sanitaires, de la nature des tâches professionnelles : les causes semblaient elles aussi faire consensus.

    En 2004, pourtant, Jon Martin Sundet et ses ­collègues de l’université d’Oslo constataient une inversion de la courbe à partir de 1995. Une observation confirmée au cours des années suivantes dans une dizaine de pays développés. Autant dire qu’aujourd’hui, plus personne ne s’intéresse au fait que nos parents étaient plus intelligents que nos grands-parents. La question serait plutôt : « Demain, tous crétins ? », pour reprendre le titre d’un documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, diffusé en novembre 2017, sur Arte. Et de s’interroger sur les causes de ce qui ressemble bien à une débâcle.

    https://www.youtube.com/watch?v=WWNARPyruoQ

    Les chiffres avancés par les chercheurs norvégiens ne sont pas bien rassurants. De la génération 1962 à celle de 1975, le gain en QI a été de 0,20 point par an, en moyenne. De 1975 à 1991, la chute enregistrée atteint 0,33 point. Et les différentes études conduites depuis trois ans concluent à une accélération du phénomène. L’article publié dans PNAS n’entre pas dans le détail des causes envisagées. En revanche, elles sont bien liées aux conditions de vie extérieures et non à la nature intrinsèque des personnes testées.

    Pour s’en convaincre, l’équipe s’est focalisée sur les familles d’au moins deux garçons – soit quelque 237 000 individus – et a comparé deux jeux de données. Le premier observe l’évolution du QI moyen des aînés. « Il reflète donc les différences entre les familles – les gènes des parents, les conditions sociales, le style éducatif – et les évolutions environnementales susceptibles d’affecter les ­enfants », précise Ole Rogeberg. La deuxième ­série de données compare les performances ­entre les frères. « Cette fois, toute différence ­traduit un effet strictement environnemental puisque les parents sont identiques, poursuit le chercheur norvégien. On exclut même ce qui perdure dans les familles, par exemple une éducation autoritaire ou un climat chaotique. »

    Comparaison

    La comparaison a ensuite rendu son verdict. Pendant la phase croissante, l’indice « intrafamilial » a augmenté de 0,18 point par an (contre 0,20 pour l’ensemble). A l’inverse, à partir de la génération 1975, le retournement de l’effet Flynn a provoqué une baisse de 0,34 point par an à ­l’intérieur des familles (contre 0,33 pour l’ensemble). On le comprend : une telle proximité ne laisse guère de place aux tenants des explications dysgéniques ou migratoires.

    Figure de proue de ces derniers, l’anthropologue britannique Ed Dutton (université d’Oulu, Finlande) rejette ces conclusions. Pour lui, l’étude est entachée d’erreurs méthodiques. A commencer par la sélection de foyers d’au moins deux garçons. « C’est stupide, tranche-t-il. Ça revient à surreprésenter les familles modestes, surtout à mesure que les années passent. » L’équipe norvégienne balaie l’objection : elle a en effet vérifié que, dans son échantillon, les parents présentaient en moyenne les mêmes ­revenus et le même niveau éducatif que la population en ­général. Autre critique de Dutton : « Pour observer un effet migratoire, la Norvège n’est aucunement représentative, c’est évident. »

    Son collègue Michael Woodley, de l’Université libre de Bruxelles, lui aussi tenant de la thèse dysgénique, juge au contraire l’étude « bien ­conduite et approfondie ». Il estime toutefois que « les auteurs ont eu tort de généraliser leurs résultats aux autres pays ». Dans un article publié en 2017, le chercheur a examiné 66 études ­conduites dans 13 pays. Il conclut d’une part que la chute du QI s’accélère, d’autre part que, selon les pays, l’ampleur du déclin « croît avec la proportion d’immigrés ».

    Ole Rogeberg appuie la première observation. Pas la seconde. « L’influence directe du score des immigrés sur la moyenne est écartée par notre étude », assure-t-il : la baisse de QI est visible au sein même des fratries norvégiennes. En revanche, « l’effet indirect, qui voudrait que la présence d’immigrés ait une influence sur les performances des autres – par exemple en réduisant la qualité de l’éducation –, même s’il me laisse sceptique, nous ne pouvons pas formellement l’écarter. » Longue vie à la controverse !

  • Le QI régresse depuis 1995 dans les pays développés. Une étude permet d’attribuer cette baisse à des facteurs environnementaux.
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/06/11/chute-de-l-intelligence-la-piste-environnementale-relancee_5313110_1650684.h

    Le constat est désormais connu, attesté : nos enfants sont plus bêtes que nous et tout porte à croire que leurs enfants le seront plus encore.
    Les uns mettent en avant des causes dites environnementales : dérèglement du système éducatif, le recul du livre, l’omniprésence des écrans, la crise de l’Etat-providence et la souffrance des dispositifs de santé publique, ou encore l’influence des perturbateurs endocriniens sur le développement embryonnaire.
    Les autres privilégient des explications plus biologiques. Ils avancent l’existence d’un effet dit « dysgénique » (par opposition à eugénique), qui voudrait que les familles les moins intelligentes procréent davantage et fassent donc baisser le niveau.

    • Chute de l’intelligence : la piste environnementale relancée

      https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/06/11/chute-de-l-intelligence-la-piste-environnementale-relancee_5313110_1650684.h

      Le QI régresse depuis 1995 dans les pays développés. Une étude permet d’attribuer cette baisse à des facteurs environnementaux.

      Le constat est désormais connu, attesté : nos enfants sont plus bêtes que nous et tout porte à croire que leurs enfants le seront plus encore. Une série d’études conduites dans les pays développés a dressé ce triste constat. Suède, Norvège, Finlande, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Australie… les observations convergent – même si, dans le cas de la France, la faible taille de l’échantillon fait débat. Seuls les Etats-Unis semblent, pour l’heure, faire exception.

      L’origine de cette chute, en revanche, fait l’objet d’une vive controverse. Les uns mettent en avant des causes dites environnementales, terme à prendre au sens large. Selon leur spécialité, ils ­invoquent le dérèglement du système éducatif, le recul du livre, l’omniprésence des écrans, la crise de l’Etat-providence et la souffrance des dispositifs de santé publique, ou encore l’influence des perturbateurs endocriniens sur le développement embryonnaire. Les autres privilégient des explications plus biologiques. Ils avancent l’existence d’un effet dit « dysgénique » (par opposition à eugénique), qui voudrait que les familles les moins intelligentes procréent davantage et fassent donc baisser le niveau.

      Le phénomène n’est pas nouveau, disent-ils, mais il a longtemps été masqué par les gains éducatifs de toute la population. Les mêmes voient une autre cause à cette chute : l’immigration. ­Arrivés de pays pauvres, moins éduqués, les ­migrants, puis leurs enfants, lesteraient les performances moyennes. Sujet sensible, voire inflammable. En 2016 et 2017, deux articles, l’un faisant la synthèse de la littérature existante, l’autre analysant les données de treize pays, avaient successivement appuyé cette seconde thèse.

      Trente années de tests cognitifs

      Une équipe norvégienne vient, elle, de relancer la première. Dans un article publié dans les comptes rendus de l’Académie des sciences américaines (PNAS), lundi 11 juin, Bernt Brastberg et Ole Rogeberg affirment de façon catégorique que la baisse du quotient intellectuel présente une « origine environnementale ». Les deux économistes du centre Ragnar Frisch de l’université d’Oslo ont analysé trente années de tests cognitifs des jeunes conscrits norvégiens, de la génération née en 1962 à celle de 1991 (derniers enrôlés dans un service militaire obligatoire). Surtout, ils ont comparé l’évolution au sein même des fratries, de manière à écarter tout effet dysgénique ou migratoire. Leur constat est formel : l’évolution au sein des fratries reproduit avec une étonnante fidélité celle de l’ensemble de la population.

      Le choix de la Norvège n’est pas anecdotique. C’est là qu’en 2004, pour la première fois, a été observée ce que les spécialistes ont appelé « l’inversion de l’effet Flynn ». Portant le nom de son découvreur, le Néo-Zélandais James Flynn, cet effet voulait que, partout dans le monde, le QI suivît une courbe croissante. Les données rassemblées dans les années 1980 par le chercheur de l’université d’Otago, couvrant l’essentiel du XXe siècle dans plusieurs pays, conféraient à son constat une valeur de principe. Amélioration de la scolarisation, du niveau d’études, des conditions sanitaires, de la nature des tâches professionnelles : les causes semblaient elles aussi faire consensus.

      En 2004, pourtant, Jon Martin Sundet et ses ­collègues de l’université d’Oslo constataient une inversion de la courbe à partir de 1995. Une observation confirmée au cours des années suivantes dans une dizaine de pays développés. Autant dire qu’aujourd’hui, plus personne ne s’intéresse au fait que nos parents étaient plus intelligents que nos grands-parents. La question serait plutôt : « Demain, tous crétins ? », pour reprendre le titre d’un documentaire de Sylvie Gilman et Thierry de Lestrade, diffusé en novembre 2017, sur Arte. Et de s’interroger sur les causes de ce qui ressemble bien à une débâcle.

      https://www.youtube.com/watch?v=WWNARPyruoQ

      Les chiffres avancés par les chercheurs norvégiens ne sont pas bien rassurants. De la génération 1962 à celle de 1975, le gain en QI a été de 0,20 point par an, en moyenne. De 1975 à 1991, la chute enregistrée atteint 0,33 point. Et les différentes études conduites depuis trois ans concluent à une accélération du phénomène. L’article publié dans PNAS n’entre pas dans le détail des causes envisagées. En revanche, elles sont bien liées aux conditions de vie extérieures et non à la nature intrinsèque des personnes testées.

      Pour s’en convaincre, l’équipe s’est focalisée sur les familles d’au moins deux garçons – soit quelque 237 000 individus – et a comparé deux jeux de données. Le premier observe l’évolution du QI moyen des aînés. « Il reflète donc les différences entre les familles – les gènes des parents, les conditions sociales, le style éducatif – et les évolutions environnementales susceptibles d’affecter les ­enfants », précise Ole Rogeberg. La deuxième ­série de données compare les performances ­entre les frères. « Cette fois, toute différence ­traduit un effet strictement environnemental puisque les parents sont identiques, poursuit le chercheur norvégien. On exclut même ce qui perdure dans les familles, par exemple une éducation autoritaire ou un climat chaotique. »

      Comparaison

      La comparaison a ensuite rendu son verdict. Pendant la phase croissante, l’indice « intrafamilial » a augmenté de 0,18 point par an (contre 0,20 pour l’ensemble). A l’inverse, à partir de la génération 1975, le retournement de l’effet Flynn a provoqué une baisse de 0,34 point par an à ­l’intérieur des familles (contre 0,33 pour l’ensemble). On le comprend : une telle proximité ne laisse guère de place aux tenants des explications dysgéniques ou migratoires.

      Figure de proue de ces derniers, l’anthropologue britannique Ed Dutton (université d’Oulu, Finlande) rejette ces conclusions. Pour lui, l’étude est entachée d’erreurs méthodiques. A commencer par la sélection de foyers d’au moins deux garçons. « C’est stupide, tranche-t-il. Ça revient à surreprésenter les familles modestes, surtout à mesure que les années passent. » L’équipe norvégienne balaie l’objection : elle a en effet vérifié que, dans son échantillon, les parents présentaient en moyenne les mêmes ­revenus et le même niveau éducatif que la population en ­général. Autre critique de Dutton : « Pour observer un effet migratoire, la Norvège n’est aucunement représentative, c’est évident. »

      Son collègue Michael Woodley, de l’Université libre de Bruxelles, lui aussi tenant de la thèse dysgénique, juge au contraire l’étude « bien ­conduite et approfondie ». Il estime toutefois que « les auteurs ont eu tort de généraliser leurs résultats aux autres pays ». Dans un article publié en 2017, le chercheur a examiné 66 études ­conduites dans 13 pays. Il conclut d’une part que la chute du QI s’accélère, d’autre part que, selon les pays, l’ampleur du déclin « croît avec la proportion d’immigrés ».

      Ole Rogeberg appuie la première observation. Pas la seconde. « L’influence directe du score des immigrés sur la moyenne est écartée par notre étude », assure-t-il : la baisse de QI est visible au sein même des fratries norvégiennes. En revanche, « l’effet indirect, qui voudrait que la présence d’immigrés ait une influence sur les performances des autres – par exemple en réduisant la qualité de l’éducation –, même s’il me laisse sceptique, nous ne pouvons pas formellement l’écarter. » Longue vie à la controverse !

    • On l’ajoute à la troisième compilation :
      https://seenthis.net/messages/680147

      Demain, tous crétins ? Une revue de presse sur seenthis :

      Perturbateurs endocriniens : une menace pour notre QI
      Barbara Demeneix, Le Journal du CNRS, le 6 octobre 2016
      https://seenthis.net/messages/531055

      Tous pris pour des crétins devant Arte
      Martin Clavey, Sound of Science, le 11 novembre 2017
      https://seenthis.net/messages/647278

      Le quotient intellectuel baisse année après année
      Soulas, Urtikan, le 14 novembre 2017
      https://seenthis.net/messages/647278

      Notre QI est-il vraiment en train de baisser ?
      Pauline Moullot, Libération, le 22 novembre 2017
      https://seenthis.net/messages/647278

      Une alerte sans précédent pour la planète
      Philippe Testard-Vaillant, Le Journal du CNRS, le 22 novembre 2017
      https://seenthis.net/messages/646679

      QI des Européens ; Demain, tous crédules ?
      Christophe de la Roche Saint André
      https://seenthis.net/messages/647278

      Demain, tous crétins ? Ou pas…
      Franck Ramus et Ghislaine Labouret, Cerveau et Psycho, le 15 mai 2018
      https://seenthis.net/messages/701497

      #effondrement #collapsologie #catastrophe #fin_du_monde #it_has_begun #Anthropocène #capitalocène
      #perturbateurs_endocriniens #pollution #documentaire #santé #QI #Intelligence #hormones

    • Je suis certaine que la pollution a une grande influence. Pendant mes études, je vivais à Paris et rentrait en avion au bled pour les vacances. La transition entre les deux était violente, surtout au niveau de la qualité de l’air. J’avais des migraines terribles et handicapantes, le temps de me réhabituer à l’air de la capitale et la surstimulation permanente de la vie parisienne nuisait manifestement à mes capacités de concentration, d’apprentissage, de réflexion. C’était flagrant.
      L’arrivée en cambrousse me faisait dormir 24h d’affilée. Le rythme de vie était remarquablement plus calme et le temps de me remettre, je voyais bien que je carburais plus et mieux.

      Le QI, c’est de la merde, on est bien d’accord, mais l’état de santé général, les aptitudes et performances sont des choses mesurables et sensibles. Je ne pense pas que les gens deviennent plus cons (le type de compétences et d’aptitudes mesurées par le test ont tendance à changer socialement dans le temps et par génération, ce sont des choses à prendre en compte).
      Par contre les conditions de vie de milieu urbain (gros temps de transport, grosses fatigues, surmenage, bruit permanent, etc.) ont tendance à diminuer les capacités cognitives. Mais je pense que c’est un phénomène aussi social (de moins bonnes conditions de vies, plus de stress, des nutriments et des logements de moins bonne qualité…).

  • Sur Pluton, il y a des dunes de glace
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/06/05/sur-l-etendue-gelee-de-pluton-aussi-il-y-a-des-dunes_5309639_1650684.html

    Un «  processus plutonien  » permet aux faibles vents de déplacer des grains de méthane en suspension dans de l’azote sublimé.

    Ce n’est pas le Sahara. C’est même exactement le ­contraire. Pas de sable ici ni de chaleur accablante puisque la température de la plaine Spoutnik, essentiellement constituée de glace d’azote, s’élève à 235 degrés en dessous de zéro. Bienvenue sur Pluton… Nous sommes bien loin de la Terre et pourtant, ainsi que vient de le révéler une étude internationale publiée dans Science du 1er juin, une partie de cette vaste étendue gelée est recouverte par des dunes, comme au Sahara.

    Cette trouvaille est née de l’analyse des données et clichés ­envoyés par la sonde américaine New Horizons, lors de son survol de la planète naine en juillet 2015. « Quand nous avons vu pour la ­première fois les images de New Horizons, nous avons instantanément pensé qu’il s’agissait de dunes, raconte la planétologue américaine Jani Radebaugh, de l’université Brigham Young (Provo, Utah), qui a cosigné l’étude. Mais c’était vraiment surprenant parce que nous savons qu’il n’y a pas grand-chose comme atmosphère » sur Pluton. Car qui dit dunes dit déplacement des grains qui les composent par la voie des airs. Or, sur la planète naine, les airs sont quasi inexistants et la pression atmosphérique est 100 000 fois plus faible que sur la Terre. En guise de vents, on n’a que de légères brises.

    • La publication dans Science (article accessibles, avec des photos fascinantes…)

      Dunes on Pluto | Science
      http://science.sciencemag.org/content/360/6392/992.full

      Methane ice dunes on Pluto
      Wind-blown sand or ice dunes are known on Earth, Mars, Venus, Titan, and comet 67P/Churyumov-Gerasimenko. Telfer et al. used images taken by the New Horizons spacecraft to identify dunes in the Sputnik Planitia region on Pluto (see the Perspective by Hayes). Modeling shows that these dunes could be formed by sand-sized grains of solid methane ice transported in typical Pluto winds. The methane grains could have been lofted into the atmosphere by the melting of surrounding nitrogen ice or blown down from nearby mountains. Understanding how dunes form under Pluto conditions will help with interpreting similar features found elsewhere in the solar system.

      Abstract
      The surface of Pluto is more geologically diverse and dynamic than had been expected, but the role of its tenuous atmosphere in shaping the landscape remains unclear. We describe observations from the New Horizons spacecraft of regularly spaced, linear ridges whose morphology, distribution, and orientation are consistent with being transverse dunes. These are located close to mountainous regions and are orthogonal to nearby wind streaks. We demonstrate that the wavelength of the dunes (~0.4 to 1 kilometer) is best explained by the deposition of sand-sized (~200 to ~300 micrometer) particles of methane ice in moderate winds (<10 meters per second). The undisturbed morphology of the dunes, and relationships with the underlying convective glacial ice, imply that the dunes have formed in the very recent geological past.


      Fig. 1
      New Horizons flyby imagery of landforms attributed to eolian origins.
      All images are unrectified, and thus all scales are approximate. Color-composite MVIC images are shown here for context; dune identification was performed on grayscale LORRI images (shown below).
      (A) Overview of Pluto centered on ~25° latitude, ~165° longitude, showing the locations of images (B) and (E) and Fig. 3A and fig. S3.
      (B) The spatial context for SP and the AIM mountains to the west.
      Insets (C) and (D) show details of the highly regular spatial patterning, which we attribute to eolian dune formation, and two newly identified wind streaks (arrows x), along the margins of the SP/AIM border. Here the dunes show characteristic bifurcations (arrows y) and a superposition with SP’s polygonal patterning (arrow z), suggesting a youthful age for these features.
      (E) Two further wind streaks on the surface (x’), downwind of the Coleta de Dados Colles. These wind streaks, farther from the SP/AIM margin, are oriented differently than those close to the icefield’s edge and are still roughly orthogonal to the dunes there.

  • Traquer la biodiversité grâce à l’ADN

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/05/28/traquer-la-biodiversite-grace-a-l-adn_5305949_1650684.html

    Détecter des espèces discrètes, voire invisibles, c’est aujourd’hui possible, grâce à l’ADN présent dans l’environnement. Une technique qui révolutionne les études naturalistes et les comptages écologiques, dans tous les milieux où la vie se cache.

    Le protocole est souple comme une porte de prison. Onze points, de quoi couvrir le corps d’un scientifique de la pointe des surchaussures au sommet de la charlotte, avec combinaison stérile, masque et double paire de gants, le tout à usage unique. L’entrée dans le laboratoire s’effectue par un sas, maintenu en surpression pour repousser les impuretés. Tout objet extérieur doit rester dehors. « Même le calepin », a précisé Tony Dejean. Le maître des lieux explique : « Chaque détail compte, la moindre contamination fausserait tous les résultats. Ici, c’est un peu Les Experts Miami, sauf qu’on ne s’intéresse pas aux hommes. Nous sommes la police scientifique de l’environnement. »

    Spygen, la start-up qu’il a créée en 2011 au Bourget-du-Lac (Savoie), s’est en effet fixé pour mission d’« améliorer le suivi et la conservation de la biodiversité à l’échelle mondiale ». Pas en envoyant des enquêteurs aux quatre coins du monde observer les espèces en voie d’extinction, mais en traquant leur présence dans les sols, sédiments, matières fécales ou simplement dans l’eau recueillie sur place.

    Ce champ de la recherche, qui s’apprête à bouleverser notre mode d’observation de la nature, et par là sa connaissance, a un nom : ADN environnemental. Balbutiant il y a encore cinq ans, il connaît une véritable explosion avec quelque 170 articles publiés au cours des cinq premiers mois de 2018 contre 20 pour toute l’année 2013.

    Le 2 mai, par exemple, des scientifiques français décrivaient dans la revue Science Advances la mise en évidence du « code-barres » de requins supposés disparus dans l’eau de mer au large de la Nouvelle-Calédonie. Quelques mois plus tôt, des Américains établissaient la présence d’une faune inconnue autour d’Anvers Island, dans l’Antarctique. Dans tous les milieux, mammifères, amphibiens, poissons, oiseaux, plantes ou champignons livrent leurs secrets. « C’est assez vertigineux, commente, admiratif, Claude Miaud, écologue à l’Ecole pratique des hautes études, à Montpellier. On peine à voir les limites de cette méthode. »


    La découverte d’ADN ancien dans le permafrost, comme ici dans le nord du Canada, a ouvert la voie à la recherche de traces génétiques d’espèces dans tous les milieux.

    Petits bouts de génome

    Comme dans les enquêtes criminelles, le défi consiste à relever des traces génétiques là où personne n’imaginerait les dénicher. Sauf qu’en l’espèce, ce ne sont pas les cellules vivantes d’une plante ou d’un animal, susceptible d’apporter son code génétique complet, que l’on cherche. « Ce serait trop facile », ironise le chercheur Danois Eske Willerslev.

    Ou trop difficile : comment, en effet, retrouver une cellule vivante hors la présence de son hôte ? Non, en réalité, c’est l’ADN lui-même, ou plutôt des portions d’ADN, que les chasseurs d’informations vont débusquer. De petits fragments issus des mitochondries ou du chloroplaste (pour les plantes) qui, après la mort d’une cellule et sa désintégration, viennent se lier à de la matière organique ou minérale trouvée dans son environnement. Ainsi protégés, les petits bouts de génome gardent leur secret à peu près intact pendant plusieurs jours (dans l’eau) ou plusieurs… millénaires.

    C’est, du reste, la quête d’ADN ancien qui a conduit celui qui n’était encore qu’un étudiant en paléontologie de l’université de Copenhague à ouvrir cette nouvelle fenêtre sur le vivant au début des années 2000. Pour sa maîtrise, le jeune homme avait étudié l’ADN de cellules de champignons et d’algues conservées dans des carottes glaciaires. Il raconte :

    « Je devais trouver un sujet de thèse. Je voulais travailler sur l’ADN ancien mais les squelettes n’étaient pas accessibles. C’était l’automne. Je me souviens avoir regardé par la fenêtre les feuilles tomber et en même temps avoir vu un chien faire ses besoins. Tout ça allait disparaître, emporté par l’eau et le vent, mais est-ce que l’ADN pouvait rester dans le sol ? Quand j’en ai parlé à mon superviseur, toute la cafétéria a rigolé et lui m’a dit qu’il n’avait jamais rien entendu d’aussi stupide. Mais avec mon collègue Anders Hansen, on a voulu essayer. On s’est dit que si un milieu pouvait conserver des biomolécules, ce devait être le permafrost, ce sol gelé en profondeur depuis des milliers d’années. J’ai contacté un scientifique russe qui faisait des forages en Sibérie. Il a donné son accord.

    Ça n’a pas tout de suite marché. On faisait des choses trop compliquées. Finalement, on a pris 2 grammes de permafrost, on a extrait ce que nous trouvions comme matériel génétique, avons amplifié les séquences susceptibles de provenir de mammifères ou de plantes et les avons clonées dans une bactérie. C’était la méthode disponible à l’époque. Ensuite, nous avons séquencé ces portions insérées. Les premières séquences sont sorties le jour de Noël. J’étais seul au labo. J’ai comparé ça aux séquences disponibles dans les banques de gènes. Il y avait un mammouth laineux, un renne, un bison, un lemming et diverses plantes. C’était incroyable ! Avec 2 grammes de sol, on pouvait retrouver toute la communauté biologique même en l’absence de fossiles. Je savais qu’on avait trouvé un truc important. »

    L’article paraît en mai 2003 dans la revue Science. Eske Willerslev a assis sa découverte avec l’analyse d’échantillons de sols tempérés, dans des grottes en Nouvelle-Zélande. Il y a retrouvé de l’ADN de moas, ces oiseaux géants disparus depuis plusieurs siècles de l’île du Pacifique sud. Enfin, il a ajouté l’analyse de terres « contemporaines » et a mis en évidence l’ADN de plusieurs végétaux actuels. Pour le scientifique danois, c’est le début d’une carrière fulgurante, qui en fera l’une des stars mondiales de la paléogénétique, professeur à Copenhague et à Cambridge. Pour l’ADN environnemental, un véritable acte de naissance.

    Une échelle macroscopique

    L’expression traînait dans les articles scientifiques depuis la fin des années 1980. Elle désignait alors une façon de détecter la présence de bactéries et d’autres micro-organismes dans des milieux naturels. Désormais, c’est d’une tout autre échelle qu’il s’agit, macroscopique. Willerslev court les colloques présenter sa découverte. De nombreux scientifiques doutent. Tant d’informations tirées de fragments si petits et si vieux, est-ce bien possible ? Quelques-uns veulent y croire. Lors d’une session à Bordeaux, un biologiste français le prend à partie. « Il a été assez critique, raconte Willerslev. Il m’a dit que le sujet avait un grand potentiel pour l’étude de la biodiversité mais que ma méthode était approximative, qu’on pouvait faire beaucoup mieux… »


    Echantillon prélevé dans une rivière en Ardèche, dont on extrait ensuite l’ADN environnemental en laboratoire.

    La grande gueule s’appelle Pierre Taberlet. Professeur de sciences naturelles au lycée pendant dix ans, il est entré au CNRS en 2004 pour travailler sur les méthodes non invasives de détection de la faune sauvage. Il a ainsi commencé par mettre en évidence l’ADN mitochondrial de l’ours des Pyrénées dans des poils et des fèces retrouvés sur place. Et a poursuivi avec quelques autres bêtes, plus ou moins rares.

    Au laboratoire d’écologie alpine (LECA) de Grenoble, qu’il a fondé, trouver les bons marqueurs pour caractériser une espèce est devenu une spécialité locale. « Nous avons commencé une collaboration, poursuit Willerslev. Effectivement, Pierre pouvait faire mieux. Il a développé les méthodes, les a appliquées aux milieux d’eau douce, leur a donné des noms. Environmental DNA pour caractériser tout ce champ, c’est lui. Metabarcoding pour la recherche de plusieurs espèces simultanément, lui aussi. Bon sur le terrain, excellent biologiste moléculaire, très fort en bio-informatique, imaginatif, capable de diriger une collaboration internationale… Je ne sais pas si vous mesurez la chance que vous avez, en France, d’avoir une pépite pareille. »

    Agé de 64 ans, ladite pépite s’apprête à prendre sa retraite. En dix ans, il a largement contribué à faire de cette technique marginale un outil essentiel de la biodiversité, créant les équipes, formant les jeunes chercheurs, décrochant les subventions européennes. « C’est sûr qu’au départ, on ne nous prenait pas tellement au sérieux. On a un peu changé d’image », avance-t-il. Il a ainsi fait du LECA la première plate-forme spécialisée en ADN environnemental au monde. Surtout, il a multiplié preuves de concept et applications. Avec l’apparition en 2005 des premiers séquenceurs dits de « nouvelle génération », il saute la phase de clonage et décrypte directement l’ADN. « Ça a fait gagner beaucoup de temps et de fiabilité et permis de multiplier les applications », explique-t-il.

    « Ce qui paraissait hors de portée devient possible »

    En 2008, il commence par l’eau douce. Avec son collègue écologue Claude Miaud, alors au LECA, il retrouve l’ADN de la grenouille taureau dans plusieurs mares où l’amphibien invasif a déjà été repéré. « Le résultat m’a stupéfait… A l’inverse, il n’y avait rien là où la grenouille n’avait jamais été vue, se souvient Claude Miaud, aujourd’hui directeur d’études à l’Ecole pratique des hautes études, à Montpellier. On n’avait pas de faux positifs. » Quatre ans plus tard, un nouvel article mettra en évidence la supériorité de l’ADN environnemental sur le suivi classique. Là où une première observation avait repéré l’envahisseur dans sept mares du Périgord Limousin, l’analyse génétique retrouve sa trace dans 37 points d’eau. Une vérification attentive donnera raison à l’ADN.


    Echantillon prélevé dans une mare, dont on extrait ensuite l’ADN environnemental en laboratoire.

    En 2009, Taberlet et son équipe passent aux régimes alimentaires. Il analyse ainsi les excréments de marmottes, d’ours bruns, de grands tétras, d’escargots et de sauterelles recueillis au Pakistan et en France. Ce n’est plus une espèce qu’il traque mais tous les végétaux. A cette échelle, il parvient à détailler l’ensemble des familles concernées. « C’était tellement surprenant que la première revue à qui nous l’avons proposé a refusé l’article, et la seconde l’a gardé des mois avant de répondre », sourit Pierre Taberlet. Aujourd’hui, la publication fait référence et, des léopards des neiges aux tortues marines, la méthode offre un point de vue unique sur la chaîne alimentaire.

    Des herbivores aux carnivores, de l’eau à la terre, des forêts aux montagnes, l’équipe grenobloise, souvent en collaboration avec d’autres scientifiques, écume les terrains. Avec toujours ce même résultat : « La méthode est efficace, presque toujours supérieure aux observations directes. Surtout quand le terrain est difficile d’accès », résume Tony Dejean, le patron de Spygen, comme beaucoup formé au LECA.

    Les travaux conduits en Guyane par Sébastien Brosse, de l’université de Toulouse, en offrent un exemple parfait. « Ici, la diversité est immense, explique-t-il : 400 espèces de poissons d’eau douce contre 80 pour toute la métropole. L’eau est souvent trouble, donc on les voit mal. Elle est très peu minéralisée, donc peu conductrice, ce qui rend impossible l’usage de la pêche électrique. Longtemps, on a utilisé un pesticide, la Roténone, mais ça n’étourdissait pas les poissons, ça les tuait et on polluait les rivières, c’est aujourd’hui interdit. L’arrivée de l’ADN environnemental a changé notre perspective. Ce qui paraissait hors de portée, à savoir réaliser un inventaire complet, devient désormais possible. »

    Accélération des inventaires

    A une tout autre échelle, Claude Miaud a lui aussi fait ses comptes : « On considère que 86 % des espèces existantes sur la Terre et 91 % des espèces dans l’océan attendent toujours leur description. Au rythme actuel de découverte, cela nécessiterait quatre cent quatre-vingts années pour finir le travail. »

    Avec l’ADN environnemental, tout s’accélère. En quelques mois de prélèvements, des scientifiques ont ainsi retrouvé dans le bassin du Rhône l’équivalent de dix années de pêches scientifiques. Dans l’Arctique, une équipe franco-norvégienne a relevé du matériel génétique d’ours polaire dans de simples traces laissées dans la neige. A l’autre bout du monde, d’autres chercheurs ont confirmé la présence du poisson-chat géant dans le Mekong, au Laos, ou encore du muntjak de Truong Son dans les forêts vietnamiennes. De ce petit cervidé, on ne connaissait jusqu’ici que quelques squelettes, découverts en 1997, et de furtives images captées par des caméras infrarouges. Pour pister l’animal, les collaborateurs d’Eske Willerslev ont ramassé de grandes quantités de sangsues, les ont broyées et ont analysé la pâte. Et l’ADN a parlé : au milieu des lapins, blaireaux et saros de Chine est apparu le code-barres du rarissime mammifère.

    Les services de gestion de l’environnement ont compris tout le parti qu’ils pouvaient tirer de cette révolution. En octobre 2017, l’Agence française pour la biodiversité a ainsi organisé la première journée d’études sur l’ADN environnemental. « On doit se préparer à un déploiement à large échelle, souligne Nicolas Poulet, chargé de mission à l’agence. En termes de rapport coût/bénéfice, c’est un candidat sérieux. Une pêche électrique ou une campagne de surveillance, c’est très lourd. Là, avec deux personnes sur le terrain, vous abattez un travail considérable et obtenez des résultats très rapides. Pour les invasions biologiques, où il faut réagir vite, c’est essentiel. »

    Des start-up se lancent. Sur la base Technolac, au Bourget-du-Lac, deux anciennes de Spygen on ainsi créé leur propre entreprise, Argaly. Suivi de la faune autour de Tchernobyl, analyse du régime alimentaire d’oiseaux suisses ou de sols agricoles dans le cadre de la lutte contre les ravageurs mais aussi programme de formation de chercheurs : « En six mois, nous avons déjà obtenu plusieurs contrats, souligne Eva Bellemain. La demande est très importante. »


    Extraction d’ADN environnemental au sein du laboratoire de Spygen, au Bourget-du-Lac (Savoie).

    La panacée ?

    Inventorier la biodiversité, prévenir les invasions biologiques, suivre les comportements alimentaires, détecter des espèces rares – voire inconnues, comme s’apprête à le faire une poignée de chercheurs dans le Loch Ness – le tout par des méthodes non invasives… L’extension du domaine de l’ADN environnemental semble sans limite.

    Philip Thomsen, un ancien étudiant d’Eske Willerslev, aujourd’hui professeur associé à l’université d’Aarus, est même parvenu à tirer de traces d’ADN de requin-baleine des informations quantitatives sur l’abondance de population du géant des mers. Dans la même étude, publiée en 2016 dans Plos One, le chercheur danois a également mis en évidence, grâce à de grands fragments d’ADN, ce que les généticiens nomment des haplotypes, des ensembles de gènes permettant d’identifier des sous-groupes à l’intérieur d’une espèce. « Bientôt, nous pourrons faire de la génétique des populations sans prélever le moindre animal », s’enthousiasme Claude Miaud.

    La panacée, donc ? Tony Dejean met en garde. Lui qui, pour sa start-up, brevète dispositifs de prélèvements et d’analyse (filtres, drones aquatiques), et rêve d’une « industrialisation » de la méthode, en connaît les limites : « A tous les niveaux, il y a des risques car on manie de l’ADN rare. Contamination lors des prélèvements, erreurs dans l’amplification des fragments ou lors de l’analyse bio-informatique. Sans compter que les bases de référence de l’ADN restent incomplètes. Or, comme pour une empreinte génétique en police scientifique, pour identifier une trace, il faut qu’elle soit répertoriée quelque part. »

    Pierre Taberlet va plus loin. « Le marché qui se développe et l’emballement actuel qui en découle conduisent beaucoup de gens à faire n’importe quoi », souligne le pionnier. Dans ses conférences, le biologiste aime évoquer une étude publiée dans la prestigieuse revue Nature Communications. « Un modèle de ce qu’il ne faut pas faire… Dans un litre d’eau d’un torrent suisse, les auteurs retrouvaient toute la biodiversité du bassin versant. Ils avaient aussi détecté du crabe, de la méduse, des poissons marins mais ils ont simplement écarté ces données sans remettre en cause leur protocole. »

    D’autres redoutent la mainmise de la biologie moléculaire sur l’étude de la nature. Pourquoi, en effet, lancer des spécialistes pendant des mois sur le terrain si l’ADN environnemental peut déterminer la répartition d’une espèce, ses zones de reproduction, son régime alimentaire, bientôt sa filiation ? « C’est absurde, rassure l’écologue Claude Miaud. Les enregistreurs d’ultrasons n’ont pas tué les spécialistes des chauves-souris, ils les ont aidés. Ça sera pareil pour nous : nous aurons plus de données et plus de temps pour répondre à des questions encore plus intéressantes. » Après Les Experts, le retour de Sherlock Holmes.

  • Contre les « fake news », éduquer à la démarche scientifique

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/05/27/contre-les-fake-news-eduquer-a-la-demarche-scientifique_5305389_1650684.html

    Autocritique, transparence, autocorrection : ce qui fait la force de la science la rend vulnérable aux « marchands de doute », explique le président du comité d’éthique du CNRS.

    Jean-Gabriel Ganascia, professeur d’informatique à Sorbonne Université, préside le comité d’éthique du CNRS. Dernier ouvrage paru : Le Mythe de la singularité. Faut-il craindre l’intelligence artificielle ? (Seuil, 2017).

    Pourquoi les « fake news » – terme auquel vous préférez le néologisme français « infox » –, mettent-elles la science en danger ?

    Les « infox » augmentent la défiance du grand public vis-à-vis de la science dans la mesure où elles remettent en cause un certain nombre de résultats de la recherche. Celle-ci a toujours été un terrain de prédilection pour les « marchands de doute » – lobbys industriels, religieux ou idéologiques. Dans le domaine des OGM, du réchauffement climatique, de la théorie de l’évolution ou de la vaccination, les faits sont régulièrement distordus pour promouvoir une cause. Ce qui est nouveau, c’est que ces « infox » colportées par les réseaux sociaux sont désormais fabriquées et diffusées à une échelle qui n’a plus rien d’artisanal.

    La situation est d’autant plus complexe que la science, par nature, se nourrit de défiance. Elle ne repose pas sur la confiance dans les intuitions immédiates que nous donnent les sens : elle essaie, au-delà de son doute, de retrouver des formes d’assurance avec des méthodes de preuve. Une controverse scientifique part d’un désaccord entre des chercheurs de bonne foi, mus par la volonté de parvenir à la vérité, qui s’y efforcent par des débats contradictoires, en utilisant des arguments rationnels et des preuves rigoureuses.

    « LE BON DOUTE EST INQUIET, DÉFEND DES THÈSES TOUT EN RESTANT OUVERT AUX ARGUMENTS DE L’AUTRE. LE MAUVAIS DOUTE NE DOUTE PAS DE LUI-MÊME, NE SUPPORTE AUCUNE CONTRADICTION ET N’EST PAS ÉTAYÉ PAR DES FAITS »

    C’est paradoxalement cette force de la science – l’autocritique, la transparence, l’autocorrection – qui prête le flanc aux vérités « alternatives ». Mobilisées pour alimenter de fausses controverses, elles allèguent de faits douteux et ne laissent pas de place pour le débat de bonne foi. C’est toute la différence entre le « bon doute » et le « mauvais doute ». Le bon doute est un doute inquiet, qui défend des thèses tout en restant ouvert aux arguments de l’autre. Le mauvais doute est un doute qui ne doute pas de lui-même, qui ne supporte aucune contradiction et qui n’est pas étayé par des faits.

    Le comité d’éthique du CNRS, que vous présidez, vient de produire un avis sur ce nouveau régime de « post-vérité ». Quelles responsabilités crée-t-il pour les chercheurs ?

    Pour aider les citoyens à prendre des décisions collectives sur des questions importantes, il faut porter à leur connaissance un certain nombre de conclusions de la recherche. Le fact-checking tel que le proposent aujourd’hui les grands médias est évidemment nécessaire, mais son efficacité reste limitée : l’expérience montre qu’une fois une nouvelle diffusée, le mal est fait, même si l’on démontre qu’elle est fausse. Il ne faut pas oublier par ailleurs que ces « infox » sont encouragées par le système économique. Les grands acteurs d’Internet rétribuant les informations en fonction du nombre de clics, les plus étonnantes sont toujours les plus rentables. Pour prendre le mal à la source, il faudrait donc amener les acteurs d’Internet à changer leur modèle économique.

    Comment, dans ce contexte, endiguer le « mauvais doute », qui a des conséquences délétères en matière de politiques publiques ou de comportements individuels ? Il faut essayer de communiquer le mieux possible avec un public le plus large possible, en utilisant toutes les voies de médiation, y compris les sciences participatives. Il faut également une meilleure éducation à la démarche scientifique – en enseignant l’épistémologie, par exemple, dès le secondaire. L’histoire des sciences permet en effet de valoriser le « bon » doute. Elle montre que la vérité ne s’impose pas toute seule.

    Que pensez-vous de la loi en préparation, qui propose une procédure judiciaire d’urgence pour les élections lorsqu’il est avéré qu’une fausse nouvelle de nature à altérer la sincérité du scrutin est diffusée de manière massive ?

    La liberté d’expression est une valeur essentielle, et je crains beaucoup une loi qui la restreindrait. Mais la diffusion massive de « fake news » est susceptible de provoquer un obscurcissement de l’attention tel que peuvent venir à manquer les capacités cognitives permettant de discerner le vrai du faux. Il me semble donc important de pouvoir identifier précisément ces stratégies d’obscurcissement de l’information et les arrêter lorsqu’elles visent véritablement à fausser les choix démocratiques à des moments-clés. Si la loi arrive à mettre ce garde-fou en place de façon claire, je pense qu’il faut la soutenir.

  • Hervé Maisonneuve, chasseur de fraudes scientifiques

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/05/20/herve-maisonneuve-chasseur-de-fraudes-scientifiques_5302045_1650684.html?xtm

    Médecin de formation, Hervé Maisonneuve est devenu l’un des rares spécialistes français de l’intégrité scientifique. Inlassable promoteur des bonnes pratiques, il dénonce des cas de tricherie dans la recherche, pour faire réagir les institutions.

    « Avez-vous des informations ? » « Quel est votre avis ? »… Très régulièrement, le docteur Hervé ­Maisonneuve interpelle les lecteurs de son blog sur des cas de plagiats, embellissements de données et autres fraudes. En dix ans d’existence, ce site sobrement intitulé « Rédaction médicale et scientifique » est devenu une source incontournable pour qui s’intéresse au milieu de la recherche et des publications, et à leurs bonnes ou moins reluisantes pratiques.

    Il faut dire que ce médecin atypique, bien informé par ses réseaux tissés depuis des décennies dans le milieu de l’édition scientifique internationale, et doté d’un regard d’aigle, n’hésite pas à lâcher de petites bombes. A bousculer les institutions sur des dossiers qu’elles préféreraient garder sous le boisseau.

    Dans un de ses derniers billets, daté du 7 mai, Hervé Maisonneuve s’émeut ainsi du cas d’un enseignant-chercheur de l’université Lyon-I, épinglé pour tricherie sur son CV (mensonges concernant plusieurs publications et brevets) et sanctionné par un simple blâme. « Omerta, protection de collègues, l’université semble très complaisante, car je considère que ce sont des fautes graves », accuse le médecin blogueur. Un exemple parmi bien d’autres de son inlassable combat pour lever les tabous sur les mauvaises pratiques et promouvoir l’intégrité de la recherche.

    Ses premières publications sur ces sujets datent de 1996. Il vient alors d’être élu président de l’Association européenne des rédacteurs scientifiques (EASE), poste qu’il occupera pendant trois ans. Dans une lettre au British Medical Journal, le docteur Maisonneuve regrette que les cas d’inconduite scientifique en France ne soient pas rapportés dans des revues biomédicales. Cette même année 1996, dans la Revue de médecine interne, il appelle à la prévention par la mise en place de bonnes pratiques cliniques et de laboratoire. « Les audits et les inspections sont nécessaires pour prévenir la fraude », insiste-t-il.

    Franche provocation

    Vingt ans plus tard, il s’avoue parfois ­ « déprimé par les rares progrès de l’intégrité scientifique », mais poursuit vaillamment sa mission d’information sur son blog. Il le reconnaît aisément, il est plus facile d’attirer l’attention avec des histoires de dysfonctionnements qu’avec des articles didactiques expliquant comment rédiger un article scientifique ou des initiatives innovantes pour améliorer l’évaluation des chercheurs.

    « Je suis un peu ambigu, concède Hervé Maisonneuve. Je voudrais davantage diffuser des messages positifs mais personne ne les lit, alors que, en agressant un peu, vous suscitez des réactions. » Alors il agresse, titille, remet plusieurs fois sur le tapis les affaires qui le ­turlupinent, quitte à tomber parfois dans la franche provocation… Il assume.

    A 67 ans, après un parcours riche et quelque peu en zigzag, il s’est forgé une place originale dans ce secteur dont il connaît tous les rouages. Depuis son internat en médecine, il a fait partie de comités de rédaction de journaux français ou internationaux, a été relecteur ­ (reviewer) de revues telles le BMJ, The Lancet, le JAMA. Il est toujours actif dans les sociétés savantes de rédacteurs et les colloques.

    Mémoire d’éléphant des chiffres-clés de l’édition scientifique, intarissable sur ses petites et grandes histoires, le personnage sait capter son auditoire. Enseignant des techniques de rédaction médicale et scientifique depuis une trentaine d’années, c’est, depuis sa retraite officielle, en 2013, sa principale activité. Ses clients ? Des universités et hôpitaux, des agences sanitaires et l’industrie pharmaceutique.

    Que de virages depuis le début de sa vie professionnelle. Etudiant en médecine à Lyon dans les années 1970, puis assistant des hôpitaux dans un laboratoire de parasitologie, Hervé Maisonneuve semble parti pour une carrière universitaire. Il est pressenti pour remplacer son patron, infectiologue.

    Mais en 1983, alors qu’il va être nommé professeur, il claque la porte du CHU, en profond désaccord avec le système hospitalo-universitaire, trop figé pour lui. Il va alors participer à des programmes de recherche clinique pour l’industrie pharmaceutique.

    En 1993, nouveau changement de cap. Il est appelé à l’Agence nationale pour le développement de l’évaluation médicale (Andem) par son directeur, Yves Matillon, issu de la même promotion de médecine que lui. L’Andem, précurseuse de la Haute autorité de santé, est alors chargée par le gouvernement d’élaborer des recommandations de bonnes pratiques médicales, à partir de la littérature internationale et d’avis d’experts. L’enjeu est important car ces documents de référence vaudront obligation – ils seront opposables aux médecins libéraux.

    « Pédagogue hors pair »

    « Hervé Maisonneuve a géré pour nous toute l’approche scientifique, en contrôlant collectivement les conflits d’intérêts. C’était courageux et on peut dire qu’il a fait décoller l’expertise, avec un travail exceptionnel, très rigoureux », rapporte le professeur Matillon, qui confirme par ailleurs que M. Maisonneuve « a la fibre pour repérer les malversations scientifiques ». Le travail est titanesque mais, face à la fronde des syndicats, ces références médicales opposables (RMO) ne seront finalement pas appliquées.

    Pour le médecin, ces six années restent une bonne expérience, l’occasion d’une prise de conscience aussi. « Comme directeur de l’évaluation, j’ai pris conscience que, quand on n’est ni praticien hospitalo-universitaire ni énarque, on ne peut pas avoir de promotion dans le système », raconte-t-il, « sans amertume ». Après un séjour de deux ans à Cambridge, comme consultant, il s’occupe pendant quatre ans d’un programme de formation de chirurgiens avec le professeur Jacques Marescaux à Strasbourg. Puis reprend un poste dans un laboratoire, Pfizer, pour assurer des formations.

    A 59 ans, en 2009, il est contacté par le professeur Joël Ménard, ancien directeur général de la santé, qui prépare le plan Alzheimer 2008-2012. M. Maisonneuve se souvient comme si c’était hier de son audition. Ils sont dix candidats, dont neuf spécialistes de cette maladie neurodégénérative, et lui qui n’y connaît à peu près rien.

    Alors il joue une autre carte. « Je vais vous montrer comment je forme, dit-il au jury en leur distribuant un éditorial du New England Journal of Medicine sur le sujet avec des passages surlignés. Moi, ça me pose beaucoup de questions, qu’en pensez-vous ? » Pendant deux minutes, il y a un gros malaise, puis les universitaires se mettent à parler, et Hervé Maisonneuve anime la discussion. Il a emporté le morceau, ou plutôt le poste, partagé à mi-temps avec un autre candidat.

    « IL Y A À PEU PRÈS 10 000 DE CES FAUSSES REVUES CRÉÉES DE TOUTES PIÈCES PAR DES INFORMATICIENS INDIENS, ELLES PUBLIENT 500 000 ARTICLES PAR AN. »

    « On a formé chaque année une centaine d’étudiants. C’est un pédagogue hors pair, et il a des capacités d’organisation extraordinaires dont j’avais bien besoin », loue Joël Ménard, qui se dit ravi de la nomination de M. Maisonneuve comme professeur associé de santé publique. Il insiste sur son esprit (parfois trop) critique : « Sa sensibilité lui permet de voir les défauts de l’endroit où il est, mais on se demande si cet écorché vif ne prend pas parfois un peu trop plaisir à annoncer des mauvaises nouvelles. C’est un lanceur d’alertes lucide. »

    Depuis cinq ans, Hervé Maisonneuve s’attaque à un nouveau fléau de l’édition scientifique : les revues prédatrices. « Il y a à peu près 10 000 de ces fausses revues créées de toutes pièces par des informaticiens indiens, elles publient 500 000 articles par an », s’inquiète-t-il. Selon lui, ce sont pour beaucoup des chercheurs des pays en voie de développement qui se font piéger, séduits par des tarifs attractifs (3 à 10 fois plus bas que pour publier dans une revue classique). « Il existe aussi des cas en France. Certains universitaires y ont recours pour embellir leur CV, mais les institutions et jurys d’évaluation français ne sont pas conscients du problème », soupire-t-il. Un combat de plus à mener.

  • « Nous, qui développons des logiciels, sommes donc bien des auteurs »
    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2018/05/22/nous-qui-developpons-des-logiciels-sommes-donc-bien-des-auteurs_5302868_1650

    Dans une tribune adressée au « Monde », des informaticiens s’inquiètent des dangers du projet européen de réforme du droit d’auteur présenté à Bruxelles. Il constitue, selon eux, une menace pour les processus actuels de production «  open source  ».