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  • Assurance maladie du Morbihan : une offensive sur les fraudeurs rapporte 4,6 M€ | Le Télégramme
    https://www.letelegramme.fr/bretagne/assurance-maladie-du-morbihan-une-offensive-sur-les-fraudeurs-rapporte-
    L’article commence par la présentation du cas d’une salariée dont « l’arnaque » est qualifiée de « perle ».

    […]
    Cette arnaque est l’une des « perles » que l’équipe de contrôle de la CPAM a débusquées en 2023. Une année record dans le Morbihan : l’administration a détecté et stoppé un montant de fraudes de 4,6 M€, contre 2 M € en 2022. Dans le cas de cette assurée, la caisse a récupéré le montant total des IJ versées (12 500 €) et a prononcé une pénalité financière de 4 000 €.

    Portée par une réglementation qui se durcit, la caisse participe à l’offensive nationale contre les arnaques, qui, dans le Morbihan, émanent des assurés dans 63 % des cas. Un chiffre trompeur car ce sont de petits resquilleurs, qui représentent 10 % des sommes détournées.

    Portée par une réglementation qui se durcit, la caisse participe à l’offensive nationale contre les arnaques, qui, dans le Morbihan, émanent des assurés dans 63 % des cas. Un chiffre trompeur car ce sont de petits resquilleurs, qui représentent 10 % des sommes détournées.[…]

    Le gros des fraudes, 90 % des sommes, provient des professionnels, des fournisseurs de services et de matériel médical et des établissements de santé. Depuis trois ans, l’arnaque au 100 % santé a la cote. Des escrocs vendent des prothèses auditives défectueuses, ou fabriquent de fausses ordonnances, pour toucher le remboursement à 100 % de l’Assurance maladie.

    Et un nouveau type de fraude occupe également la caisse du Morbihan : les « kits » clé en main vendus en ligne, principalement pour de faux arrêts de travail. « Ils sont directement proposés sur les réseaux sociaux, regrette Gaspard Lallich. C’est de plus en plus pratiqué, l’accès à la fraude est démocratisé ». Deux nouveaux délits sont créés, cette année, pour cibler ces fournisseurs de kits, dont un « délit de facilitation à la fraude sociale ».

    • c’est bien pour cela que l’offensive (médiatique) se concentre sur les petits resquilleurs

      « On a un meilleur échange de données avec les impôts, le parquet, l’ARS, la gendarmerie, les organismes sociaux, etc. On a aussi des outils prédictifs qui nous permettent de cibler des comportements de consommation de soins ou de prescription atypiques ».

    • Les flics de la CPAM auront une médaille pour avoir parfaitement médiatisé la récupération de 102% du montant des fraudes de la multitude des petits arnaqueurs * qui n’ont que ce qu’ils méritent, il faut sauver notre système de santé.

      En anglais, on parle de low hanging fruits 🍑

      * soit 10% du montant total de la fraude, suggestion de présentation, un crédit vous engage, document non contractuel, ne pas jeter sur la voie publique, le société décline toute responsabilité

    • En guise de diversion aussi, pointer des fraudes exceptionnelles effectuées au bas de l’échelle évite de mettre en lumière l’ordinaire de la fraude issue du coeur du système de santé et des soignants les plus gradés. Comme dans le cas de l’infirmière voyoute mais mégalomane et peu prudente qui vient cacher la forêt des arrangements rémunérateurs effectués au quotidien (labos et autres structures capitalistiques inclus).

      Fraude à l’Assurance-maladie : une infirmière condamnée pour avoir facturé des actes fictifs pour plus de 1,5 million d’euros
      https://www.lemonde.fr/livres/article/2024/04/18/l-esclavage-dans-les-mondes-musulmans-de-m-hamed-oualdi-tordre-le-cou-aux-cl

      #CPAM #santé #fraude

  • Tribune : Nous refusons que Sylvain Tesson parraine le Printemps des poètes, par un collectif dont Baptiste Beaulieu, Chloé Delaume, Jean D’Amérique…
    https://www.liberation.fr/idees-et-debats/tribunes/nous-refusons-que-sylvain-tesson-parraine-le-printemps-des-poetes-par-un-

    Plus de 1200 poétesses, poètes, éditrices et éditeurs, libraires, actrices et acteurs de la scène culturelle française refusent la nomination de Sylvain Tesson, qu’ils considèrent comme une « icône réactionnaire », comme parrain du Printemps des poètes 2024.

  • « Les responsables du Rassemblement national ont retenu la leçon de Dominique Venner »
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2024/01/04/les-responsables-du-rassemblement-national-ont-retenu-la-lecon-de-dominique-

    .... En réalité, Notre-Dame ne lui importait que dans la mesure où elle aurait été construite à l’emplacement d’un temple gallo-romain. Il était, avec son ami Alain de Benoist, un des représentants du courant dit « païen » de l’extrême droite, opposé au courant catholique traditionaliste. Il consi­dérait le christianisme comme une religion de faibles qui, en défendant le pardon, l’accueil, a amorcé la décadence de l’#Occident. Il a inscrit sa mort dans une célébration de cet idéal antique mythifié, où Sparte jouait un rôle central, comme symbole d’un culte de l’honneur et de la guerre. Mais Sparte a fini par être vaincue par Athènes. La pensée de la décadence absolue s’identifie toujours au camp des vaincus. C’est un défaitisme radical.

    .... Il bascule vite dans l’action terroriste, aux marges de l’OAS. En 1961, il plastique, à Paris, le siège du MRP [le Mouvement républicain populaire, favorable à l’indépendance de l’Algérie]. Et, la même année, il prépare rien de moins que la prise de l’Elysée et l’assassinat du général de Gaulle. Mais le complot est éventé et il se retrouve en prison, où il va rester un an et demi. C’est le moment d’une mue fondamentale. Il comprend que l’action violente est vouée à l’échec. Il écrit un texte qu’il fait circuler depuis la prison de la Santé, Pour une critique positive [Saint-Just, 1964], où il appelle l’#extrême_droite à changer ses modes d’action, pour devenir plus moderne, plus professionnelle, et être enfin capable de prendre le pouvoir. Mais, désormais, de manière légale, plutôt que de passer par un coup d’Etat chimérique.
    Il théorise la nécessité d’apprendre l’art de la dissimulation, qui va devenir une constante de l’histoire de l’extrême droite française, jusqu’à aujourd’hui. Il s’agit de présenter ses thèses de la manière la plus inoffensive, de faire en permanence attention au registre lexical qu’on emploie, tout en parsemant son discours de sous-entendus à destination des initiés. Il insiste également sur l’importance du travail intellectuel, de la conquête des esprits. C’est ce à quoi il va se consacrer entièrement à partir de 1967-1968, quand il choisit, après un piteux échec électoral, d’abandonner toute action politique. Il se met à beaucoup écrire, en particulier des livres sur les armes, sa grande passion, et sur l’histoire.

    https://justpaste.it/5xylt

    #grand_remplacement

  • Un pur chef d’oeuvre : Ténèbre, de Paul Kawczak
    (La Peuplade, 2020 ; J’ai lu, 2021)

    Un grand livre passé inaperçu en France, malgré un prix des lecteurs L’express/BFMTV 2020 et une critique de François Angelier le 28 août 2021.

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    Le roman raconte le parcours de Pierre Claes, géomètre belge mandaté par le roi qui mène une expédition en Afrique pour matérialiser les limites des terres civilisées. Il remonte le fleuve Congo en compagnie de travailleurs bantous et de Xi Xiao, maître tatoueur chinois et bourreau spécialisé dans l’art de la découpe humaine. Ce dernier devine les horreurs de la colonisation à venir.

    « Dans ce premier roman, Paul Kawczak revisite et dynamite le récit de voyage à la façon du XIXe siècle, pour en faire un livre baroque, oppressant, violemment érotique, d’une beauté barbare, servi par un style superbe »

    estime Jean-Claude Perrier dans son avant-critique du roman paru dans le Livres Hebdo du 17 janvier.

    Paul Kawczak est un éditeur, né en 1986 à Besançon, en France. Ses études doctorales en littérature l’ont mené en Suède puis au Québec. Avec le goût de l’exil lui est venu celui de l’écriture, comme forme de retour. Ténèbre sortira en format poche chez J’ai lu en 2021.

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    L’extraordinaire Ténèbre dans laquelle Paul Kawczak immerge ses personnages, celle de l’énorme et impénétrée forêt congolaise des années 1890, tient moins de la lice héroïque que d’un salon de torture fin de siècle. Imprégné par le Mirbeau du Jardin des supplices (1899) et le Conrad d’Au cœur des ténèbres (1899) – Conrad qui fait une apparition, « Polonais aux yeux polaires » –, le roman de Kawczak offre une peinture au rasoir, d’une part d’une Afrique coloniale hagarde, en sang et en larmes, que l’Europe franco-belge dilacère avec cupidité, confiant ses basses œuvres tant à des nervis soûls de sadisme qu’à des aventuriers à la mysticité délirante, et, d’autre part, du « charnier divin » d’une Belgique à la Ensor d’où vient le héros, le géomètre Pierre Claes, ethnie bourgeoise et délirante. A lire cul sec.

    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/08/28/james-fenimore-cooper-paul-kawczak-william-seabrook-la-chronique-poches-de-f

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    Les libraires conseillent (février 2020)

    En 1890, au cœur d’une Afrique que les grands pays colonisateurs se disputent âprement, Pierre Claes, géomètre de son état, se voit confier par son Roi la tâche d’aller délimiter la #frontière nord du Congo. Mais le jeune Claes, qui n’a rien de l’aventurier viril requis pour une telle charge, sombre peu à peu dans l’horreur coloniale, dont les extrémités semblent sans limites. Formée d’une horde de personnages aussi denses qu’énigmatiques, du bourreau chinois Xi Xiao au danois Mads Madsen, capitaine du Fleur de Bruges, sans oublier Mpanzu le Bantou, Vanderdorpe au cœur brisé ou encore Léopold, un chimpanzé apprivoisé, l’expédition Claes progresse péniblement sur le fleuve Congo, ponctuant son périple de rencontres inusitées et de péripéties abracadabrantes, pénétrant toujours plus avant la noirceur terrifiante des jungles antédiluviennes d’où toute morale s’est depuis longtemps évanouie. Servi par l’élégance d’une prose véritablement géniale et doté d’un art narratif empruntant aussi bien à Jules Verne qu’à Hemingway ou même à Poe, ce roman immense au romantisme sombre devrait vous hanter longtemps après avoir tourné la dernière page.

    Attention : chef-d’œuvre !

    Philippe Fortin, librairie Marie-Laura (Jonquière)

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    « L’histoire qui suit n’est pas celle des victimes africaines de la colonisation. Celle-ci revient à leurs survivants. L’histoire qui suit est celle d’un suicide blanc dans un monde sans Christ ; celle d’un jeune homme oublié dans un labyrinthe de haine et d’aveuglement : l’histoire du démantèlement et de la mutilation de Pierre Claes. » (page 12)
    Ce chant de la mutilation, — pour reprendre le titre du livre de Jason Hrivnak [1] ­—, relate l’histoire de Pierre Claes, géomètre belge, mandaté par le roi Léopold II pour délimiter les frontières du Congo. Le jeune homme se lance en 1890 dans une première expédition à bord du Fleur de Bruges, glissant sur le fleuve Congo, en compagnie de travailleurs bantous et de Xi Xiao, un ancien bourreau spécialisé dans l’art de la découpe humaine, maître tatoueur et devin.

    Paul Kawczak ne fait pas ici le pari de la #reconstitution mais plutôt celui d’écrire un roman comme s’il avait été écrit au XIXème siècle, sans pour autant tomber dans les travers du pastiche ou de la parodie.
    L’ironie est présente dans Ténèbre, mais il s’agit d’une ironie subtile, de celle à l’œuvre dans le Dracula (1897) de Bram Stoker, roman épistolaire brillant dans lequel l’auteur raille subtilement l’héroïsme des personnages qui pourchassent le vampire. L’atmosphère et le style flamboyant de Ténèbre ne sont pas non plus sans rappeler le génial roman gothique Melmoth ou l’Homme errant (Melmoth the Wanderer, 1820) de Charles Robert Maturin.

    « Des mains dont les ongles avaient continué de pousser et dont les corps avaient disparu, emportant avec eux le jour et la nuit, les arbres géants et les cris animaux, le temps des regrets et la parole humaine. Ces mains hurleraient et perceraient le monde jusqu’à le déformer, l’étirant hors de toute mesure suivant l’attraction de leur cri ; elles se rendraient au berceau de chaque nouveau-né, au chevet de chaque vieillard, au seuil de chaque foyer pour porter l’horrible nouvelle, la portant à la barbe de Léopold II même, qu’elles finiraient par arracher, comme elles arracheraient chaque Christ de sa croix pour le gifler, le fesser et lui annoncer, rieuses, piailleuses et chantantes, comme les mésanges nègres du fleuve Congo, l’avènement de la Peur, de la Mort et de l’Apocalypse. » (p. 147)

    Ténèbre n’a rien d’un pastiche, disions-nous. Il suffit pour s’en convaincre de prêter attention aux premières citations en exergue, celle de l’artiste taïwanais Chen Chieh-Jen, tout d’abord, qui rappelle que si « nous ne voyons pas la violence de l’histoire […] nous avons besoin de méditer les images de l’horreur et de nous en pénétrer » (p. 7). Puis celle de l’historien congolais Isidore Ndaywel è Nziem : « de 1880 à 1930, environ 10 millions de Congolais […] auraient disparu, victimes de l’introduction de ‘‘la civilisation’’. » (ibid.)

    La troisième épigraphe est de #Marx :

    « Le #capital naît dégouttant de sang et de boue des pieds à la tête », écrit l’auteur du Capital (p. 11).

    L’intention du romancier est claire : Ténèbre se veut une généalogie du Mal, ce Mal qui ronge l’Europe dans les derniers feux d’un romantisme à l’agonie : le capitalisme et son corollaire, le colonialisme, avec son abominable litanie de crimes contre l’humanité commis au nom de « la civilisation », — une civilisation blanche, mâle, chrétienne.

    Dieu est mort. L’argent est roi

    C’est le Mal qui ronge Pierre Claes, le géomètre dont le lecteur suit l’errance dans ce dédale tracé par Paul Kawczak. Les références à l’Enfer et au Paradis sont nombreuses dans le roman. Le Congo, en premier lieu, comparé à un nouvel Éden :

    « Le jardin d’Éden n’avait dû être qu’un simple brouillon comparé à la jungle africaine. À plusieurs reprises, [Pierre Claes] se dit que son enfance eût été plus facile s’il avait eu connaissance de l’existence des fleurs qu’il voyait alors, s’il avait su qu’il y avait, quelque part sur la Terre, un Paradis plus mystérieux que celui de la catéchèse, un lieu d’où pas une couleur n’était absente, où la mort même était extraordinaire, un lieu dont le calvaire quotidien de l’extrême chaleur et des insectes consacrait la beauté en vérité au lever du soleil. » (p. 106)

    Claes est chargé de cartographier ce Paradis [2], une mission qu’il accomplit en scrutant le ciel pour abaisser sur Terre les étoiles :

    « À cette époque, un géomètre marquait la terre mais scrutait le ciel. Les frontières idéales se matérialisaient à partir des étoiles dont l’apparente fixité était encore l’aune de l’absolu pour les hommes. Pierre Claes, par de savants calculs, abaisserait sur Terre les étoiles, au sol, et de leur majesté ne resterait que le tracé invisible d’un pouvoir arbitraire : là passerait la frontière. Claes réduirait l’infini en politique. » (p. 32)

    Autre motif lié au Paradis terrestre et à l’Enfer, celui du serpent, présent sur la couverture du livre et dont nous trouvons de nombreuses occurrences dans le texte [3]. Le serpent est un motif polysémique dans Ténèbre, mais la référence au texte de la Genèse (3, 1-24) est évidente. Dans la scène d’agonie de Baudelaire (pp. 127-128), Paul Kawczak décrit les yeux de l’auteur des #Fleurs_du_Mal comme ceux d’un serpent, faisant du poète le témoin et la victime de ce Mal qui dévore l’ancien monde.

    La question du mot ténèbre, si rare au singulier, a été éludée par les exégètes [4]. Plus fréquent au pluriel, notamment lorsqu’il fait référence à l’absence de Dieu et à l’Enfer, le mot a perdu sur la couverture du livre son S qui s’y trouve, par magie, incarné sous la forme d’un serpent [5]. Contrairement à la doctrine de la théologie chrétienne du péché originel, Paul Kawczak distingue la ténèbre, qui est intérieure, du Mal (représenté par le serpent) extérieur à l’homme : ici l’homme ne naît pas pécheur, il devient mauvais, corrompu par le capitalisme dont l’un des symboles est celui du dollar américain, un S doublement barré.

    L’errance géographique de Claes, se double d’une errance d’ordre psychique, un labyrinthe mental [6] tracé par le Mal à l’œuvre sur Terre : l’Enfer n’est pas un lieu, il est le socle brut de notre condition humaine, planté au cœur des hommes broyés par le capitalisme triomphant.

    « Chaque nuit un peu plus, Claes prenait la mesure de la progression de l’ombre en lui, de sa catabase africaine vers la Ténèbre intérieure. Pierre Claes pleurait alors comme un enfant, inconsolable de sombrer et effrayé par la violence à venir et les promesses tristes de la mort. » (p. 107)

    Ces leitmotive font signe au-dessus de la jungle du texte, la phrase Kawczakienne étant elle-même à l’image de cette jungle : sa syntaxe est prolifération, luxuriance, toute bruissante de ses rumeurs. La riche prose de Ténèbre passerait aisément l’épreuve du « gueuloir » chère à Flaubert, et l’on devine d’ailleurs que Paul Kawczak partage envers l’auteur de L’Éducation sentimentale l’admiration qu’il prête à l’un de ses personnages (Polonais) pour « son style, non pas prosodique, mais ironique, toujours double, comme chaque chose » (p. 87).

    Les pages sublimes sont nombreuses dans le livre. Citons notamment celle-ci, sidérante de sa noire beauté :

    « Repassait incessamment dans son esprit l’image claire et brutale de la vulve coulante de Camille Claes, ouverte comme le désir précipité et précipitant, en fleur de chair, intolérable ou, plutôt, qui ne le tolérait pas, lui, le raidissait à mourir dans la trahison de son père qui ne l’avait jamais peint, et la lune, ouverte comme la plaie du Christ, comme le bec de certaines pieuvres qu’on avait amenées de la côte, du port d’Ostende, une fois, et que l’on avait montrées à la boucherie, monstrueux miracles roses et gris de gélatine, comme les récits de son grand-père, rejetant, vomissant le lait et le sang, il l’avait vue, écartée et baveuse et jamais, jamais, il n’avait eu aussi peur qu’au réveil ce matin-là, il devait s’excuser auprès de ses chiens avant qu’ils ne l’accusent trop violemment des mots que lui avait murmurés Camille Claes, de ce qu’elle lui offrait comme on offre à un homme, de ce tout petit secret de fourche, pas plus grand que le quart de la paume d’une main, plus petit même peut-être, comme la vérité et le monde qui l’avaient toujours tué. » (p. 182)

    Une des plus belles idées du livre tient dans la métaphore filée de l’écriture tout au long du roman : les tatouages et la découpe des chairs. L’écriture de Paul Kawczak est double, ainsi que celle de Flaubert. Elle est le Mal qui dit le Mal. Le poison et son antidote. La Fleur du Mal.

    « Un soir, Xi Xiao n’eut plus de nouveau récit à raconter. Pierre Claes lui demanda à être la prochaine histoire. Pierre Claes demanda à Xi Xiao de lui tatouer sur le corps le tracé d’une découpe et de le lingchéifier au cœur de l’#Afrique. Pierre Claes voulait être ouvert aux étoiles pour quitter l’horreur de sa vie. » (p. 151)

    Riche de ses références, tant aux romans populaires d’aventures et gothiques, qu’au symbolisme, au #décadentisme et au #romantisme crépusculaire, Ténèbre est un premier roman brillant et résolument postmoderne, porté de bout en bout par une écriture puissante et superbe.

    https://chroniquesdesimposteurs.wordpress.com/2020/05/22/tenebre-de-paul-kawczak

    [1] À lire ici notre recension du roman de Jason Hrivnak : https://LesImposteurs/le-chant-de-la-mutilation-de-jason-hrivnak

    [2] Nous pourrions également évoquer le Paradis qu’est pour Vanderdorpe « le giron tiède » de Manon Blanche, « terre où il eût dû mourir et où il n’avait pu naître », dont il « était déchu et banni sans possibilité de rachat » (p. 134).

    [3] La couleuvre pp. 96, 127-128 ; la vipère p. 209 ; le python pp. 227-228 ; ou encore pages 292 et 299.
    [4] Pour étayer notre analyse de cet ouvrage que nous disions écrit à la manière d’un roman du XIXème, notons que le rare ténèbre, au singulier, est attesté chez Huysmans en 1887.

    [5] L’illustration de première de couverture est l’œuvre de Stéphane Poirier.

    [6] Notons quelques occurrences du motif du labyrinthe dans le texte : « Cela, que les hommes ignorent, / ou dont ils n’ont pas idée,
 / à travers le labyrinthe du cœur,/ chemine dans la nuit. » (p. 239) ; « Congo-Minotaure » (p. 86) et « le Minotaure jaune » (p. 247) à propos de Xia Xiao.

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    Plus son bateau remonte le fleuve et plus Claes réalise à quel point l’entreprise dans laquelle il s’est embarqué est folle. Pour dompter un continent, il convient de le découper, de tailler à même sa chair géographique. Instrument et victime de ce projet, Claes en fait les frais. Entre un Chinois maître-tatoueur, un père désespéré, un singe doté d’émotions, Verlaine saoul, Baudelaire agonisant et une foule de colons détestables, Ténèbre navigue dans les eaux troubles de la fin de siècle et impressionne par son réalisme foisonnant.

    Entrecroisant les destins et les lieux, Kawczak emporte son lecteur de la #jungle africaine aux trottoirs parisiens, en passant par une boucherie bruxelloise et l’université britannique de St Andrews. À l’image de ses personnages, Ténèbre est un livre charnel, désespéré, exalté, qui suinte d’humeurs et de transpiration. C’est le tableau grouillant d’un XIXe siècle malade, halluciné, en état d’ébriété, de délire mystique et poétique permanent.

    C’est aussi un hommage décalé au Coeur des ténèbres de Joseph Conrad, mais bien plus qu’une variation sur le thème, ce pastiche, au sens noble, trouve sa propre force dans une galerie de portraits splendides et misérables, dans l’évocation de tous ces pauvres êtres meurtris par l’amour et qui courent à leur perte avec panache.

    Ténèbre est un livre total, parfaitement maîtrisé, et dont la plus belle réussite, peut-être, est de nous faire ressentir physiquement les fièvres qu’endurent les personnages. Un livre malade, en somme, et hautement contagieux.

    Grégoire Courtois, Libraire Obliques (Auxerre)

    https://actualitte.com/article/5206/chroniques/tenebre-de-paul-kawczak-impitoyable-et-hautement-contagieux

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    "Ténèbre" : Paul Kawczak, détonnant voyageur
    https://www.ledevoir.com/lire/571423/fiction-quebecoise-paul-kawczak-detonnant-voyageur

    Le 23 février 1885, de triste mémoire, à l’issue de la Conférence de Berlin, une poignée de pays européens se sont partagé l’Afrique sans états d’âme. Une charcuterie géopolitique qui a notamment inspiré Congo au romancier français #Éric_Vuillard en 2012.

    D’un coup de baguette magique, un territoire de 2,3 millions de kilomètres carrés couvrant une bonne partie du bassin du fleuve Congo est ainsi devenu un État indépendant et la propriété privée de Léopold Louis-Philippe Marie Victor de Saxe-Cobourg-Gotha, dit Léopold II, qui a dirigé le Royaume de Belgique entre 1865 et 1909.

    Le temps de l’#exploration est fini. Livingstone est mort de la dysenterie en 1873 dans un coin reculé de l’actuelle Zambie en cherchant les sources du Nil. Pierre Savorgnan de Brazza, nommé commissaire général du Congo français en 1885, a la main trop douce aux yeux de certains. L’heure est venue de passer aux choses sérieuses.

    Une alliance inédite

    Au nom de l’exploitation effrénée du #caoutchouc et de l’#ivoire, « dans l’intérêt de la civilisation et pour le bien de la Belgique », sur un territoire 80 fois plus grand que le petit royaume belge, vont se répandre l’appât du gain, la terreur et les crimes contre l’humanité. Une alliance inédite entre le colonialisme et le capitalisme dans sa forme la plus sauvage.

    Au menu : mauvais traitements, #esclavage, #torture, #mutilations et dilatation des profits. Une aventure quasi génocidaire sans précédent, trop mal connue, alors que certains historiens estiment que l’aventure coloniale au Congo — qui ne deviendra une #colonie_belge qu’en 1908 — aurait fait 10 millions de morts. Le monarque « philanthrope » belge, lui, n’y mettra jamais les pieds.

    C’est la matière sombre, l’espèce de trou noir où convergent et qu’aspire tout le mal dont l’homme semble être capable, qui est au cœur de Ténèbre, le premier roman magistral et « détonnant » de Paul Kawczak.

    En donnant à son livre une puissance qui est à la hauteur de son sujet, le romancier sort de l’ombre avec éclat.

    Une plongée dans l’horreur

    Mandaté par #Léopold_II pour y « découper un territoire volé », Pierre Claes, un jeune géomètre belge originaire de Bruges, débarque en mars 1890 dans un port du Congo.

    Sur place, le géomètre va s’assurer les services de Xi Xiao, un ancien bourreau chinois adepte du lingchi — appelé aussi supplice des « cent morceaux » — venu tenter l’aventure africaine et qui y survit comme maître tatoueur et homme à tout faire.

    Cette méthode de torture raffinée qu’il pratiquait consistait à prélever par tranches fines les muscles et les organes du supplicié, engourdi d’opium, jusqu’au coup de grâce. Un art du dépeçage qui fait ici écho, à l’évidence, au saccage méticuleux de l’Afrique.

    « Jamais n’avait-on vu encore, à une telle échelle, d’organisation si rationnelle et si intéressée de la mort. En chaque coin du pays, des subordonnés de cet État mortifère et raciste, amorçant ce qui reviendrait, en dernier lieu, au suicide de leur propre civilisation, assassinaient par centaines de milliers des vies africaines qu’ils eurent voulu oublier dans les brumes de leur délire. Le sang et la boue se mêlaient au sol comme ces insectes qui s’aiment d’une étreinte mécanique et furieuse, se dévorant le cou, les yeux ouverts sur la mort, le fond impossible de la vie. »

    -- Ténèbre, de Paul Kawczak, page 246

    Fasciné par les photographies d’un de ces supplices, l’écrivain français Georges Bataille a voulu, lui, y voir une forme d’érotisme.

    À sa manière, l’auteur prend la balle au bond. Xi Xiao va tomber amoureux de Pierre Claes, qui deviendra la victime consentante de ce Chinois de la douleur et de son art de la « découpe humaine divinatoire ».

    « Jamais la mort n’avait tenté de s’emparer de manière aussi vivante et imaginative d’un corps. » Un destin que Paul Kawczak semble lier, si on s’autorise à lire entre les lignes — ce que la richesse du roman permet —, au « suicide » de la civilisation européenne.

    Père manquant, fils vengé

    Au même moment, dans un coin reculé du Congo, avant de croiser un couple de missionnaires anglais exaltés, des porteurs bantous, un serpent baptisé Léopold et #Paul_Verlaine lui-même, Pierre Vanderdorpe, un médecin belge au service d’un puissant de la Société belge du Haut-Congo, traîne une peine immense.

    Un temps amoureux de la mère de Pierre Claes, enfant qu’il avait adopté avant de disparaître sans se retourner et de faire de sa vie une peine d’amour, Vanderdorpe traîne ses regrets au milieu des fièvres et de la pourriture équatoriale.

    Pour ce médecin sans remèdes, « l’existence est une aberration » et l’homme avoue rechercher en Afrique la meilleure façon de mourir. Il va la trouver.

    Né en 1986 à Besançon, dans l’est de la France, après un détour par la Suède, Paul Kawczak vit à Chicoutimi depuis 2011, où il a soutenu en 2016 à l’UQAC une thèse de doctorat intitulée Le roman d’aventures littéraire de l’entre-deux-guerres français : le jeu du rêve et de l’action. Auteur de deux livres, L’extincteur adoptif (Moult éditions, 2015) et Un long soir (La Peuplade, 2017), il est depuis juin 2017 éditeur à La Peuplade.

    En fait de roman d’aventures, il ne fait aucun doute que Paul Kawczak connaît ses classiques. Ténèbre en fait la preuve, et l’écrivain lance un clin d’œil appuyé à #Joseph_Conrad, qui y fait une discrète apparition. Ce dernier fut marin polonais sur le vapeur Roi des Belges sillonnant le #fleuve_Congo, avant de devenir un écrivain anglais et de dénoncer lui-même en 1899 le régime d’exactions au #Congo dans Au cœur des ténèbres, sa nouvelle la plus célèbre. Récit de passions mortifères, d’amour sublimé, de catastrophes intimes et collectives, Ténèbre déploie avec force sa magie noire. Une grande part de la réussite du roman tient à ce que tous les fils du récit finissent par converger en une finale, disons, explosive.

    Aux commandes de ce roman sombre à l’écriture impeccable, dosant avec justesse l’action et la profondeur, les injustices et les vengeances, #Paul_Kawczak nous tient en haleine du début à la fin. Du grand art.

    #littérature #massacre #colonialisme #impérialisme

  • « La Horde », de Marie Favereau : la Horde d’or, empire oublié


    La bataille de Kulikovo (1380), entre les armées de la Horde d’or et celles de plusieurs principautés russes. SCIENCE HISTORY IMAGES/ALAMY/HÉMIS.FR

    Au Moyen Age, l’Etat nomade du fils de Gengis Khan domina un territoire immense, de l’Asie à l’Europe. L’historienne le ressuscite dans un livre brillant.
    Par Marie Dejoux (historienne et collaboratrice du « Monde des livres »)

    « La Horde. Comment les Mongols ont changé le monde » (The Horde), de Marie Favereau, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par l’autrice, Perrin, 432 p., 25 €, numérique 17 €.
    Rituellement, les historiens justifient l’écriture de leurs ouvrages par une lacune à combler. Chez Marie Favereau, l’argument n’est pas une posture, tant son ­livre La Horde peut être vu comme la pièce centrale, mais étonnamment manquante, d’un puzzle pourtant célèbre : l’Empire mongol. Les livres portant sur ce dernier sont en effet légion, mais ils se centrent en général sur le grand Gengis Khan et sur les Etats fondés, après sa mort, en 1227, par les Yuan, en Chine, ou par les Ilkhans, au Moyen-Orient. Rien ou presque sur la Horde d’or de ­Jochi (ou Djötchi), fils aîné du ­conquérant, structure politique pourtant pluriséculaire et qui engloba, entre le XIIIe et le XVe siècle, le Kazakhstan, la Russie et une bonne partie de l’Europe orientale (l’Ukraine, notamment).

    Que l’Empire jochide soit demeuré dans l’ombre s’explique par plusieurs raisons, que Marie Favereau explore brillamment. Bien sûr, il y a la disgrâce même de Jochi (v. 1182-1227), que son père écarta de la succession et qui dut partir se tailler un nouveau royaume. La fonction que les khans (les souverains) de la Horde assignèrent à l’écrit n’aida pas non plus. Négligeant la rédaction de grands récits fondateurs au profit de traités diplomatiques ou commerciaux, ils abandonnèrent la narration de leurs conquêtes à ceux qui en pâtirent, laissant, à l’instar des Vikings, l’image sombre de pillards sanguinaires et destructeurs. Mais l’originalité de la proposition de Marie Favereau est ailleurs : selon elle, notre oubli de la Horde d’or tiendrait avant tout à notre incapacité à concevoir aujourd’hui qu’un empire ait pu être nomade.

    De fait, pour nous autres ­sédentaires, un empire est certes caractérisé par sa vastitude, sa longévité et le nombre de peuples qu’il agrège, mais il a nécessairement un ou plusieurs centres administratifs, ainsi qu’un territoire borné que l’empereur entend à la fois défendre et étendre. En la ­matière, notre horizon de référence est l’Empire romain et l’on comprend dès lors mieux que la Chine des Yuan, mongole elle aussi, mais dont l’organisation bureaucratique émerveilla si fort Marco Polo en son temps, ait davantage reçu de lumière. Marie Favereau parvient pourtant à nous ­convaincre, page après page, que la longévité et l’extension remarquables de la Horde tinrent, au contraire, à la flexibilité que lui conféra le nomadisme. « En adéquation avec la vie quotidienne des Mongols, cette organisation était toujours en mouvement », écrit-elle.

    La « tolérance mongole »

    Aussi la Horde aurait-elle été, plus que toute autre structure ­impériale, capable d’adaptation, mais aussi de résistance. Sans autre toit que celui de leurs tentes de feutre, ces sociétés d’éleveurs itinérants avaient une force : ­elles n’avaient ni terres à cultiver, ni sanctuaires à honorer, ni frontières à défendre. Percées foudroyantes, replis et abandons stratégiques, retournements brusques d’alliances, organisation politique interne fluide étaient autant de cartes entre les mains de « ce royaume résolument nomade » qui, partant, excella aussi bien dans l’art de la guerre que dans celui de la diplomatie et du grand commerce.

    Quel conquérant pouvait-il, en outre, être mieux accepté que ­celui qui, n’étant pas un colon, ne forçait pas les peuples à adopter ses traditions ou sa religion ? L’historienne dévoile un empire original, où bouddhistes, taoïstes, chrétiens et musulmans bénéficiaient de la « tolérance mongole » dès avant la conversion oppor­tuniste des khans à l’islam, au XIIIe siècle, et où l’esclavage, pilier des empires sédentaires, n’existait pas. Au sein de la Horde, l’altérité culturelle ne posait pas de problème, à condition que les peuples et les tribus agrégés, sédentaires ou nomades, reconnaissent la domination du khan, s’acquittent des impôts et n’entravent pas, voire encouragent, l’activité commerciale sur laquelle reposait le « grand échange mongol », ample réseau commercial connectant entre elles l’Europe centrale, la Méditerranée, la ­Sibérie et la mer Noire aux XIIIe-XIVe siècles. Le lecteur connaissait la paix romaine, la pax romana, il découvre enthousiaste la pax mongolica !

    Convaincante lorsqu’elle invite le lecteur à renoncer à ses préjugés et à se décentrer, Marie Favereau se trompe en revanche peut-être quand elle entend réhabiliter les Mongols de la Horde en en ­faisant les artisans d’une « première mondialisation ». Les historiens de la Scandinavie commencèrent eux aussi par revaloriser les Vikings en les dépeignant comme de grands explorateurs, habiles commerçants et précurseurs de la globalisation. Mais ils insistent également aujourd’hui sur la violence que ­représenta ce choc viking, ce qui n’est pas incompa­tible. Ce retour critique était sans doute prématuré dans le cas de la Horde, dont le fonctionnement interne et l’ample récit étaient ­largement inconnus. On attend donc avec d’autant plus d’impatience la suite d’une histoire que Marie Favereau amorce ici avec maestria.

    Marie Dejoux(historienne et collaboratrice du « Monde des livres »)
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2023/03/26/la-horde-de-marie-favereau-la-horde-d-or-empire-oublie_6167024_3260.html

    #histoire #Moyen_Age #Empire_mongol #Horde_d’or_de_Jochi #Mongols #nomadisme

  • 13 mars 1954 : les combattants vietnamiens attaquent le camp retranché de Diên-Biên-Phu

    À lire sur cet événement ce #chef_d'oeuvre de la #littérature contemporaine : « Une sortie honorable », d’Eric Vuillard (Actes Sud)

    Vuillard, au-delà de l’histoire (par Hugo Pradelle)

    Une sortie honorable, le nouveau livre d’#Éric_Vuillard consacré à l’#Indochine française, se lit avec ses autres récits. C’est d’une relation cohérente de ses livres les uns avec les autres qu’émerge une manière singulière, décalée et obstinée de raconter l’histoire et de penser un geste littéraire et moral assurément fort.

    https://www.en-attendant-nadeau.fr/2022/01/19/vuillard-histoire

    « Une sortie honorable », d’Eric Vuillard (par Camille Laurens)

    « L’histoire est un roman vrai », disait l’historien Paul Veyne. Une telle assertion, floutant la frontière désormais poreuse entre fiction et non-fiction, pourrait justifier la mention « roman » sur le nouveau livre d’Eric Vuillard, Une sortie honorable. Celui-ci lui a pourtant préféré, comme pour ses précédents ouvrages fondés sur des faits historiques, le mot « récit ». Sans doute est-ce pour souligner à la fois la relative brièveté du texte eu égard à l’ampleur des événements racontés – la guerre d’Indochine –, la place qu’y tient l’auteur et le refus de toute invention. Le récit, loin d’une vaste fresque à la Tolstoï, choisit de mettre en perspective quelques journées et personnages en déplaçant la focale et la lumière sur des moments obscurs, néanmoins décisifs. Congo et 14 juillet (Actes Sud, 2012 et 2016) proposaient déjà ce choix narratif, tout comme L’Ordre du jour (Actes Sud, prix Goncourt 2017), qui montrait l’ascension du pouvoir nazi dans les années 1930 à travers différents épisodes méconnus ou apparemment anecdotiques.

    La guerre d’Indochine de 1946 à 1954, rebaptisée « guerre du Vietnam » de 1955 à 1975, très long conflit dans lequel deux grandes puissances mondiales furent vaincues par un tout petit pays, est peu étudiée dans les programmes scolaires. La pédagogie de Vuillard, qu’on sent à l’œuvre – parfois un peu trop –, consiste à expliquer le déroulement des faits en juxtaposant des scènes qui rendent lisibles causes et conséquences. Ainsi, les premières pages décrivent une plantation de caoutchouc en 1928 et la torture de trois coolies, ligotés par un contremaître avec du fil de fer, après avoir tenté d’échapper aux cadences infernales. « C’était une scène d’épouvante », surligne l’auteur. Puis il enchaîne avec la réunion, quelques années plus tard, d’André Michelin et de F. W. Taylor, le théoricien du management industriel. Une troisième scène montre le président de l’Assemblée nationale, Edouard Herriot, rendant hommage à « nos héroïques soldats » en Indochine.

    L’efficacité de ce montage est redoutable. Le dispositif repose essentiellement sur une opposition entre nantis et dominés, soutenue par une idée simple et juste : l’histoire bâtit toujours « cet immense édifice qu’est le pouvoir » grâce à la même « immense communauté de poncifs, d’intérêts et de carrières ». Aussi Vuillard présente-t-il tous les puissants – ceux qui savent qu’ils auront « des rues à [leur] nom » – par une sorte de fiche généalogique où les alliances ont quelque chose d’incestueux et où « un bel héritage est pris pour un destin ». L’une des dernières scènes du récit dépeint les membres du conseil d’administration de la Banque de l’Indochine, le « fil d’or » qui les lie à la fin de la guerre après qu’ils ont « spéculé sur la mort » : « On perdait en gagnant et en gagnant prodigieusement », « le dividende était multiplié par trois. Il était rigoureusement proportionnel au nombre de morts. » [...]

    Reste que la #guerre, d’être décrite en coulisse plus que sur le terrain, froide mécanique d’intérêts, n’en est que plus terrifiante. Certes, à #Dien_Bien_Phu, « on crève de partout. On recule de trou en trou, on empile des cadavres pour se protéger ». Mais « si l’on veut vraiment connaître l’horreur (…), il faudrait pouvoir pénétrer en silence dans le bureau où causent Eisenhower et Dulles ». Vuillard nous invite à prolonger notre réflexion en mettant son tressage subtil en regard des tragédies contemporaines. Car l’histoire n’est pas du passé, c’est d’ailleurs souvent au présent qu’il nous la raconte. Déjà, La Guerre des pauvres (Actes Sud, 2019) suggérait un parallèle entre le soulèvement des paysans allemands au XVIe siècle et le mouvement des « gilets jaunes ». De même, Une sortie honorable, dont le titre ironique reprend un syntagme figé cher aux politiques et aux militaires, interroge tacitement la façon dont la France négocie son retrait de conflits sanglants – au Mali, en Afghanistan… – au mépris de toutes les valeurs humaines et tout particulièrement de l’honneur. Le récit d’Eric Vuillard, par sa force de conviction, tient allumé en nous « ce petit lampadaire qu’on appelle la conscience ».

    https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/01/13/une-sortie-honorable-d-eric-vuillard-le-feuilleton-litteraire-de-camille-lau

    #impérialisme #colonialisme #crétinerie #armée_française #Diên-Biên-Phu

    • Dien Bien Phu (Lutte de classe n°61 - 12 mars 1963)

      Le 13 mars 1954, le premier jour de l’attaque du camp retranché de Dien Bien Phu.

      Ce nom, mais personne ne le savait encore, devait devenir le symbole de la défaite de l’impérialisme français par le mouvement de libération nationale du peuple vietnamien. Effectivement, l’imprenable Dien Bien Phu dont l’armée française était si fière devait capituler après 55 jours de combats.

      En fait l’armée française et le commandant de Castries, commandant de la place attendaient cette attaque et même la souhaitaient, persuadés que le Vietminh ne pourrait concentrer suffisamment de forces pour sortir victorieux d’une bataille rangée « classique ».

      C’est délibérément que le commandement français avait choisi la cuvette de Dien Bien Phu dans cet arrière-pays montagneux. Il voulait obliger Giap, commandant les troupes #Vietminh à attaquer de front. Sa cécité politique l’empêchait de voir la croissance de l’armée vietminh. Pour nos militaires bornés, la « guérilla » était la forme spécifique de la guerre révolutionnaire. Dans leur esprit, il suffirait d’obliger les « rebelles » à abandonner cette tactique, à changer de méthodes de combat et alors la supériorité technique de l’armée française les écraserait.

      Mais la « guérilla » n’est pas une tactique relevant d’une idéologie particulière. C’est tout simplement un mode de combat utilisé contre un adversaire plus fort militairement que l’on ne peut affronter directement. Même Duguesclin n’avait pas « inventé » la guérilla.

      Toutes les populations occupées par des forces étrangères ont utilisé la « #guérilla » qui consiste à se battre avec ce qu’on a, à faire de sa faiblesse une force, à attaquer par surprise avec des forces faibles mais rapides, très mobiles, échappant à l’adversaire dès le coup de main réalisé. C’est une tactique de harcèlement qui rend une occupation de territoire invisible lorsque toute la population s’en mêle mais qui n’est pas spécifique des révolutionnaires, tout au plus caractérise-t-elle le début des insurrections populaires en particulier dans les pays coloniaux. Mais dès qu’un mouvement peut disposer d’armées ressemblant à celles de l’adversaire, il le fait. C’est ainsi que le mouvement vietminh essaya de renforcer ses troupes. Dès 1950-51 lorsqu’il eut un peu de matériel du la Chine, notamment des camions, les longs cortèges de coolies-soldats se modernisèrent. Les canons, mortiers, armes lourdes, essentiellement pris dans des coups de main contre l’armée française, plus les armements fabriqués par le Vietmninh dans le pays commencèrent à faire des forces vietminh non plus des corps de guerilleros, mais une armée capable d’attaquer des places fortifiées.

      L’armée vietminh n’avait encore jamais attaqué une place forte de l’importance de Dien Bien Phu, mais, alors que le commandement français s’imaginait avoir construit un piège pour le Vietminh, un observateur attentif aurait pu pressentir la vanité de ce piège. Dien Bien Phu n’était cependant pas si facile à prendre. Et il fallut l’héroïsme et l’enthousiasme des troupes combattant pour leur libération pour vaincre dans un tel combat.

      Dien Bien Phu est une cuvette de 10 km de long et de 3 à 6 km de large, au milieu d’une chaise de très hautes montagnes, bordée de petites collines à la base. Dans la cuvette, le village de Muong Thanh et deux camps d’aviation. Au Nord, trois postes fortifiés avec chacun un bataillon. Au centre et à l’est, deux sous-secteurs, à l’ouest 30 points fortifiés. Au Nord le poste de Him Lambarre l’unique voie carrossable jusqu’à Muong Thanh. Le commandement français comptait essentiellement sur l’aviation.

      Pour le Vietminh il était impossible de ne pas attaquer cette place fortifiée en plein coeur du pays. Et ce fut le long travail de préparation en vue de l’épreuve de force déterminante.

      Les unités vietminh venues du Delta tonkinois durent effectuer 400 km pour approcher du camp. Il fallut quinze nuits de marche, en essayant de perdre le moins d’hommes et d’armement possible. Il y avait des récompenses pour l’unité qui arriverait au complet (un taureau).

      C’était la première campagne où les Viets engageaient des batteries de 105 et de la D.C.A. Les pièces de deux tonnes, remorquées derrière des camions sur roues, devaient, dans les montagnes, être tirées à bras, le poste d’Him Lam barrant la route 41, il fallut creuser à flan de montagne des routes carrossables pour les camions, ceci sur douze kilomètres, en passant trois cols. Il fallut sept nuits pour hisser sur les cols ces tonnes d’acier. La descente des cols fut encore plus pénible et exigea vingt nuits. Comme l’aviation française patrouillait le jour, bombardant et arrosant de Napalm les montagnes, pour les soldats Viets, il fallait rester dans son trou individuel toute la journée pour se protéger des bombardements, et, la nuit, creuser la terre et assurer le camouflage. Ils avançaient de 500 mètres ou un kilomètre par nuit, sur la fin.

      La construction des voies de communication nécessitait un gros effort car pour cela les soldats terrassiers n’avaient pas d’outillage. Pourtant, il fallait combler des rivières de quarante à cinquante mètres, attaquer des parois rocheuses, abattre d’énormes arbres. L’ingéniosité était indispensable. Pour abattre les arbres, ils mettaient à nu les racines puis les tranchaient avec des coupe-coupes, afin que l’arbre déraciné s’abatte tout seul.

      Le ravitaillement posait un gros problème. L’armée Vietminh avait des fourneaux spéciaux brûlant sans fumée pour ne pas être repérables de jour par l’aviation, mais, la nuit, ils l’étaient par la clarté du foyer et sous le bombardement, le riz était consommé cru ou brûlé, mais jamais cuit. L’armée se nourrissait en forêt de racines d’ignames, (les paysans pauvres étaient les « meilleurs spécialistes » pour les trouver). Un chantier de pêche fut créé.

      Pendant ce temps, les troupes françaises pilonnaient et incendiaient les forêts. Des bataillons attaquaient un peu dans toutes les directions. La colline 75 changea onze fois de camp, Mais l’encerclement Vietminh se poursuivait.

      La victoire ne fut arrachée qu’au prix d’énormes travaux de retranchement. Tout le front Vietminh n’était qu’une immense tranchée, Le mot d’ordre était « sans tranchée pas de combat ». Le camouflage posait un gros problème de par les grosses quantités de bois qu’il fallait aller chercher à des kilomètres dans la forêt. Mais, peu à peu, le front Vietminh s’approchait auprès des fortifications françaises, malgré les sorties des paras français, sorties effectuées plusieurs fois par jour, sous la protection des blindés, pour essayer de combler les boyaux ou de les piéger. Malgré cela, l’étau se resserrait de plus en plus.

      Le 13 mars 1954 l’attaque est déclenchée par le vietminh. l’assaut à lieu contre le poste de him lam (béatrice) occupé par le 3e bataillon de la division blindée et de la légion etrangère. c’est un poste clé pour la protection des terrains d’aviation de muong thanh. il comprend trois collines derrière un réseau de barbelés large de trente à quarante mètres. a 16 heures l’armée vietminh ouvre le feu. a la tombée de la nuit les groupes de choc vont avec les explosifs faire sauter les barbelés. après 6 heures de combats hin lam est occupé par le vietminh. doc lap (gabrielle) sera attaquée et occupée le 14 avril. l’ultime assaut sera donné à partir du 18 avril, et le 7 mai, la bataille de dien bien phu prendra fin.

      Dans ce combat où l’inégalité de l’armement et du matériel est frappante, malgré les quelques pièces lourdes de l’armée Vietminh, la participation et le dévouement des masses vietnamiennes fut l’élément déterminant de leur victoire, D’une part, l’armée vietminh était numériquement bien plus importante que les troupes stationnées en Indochine (150 000 hommes) et, d’autre part, chaque paysan et paysanne vietnamien, constituait un soutien à l’armée de libération. L’héroïsme et le dévouement du peuple vietnamien luttant pour son indépendance étaient reconnus même par la presse réactionnaire de métropole.

      Par contre, les troupes françaises, elles, se battaient pour une « sale guerre » vomie par une partie de plus en plus grande de la population française et leur combat était à l’avance désespéré.

      Après Dien Bien Phu l’armée française était loin d’être rejetée à la mer, mais la métropole ne pouvait supporter de transformer son « opération de police » assurée par l’armée de métier et les volontaires en guerre ouverte et y envoyer le contingent,

      Ce fut la raison pour laquelle Dien Bien Phu sonna le glas du colonialisme français.

      https://mensuel.lutte-ouvriere.org/documents/archives/la-revue-lutte-de-classe/serie-1960-1963/article/dien-bien-phu

      #archiveLO

  • https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/03/13/l-affaire-aldo-moro-au-cinema-une-effrayante-machine-a-fiction_6165212_3232.

    L’affaire Aldo Moro au cinéma, une effrayante machine à fiction

    Analyse
    Jean-François Rauger

    L’assassinat, en 1978, du président du parti démocrate chrétien italien par les Brigades rouges continue de faire l’objet d’une infinité de spéculations, alors qu’Arte diffuse « Esterno notte », une série documentaire réalisée par Marco Bellocchio.

    Publié aujourd’hui à 04h00, mis à jour à 04h00 Temps de Lecture 3 min.

    Esterno notte, la série réalisée par Marco Bellocchio et diffusée sur Arte les 15 et 16 mars, vient apporter une nouvelle et décisive contribution à la réflexion sur un événement qui a traumatisé toute l’Italie. L’enlèvement à Rome, le 16 mars 1978, et l’assassinat, après cinquante-cinq jours de séquestration, d’Aldo Moro, président du parti démocrate chrétien italien, au pouvoir depuis 1945, par un commando des Brigades rouges a fait – et continue de faire – l’objet d’une littérature abondante, d’une infinité de commentaires et de spéculations, en Italie et ailleurs.

    Comme si les faits ne se suffisaient pas à eux-mêmes et que quelque chose devait se cacher derrière la brutalité et l’évidence de l’événement. Ces affirmations de l’existence d’une causalité cachée, différente des versions émises par les acteurs du drame, l’Etat italien ou les Brigades rouges – qui, en l’espèce, partagent la même version –, participèrent, la plupart du temps, sinon d’un projet politique, en tout cas d’une vision idéologique.

    Celle-ci se nourrit de tout ce qui a empêché, ou tout du moins obscurci, la compréhension immédiate de l’assassinat. Chaque coïncidence étrange, chaque témoignage hasardeux, chaque mystère irrésolu, chaque contradiction non réglée a alimenté toutes sortes d’explications. Celles-ci voyaient, derrière l’action du commando, la main des services secrets et de l’Etat italien lui-même, de la CIA, du KGB ou de la Stasi, voire du Mossad. Toutes sortes de puissances, ayant, paraît-il, eu intérêt à la mort de Moro, l’homme du « compromis historique » – une politique soutenant une éventuelle participation du Parti communiste italien à un gouvernement démocrate chrétien –, mais aussi le promoteur d’une audacieuse politique pro-arabe lorsqu’il était ministre des affaires étrangères.

    Ce que l’on a appelé la « diétrologie », du mot italien dietro, (« derrière »), a été mis au service d’une interprétation des faits, à droite et surtout à gauche, consolante et explicative, conforme à une certaine vision du monde et des enjeux politiciens de l’Italie. Version dévoyée de ce que Balzac appelait « l’envers de l’histoire contemporaine ». Les Brigades rouges n’auraient été qu’un groupe manipulé soit par l’Etat, soit par diverses puissances étrangères.

    Interprétations historiques successives

    Lorsque le cinéma s’est emparé de l’assassinat, sans doute a-t-il été confronté à cette confusion même et surtout à cette arborescente tentation fantasmatique. Comment, dès lors, relater un événement lorsqu’on lui attache diverses causalités hypothétiques, engendrant une multitude de récits virtuels ?
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Cannes 2022 : avec « Esterno notte », Marco Bellocchio signe un drame shakespearien en six actes inspiré de l’assassinat d’Aldo Moro

    Il caso Moro, de Giuseppe Ferrara, est tourné en 1986, d’après le livre du romancier Robert Katz. Gian Maria Volonte y incarne le chef de la Démocratie chrétienne. Le film tente de s’en tenir au déroulement des faits tout en témoignant de l’incertitude d’alors. Il s’appuie sur des éléments alors connus mais aussi sur des informations depuis lors remises en question. Lorsque la télévision s’intéresse à nouveau à cette histoire, en 2008, avec le téléfilm de Gianluca Maria Tavarelli, Aldo Moro. Il presidente, la connaissance de la réalité est plus précise.

    Les participants à l’attaque ont été arrêtés, ou en fuite mais identifié pour l’un d’entre eux. Le chef du groupe qui a enlevé et séquestré Moro avant de l’exécuter, alors leader des Brigades rouges, Mario Moretti, a publié un livre d’entretiens en 1994, Brigate rosse, une histoire italienne. Il y détaille les faits et notamment le modus operandi de l’action. Son récit sera, de surcroît, confirmé par d’autres participants à l’enlèvement et à la séquestration comme Anna Laura Braghetti (dont Marco Bellocchio adaptera librement le livre en 2003 avec son Buongiorno, notte) ou bien les brigadistes Valerio Morucci et Germano Maccari. Dans le film de Tavarelli, Michele Placido incarne Moro. Les brigadistes sont désormais identifiés précisément par leur nom et les actions relatées reposent sur des bases plus solides.

    Mais il faut aussi signaler Piazza delle cinque lune (L’Affaire des cinq lunes, 2003), film de Renzo Martinelli qui imaginait une enquête menée par un juge de province (incarné par Donald Sutherland) sur l’enlèvement. Ecrit en collaboration avec le sénateur communiste Sergio Flamigni, qui semblait s’être donné pour tâche, pour d’évidentes raisons politiques, de démontrer que les Brigades rouges étaient manipulées par la CIA et les services secrets italiens, le film accumulait, dans une espèce de délire synthétique, toutes les théories les plus complotistes. Ici, le cinéma se situait délibérément du côté de la spéculation la plus paranoïaque et la plus candide.

    L’Etat, le Vatican, la famille et la brigade

    La grande qualité de Esterno notte a consisté à sortir du caractère purement illustratif des versions précédentes, à refuser, bien sûr, toute théorie abusive, pour décrire en détail le fonctionnement des superstructures (l’Etat, le Vatican, la famille d’Aldo Moro, le groupe brigadiste lui-même) confrontées au choc que fut l’action spectaculaire des Brigades rouges. Mais on trouve aussi, dans la grande précision intellectuelle du film, comme le souci d’en finir, une fois pour toutes, avec une histoire qui n’a cessé d’être remise en question, écrite et réécrite, déformée et niée, fantasmée et instrumentalisée.
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    Vaine illusion pourtant, car il continue toujours de se publier, en Italie, des ouvrages remettant en cause la version officielle de l’attentat, alors que, depuis plusieurs années, d’ex-brigadistes, en libération conditionnelle ou en régime de semi-liberté, participent de l’industrie du spectacle contemporain en multipliant les apparitions dans des talk-shows télévisés. L’affaire Aldo Moro est une effrayante usine à fiction, une machine infernale que rien ne semble pouvoir arrêter. Surtout pas le cinéma.
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Le long exil de l’extrême gauche italienne à Paris

    Jean-François Rauger

    https://www.arte.tv/fr/videos/RC-023478/esterno-notte

  • « Parole donnée », de Jean-François Laé : solidarités en banlieue confinée
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2022/01/06/parole-donnee-de-jean-francois-lae-solidarites-en-banlieue-confinee_6108441_

    Dans un essai saisissant, le sociologue explore les façons dont les plus précaires, en Seine-Saint-Denis, ont pu surmonter la pandémie en 2020.

    « Parole donnée. Entraide et solidarité en Seine-Saint-Denis en temps de pandémie », de Jean-François Laé, Syllepse, 144 p., 15 €.

    La file s’allonge devant la poste. Personne ne sait si elle va ouvrir, alors que les quatre cinquièmes des bureaux de Seine-Saint-Denis gardent portes closes en ce début d’avril 2020. Une camionnette de police stationne à proximité. « On s’attend à des bousculades (…) si le bureau n’ouvre pas », commente un agent. A 10 heures, toujours rien. Une femme crie : « On ne partira pas. » Une autre raconte qu’elle a été obligée de demander un peu d’argent à des proches. « J’en suis là », souffle-t-elle. Sans accès aux guichets, la plupart des personnes présentes ne pourront toucher leurs allocations. Comme 1,5 million de clients de La Banque postale, elles ont refusé de prendre une carte de paiement, synonyme, pour elles, « de risque de non-maîtrise de [leurs] dépenses », explique Jean-François Laé, qui décrit la scène dans Parole donnée, saisissante enquête sur les dévastations induites par le premier confinement (17 mars-3 mai 2020) dans le système de protection sociale.

    Parfois, il n’y a plus d’issue

    « Qu’un maillon casse, écrit-il, et c’est la chaîne des dépendances qui lâche. Les équilibres tenaient à un ou deux fils », telles ces sommes qu’on retire chaque début de mois, qu’on compte et recompte jour après jour pour tenir, assurer l’essentiel, le loyer, les repas, pouvoir dire à ses enfants, souligne le sociologue : « Ne t’inquiète pas, au moins on te loge et on te nourrit. » Que dit-on à ses enfants quand tout est à terre ? Parfois, il n’y a plus d’issue. Reste aux autorités, aux familles, aux voisins à tenter d’organiser la solidarité, devenue d’un coup, dès le début du confinement, un enjeu vital. Une solidarité dont Jean-François Laé explore les échecs et les réinventions à partir d’un matériau écrit et oral d’une richesse impressionnante, qui lui permet d’en rendre compte avec une précision rarement atteinte dans la littérature que la crise du Covid-19 a déjà suscitée.

    Il a en effet eu accès aux synthèses des appels que le conseil départemental de Seine-Saint-Denis a multipliés durant le confinement auprès des populations vulnérables – près de 26 000 conversations ont été menées, qui ont régulièrement permis de régler des situations urgentes –, comme aux lettres envoyées par des habitants du département à Emmanuel Macron ou à celles que des étudiants de l’université Paris-VIII (située à Saint-Denis) parfois privés de toute ressource ont adressées aux services sociaux. Il a en outre mené des observations, et recueilli des témoignages, dans des files d’attente – bureaux de poste, distributions alimentaires, grandes surfaces, cités universitaires… –, aux abords des cimetières ou lors de parties de foot improvisées. « Rassembler les chocs et les émotions, les peurs et les croyances d’un instant, les roulis des incertitudes, les garder en mémoire pour réfléchir à l’action publique, tel est le mouvement auquel nous souhaitons contribuer », résume-t-il.

    Deux impuissances

    Il déploie, ce faisant, une forme de sociologie narrative, fondée sur les récits de vie des personnes les plus précarisées et les échanges qu’ils suscitent entre les divers acteurs impliqués dans le secours. Il accomplit par là, sur le plan théorique, ce que chacun d’eux tente de réaliser sur le plan concret : « aller vers », rejoindre ceux qui, socialement, physiquement, psychiquement abîmés, s’éloignent, échappent aux regards, coupés de leurs propres droits, « désaffiliés » de toutes les inscriptions protectrices dans le tissu social. Deux impuissances, le plus souvent, se conjuguent : la leur, face à une réalité sur laquelle ils n’ont plus prise, et celle de l’Etat social, qui, tout robuste soit-il en France, n’a plus prise sur eux. Les remèdes d’urgence décrits dans Parole donnée valent, à cet égard, comme tentatives de répondre à cette accumulation d’échecs, que le confinement a aggravés sans les créer, et qui lui ont survécu. Mais, plus encore, ils ouvrent une voie dont Jean-François Laé montre avec force l’urgence comme la fécondité : l’exigence de mettre toujours plus en lumière les interstices de notre société, pour qu’elle se connaisse elle-même, et se recompose.

    EXTRAIT

    « Rupture, division, divergence entre un état de fait et un état juridique. On peut dire que chacun de ces extraits de lettres, de ces comptes rendus téléphoniques, est sur le point extrême de rupture, dans le sens où le droit s’est soudain vidé de sa puissance d’action. Non pas que les individus soient passifs, car ils se démènent pour « coproduire » une réparation quelconque, mais dans le sens où les articulations nécessaires du droit n’agissent plus sur l’administré (…). Alors que l’on avait l’habitude de penser la vulnérabilité du côté de l’individu – qui existe cependant bien ! –, cette fois, la gestion des services publics s’enraye à grand bruit avec des prestations en suspension. La CAF, Pôle emploi (…), le tribunal (…), les services à la personne, cette longue chaîne cassée jette la lumière sur la profondeur des incapacités produites, sur les relations compromises, sur les suivis interrompus, sur l’éclatement parfois des intimités. La certification juridique une fois défaite, l’individu perd l’assise qui lui permettait de s’appuyer sur son inscription sociale. »

    Parole donnée, page 82

    #désaffiliés #pauvreté #pandémie #covid-19 #récits_de_vie #sociologie #Jean-François_Laé

  • « Les formes chrétiennes de la violence », entretien avec Philippe Buc
    https://www.nonfiction.fr/article-8949-les-formes-chretiennes-de-la-violence-avec-philippe-buc.htm

    Sous la robe de l’écclésiastique, le glaive ?
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2017/06/08/sous-la-robe-de-l-ecclesiastique-le-glaive_5140447_3260.html


    La croisade des pastoureaux, manuscrit du XIVe siècle. BRITISH LIBRARY

    Dans un ouvrage foisonnant, le médiéviste Philippe Buc explore la matrice chrétienne des violences en Occident.
    Par Nicolas Weill, 08 juin 2017

    Guerre sainte, martyre et terreur. Les formes chrétiennes de la violence en Occident (Holy War, Martyrdom, and Terror. Christianity, Violence, and the West), de Philippe Buc, traduit de l’anglais par Jacques Dalarun, Gallimard, « Bibliothèque des Histoires », 548 p., 36 €.

    Que des croyances religieuses soit à l’origine d’une violence spécifique pourrait paraître une vérité de bon sens en ces temps de terrorisme inspiré par la foi. Pourtant, la méfiance bien française vis-à-vis de l’histoire des idées et de leur influence directe sur l’action humaine est telle qu’une thèse de ce genre suscitera la réticence des spécialistes. Analyser un comportement à partir de convictions demeure presque un tabou.

    Ce tabou, le médiéviste Philippe Buc, professeur à l’université de Vienne (Autriche), a décidé de le briser dans un ouvrage aussi dense et original que touffu (malgré la suppression des notes pour la version française). Il y montre comment la théologie chrétienne influe directement sur la violence typique de l’Occident.

    Déchaînements meurtriers

    Sa perspective ne se cantonne pas à son domaine d’érudition, aux croisades, aux pastoureaux (jeunes gens soulevés sous le règne de Saint Louis, multipliant les exactions), à Jeanne d’Arc – elle aussi une pastourelle dont on oublie souvent qu’elle voulait terminer sa guerre par une croisade –, ni à la guerre des paysans de 1525, atrocement réprimée par les princes allemands sous les applaudissements de Luther, à la Saint-Barthélemy ou à l’assassinat d’Henri III par le moine régicide Jacques Clément – toutes formes de déchaînement meurtrier dont les motivations théologiques sont évidentes.

    L’étude s’élargit au monde dit « postchrétien » et conteste l’opinion selon laquelle il y aurait une forme moderne particulière de la violence. Pendant la Terreur révolutionnaire de 1793-1794 en France, lors des procès de Moscou des années 1930 ou de l’équipée de la Fraction armée rouge dans l’Allemagne des années 1970, on retrouve, selon Philippe Buc, sous une forme ­déconfes­sionnalisée, l’idée chrétienne de la « dévolution », de la prise en main du sort d’une communauté entière par un groupe ultraminoritaire d’élus ou de martyrs.

    De même que le fanatisme apocalyptique s’affairant à hâter la fin des temps laisse des traces dans l’activisme militant le plus extrême, qu’il se réclame du second avènement du Christ, des Lumières ­ « radicales », d’un avenir meilleur ou du « principe espérance ». ­Contre le soupçon de réductionnisme, Philippe Buc se défend d’établir une continuité entre la secte juive eschatologique des esséniens, la fureur d’un saint Augustin contre l’hérésie donatiste au IVe siècle et la « bande à Baader ». Mais leurs agissements respectifs révèlent d’étonnantes proximités, qu’il décrit en détail.

    Echapper à la « violence mimétique »

    Le christianisme en tant qu’universalisme (le sens propre du mot « catholicisme ») renferme, affirme-t-il, un potentiel de paix autant que de conflit. A l’heure où, comparativement, il apparaît sur la scène contemporaine comme une religion plus désarmée et pacifique que d’autres, on ne doit pas oublier l’existence toujours présente du glaive sous la robe. Glaive dont il est discrètement question dans les Evangiles. L’historien semble même accorder quelque créance à la thèse qui range Jésus dans le camp politique des zélotes, ces extrémistes juifs partisans de la lutte armée contre les Romains, et qui n’hésitaient pas à poignarder les juifs jugés trop mous. Cet héritage, minimisé par les rédacteurs du Nouveau Testament, aurait contribué à façonner souterrainement celui du christianisme. Il aurait même fini par migrer dans le nationalisme arabe ou l’intégrisme musulman actuel.

    Par sa volonté de déplacer les lignes, ses sauts incessants entre les époques, cet essai donne souvent le vertige tout en restant passionnant. Il vise à orienter les recherches futures plutôt qu’à rendre un verdict. Mais il s’oppose résolument à deux thèses qui pourraient exonérer le christianisme de la violence. Celle de l’anthropologue René Girard (1923-2015), pour qui le sacrifice expiatoire de Jésus permet d’échapper à la « violence mimétique » dont les autres croyances sont prisonnières ; celle de l’égyptologue allemand Jan Assmann, qui veut que le monothéisme en soi, et non le seul christianisme, génère de la violence parce qu’il invente une différence stricte entre faux et vrai Dieu, différence qu’ignorait le paganisme.

    Certes, le christianisme n’en a pas le monopole, concède Philippe Buc. Mais comme en témoigne l’actualité, et par exemple la rhétorique d’un George W. Bush lors de l’invasion de l’Irak, l’Occident chrétien véhicule son propre style de violence, et ce jusqu’à aujourd’hui.

    (pour le livre, plus que l’article)

    #histoire # continuum_culturel #messianisme #apocalypse #christianisme #théologie_chrétienne

  • « Mort à Mud Lick », d’Eric Eyre : narcotrafic légal
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/11/18/mort-a-mud-lick-d-eric-eyre-narcotrafic-legal_6102621_3260.html

    Mais depuis quelques années émergent d’édifiants livres enquêtes. Tels ­Addiction sur ordonnance. La crise des antidouleurs (C & F Editions, 2019), et Pharma : Greed, Lies, and the Poisoning of America (« Pharma : profits, mensonges et empoisonnement de l’Amérique », 2020, non traduit), l’un signé par un journaliste du New Yorker, l’autre par un reporter du New York Times. Tous deux ont étudié les coulisses d’une industrie pesant 1 000 milliards de dollars et le parcours de la famille Sackler, ­propriétaire du laboratoire pharmaceutique Purdue Pharma, à l’origine de l’OxyContin, un composé chimique plus fort que la ­morphine. Un troisième ouvrage d’investigation, Dopesick ­ (« addicts », 2018, non traduit), de Beth Macy, vient de donner lieu à une série de fiction ­diffusée en France, par Disney+, depuis le 12 novembre.
    Lire aussi Article réservé à nos abonnés L’inquiétant succès de l’OxyContin, puissant antalgique opiacé

    Bâti d’une plume alerte et rigoureuse, à partir de reportages parus dans la Charleston Gazette, récompensé, en 2017, par le prestigieux prix Pulitzer, le récit pionnier d’Eric Eyre humanise la tragédie et donne chair au combat local de citoyens et d’avocats ouest-virginiens, pour obtenir des données chiffrées, intenter des actions en justice et pointer la faillite des organismes de contrôle censés réguler le marché, qu’il s’agisse de l’ordre des pharmaciens ou de la Drug Enforcement Administration.

    #Addiction #Opioides

  • 40 000 titres et si peu de survivants : enquête sur la mécanique de la vente des livres
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/11/11/40-000-titres-et-si-peu-de-survivants-enquete-sur-la-mecanique-de-la-vente-d

    Environ 40 000 livres sont publiés chaque année en France. Une richesse, certes, qui épuise néanmoins diffuseurs et libraires et exige de faire des choix. Quels processus président à ces critères de sélection ? Enquête.

    Par Florent Georgesco

    Pourquoi C&F éditions n’est pas diffusé/distribué : éviter de payer cher pour être noyés dans la masse (la nasse ?). N’hésitez pas à passer directement par le site internet (https://cfeditions.com )

    #Edition #Librairie #Economie_du_livre

  • « Le médecin choisi par #Gérald-Bronner pour réfléchir sur la désinformation scientifique au sein de la mission que lui a confié le Président est Guy Vallancien.
    Ça montre à quel point les réseaux de pouvoir sont déconnectés des réalités. »

    https://www.la-croix.com/France/mission-contre-desinformation-conspirationnisme-2021-09-28-1201177842

    « Je rappelle que #Guy-Vallancien vient d’être condamné par l’Ordre des Médecins dans une affaire où il a désinformé et menti pour faire condamner injustement un confrère, et me nuire au passage parce que je le défendais. »

    https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/certificat-mensonger-le-pr-vallancien-ecope-dun-blame-ordinal-a

    « C’est un peu comme si on avait choisi Carlos Ghosn ou Vincent Bolloré pour une mission sur l’éthique entrepreneuriale !
    Quelqu’un pourrait-il éclairer Gérald Bronner ou alerter le Président ?
    Pour ceux qui veulent lire la décision ordinale, c’est là »

    https://atoute.org/n/breve96.html

    « Toujours dans le cadre de sa nomination par Gérald Bronner au sein de la Mission présidentielle de lutte contre la désinformation, voici les propos négationnistes de Vallancien sur les victimes du MEDIATOR.
    Depuis, plus de 2000 victimes ont été reconnues par le tribunal pénal. »

    https://twitter.com/DDupagne/status/1443118899009146882
    #mission-contre-desinformation-conspirationnisme

    • Merveilleux !

      On est sur un bon profil, c’est raccord avec le reste de la macronie.

      Et il préside un think tank pour accélérer les liens publics privés dans la santé, avec tous les lobbies en vogue.
      https://www.canalcham.fr (CHAM = Convention of Health Analysis and Management)

      Sa plus haute qualité, selon Marianne : « Le médecin qui soigna François Mitterrand, mais aussi tout ce que le Paris people compte de prostates… »

      #macronistan

    • « La pneumologue et lanceuse d’alerte de l’affaire du #Mediator regrette la nomination, au sein de la commission contre la #désinformation, de l’un des médecins qui, « depuis des années et sans vergogne », tente de nier le drame humain causé par le Mediator. » Anticor
      Irène Frachon : « La composition de la “commission Bronner” sur le complotisme laisse perplexe »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/30/irene-frachon-la-composition-de-la-commission-bronner-sur-le-complotisme-lai

      Le dévoilement de la composition de la « commission Bronner » du nom du sociologue très (trop ?) médiatique chargé, par l’Elysée, d’évaluer ce phénomène des fausses nouvelles laisse perplexe.

      La santé publique est au cœur de ces inquiétudes. A ce titre, le choix des personnalités médicales susceptibles d’éclairer cette question est particulièrement sensible. On ne peut qu’être surpris de la cooptation d’un professeur de médecine « médiatique » et impliqué publiquement dans plusieurs polémiques sensibles, notamment à propos du scandale du Mediator, la plus grave affaire de santé publique survenue en France au XXIe siècle et « marqueur » significatif de cette défiance.

      Le scandale du Mediator est la conséquence d’un délit industriel d’une gravité hors norme, récemment jugé devant le tribunal correctionnel de Paris et ayant donné lieu à des condamnations pénales, d’une part de la firme mise en cause (Servier), qui a fait appel, et d’autre part, de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) qui a renoncé, pour sa part, à un appel. Des experts de l’agence, compromis par des arrangements illégaux avec la firme délinquante, ont également été condamnés.

      Par ailleurs, le rapport pénal d’expertise scientifique a conclu que le Mediator, consommé par environ cinq millions de Français pendant trente-trois ans, est la cause directe de la mort ou de l’invalidité de milliers de personnes. Enfin, à ce jour, près de 4 000 victimes, en majorité des « survivants » du Mediator, ont vu leur procédure d’indemnisation aboutir après examen par un collège d’experts adossé à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam).

    • Irène Frachon : « La composition de la “commission Bronner” sur le complotisme laisse perplexe », TRIBUNE, Irène Frachon, Pneumologue au CHU de Brest, lanceuse d’alerte de l’affaire du Mediator.

      S’il est incontestable que, parallèlement à la pandémie de Covid-19, se développe une « épidémie » de doutes profonds et de défiances multiples au sein de l’opinion publique avec un succès croissant de théories alternatives aux relents complotistes, les moyens mis en œuvre pour mieux appréhender et peut-être corriger, apaiser un tel phénomène de fond interrogent sérieusement.

      Le dévoilement de la composition de la « commission Bronner » [ le blabla élyséen : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/29/les-lumieres-a-lere-numerique-lancement-de-la-commission-bronner]du nom du sociologue très (trop ?) médiatique chargé, par l’Elysée, d’évaluer ce phénomène des fausses nouvelles laisse perplexe.
      La santé publique est au cœur de ces inquiétudes. A ce titre, le choix des personnalités médicales susceptibles d’éclairer cette question est particulièrement sensible. On ne peut qu’être surpris de la cooptation d’un professeur de médecine « médiatique » et impliqué publiquement dans plusieurs polémiques sensibles, notamment à propos du scandale du Mediator, la plus grave affaire de santé publique survenue en France au XXIe siècle et « marqueur » significatif de cette défiance.

      Puisqu’il le faut, rappelons les faits.

      Le scandale du Mediator est la conséquence d’un délit industriel d’une gravité hors norme, récemment jugé devant le tribunal correctionnel de Paris et ayant donné lieu à des condamnations pénales, d’une part de la firme mise en cause (Servier), qui a fait appel, et d’autre part, de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) qui a renoncé, pour sa part, à un appel. Des experts de l’agence, compromis par des arrangements illégaux avec la firme délinquante, ont également été condamnés.

      Par ailleurs, le rapport pénal d’expertise scientifique a conclu que le Mediator, consommé par environ cinq millions de Français pendant trente-trois ans, est la cause directe de la mort ou de l’invalidité de milliers de personnes. Enfin, à ce jour, près de 4 000 victimes, en majorité des « survivants » du Mediator, ont vu leur procédure d’indemnisation aboutir après examen par un collège d’experts adossé à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam).

      Ainsi, alors que la justice a condamné une « tromperie » (de l’industriel), une « négligence » (des autorités de santé), des « prises illégales d’intérêts » (d’experts), l’addition de tous ces éléments permet d’employer le terme de « complot avéré », au sens où l’entend l’anthropologue #Didier_Fassin, auteur récent de remarquables leçons de santé publique données au sein du Collège de France en 2021 : « On peut donc parler de véritables conspirations conduites par des capitaines d’industrie sans scrupule, des politiciens corrompus et des chercheurs vénaux dont les actes ne sont pas seulement des violations de la loi mais aussi des pratiques criminelles puisqu’ils mettent cyniquement en jeu la vie d’individus. » Didier Fassin conclut : « Il faut donc nommer ces actes pour ce qu’ils sont : d’authentiques complots portant atteinte à la santé publique. » C’est sans aucun doute le cas du Mediator.
      L’affaire du Mediator a ainsi ébranlé profondément et, à juste titre, la confiance du grand public dans la capacité des autorités sanitaires, des laboratoires pharmaceutiques et du monde médical en général à garantir leur santé, y compris en s’opposant sans compromission à de rares mais possibles dérives criminelles autant que lucratives, des industries de santé. Cette défiance, d’essence complexe, participe à l’audience de plus en plus large de « théories du complot », truffées d’informations falsifiées, mais aussi plus simplement à l’expression d’inquiétudes légitimes.

      Mediator, devenu une métonymie du scandale sanitaire, a été détourné par de nombreux adeptes d’un complotisme délétère comme une sorte de caution les autorisant à rejeter sans nuance des propositions vitales pour la santé publique, comme c’est le cas de l’actuelle campagne de vaccination contre le Covid-19.

      Le professeur et urologue Guy Vallancien, dont la nomination est annoncée au sein d’une commission « resserrée », a été un des fers de lance d’une nébuleuse de médecins de haut rang, professeurs de médecine, parfois académiciens de médecine, qui, depuis des années et sans vergogne, tentent de discréditer, minimiser, voire nier la gravité du drame humain causé par le Mediator.

      Dans son ouvrage La Médecine sans médecin ? (Gallimard, 2015), le professeur Vallancien écrit ceci à propos du scandale du Mediator, tout en déplorant la défiance suscitée par l’affaire : « La violence de la charge unique contre l’industrie avait de quoi choquer (…). Rares sont les malades qui furent meurtris par les complications liées au produit (…). Parmi les dossiers de plaignants (…) seul un nombre infime est à ce jour reconnu comme en relation avec la prise du produit incriminé. » Plus tard, en 2016, Guy Vallancien s’insurgera publiquement contre le « Manifeste » de grands médecins et humanistes, Michel Serres, Axel Kahn, Rony Brauman, Claude Got et une trentaine d’autres signataires, alertant la communauté médicale du comportement ignominieux de la firme à l’égard de ses propres victimes.
      Il est à craindre qu’une telle commission, dont l’un des membres s’est abîmé, non seulement n’apporte aucune réponse raisonnable et raisonnée à la problématique soulevée, mais creuse un peu plus le fossé entre beaucoup de nos concitoyens et les élites qu’ils critiquent, à tort ou parfois à raison.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/30/irene-frachon-la-composition-de-la-commission-bronner-sur-le-complotisme-lai

      le Vallencien, c’est bête, mais à sa tronche de houellebecozemourozombie, je lui demanderais surtout pas l’heure

      #complotisme (qu’il faudrait écrire au pluriel)

      #santé_publique #industrie #chercheurs #mediator #Irène_Frachon

    • Deux ans après le départ de Vallancien [de son poste de directeur du Centre du don des corps de l’université Paris-Descartes de 2004 à 2014], son successeur, le Pr Richard Douard, chirurgien digestif à l’hôpital européen Georges-Pompidou, fait état de la situation à Frédéric Dardel, alors président de Paris-Descartes et aujourd’hui conseiller de la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal. Il lui présente un document édifiant de 27 pages, dont sont issues les photos décrites plus haut. Le mémo liste « des installations vétustes, inadaptées, ne respectant pas les obligations légales », « des chambres froides non hermétiques, avec des pannes à répétition [...] une absence de ventilation dans les différents espaces de travail, des canalisations d’évacuation des eaux bouchées ». Mais, ce qui semble le plus tracasser les autorités, c’est le « risque de scandale avec le non-respect de règles d’éthique dues aux corps qui [leur] sont confiés ». Oui, le plus embêtant, c’est la peur « que ça se sache », « que ça sorte », comme nous l’ont confié plusieurs sources ayant travaillé au CDC.

      Don de corps à la science : un charnier au coeur de Paris
      https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/don-de-corps-a-la-science-un-charnier-au-coeur-de-paris_2108389.html

      La peur que ça se sache ? C’est connu, et c’est promu.

    • Le danger sociologique ? Un feu de paille
      Arnaud Saint-Martin.
      À propos de Gérald Bronner et Étienne Géhin, Le danger sociologique, Paris, Presses universitaires de France, 2017, 242 pages
      https://www.cairn.info/revue-zilsel-2018-1-page-411.htm

      L’opération a été méthodiquement préparée. À la veille de la sortie en librairie début octobre 2017 du Danger sociologique, cosigné par Gérald Bronner et Étienne Géhin, l’« hebdomadaire d’information » Le Point en publiait quelques « bonnes feuilles », ainsi que plusieurs réactions « à chaud »

      Dans l’ordre : Philippe Meyer, Alain Touraine, Edgar Morin et…. Sur la couverture du magazine, un titre choc annonçait la couleur, crépusculaire : « Le livre noir des imposteurs de la pensée ». La quatrième de couverture de l’essai en résume la raison d’être : secouer une « discipline à vocation scientifique […] prise en otage par ceux qui veulent en faire un “sport de combat” » et « qui peuvent nous égarer dans des récits idéologiques et outranciers ». Les auteurs invitent ces collègues en déshérence à « sortir de leur sommeil dogmatique et [à] s’astreindre aux règles qui régissent la cité des sciences ». Le ton est donné, le scandale attendu. On se doute que l’éditeur nourrit de grands espoirs : outre l’impulsion en coulisses du service de presse et la campagne de promotion, un bandeau rouge « LE LIVRE ÉVÉNEMENT » annonce qu’il risque de se passer quelque chose cet automne-là [2]
      [2]
      Organiser une polémique médiatique est une chose, faire son…. Que les esprits vont s’échauffer et entretenir les coulées d’encre et les tirages.

      (...) il est prolixe en matière d’intervention normative dans l’espace public, via les chroniques dans Le Point, ses interventions dans les médias, mais aussi ses essais de « sociologie analytique » sur l’état du monde au nom de la Raison ; par exemple, le diagnostic, martelé avec Géhin dans L’inquiétant principe de précaution , d’une insinuation angoissante et technophobe d’une « idéologie précautionniste » dans la société française, laquelle s’expliquerait ultimement par le _« fonctionnement même de l’esprit humain » [Gérald Bronner, « Perceptions du risque et précautionnisme »,….

      Sociologue du Point, faire valoir académique de la dénonciation de la « culture de l’excuse », son dernier ouvrage paru se nomme « Apocalypse cognitive »

      Gérald Bronner : « L’avenir se joue dans nos cerveaux »
      https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/01/24/gerald-bronner-l-avenir-se-joue-dans-nos-cerveaux_6067404_3260.html

      Notre « nature », qui est à la fois source de nos erreurs et des possibilités de les contrecarrer, Gérald Bronner la cherche principalement dans notre cerveau, dans les traits cognitifs qui nous sont communs, indépendamment de nos genre, milieu ou culture.

      [...] « Ce que je crains, confirme-t-il, c’est un affaissement de notre civilisation. Il se manifeste déjà, par exemple, par la mise entre parenthèses de la conquête spatiale, la mise en cause du progrès, les embarras des organisations internationales. Pour le surmonter, et parvenir à franchir le plafond de verre civilisationnel, il faut savoir nous regarder en face, prendre la mesure de nos addictions et de nos choix. En ce sens, l’avenir se joue dans nos cerveaux. C’est seulement en pouvant dire : “Voilà comme nous sommes” que nous pourrons construire le récit de nos prochaines aventures. »

      Le top en matière d’analyse du social : l’imagerie cérébrale.

      Autre penchant sympathique, après avoir larmoyé sur l’"abandon de la conquête spatiale" :

      « En quittant la Terre, il deviendrait évident que nous sommes humains avant d’être terriens. C’est là un rappel essentiel car l’idéologie précautionniste, en nous proposant un rapport empreint de sentimentalité à la planète qui a vu notre naissance, a tendance à rendre indissociable notre destin du sien. »
      https://seenthis.net/messages/820351#message902010
      #Gérald_Bronner #neuroscience #neutralité #cogniticien #contremaître_gradé

    • « Donc le responsable de la commission chargée de lutter contre les « fake news », Gérald Bronner, qualifie « d’esprits malveillants » des journalistes parce qu’ils font un papier sur les turpitudes d’un de ses membres (Guy Vallancien) … ça commence très fort cette commission. »
      https://twitter.com/l_peillon/status/1444762462486728714
      https://www.liberation.fr/checknews/quest-il-reproche-au-chirurgien-guy-vallancien-membre-de-la-commission-bronner-contre-les-fake-news-20211001_XDC2MA374NHGRLLFEM3VV3YAI4/?redirected=1&redirected=1

      Impliqué dans le scandale du charnier de l’université Paris-Descartes, l’urologue a aussi fait l’objet d’un blâme de la part de l’Ordre des médecins dans une autre affaire.

      Afin de lutter contre les fausses informations sur le web, Emmanuel Macron a mis en place, mercredi à l’Elysée, une commission chargée de « définir un consensus scientifique sur l’impact d’Internet », « formuler des propositions dans les champs de l’éducation, de la prévention, de la régulation, et de la judiciarisation des entrepreneurs de haine » ou encore de « développer une analyse historique et géopolitique de l’exposition de la France aux menaces internationales ». Intitulée « les lumières à l’heure du numérique », cette commission, présidée par le sociologue Gérald Bronner, devra rendre un rapport courant décembre.

      Outre Gérald Bronner, lui-même épinglé pour avoir véhiculé une fausse information dans l’un de ses ouvrages, un nom, au sein de cette commission, a particulièrement fait sursauter de nombreux internautes : Guy Vallancien. Agé de 75 ans, cet urologue renommé, membre de l’académie de médecine (comme Bronner), s’est en effet illustré, de façon polémique, dans différents dossiers au cours de sa carrière.

      « Charnier » de Descartes

      A commencer par son implication dans le « charnier » de l’université Paris Descartes...
      #paywall

    • Sachant par ailleurs que Bronner lui-même a été pris la main dans le sac en diffusant une fausse information dans l’un de ses bouquins :
      https://www.lemonde.fr/planete/article/2014/10/13/le-chlore-au-temps-du-cholera_4505153_3244.html#xtor=AL-32280270-%5Bdefault%

      Guy Vallancien reste membre de la commission Bronner

      Ça promet cette commission fake news de la honte.

      La saison de la chasse aux sorcières est donc ouverte en macronie, sous les applaudissements du roi !

    • Guy Vallancien quitte la commission contre le complotisme en dénonçant un complot contre lui.
      Il apprend vite…

      « Je me retire de la commission Les lumières à l’ère numérique », a déclaré le Pr Vallancien, qui dénonce une « honteuse campagne de dénigrement ignoble et mensonger » après sa nomination à cette instance présidée par le sociologue Gérald Bronner #AFP

  • Les regrets de Monique Pinçon-Charlot
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/09/01/les-regrets-de-monique-pincon-charlot_6093026_3260.html

    « Notre vie chez les riches », les Mémoires du couple de sociologues bien connu, peine à faire oublier la polémique autour des propos complotistes tenus en 2020 par Mme Pinçon-Charlot.

    Beaucoup, apprenant que Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot publieraient, le 26 août, Notre vie chez les riches. Mémoires d’un couple de sociologues (Zones), pensaient qu’ils allaient enfin comprendre comment Monique Pinçon-Charlot avait pu se retrouver dans Hold-up, le documentaire complotiste sur la crise du Covid-19, diffusé en ligne en novembre 2020. Las, si le livre regorge de récits et d’analyses souvent très intéressants sur leur approche sociologique de la bourgeoisie française, et revient sur l’engagement politique des deux intellectuels à l’extrême gauche, pas un mot sur cette étrange affaire.

    Il est vrai que Monique Pinçon-Charlot, alors que montait la polémique sur sa participation au film, avait présenté sur Twitter ses « excuses très sincères » pour y avoir déclaré que, du fait du dérèglement climatique, dont le Covid-19 serait une conséquence, « il y a un holocauste, qui va éliminer certainement (…) 3,5 milliards d’êtres humains » et qui rappellerait ce que « les nazis allemands ont fait » pendant la guerre.

    C’est d’ailleurs en se fondant sur les excuses de la sociologue que les éditions de La Découverte (auxquelles appartient le label Zones) expliquent n’avoir eu aucun doute sur l’opportunité de publier Notre vie chez les riches moins d’un an plus tard. « Sachant que Monique Pinçon-Charlot a regretté publiquement [s]es propos (…), et surtout que ce nouvel ouvrage écrit à quatre mains ne comporte rien de tel », explique au « Monde des livres », par mail, le service de presse de la maison, La Découverte « a honoré ses engagements envers des auteurs qui lui ont depuis des années accordé leur confiance ».

    Mais sur quoi au juste portaient les regrets de Monique Pinçon-Charlot ? En réalité, sur un mot uniquement – « holocauste », qu’elle qualifiait, toujours sur Twitter, d’« inapproprié ». Pour le reste, aucune rétractation : le terme d’« holocauste », poursuivait la sociologue, avait été employé « au lieu de celui d’extermination ». Par conséquent, l’idée d’une possible élimination volontaire de « 3,5 milliards d’êtres humains » était, elle, explicitement maintenue.

    Rien d’étonnant à cela si l’on pense, entre autres exemples, à cet entretien accordé à la série YouTube « Le Jour d’après », le 13 avril 2020, dans lequel Monique Pinçon-Charlot assurait : « L’objectif conscient et déterminé [des capitalistes] (…), c’est bien d’exterminer la moitié la plus pauvre de l’humanité avec l’arme terrible qu’est le dérèglement climatique. »

    Un silence incompréhensible

    Ainsi la participation de Monique Pinçon-Charlot à Hold-up n’était-elle pas la question centrale, et ses regrets sur Twitter ne pouvaient masquer une dérive complotiste plus ancienne et plus profonde. Quant au fait, allégué par La Découverte, qu’il n’y a « rien de tel » dans Notre vie chez les riches, il peut à son tour déconcerter. Si Monique Pinçon-Charlot croit toujours à cette volonté génocidaire des puissants, pourquoi ne pas l’évoquer, à titre d’alerte ? Si elle n’y croit plus, pourquoi ne pas expliquer son erreur ? Refusant les deux seules possibilités rationnelles qui s’offraient à eux, les auteurs aboutissent à un silence incompréhensible, au sujet d’une polémique qui a été si retentissante que chacun de leurs lecteurs l’aura nécessairement en tête.

    Après plusieurs sollicitations du « Monde des livres », Monique Pinçon-Charlot a fini par répondre à ces interrogations, mardi 31 août, dans un message écrit où elle redit « à quel point [elle] regrette [s]a participation à Hold-up ». Mais, pour la première fois, elle va plus loin, évoquant « une fragilité liée à une situation personnelle très douloureuse qui [l]’a conduite à tenir en cette année 2020 des propos outranciers, irrecevables, avec des erreurs sémantiques inexcusables ». « Je regrette ces simplifications abusives », poursuit la sociologue en se référant explicitement à sa phrase sur la volonté génocidaire des capitalistes, avant de conclure : « [C]es égarements (…) ne sauraient effacer près de cinquante ans de recherches et d’écriture, ce dont ce livre témoigne, en retraçant sereinement notre parcours et nos engagements. »

    La sincérité et l’étendue des regrets paraissent cette fois hors de doute. Pourtant, comment ne pas s’étonner qu’ils passent par voie de presse, sur sollicitation, et que l’éditeur comme les auteurs aient jusque-là voulu publier le livre en se contentant de renvoyer à des excuses très partielles ? Il demeure évident qu’il aurait été plus simple de donner ces explications dans Notre vie chez les riches, plutôt que de tenter de faire reposer sa promotion sur un silence qui, au bout du compte, se révèle artificiel.

    Interrogé sur cette manière de faire, le fondateur du site Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt, auteur de L’Opium des imbéciles. Essai sur la question complotiste (Grasset, 2019), explique au « Monde des livres » : « C’est une façon hypocrite de s’en sortir, en croisant les doigts pour qu’on ne remette pas des déclarations complotistes sur le tapis à la sortie du livre. » Il ajoute : « Vous dites une énormité, et vous n’en reparlez plus, notamment dans vos livres, en comptant sur l’oubli. Le procédé est courant. »

    Monique Pinçon-Charlot en a finalement décidé autrement. Que cette attitude, fût-elle tardive, échappe à ce point aux logiques habituelles peut être considéré comme une bonne nouvelle. Le complotisme a rarement l’élégance d’être une parenthèse qui accepte de se refermer.

    Le lapsus, réussite de l’inconscient. Oui, il y a des bouts de réponse à une curiosité : c’est quoi la grande bourgeoisie ? mais cette sociologie tend effectivement à dégringoler dans la dénonciation d’un sujet volontaire et conscient (oligarchie, caste, blabla). Ne plus pouvoir faire appel au sujet volontaire et conscient de manière positive (classe ouvrière, parti), c’est peut-être cette douleur-là, bien antérieure au covid, qui les aura abruti.

    #gauche #complotisme #explication_abusive #bêtise #antisémitisme (banalisation de) #antisémitisme_de_gauche

  • Des milliers de feuillets inédits : les trésors retrouvés de Louis-Ferdinand Céline
    http://www.davduf.net/des-milliers-de-feuillets-inedits-les-tresors

    Trésor ! Jean-Pierre Thibaud ; ex critique théâtre de Libé : « Il y a de nombreuses années, un lecteur de Libération m’a appelé en me disant qu’il souhaitait me remettre des documents. Le jour du rendez-vous, il est arrivé avec d’énormes sacs contenant des feuillets manuscrits. Ils étaient de la main de Louis-Ferdinand Céline. Il me les a remis en ne posant qu’une seule condition : ne pas les rendre publics avant la mort de Lucette Destouches, car, étant de gauche, il ne voulait pas “enrichir” la veuve de (...) #blogger|fcuker

    / #Livres

    • Des milliers de feuillets inédits : les trésors retrouvés de Louis-Ferdinand Céline
      https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/08/04/les-tresors-retrouves-de-louis-ferdinand-celine_6090546_3260.html

      Il l’a hurlé si fort et si souvent que même ses plus fervents admirateurs avaient fini par en douter. Et pourtant, jusqu’à son dernier souffle, Louis-Ferdinand Céline, mort en 1961, n’a cessé de le répéter : en 1944, alors qu’il venait de s’enfuir en catastrophe vers l’Allemagne nazie avec les ultras de la Collaboration, des pillards ont forcé la porte de son appartement de Montmartre et lui ont volé de volumineux manuscrits, pour une large part inédits. Parmi eux, a-t-il toujours proclamé, celui de Casse-pipe, le roman qui devait former un triptyque avec ses deux chefs-d’œuvre Voyage au bout de la nuit (1932) et Mort à crédit (1936). Seules quelques pages de ce roman étaient parvenues jusqu’à nous.

      Oui, Céline l’a hurlé sur tous les tons. Dans D’un château l’autre, en 1957 : « Ils m’ont rien laissé… pas un mouchoir, pas une chaise, pas un manuscrit… » Dans une lettre à son ami Pierre Monnier, en 1950 : « Il faut le dire partout si Casse-pipe est incomplet c’est que les Epurateurs ont balancé toute la suite et fin, 600 pages de manuscrit dans les poubelles de l’avenue Junot. » Et d’ajouter que ces « pillards » avaient également dérobé un épais manuscrit intitulé La Volonté du roi Krogold, quasiment inédit lui aussi. Quelques jours avant sa mort, le romancier écrivait encore dans Rigodon : « On m’a assez pris, on m’a assez dévalisé, emporté tout ! Hé, je voudrais qu’on me rende ! »

      https://actualitte.com/article/101770/archives/les-feuillets-perdus-de-louis-ferdinand-celine-enfin-retrouves

      #Céline

    • ah oui, j’ai trouvé cet article de Le Monde sur internet, il est chouette, il restitue bien l’époque en plein dans ta gueule

      « Et, pour qu’un résistant soit emprisonné en 1944, il fallait vraiment qu’il ait fait des choses graves » , observe Emile Brami [biographe de L-F. C.]

      [...]

      « Cela paraît fou, mais Céline, auteur de pamphlets antisémites, avait choisi Rosembly pour tenir sa comptabilité, justement parce qu’il pensait qu’il était juif ! » , commente Emile Brami.

      [...] S’il n’a pas collaboré au sens « technique » du terme – trop maladivement indépendant pour cela –, il passe pour être l’un des plus célèbres amis français des nazis. [et là, c’est pas du Brami]

      Edit

      Pendant l’Occupation, [la prison de Fresnes] prend une dimension nouvelle, hautement symbolique, avec la présence dans ses murs de grandes figures de la Résistance : le lieutenant de vaisseau d’Estienne d’Orves, le général Delestraint, Edmond Michelet, Pierre Brossolette, Missak Manouchian, Geneviève Anthonioz-de Gaulle… et bien d’autres encore, connus ou inconnus, communistes ou gaullistes... Pour tous ces détenus, Fresnes n’est qu’une étape, ils doivent y séjourner quelques mois seulement, le temps de l’instruction de leur affaire, puis la plupart partiront en Allemagne (Buchenwald, Ravensbrück…) ou seront conduits devant un peloton d’exécution au Mont-Valérien.

      http://museedelaresistanceenligne.org/media5275-Plaque-apposA

      https://justpaste.it/37tvr

    • Dingue.

      Soixante ans après sa mort, du fond de sa tombe du cimetière des Longs-Réages, à Meudon (Hauts-de-Seine), Louis-Ferdinand Céline doit savourer cet incroyable coup du destin. Et se remémorer sa supplique prophétique : « Hé, je voudrais qu’on me rende ! » C’est désormais chose faite.

      c’est @chirine qui doit être contente

  • « Sur le trottoir, l’Etat », de Gwénaëlle Mainsant : policier du sexe, un travail « émotionnel »
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/03/04/sur-le-trottoir-l-etat-de-gwenaelle-mainsant-policier-du-sexe-un-travail-emo

    « Sur le trottoir, l’Etat. La police face à la prostitution », de Gwénaëlle Mainsant, Seuil, « La couleur des idées », 346 p., 24 €, numérique 17 €.

    Des mythes et fantasmes qui entourent le travail policier, ceux qui concernent la brigade de répression du proxénétisme, parfois appelée « la mondaine », sont parmi les plus endurants. Ils sont faits de grands flics rudoyant de beaux voyous, de mères maquerelles et de clients aux mœurs scabreuses. Pourtant, constate Gwénaëlle Mainsant dans Sur le trottoir, l’Etat, « en l’espace d’un demi-siècle, la mondaine a été dépouillée de son autorité sur le sexe ». Fini le contrôle de l’homosexualité, de l’adultère ou de l’obscénité. La lutte contre le proxénétisme est devenue le dernier instrument de la police du sexe dans notre société.

    Mise en concurrence
    Pour comprendre comment fonctionne cette police, il fallait observer les policiers chargés de surveiller la prostitution, ces « agents de l’ordre social et sexuel », comme l’écrit la sociologue, qui s’y est attelée à Paris pendant plusieurs mois à la fin des années 2000, période de profonde mutation en la matière. Les prostitués non francophones originaires d’Asie, d’Afrique ou d’Europe de l’Est remplacent alors les « traditionnels » – les prostitués français – sur les trottoirs des grandes villes, rendant le travail policier plus malaisé.

    La loi et la hiérarchie policière, a contrario, imposent aux agents un contrôle plus strict de ce « gibier de police ». Elles mettent aussi en concurrence des services porteurs de visions très différentes de la prostitution. La prostituée interpellée par la mondaine est une victime du proxénétisme qu’il faut mettre en confiance pour obtenir des renseignements sur le réseau qui la fait travailler. La même, interpellée par les unités créées après 2003 pour réprimer le nouveau délit de racolage, est l’autrice d’une infraction qu’il faut verbaliser et intimider.

    Ces tensions dans le « gouvernement de la prostitution » découlent de l’adoption, au cours de la même période, d’une doctrine abolitionniste visant, sinon à faire disparaître la prostitution, du moins à la rendre invisible. Le travail des policiers, depuis lors, est devenu en grande partie un travail de « qualification » et non de régulation de la prostitution : il s’agit en effet de choisir, parmi les multiples formes de cet « illégalisme », celles sur lesquelles se concentrer, de les distinguer des autres, d’attribuer un rôle aux divers protagonistes (coupable ? victime ? indic ?) et de qualifier pénalement les faits.

    #paywall

    • Un cadre viril jamais questionné

      C’est lorsqu’il s’agit de comprendre les incertitudes contemporaines qui pèsent sur cette tâche que le livre devient passionnant. Par exemple lorsque Gwénaëlle Mainsant analyse le travail émotionnel auquel se livrent les policiers masculins avec les prostituées féminines, un jeu dans lequel l’altercation n’est jamais loin de la familiarité, et celle-ci de la complicité ou de la séduction. Ce jeu a aussi un prix : pour que des hommes puissent assumer ce travail émotionnel, d’habitude l’apanage des femmes, il faut que celui-ci soit compensé par un cadre viril jamais questionné, qui confère aux hommes policiers le contrôle de la sexualité des femmes prostituées.

      « Sur le trottoir, l’Etat » enrichit aussi la discussion, toujours très vive, sur la place de la police dans notre société

      C’est ce cadre qui explique notamment le peu d’empressement des policiers à enquêter sur les prostitués transgenres et la prostitution masculine, qui ne leur permettent pas la même gamme de jeu sur le genre. Paradoxalement – la sociologue souligne qu’ il y a là une exception en matière de sociologie de la déviance –, c’est ce cadre conventionnel du travail policier qui protège les transgenres et les travestis d’un contrôle policier tatillon, au lieu de redoubler la stigmatisation sociale dont ils sont victimes.

      Ce livre remarquable ne se lit pas seulement comme une contribution majeure à l’analyse du « gouvernement de la prostitution », une question étonnamment absente des controverses contemporaines sur le genre alors qu’elle était, dans les années 1990, au cœur de tous les débats sur l’émancipation féminine et les violences faites aux femmes.

      Il enrichit aussi la discussion, elle toujours très vive, sur la place de la police dans notre société. Le pouvoir conféré à la police de terrain en matière de gouvernement de la prostitution n’est pas si différent de celui qui lui est donné pour gouverner les manifestations ou la jeunesse des banlieues. Gwénaëlle Mainsant montre, dans tous ces domaines, qui touchent à la construction même de ce qui relie les individus entre eux, la pertinence du regard des sociologues. Un regard dont, trop souvent, l’autorité policière cherche à se préserver.

      EXTRAIT

      « La définition large du proxénétisme en droit (de “profiter des bénéfices de la prostitution d’autrui” à “apporter aide et assistance”) consacre le pouvoir discrétionnaire des policiers. Dans un travail où ils valorisent et privilégient les enquêtes dont ils sont à l’origine, celles qu’ils ont obtenues grâce aux tuyaux de leurs indics, ils ­s’efforcent de choisir des ­cibles qui leur permettent de tenir leur rôle. Et ce rôle a été construit historiquement pour faire face à des hommes coupables et des femmes ­victimes, que ce soit dans les interpellations ou les rapports avec les indics. Les policiers ne recrutent pas d’informateurs parmi les prostitués transgenres ou homosexuels et les proxénètes femmes. (…) La masculine police des mœurs reste donc avant tout une police de l’hétérosexualité sans pour autant devenir une police de la domination masculine. »

      #prostitution #domination_masculine #police #proxénétisme #illégalismes

    • c’est ce cadre conventionnel du travail policier qui protège les transgenres et les travestis d’un contrôle policier tatillon, au lieu de redoubler la stigmatisation sociale dont ils sont victimes.

      Les policiers ne recrutent pas d’informateurs parmi les prostitués transgenres ou homosexuels et les proxénètes femmes. (…) La masculine police des mœurs reste donc avant tout une police de l’hétérosexualité sans pour autant devenir une police de la domination masculine.

      J’interprète plutot ces remarques comme une police qui protège le patriarcat en contrôlant les femmes et non les hommes. La police considère et traite les femmes trans comme des hommes et leur accorder les privilèges qui sont accordés aux hommes de se prostitués sans subir de harcelement sexuel (nommé ici jeu de séduction). Il y a aussi une invisibilité des consommateurs de la prostitution qui sont pourtant aujourd’hui prétendument considérés comme délinquants tandis que les prostituées ne le sont sois disant plus.

  • « Cinq mains coupées », de Sophie Divry : paroles de « gilets jaunes » mutilés, Gladys Marivat(Collaboratrice du « Monde des livres »)
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/12/26/cinq-mains-coupees-de-sophie-divry-paroles-de-gilets-jaunes-mutiles_6064543_


    Antoine Boudinet, l’une des victimes, lors d’une manifestation à Bordeaux, en mai 2019. GEORGES GOBET/AFP

    Sophie Divry a foi en la fiction. Mais quand l’effroi et la colère devant les violences policières la décident d’écrire, elle ne peut que transcrire simplement les témoignages recueillis.

    « Cinq mains coupées », de Sophie Divry, Seuil, 128 p., 14 €, numérique 10 €.
    Retour sur Terre. Alors qu’elle écrivait un roman situé sur la planète Mars, Cinq mains coupées s’est imposé à Sophie Divry, au printemps 2019, sans dérobade possible. « J’ai interrompu ce projet, de manière assez violente d’ailleurs, parce que je ne pouvais rien faire d’autre », se souvient l’écrivaine, dont le roman martien devrait paraître en mars 2021 chez Notabilia, son éditeur historique. Depuis le début du mouvement des « gilets jaunes » en novembre 2018, celle qui a délaissé le journalisme et le militantisme anticapitaliste et écologiste pour la littérature, avec son premier roman, La Cote 400 (Les Allusifs, 2010), entend leurs revendications. Le samedi, elle participe à quelques « actes » à Lyon. Le bilan des blessés provoque en elle effroi et colère, et la pensée que l’histoire connaît une telle accélération qu’il faudrait « arrêter le temps » sur cette violence-là.

    En l’espace de quatre mois, des grenades lancées par les forces de l’ordre lors d’une manifestation des « gilets jaunes » ont arraché une main à cinq hommes. Comment vont-ils ? Dans quelles circonstances ont-ils été mutilés ? Sophie Divry sent la nécessité d’écrire un livre pour « apporter une pièce au dossier », en commençant par recueillir la parole de ceux qu’elle appelle « les cinq ». Ouvrier, artisan, délégué syndical, apprenti ou étudiant dans la région de Bordeaux, de Tours, au Mans ou en Ile-de-France, ils manifestaient avec des amis, des collègues, ou en famille, certains pour la première fois.

    Elle ne s’exprimera que dans la postface

    Sophie Divry hésite. Intellectuelle, citadine, diplômée en journalisme, quelle est sa légitimité dans ce projet ? Très vite, elle règle le problème. Elle va écouter et se taire. Pas une ligne ne sera d’elle. Le livre sera un montage. Elle ne s’exprimera que dans la postface, qui présente « les cinq » tout en précisant le contexte politique, ainsi que la composition des grenades chargées de TNT classées « armes de guerre » qui ont pulvérisé leurs mains. « Ces entretiens que j’ai réalisés, je les adresse collectivement comme un chœur à la communauté des lecteurs. C’est mon livre le plus politique dans le sens où je veux qu’il soit reçu par le citoyen, et non par le lecteur de littérature. Pour moi, il n’y avait pas la place, ni l’espace, ni le temps de la métaphorisation. » De tels propos peuvent surprendre de la part d’une écrivaine qui a témoigné de sa foi en la fiction dans son essai Rouvrir le roman (Notabilia, 2017), puis dans une tribune collective au Monde : « Pour dire notre époque monstrueuse, il faut des romans monstrueux » (3 novembre 2018). Toutefois, elle insiste : nous n’avions pas assez digéré ce qui s’est produit pour en faire des métaphores.

    Elle contacte Gabriel, Sébastien, Antoine, Frédéric et Ayhan, qui ont entre 22 et 53 ans, puis appréhende leurs réactions. Sa chance est de commencer par Antoine Boudinet, le plus politisé des cinq, qui siège aujourd’hui au conseil municipal de Bordeaux. Il lui répond : « Plus on parle de nous, mieux c’est. » Gabriel, qu’elle rencontre d’abord avec sa mère autour d’un café, se montre plus rétif. La seconde finit par prendre le projet à cœur, et s’implique pour convaincre Ayhan, ex-délégué syndical mutilé à Tours, de s’y joindre. Sophie Divry, ancienne journaliste au mensuel La Décroissance, leur fait valider la dizaine de pages de retranscription d’entretiens, effectués entre septembre 2019 et février 2020. Ils apportent des menues corrections, retranchent une expression ici ou là, par pudeur.

    Ensuite commence le travail de montage. A chaque voix correspond une couleur. L’écrivaine les entremêle selon une progression définie avant les entretiens – « Pourquoi je vais à la manifestation », « ça commence bien, puis ça dérape », « qui je suis » – et insère quelques solos. Les paroles s’équilibrent d’elles-mêmes – l’un parle plus aisément de l’aspect juridique, l’autre de sa souffrance psychologique. Lentement se dessine le « portrait cubiste de ce personnage de “gilet jaune” qui s’est fait arracher une main alors qu’il venait demander une augmentation du smic », dit Sophie Divry. Le texte devient parallèlement un document de base, que les « cinq » font lire à leurs proches ou envoient à leur avocat. « Je leur sers à parler, un peu comme un écrivain public », résume-t-elle.

    Tout ce sang, elle ne supporte pas la violence

    Le livre s’attarde longuement sur ce qu’implique la mutilation : la hantise de ne pouvoir payer sa maison, garder sa compagne, couper sa viande, reprendre le travail. La fluidité du montage achoppe cependant sur le passage consacré à l’accident. Cinq explosions et cinq descriptions de mains coupées rassemblées en une seule scène prototypique. Chaque demi-heure, l’autrice s’arrête pour prendre un café. Tout ce sang, elle ne supporte pas la violence. Il lui arrive de s’évanouir au cinéma.

    Après avoir reçu les livres, les manifestants lui ont envoyé des messages – « Vous ne nous avez pas trahis ! », s’exclame l’un d’eux. Le Seuil indique au « Monde des livres » que Cinq mains coupées a suscité l’intérêt de trois théâtres, en suspens à cause de la pandémie de Covid-19. Sophie Divry, qui, en 2017, confiait au Monde se sentir parfois coupable d’avoir « abandonné le terrain » de la politique, considère que son livre est « de l’ordre du devoir accompli » et restera « une source de grande fierté ». Elle peut retourner à la fiction, à son « ampleur » et à sa « poétisation ». Repartir sur Mars.

    CRITIQUE
    Ecouter l’autre

    Réfléchir à la forme hybride du nouveau livre de Sophie Divry ne revient pas à chercher vainement dans quelle catégorie le ranger. Pièce de théâtre, fiction radiophonique, reportage, chronique ? Peu importe. Seule compte la puissante impression de proximité et de dérèglement que produit ce montage de témoignages bruts.

    Souvent, les propos se contredisent et nous voilà perdus. Mais cela nous renvoie à la désorientation des cinq narrateurs venus manifester dans le cadre du mouvement des « gilets jaunes », et qui vont perdre chacun une main, en même temps qu’à ce sentiment collectif de vivre une période anormale où les droits les plus élémentaires, tel celui de manifester, sont remis en question. « Mais le réel change plus vite que nos conceptions mentales, et cet écart nous fait souffrir », affirme l’écrivaine dans sa postface. Il y avait donc matière à inventer.

    Cinq mains coupées est en ce sens une réussite littéraire doublée d’un acte politique et d’une leçon de journalisme. En nous plongeant une année dans la vie de cinq hommes mutilés, le livre nous oblige à écouter l’autre. Pas celui qui a fait de la parole son métier, non. Celle de l’homme de la rue, qui cherche les mots pour qualifier ce qu’il a vécu. « Je ne sais pas comment classer ça. J’avais jamais connu ça. Je ne sais pas dans quoi mettre ça. On ne donne pas de sens à ça », dit le chœur de Cinq mains coupées . Etrangement, cette phrase composite semble nous parler d’aujourd’hui, et nous hante longtemps.

    EXTRAIT

    « Je me rappelle de tout. Je courais en tenant ma main. C’est un “gilet jaune” qui m’attrape par les épaules et qui me dit : “Assois-toi, t’as la main arrachée, tu vas pas aller loin.” C’est ma mère qui m’a assis contre une vitrine, en plein milieu d’une rue. Tout de suite, un “gilet jaune” me prend et m’allonge sur le trottoir. Deux ou trois personnes se sont groupées autour de moi. Ils m’ont enveloppé le moignon avec le drapeau français que j’avais dans l’autre main. Mon frère m’a maintenu la main et puis on a couru, il m’a dit après qu’il sentait mes doigts qui lui coulaient entre ses doigts, dans le mauvais sens. Cinq ou six personnes m’ont soutenu et m’ont déposé dans une petite rue derrière. J’ai tout vu. Je n’ai pas perdu conscience. Je me suis mis au sol, je suis peut-être tombé. Les gens ont fait comme une carapace contre les lacrymos, une haie pour me protéger. Parce que les gaz ont continué, les grenades, les Flash-Ball, les lacrymogènes, c’était non-stop. »
    Cinq mains coupées, pages 29-30

    #livre #montage #répression #violences_d'État #mutilations #police #manifestation

  • « Journal d’un rescapé du Bataclan », de Christophe Naudin : un prof face à Daech
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/10/21/journal-d-un-rescape-du-bataclan-de-christophe-naudin-un-prof-face-a-daech_6

    Quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty, un autre professeur d’histoire au collège signe « Journal d’un rescapé du Bataclan », témoignage bouleversant, d’une stupéfiante résonance.

    Voici le journal d’un professeur d’histoire. A la date du 7 septembre 2017, il note : « Ma nouvelle salle de cours n’est pas idéale en cas d’attaque du collège. Je donne direct sur la cour, avec des vitres sans rideaux… » Un an plus tôt, à propos des exercices « attentat-intrusion » décidés par le ministère, il s’interroge : « On va demander aux élèves de faire des points de compression à leurs profs criblés de balles ? » Et le 5 décembre 2015, ayant lu dans le magazine francophone de l’organisation Etat islamique, Dar al-Islam, une dénonciation du complot judéo-maçonnique qui serait à l’origine de l’école républicaine, il ironise : « Après avoir visé des lieux festifs et de “perversion”, Daech voudrait à présent s’attaquer aux enseignants. Ce n’est pas une grande surprise (…). On attend avec impatience les formations proposées par l’Education nationale pour réagir à une attaque en salle des profs par des individus armés de fusils d’assaut et de ceintures d’explosifs. »

    A peine un mois avant d’écrire ces mots, le 13 novembre, Christophe Naudin se trouvait au Bataclan. Il y est resté caché des heures dans un cagibi, serré contre d’autres corps affolés. Il y a perdu son ami Vincent. Il y a enjambé des cadavres. Et il y a croisé le regard d’un des tueurs, ce regard furieux, saturé de haine, qui a donné à sa propre existence un nouveau coup d’envoi. Le mince volume qu’il publie, le 30 octobre, sous le titre Journal d’un rescapé du Bataclan. Etre historien et victime d’attentat, constitue un témoignage bouleversant. Non seulement parce qu’il trouve aujourd’hui, après l’assassinat de son collègue Samuel Paty, une stupéfiante résonance. Mais aussi parce qu’il retrace, avec une liberté et une sincérité admirables, les démêlés intérieurs d’un prof de gauche, activement engagé contre la haine des musulmans, soudain frappé par la terreur islamiste.

    Une reconstruction et une élucidation

    Ce journal est donc celui d’une reconstruction, au sens le plus charnel du terme : Christophe Naudin y consigne ses séances chez la psychologue, ses efforts pour surmonter le trauma, les flashs qui continuent de le hanter (souvenir obsédant de ce bout de cervelle collé à un ampli), les cauchemars qui hachent ses nuits ( « L’image de types tirant à la kalach sur une école. J’ai vu les flammes sortir des canons et entendu les tirs… » ), les crises de panique, le goût métallique qui lui reste dans la bouche… Mais cette reconstruction est également une élucidation : coauteur d’un essai consacré aux récupérations islamophobes du passé, Charles Martel et la bataille de Poitiers. De l’histoire au mythe identitaire (avec William Blanc, Libertalia, 2015), Christophe Naudin prend bientôt conscience que ses soutiens les plus enthousiastes manifestent trop souvent de l’indulgence à l’égard de l’islamisme. Lui qui a connu le réel des attentats djihadistes supporte de plus en plus mal que certains de ses amis minimisent le danger, voire le nient, quitte à cautionner des thèses qui n’ont rien à voir avec l’héritage de la gauche.

    Un jour, au Salon anticolonial de Marseille, il est apostrophé par un homme qui proclame que les Berbères ont été « envoyés par les juifs » pour se débarrasser des Arabes ; exaspéré par l’attitude accommodante des organisateurs, Naudin décide de s’en aller. Une autre fois, un collègue, avec lequel il surveille les examens du brevet, lui affirme qu’évidemment il condamne Daech… mais que la montée de l’islamisme en Algérie avait été organisée, à l’origine, par un certain « groupe » aux Etats-Unis. Ces épisodes, qui auraient naguère paru anecdotiques au militant de gauche, ont maintenant un effet dévastateur sur le rescapé du Bataclan : « Je sature de ceux qui font ami-ami avec Tariq Ramadan, le Parti des indigènes de la République et toute cette nébuleuse, parce que l’islam serait la religion des dominés (…). La leçon de Dieudonné n’a pas servi » , déplore Naudin dans ce journal de survie et de colère.

    Son livre parvient à se tenir sur la corde raide. Chaque phrase est traversée par une seule et même question : est-il possible de concilier révolte et lucidité, peut-on demeurer fidèle à une certaine espérance d’émancipation, tout en ouvrant les yeux sur les complaisances dont l’islamisme bénéficie à gauche ? Issu d’une famille de militants aux engagements sociaux et antiracistes, Naudin constate qu’il n’est pas le seul à s’interroger : « Je pense à des gens, particulièrement mes proches, qui n’en peuvent plus, à la fois de la violence et de l’ambiance insupportable dues aux attentats, et des leçons de morale, des procès en racisme ou des circonstances atténuantes (ou ressenties comme telles) accordées aux terroristes. »

    Les ponts sont coupés

    Bien sûr, son journal l’atteste, Christophe Naudin aimerait continuer à vivre et à parler en homme de gauche. Page après page, il brocarde les « fafs » , se rend à Nuit debout, évoque avec nostalgie les grandes grèves de 1995, dit son indignation face au racisme ou aux violences policières. Pourtant, le Bataclan est passé par-là, et de la même manière que Philippe Lançon, dans Le Lambeau (Gallimard, 2018), décrit la cohabitation, dans un seul et même corps, entre « celui qui n’était pas tout à fait mort » et « celui qui allait devoir survivre » , Naudin fait entendre une vérité qui est moins intellectuelle que physiologique : avec l’homme qu’il était « avant », les ponts sont désormais coupés.

    La façon dont il évoque cette cassure, exhibant ses doutes, ses souffrances, relève du courage. En relève aussi le geste des éditions Libertalia, petite maison de sensibilité anarchiste, qui ose publier ce livre où sont mis en cause quelques-uns de ses « alliés », et même un auteur de son catalogue. Mais ces militants libertaires le savent bien : dans les périodes de funeste désorientation, quand triomphent la mauvaise foi et les grimaces partisanes, tout dissident prend le risque de se retrouver seul, sous le feu croisé des ennemis de toujours et des amis sans bravoure.
    Que se passera-t-il, cette fois ? Par miracle, le témoignage de Christophe Naudin provoquera-t-il, chez ses camarades, un débat loyal ? Ou bien, comme si souvent dans le passé, le rescapé sera-t-il banni comme renégat ? Dans ce cas, le sceptique serait une fois encore traité en apostat, quand il faudrait reconnaître, chez celui qui prend la parole aujourd’hui, un homme de gauche giflé par la réalité, un historien mis en lambeaux.

    #islamisme #islamistes #Tarik_Ramadan

  • « Ne dis rien », de Patrick Radden Keefe : sur un meurtre en Irlande du Nord
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2020/10/17/ne-dis-rien-de-patrick-radden-keefe-sur-un-meurtre-en-irlande-du-nord_605639

    « Ne dis rien. Meurtre et mémoire en Irlande du Nord » (Say Nothing. A True Story of Murder and Memory in Northern Ireland), de Patrick Radden Keefe, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Claire-Marie Clévy, Belfond, 432 p., 22 €, numérique 15 €.

    Elles habitaient Belfast, à quelques kilomètres l’une de l’autre. La première était veuve, mère de dix enfants. La seconde, une paramilitaire de l’Armée républicaine irlandaise provisoire (IRA provisoire, né d’une scission de l’IRA en 1969), grandie au sein d’une famille républicaine. Elles s’appelaient Jean McConville et Dolours Price. Leurs existences sont entrées en collision un soir de décembre 1972. Jean avait 37 ans lorsqu’elle a été enlevée à son domicile ; Dolours Price, qui a participé à son exécution, 21.

    Les restes de Jean McConville, l’une des 16 personnes disparues pendant les Troubles (1969-1998) – le conflit nord-irlandais aux 3 600 morts –, ont été découverts sur une plage en 2003. Dolours Price est décédée dix ans plus tard d’un excès d’alcool et de médicaments. Avec Marian, sa sœur cadette, elle avait participé à l’attentat à la voiture piégée devant le palais de justice londonien, Old Bailey, perpétré le 8 mars 1973. En prison, elles entreprirent une grève de la faim qui dura deux cent huit jours et fut interrompue par un nourrissage forcé d’une grande brutalité.
    Beaucoup ont hésité à lui parler

    En lisant sa nécrologie, l’Américain Patrick Radden Keefe, journaliste d’investigation à l’hebdomadaire The New Yorker, s’est lancé dans une vaste enquête publiée le 16 mars 2015 : « Where the Bodies Are Buried » (« Là où les corps sont enterrés »). 15 000 mots, l’article le plus long de sa carrière. « J’avais toutefois le sentiment qu’il restait des zones plus profondes à explorer, tant de riches personnages, de sous-intrigues et d’histoires parallèles que je pourrais développer dans un livre », détaille Patrick Radden Keefe, joint par « Le Monde des livres ».

    Le journaliste a rassemblé une documentation considérable : interviews publiées ou inédites, enregistrements audio, lettres, articles de journaux, déclarations, Mémoires, dossiers médicaux, rapports carcéraux. Durant quatre ans, il a procédé lui-même à une centaine d’entretiens qu’il a rigoureusement recoupés. Bien qu’il leur garantît l’anonymat, beaucoup ont hésité à lui parler ; d’autres ont catégoriquement refusé, tel Gerry Adams, leader du Sinn Fein entre 1983 et 2018. « Alors que mes questions portaient sur un meurtre commis avant ma naissance, les gens s’inquiétaient. Selon eux, il était encore dangereux d’évoquer le sujet. J’ai donc manœuvré lentement, essayant d’amener chaque personne qui acceptait de s’exprimer de m’aider à convaincre la suivante. Petit à petit, j’ai pu gagner leur confiance, en partie parce que j’étais un étranger, ce qui veut dire que je n’abordais pas cette histoire avec de grandes idées préconçues. »
    Lire aussi (octobre 2020) : Le Brexit reste un sujet toxique en Irlande du Nord

    Car l’Irlande du Nord est un petit territoire où tout le monde ou presque se connaît, et où le passé plane sur le présent comme une chape de plomb. « Cela signifie que si vous voulez raconter un événement survenu la semaine dernière à un type nommé Jim, vous devez aussi, pour le comprendre, raconter l’histoire de son grand-père et parfois remonter encore plus loin. »
    « La réconciliation et la révélation »

    Le titre de son ouvrage, Ne dis rien, résume la culture du silence qui a prévalu jadis et qui règne toujours plus de vingt ans après l’accord de paix signé le 10 avril 1998. L’omerta a été d’autant plus difficile à briser après le fiasco du « Belfast Project ». Intention louable que ce programme d’archives orales portant sur la violence politique en Irlande du Nord – il était censé être abrité par le Boston College, une université du Massachusetts. Le directeur de ce programme semi-officiel était le journaliste Ed Moloney, fin connaisseur du conflit, qui y associa un ancien membre de l’IRA provisoire, Anthony McIntyre. Ils menèrent des entretiens au long cours entre 2001 et 2006, sous le sceau d’un accord conclu avec leurs interlocuteurs : que leurs propos ne soient pas divulgués de leur vivant. D’anciens militants unionistes, ainsi que vingt-six ex-membres de l’IRA, acceptèrent de témoigner en toute franchise, dont Dolours Price et Brendan Hughes, ex-officier commandant de la brigade de Belfast de l’IRA provisoire.

    L’accord de confidentialité fut toutefois violé lorsque la Cour suprême des Etats-Unis ordonna à l’université de remettre des extraits de onze entretiens à la justice irlandaise dans le cadre de l’investigation sur le meurtre de Jean McConville. Les participants du « Belfast Project » se sont sentis trahis. Paradoxalement, estime Anthony McIntyre, qui a accepté de converser avec Radden Keefe dans le cadre de son enquête, « Ne dis rien pourrait aider à faire reconnaître ce que le projet détenait en tant que mécanisme de recueillement et de compréhension de la vérité (…). Dans le Nord [l’Irlande du Nord], la vérité concerne toujours la récrimination et le châtiment, rarement la réconciliation et la révélation », écrit-il le 9 décembre 2018 sur le site Thepensivequill.

    En Irlande du Nord, un accueil discret a été réservé à Ne dis rien, par ailleurs best-seller multiprimé aux Etats-Unis. « Il lui a fallu du temps pour trouver un public, constate Patrick Radden Keefe, en partie parce que les gens qui ont vécu cette histoire ne sont pas sûrs de vouloir aujourd’hui la relire. Il s’agit encore de problèmes très délicats et potentiellement explosifs. Mais, lentement, les gens ont commencé à faire circuler l’ouvrage. » Patrick Radden Keefe a même reçu des témoignages spontanés de personnes ayant connu l’un ou l’autre des protagonistes. « En République d’Irlande, il a été lu par des jeunes lecteurs, des milléniaux qui considèrent le Nord comme un pays étranger et qui, même s’ils habitent relativement près, à Galway ou à Dublin, ne connaissent pas intimement les Troubles. »
    Lire aussi « Les Troubles » : comprendre trente ans de guerre civile en Irlande du Nord

    Critique
    Les ressorts de la violence politique en Ulster

    Fusillades, bombardements, exécutions extrajudiciaires… Les années 1970 furent la décennie noire des « Troubles », nom donné au conflit nord-irlandais (1969-1998) qui opposa protestants et catholiques, unionistes et nationalistes.

    Patrick Radden Keefe, journaliste d’investigation américain, retrace les grandes lignes de cette meurtrière guerre civile – le Bloody Sunday, le mouvement des « Dirty Protest », la grève de la faim de Bobby Sands et d’autres détenus politiques – à travers le destin brisé de plusieurs personnages : Jean McConville, une veuve suspectée d’être une indic pour la police britannique ; les ex-paramilitaires de l’IRA provisoire, Dolours Price et Brendan Hughes, qui appartenaient à la « brigade des Inconnus », chargée de liquider les espions et les « balances » ; et Gerry Adams, ex-leader du Sinn Fein, qui a toujours nié son implication de donneur d’ordre pendant ces années-là.

    Lauréat du prestigieux prix Orwell aux Etats-Unis, Ne dis rien dissèque admirablement les ressorts, les méthodes et les séquelles de la violence politique en Ulster, sans simplifier l’extrême complexité de la situation. Richement étayé de témoignages, passionnant d’un bout à l’autre, l’ouvrage de Radden Keefe se distingue par son tressage d’intrigues au fil d’un demi-siècle. Un modèle de structure narrative et d’enquête journalistique au long cours.

    Extrait

    « Comme certains programmes gouvernementaux clandestins, il s’agissait d’une escouade sans existence officielle – une minuscule unité d’élite appelée les « Unknowns », les « Inconnus ». Elle était dirigée par un petit homme sérieux du nom de Pat McClure, que Brendan Hughes surnommait le « Petit Pat ». McClure avait la trentaine, un âge relativement avancé pour les volontaires de l’époque. Ayant servi dans l’armée britannique avant le début des Troubles [le conflit nord-irlandais], il possédait une véritable expérience du combat (et une connaissance inhabituellement approfondie de l’ennemi). Il faisait sciemment profil bas, mais ceux qui le fréquentaient le considéraient comme un soldat extrêmement compétent et dévoué. Les Inconnus n’avaient pas de place bien définie dans l’organigramme rigide des Provos [IRA provisoire]. Au lieu de cela, ils recevaient leurs ordres directement de Gerry Adams. »
    Ne dis rien, pages 113-114

    #Patrick_Radden_Keefe

  • « La situation de la psychiatrie en France est passée de grave à catastrophique »,Jean de Kervasdoué (économiste de la santé, il a été directeur des hôpitaux au ministère de la santé de 1981 à 1986...) Daniel Zagury (psychiatre, expert auprès de la cour d’appel de Paris).
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/07/01/la-situation-de-la-psychiatrie-en-france-est-passee-de-grave-a-catastrophiqu

    Parce que l’Etat maintient sur ce secteur une pression financière « à l’exclusion de toute autre vision », il laisse le personnel, médecins et soignants, livré à lui-même et croulant sous le poids des tâches administratives, déplorent l’économiste Jean de Kervasdoué et le psychiatre Daniel Zagury dans une tribune au « Monde ».

    Tribune. Les partis politiques n’abordent les questions de santé que sous leur aspect économique et financier. Il y a fort à parier que, après le choc de l’épidémie de Covid-19, il ne sera pas dit grand-chose de la santé mentale qui, à notre connaissance, n’est pas à l’agenda du Ségur de la santé (lancé le 25 mai https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/25/segur-de-la-sante-sept-semaines-pour-refonder-le-systeme-de-soins-francais_6). Pourtant, depuis une décennie, la situation est passée de grave à catastrophique. Certes, de tout temps, la folie – terme aujourd’hui refoulé – a dérangé, mais le rejet collectif du différent, de l’anormal dans une société du bien-être n’explique pas à lui seul la persistance du massacre. Certes, la reconnaissance publique par Agnès Buzyn [ ministre de la santé de mai 2017 à février 2020 ] de l’abandon de la psychiatrie a dégagé l’Etat d’une posture perverse de déni, mais, sur le fond, rien n’a changé.

    Pour prendre en charge les 2,1 millions de patients suivis par les « secteurs » psychiatriques, une organisation très particulière et spécifique a été conçue dans les années 1960 : le #secteur_psychiatrique. Le suivi des patients est géographique ; la prise en charge est globale et, pour y parvenir, le secteur dispose d’une équipe, d’un service d’hospitalisation et de très nombreuses autres formes de prise en charge : hôpital de jour, hôpital de nuit, centre de consultation médico-psychologique (CMP), centre d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP)… Le financement provient d’une dotation globale annuelle plus contrainte encore, depuis 2011, que celle de l’hospitalisation traditionnelle. Si, en principe, l’égalité règne, la réalité depuis vingt ans est scandaleusement autre, car certains secteurs n’ont plus de psychiatres ! Plus de 1 000 postes ne sont pas pourvus, soit de l’ordre de 20 % des postes du secteur public.

    Présence soignante réduite au minimum

    La politique menée depuis trois décennies consiste à prétendre, sous couvert de déstigmatisation, que la psychiatrie serait une spécialité médicale comme les autres. Ainsi, les hôpitaux psychiatriques ont perdu leur qualificatif et sont devenus des « centres hospitaliers ». Il n’y a plus de concours particulier pour devenir psychiatre ; le choix de cette spécialité, après le concours de l’Internat, dépend donc du rang de classement, comme si l’on choisissait d’être psychiatre parce que l’on n’avait pas pu devenir chirurgien ! Une partie des postes offerts à l’internat n’ont pas de candidats.

    Il n’y a plus non plus de formation spécifique des infirmiers psychiatriques [supprimée en 1992 par un gouvernement socialiste, ndc]. Les dimensions relationnelles et institutionnelles, dans la formation des jeunes psychiatres, ont disparu ; on a réduit au minimum la présence soignante en imposant des tâches bureaucratiques chronophages et débilitantes ; on a dépouillé le chef de service de tout pouvoir sur sa propre équipe ; on a cassé le binôme mythique chef de service-cadre infirmier supérieur, qui depuis Pinel et Pussin [respectivement médecin aliéniste et surveillant à l’asile Bicêtre puis à la Salpêtrière, à Paris, à la fin du XVIIIe siècle], organisait le soin, en faisant basculer les cadres vers l’administratif ; on a transformé chaque garde en enfer : il ne s’agit plus d’examiner et de soigner, mais de débarrasser les urgences de malades transformés en « patate chaude » et de faire du psychiatre de garde un « bed manager » , cherchant désespérément des lits pendant toute la nuit.

    La psychiatrie est une discipline médicale complexe, dont le meilleur a toujours consisté dans un regard en plusieurs registres et dans une écoute en plusieurs dimensions. La psychiatrie est bio-psycho-sociale, ce qui d’ailleurs pose des problèmes très particuliers dans l’enseignement et la recherche de cette discipline. La césure entre les universitaires et les praticiens y est d’ailleurs forte. En effet, les universitaires sont par essence spécialisés et, de surcroît, leur conception de la discipline varie considérablement d’une université à l’autre, voire d’un enseignant à l’autre, alors que la pratique d’un psychiatre de secteur doit être intégrative [faire intervenir diverses disciplines pour répondre aux besoins spécifiques du patient].

    Des procédures très lourdes

    Mais ce n’est pas tout, et l’histoire décernera certainement une mention particulière à Nicolas Sarkozy. Après le meurtre d’un étudiant par un malade mental en 2008 à Grenoble, il a en effet clairement laissé entendre que les malades mentaux faisaient courir un danger à la population https://www.lemonde.fr/societe/article/2008/12/02/sarkozy-promet-70-millions-d-euros-aux-hopitaux-psychiatriques_1126055_3224. et a notamment modifié « l’hospitalisation sans consentement ». Sans entrer dans les détails, sous couvert de donner plus de liberté aux malades, les procédures sont devenues très lourdes et impliquent certes les psychiatres, mais aussi le directeur de l’établissement, le préfet et surtout le juge des libertés et de la détention. La complexité et l’inutilité de certaines de ces obligations ont accru le poids du travail des administrations hospitalières, transformé les secrétariats médicaux en greffes de tribunaux et les dossiers médicaux en pièces judiciaires. On a imposé à la psychiatrie un schéma narratif qui n’est pas le sien.

    Au temps de la mise en place du secteur psychiatrique (1960-1985), « les décideurs de la santé » venaient rencontrer les soignants, discuter avec eux. Nous n’étions pas « les uns contre les autres ». Ils n’étaient pas murés dans leur bureau, devant des tableaux Excel, à produire des recommandations, des protocoles, des procédures, des programmes, des guides de bonnes pratiques… On n’imposait pas d’interminables réunions sur la certification et sur les processus qualité à des médecins constatant chaque jour l’effondrement de la qualité des soins. On ne distribuait pas de livret d’accueil à des patients scandaleusement contentionnés plusieurs jours aux urgences faute de lits ! L’hôpital est devenu fou de cette coupure et de cette hostilité entre ceux qui gèrent et ceux qui soignent, comme de cette logique descendante de schémas abstraits supposés miraculeusement s’adapter au terrain.

    Face au désastre désormais reconnu, il faut contraindre l’Etat à sortir de sa posture perverse. L’Etat « pervers », c’est celui qui maintient la pression financière, à l’exclusion de toute autre vision ; qui clive les « décideurs » et les exécutants ; qui multiplie les missions de service public, sans se préoccuper de leur faisabilité ; qui laisse en bout de course l’aide-soignant, l’infirmier ou le psychiatre assumer les dysfonctionnements, quand il ne les leur impute pas. Certains se sont suicidés de devoir porter sur leurs épaules les conséquences de ce qu’ils n’ont cessé de dénoncer dans l’indifférence. Croire que quelques insultantes médailles en chocolat pour les valeureux guerriers du Covid ou quelques augmentations de salaire vont suffire, c’est tout simplement n’avoir rien compris à ce que nous a montré la pandémie, sur fond de crise ancienne de la psychiatrie.

    L’homme qui a libéré les fous. Marie Didier conte les origines de la psychiatrie à partir du destin extraordinaire de Jean-Baptiste Pussin.
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2006/04/06/l-homme-qui-a-libere-les-fous_758683_3260.html

    La psychiatrie « au bord de l’implosion » en France https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/09/18/la-psychiatrie-publique-au-bord-de-l-implosion_5511845_3224.html

    Sauver la psychiatrie publique
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/19/sauver-la-psychiatrie-publique_5512277_3232.html

    Covid-19 : la crainte d’une « deuxième vague psychiatrique »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/05/13/covid-19-la-crainte-d-une-deuxieme-vague-psychiatrique_6039495_3224.html

    L’économiste de la santé De Kervasdoué a été directeur des hôpitaux au ministère de la santé de 1981 à 1986, en première ligne du management austéritaire et bureaucratique de la psychiatrie, de la fermeture des lits, etc.

    #folie #psychiatrie (destruction de la) #soin

    • Outre les articles cités par Le Monde (ci-dessus), des repères historique : PSYCHOTHÉRAPIE INSTITUTIONNELLE et FORMATION INFIRMIÈRE - CIRCONSTANCES - NAISSANCE - RÉFÉRENCES -http://psychiatriinfirmiere.free.fr/psychotherapie-institutionnelle/formation-infirmiere.htm
      Voir en particulier les années 80 (la suppression de 40 000 lits en psychiatrie est programmée en 1982)

      Jean de Kervasdoué aurait des remords ?
      https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_de_Kervasdoué#Parcours_et_réalisation

      Jean de Kervasdoué est directeur des hôpitaux au ministère de la Santé, de 1981 à 19863. Ce poste correspondant aujourd’hui à celui de directeur de l’hospitalisation et de l’organisation des soins, l’une des principales directions du ministère de la Santé.

      Il met en œuvre une réforme du mode de financement des hôpitaux publics. Auparavant, le budget des établissements hospitaliers était calculé sur la base d’un prix de journée, et chaque journée passée par un malade dans un hôpital était facturée selon un tarif national à l’Assurance Maladie. Il supprime ce mode de financement et impose le budget global. À partir de 1983, à chaque établissement est attribué un budget annuel, augmenté chaque année selon un indice de revalorisation.

      Parallèlement à cette réforme du financement, il introduit à l’hôpital le Programme de médicalisation des systèmes d’information, ou PMSI. Il s’agit d’un cadre de recueil et d’analyse précis des actes réalisés par les hôpitaux. Ce système, introduit en 1983 n’est généralisé qu’à partir de 1995. C’est à partir de la mise en œuvre du PMSI que la tarification à l’activité est développée.

      Le PMSI, genèse de la T2a extrait de Enquête militante sur les logiciels de recueil de données en Psychiatrie. Pour construire la grève des données.
      https://printempsdelapsychiatrie.files.wordpress.com/2020/04/enquc3aate-militante-sur-les-logiciels-de-recueil-de-donnc3a9es-en-psychiatrie.pdf

      Ces instruments de gestion sont intégrés au Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information (PMSI), présenté comme un outil de description et de mesure médico-économique de l’activité hospitalière, propulsé par Jean de Kervasdoué dès 1982 alors qu’il est responsable de la Direction des Hôpitaux. En plus d’avoir été directeur des Hôpitaux de Paris, Jean de Kervasdoué a été économiste de la santé, titulaire de la chaire d’économie et de gestion des services de santé du CNAM et membre de l’Académie des Technologies. Ce technocrate zélé est très engagé contre les écologistes, il dénigre le principe de précaution défendu par ces derniers et écrit à son encontre un réquisitoire en 2011 !. Par ailleurs, Jean de Kérvasdoué vante les mérites du tout nucléaire et déclare que « les OGM sont un bienfait pour l’humanité » ou encore que « l’utilisation actuelle des pesticides n’est pas dangereuse pour la santé ». Oui... un type formidable qui gagne à être connu, notamment comme le promoteur du... PMSI !

      Après une période de tests et d’affinement du programme dans des hôpitaux pilotes, la loi du 31 juillet 1991 portant réforme hospitalière stipule : « les établissements de santé publics et privés doivent procéder à l’analyse de leur activité médicale ». Ces établissements doivent transmettre aux services de l’État et à l’Assurance maladie « les informations relatives à leurs moyens de fonctionnement et à leur activité » selon les articles L. 6113-7 et L. 6113-8 du code de la santé publique. À cette fin, ils doivent « mettre en œuvre des systèmes d’information qui tiennent compte notamment des pathologies et des modes de prise en charge ». En l’occurrence, ces Systèmes d’Information ne sont rien d’autre que les outils informatiques.

      Le PMSI va alors permettre un recueil de données médicales et économiques : « médicale, car son premier niveau de classification est fondé sur des critères médicaux et économiques, car les séjours classés dans un même groupe ont, par construction, des consommations de ressources voisines ».
      Le « groupe » dont il est ici question est ce que l’on retrouve sous l’appellation de Groupe Homogène
      de Malade (GHM) et nécessite le recours à l’informatique pour gérer des données sinon trop complexes à traiter : « l’application de l’algorithme de groupage est réalisée à l’aide d’un outil logiciel : la fonction de groupage , produite par l’Agence Technique de l’Information sur
      l’Hospitalisation (ATIH) chaque année. » Cette notion de GHM est très importante et son origine est significative. Aux Etats-Unis, à la fin des années 70, les assureurs privés veulent disposer d’une facturation individualisée des séjours hospitaliers. Un économiste de la santé, le Dr Fetter, propose en 1979 le système des Diagnosis Related Groupes (DRG) ou Groupe de Diagnostics Analogues dans lequel le diagnostic principal, celui de la maladie dont le traitement organiserait le séjour, est censé « expliquer » le coût de l’ensemble du séjour.
      C’est Jean de Kervasdoué qui importe ces DRG « qu’il a découvert lors de son passage à l’université de Cornell, aux Etats Unis, [et] qui constitueront l’architecture du système d’information et de financement de l’hôpital pour les décennies suivantes ».

      On voit bien ici comment l’informatisation de la santé est un enjeu de taille pour les néolibéraux et les marchés financiers. En effet, ce sont les GHM qui permettent de définir un coût moyen complet ainsi que la décomposition de ce coût en composantes (personnel médical, infirmerie, consommables etc.) permettant de faire varier les dépenses en fonction d’un nouveau protocole ou d’une nouvelle thérapeutique33 afin de dégager du temps pour de nouvelles activités et rentabiliser l’hôpital en le
      maintenant à « flux tendu ». On peut à ce titre parler d’une véritable taylorisation de la santé. En 1989 sont alors créés les Départements d’Information Médicale (DIM) qui, au sein de chaque établissement de santé, œuvrent à la collecte et au bon déroulement du recueil des données médicales avant de les transmettre à l’ATIH. Il faut tout de même savoir que des médecins sont responsables de
      ces « unités » à temps plein. Des médecins qui ne voient pas de patient. Ils traitent uniquement des données ! Le PMSI permettrait selon ses promoteurs de disposer du coût réel des hospitalisations en France, « données essentielles aux études médico-économiques ». Il serait supposé, de ce fait, être un « outil de réduction des inégalités de ressources entre établissements de santé » ,entre départements et entre régions.
      Et c’est la formation des GHM, dans le cadre du PMSI, qui a permis d’opérer « la transformation des coûts moyens par séjours en tarifs » dont va logiquement découler la création de la Tarification à l’Acte (#T2a) en 2004.

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