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  • « Faire du cinéma comme on occupe des zones à défendre »
    http://jefklak.org/faire-cinema-on-occupe-zones-a-defendre

    Dans l’histoire du cinéma, y compris celle du cinéma militant, on trouve peu de films réalisés collectivement, c’est-à-dire des productions où chacun prend part à la réalisation, de manière horizontale et non hiérarchique. En France, il y a les exemples célèbres des différents groupes de la fin des années 1960 et des années 1970, groupes Medvedkine ou Dziga Vertov en tête.

    À la même période, on peut aussi citer Cinema Action au Royaume-Uni, le Kasseler Filmkollektiv en RFA, des collectifs participant au mouvement des Newsreels aux États-Unis, d’autres en Amérique du Sud. Sans oublier les collectifs féminins comme le Collettivo Femminista di Cinema di Roma, London Women’s Film Group, le Frauenfilmteam de Berlin, et en France, autour de Carole Roussopoulos, Delphine Seyrig et Ioana Wieder… Aujourd’hui, les exemples de créations collectives dans le champ du cinéma se font plus rares.

    C’est pourtant le choix fait par les Scotcheuses, un groupe mouvant, fabriquant des films en Super 8, formé en 2013, et qui a déjà finalisé quatre films. Les trois premiers ont été fabriqués dans des temps très courts, tournés, développés et montés sur le lieu même du tournage et montrés sous une forme performative avec un accompagnement sonore en direct. No Ouestern, leur dernière production, a été réalisé en un an sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, avec un temps d’écriture préalable, pour aboutir à une forme fixée, accompagné d’un son synchronisé à la projection.

    Cet entretien est issu du troisième numéro de la revue papier Jef Klak, « Selle de ch’val », toujours disponible en librairie ou par abonnement.

    #cinéma #cinéma_militant #zad #nddl #Notre-Dame-des-Landes

  • Mai 1968-2018 : prendre la parole, encore et toujours
    http://jefklak.org/mai-1968-2018-prendre-la-parole-encore-et-toujours

    Avant de partir aux États-Unis rejoindre le penseur écologiste libertaire Murray Bookchin, Daniel Blanchard s’engagea pleinement dans le mouvement du 22-Mars, puis dans les comités d’action durant le bouillonnant printemps français de 1968. Proche un moment de Guy Debord, avec qui il rédige en 1960 les Préliminaires pour une définition de l’unité du programme révolutionnaire, Blanchard est aussi un membre actif de Socialisme ou Barbarie (1949-1967), organisation révolutionnaire et revue héteromarxiste, anti-stalinienne avant l’heure, fondée par Cornelius Castoriadis et Claude Lefort. Cinquante ans après Mai-68, loin des commémorations ronflantes et matraquantes des « évènements », Daniel Blanchard livre dans Jef Klak son regard singulier sur ce moment radical de réappropriation de la parole. Un texte qui éclaire le mouvement social en cours, plus que jamais en proie à l’autoritarisme du pouvoir étatique.

    #Mai68 #mouvement #Socialisme_ou_barbarie #Debord #Murray_Bookchin

  • Paroles à la barre : 4/4

    Procès 8 juillet (2009-2018)

    Par le collectif 8 juillet-Se défendre de la police

    http://jefklak.org/paroles-a-la-barre-4-4

    M. Ali Ziri était un ami de mon père. Je le dis avec une pointe d’émotion, car j’ai rarement vu mon père pleurer. Pour des milliards de raisons, liées notamment à son histoire personnelle. Mais ce jour-là, sans me regarder dans les yeux, par dignité, le regard embué, il m’a dit : « Ça recommence. » Dans la bouche de mon père, qui n’est franchement pas quelqu’un de particulièrement énervé, « Ça recommence » signifiait qu’il y a des relents qui remontent à une certaine idée de la police : celle qui jetait les Algériens dans la Seine le fameux 17 octobre 1961. Pour mon père, qui a 85 ans, c’était la référence.

    Comment un monsieur de 69 ans et son ami de 61 ans, menottés dans le dos, ont pu constituer un quelconque danger à l’égard de ces trois policiers ? Il y a aujourd’hui un dysfonctionnement clairement établi de la police. La police s’organise, se structure. Les policier·es discutent entre eux. Les syndicats de police font parfois pression sur la police des polices. Ils sont même capables de manifester en dépit du droit. Amnesty International parle même de « policiers au dessus des lois ». La vraie question qui se pose est : dans quelle mesure la justice est-t-elle réellement indépendante des pressions policières ? Je le dis particulièrement pour ce juge d’instruction qui a décidé d’un non-lieu, alors que le procureur estimait qu’il fallait poursuivre l’enquête jusqu’au bout.

    Ce sont ces dysfonctionnements qu’on vient aujourd’hui mettre en exergue. Et sans grande fierté, je vous dis que nous avons très peu d’espoir dans les affaires de justice, et que si les pots de terre que nous sommes peuvent difficilement gagner contre vos pots de fer, il se pourrait qu’à force de nous briser, nous finissions par vous ensevelir.

  • Paroles à la barre : 3/4 Procès 8 juillet (2009-2018)

    Par le collectif 8 juillet-Se défendre de la police

    http://jefklak.org/paroles-a-la-barre-3-4

    À la douleur de voir son enfant démoli s’ajoutent l’incompréhension (comment cela peut-il se produire dans un pays qui se dit civilisé ?) et la rage (on ne peut pas, on ne doit pas se taire, ceci doit être dénoncé avec force).

    Une blessure reçue dans de telles circonstances n’a rien à voir avec un accident de bricolage ou un malencontreux hasard.

    Les parents, les frères et sœurs, les proches, sont touché·es au plus profond d’elles et eux-mêmes. Elles et eux aussi sont abîmé·es, enveloppé·es par une sensation glauque, poisseuse, collante qui ne les lâche plus et les transforme irrémédiablement. Pour elles et eux aussi, il y a désormais un « avant » et un « après » la mutilation.

    Tous·tes vont devoir vivre avec le ressenti très net que leur fils, leur frère, leur ami·e, est désormais perçu·e comme un individu dangereux, selon l’idée largement répandue et entretenue par la police, les responsables politiques, et les grands médias, que « s’il a été blessé par la police, c’est qu’il l’a bien cherché et qu’il l’a mérité ».

    Les blessé·es vont devoir entamer un marathon judiciaire aboutissant généralement à un non-lieu ou à la relaxe du policier tireur. La lenteur étudiée de la procédure suspend le temps, empêche la réparation, ralentit la reconstruction et pérennise l’impunité policière.

  • Paroles à la barre : 2/4

    Procès 8 juillet (2009-2018)

    Par le collectif 8 juillet-Se défendre de la police

    « Prendre la mesure de la banalisation de ces armes »

    Aline Dallière, Acat France (Action des chrétiens
    pour l’abolition de la torture)

    +

    « La situation à Calais présente toutes les pratiques abjectes de la police française »

    Luce, La Cabane juridique à Calais,
    association pour l’accès aux droits des exilé·es

    http://jefklak.org/paroles-a-la-barre-2-4

    J’ai pu avoir de brefs échanges avec certains membres des forces de l’ordre, notamment lors de contrôles d’identité à l’entrée du camp. Beaucoup rappellent qu’ils font ça pour nourrir leur famille, qu’ils sont de bons pères, etc. Je n’en doute pas d’ailleurs, mais ça ne nous intéresse absolument pas ici et n’excuse en rien leurs actes. Ce qui est intéressant, c’est qu’ils éprouvent le besoin de rappeler qu’ils sont des gens bien, et que s’ils agissent de la sorte face aux migrant·es, c’est bien parce que la situation l’impose ou que ces personnes l’ont mérité. Lorsqu’on lit les compte-rendus des inter-syndicales, notamment sur le site internet de l’UNSA-Police, on se rend compte de l’application qu’ils mettent à construire une menace, une vision des migrant·es des bidonvilles, qui les assimile à des individus armés jusqu’aux dents. Alors que les seules armes que j’ai pu constater du côté des migrant·es, ce sont quelques pierres face à des hommes en armures et armés de lanceurs de balles de défense, de lance-grenades, de tasers, de matraques et de tonfas. C’est assez édifiant que les policiers craignent pour leur sécurité et pour leur santé, car ils ont peur d’attraper la gale au contact des migrant·es… Lorsque je lis ça, j’ai envie de les rassurer : les seuls contacts qu’ils ont avec les exilé·es se font par l’intermédiaire d’un tonfa ou d’une semelle de chaussure. Ils peuvent être tranquilles, ils ne vont pas attraper de maladie !

  • Paroles à la barre : 1/4 Procès 8 juillet (2009-2018)

    Par le collectif 8 juillet-Se défendre de la police

    Crédits photos : Yann Lévy / Hans Lucas

    http://jefklak.org/paroles-a-la-barre-1-4

    Du 16 au 19 mai 2018 aura lieu le procès en appel de trois policiers condamnés pour avoir blessé six personnes à Montreuil le 8 juillet 2009, et mutilé l’une d’entre elles. Le collectif 8 juillet travaille depuis neuf ans à porter la vérité des violences subies sur la place publique. Surtout, il s’agit de montrer le fonctionnement devenu banal des forces de l’ordre dans les banlieues, les ZAD, les manifestations, les camps de réfugié·es ou le simple quotidien : entre brutalité froide et impunité systémique. Pour un rappel des faits et de la procédure qui a permis de faire passer en justice la police, on pourra lire sur le site de Jef Klak un long entretien avec les membres de ce collectif, composé de personnes blessé·es par la police et de soutiens. Aujourd’hui, avant le procès en appel, Jef Klak publie par paire les témoignages de la première instance et donne la parole au collectif 8 juillet.

    « Le 16 décembre 2016 au TGI de Bobigny, trois policiers ont été condamnés pour s’être adonné à une partie de Flash-Ball le soir du 8 juillet 2009 à Montreuil, et avoir blessé six personnes, mutilant l’un d’entre nous. Non contents des peines pour le moins symboliques dont ils ont écopé, les policiers ont fait appel, prolongeant encore une procédure sans fin.
    Les sept années qui ont précédé ce premier procès, nous avons rencontré de nombreux collectifs constitués suite à une blessure, à un mort. Partageant nos histoires, nous avons acquis une connaissance précise des mécanismes de la violence policière. Nous avons les pleurs, mais aussi l’expérience, nous avons la rage, mais aussi le savoir. Nos vécus, nos luttes ont fait de nous des expert·es.
    Le mercredi 24 et le jeudi 25 novembre 2016, c’est cette expertise sensible que nous avons convoquée à l’intérieur du tribunal. Il n’était plus question pour nous de demander la vérité, mais de la faire surgir depuis le réel de nos histoires, et de l’imposer là où elle est continuellement effacée et déniée. Treize personnes directement touchées par la violence policière sont venues témoigner à la barre, et voici deux de ces prises de parole… »

    Collectif 8 juillet

    Le procès aura lieu à la Cour d’appel de Paris, métro Cité, pôle 2 chambre 7, les après-midi du 16, 17, 18 Mai 2018.

    Contact : huitjuillet (at) riseup.net

  • Le premier des 1er-Mai

    Le mai sanglant de Haymarket. Monuments statiques contre mouvements sociaux

    Par Nicolas Lampert

    Traduction par Judith Chouraqui

    http://jefklak.org/le-premier-des-1er-mai

    Le 1er mai 1886, lors de la journée internationale pour la réduction de la journée de travail à 8 heures, des centaines de milliers d’ouvrier·es lancent une grève d’ampleur à travers le pays. Deux jours après, alors que le mouvement se poursuit, une bombe explose sur la place de Haymarket à Chicago en plein affrontement entre les manifestant·es et la police venue les réprimer. Un policier est tué par le souffle, sept autres dans la bataille rangée qui s’en suit. Quatre anarchistes, pris au hasard, sont alors pendus. Si la lutte pour la journée de 8 heures finit par être victorieuse, la mémoire des événements n’est toujours pas acquise. En témoigne la bataille qui a commencé alors et qui se poursuit aujourd’hui pour décider quelle statue doit être érigée sur la place de Haymarket. Plusieurs fois démantelée et réinstallée, la figure d’un policier fier de sa matraque n’est plus de mise depuis les années 1970, mais c’est aujourd’hui la bureaucratie et le monde de l’art qui tentent de réduire à néant le souvenir des luttes de classe et l’histoire anarchiste.

  • Ça ne cessera pas de brûler

    Communiqué de la lutte des Appalaches pour la ZAD

    http://jefklak.org/ca-ne-cessera-pas-de-bruler

    Ce qui suit est une déclaration de solidarité écrite depuis le camp des Trois-Sœurs contre le projet de pipeline dans les Appalaches, à l’adresse de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Depuis deux jours, la ZAD subit de violentes attaques de la police organisées par l’État français dans le but de nettoyer un territoire qui échappe à son pouvoir. En réponse, des milliers de personnes ripostent sur place pour défendre leurs maisons et leurs fermes.

  • L’esprit du Turc mécanique

    Moyen-Orient : les petites mains du capitalisme informatique

    Par Miranda Hall

    Traduit par Ferdinand Cazalis et Xavier Bonnefond

    Texte original : « The Ghost of the Mechanical Turk », Jacobin, 16 déc. 2017.

    http://jefklak.org/lesprit-du-turc-mecanique

    Au Moyen-Orient, et sous couvert de lutte contre la pauvreté, le néolibéralisme exploite l’occupation et la guerre pour en retirer une main-d’œuvre la moins chère possible. Dans les territoires occupés de Palestine ou les camps de réfugié·es syrien·nes, les plans de développement de la Banque mondiale n’hésitent plus à promouvoir la sous-traitance de microtâches numériques pour le compte de grandes firmes internationales. Pour des rémunérations de misère et sans protection sociale, les plus vulnérables sont aujourd’hui forcé·es de jouer le jeu du « Turc mécanique » : travailler dans l’ombre pour faire croire aux populations occidentales que les nouvelles technologies fonctionnent comme par magie.

    • Ces efforts non dissimulés pour passer outre les réglementations locales dans les pays du Sud, de manière à servir les plateformes occidentales, font partie d’un plan bien plus ambitieux : la « Technologie pour le Bien », selon les mots des chantres du développement. Mais les technologies ne sont pas bonnes en soi. La réalisatrice palestinienne Tawil-Souri nous presse de prendre la mesure du côté obscur du progrès, à l’œuvre dans le rôle joué par Internet dans les sociétés du Moyen-Orient, qui inclut de manière décisive « une consolidation avancée du capital d’entreprise et l’imposition de ses critères et priorités à l’État-nation ». Malgré toute la rhétorique lyrique de l’accès « à l’économie du savoir global », les lignes directrices de la Banque mondiale n’auront aucun impact sur les problèmes structurels sous-jacents qui sont la cause première du chômage dans ces régions. En Palestine, par exemple, depuis les années 1990, les politiques de la Banque mondiale pour la paix et la construction de l’État ont tout misé sur la croissance du secteur privé, ignorant les rapports montrant que si l’occupation était levée, le PIB doublerait. La notion de « Technologie pour le Bien » est la suite logique de ce type de raisonnement fallacieux.

      @sinehebdo @kassem @orientxxi @mona

  • Une pensée pour les familles des vitrines
    Paroles de manifestant·es masqué·es

    Par Romain André

    http://jefklak.org/une-pensee-pour-les-familles-des-vitrines

    Ce texte est un montage de sept entretiens de femmes et d’hommes, entre 16 et 40 ans, qui ont en commun d’avoir participé, à l’occasion de manifestations, à des affrontements avec la police ou aux bris de devantures – de banques ou d’agences d’intérim notamment – le long du parcours. Une histoire toute récente pour certain·es ; pour d’autres, une pratique qui remonte à plusieurs mouvements sociaux. Il ne s’agit ni de revenir sur le mouvement contre la loi Travail et son cortège de tête ni de proposer une réflexion politique sur l’usage de la violence ou la détestation de la police, mais de s’arrêter sur ces corps et ces subjectivités pris dans des pratiques risquées, réfléchies, jouissives, sérieuses – ou pas.

    • « On a toujours peur. Je ne connais personne qui n’ait pas peur. Sur les vidéos de casseurs encagoulés, on a l’impression d’observer des individus froids et déterminés, surpuissants, qui cassent avec flegme toutes les vitrines qu’ils croisent. Mais il faut se dire que les cagoules masquent les émotions qui passent sur nos visages. À chaque fois que je fonce sur une cible, que je sors mon marteau, que je donne un coup dans une vitrine, mon cœur bat plus vite. On flippe ! Parfois, les gens autour arrivent à me mettre en confiance ; la peur s’atténue mais elle est toujours là. »

      –—

      « Ce qui pose problème dans mon groupe, c’est l’ambiance hyper-viriliste. Tu es censé aimer être violent, aimer t’en prendre aux keufs ; tu es censé savoir le faire et ne pas avoir peur. On ne pense pas à notre protection parce que nous sommes supposés être des warriors. Même après que des copains ont été arrêtés, on n’a jamais réussi à se demander comment se protéger collectivement. Simplement, ceux qui s’étaient fait prendre ont arrêté d’aller en manif. D’autres ont arrêté de se cagouler et de participer aux affrontements ou à la casse. Tout le monde s’est mis à flipper, mais sans qu’on se le dise, parce que c’est un peu la honte. »

      –—

      « J’ai l’impression ne pas pouvoir dire au sein de mon groupe : “Moi, les gars, j’ai peur de la police”. Je voudrais pouvoir le faire sans qu’on me voit comme un peureux. Je voudrais qu’on en parle entre nous. Comment ceux qui n’ont plus peur de la police s’y sont pris ? Quelles sont les ressources qui leur ont permis d’en arriver là ? Qu’est-ce qu’on met en œuvre ? Parce ce que moi, maintenant, quand ça chauffe, j’ai tendance à reculer ; si tout le monde fait ça, on ne passe pas. C’est indispensable d’arriver à dépasser collectivement la peur de la police. Pour cela, il faudrait des discussions plus poussées sur la stratégie, sur les manières de se protéger, il faudrait que j’évolue avec des personnes en qui j’ai pleine confiance, me faire choper avec eux, qu’on se fasse mal ensemble. »

  • Celles qui chantent les lendemains
    Plongée dans les groupes de supportrices du football espagnol

    Par Ramon Anglada

    http://jefklak.org/celles-qui-chantent-les-lendemains

    Texte original : « Ellas llevan la voz cantante », Panenka, 22 février 2018.

    Traduit par Brigitte Espuche et Marta Perez Viñas

    Le 8 mars dernier, en Espagne, des foules immenses sont descendues dans les rues à l’occasion de la Journée internationale de la lutte pour les droits des femmes. Une « grève féministe » sans précédent pour revendiquer l’égalité salariale et pointer du doigt les violences sexistes à l’œuvre dans la société espagnole. Sport éminemment populaire dans le pays, le football demeure un bastion masculin non exempt de chants ou de comportements à caractère sexiste, dans les gradins comme sur les terrains. Face à ce sexisme culturellement ancré, nombre de supportrices espagnoles se mobilisent et s’organisent aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur des enceintes sportives. Reportage au sein de groupes de supportrices qui appréhendent depuis peu les tribunes comme un nouveau front de lutte féministe.

  • Black Panther contre l’Atlantide noire

    Afrofuturismes, Internationalisme révolutionnaire et Capitalisme Noir

    Par Asad Haider

    Traduit par Ferdinand Cazalis

    http://jefklak.org/black-panther-contre-latlantide-noire

    Les blockbusters (« bombes de gros calibre », au sens littéral) lâchés sur le monde par Hollywood sont autant de purs moments de divertissement que de véritables usines à mythes, forgeant les imaginaires et influençant nos représentations. L’adaptation cinématographique par les studios Disney des aventures du tout premier super-héros noir, Black Panther , ne fait pas exception. L’engouement sans précédent de la communauté africaine-américaine pour le film a vite tourné au débat politique : représentation héroïque de la culture noire et visibilisation des opprimé·es, ou bien dépolitisation des révoltes africaines-américaines et conflits raciaux édulcorés ? Asan Haider, rédacteur en chef du magazine états-unien de Viewpoint , nous livre ici une analyse percutante du film, invoquant des mythologies autrement plus libératrices issues de la culture noire. Depuis les concepts funk de Parliament Funkadelic jusqu’au mythe de l’Atlantide revisité par le groupe de techno Drexciya, il existe des imaginaires plus proches d’une révolution internationale promue par le parti des Black Panthers que le Capitalisme Noir du roi T’Challa de Marvel/Disney.

    Attention : cet article comporte des spoilers de Black Panther (2018), mais peut être lu sans avoir vu le film.

  • « Vivez à vos risques et périls, mais vivez dociles et prévisibles »

    Le grand détournement néolibéral de Foucault.

    Entretien avec Valérie Marange

    Par Bruno Thomé et Nathalia Kloos

    http://jefklak.org/vivez-a-vos-risques-et-perils-mais-vivez-dociles-et-previsibles

    Valérie Marange, philosophe, psychanalyste et praticienne Feldenkrais, a participé aux mouvements d’intermittents et précaires. Dans « L’éthique du bouffon » en 2001 puis dans « L’intermittent et l’immuable » en 2007, elle analyse les falsifications des idées de Michel Foucault opérées par deux bouffons du néolibéralisme : François Ewald, ancien assistant du philosophe et colégataire de son œuvre, et Denis Kessler, alors no 2 du Medef. Leur article « Les noces du risque et de la politique » pose les bases de la contre-réforme de la protection sociale portée par l’organisation patronale pendant les années 2000, avec l’aide de ses alliés syndicaux – CFDT en tête. Ils y font l’éloge de l’« économie politique du risque » et d’une éthique travailliste où le contrat social « trouve sa vérité dans l’assurance ». Retour sur l’individualisation de la responsabilité et le gouvernement par la peur que véhicule l’idéologie néolibérale du risque.

    • D’ores et déjà, tu n’as pas du tout le même accès aux mutuelles selon l’âge, les antécédents médicaux… Pour les prêts immobiliers, n’en parlons pas. C’est ça aussi, l’idéologie du risque : s’assurer de conduites très régulières, très normées, au nom de la prévention du risque. Le discours sur le risque est truffé d’injonctions paradoxales : « Vivez à vos risques et périls, mais vivez docile et prévisible. » Et surtout il « dés-écologise » la notion de risque, puisque l’enjeu, c’est l’imputation des risques : tu assumes la responsabilité des risques que tu prends, tu ne vas tout de même pas la faire porter à quelqu’un d’autre ! Encore moins à la société ! On va donc chercher à débusquer tout ce qui est de ton niveau de responsabilité, tout ce que ne va pas couvrir l’assurance. Le mot « risque » est mis en exergue pour ce qu’il véhicule de positif, le côté chevaleresque, héroïque… Cela peut tenter un certain nombre de gens : « C’est glorieux de vivre dans le risque ! » Mais en réalité, ce n’est pas du tout ce qui est attendu. Ce qui est attendu, c’est de tenir ses promesses, c’est-à-dire de se comporter de manière responsable, comme quand tu as contracté une assurance : tu as lu le contrat d’un bout à l’autre, tu sais précisément dans quoi tu t’es engagé, à quoi t’en tenir si tu prends des risques inappropriés – par exemple, boire au volant.

      Cette notion de responsabilité implique autre chose dont on ne parle pas souvent, mais qui est central dans la gouvernance actuelle : la question de la subsidiarité. C’est-à-dire à quelle échelle placer telle ou telle responsabilité : qui est responsable de quoi ? Cette notion de subsidiarité est par exemple utilisée par les institutions européennes : qu’est-ce qui dépend de l’Europe ? Tout ce qui ne dépend pas d’échelons en dessous. Et quels sont ces échelons ? L’État national, la région, le département, le canton, la commune et, au bout du compte, l’individu lui-même – la plus petite unité de subsidiarité.

      La refondation sociale, pensée contre la prétendue « démoralisation » induite par la couverture sociale collective, est une individualisation extrême de la responsabilité et de la prise de risque. Chacun devrait être un système quasi autosuffisant, ce qui veut dire, paradoxalement, bien adapté, bien branché à la machine globale dont on est tous invité à être dépendant. Parce qu’en revanche, quand tu veux effectivement travailler de manière vraiment autonome, c’est quand même un petit peu compliqué. Je le dis en connaissance de cause, parce que je fais partie de la seule profession libérale qui n’est pas réglementée, la psychanalyse. Ce qui est absolument une survivance – et qui n’est garantie que parce qu’il y a des lacaniens très méchants qui ont montré les dents au moment où l’État a voulu réglementer, et même interdire une pratique qui ne se laisse pas décrire par des protocoles de type industriel. En réalité, la vraie prise de risques, au sens noble de l’engagement sans s’abriter derrière une autorité, est pour ainsi dire proscrite dans nos systèmes de plus en plus réglementés et protocolisés, notamment dans le secteur de la santé.

  • Et le football fut

    Une préhistoire populaire du ballon rond

    Par Mickaël Correia

    http://jefklak.org/et-le-football-fut

    Le football n’est pas sorti de la jambe d’un dieu grec. L’émergence du sport-roi montre comment une multitude de jeux populaires de ballon, au moins depuis le XIVe siècle, ont peu à peu été uniformisés et simplifiés jusqu’à la forme sportive que nous connaissons aujourd’hui. L’histoire du football à travers les âges nous raconte comment les communautés paysannes se sont fait déposséder de leur amusement par un capitalisme industriel naissant. D’abord interdit par les autorités royales qui en craignaient la sauvagerie et le potentiel subversif, le foot a ensuite été normalisé et standardisé par la bourgeoisie britannique, qui a su en faire l’un de ses plus formidables outils de contrôle social, avant d’être réapproprié par les classes populaires.

    Cet article est extrait de Une histoire populaire du football , qui paraît le 8 mars aux éditions La Découverte.

  • Klinamen 15 ans plus tard, un au revoir

    Vies et mort d’un collectif madrilène

    Par Klinamen

    Traduit du castillan par Alexane Brochard et Marie Ménager

    http://jefklak.org/klinamen-15-ans-plus-tard-revoir

    « Un collectif n’est jamais figé – ni éternel ». Ainsi se terminait l’édito du premier numéro papier de Jef Klak. Quand les collectifs meurent, il ne reste souvent que leurs archives poussiéreuses, leurs traces laissées au hasard des luttes, des rencontres et des productions. C’est pourquoi le récit qui suit est précieux : après quinze ans d’existence, le collectif de lutte et d’édition Klinamen, basé à Madrid, a décidé de se dissoudre fin 2017. Et de partager leur aventure, avec ses questions, ses joies et ses impasses. Comment mêler le politique et le personnel ? Comment se renouveler collectivement sans violences internes ; et accompagner les mouvements sociaux sans oublier le sens critique ? Comment se lancer à fond dans un projet militant qui ne recherche pas le profit, tout en rentrant assez d’argent pour perdurer ? Plein de panache et de lucidité, ce témoignage pourra servir à tou·tes celles et ceux qui fabriquent du commun.

  • Sur la route de Marisa Anderson
    Marcher, improviser, lutter

    Par Paulin Dardel

    http://jefklak.org/route-de-marisa-anderson

    Marisa Anderson a grandi en Californie du Nord dans les années 1970. Chez elle, la musique est omniprésente. À l’église, le dimanche, Marisa est transportée par des chants religieux, ces « hymnes protestants passionnés » qui, aujourd’hui encore, résonnent dans sa tête. En voiture, elle écoute de la musique classique avec sa mère qui l’entraîne à « reconnaître les différents instruments et les lignes mélodiques » ; avec son père, elle écoute de la country et de la new folk – Peter Paul & Mary, Paul Watson… À l’âge de 14 ans, son frère l’invite à un concert qui changera sa vie : les Grateful Dead. Elle tombe instantanément amoureuse de ce groupe dont la démarche influencera toute sa création : une musique improvisée, inspirée par un répertoire d’histoires et de contes traditionnels. « Je me suis toujours intéressée, sans savoir d’où ça venait, à la véritable musique folk et à la façon dont les chansons, les récits et l’histoire se rencontrent », explique-t-elle. Mais c’est à l’université, où elle apprend la guitare classique, que tout va véritablement basculer.

  • Le bal des Mercuriales

    Psychogéographie des twin towers parisiennes

    Par Guillaume Normand

    http://jefklak.org/le-bal-des-mercuriales

    Ma fascination pour les Mercuriales devait prendre fin, elle cessa grâce au dévouement de la Dame de mon cœur : une visite interlope des emblématiques tours jumelles de l’Est parisien, inaugurées en 1977 et hautes de 175 mètres de fierté. Quelque part entre Paris et Bagnolet, là où la ville n’a plus ni début ni fin.

    • Les Mercuriales
      Dans le vocabulaire de, par exemple, la société auchan (au hasard), les Mercuriales ce sont les conditions d’achat auprès des fournisseurs.

      conditions d’achat étant une litote, d’après mes souvenirs

  • « La maternité est comme un tabou, même dans les mouvements féministes »

    Post-porno, grossesse et plaisirs : entretien avec Maria Llopis

    Par Laura Aznar

    Traduit du catalan par Angelina Sevestre
    Texte original : « Maria Llopis: “La maternitat és un tabú dins els mateixos moviments feministes” » El Crític , 2 mai 2017
    Illustrations : Judy Chicago.

    http://jefklak.org/maternite-restait-marge-tabou-sein-mouvements-feministes

    Maria Llopis est une activiste féministe connue pour son travail dans le post-porno, mouvement artistique qui cherche à réinventer les formes de la pornographie à l’aune des lectures féministes, queer et transsexuelles pour y remettre du politique. Avec son corps, Llopis explore les domaines de la performance, de la photographie et de la vidéo, dans le but d’élargir les possibilités de la sexualité et du désir. La post-pornographie et la maternité sont, pour cette artiste, deux luttes indissociables qu’elle aborde dans son dernier ouvrage, Maternidades subversivas ( Maternités subversives , Txalaparta, 2015). Entretien autour du féminisme, des sociétés matriarcales et de l’éducation : notre émancipation passe aussi par un combat pour une maternité heureuse.

    • Dans mon livre, j’ai recueilli une histoire que je raconte parfois. Elle parle d’un missionnaire canadien qui reprochait aux Indiens de baiser allègrement avec tout le monde. Un jour, il leur dit : « Ne vous rendez-vous pas compte, vos enfant pourraient ne pas être vos enfants ? » Ce à quoi un Indien lui répond : « Tu dis n’importe quoi, tous les enfants de notre tribu sont nos enfants. » C’est une très belle leçon de paternité. Qu’est-ce que ça peut faire que mon enfant vienne de mon sperme ou de celui d’un autre ? C’est d’autant plus sensible que ce sujet comporte d’autres enjeux de taille, comme celui du contrôle de la sexualité des femmes.

      Qu’est-ce que tu veux dire ?

      Pour qu’un homme puisse savoir qui est son enfant biologique, la femme lui doit fidélité. Aussi oblige-t-on cette dernière à un seul type de pratiques sexuelles, très limité, pour pouvoir assurer « l’honneur » de l’homme. Ce qui en découle, dans notre société, c’est que si l’enfant n’est pas son enfant « biologique », l’homme peut dire « ce n’est pas à moi, donc je ne vais pas m’en occuper, c’est un bâtard ». Dans une société telle que chez les Moso, les enfants sont élevés dans la maison de celles qui les ont engendrés, avec leurs frères et sœurs ou leurs grand-mères. Les figures paternelles de l’enfant sont ses frères. À bien y réfléchir, mon frère est le seul homme à n’avoir aucun doute que mon enfant soit de son sang, si c’est vraiment important, alors que mon compagnon doit me faire confiance ou faire un test ADN. À ce propos, le journaliste argentin Ricardo Coler a entendu cette phrase d’un homme moso : « Soyez assurés que j’aime mes enfants comme si c’était mes neveux. » Tu saisis la logique ?

    • Ce matin dans libé Sabine Prokhoris, philosophe et psychanalyste reproche aux féministes de réduire les femmes à leur condition de mère.
      http://www.liberation.fr/debats/2018/02/15/eternel-feminin-sempiternelle-fatalite_1629992

      Les féministes en question sont Nancy Huston, Natacha Polony (elle est féministe ?) Eliette Abécassis (jamais entendu ce nom), Badinter, Schiappa...

      Marlène Schiappa confie ceci : « C’est à partir du moment où j’ai eu mes filles que j’ai ressenti un élan de solidarité avec les autres femmes. Le fait de partager l’expérience de la grossesse et, du coup, de nous sentir unies par une communauté de destin. C’est presque mystique. »

      Comme quoi il y a des féministes qui ne trouvent pas la maternité tabou et qui au contraire réduisent les femmes à ça. Pour la pornographie c’est pareil, le féminisme « pro-sexe » ca m’étonnerait qu’il y en ai pas en Espagne.

  • « Sur les conseils de mes élèves, j’allais à l’épicerie Chez Abdallah »

    Entretien long format avec Laurence De Cock sur l’éducation, l’histoire et le postcolonialisme

    Propos recueillis par Céline Picard et Ferdinand Cazalis

    À lire et écouter ici :

    http://jefklak.org/?p=5663

    À la fin du XIXe siècle, un programme commun à l’ensemble du territoire français est décidé. Cela a trois finalités : 1. identitaire, car il faut fabriquer « du Français » dans un pays qui est fragmenté au niveau linguistique et culturel, et qui est par ailleurs éclaté en colonies ; 2. civique, il faut fabriquer des citoyen·nes républicain·nes au moment où la République est instable ; 3. intellectuelle, c’est-à-dire avec l’objectif de transmettre des connaissances (mais ce dernier niveau de lecture est secondaire). D’où l’idée de structurer l’école autour de programmes et de disciplines, qui, en France, ont parfois une rigidité que l’on ne retrouve pas dans tous les pays ; le terme de « programme » est quant à lui spécifiquement français : ailleurs on parle de « curriculum » ou de « plan d’étude ». Or ces mots – « disciplines » et « programmes » – sont à eux-seuls tout un programme, si j’ose dire : c’est un carcan idéologique servant quasiment des objectifs de dressage. L’enjeu est donc immense et touche à ce qui définit la nation et la patrie, au point que toute modification dans les programmes peut devenir un enjeu de société.

    L’histoire scolaire est écrite par les dirigeant·es selon deux objectifs. Le premier est politique : un programme d’histoire reflète à un instant « t » ce que le politique souhaite laisser comme trace du passé. Le deuxième est social : le programme cible le devenir de générations de jeunes ; c’est une projection à long terme de ce que le politique souhaite que la jeunesse devienne. On suppose qu’avec tel programme, les élèves vont développer tels types de comportements civiques et politiques. Par conséquent, pour un·e praticien·ne – un·e prof –, il est très compliqué de travailler avec ce matériau qui est surveillé en permanence. On essaie tant qu’on peut d’insister sur la dimension critique de l’histoire, mais ce n’est pas évident avec de tels enjeux qui nous dépassent. Car ce que nous souhaitons réellement enseigner relève d’une autre problématique que celle des gouvernements : quelle utilité peut avoir la connaissance et le raisonnement historiques pour une meilleure compréhension du monde ?

  • Nou3 : l’humain, le cyborg et les espèces compagnes

    Par Bruno Thomé

    http://jefklak.org/?p=5635

    Et si Médor et Pupuce devenaient des armes de destruction massive ? C’est ce que le tandem écossais Morrison/Quitely a imaginé pour son one shot comic book : Nou3 , pur shoot stroboscopique de gore à fourrure. Histoire de réaliser une bonne fois pour toute que la guerre « zéro mort » n’existe que dans l’imagination des responsables de com’ en kaki.

    (...)

    Nou3 ne prétend pas offrir un point de vue original sur l’humain et les autres animaux – il ne s’agit nullement d’un manifeste cyborg ou en faveur des espèces compagnes. Plutôt un brûlot antimilitariste en forme de mélodrame gore et animalier, où empathie naturelle pour les compagnons à quatre pattes et fantasme de sauvagerie et d’instrumentalisation guerrière s’entrechoquent dialectiquement.