• Un pur chef d’oeuvre : Ténèbre, de Paul Kawczak
    (La Peuplade, 2020 ; J’ai lu, 2021)

    Un grand livre passé inaperçu en France, malgré un prix des lecteurs L’express/BFMTV 2020 et une critique de François Angelier le 28 août 2021.

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    Le roman raconte le parcours de Pierre Claes, géomètre belge mandaté par le roi qui mène une expédition en Afrique pour matérialiser les limites des terres civilisées. Il remonte le fleuve Congo en compagnie de travailleurs bantous et de Xi Xiao, maître tatoueur chinois et bourreau spécialisé dans l’art de la découpe humaine. Ce dernier devine les horreurs de la colonisation à venir.

    « Dans ce premier roman, Paul Kawczak revisite et dynamite le récit de voyage à la façon du XIXe siècle, pour en faire un livre baroque, oppressant, violemment érotique, d’une beauté barbare, servi par un style superbe »

    estime Jean-Claude Perrier dans son avant-critique du roman paru dans le Livres Hebdo du 17 janvier.

    Paul Kawczak est un éditeur, né en 1986 à Besançon, en France. Ses études doctorales en littérature l’ont mené en Suède puis au Québec. Avec le goût de l’exil lui est venu celui de l’écriture, comme forme de retour. Ténèbre sortira en format poche chez J’ai lu en 2021.

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    L’extraordinaire Ténèbre dans laquelle Paul Kawczak immerge ses personnages, celle de l’énorme et impénétrée forêt congolaise des années 1890, tient moins de la lice héroïque que d’un salon de torture fin de siècle. Imprégné par le Mirbeau du Jardin des supplices (1899) et le Conrad d’Au cœur des ténèbres (1899) – Conrad qui fait une apparition, « Polonais aux yeux polaires » –, le roman de Kawczak offre une peinture au rasoir, d’une part d’une Afrique coloniale hagarde, en sang et en larmes, que l’Europe franco-belge dilacère avec cupidité, confiant ses basses œuvres tant à des nervis soûls de sadisme qu’à des aventuriers à la mysticité délirante, et, d’autre part, du « charnier divin » d’une Belgique à la Ensor d’où vient le héros, le géomètre Pierre Claes, ethnie bourgeoise et délirante. A lire cul sec.

    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/08/28/james-fenimore-cooper-paul-kawczak-william-seabrook-la-chronique-poches-de-f

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    Les libraires conseillent (février 2020)

    En 1890, au cœur d’une Afrique que les grands pays colonisateurs se disputent âprement, Pierre Claes, géomètre de son état, se voit confier par son Roi la tâche d’aller délimiter la #frontière nord du Congo. Mais le jeune Claes, qui n’a rien de l’aventurier viril requis pour une telle charge, sombre peu à peu dans l’horreur coloniale, dont les extrémités semblent sans limites. Formée d’une horde de personnages aussi denses qu’énigmatiques, du bourreau chinois Xi Xiao au danois Mads Madsen, capitaine du Fleur de Bruges, sans oublier Mpanzu le Bantou, Vanderdorpe au cœur brisé ou encore Léopold, un chimpanzé apprivoisé, l’expédition Claes progresse péniblement sur le fleuve Congo, ponctuant son périple de rencontres inusitées et de péripéties abracadabrantes, pénétrant toujours plus avant la noirceur terrifiante des jungles antédiluviennes d’où toute morale s’est depuis longtemps évanouie. Servi par l’élégance d’une prose véritablement géniale et doté d’un art narratif empruntant aussi bien à Jules Verne qu’à Hemingway ou même à Poe, ce roman immense au romantisme sombre devrait vous hanter longtemps après avoir tourné la dernière page.

    Attention : chef-d’œuvre !

    Philippe Fortin, librairie Marie-Laura (Jonquière)

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    « L’histoire qui suit n’est pas celle des victimes africaines de la colonisation. Celle-ci revient à leurs survivants. L’histoire qui suit est celle d’un suicide blanc dans un monde sans Christ ; celle d’un jeune homme oublié dans un labyrinthe de haine et d’aveuglement : l’histoire du démantèlement et de la mutilation de Pierre Claes. » (page 12)
    Ce chant de la mutilation, — pour reprendre le titre du livre de Jason Hrivnak [1] ­—, relate l’histoire de Pierre Claes, géomètre belge, mandaté par le roi Léopold II pour délimiter les frontières du Congo. Le jeune homme se lance en 1890 dans une première expédition à bord du Fleur de Bruges, glissant sur le fleuve Congo, en compagnie de travailleurs bantous et de Xi Xiao, un ancien bourreau spécialisé dans l’art de la découpe humaine, maître tatoueur et devin.

    Paul Kawczak ne fait pas ici le pari de la #reconstitution mais plutôt celui d’écrire un roman comme s’il avait été écrit au XIXème siècle, sans pour autant tomber dans les travers du pastiche ou de la parodie.
    L’ironie est présente dans Ténèbre, mais il s’agit d’une ironie subtile, de celle à l’œuvre dans le Dracula (1897) de Bram Stoker, roman épistolaire brillant dans lequel l’auteur raille subtilement l’héroïsme des personnages qui pourchassent le vampire. L’atmosphère et le style flamboyant de Ténèbre ne sont pas non plus sans rappeler le génial roman gothique Melmoth ou l’Homme errant (Melmoth the Wanderer, 1820) de Charles Robert Maturin.

    « Des mains dont les ongles avaient continué de pousser et dont les corps avaient disparu, emportant avec eux le jour et la nuit, les arbres géants et les cris animaux, le temps des regrets et la parole humaine. Ces mains hurleraient et perceraient le monde jusqu’à le déformer, l’étirant hors de toute mesure suivant l’attraction de leur cri ; elles se rendraient au berceau de chaque nouveau-né, au chevet de chaque vieillard, au seuil de chaque foyer pour porter l’horrible nouvelle, la portant à la barbe de Léopold II même, qu’elles finiraient par arracher, comme elles arracheraient chaque Christ de sa croix pour le gifler, le fesser et lui annoncer, rieuses, piailleuses et chantantes, comme les mésanges nègres du fleuve Congo, l’avènement de la Peur, de la Mort et de l’Apocalypse. » (p. 147)

    Ténèbre n’a rien d’un pastiche, disions-nous. Il suffit pour s’en convaincre de prêter attention aux premières citations en exergue, celle de l’artiste taïwanais Chen Chieh-Jen, tout d’abord, qui rappelle que si « nous ne voyons pas la violence de l’histoire […] nous avons besoin de méditer les images de l’horreur et de nous en pénétrer » (p. 7). Puis celle de l’historien congolais Isidore Ndaywel è Nziem : « de 1880 à 1930, environ 10 millions de Congolais […] auraient disparu, victimes de l’introduction de ‘‘la civilisation’’. » (ibid.)

    La troisième épigraphe est de #Marx :

    « Le #capital naît dégouttant de sang et de boue des pieds à la tête », écrit l’auteur du Capital (p. 11).

    L’intention du romancier est claire : Ténèbre se veut une généalogie du Mal, ce Mal qui ronge l’Europe dans les derniers feux d’un romantisme à l’agonie : le capitalisme et son corollaire, le colonialisme, avec son abominable litanie de crimes contre l’humanité commis au nom de « la civilisation », — une civilisation blanche, mâle, chrétienne.

    Dieu est mort. L’argent est roi

    C’est le Mal qui ronge Pierre Claes, le géomètre dont le lecteur suit l’errance dans ce dédale tracé par Paul Kawczak. Les références à l’Enfer et au Paradis sont nombreuses dans le roman. Le Congo, en premier lieu, comparé à un nouvel Éden :

    « Le jardin d’Éden n’avait dû être qu’un simple brouillon comparé à la jungle africaine. À plusieurs reprises, [Pierre Claes] se dit que son enfance eût été plus facile s’il avait eu connaissance de l’existence des fleurs qu’il voyait alors, s’il avait su qu’il y avait, quelque part sur la Terre, un Paradis plus mystérieux que celui de la catéchèse, un lieu d’où pas une couleur n’était absente, où la mort même était extraordinaire, un lieu dont le calvaire quotidien de l’extrême chaleur et des insectes consacrait la beauté en vérité au lever du soleil. » (p. 106)

    Claes est chargé de cartographier ce Paradis [2], une mission qu’il accomplit en scrutant le ciel pour abaisser sur Terre les étoiles :

    « À cette époque, un géomètre marquait la terre mais scrutait le ciel. Les frontières idéales se matérialisaient à partir des étoiles dont l’apparente fixité était encore l’aune de l’absolu pour les hommes. Pierre Claes, par de savants calculs, abaisserait sur Terre les étoiles, au sol, et de leur majesté ne resterait que le tracé invisible d’un pouvoir arbitraire : là passerait la frontière. Claes réduirait l’infini en politique. » (p. 32)

    Autre motif lié au Paradis terrestre et à l’Enfer, celui du serpent, présent sur la couverture du livre et dont nous trouvons de nombreuses occurrences dans le texte [3]. Le serpent est un motif polysémique dans Ténèbre, mais la référence au texte de la Genèse (3, 1-24) est évidente. Dans la scène d’agonie de Baudelaire (pp. 127-128), Paul Kawczak décrit les yeux de l’auteur des #Fleurs_du_Mal comme ceux d’un serpent, faisant du poète le témoin et la victime de ce Mal qui dévore l’ancien monde.

    La question du mot ténèbre, si rare au singulier, a été éludée par les exégètes [4]. Plus fréquent au pluriel, notamment lorsqu’il fait référence à l’absence de Dieu et à l’Enfer, le mot a perdu sur la couverture du livre son S qui s’y trouve, par magie, incarné sous la forme d’un serpent [5]. Contrairement à la doctrine de la théologie chrétienne du péché originel, Paul Kawczak distingue la ténèbre, qui est intérieure, du Mal (représenté par le serpent) extérieur à l’homme : ici l’homme ne naît pas pécheur, il devient mauvais, corrompu par le capitalisme dont l’un des symboles est celui du dollar américain, un S doublement barré.

    L’errance géographique de Claes, se double d’une errance d’ordre psychique, un labyrinthe mental [6] tracé par le Mal à l’œuvre sur Terre : l’Enfer n’est pas un lieu, il est le socle brut de notre condition humaine, planté au cœur des hommes broyés par le capitalisme triomphant.

    « Chaque nuit un peu plus, Claes prenait la mesure de la progression de l’ombre en lui, de sa catabase africaine vers la Ténèbre intérieure. Pierre Claes pleurait alors comme un enfant, inconsolable de sombrer et effrayé par la violence à venir et les promesses tristes de la mort. » (p. 107)

    Ces leitmotive font signe au-dessus de la jungle du texte, la phrase Kawczakienne étant elle-même à l’image de cette jungle : sa syntaxe est prolifération, luxuriance, toute bruissante de ses rumeurs. La riche prose de Ténèbre passerait aisément l’épreuve du « gueuloir » chère à Flaubert, et l’on devine d’ailleurs que Paul Kawczak partage envers l’auteur de L’Éducation sentimentale l’admiration qu’il prête à l’un de ses personnages (Polonais) pour « son style, non pas prosodique, mais ironique, toujours double, comme chaque chose » (p. 87).

    Les pages sublimes sont nombreuses dans le livre. Citons notamment celle-ci, sidérante de sa noire beauté :

    « Repassait incessamment dans son esprit l’image claire et brutale de la vulve coulante de Camille Claes, ouverte comme le désir précipité et précipitant, en fleur de chair, intolérable ou, plutôt, qui ne le tolérait pas, lui, le raidissait à mourir dans la trahison de son père qui ne l’avait jamais peint, et la lune, ouverte comme la plaie du Christ, comme le bec de certaines pieuvres qu’on avait amenées de la côte, du port d’Ostende, une fois, et que l’on avait montrées à la boucherie, monstrueux miracles roses et gris de gélatine, comme les récits de son grand-père, rejetant, vomissant le lait et le sang, il l’avait vue, écartée et baveuse et jamais, jamais, il n’avait eu aussi peur qu’au réveil ce matin-là, il devait s’excuser auprès de ses chiens avant qu’ils ne l’accusent trop violemment des mots que lui avait murmurés Camille Claes, de ce qu’elle lui offrait comme on offre à un homme, de ce tout petit secret de fourche, pas plus grand que le quart de la paume d’une main, plus petit même peut-être, comme la vérité et le monde qui l’avaient toujours tué. » (p. 182)

    Une des plus belles idées du livre tient dans la métaphore filée de l’écriture tout au long du roman : les tatouages et la découpe des chairs. L’écriture de Paul Kawczak est double, ainsi que celle de Flaubert. Elle est le Mal qui dit le Mal. Le poison et son antidote. La Fleur du Mal.

    « Un soir, Xi Xiao n’eut plus de nouveau récit à raconter. Pierre Claes lui demanda à être la prochaine histoire. Pierre Claes demanda à Xi Xiao de lui tatouer sur le corps le tracé d’une découpe et de le lingchéifier au cœur de l’#Afrique. Pierre Claes voulait être ouvert aux étoiles pour quitter l’horreur de sa vie. » (p. 151)

    Riche de ses références, tant aux romans populaires d’aventures et gothiques, qu’au symbolisme, au #décadentisme et au #romantisme crépusculaire, Ténèbre est un premier roman brillant et résolument postmoderne, porté de bout en bout par une écriture puissante et superbe.

    https://chroniquesdesimposteurs.wordpress.com/2020/05/22/tenebre-de-paul-kawczak

    [1] À lire ici notre recension du roman de Jason Hrivnak : https://LesImposteurs/le-chant-de-la-mutilation-de-jason-hrivnak

    [2] Nous pourrions également évoquer le Paradis qu’est pour Vanderdorpe « le giron tiède » de Manon Blanche, « terre où il eût dû mourir et où il n’avait pu naître », dont il « était déchu et banni sans possibilité de rachat » (p. 134).

    [3] La couleuvre pp. 96, 127-128 ; la vipère p. 209 ; le python pp. 227-228 ; ou encore pages 292 et 299.
    [4] Pour étayer notre analyse de cet ouvrage que nous disions écrit à la manière d’un roman du XIXème, notons que le rare ténèbre, au singulier, est attesté chez Huysmans en 1887.

    [5] L’illustration de première de couverture est l’œuvre de Stéphane Poirier.

    [6] Notons quelques occurrences du motif du labyrinthe dans le texte : « Cela, que les hommes ignorent, / ou dont ils n’ont pas idée,
 / à travers le labyrinthe du cœur,/ chemine dans la nuit. » (p. 239) ; « Congo-Minotaure » (p. 86) et « le Minotaure jaune » (p. 247) à propos de Xia Xiao.

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    Plus son bateau remonte le fleuve et plus Claes réalise à quel point l’entreprise dans laquelle il s’est embarqué est folle. Pour dompter un continent, il convient de le découper, de tailler à même sa chair géographique. Instrument et victime de ce projet, Claes en fait les frais. Entre un Chinois maître-tatoueur, un père désespéré, un singe doté d’émotions, Verlaine saoul, Baudelaire agonisant et une foule de colons détestables, Ténèbre navigue dans les eaux troubles de la fin de siècle et impressionne par son réalisme foisonnant.

    Entrecroisant les destins et les lieux, Kawczak emporte son lecteur de la #jungle africaine aux trottoirs parisiens, en passant par une boucherie bruxelloise et l’université britannique de St Andrews. À l’image de ses personnages, Ténèbre est un livre charnel, désespéré, exalté, qui suinte d’humeurs et de transpiration. C’est le tableau grouillant d’un XIXe siècle malade, halluciné, en état d’ébriété, de délire mystique et poétique permanent.

    C’est aussi un hommage décalé au Coeur des ténèbres de Joseph Conrad, mais bien plus qu’une variation sur le thème, ce pastiche, au sens noble, trouve sa propre force dans une galerie de portraits splendides et misérables, dans l’évocation de tous ces pauvres êtres meurtris par l’amour et qui courent à leur perte avec panache.

    Ténèbre est un livre total, parfaitement maîtrisé, et dont la plus belle réussite, peut-être, est de nous faire ressentir physiquement les fièvres qu’endurent les personnages. Un livre malade, en somme, et hautement contagieux.

    Grégoire Courtois, Libraire Obliques (Auxerre)

    https://actualitte.com/article/5206/chroniques/tenebre-de-paul-kawczak-impitoyable-et-hautement-contagieux

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    "Ténèbre" : Paul Kawczak, détonnant voyageur
    https://www.ledevoir.com/lire/571423/fiction-quebecoise-paul-kawczak-detonnant-voyageur

    Le 23 février 1885, de triste mémoire, à l’issue de la Conférence de Berlin, une poignée de pays européens se sont partagé l’Afrique sans états d’âme. Une charcuterie géopolitique qui a notamment inspiré Congo au romancier français #Éric_Vuillard en 2012.

    D’un coup de baguette magique, un territoire de 2,3 millions de kilomètres carrés couvrant une bonne partie du bassin du fleuve Congo est ainsi devenu un État indépendant et la propriété privée de Léopold Louis-Philippe Marie Victor de Saxe-Cobourg-Gotha, dit Léopold II, qui a dirigé le Royaume de Belgique entre 1865 et 1909.

    Le temps de l’#exploration est fini. Livingstone est mort de la dysenterie en 1873 dans un coin reculé de l’actuelle Zambie en cherchant les sources du Nil. Pierre Savorgnan de Brazza, nommé commissaire général du Congo français en 1885, a la main trop douce aux yeux de certains. L’heure est venue de passer aux choses sérieuses.

    Une alliance inédite

    Au nom de l’exploitation effrénée du #caoutchouc et de l’#ivoire, « dans l’intérêt de la civilisation et pour le bien de la Belgique », sur un territoire 80 fois plus grand que le petit royaume belge, vont se répandre l’appât du gain, la terreur et les crimes contre l’humanité. Une alliance inédite entre le colonialisme et le capitalisme dans sa forme la plus sauvage.

    Au menu : mauvais traitements, #esclavage, #torture, #mutilations et dilatation des profits. Une aventure quasi génocidaire sans précédent, trop mal connue, alors que certains historiens estiment que l’aventure coloniale au Congo — qui ne deviendra une #colonie_belge qu’en 1908 — aurait fait 10 millions de morts. Le monarque « philanthrope » belge, lui, n’y mettra jamais les pieds.

    C’est la matière sombre, l’espèce de trou noir où convergent et qu’aspire tout le mal dont l’homme semble être capable, qui est au cœur de Ténèbre, le premier roman magistral et « détonnant » de Paul Kawczak.

    En donnant à son livre une puissance qui est à la hauteur de son sujet, le romancier sort de l’ombre avec éclat.

    Une plongée dans l’horreur

    Mandaté par #Léopold_II pour y « découper un territoire volé », Pierre Claes, un jeune géomètre belge originaire de Bruges, débarque en mars 1890 dans un port du Congo.

    Sur place, le géomètre va s’assurer les services de Xi Xiao, un ancien bourreau chinois adepte du lingchi — appelé aussi supplice des « cent morceaux » — venu tenter l’aventure africaine et qui y survit comme maître tatoueur et homme à tout faire.

    Cette méthode de torture raffinée qu’il pratiquait consistait à prélever par tranches fines les muscles et les organes du supplicié, engourdi d’opium, jusqu’au coup de grâce. Un art du dépeçage qui fait ici écho, à l’évidence, au saccage méticuleux de l’Afrique.

    « Jamais n’avait-on vu encore, à une telle échelle, d’organisation si rationnelle et si intéressée de la mort. En chaque coin du pays, des subordonnés de cet État mortifère et raciste, amorçant ce qui reviendrait, en dernier lieu, au suicide de leur propre civilisation, assassinaient par centaines de milliers des vies africaines qu’ils eurent voulu oublier dans les brumes de leur délire. Le sang et la boue se mêlaient au sol comme ces insectes qui s’aiment d’une étreinte mécanique et furieuse, se dévorant le cou, les yeux ouverts sur la mort, le fond impossible de la vie. »

    -- Ténèbre, de Paul Kawczak, page 246

    Fasciné par les photographies d’un de ces supplices, l’écrivain français Georges Bataille a voulu, lui, y voir une forme d’érotisme.

    À sa manière, l’auteur prend la balle au bond. Xi Xiao va tomber amoureux de Pierre Claes, qui deviendra la victime consentante de ce Chinois de la douleur et de son art de la « découpe humaine divinatoire ».

    « Jamais la mort n’avait tenté de s’emparer de manière aussi vivante et imaginative d’un corps. » Un destin que Paul Kawczak semble lier, si on s’autorise à lire entre les lignes — ce que la richesse du roman permet —, au « suicide » de la civilisation européenne.

    Père manquant, fils vengé

    Au même moment, dans un coin reculé du Congo, avant de croiser un couple de missionnaires anglais exaltés, des porteurs bantous, un serpent baptisé Léopold et #Paul_Verlaine lui-même, Pierre Vanderdorpe, un médecin belge au service d’un puissant de la Société belge du Haut-Congo, traîne une peine immense.

    Un temps amoureux de la mère de Pierre Claes, enfant qu’il avait adopté avant de disparaître sans se retourner et de faire de sa vie une peine d’amour, Vanderdorpe traîne ses regrets au milieu des fièvres et de la pourriture équatoriale.

    Pour ce médecin sans remèdes, « l’existence est une aberration » et l’homme avoue rechercher en Afrique la meilleure façon de mourir. Il va la trouver.

    Né en 1986 à Besançon, dans l’est de la France, après un détour par la Suède, Paul Kawczak vit à Chicoutimi depuis 2011, où il a soutenu en 2016 à l’UQAC une thèse de doctorat intitulée Le roman d’aventures littéraire de l’entre-deux-guerres français : le jeu du rêve et de l’action. Auteur de deux livres, L’extincteur adoptif (Moult éditions, 2015) et Un long soir (La Peuplade, 2017), il est depuis juin 2017 éditeur à La Peuplade.

    En fait de roman d’aventures, il ne fait aucun doute que Paul Kawczak connaît ses classiques. Ténèbre en fait la preuve, et l’écrivain lance un clin d’œil appuyé à #Joseph_Conrad, qui y fait une discrète apparition. Ce dernier fut marin polonais sur le vapeur Roi des Belges sillonnant le #fleuve_Congo, avant de devenir un écrivain anglais et de dénoncer lui-même en 1899 le régime d’exactions au #Congo dans Au cœur des ténèbres, sa nouvelle la plus célèbre. Récit de passions mortifères, d’amour sublimé, de catastrophes intimes et collectives, Ténèbre déploie avec force sa magie noire. Une grande part de la réussite du roman tient à ce que tous les fils du récit finissent par converger en une finale, disons, explosive.

    Aux commandes de ce roman sombre à l’écriture impeccable, dosant avec justesse l’action et la profondeur, les injustices et les vengeances, #Paul_Kawczak nous tient en haleine du début à la fin. Du grand art.

    #littérature #massacre #colonialisme #impérialisme

  • « Mort à Mud Lick », d’Eric Eyre : narcotrafic légal
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/11/18/mort-a-mud-lick-d-eric-eyre-narcotrafic-legal_6102621_3260.html

    Mais depuis quelques années émergent d’édifiants livres enquêtes. Tels ­Addiction sur ordonnance. La crise des antidouleurs (C & F Editions, 2019), et Pharma : Greed, Lies, and the Poisoning of America (« Pharma : profits, mensonges et empoisonnement de l’Amérique », 2020, non traduit), l’un signé par un journaliste du New Yorker, l’autre par un reporter du New York Times. Tous deux ont étudié les coulisses d’une industrie pesant 1 000 milliards de dollars et le parcours de la famille Sackler, ­propriétaire du laboratoire pharmaceutique Purdue Pharma, à l’origine de l’OxyContin, un composé chimique plus fort que la ­morphine. Un troisième ouvrage d’investigation, Dopesick ­ (« addicts », 2018, non traduit), de Beth Macy, vient de donner lieu à une série de fiction ­diffusée en France, par Disney+, depuis le 12 novembre.
    Lire aussi Article réservé à nos abonnés L’inquiétant succès de l’OxyContin, puissant antalgique opiacé

    Bâti d’une plume alerte et rigoureuse, à partir de reportages parus dans la Charleston Gazette, récompensé, en 2017, par le prestigieux prix Pulitzer, le récit pionnier d’Eric Eyre humanise la tragédie et donne chair au combat local de citoyens et d’avocats ouest-virginiens, pour obtenir des données chiffrées, intenter des actions en justice et pointer la faillite des organismes de contrôle censés réguler le marché, qu’il s’agisse de l’ordre des pharmaciens ou de la Drug Enforcement Administration.

    #Addiction #Opioides

  • 40 000 titres et si peu de survivants : enquête sur la mécanique de la vente des livres
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/11/11/40-000-titres-et-si-peu-de-survivants-enquete-sur-la-mecanique-de-la-vente-d

    Environ 40 000 livres sont publiés chaque année en France. Une richesse, certes, qui épuise néanmoins diffuseurs et libraires et exige de faire des choix. Quels processus président à ces critères de sélection ? Enquête.

    Par Florent Georgesco

    Pourquoi C&F éditions n’est pas diffusé/distribué : éviter de payer cher pour être noyés dans la masse (la nasse ?). N’hésitez pas à passer directement par le site internet (https://cfeditions.com )

    #Edition #Librairie #Economie_du_livre

  • « Le médecin choisi par #Gérald-Bronner pour réfléchir sur la désinformation scientifique au sein de la mission que lui a confié le Président est Guy Vallancien.
    Ça montre à quel point les réseaux de pouvoir sont déconnectés des réalités. »

    https://www.la-croix.com/France/mission-contre-desinformation-conspirationnisme-2021-09-28-1201177842

    « Je rappelle que #Guy-Vallancien vient d’être condamné par l’Ordre des Médecins dans une affaire où il a désinformé et menti pour faire condamner injustement un confrère, et me nuire au passage parce que je le défendais. »

    https://www.lequotidiendumedecin.fr/actus-medicales/politique-de-sante/certificat-mensonger-le-pr-vallancien-ecope-dun-blame-ordinal-a

    « C’est un peu comme si on avait choisi Carlos Ghosn ou Vincent Bolloré pour une mission sur l’éthique entrepreneuriale !
    Quelqu’un pourrait-il éclairer Gérald Bronner ou alerter le Président ?
    Pour ceux qui veulent lire la décision ordinale, c’est là »

    https://atoute.org/n/breve96.html

    « Toujours dans le cadre de sa nomination par Gérald Bronner au sein de la Mission présidentielle de lutte contre la désinformation, voici les propos négationnistes de Vallancien sur les victimes du MEDIATOR.
    Depuis, plus de 2000 victimes ont été reconnues par le tribunal pénal. »

    https://twitter.com/DDupagne/status/1443118899009146882
    #mission-contre-desinformation-conspirationnisme

    • Merveilleux !

      On est sur un bon profil, c’est raccord avec le reste de la macronie.

      Et il préside un think tank pour accélérer les liens publics privés dans la santé, avec tous les lobbies en vogue.
      https://www.canalcham.fr (CHAM = Convention of Health Analysis and Management)

      Sa plus haute qualité, selon Marianne : « Le médecin qui soigna François Mitterrand, mais aussi tout ce que le Paris people compte de prostates… »

      #macronistan

    • « La pneumologue et lanceuse d’alerte de l’affaire du #Mediator regrette la nomination, au sein de la commission contre la #désinformation, de l’un des médecins qui, « depuis des années et sans vergogne », tente de nier le drame humain causé par le Mediator. » Anticor
      Irène Frachon : « La composition de la “commission Bronner” sur le complotisme laisse perplexe »
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/30/irene-frachon-la-composition-de-la-commission-bronner-sur-le-complotisme-lai

      Le dévoilement de la composition de la « commission Bronner » du nom du sociologue très (trop ?) médiatique chargé, par l’Elysée, d’évaluer ce phénomène des fausses nouvelles laisse perplexe.

      La santé publique est au cœur de ces inquiétudes. A ce titre, le choix des personnalités médicales susceptibles d’éclairer cette question est particulièrement sensible. On ne peut qu’être surpris de la cooptation d’un professeur de médecine « médiatique » et impliqué publiquement dans plusieurs polémiques sensibles, notamment à propos du scandale du Mediator, la plus grave affaire de santé publique survenue en France au XXIe siècle et « marqueur » significatif de cette défiance.

      Le scandale du Mediator est la conséquence d’un délit industriel d’une gravité hors norme, récemment jugé devant le tribunal correctionnel de Paris et ayant donné lieu à des condamnations pénales, d’une part de la firme mise en cause (Servier), qui a fait appel, et d’autre part, de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) qui a renoncé, pour sa part, à un appel. Des experts de l’agence, compromis par des arrangements illégaux avec la firme délinquante, ont également été condamnés.

      Par ailleurs, le rapport pénal d’expertise scientifique a conclu que le Mediator, consommé par environ cinq millions de Français pendant trente-trois ans, est la cause directe de la mort ou de l’invalidité de milliers de personnes. Enfin, à ce jour, près de 4 000 victimes, en majorité des « survivants » du Mediator, ont vu leur procédure d’indemnisation aboutir après examen par un collège d’experts adossé à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam).

    • Irène Frachon : « La composition de la “commission Bronner” sur le complotisme laisse perplexe », TRIBUNE, Irène Frachon, Pneumologue au CHU de Brest, lanceuse d’alerte de l’affaire du Mediator.

      S’il est incontestable que, parallèlement à la pandémie de Covid-19, se développe une « épidémie » de doutes profonds et de défiances multiples au sein de l’opinion publique avec un succès croissant de théories alternatives aux relents complotistes, les moyens mis en œuvre pour mieux appréhender et peut-être corriger, apaiser un tel phénomène de fond interrogent sérieusement.

      Le dévoilement de la composition de la « commission Bronner » [ le blabla élyséen : https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/29/les-lumieres-a-lere-numerique-lancement-de-la-commission-bronner]du nom du sociologue très (trop ?) médiatique chargé, par l’Elysée, d’évaluer ce phénomène des fausses nouvelles laisse perplexe.
      La santé publique est au cœur de ces inquiétudes. A ce titre, le choix des personnalités médicales susceptibles d’éclairer cette question est particulièrement sensible. On ne peut qu’être surpris de la cooptation d’un professeur de médecine « médiatique » et impliqué publiquement dans plusieurs polémiques sensibles, notamment à propos du scandale du Mediator, la plus grave affaire de santé publique survenue en France au XXIe siècle et « marqueur » significatif de cette défiance.

      Puisqu’il le faut, rappelons les faits.

      Le scandale du Mediator est la conséquence d’un délit industriel d’une gravité hors norme, récemment jugé devant le tribunal correctionnel de Paris et ayant donné lieu à des condamnations pénales, d’une part de la firme mise en cause (Servier), qui a fait appel, et d’autre part, de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM) qui a renoncé, pour sa part, à un appel. Des experts de l’agence, compromis par des arrangements illégaux avec la firme délinquante, ont également été condamnés.

      Par ailleurs, le rapport pénal d’expertise scientifique a conclu que le Mediator, consommé par environ cinq millions de Français pendant trente-trois ans, est la cause directe de la mort ou de l’invalidité de milliers de personnes. Enfin, à ce jour, près de 4 000 victimes, en majorité des « survivants » du Mediator, ont vu leur procédure d’indemnisation aboutir après examen par un collège d’experts adossé à l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam).

      Ainsi, alors que la justice a condamné une « tromperie » (de l’industriel), une « négligence » (des autorités de santé), des « prises illégales d’intérêts » (d’experts), l’addition de tous ces éléments permet d’employer le terme de « complot avéré », au sens où l’entend l’anthropologue #Didier_Fassin, auteur récent de remarquables leçons de santé publique données au sein du Collège de France en 2021 : « On peut donc parler de véritables conspirations conduites par des capitaines d’industrie sans scrupule, des politiciens corrompus et des chercheurs vénaux dont les actes ne sont pas seulement des violations de la loi mais aussi des pratiques criminelles puisqu’ils mettent cyniquement en jeu la vie d’individus. » Didier Fassin conclut : « Il faut donc nommer ces actes pour ce qu’ils sont : d’authentiques complots portant atteinte à la santé publique. » C’est sans aucun doute le cas du Mediator.
      L’affaire du Mediator a ainsi ébranlé profondément et, à juste titre, la confiance du grand public dans la capacité des autorités sanitaires, des laboratoires pharmaceutiques et du monde médical en général à garantir leur santé, y compris en s’opposant sans compromission à de rares mais possibles dérives criminelles autant que lucratives, des industries de santé. Cette défiance, d’essence complexe, participe à l’audience de plus en plus large de « théories du complot », truffées d’informations falsifiées, mais aussi plus simplement à l’expression d’inquiétudes légitimes.

      Mediator, devenu une métonymie du scandale sanitaire, a été détourné par de nombreux adeptes d’un complotisme délétère comme une sorte de caution les autorisant à rejeter sans nuance des propositions vitales pour la santé publique, comme c’est le cas de l’actuelle campagne de vaccination contre le Covid-19.

      Le professeur et urologue Guy Vallancien, dont la nomination est annoncée au sein d’une commission « resserrée », a été un des fers de lance d’une nébuleuse de médecins de haut rang, professeurs de médecine, parfois académiciens de médecine, qui, depuis des années et sans vergogne, tentent de discréditer, minimiser, voire nier la gravité du drame humain causé par le Mediator.

      Dans son ouvrage La Médecine sans médecin ? (Gallimard, 2015), le professeur Vallancien écrit ceci à propos du scandale du Mediator, tout en déplorant la défiance suscitée par l’affaire : « La violence de la charge unique contre l’industrie avait de quoi choquer (…). Rares sont les malades qui furent meurtris par les complications liées au produit (…). Parmi les dossiers de plaignants (…) seul un nombre infime est à ce jour reconnu comme en relation avec la prise du produit incriminé. » Plus tard, en 2016, Guy Vallancien s’insurgera publiquement contre le « Manifeste » de grands médecins et humanistes, Michel Serres, Axel Kahn, Rony Brauman, Claude Got et une trentaine d’autres signataires, alertant la communauté médicale du comportement ignominieux de la firme à l’égard de ses propres victimes.
      Il est à craindre qu’une telle commission, dont l’un des membres s’est abîmé, non seulement n’apporte aucune réponse raisonnable et raisonnée à la problématique soulevée, mais creuse un peu plus le fossé entre beaucoup de nos concitoyens et les élites qu’ils critiquent, à tort ou parfois à raison.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/30/irene-frachon-la-composition-de-la-commission-bronner-sur-le-complotisme-lai

      le Vallencien, c’est bête, mais à sa tronche de houellebecozemourozombie, je lui demanderais surtout pas l’heure

      #complotisme (qu’il faudrait écrire au pluriel)

      #santé_publique #industrie #chercheurs #mediator #Irène_Frachon

    • Deux ans après le départ de Vallancien [de son poste de directeur du Centre du don des corps de l’université Paris-Descartes de 2004 à 2014], son successeur, le Pr Richard Douard, chirurgien digestif à l’hôpital européen Georges-Pompidou, fait état de la situation à Frédéric Dardel, alors président de Paris-Descartes et aujourd’hui conseiller de la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal. Il lui présente un document édifiant de 27 pages, dont sont issues les photos décrites plus haut. Le mémo liste « des installations vétustes, inadaptées, ne respectant pas les obligations légales », « des chambres froides non hermétiques, avec des pannes à répétition [...] une absence de ventilation dans les différents espaces de travail, des canalisations d’évacuation des eaux bouchées ». Mais, ce qui semble le plus tracasser les autorités, c’est le « risque de scandale avec le non-respect de règles d’éthique dues aux corps qui [leur] sont confiés ». Oui, le plus embêtant, c’est la peur « que ça se sache », « que ça sorte », comme nous l’ont confié plusieurs sources ayant travaillé au CDC.

      Don de corps à la science : un charnier au coeur de Paris
      https://www.lexpress.fr/actualite/sciences/don-de-corps-a-la-science-un-charnier-au-coeur-de-paris_2108389.html

      La peur que ça se sache ? C’est connu, et c’est promu.

    • Le danger sociologique ? Un feu de paille
      Arnaud Saint-Martin.
      À propos de Gérald Bronner et Étienne Géhin, Le danger sociologique, Paris, Presses universitaires de France, 2017, 242 pages
      https://www.cairn.info/revue-zilsel-2018-1-page-411.htm

      L’opération a été méthodiquement préparée. À la veille de la sortie en librairie début octobre 2017 du Danger sociologique, cosigné par Gérald Bronner et Étienne Géhin, l’« hebdomadaire d’information » Le Point en publiait quelques « bonnes feuilles », ainsi que plusieurs réactions « à chaud »

      Dans l’ordre : Philippe Meyer, Alain Touraine, Edgar Morin et…. Sur la couverture du magazine, un titre choc annonçait la couleur, crépusculaire : « Le livre noir des imposteurs de la pensée ». La quatrième de couverture de l’essai en résume la raison d’être : secouer une « discipline à vocation scientifique […] prise en otage par ceux qui veulent en faire un “sport de combat” » et « qui peuvent nous égarer dans des récits idéologiques et outranciers ». Les auteurs invitent ces collègues en déshérence à « sortir de leur sommeil dogmatique et [à] s’astreindre aux règles qui régissent la cité des sciences ». Le ton est donné, le scandale attendu. On se doute que l’éditeur nourrit de grands espoirs : outre l’impulsion en coulisses du service de presse et la campagne de promotion, un bandeau rouge « LE LIVRE ÉVÉNEMENT » annonce qu’il risque de se passer quelque chose cet automne-là [2]
      [2]
      Organiser une polémique médiatique est une chose, faire son…. Que les esprits vont s’échauffer et entretenir les coulées d’encre et les tirages.

      (...) il est prolixe en matière d’intervention normative dans l’espace public, via les chroniques dans Le Point, ses interventions dans les médias, mais aussi ses essais de « sociologie analytique » sur l’état du monde au nom de la Raison ; par exemple, le diagnostic, martelé avec Géhin dans L’inquiétant principe de précaution , d’une insinuation angoissante et technophobe d’une « idéologie précautionniste » dans la société française, laquelle s’expliquerait ultimement par le _« fonctionnement même de l’esprit humain » [Gérald Bronner, « Perceptions du risque et précautionnisme »,….

      Sociologue du Point, faire valoir académique de la dénonciation de la « culture de l’excuse », son dernier ouvrage paru se nomme « Apocalypse cognitive »

      Gérald Bronner : « L’avenir se joue dans nos cerveaux »
      https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/01/24/gerald-bronner-l-avenir-se-joue-dans-nos-cerveaux_6067404_3260.html

      Notre « nature », qui est à la fois source de nos erreurs et des possibilités de les contrecarrer, Gérald Bronner la cherche principalement dans notre cerveau, dans les traits cognitifs qui nous sont communs, indépendamment de nos genre, milieu ou culture.

      [...] « Ce que je crains, confirme-t-il, c’est un affaissement de notre civilisation. Il se manifeste déjà, par exemple, par la mise entre parenthèses de la conquête spatiale, la mise en cause du progrès, les embarras des organisations internationales. Pour le surmonter, et parvenir à franchir le plafond de verre civilisationnel, il faut savoir nous regarder en face, prendre la mesure de nos addictions et de nos choix. En ce sens, l’avenir se joue dans nos cerveaux. C’est seulement en pouvant dire : “Voilà comme nous sommes” que nous pourrons construire le récit de nos prochaines aventures. »

      Le top en matière d’analyse du social : l’imagerie cérébrale.

      Autre penchant sympathique, après avoir larmoyé sur l’"abandon de la conquête spatiale" :

      « En quittant la Terre, il deviendrait évident que nous sommes humains avant d’être terriens. C’est là un rappel essentiel car l’idéologie précautionniste, en nous proposant un rapport empreint de sentimentalité à la planète qui a vu notre naissance, a tendance à rendre indissociable notre destin du sien. »
      https://seenthis.net/messages/820351#message902010
      #Gérald_Bronner #neuroscience #neutralité #cogniticien #contremaître_gradé

    • « Donc le responsable de la commission chargée de lutter contre les « fake news », Gérald Bronner, qualifie « d’esprits malveillants » des journalistes parce qu’ils font un papier sur les turpitudes d’un de ses membres (Guy Vallancien) … ça commence très fort cette commission. »
      https://twitter.com/l_peillon/status/1444762462486728714
      https://www.liberation.fr/checknews/quest-il-reproche-au-chirurgien-guy-vallancien-membre-de-la-commission-bronner-contre-les-fake-news-20211001_XDC2MA374NHGRLLFEM3VV3YAI4/?redirected=1&redirected=1

      Impliqué dans le scandale du charnier de l’université Paris-Descartes, l’urologue a aussi fait l’objet d’un blâme de la part de l’Ordre des médecins dans une autre affaire.

      Afin de lutter contre les fausses informations sur le web, Emmanuel Macron a mis en place, mercredi à l’Elysée, une commission chargée de « définir un consensus scientifique sur l’impact d’Internet », « formuler des propositions dans les champs de l’éducation, de la prévention, de la régulation, et de la judiciarisation des entrepreneurs de haine » ou encore de « développer une analyse historique et géopolitique de l’exposition de la France aux menaces internationales ». Intitulée « les lumières à l’heure du numérique », cette commission, présidée par le sociologue Gérald Bronner, devra rendre un rapport courant décembre.

      Outre Gérald Bronner, lui-même épinglé pour avoir véhiculé une fausse information dans l’un de ses ouvrages, un nom, au sein de cette commission, a particulièrement fait sursauter de nombreux internautes : Guy Vallancien. Agé de 75 ans, cet urologue renommé, membre de l’académie de médecine (comme Bronner), s’est en effet illustré, de façon polémique, dans différents dossiers au cours de sa carrière.

      « Charnier » de Descartes

      A commencer par son implication dans le « charnier » de l’université Paris Descartes...
      #paywall

    • Sachant par ailleurs que Bronner lui-même a été pris la main dans le sac en diffusant une fausse information dans l’un de ses bouquins :
      https://www.lemonde.fr/planete/article/2014/10/13/le-chlore-au-temps-du-cholera_4505153_3244.html#xtor=AL-32280270-%5Bdefault%

      Guy Vallancien reste membre de la commission Bronner

      Ça promet cette commission fake news de la honte.

      La saison de la chasse aux sorcières est donc ouverte en macronie, sous les applaudissements du roi !

    • Guy Vallancien quitte la commission contre le complotisme en dénonçant un complot contre lui.
      Il apprend vite…

      « Je me retire de la commission Les lumières à l’ère numérique », a déclaré le Pr Vallancien, qui dénonce une « honteuse campagne de dénigrement ignoble et mensonger » après sa nomination à cette instance présidée par le sociologue Gérald Bronner #AFP

  • Les regrets de Monique Pinçon-Charlot
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/09/01/les-regrets-de-monique-pincon-charlot_6093026_3260.html

    « Notre vie chez les riches », les Mémoires du couple de sociologues bien connu, peine à faire oublier la polémique autour des propos complotistes tenus en 2020 par Mme Pinçon-Charlot.

    Beaucoup, apprenant que Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot publieraient, le 26 août, Notre vie chez les riches. Mémoires d’un couple de sociologues (Zones), pensaient qu’ils allaient enfin comprendre comment Monique Pinçon-Charlot avait pu se retrouver dans Hold-up, le documentaire complotiste sur la crise du Covid-19, diffusé en ligne en novembre 2020. Las, si le livre regorge de récits et d’analyses souvent très intéressants sur leur approche sociologique de la bourgeoisie française, et revient sur l’engagement politique des deux intellectuels à l’extrême gauche, pas un mot sur cette étrange affaire.

    Il est vrai que Monique Pinçon-Charlot, alors que montait la polémique sur sa participation au film, avait présenté sur Twitter ses « excuses très sincères » pour y avoir déclaré que, du fait du dérèglement climatique, dont le Covid-19 serait une conséquence, « il y a un holocauste, qui va éliminer certainement (…) 3,5 milliards d’êtres humains » et qui rappellerait ce que « les nazis allemands ont fait » pendant la guerre.

    C’est d’ailleurs en se fondant sur les excuses de la sociologue que les éditions de La Découverte (auxquelles appartient le label Zones) expliquent n’avoir eu aucun doute sur l’opportunité de publier Notre vie chez les riches moins d’un an plus tard. « Sachant que Monique Pinçon-Charlot a regretté publiquement [s]es propos (…), et surtout que ce nouvel ouvrage écrit à quatre mains ne comporte rien de tel », explique au « Monde des livres », par mail, le service de presse de la maison, La Découverte « a honoré ses engagements envers des auteurs qui lui ont depuis des années accordé leur confiance ».

    Mais sur quoi au juste portaient les regrets de Monique Pinçon-Charlot ? En réalité, sur un mot uniquement – « holocauste », qu’elle qualifiait, toujours sur Twitter, d’« inapproprié ». Pour le reste, aucune rétractation : le terme d’« holocauste », poursuivait la sociologue, avait été employé « au lieu de celui d’extermination ». Par conséquent, l’idée d’une possible élimination volontaire de « 3,5 milliards d’êtres humains » était, elle, explicitement maintenue.

    Rien d’étonnant à cela si l’on pense, entre autres exemples, à cet entretien accordé à la série YouTube « Le Jour d’après », le 13 avril 2020, dans lequel Monique Pinçon-Charlot assurait : « L’objectif conscient et déterminé [des capitalistes] (…), c’est bien d’exterminer la moitié la plus pauvre de l’humanité avec l’arme terrible qu’est le dérèglement climatique. »

    Un silence incompréhensible

    Ainsi la participation de Monique Pinçon-Charlot à Hold-up n’était-elle pas la question centrale, et ses regrets sur Twitter ne pouvaient masquer une dérive complotiste plus ancienne et plus profonde. Quant au fait, allégué par La Découverte, qu’il n’y a « rien de tel » dans Notre vie chez les riches, il peut à son tour déconcerter. Si Monique Pinçon-Charlot croit toujours à cette volonté génocidaire des puissants, pourquoi ne pas l’évoquer, à titre d’alerte ? Si elle n’y croit plus, pourquoi ne pas expliquer son erreur ? Refusant les deux seules possibilités rationnelles qui s’offraient à eux, les auteurs aboutissent à un silence incompréhensible, au sujet d’une polémique qui a été si retentissante que chacun de leurs lecteurs l’aura nécessairement en tête.

    Après plusieurs sollicitations du « Monde des livres », Monique Pinçon-Charlot a fini par répondre à ces interrogations, mardi 31 août, dans un message écrit où elle redit « à quel point [elle] regrette [s]a participation à Hold-up ». Mais, pour la première fois, elle va plus loin, évoquant « une fragilité liée à une situation personnelle très douloureuse qui [l]’a conduite à tenir en cette année 2020 des propos outranciers, irrecevables, avec des erreurs sémantiques inexcusables ». « Je regrette ces simplifications abusives », poursuit la sociologue en se référant explicitement à sa phrase sur la volonté génocidaire des capitalistes, avant de conclure : « [C]es égarements (…) ne sauraient effacer près de cinquante ans de recherches et d’écriture, ce dont ce livre témoigne, en retraçant sereinement notre parcours et nos engagements. »

    La sincérité et l’étendue des regrets paraissent cette fois hors de doute. Pourtant, comment ne pas s’étonner qu’ils passent par voie de presse, sur sollicitation, et que l’éditeur comme les auteurs aient jusque-là voulu publier le livre en se contentant de renvoyer à des excuses très partielles ? Il demeure évident qu’il aurait été plus simple de donner ces explications dans Notre vie chez les riches, plutôt que de tenter de faire reposer sa promotion sur un silence qui, au bout du compte, se révèle artificiel.

    Interrogé sur cette manière de faire, le fondateur du site Conspiracy Watch, Rudy Reichstadt, auteur de L’Opium des imbéciles. Essai sur la question complotiste (Grasset, 2019), explique au « Monde des livres » : « C’est une façon hypocrite de s’en sortir, en croisant les doigts pour qu’on ne remette pas des déclarations complotistes sur le tapis à la sortie du livre. » Il ajoute : « Vous dites une énormité, et vous n’en reparlez plus, notamment dans vos livres, en comptant sur l’oubli. Le procédé est courant. »

    Monique Pinçon-Charlot en a finalement décidé autrement. Que cette attitude, fût-elle tardive, échappe à ce point aux logiques habituelles peut être considéré comme une bonne nouvelle. Le complotisme a rarement l’élégance d’être une parenthèse qui accepte de se refermer.

    Le lapsus, réussite de l’inconscient. Oui, il y a des bouts de réponse à une curiosité : c’est quoi la grande bourgeoisie ? mais cette sociologie tend effectivement à dégringoler dans la dénonciation d’un sujet volontaire et conscient (oligarchie, caste, blabla). Ne plus pouvoir faire appel au sujet volontaire et conscient de manière positive (classe ouvrière, parti), c’est peut-être cette douleur-là, bien antérieure au covid, qui les aura abruti.

    #gauche #complotisme #explication_abusive #bêtise #antisémitisme (banalisation de) #antisémitisme_de_gauche

  • Des milliers de feuillets inédits : les trésors retrouvés de Louis-Ferdinand Céline
    http://www.davduf.net/des-milliers-de-feuillets-inedits-les-tresors

    Trésor ! Jean-Pierre Thibaud ; ex critique théâtre de Libé : « Il y a de nombreuses années, un lecteur de Libération m’a appelé en me disant qu’il souhaitait me remettre des documents. Le jour du rendez-vous, il est arrivé avec d’énormes sacs contenant des feuillets manuscrits. Ils étaient de la main de Louis-Ferdinand Céline. Il me les a remis en ne posant qu’une seule condition : ne pas les rendre publics avant la mort de Lucette Destouches, car, étant de gauche, il ne voulait pas “enrichir” la veuve de (...) #blogger|fcuker

    / #Livres

    • Des milliers de feuillets inédits : les trésors retrouvés de Louis-Ferdinand Céline
      https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/08/04/les-tresors-retrouves-de-louis-ferdinand-celine_6090546_3260.html

      Il l’a hurlé si fort et si souvent que même ses plus fervents admirateurs avaient fini par en douter. Et pourtant, jusqu’à son dernier souffle, Louis-Ferdinand Céline, mort en 1961, n’a cessé de le répéter : en 1944, alors qu’il venait de s’enfuir en catastrophe vers l’Allemagne nazie avec les ultras de la Collaboration, des pillards ont forcé la porte de son appartement de Montmartre et lui ont volé de volumineux manuscrits, pour une large part inédits. Parmi eux, a-t-il toujours proclamé, celui de Casse-pipe, le roman qui devait former un triptyque avec ses deux chefs-d’œuvre Voyage au bout de la nuit (1932) et Mort à crédit (1936). Seules quelques pages de ce roman étaient parvenues jusqu’à nous.

      Oui, Céline l’a hurlé sur tous les tons. Dans D’un château l’autre, en 1957 : « Ils m’ont rien laissé… pas un mouchoir, pas une chaise, pas un manuscrit… » Dans une lettre à son ami Pierre Monnier, en 1950 : « Il faut le dire partout si Casse-pipe est incomplet c’est que les Epurateurs ont balancé toute la suite et fin, 600 pages de manuscrit dans les poubelles de l’avenue Junot. » Et d’ajouter que ces « pillards » avaient également dérobé un épais manuscrit intitulé La Volonté du roi Krogold, quasiment inédit lui aussi. Quelques jours avant sa mort, le romancier écrivait encore dans Rigodon : « On m’a assez pris, on m’a assez dévalisé, emporté tout ! Hé, je voudrais qu’on me rende ! »

      https://actualitte.com/article/101770/archives/les-feuillets-perdus-de-louis-ferdinand-celine-enfin-retrouves

      #Céline

    • ah oui, j’ai trouvé cet article de Le Monde sur internet, il est chouette, il restitue bien l’époque en plein dans ta gueule

      « Et, pour qu’un résistant soit emprisonné en 1944, il fallait vraiment qu’il ait fait des choses graves » , observe Emile Brami [biographe de L-F. C.]

      [...]

      « Cela paraît fou, mais Céline, auteur de pamphlets antisémites, avait choisi Rosembly pour tenir sa comptabilité, justement parce qu’il pensait qu’il était juif ! » , commente Emile Brami.

      [...] S’il n’a pas collaboré au sens « technique » du terme – trop maladivement indépendant pour cela –, il passe pour être l’un des plus célèbres amis français des nazis. [et là, c’est pas du Brami]

      Edit

      Pendant l’Occupation, [la prison de Fresnes] prend une dimension nouvelle, hautement symbolique, avec la présence dans ses murs de grandes figures de la Résistance : le lieutenant de vaisseau d’Estienne d’Orves, le général Delestraint, Edmond Michelet, Pierre Brossolette, Missak Manouchian, Geneviève Anthonioz-de Gaulle… et bien d’autres encore, connus ou inconnus, communistes ou gaullistes... Pour tous ces détenus, Fresnes n’est qu’une étape, ils doivent y séjourner quelques mois seulement, le temps de l’instruction de leur affaire, puis la plupart partiront en Allemagne (Buchenwald, Ravensbrück…) ou seront conduits devant un peloton d’exécution au Mont-Valérien.

      http://museedelaresistanceenligne.org/media5275-Plaque-apposA

      https://justpaste.it/37tvr

    • Dingue.

      Soixante ans après sa mort, du fond de sa tombe du cimetière des Longs-Réages, à Meudon (Hauts-de-Seine), Louis-Ferdinand Céline doit savourer cet incroyable coup du destin. Et se remémorer sa supplique prophétique : « Hé, je voudrais qu’on me rende ! » C’est désormais chose faite.

      c’est @chirine qui doit être contente

  • « Sur le trottoir, l’Etat », de Gwénaëlle Mainsant : policier du sexe, un travail « émotionnel »
    https://www.lemonde.fr/livres/article/2021/03/04/sur-le-trottoir-l-etat-de-gwenaelle-mainsant-policier-du-sexe-un-travail-emo

    « Sur le trottoir, l’Etat. La police face à la prostitution », de Gwénaëlle Mainsant, Seuil, « La couleur des idées », 346 p., 24 €, numérique 17 €.

    Des mythes et fantasmes qui entourent le travail policier, ceux qui concernent la brigade de répression du proxénétisme, parfois appelée « la mondaine », sont parmi les plus endurants. Ils sont faits de grands flics rudoyant de beaux voyous, de mères maquerelles et de clients aux mœurs scabreuses. Pourtant, constate Gwénaëlle Mainsant dans Sur le trottoir, l’Etat, « en l’espace d’un demi-siècle, la mondaine a été dépouillée de son autorité sur le sexe ». Fini le contrôle de l’homosexualité, de l’adultère ou de l’obscénité. La lutte contre le proxénétisme est devenue le dernier instrument de la police du sexe dans notre société.

    Mise en concurrence
    Pour comprendre comment fonctionne cette police, il fallait observer les policiers chargés de surveiller la prostitution, ces « agents de l’ordre social et sexuel », comme l’écrit la sociologue, qui s’y est attelée à Paris pendant plusieurs mois à la fin des années 2000, période de profonde mutation en la matière. Les prostitués non francophones originaires d’Asie, d’Afrique ou d’Europe de l’Est remplacent alors les « traditionnels » – les prostitués français – sur les trottoirs des grandes villes, rendant le travail policier plus malaisé.

    La loi et la hiérarchie policière, a contrario, imposent aux agents un contrôle plus strict de ce « gibier de police ». Elles mettent aussi en concurrence des services porteurs de visions très différentes de la prostitution. La prostituée interpellée par la mondaine est une victime du proxénétisme qu’il faut mettre en confiance pour obtenir des renseignements sur le réseau qui la fait travailler. La même, interpellée par les unités créées après 2003 pour réprimer le nouveau délit de racolage, est l’autrice d’une infraction qu’il faut verbaliser et intimider.

    Ces tensions dans le « gouvernement de la prostitution » découlent de l’adoption, au cours de la même période, d’une doctrine abolitionniste visant, sinon à faire disparaître la prostitution, du moins à la rendre invisible. Le travail des policiers, depuis lors, est devenu en grande partie un travail de « qualification » et non de régulation de la prostitution : il s’agit en effet de choisir, parmi les multiples formes de cet « illégalisme », celles sur lesquelles se concentrer, de les distinguer des autres, d’attribuer un rôle aux divers protagonistes (coupable ? victime ? indic ?) et de qualifier pénalement les faits.

    #paywall

    • Un cadre viril jamais questionné

      C’est lorsqu’il s’agit de comprendre les incertitudes contemporaines qui pèsent sur cette tâche que le livre devient passionnant. Par exemple lorsque Gwénaëlle Mainsant analyse le travail émotionnel auquel se livrent les policiers masculins avec les prostituées féminines, un jeu dans lequel l’altercation n’est jamais loin de la familiarité, et celle-ci de la complicité ou de la séduction. Ce jeu a aussi un prix : pour que des hommes puissent assumer ce travail émotionnel, d’habitude l’apanage des femmes, il faut que celui-ci soit compensé par un cadre viril jamais questionné, qui confère aux hommes policiers le contrôle de la sexualité des femmes prostituées.

      « Sur le trottoir, l’Etat » enrichit aussi la discussion, toujours très vive, sur la place de la police dans notre société

      C’est ce cadre qui explique notamment le peu d’empressement des policiers à enquêter sur les prostitués transgenres et la prostitution masculine, qui ne leur permettent pas la même gamme de jeu sur le genre. Paradoxalement – la sociologue souligne qu’ il y a là une exception en matière de sociologie de la déviance –, c’est ce cadre conventionnel du travail policier qui protège les transgenres et les travestis d’un contrôle policier tatillon, au lieu de redoubler la stigmatisation sociale dont ils sont victimes.

      Ce livre remarquable ne se lit pas seulement comme une contribution majeure à l’analyse du « gouvernement de la prostitution », une question étonnamment absente des controverses contemporaines sur le genre alors qu’elle était, dans les années 1990, au cœur de tous les débats sur l’émancipation féminine et les violences faites aux femmes.

      Il enrichit aussi la discussion, elle toujours très vive, sur la place de la police dans notre société. Le pouvoir conféré à la police de terrain en matière de gouvernement de la prostitution n’est pas si différent de celui qui lui est donné pour gouverner les manifestations ou la jeunesse des banlieues. Gwénaëlle Mainsant montre, dans tous ces domaines, qui touchent à la construction même de ce qui relie les individus entre eux, la pertinence du regard des sociologues. Un regard dont, trop souvent, l’autorité policière cherche à se préserver.

      EXTRAIT

      « La définition large du proxénétisme en droit (de “profiter des bénéfices de la prostitution d’autrui” à “apporter aide et assistance”) consacre le pouvoir discrétionnaire des policiers. Dans un travail où ils valorisent et privilégient les enquêtes dont ils sont à l’origine, celles qu’ils ont obtenues grâce aux tuyaux de leurs indics, ils ­s’efforcent de choisir des ­cibles qui leur permettent de tenir leur rôle. Et ce rôle a été construit historiquement pour faire face à des hommes coupables et des femmes ­victimes, que ce soit dans les interpellations ou les rapports avec les indics. Les policiers ne recrutent pas d’informateurs parmi les prostitués transgenres ou homosexuels et les proxénètes femmes. (…) La masculine police des mœurs reste donc avant tout une police de l’hétérosexualité sans pour autant devenir une police de la domination masculine. »

      #prostitution #domination_masculine #police #proxénétisme #illégalismes

    • c’est ce cadre conventionnel du travail policier qui protège les transgenres et les travestis d’un contrôle policier tatillon, au lieu de redoubler la stigmatisation sociale dont ils sont victimes.

      Les policiers ne recrutent pas d’informateurs parmi les prostitués transgenres ou homosexuels et les proxénètes femmes. (…) La masculine police des mœurs reste donc avant tout une police de l’hétérosexualité sans pour autant devenir une police de la domination masculine.

      J’interprète plutot ces remarques comme une police qui protège le patriarcat en contrôlant les femmes et non les hommes. La police considère et traite les femmes trans comme des hommes et leur accorder les privilèges qui sont accordés aux hommes de se prostitués sans subir de harcelement sexuel (nommé ici jeu de séduction). Il y a aussi une invisibilité des consommateurs de la prostitution qui sont pourtant aujourd’hui prétendument considérés comme délinquants tandis que les prostituées ne le sont sois disant plus.