Les explications américano-centrées ne suffisent plus. Lettre à la gauche occidentale – CONTRETEMPS

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  • Visiblement, en ce moment, c’est la collection des « Lettre[s] aux gauchistes occidentaux de la part de gens de gauche du pays en guerre », systématiquement sur le thème « L’anti-impérialisme c’est has been », « En fait être contre la guerre c’est raciste » et autres jeux dialectiques. D’ailleurs ça fait des années que plus grand monde n’ose trop ouvertement se revendiquer anti-impérialiste, tellement l’anti-anti-impérialisme est le point de vue martelé à chaque fois, et cela en ciblant spécifiquement les gauches occidentales. Pire : j’ai l’impression que plus personne n’ose utiliser le mot « pacifiste », à la place on dira « le mouvement anti-guerre ».

    Je ne crois pas pouvoir citer de mémoire une guerre, depuis que je suis adulte, pour laquelle dès le début on n’a pas eu ces « Messages de la gauche locale aux naïfs de la gauche occidentale », « Lettre d’un anarchiste local aux naïfs libertaires des pays occidentaux ». Les contenus sont assez systématiquement identiques, et de toute façon assez rapidement ça se tarit, parce qu’évidemment les gauches anti-impérialistes n’ont pas de pouvoir, et que les flux d’armes, les soutiens aux milices, les no-fly-trucs et autres bombardements défensifs, que ces « lettres » appelaient, ils ont bien lieu (t’imagines que les gauches anti-impérialistes ont le moindre poids dans l’évolution des guerres contemporaines ?), et leurs conséquences sont systématiquement catastrophiques : humainement et politiquement.

    Mais on va se faire plaisir avec la nouvelle explication « libertaire » qui t’explique que les libertaires du monde entier n’ont rien compris, qu’ils devraient se sortir les doigts du cul et enfin accepter que le monde a changé, et que cette fois-ci l’intervention militaire de l’occident est nécessaire, justifiée, et même cette fois elle sera « efficace ». Cette guerre-là, camarade, cette fois elle est bonne.

    • @baroug : le souci avec Seenthis et notre non-recours assez systématique aux emojis, c’est que je ne sais pas si tu postes pour dire que tu es d’accord avec moi (ces textes sont sans grand intérêt, comme ceux du même acabit des guerres précédentes), ou si tu manies subtilement l’art du sarcasme (au sens où oui vraiment, cette guerre-là serait justifiée, y compris d’un point de vue de gauche).

    • Non, je suis sarcastique, mais pas dans ce sens-là : cette guerre n’est pas justifiée, mais elle a déjà lieu, elle n’est pas souhaitée par les militants qui pondent ces textes, elle est opérée par les troupes russes. Je ne trouve pas ces textes sans intérêt, et il me semble dommageable de tout assimiler.

    • C’est bien ce qui me semblait :-)

      Sur le fait que cette guerre soit imposée par la Russie, oui évidemment. Mais dans la plupart des guerres précédentes, on peut assez systématiquement considérer que l’épouvantable dictateur en face est le premier responsable de l’escalade, et ça ne change pas grand chose à l’équation du point de vue des gauches. Pour remonter à l’Antiquité, il me semble bien que c’est Saddam Hussein qui a envahit le Koweit, et non l’inverse. Les Russes en Afghanistan n’étaient pas non plus de tendres victimes innocentes. La guerre en ex-Yougoslavie, je ne vois pas que Milosevic et son camp étaient fondamentalement gentils et désireux de promouvoir les droits humains. Et pour l’Antiquité plus récente, non, Bachar Assad et Mouammar Kadhafi n’entrent pas vraiment dans la catégorie des gentils démocrates droits-de-l’hommistes.

      L’idée qu’il y aurait cette fois une grande nouveauté, au sens où cette guerre-là nous serait imposée par l’adversaire, ça ne tient pas. Toutes les guerres précédentes nous était déjà largement imposées par l’ennemi (pour cause d’un franchissement hostile des frontières, ou d’attaque inacceptable contre les civils…).

      De fait, je reste sur l’idée que ces textes sont extrêmement répétitifs et sans grand intérêt, et cette prétention à la « nouveauté » qui justifierait un « changement de paradigme » de la part des gauches anti-impérialistes confites dans leur naïveté, ben c’est franchement à chaque fois qu’on y a droit.

      On a bien un impérialisme russe (c’est tout de même pas extrêmement nouveau), et répondre en légitimant un impérialisme occidental et l’escalade militaire, franchement c’est épouvantablement prévisible et habituel. Que ces textes ciblent aussi systématiquement les anti-impérialistes de gauche me semble presque émouvant (avec Gilbert Achkar désormais à la manœuvre systématiquement, c’est vraiment émouvant).

    • Sur le fait que cette guerre soit imposée par la Russie, oui évidemment. Mais dans la plupart des guerres précédentes, on peut assez systématiquement considérer que l’épouvantable dictateur en face est le premier responsable de l’escalade, et ça ne change pas grand chose à l’équation du point de vue des gauches. Pour remonter à l’Antiquité, il me semble bien que c’est Saddam Hussein qui a envahit le Koweit, et non l’inverse. Les Russes en Afghanistan n’étaient pas non plus de tendres victimes innocentes. La guerre en ex-Yougoslavie, je ne vois pas que Milosevic et son camp étaient fondamentalement gentils et désireux de promouvoir les droits humains. Et pour l’Antiquité plus récente, non, Bachar Assad et Mouammar Kadhafi ne n’entrent pas vraiment dans la catégorie des gentils démocrates droits-de-l’hommistes.

      Précisément : chez les anti-impérialistes, on fait la différence entre la gentillesse et le droit international.
      Mais au-delà de ça je persiste : tout n’est pas égal à tout, même quand ça y ressemble et même s’il y a des invariants. C’est d’ailleurs en partie le propos : on a une analyse clé en main il suffit de la sortir à chaque fois. Or peut être que tout n’est pas systématiquement coulable dans ce moule analytique ? (Je parle exclusivement des textes d’Europe de l’est, pas d’Achcar, en rajoutant aux deux déjà publiés celui-ci qui ne tardera pas à apparaître ici : https://www.contretemps.eu/gauche-occidentale-ukraine-otan-russie-imperialisme).

    • Sinon un autre argument, qu’il ne faudrait surtout pas prendre pour du whataboutism : on n’a pas eu une telle collection de « lettres » adressées aux gauchistes du monde occidental pour réclamer l’armement de milices « révolutionnaires », des no-fly zones, ou de très agressives politiques de changement de régime, adressées par des « gauchistes » locaux aux gauches occidentales, contre Abdel Fattah al-Sissi ou Mohammed ben Salmane.

      J’insiste, je ne souligne pas ce point pour justifier l’agression russe contre l’Ukraine. Je le note, pour faire ressortir le fait que nouzôtres gauchistes occidentaux passons notre temps à nous passionner et à nous diviser autour de ces « lettres » qui nous seraient adressées, pour dénoncer notre supposé anti-impérialisme, notre pacifisme has been, mais uniquement dans certains cas et jamais dans d’autres. C’est-à-dire que nouzôtres sans aucun pouvoir sur les politiques de nos pays, nous nous divisons avec une bienveillance folle pour les sujets qu’on nous dit de faire, mais pas pour les autres. Ces débats « de gauche » ressortent directement du « deux poids deux mesures » que nous reprochons habituellement à nos dirigeants.

      Il y a eu un courage invraisemblable des anti-impérialistes français pendant la guerre d’Algérie. Ce qu’a fait Jane Fonda au Vietnam est inimaginable aujourd’hui. Je veux dire, on se pare de postures morales, mais à quel moment un de ces gauchistes « réalistes », réclamant plus de moyens militaires pour ceux qui se défendent, s’est posé la question de soutenir directement le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien, s’est dit qu’il fallait militer pour qu’on leur envoie des armes, des moyens, etc.?

    • on a une analyse clé en main il suffit de la sortir à chaque fois

      Mais c’est la base de tous ces textes/débats à chaque fois : avant même qu’on perçoive réellement un quelconque consensus anti-impérialiste de gauche sur telle ou telle situation, on se fade à chaque fois ces textes dénonçant d’entrée de jeu l’idée qu’il y aurait déjà un consensus figé, genre les anti-impérialistes de gauche c’est rien que des vieux staliniens coincés dans leurs idées préconçues. Mais ces critiques confondent l’anti-impérialisme et le campisme.

      Et je pense que de toute façon, même ça c’est une critique de façade, opportuniste (voir mon message précédent sur le fait que ces textes anti-anti-impérialistes, ils n’existent, et nous ne nous en emparons, et nous les re-diffusons sur les interwebz, que dans certaines situations qui exactement correspondent à l’imposition médiatique du moment) : il me semble assez clair que ces textes ne dénoncent globalement le prétendu campisme de l’anti-impérialisme que pour imposer un campisme plus à leur goût.

      Et même si j’ai tort de considérer que c’est du campisme déguisé en dénonciation d’un campisme inverse, pourquoi on perd notre temps avec ces textes à chaque fois ? Si les mouvements de gauche occidentaux sont réellement des abrutis staliniens admirateurs de Poutine au seul motif que l’Otan est méchant, pourquoi perdre son temps à leur écrire ?

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      Accessoirement, ça me revient : on a quand même eu droit au hoax « a gay girl in Damascus », dont se sont emparés les mouvements progressistes de gauche en occident. Dans ce genre « message adressé par une progressiste locale aux progressistes occidentaux qui n’ont rien compris », et hop l’interwebz de gauche prend feu pour dénoncer ces mous du genou d’anti-impérialistes qui doutent que livrer des armes ce soit une très bonne idée, évidemment ça a été le pompon.

    • Et même si j’ai tort de considérer que c’est du campisme déguisé en dénonciation d’un campisme inverse, pourquoi on perd notre temps avec ces textes à chaque fois ? Si les mouvements de gauche occidentaux sont réellement des abrutis staliniens admirateurs de Poutine au seul motif que l’Otan est méchant, pourquoi perdre son temps à leur écrire ?

      Ben c’est çà que je peux pas te suivre, c’est complètement binaire.

      en l’occurence :

      avant même qu’on perçoive réellement un quelconque consensus anti-impérialiste de gauche sur telle ou telle situation

      C’est pas nécessaire : il est déjà établi avant même l’exitence du conflit.

    • So, let me tell you a few things about Eastern Europeans and NATO and Russia.

      We see NATO in a completely different, and I dare say much more nuanced way. We are not fans of it, and we can agree with you on many, many reasons to criticise it. But when you say “Fuck NATO” or “End NATO expansion”, what I hear is that you do not care about the safety and wellbeing of my Eastern European friends, family and comrades. You are happy to put my mum at risk for cheap political points you would not even be able to act on, you bastards!

      When you talk about “expansion”, with everything this word implies, really, you are referring to this process in which Eastern Europe, for the reason of other countries making decisions over our heads in 1945, quite literally tip-toed around Russia petitioning it to allow us do what we wanted to do. Eventually, this resulted in Russia signing something called the Founding Act on Mutual Relations, Cooperation and Security between NATO and the Russian Federation. This happened in May 1997 and Russia, finally, agreed to what you are now calling “expansion” provided that certain conditions are met. These conditions effectively made us second-class members of NATO, but hey ho, that is all we could get and we went for it. Poland, Czech Republic and Hungary joined NATO in 1999, the Baltic countries followed in 2004. And for now, I want them to stay there, and it doesn’t have much to do with politics tbh. It is a self-preservation instinct, but this is another thing you will just not get. You talk more about “NATO expansion” than you talk about the fact that you are the funding members of it.

    • Même genre d’analyse à chaud.

      Les explications américano-centrées ne suffisent plus. Lettre à la gauche occidentale https://www.contretemps.eu/gauche-occidentale-ukraine-otan-russie-imperialisme

      (…) Il ne s’agit pas d’accuser la gauche occidentale d’ethnocentrisme, mais de souligner sa perspective limitée. Submergé par le brouillard de la guerre et le stress psychologique, je ne peux pas offrir une meilleure perspective. Je ne peux que demander de l’aide pour appréhender la situation en termes théoriques tout en incorporant les idées de notre coin du monde. Mettre les États-Unis au centre de toutes les explications ne nous aident pas autant que vous ne le pensez. Nous devons également faire un effort pour sortir des ruines du marxisme oriental et de la colonisation par le marxisme occidental. Nous faisons des erreurs sur ce chemin, et vous pouvez nous accuser de nationalisme, d’idéalisme, de provincialisme. Apprenez de ces erreurs : maintenant vous êtes beaucoup plus provinciaux et vous êtes tentés de recourir à un manichéisme simpliste.

      Vous êtes confrontés au défi de réagir à une guerre qui n’est pas menée par vos pays. Compte tenu de toutes les impasses théoriques auxquelles j’ai fait allusion, il n’existe pas de moyen simple de formuler un message anti-guerre. Une chose reste douloureusement évidente : vous pouvez contribuer à gérer les conséquences de la guerre en apportant une aide aux réfugiés d’Ukraine, quelle que soit la couleur de leur peau ou leur passeport. Vous pouvez également faire pression sur votre gouvernement pour qu’il annule la dette extérieure de l’Ukraine et fournisse une aide humanitaire.

      Ne laissez pas des positions politiques bancales se substituer à une analyse de la situation. L’injonction selon laquelle l’ennemi principal se trouve dans votre pays ne doit pas se traduire par une analyse erronée de la lutte inter-impérialiste. À ce stade, les appels à démanteler l’OTAN ou, à l’inverse, à y accepter qui que ce soit, n’aideront pas ceux qui souffrent sous les bombes en Ukraine, dans les prisons en Russie ou en Biélorussie. Les slogans sont plus nuisibles que jamais. En qualifiant les Ukrainiens ou les Russes de fascistes, vous faites partie du problème et non de la solution.

      Une nouvelle réalité autonome émerge autour de la Russie, une réalité de destruction et de dures répressions, une réalité où un conflit nucléaire n’est plus impensable. Beaucoup d’entre nous n’ont pas vu les tendances qui ont mené à cette réalité. Dans le brouillard de la guerre, nous ne voyons pas clairement les contours du nouveau. Pas plus, semble-t-il, que les gouvernements américains ou européens. Dans cette réalité, nous, la gauche post-soviétique, aurons incomparablement moins de ressources organisationnelles, théoriques, et tout simplement vitales. Sans vous, nous lutterons pour survivre. Sans nous, vous serez plus près du précipice.

    • Autant je comprends que l’on fustige les arguments uniquement fondés sur un impérialisme américain (qu’on ne trouvent pas qu’à gauche, par ailleurs), autant je trouve tout aussi bancale l’idée que la Russie aurait retrouvé une certaine autonomie ou qu’il y aurait une « dynamique propre » qui expliquerait ses actions en Ukraine ou ailleurs. Pour le coup, je ne peux que constater que les échanges théoriques qui ont repris entre l’est et l’ouest ont propagé la confusion bien avant que le brouillard de la guerre ne s’installe.

  • Les explications américano-centrées ne suffisent plus. Lettre à la gauche occidentale | Volodymyr Artiukh
    https://www.contretemps.eu/gauche-occidentale-ukraine-otan-russie-imperialisme

    Dans le souci de faire entendre les voix ukrainiennes, nous publions ce billet de Volodymyr Artiukh, chercheur postdoctorant en socio-anthropologie, auteur d’une thèse consacrée aux relations de travail et au capitalisme d’État dans la Biélorussie post-soviétique et membre du comité éditorial de la revue ukrainienne de gauche Commons. Source : Contretemps