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  • A moins de 30 ans, leur corps déjà abîmé par le travail : « Ça a quelque chose de déprimant de se rendre compte qu’on est toute cassée si jeune »
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    Des salons de coiffure aux entrepôts de logistique, de jeunes travailleurs et travailleuses racontent les douleurs physiques qui envahissent leur quotidien.

    Par Alice Raybaud
    Publié aujourd’hui à 06h15, modifié à 17h04

    Temps de Lecture 7 min.

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    Désormais, chaque matin, Léa Ruiz revêt tout un attirail. Positionner un masque FFP2 sur le visage, enfiler une paire de gants en latex. Sur son agenda personnel, toujours avoir un rendez-vous chez le kiné programmé à court ou moyen terme. A 32 ans, elle n’a pas le choix si elle veut alléger les troubles physiques qui pèsent sur elle après neuf années en tant que coiffeuse.

    Les premières douleurs sont survenues très tôt, dès ses périodes de stage. Dans les salons de grandes chaînes où la jeune apprentie coiffeuse officiait – debout toute la journée et soumise à une « cadence effrénée » –, son dos a commencé à lui faire mal. Puis ses poignets et ses épaules, à force d’enchaîner les Brushing coudes relevés et sèche-cheveux à la main, et enfin ses jambes, en raison du piétinement continu. « Au début, ça s’en allait, avec du sport ou des séances de kiné. Et puis ça s’est installé, et c’est devenu des douleurs constantes », raconte Léa Ruiz. A l’orée de la trentaine, un eczéma envahit ses mains, abîmées par les shampooings, suivi de violents maux de tête, liés à l’inhalation quotidienne des produits de décoloration.

    Depuis 2020, elle a quitté l’industrie des salons de coiffure « à la chaîne » et a monté une coopérative avec d’autres collègues, décidés à penser une organisation du travail plus respectueuse : Frange radicale, à Paris, où les coiffeurs essaient de prendre davantage leur temps pour chaque coupe. Mais la jeune femme traîne toujours ces séquelles physiques, qui s’aggravent d’année en année. « Je ne vois pas bien combien de temps je vais pouvoir encore tenir comme ça », confie-t-elle.

    « Usure prématurée »

    Dans de nombreux secteurs, en particulier peu qualifiés, des jeunes travailleurs et travailleuses subissent, avant même la trentaine, les impacts précoces de leur activité professionnelle. Des domaines comme la logistique, le BTP, la vente, la restauration, l’esthétique – souvent essentiellement soit féminins, soit masculins – sont marqués par un même turnover, symptomatique de milieux qui essorent les corps en un temps record.

    Si les métiers en question sont caractérisés par une pénibilité intrinsèque, les jeunes entrants sont particulièrement exposés à ce que les chercheurs appellent une « usure prématurée » en raison de la nature des emplois qui leur sont attribués. Souvent en intérim ou en CDD, ils passent en coup de vent, découvrant à chaque contrat un nouvel environnement de travail, auquel ils ne peuvent s’adapter pleinement. Et où on leur confie souvent les tâches les plus harassantes, dont les manutentions les plus lourdes et contraignantes, comme le souligne un rapport du Centre d’études de l’emploi et du travail de 2023.

    Marc (qui n’a pas souhaité donner son nom de famille), ajusteur-monteur de 25 ans, enchaîne depuis ses 19 ans les contrats d’intérim dans des usines d’automobile et d’aéronautique. Il a commencé par du travail de nuit, puis des horaires en trois-huit. « J’ai grandi dans une famille monoparentale, tout le temps avec des galères d’argent. Alors, quand j’ai vu qu’avec ce type d’emploi je pouvais toucher 2 000 euros plutôt que le smic, en tant que non-qualifié, j’ai dit oui direct. C’est un appât pour les jeunes comme moi qui cherchent à tout prix à sortir de la misère », raconte le jeune homme, passé auparavant par la vente et la restauration, « par défaut, après le refus de [ses] vœux d’études supérieures sur Parcoursup ».

    Mais avec ses horaires atypiques couplés au port de lourdes charges et un environnement de travail bruyant, il voit son corps – et son mental – s’écrouler. « C’est comme si j’étais constamment en retour de soirée, avec des difficultés à respirer, une arythmie cardiaque, l’impossibilité de trouver le sommeil. Ce rythme te détruit tout », explique Marc, qui souffre aujourd’hui de plus en plus d’une scoliose, et dont les bras et les poignets sont congestionnés à force des gestes répétés à l’usine.
    Douleurs et blessures

    Concernant en grande partie les plus jeunes, le travail de nuit aggrave tous les impacts physiques. « Certaines expositions, par exemple aux produits dangereux, font davantage de dégâts la nuit, car le corps ne les accueille pas de la même manière, et s’abîme plus vite et parfois de manière durable », observe le chercheur Serge Volkoff, spécialiste des relations entre l’âge, le travail et la santé.

    Plus d’un quart des 15-24 ans sont aussi contraints, à leurs débuts, à de l’emploi à temps partiel. « Or, ce recours au temps partiel les expose aux plus grandes pénibilités physiques et mentales », observe Anaïs Lehmann, doctorante en sociologie, qui rédige une thèse sur les travailleuses de la vente de prêt-à-porter. Dans ce secteur, le temps partiel est utilisé pour placer les jeunes aux moments de fortes affluences. « Des périodes où elles doivent soutenir une cadence élevée, debout, avec l’impossibilité de circuler correctement dans les rayons ou en réserve. Nombre d’entre elles se retrouvent avec des épaules bloquées, des douleurs aux pieds ou même des hernies discales », constate la chercheuse.

    Ces douleurs et blessures ont d’autant plus de probabilité de survenir que les jeunes connaissent moins, « du fait de leur inexpérience, les gestes de prudence, pour bien se positionner et éviter de se faire mal », constate Serge Volkoff. Si bien qu’ils se trouvent particulièrement exposés aux accidents graves et mortels au travail : trente-six travailleurs de moins de 25 ans n’ont pas survécu à un accident du travail en 2022, selon la Caisse nationale d’assurance-maladie.

    Leur statut précaire – de plus en plus fréquent et long en début de carrière – les installe aussi « dans une position de fragilité qui rend compliqué de s’opposer à leur employeur, ou d’user d’un droit de retrait quand ils se sentent mis en danger », ajoute Véronique Daubas-Letourneux, sociologue à l’Ecole des hautes études en santé publique. L’enjeu de s’extraire de cette précarité pousse d’ailleurs les jeunes à « mettre les bouchées doubles pour faire leurs preuves, sans pouvoir écouter les premiers signes de dégradation physique », pointe l’ergonome Jean-Michel Schweitzer.

    « Si tu ne vas pas assez vite, c’est simple, on ne te rappellera pas. Ça, tu l’as tout le temps en tête », témoigne ainsi Pierre Desprez, 26 ans, intérimaire pendant des années dans des entrepôts de logistique, où sa situation ne lui permettait pas de recourir aux gestes ou aux matériels de protection. « Quand tu as une cadence à respecter, tu ne peux pas toujours attendre ton binôme pour porter une charge lourde, alors tu t’y mets seul, quitte à t’esquinter le dos, explique le jeune homme, titulaire d’un CAP boulangerie et pâtisserie, secteur qu’il a quitté en raison d’une allergie à la farine, maladie fréquente chez les boulangers. En ouvrant des cartons, on s’entaillait aussi souvent les mains. Enfiler les gants de protection, puis les retirer, c’était prendre trop de retard. » Aujourd’hui ouvrier dans la métallurgie, Pierre connaît la même urgence, traduite désormais par des mains « pleines d’échardes de métal ».

    « Management du chiffre »

    Débuter dans ces secteurs, où la manutention est très présente, ou dans certains métiers d’artisanat signifie aussi devoir se plier à « une culture de l’effort et de la souffrance physique, raconte la coiffeuse Léa Ruiz. Plus tu vas te faire mal, plus ce sera dur, plus tu vas être valorisé ». La sociologue Diane Desprat, qui a étudié le milieu de la coiffure, a bien constaté que « toute manifestation de douleur chez l’apprentie ou la jeune salariée y est souvent pensée comme une manière d’apprendre le job, avec l’idée ancrée que le métier “rentre” par le corps ».

    Dans la restauration depuis ses 20 ans, Léa Le Chevrel se souvient, lors de ses débuts comme commis, s’être « usée le dos à porter des trucs super lourds, malgré [son] petit gabarit pour prouver qu’[elle] avai[t] [sa] place ». Aujourd’hui, le corps épuisé bien que toujours passionnée par le métier, « j’essaie de refuser de porter seule tel ou tel élément qu’on devrait soulever à deux, mais c’est mal vu. Tout comme le fait de prendre des arrêts maladie, tabou ultime de notre métier », explique la femme de 26 ans.

    Elle qui est passée par de nombreuses structures se rend compte que « bien des choses pourraient être faites de façon plus ergonomique, [s’il y] avait le matériel adapté, ou si seulement on se préoccupait de ce qui se passe dans les cuisines ». Mais « personne ne vient nous parler d’ergonomie et, quand on voit la médecine du travail, on nous rétorque que ces douleurs font partie du métier, que c’est normal », ajoute-t-elle.

    Bien souvent, ne pas être permanent dans les entreprises empêche aussi ces jeunes de bénéficier d’un suivi préventif. « Les directions se disent qu’avec le turnover élevé, ces jeunes ne restent pas longtemps, et donc qu’elles n’ont pas besoin de se préoccuper de leur ergonomie sur le long terme… sans comprendre que c’est aussi cette pénibilité qui renforce le phénomène de turnover », souligne la chercheuse Anaïs Lehmann.

    « Même en école, on n’a toujours pas beaucoup de cours [de prévention], remarque Lou-Jeanne Laffougere, apprentie paysagiste de 18 ans, qui souffre déjà du dos et des bras. On se débrouille un peu seuls pour trouver les bons gestes. » Cependant, Serge Volkoff observe que, même si la France est toujours « la mauvaise élève européenne en termes de pénibilité », le sujet de l’usure prématurée commence à être pris en compte : « Aujourd’hui, des employeurs font vraiment des efforts, des services de santé au travail arrivent à être proactifs sur ces enjeux. Ce qui n’est pas toujours simple, car économiser les plus jeunes sur les tâches les plus pénibles, par exemple, veut aussi dire moins préserver les anciens. »
    Lire aussi l’enquête : Article réservé à nos abonnés Face à l’intensification du travail, les jeunes plongent dans un malaise profond : « Je m’enfonçais dans le travail, je n’avais plus de distance »

    A cela s’ajoute un autre phénomène : les jeunes débutent dans un marché du travail aujourd’hui marqué par une forte intensification, guidée par un « management du chiffre », qui éreinte encore davantage les corps. A 18 ans, Cloé commence sa vie professionnelle dans des chaînes low cost d’esthétique. « Il y avait une pression du “toujours plus” : c’était du travail à la chaîne, de l’abattage, où la cliente, qui vient sans rendez-vous, est reine. Avec ce rythme, impossible de bien se positionner pour s’économiser, se souvient la Toulousaine de 26 ans. Toutes mes vacances étaient dédiées à me remettre physiquement, je ne pouvais même plus aller faire du VTT avec les copains. »
    Incidences morales

    Bien vite, les conséquences physiques envahissent le quotidien, des douleurs chroniques aux séquelles liées à des accidents du travail. Le coût n’est pas uniquement physique. Léa Le Chevrel investit une partie substantielle de son salaire dans de l’ostéopathie, des massages, du yoga, ou encore de la literie haut de gamme, « pas par confort, mais par nécessité ».

    Les incidences sont aussi morales. « Ça a quelque chose de déprimant de se rendre compte qu’on est déjà toute cassée si jeune », confie Léa Ruiz qui, comme toutes les personnes interrogées, peine à imaginer un horizon professionnel. La sociologue Anaïs Lehmann ajoute : « Les jeunes de mon enquête rapportent que cette pénibilité et ses conséquences en viennent à générer des conflits conjugaux, des tensions personnelles. Mais sans savoir comment trouver une échappatoire, en raison de leur faible niveau de diplôme. »

    Le jeune ouvrier Marc, à bout, cherche à quitter ce secteur trop pénible, bien que ce soit « difficile avec seulement un niveau bac ». Il envisage malgré tout de se lancer dans une formation certifiante pour trouver un emploi de bureau, idéalement dans l’informatique. Sans perspective pour accéder à un emploi moins éreintant, Pierre Desprez, lui, dit éviter de se projeter dans l’avenir : « Parce que, honnêtement, ça me fait trop peur. »

    Alice Raybaud

  • L’accueil des étudiants internationaux, un outil de soft power politique, scientifique et économique
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2024/03/12/l-accueil-des-etudiants-internationaux-un-outil-de-soft-power-politique-scie

    L’accueil des étudiants internationaux, un outil de soft power politique, scientifique et économique
    Par Eric Nunès
    Publié aujourd’hui à 06h00, modifié à 07h48
    Dans sa nouvelle vie d’étudiant francilien, il ne manque à Joep Salet, 22 ans, que les vagues de la plage de Scheveningen, à La Haye (Pays-Bas) en mer du Nord où, jusqu’en 2023, le jeune homme surfait. Aujourd’hui élève en master de développement de parfum à l’Institut supérieur international du parfum, de la cosmétique et de l’aromatique alimentaire, sur le campus de Versailles, le natif de La Haye a décidé, à 17 ans, qu’il deviendrait parfumeur, « un métier qui allie sciences et création et dont les meilleures écoles sont ici et à Grasse » (Alpes-Maritimes). Dans sa classe d’une vingtaine d’élèves, il côtoie une étudiante colombienne, un Coréen, un Chinois, une Italienne… et deux Français. Dans cette niche de l’enseignement supérieur, la réputation des meilleurs établissements français n’a pas de frontière.
    Milica Ritopecki, 24 ans, ressent aussi un brin de nostalgie lorsqu’elle évoque ses soirées auprès de ses amis sur les bords du Danube, à Pancevo en Serbie. Mais en 2022, l’étudiante en bachelor de physique-chimie à l’université de Belgrade cherche en Europe « le meilleur programme européen dans [sa] spécialité ». Elle quitte la Voïvodine, province du nord de la Serbie, pour l’Ile-de-France, direction l’université Paris-Saclay et le site de Gif-sur-Yvette (Essonne). Elle n’est pas la seule. Sur 48 000 étudiants, l’établissement compte 35 % d’internationaux.
    Pour Dario Cervera Jorda, nouvellement parisien, c’est la chaleur du soleil de sa ville natale, Valence, en Espagne, qui lui fait défaut. Titulaire d’une licence de piano de l’université de sa ville, l’homme de 27 ans pose un pied au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris à l’occasion d’un échange Erasmus en 2022. En 2023, il est reçu, après concours, en master de clavecin. Le Graal, pour le jeune Espagnol. « Cette école, ouverte au monde entier, a pour tous les musiciens un statut légendaire. Ses ressources sont impressionnantes et ses professeurs exceptionnels, souligne l’étudiant. Les années d’études en son sein ouvrent beaucoup d’opportunités professionnelles », poursuit-il.
    500 000 internationaux en 2027
    A la recherche de compétences et d’établissements pour construire leur avenir, ils sont, en 2024, plus de 400 000 internationaux à avoir fait le choix de l’Hexagone pour poursuivre leurs études. Ils sont également les futurs ambassadeurs de la France et un baromètre précis de l’attractivité du pays. Selon un rapport de Campus France, l’agence nationale chargée de la promotion de l’enseignement supérieur français à l’étranger, publié en juin 2023, les universités françaises sont les premiers établissements à accueillir des étrangers (65 %), devant les écoles de commerce (14 %) et les écoles d’ingénieurs (7 %). Les premières zones d’origine sont l’Afrique du Nord (75 477 personnes) en 2021-2022, l’Afrique subsaharienne (71 221), l’Union européenne (46 938) et l’Asie (44 498).
    Le plan gouvernemental « Bienvenue en France » de 2018 prévoit d’accueillir 500 000 internationaux en 2027. Un objectif antinomique avec la loi sur l’immigration adoptée par le Parlement, le 19 décembre 2023, qui prévoyait un durcissement des conditions d’accès aux étudiants étrangers. La majorité d’entre eux ne restent pourtant pas en France, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui rappelle que 43 % des étrangers arrivés en 2010 avaient quitté le pays après la fin de leur séjour d’études. Et 80 % dix ans plus tard. Les dispositions les visant ont été intégralement censurées par le Conseil constitutionnel, le 25 janvier.
    Accueillir des étudiants internationaux, depuis la réforme de l’autonomie des universités en 2007, est devenu un enjeu « prioritaire », souligne Sandrine Lacombe, vice-présidente relations internationales et affaires européennes à l’université Paris-Saclay. « La restructuration de nos établissements a rendu l’enseignement supérieur français plus attractif et compétitif au niveau international. » Alors que les universités françaises étaient à la peine pour intégrer le top 50 des meilleures universités du monde, Paris-Saclay s’est hissée en 2023 à la 15e place du classement de Shanghaï. D’autant que le coût des études universitaires est modeste : 170 euros pour une année en cycle de licence, 243 euros pour une année en cycle de master pour celles et ceux membres de l’Union européenne, de l’Espace économique européen et les Suisses. Quant aux extracommunautaires, ils sont, depuis 2019, susceptibles de payer des frais majorés, soit 2 770 euros pour une année de licence et 3 770 euros un master. Mais seules treize universités sur soixante-quinze appliquent cette possibilité, quarante-deux exonérant totalement leurs élèves non européens, les soulageant ainsi d’une partie importante de leurs charges financières.
    Les grandes écoles françaises les plus onéreuses attirent également les étudiants internationaux. Sur les cinq dernières années, le nombre d’internationaux qui intègrent une école de commerce française a doublé. Neoma Business School, compte 25 % d’internationaux, qui doivent chacun s’acquitter de frais de scolarité de 16 000 euros par an. Les plus importantes cohortes sont originaires du Maroc, d’Inde et de Chine. « Ils viennent en France chercher un enseignement de qualité, commente Delphine Manceau, directrice de l’établissement. Nos institutions sont reconnues par nos pairs sur la scène internationale, c’est la garantie d’une poursuite d’études dans le monde entier et un passeport pour l’emploi. » Selon le classement des meilleures écoles de commerce européennes du quotidien britannique Financial Times, en 2023, cinq établissements français sont dans le top 10 et vingt-trois figurent dans les quatre-vingt-dix premières.
    Pour les écoles payantes, les étudiants internationaux sont une source de chiffre d’affaires devenue indispensable, d’autant que le nombre d’étudiants français baisse. En effet, les étudiants du baby-boom de l’année 2000 entrent sur le marché du travail et les bancs des écoles et des universités françaises se dégarnissent. En 2022, l’enseignement supérieur comptait 44 000 étudiants de moins qu’en 2021, selon l’Insee. « Dans une concurrence débridée avec les pays anglo-saxons et l’Allemagne, nous sommes obligés de recruter à l’étranger, sur un marché où il y a plus d’écoles et moins d’étudiants français, le gâteau à partager est plus petit », concède Elodie Saint-Yves, directrice des partenariats internationaux de Rennes School of Business.
    Cette baisse démographique inquiète également les écoles d’ingénieurs, « le vivier de bons candidats commence à se tarir, avertit Alexis Michel, président de la commission international et développement de la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs, former des ingénieurs et des doctorants est stratégique pour le pays. Il faut donc anticiper ! » Recruter les meilleurs étudiants étrangers est une urgence car dans cette guerre internationale des talents, « les Américains sont les maîtres en la matière » rappelle Olivier Lesbre, directeur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace. Les Etats-Unis accueillent 1,5 million d’étudiants étrangers. Et 21 % des étudiants du monde entier sont sur le continent américain.
    Le temps où les étudiants se contentaient de chercher le meilleur diplôme de leur pays est révolu. « Les meilleurs étudiants recherchent les meilleures écoles », poursuit Olivier Lesbre, qui compte 40 % d’étrangers en provenance de soixante-dix pays différents. « Dans cette compétition internationale, les écoles d’ingénieurs doivent également faire la preuve qu’elles sont compétitives et former en France d’excellents étudiants étrangers qui compenseront le départ des Français à l’international », souligne le directeur. Pour exister dans un monde globalisé, écoles et universités doivent attirer les meilleurs, peu importe leur lieu de naissance.
    Cette internationalisation des établissements façonne en partie les pédagogies. Les langues d’abord, « à la fin des années 1990, peu d’écoles françaises avaient des cursus en anglais, se souvient Elian Pilvin, directeur de l’école de management EM Normandie, maintenant, c’est un impératif. » Dans les écoles de commerce, les écoles d’ingénieurs et aussi à l’université. « L’attractivité internationale de Paris-Saclay nous a conduits à ouvrir des parcours en anglais », abonde Sandrine Lacombe. Ensuite, les campus cosmopolites adaptent aussi le fond de leurs enseignements, « les sujets liés à la transition écologique ne sont pas vécus de la même façon en France, en Norvège ou en Malaisie, il faut les traiter en intégrant des nuances pour une problématique qui est planétaire », expose Delphine Manceau.
    L’internationalisation des étudiants et des enseignants conduit les établissements à innover. « Tenir compte de ce qui se fait dans d’autres pays nous permet d’introduire une dimension comparée de nos enseignements et de notre recherche, cela ouvre chacun à d’autres paradigmes. Cela enrichit l’expérience scientifique autant que les mentalités », note Irini Tsamadou-Jacoberger, vice-présidente Europe et relations internationales de l’université de Strasbourg, qui compte 22 % d’élèves internationaux pour 2022-2023. Cet apprentissage de la multiculturalité permet aux Français d’être plus agiles, adaptables et sensibles à la compréhension d’autres sociétés. « C’est une meilleure préparation pour ceux qui se destinent à une carrière internationale », résume Delphine Manceau pour Neoma. Les étudiants étrangers sont également une source de revenus pour le pays. Selon une étude de Campus France publiée en 2022, ils constituent une manne financière de par leurs dépenses, dont le montant s’élève à 5 milliards d’euros par an. En retranchant les 3,7 milliards de dépenses publiques qui leur sont consacrées – aides au logement, bourses, accès aux soins de santé et les dépenses de personnels pour la diplomatie culturelle et d’influence – le solde net est évalué à 1,35 milliard d’euros en 2022.
    Lire aussi | Article réservé à nos abonnés Les étudiants internationaux, manne économique pour la France
    Au-delà des besoins nationaux, l’accueil est un soft power politique, scientifique, économique et culturel. En misant sur cette jeunesse éduquée, la France construit les relais de son influence. « Ces étudiants nous permettent d’instaurer des relations paisibles et durables entre les sociétés, de nous ouvrir à des façons de penser et de faire différentes et d’apporter des clés de compréhension à nos étudiants que nous formons pour qu’ils soient des citoyens du monde éclairés », analyse Anne Chalard-Fillaudeau, vice-présidente communication de l’université Paris-VIII. « Les anciens élèves deviennent des ambassadeurs de nos universités, de nos écoles, et participeront à de nouvelles collaborations, de nouveaux projets », souligne également Irini Tsamadou-Jacoberger. La diplomatie scientifique doit être une priorité, elle passe aussi par le meilleur accueil possible des étudiants étrangers.

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  • « Environ la moitié des jeunes sur le marché du travail exercent un emploi sans lien direct avec leur formation initiale »
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2024/02/07/environ-la-moitie-des-jeunes-sur-le-marche-du-travail-exercent-un-emploi-san

    La dernière enquête « Génération » du Céreq porte sur les jeunes sortis en 2017 du système éducatif et interrogés à la fin de 2020, soit trois ans après leur arrivée sur le marché du travail. On observe qu’ils sont en moyenne plus diplômés que leurs prédécesseurs : la moitié des sortants sont diplômés du supérieur, avec une forte progression des bac + 3 et bac + 5. Certes, ils ont pris de plein fouet la crise sanitaire, qui a mis un temps l’économie à l’arrêt, mais ils s’en tirent mieux que la génération 2010, qui a subi durablement les effets de la crise financière de 2008. La génération 2017 se distingue des précédentes par un accès à l’emploi à durée indéterminée [EDI] plus rapide et plus fréquent au cours des trois premières années de vie active.
    En revanche, les inégalités sur le marché du travail restent très marquées selon le niveau et la spécialité de formation. Un #diplôme plus élevé continue de garantir de meilleures conditions d’insertion que celui qui est juste au-dessous. Le type de filière joue aussi un rôle : si un accès rapide (deux mois en moyenne) ou différé (dix-huit mois en moyenne) à l’EDI prévaut largement pour les diplômés d’école d’ingénieurs, de commerce ou encore de licence professionnelle industrielle, les parcours enchaînant les emplois à durée déterminée sont surreprésentés chez les diplômés de la santé et du social, tout comme les diplômés de licence ou de master littérature et sciences humaines.
    Les #salaires varient également avec le niveau de formation – de 1 380 euros net pour ceux qui sortent non diplômés à 3 125 euros pour les docteurs de la santé – et avec la filière de formation – les sortants de master d’art touchent 1 800 euros, quand ceux d’éco-gestion obtiennent 2 350 euros.

    Les choix de filières et de spécialités des étudiants d’aujourd’hui vous semblent-ils correspondre aux besoins du marché du travail ?

    F. L. : Les travaux du Céreq montrent de longue date que le lien formation-emploi est un processus complexe qui ne se résume pas à une simple adéquation entre une formation et un métier. Ainsi, environ la moitié des jeunes entrants sur le marché exercent un emploi sans lien direct avec leur formation initiale. L’enseignement supérieur a cette vocation à forger des compétences de haut niveau qui peuvent être transférables d’une spécialité à l’autre. Le sociologue Yves Lichtenberger l’a très bien dit dans une tribune [sur Aefinfo.fr, en mai 2022] : « On ne forme pas aux métiers de demain, on permet à des étudiants de devenir capables de les faire émerger. »

    https://justpaste.it/drfzl

    "Pour lier formations et emplois, il faut sortir de l’adéquationisme", Yves Lichtenberger, sous #paywall
    https://www.aefinfo.fr/depeche/672955-pour-lier-formations-et-emplois-il-faut-sortir-de-ladequationisme-yve

    #emploi #formation #apprentissage #étudiants #travail

    • Depuis septembre 2023, Mathieu a cherché dans le journalisme, dans la culture – pour des festivals, des institutions… En vain. Alors ce job d’étudiant dans un musée, payé au #smic_horaire – il espère effectuer vingt heures par semaine, soit de 800 à 900 euros de revenus par mois –, c’est mieux que rien. « Aujourd’hui, il y a une sacralisation des études longues, mais comme beaucoup de monde en fait, on se retrouve bloqués au moment de chercher du boulot et ensuite déclassés en matière de #salaire », déplore le jeune homme. Si ses parents, exploitant viticole et agente d’entretien dans un hôpital, étaient « très contents et fiers » de sa réussite en master, ils ne s’attendaient pas non plus à ce que la recherche d’emploi de leur fils soit si difficile.

      [...]

      Les enquêtes « Génération » du Céreq offrent, sur ce point, de précieuses grilles d’observation. Depuis 1998, le centre interroge, à intervalles réguliers, un large échantillon de jeunes adultes trois ans après leur sortie du système éducatif, la dernière enquête datant de 2020 (jeunes sortis du système scolaire en 2017). Sur le long terme, Philippe Lemistre confirme au Monde observer une augmentation du taux de chômage et une baisse du taux de cadres parmi les diplômés de #master. Pour la génération 1998, le taux de #cadres parmi l’ensemble des diplômés de master était de 56 %, il est de 49 % pour celle de 2017. Le taux de #chômage des bac + 5 était de 5 % en 1998 contre 9 % pour la génération 2017.

      « Vision idéalisée de la recherche »

      Les enquêtes font aussi apparaître une hiérarchie très nette entre filières. Dans la génération 2017, le taux de chômage est de 6 % pour les diplômés d’écoles d’ingénieurs, 9 % pour ceux d’écoles de commerce, 10 % pour ceux de master de lettres, sciences humaines et sociales (LSHS). Les différences s’agissant du taux de #déclassement, qui concerne les diplômés n’occupant pas un emploi de cadre trois ans après la fin de leurs études, sont encore plus spectaculaires : ce taux est de 41 % pour les masters LSHS, 28 % pour les masters en sciences et techniques, 26 % pour les écoles de commerce et 9 % pour les écoles d’ingénieurs.

      Ces difficultés contribuent à l’inadéquation fréquemment observée entre les #études réalisées par les jeunes et les #emplois qu’ils occupent. De tous les diplômés de master, moins de la moitié va travailler dans son domaine de spécialité, relève Philippe Lemistre. Charles (qui a souhaité garder l’anonymat), 29 ans, a été poussé par sa mère à suivre de longues études, la garantie à ses yeux de trouver un bon boulot. Après une tentative infructueuse en fac de médecine, puis une licence en biomédical, il a passé un master en neurosciences cognitives à Bordeaux, avant de s’inscrire en doctorat au Centre de recherches interdisciplinaires de Paris (l’actuel Learning Planet Institute). Puis d’abandonner après quelques mois.

      « J’avais une vision idéalisée de la recherche, qui est en réalité un secteur très compétitif, mal payé et offrant peu de débouchés. Je dirais que 80 % du temps d’un chercheur est consacré à faire des demandes de subventions pour financer son travail », fait valoir Charles. Aujourd’hui, le jeune homme est chef de projet dans le social et s’il n’a pas « galéré », comme il le dit, à trouver un boulot, c’est aussi grâce à un cadre familial très aidant et un bon réseau amical. Malgré tout, « les études ouvrent des portes et un bac + 5 donne une légitimité quand on postule à des postes de cadre », reconnaît-il.

      Si la massification de l’accès à l’enseignement supérieur s’est traduite par un accès plus important des enfants des classes populaires aux diplômes de bac + 5, elle a aussi encouragé « des logiques de plus en plus discriminantes en termes d’origine sociale et de genre », ce que Philippe Lemistre appelle « la démocratisation ségrégative ». Dans la mesure où le nombre d’années d’études après le bac n’est plus un critère absolu de distinction, il faut, pour les enfants des classes sociales supérieures, trouver d’autres façons de sortir du lot. Cela passe par les choix de filières, de spécialités, d’écoles, d’expériences à l’étranger, etc.

      edit => double cursus en master pour ’"faire la différence"

      https://justpaste.it/g1uy6

      #études #université #étudiants #stages #césure #démocratisation_ségrégative #précaires #prolétarisation

    • Encore la même rengaine imbécile que depuis le début de la massification de l’université sur les formations universitaires qui ne débouchent pas sur des emplois de la discipline étudiée. Cette vision étroitement professionnelle ne pige rien aux exigences de polyvalence et de d’adaptabilité du marché du travail (savoir se former dans des champs renouvelés, quitte à ce que ce soit « sur le tas », ou fil des #parcours, dirait-on plutôt aujourd’hui).

      Le mauvais côté, c’est que la surqualification par rapport aux emplois réellement exercés menace l’ordre social.

      #formation #polyvalence #sélectivité

  • Paris 2024 : « Au début, on était fiers ; maintenant, on a vu l’envers du décor »
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/12/13/paris-2024-au-debut-on-etait-fiers-maintenant-on-a-vu-l-envers-du-decor-au-l

    Entre septembre et novembre, les lycéens ont vu arriver des supporteurs argentins, irlandais et australiens pour assister à la Coupe du monde de rugby, sorte de répétition générale avant l’événement de l’été prochain. « C’était horrible, confie Sadio. Les touristes étaient partout, le métro était bondé, c’était encore plus difficile de circuler. » Aïcha conclut, désabusée : « On a vu l’envers du décor. »

  • Le drame des enfants placés lâchés à leur majorité : « T’es qu’une enfant de l’aide sociale à l’enfance, arrête de viser trop loin »
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/12/05/le-drame-des-enfants-places-laches-a-leur-majorite-t-es-qu-une-enfant-de-l-a

    L’arrivée des 18 ans rime, pour tous les adolescents placés, avec l’urgence de déterminer comment se lancer dans la vie adulte, eux qui sont contraints à faire le grand saut sans soutien familial.

    [...]

    Plus d’un tiers des jeunes sans domicile [et combien de détenus ? ndc] sont ainsi issus de l’ASE, notait une étude de la Fondation Abbé Pierre en 2019. Une proportion alarmante alors que les enfants placés ne représentent que 2 % de la population générale des mineurs.

    [...]

    Votée en 2022, la loi dite « Taquet » devait en finir avec ces « sorties sèches » de l’#ASE, rendant obligatoire l’accompagnement des jeunes de moins de 21 ans « sans ressources suffisantes ». Mais un an après, son application s’avère « peu efficiente », constatait un rapport du Conseil d’orientation des politiques de jeunesse (COJ), en juin. Si le nombre de contrats jeunes majeurs [cet accompagnement individualisé éducatif et financier, parfois d’hébergement, qui peut être accordé par les départements aux majeurs sortant de l’ASE, sous condition de la constitution d’un « projet »] accordés progresse ces dernières années – ainsi, 35 000 jeunes adultes bénéficiaient d’une mesure de la protection de l’enfance, selon les derniers chiffres de 2021 –, les ruptures brutales d’accompagnement persistent et l’accès des jeunes concernés à leurs droits fondamentaux relève du « parcours du combattant », alerte ce rapport. Une grande disparité de prise en charge est aussi relevée selon les départements, avec des territoires où le contrat jeune majeur est « plus rare que l’or », de l’avis des intéressés.

    Face à ce constat sévère, la première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé, le 20 novembre, des actions de mentorat ainsi qu’un « coup de pouce financier » de 1 500 euros, versé automatiquement à 18 ans aux sortants de l’ASE. Les collectifs d’anciens enfants placés se sont dits « sidérés » par cette annonce : trop insuffisante à leurs yeux, mais qui impliquera surtout la suppression du « pécule », une somme à laquelle ces jeunes ont droit depuis 2016 à leur majorité. Constituée des allocations de rentrée scolaire mises chaque année sur un compte bloqué le temps de leur placement (et encore aujourd’hui pas toujours perçue ni réclamée, faute d’information), elle peut s’élever, pour certains, largement au-dessus de 1 500 euros. « On nous fait les poches ! », s’est insurgé Lyes Louffok, lui-même ancien enfant placé et auteur de Si les enfants votaient (Harper Collins, 2022).

    Dans le Doubs, Emilie Joly a seulement 19 ans lorsqu’elle reçoit une lettre lui annonçant sans sommation sa sortie de l’ASE et la fin de son #contrat_jeune_majeur, grâce auquel elle pouvait continuer à séjourner dans sa famille d’accueil. A l’ouverture du courrier, elle s’effondre dans les couloirs de son université. « La lettre stipulait seulement que je ne faisais plus partie de leurs effectifs, sans aucune explication. La première chose que je me suis dite, c’est : “Est-ce que j’ai même le droit de rentrer ce soir dans ma famille d’accueil ?” », raconte la jeune femme, cinq ans plus tard.

    A partir de là, Emilie se sent « totalement abandonnée ». L’étudiante, alors en DUT carrières sociales, doit déménager, malgré les réclamations de sa famille d’accueil, trouver un appartement sans aide de l’ASE, puis cumuler les petits jobs étudiants pour pouvoir continuer à financer ses études, en parallèle de sa bourse d’Etat. Le plus difficile, explique celle qui était placée depuis ses 6 mois, a surtout été de voir le lien rompu, du jour au lendemain, avec son éducatrice et la psychologue de l’ASE qui la suivait depuis petite. « J’ai fait une terrible dépression dans les semaines qui ont suivi et j’ai fini hospitalisée quelque temps. Tous mes projets, tous mes espoirs semblaient s’envoler », confie-t-elle.

    Mais même l’horizon des 21 ans prévu par la loi joue en réalité comme un couperet très précoce. « A ces jeunes, on demande d’être autonomes tout de suite : gérer très tôt et seuls la question du budget, l’enjeu des études ou du travail, les aléas du logement, des premiers impôts…, observe Marie Convert, cheffe de service chez Habitat Jeunes Montpellier, une structure de logements sociaux qui accueille des jeunes sortis de l’ASE. Tout cela plus vite que tous les autres. » L’accès à l’autonomie est de plus en plus tardif pour le reste des jeunes Français, qui quittent désormais le domicile familial vers 24 ans, selon les chiffres Eurostat pour l’année 2021.

    « Orientations subies »

    En regard, les jeunes passés par l’ASE doivent avancer à marche forcée, avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. « La peur ne nous quitte jamais. Pas seulement à l’approche des 18 ou 21 ans, mais à chaque échéance de renouvellement, ou pas, de nos contrats jeune majeur, souvent proposés par tranches de six mois seulement », souligne Alissa Denissova, présidente de l’association d’entraide Repairs ! 44 destinée aux jeunes de l’ASE, à Nantes.

    Des « incertitudes » qui génèrent une « énorme pression », confie Romain, 19 ans. Après une mauvaise orientation à la fac, lui qui a grandi en village d’enfants – des ensembles de plusieurs maisons où sont accueillis des enfants placés – vient de commencer, à Lille, une formation de travailleur social, qui dure trois ans. Il en sera donc diplômé à 22 ans. « Sauf qu’à 21 ans tout s’arrête. Je ne sais déjà pas comment je ferai pour vivre la dernière année, alors il faut absolument que je réussisse chaque examen : je ne peux pas me permettre de redoubler en plus de ça », s’angoisse-t-il.

    [...]

    Tous ont intégré cette réalité : ils n’ont « pas le droit à l’erreur » ni au tâtonnement. Pressés par le temps et la nécessité de trouver rapidement un emploi et un logement – y compris parfois pour pouvoir prétendre aux dispositifs d’accompagnement de l’ASE une fois majeurs –, ces jeunes placés sont d’ailleurs massivement dirigés vers des formations courtes professionnalisantes, dès la fin du collège.
    « On ne leur laisse pas beaucoup de part de rêve », déplore Marie Convert. Ainsi, 40 % des adolescents placés se tournent vers un CAP, seulement 17 % vers un bac général (contre 51 % des jeunes de leur âge).

    https://archive.is/PkWlj

    #enfants_placés

  • Ces jeunes diplômés heureux dans les « big corpos » : « J’ai envie de gagner des sous, et je ne vais pas arrêter de faire ce que je fais pour aider la collectivité »
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/12/04/ces-jeunes-diplomes-heureux-dans-les-big-corpos-j-ai-envie-de-gagner-des-sou

    Bien que conscients des enjeux environnementaux, une large partie des jeunes diplômés des grandes écoles intègrent des multinationales, préférant faire passer leurs ambitions professionnelles avant leur utilité sociale et écologique.

    (...) Sarah l’avoue : pour elle, « l’écologie passe quasiment au dernier plan », notamment derrière les questions d’inclusivité, auxquelles la jeune femme est plus sensible. Celle qui se définit comme « très corpo » (de l’anglais corporate, « esprit d’entreprise ») est loin d’être seule à faire passer ses ambitions professionnelles avant son utilité sociale et écologique. Il y a une continuité claire entre les valeurs de travail, les logiques managériales enseignées dans les écoles et l’orientation vers de grandes entreprises. Pierre, 22 ans et en stage de master dans une grande banque française, le concède : « Il y a beaucoup d’égoïsme aussi. J’ai envie de faire ma vie, de gagner des sous, et je ne vais pas arrêter de faire ce que je fais pour aider la collectivité, il faut être honnête. » Car c’est aussi dans ces grandes entreprises que le salaire à l’embauche est le plus important – en moyenne 38 184 euros en 2023, selon la CGE – et les perspectives d’évolution parfois mirifiques.

    https://archive.is/fDpcF

    crevures ordinaires d’élite

    #grandes_écoles #militants_de_l'économie #multinationales #écologie

    • Ah mais, ces gens-là ne raisonnent pas comme nous : pour elleux, privilégier la carrière, c’est aussi la possibilité de pouvoir se bunkeriser à l’abri des crises qui se profilent et dont nous avons déjà quelques avant-goûts. Sans déconner, pour se la jouer « résilience », il vaut mieux avoir du biscuit à bord. Et tant pis pour celleux qui sont resté·es dans le zodiac à la dérive et qui se dégonfle ...

    • Et pourtant gagner plein de sous et aider la collectivité ne seraient pas inconciliables selon les préceptes de l’altruisme efficace :

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Gagner_pour_donner

      Gagner pour donner (Earning to give en anglais) est employé pour signifier poursuivre délibérément une carrière bien rémunérée dans le but de donner une partie importante de son revenu, généralement en raison de sa conviction envers l’altruisme efficace.

      https://fr.wikipedia.org/wiki/Altruisme_efficace

      Une grande partie de la controverse sur l’altruisme efficace est en raison de l’idée qu’il peut être éthique de prendre une carrière à haut gain dans une industrie potentiellement contraire à l’éthique si cela permet de donner plus d’argent. [...].

    • Voilà voilà : ça s’appelle aussi le #charity_business et ça infuse dans l’opinion grâce à la théorie du #ruissellement chère à nos grands stratèges libertariens qui n’ont eu de cesse de démanteler l’état régalien depuis l’accession au pouvoir d’un certain Nicolas Sarkozy (mais il ne sort pas de nulle part non plus celui-là et, malheureusement, on a réussi à le cloner un peu partout au niveau européen et mondial).
      A propos de la fondation Bill & Melinda Gates pour ne citer que ces deux-là, bien que l’auteur mentionne également quelques beaux spécimens franco-centrés et tente de se raccrocher aux branches en prétendant que certaines organisations « philanthropo-capitalistes » sont des gens très bien comme il faut et qu’ils font « des choses formidables » :
      https://www.actes-sud.fr/node/67429

      Emblème de l’accumulation de richesses et géant de l’informatique, Bill Gates est devenu en quelques années une icône de la #philanthropie. Mais en réalité ses opérations philanthropiques s’apparentent à un outil au service des multinationales les plus nocives pour l’environnement, la santé et la justice sociale et parfois également au service des intérêts économiques de Bill Gates lui-même.
      Première publication sur ce sujet en France, ce livre en apporte la preuve en suivant, depuis leur source, les flux financiers qui alimentent les actions dites « caritatives » de la fondation Bill et Melinda Gates.

      Et le lien vers la vidéo sur Youtube, bien qu’elle eût été incrustée sur la page de chez Acte-Sud :
      https://www.youtube.com/watch?v=FBS6CYpTOhc

      #évitement_fiscal (pour rester poli et consensuel) ...

  • Aux Etats-Unis, la rentrée signe la fin de la discrimination positive à l’université : « Beaucoup de jeunes Noirs et Latinos se demandent s’ils ont leur place »
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/11/07/aux-etats-unis-la-rentree-signe-la-fin-de-la-discrimination-positive-a-l-uni

    Aux Etats-Unis, la rentrée signe la fin de la discrimination positive à l’université : « Beaucoup de jeunes Noirs et Latinos se demandent s’ils ont leur place »Par Corine Lesnes (San Francisco, correspondante)
    Les universités d’élite ont mis fin aux dispositifs de discrimination positive pour les admissions d’étudiants issus de minorités raciales. Un tournant pour cette population qui doit désormais concourir sur la même ligne de départ que les élèves plus favorisés.
    A ce stade de l’année, sa dernière au lycée, Matthew Echeverria, 17 ans, est surmené. « Vous voulez que je vous raconte ma journée ? », propose-t-il, alors qu’il vient de rentrer chez lui, à Los Angeles, à 20 heures passées. Tout tombe en même temps. D’abord, les examens de milieu de semestre. Pas une sinécure : le lycéen a choisi des cours avancés, de niveau universitaire, indispensables pour espérer intégrer une université d’élite.
    Deuxième source de stress : le dossier de candidature à l’université. Il faut le déposer au plus tard le 1er novembre pour bénéficier du dispositif de décision précoce. Un pensum interminable : le candidat doit réunir ses relevés de notes depuis la troisième, collecter des recommandations de professeurs ou de mentors, et écrire un essai personnel de 650 mots suffisamment original et authentique pour éveiller l’attention de recruteurs qui en reçoivent des dizaines de milliers.

    Matthew travaille à son texte depuis des mois. « Je raconte mon histoire, explique-t-il. C’est beaucoup d’introspection. » Sa mère est originaire du Guatemala ; son père, du Honduras. Ni l’un ni l’autre ne maîtrisent suffisamment l’anglais pour l’aider. « Ils travaillent tellement dur », souligne-t-il. Pas question de les décevoir : il sera le premier de sa famille à faire des études supérieures.En cette fin d’octobre, Matthew s’entraîne aussi pour la finale de cross-country du lycée, également prévue pour le début de novembre. En 2022, il a fini dans les premiers du 5 000 mètres, une performance qu’il entend bien mettre en avant dans son dossier de candidature, d’autant que Dartmouth College, dans le New Hampshire, l’université de ses rêves, compte une équipe d’athlétisme de haut niveau. Le lycéen ambitionne d’entrer à Dartmouth pour son programme, réputé, de sciences politiques et gouvernementales. « Et c’est dans la forêt, en pleine nature, ajoute-t-il. L’opposé de Los Angeles, du bruit et de la pollution. »
    Principe contesté
    A une année près, Matthew aurait pu bénéficier de l’affirmative action, la politique d’admissions préférentielles mise en place depuis les années 1960 aux Etats-Unis pour augmenter le nombre d’étudiants de groupes minoritaires sur les campus.Mais l’affirmative action n’est plus. En juin, la Cour suprême a ordonné la fin de la prise en compte de la « race » du candidat, selon la terminologie utilisée aux Etats-Unis, dans les admissions. « C’est un peu décourageant », réagit le lycéen.Matthew espère que l’enseignement supérieur va continuer à se soucier de diversité. « Tout ce que je fais serait plus facile si j’étais un peu plus privilégié, avance-t-il. Je pourrais avoir un tuteur qui m’aiderait dans les cours de niveau universitaire pour lesquels je n’ai qu’un B. Même pour la course, j’aurais un meilleur coach. En tant que Latino du South Los Angeles, ces privilèges sont hors de ma portée. »Comme Matthew, la plupart des jeunes Noirs et Latinos ont été consternés par la décision de la Cour suprême, remettant en question une conquête de l’époque de la lutte pour les droits civiques. « Cela revient à dire que mon expérience et celle de ma famille n’ont aucune valeur », déplore Markus Ceniceros, 19 ans, étudiant de première année dans un collège communautaire (cycle court) de Phoenix (Arizona). C’est triste de voir le pays retourner en arrière. » Alors qu’il était encore au lycée, Markus a été élu en 2022 au conseil d’administration de son district scolaire. Il avait 40 ans de moins que son prédécesseur, un républicain. La fin de la discrimination positive le confirme dans l’idée que les jeunes doivent s’engager en politique. « Ma génération voit les opportunités lui échapper », regrette Markus.
    La politique dite « d’affirmative action » avait été mise en place par le président Lyndon B. Johnson pour compenser les inégalités raciales, dans la foulée de la déségrégation dans les écoles publiques. En 1965, devant l’université Howard, à Washington, le démocrate avait jugé qu’il n’était pas « juste » de proposer à une personne qui, historiquement, a été « entravée par des chaînes » de venir sur la ligne de départ « concourir avec tous les autres ». Malgré le soutien des administrations suivantes, le principe n’a jamais cessé d’être contesté.
    En 1978, la Cour suprême avait été saisie par un jeune qui reprochait à la faculté de médecine de Davis (Californie) d’avoir réservé des places pour les étudiants issus des minorités. Les juges avaient déclaré illégale la pratique des quotas, mais confirmé que les universités pouvaient prendre en compte l’origine raciale du candidat, entre autres facteurs. Dix-huit ans plus tard, la Californie a invalidé la discrimination positive dans ses universités publiques, suivie par sept Etats (Floride, Idaho, Michigan, Nebraska, New Hampshire, Oklahoma et Washington).Le 28 juin, à l’initiative du groupe conservateur Students for Fair Admissions, qui avait porté plainte contre Harvard et l’université de Caroline du Nord, la Cour suprême a définitivement enterré la pratique. A une majorité de six voix contre trois, les juges ont considéré que l’affirmative action contrevenait au 14e amendement de la Constitution des Etats-Unis, qui garantit aux citoyens une protection égale devant la loi.La décision a une forte portée symbolique. « Beaucoup de jeunes de couleur se demandent, et à juste titre, s’ils ont leur place dans les grandes universités. Si ces établissements veulent encore d’eux », relate Eric Tipler, tuteur et conseiller en admissions à New York.
    En pratique, elle ne change pas grand-chose. De fait, seul un petit nombre d’universités sont concernées, celles qui sont hautement sélectives comme Stanford (Californie) et les huit établissements de l’Ivy League, sur la Côte est (Brown, Columbia, Cornell, Dartmouth, Harvard, Princeton, University of Pennsylvania et Yale), qui acceptent 10 % ou moins des candidats – à la rentrée 2023, le taux d’admission a été de 3,4 % à Harvard, de 4,3 % à Stanford et de 6 % à Dartmouth. Soit une minorité de moins d’une centaine d’universités sur quelque 4 000 établissements d’études supérieures.
    Dans le reste des institutions, le taux moyen d’admission est d’environ 65 %. « La plupart des universités acceptent la majorité des postulants, résume Sandy Baum, économiste au Center on Education Date and Policy de l’Urban institute, un institut de politiques publiques. Mais les universités d’élite ont un poids sans équivalent dans la société américaine. « Les présidents des Etats-Unis, les juges de la Cour suprême, les grands patrons, sont majoritairement issus de ces universités, explique la chercheuse. Y faire ses études, c’est le passeport pour une réussite exceptionnelle. Il est important que les étudiants noirs ou latinos, qui sont désavantagés du fait des inégalités et du racisme de notre société, aient accès à ces possibilités. »
    D’autant qu’une fois sélectionnés les candidats n’ont pas de peine à financer leurs études. Les établissements de l’Ivy League sont assis sur un capital énorme – de 50,9 milliards de dollars (47,3 milliards d’euros) en 2022 pour Harvard – qui leur permet d’offrir des bourses complètes. « Si vous êtes pauvres, c’est moins cher d’étudier à Harvard ou à Stanford que dans un collège local », précise l’économiste.
    Dans les jours qui ont suivi la décision de la Cour suprême, toutes les grandes institutions ont fait savoir qu’elles restaient attachées à maintenir la diversité sur leurs campus. Il reste à y parvenir. Pour les universités, l’équation est délicate, explique Sandy Baum : comment maintenir l’accès des plus défavorisés à leurs enseignements « sans accepter des étudiants insuffisamment qualifiés ». Concrètement, elles ont mis en place des procédures pour atténuer l’effet de la disparition de la discrimination positive.Sur la « Common App » (Common Application), le dossier de candidature commune, partagé par un millier d’universités, les postulants continueront à cocher une case « race et origine ethnique », maintenue à des fins statistiques, mais un logiciel cachera la réponse. Les responsables des admissions n’auront donc pas connaissance de la « race » des candidats, même s’ils n’ignorent ni son nom ni son origine géographique. « Les universités cherchent le moyen de préserver la diversité, mais elles ne veulent pas risquer d’être poursuivies », résume Eric Tipler, lui-même ancien élève de Yale et d’Harvard.Dans son commentaire de la décision, le président de la Cour suprême a laissé ouverte la possibilité pour les candidats de mentionner leur parcours, à titre individuel. Les grandes universités ont sauté sur l’occasion d’offrir aux étudiants l’occasion d’évoquer la discrimination qu’ils ont pu rencontrer dans leur vie. Elles proposent un essai autobiographique supplémentaire. Pour sa part, Harvard propose maintenant cinq questions. Outre une « expérience intellectuelle importante » et « les trois choses que vos camarades aimeraient savoir à propos de vous », elle demande aux postulants de décrire en quoi « leurs expériences personnelles vécues » leur permettront d’ajouter à la diversité du corps étudiant.
    Pour les candidats, c’est un dilemme supplémentaire : doivent-ils mentionner leurs origines ? « Cela revient à demander à un jeune de 17 ans de décrire l’impact de forces sociales aussi considérables que la “race” sur leur vie, s’inquiète Eric Tipler. On ne devrait pas amener les jeunes au point où ils se sentent obligés d’écrire un essai sur leur “race” pour entrer à l’université. » Que conseiller, par exemple, à un jeune Sino-Américain, sachant que les étudiants d’origine asiatique sont déjà surreprésentés sur les campus ? Matthew Echeverria, le jeune Latino de Los Angeles, a, lui, choisi de centrer son essai sur ses origines. Sa moyenne est élevée. Faire valoir les difficultés qu’il a surmontées ne le desservira pas.Les partisans de l’affirmative action craignaient que les lycéens ne se désengagent. Trois mois après l’ouverture des dossiers, les premières statistiques d’inscription à la Common App montrent que le nombre de candidatures est en hausse par rapport à 2022. « Cela montre que les universités et les ONG ont réussi à communiquer aux étudiants qu’ils sont désirés dans les universités », se félicite Audrey Dow, la vice-présidente de The Campaign for College Opportunity, une association qui travaille à étendre l’accès à l’enseignement supérieur.Le résultat reste incertain. « Dans les prochaines années, il est probable qu’un nombre limité d’étudiants noirs et hispaniques seront admis dans les universités les plus sélectives, anticipe l’économiste Sandy Baum. Cela va être très difficile d’empêcher ce résultat. »

    #Covid-19#migrant#migration#etatsunis#immigration#enseignementsupérieur#discriminationpositive#mobilitesociale#minorite

  • Face à l’intensification du travail, les jeunes plongent dans un malaise profond : « Je m’enfonçais dans le travail, je n’avais plus de distance »


    PAUL BOUTEILLER

    Tâches absurdes, rythme intense, précarité de l’emploi, absence de seniors pour les guider… les transformations du monde professionnel génèrent de la souffrance chez les jeunes salariés. Le nombre d’arrêts-maladie explose chez les moins de 30 ans.

    Lorsque Robin (certains prénoms ont été modifiés) se rend chez son médecin, courant 2022, il ne pense pas en ressortir avec un #arrêt_de_travail. A seulement 27 ans, cette option ne semble même pas pouvoir traverser l’esprit de ce chef de projet dans une agence de création de sites Web. « J’avais poussé la porte de son cabinet pour avoir des somnifères, dans l’espoir de retrouver le sommeil et de continuer à fonctionner au boulot. » Mais le fait est qu’il ne peut plus continuer, l’alerte alors le professionnel de #santé. Robin a été essoré par le surcroît de travail dans la start-up où il est salarié, qui connaît alors une croissance fulgurante, au point d’avoir vu ses effectifs tripler en quelques mois et son portefeuille clients s’étoffer plus encore.

    Face à la pression mise sur son équipe, très jeune comme lui et peu accompagnée par des seniors, il a développé des symptômes d’anxiété professionnelle de plus en plus invalidants. Sans « les outils adéquats » et surtout « sans le temps nécessaire » pour répondre aux demandes grandissantes de #clients au profil nouveau, il passe ses nuits à se repasser les difficultés éprouvées dans la journée, et se rend le matin au travail la boule au ventre. Avant son arrêt, il se surprend à fondre en larmes à plusieurs reprises après des rendez-vous clients. « Dans le bureau du médecin, j’ai mesuré que la situation avait vraiment dérapé », souffle Robin, qui a dû être arrêté durant un mois.

    Etre contraints de se mettre sur pause dès le début de leur vie professionnelle : de nombreux jeunes diplômés y sont désormais confrontés. La santé au travail se dégrade ces dernières années, et en particulier pour les plus jeunes. Alors que le nombre d’arrêts-maladie atteignait un niveau record en 2022, comme le constataient deux études parues cet été, la progression la plus frappante concerne en effet les moins de 30 ans. Selon l’une d’elles, publiée par le cabinet de conseil WTW en août à propos du secteur privé, le taux d’absentéisme – un indicateur RH qui prend (notamment) en compte les #arrêts-maladie, les #accidents_de_travail, les #absences_injustifiées – dans cette tranche d’âge a augmenté de 32 % en quatre ans, avec un bond important chez les cadres.

    Si aucune de ces études ne détaille les motifs de ces absences, la Sécurité sociale note que les premières causes des arrêts longs prescrits en 2022 relevaient de troubles psychologiques, comme l’anxiété, la dépression ou l’épuisement. Et, en la matière, d’autres enquêtes concordent : les jeunes sont bien touchés de plein fouet par une dégradation. Chez les 18-34 ans, les arrêts liés à la souffrance au travail ont ainsi bondi de 9 %, en 2016, à 19 %, en 2022, selon un baromètre du groupe mutualiste Malakoff Humanis. La consommation de somnifères, d’anxiolytiques ou d’antidépresseurs par les salariés de moins de 30 ans a également doublé entre 2019 et 2022, précise cette étude.

    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/10/30/face-a-l-intensification-du-travail-les-jeunes-plongent-dans-un-malaise-prof
    https://archive.ph/yNJPw

    #précaires #présentéisme #management #intensification_du_travail #sous-effectifs #télétravail #concurrence #isolement #travail #précarité_de_l’emploi #emploi #santé_au_travail #violence_économique

  • Financement des #universités : entre Macron et les présidents d’établissements, les raisons d’une défiance
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/09/30/financement-des-universites-entre-macron-et-les-presidents-d-etablissements-

    Financement des universités : entre Macron et les présidents d’établissements, les raisons d’une défiance
    https://archive.ph/2023.09.30-210209/https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/09/30/financement-des-universites-entre-macron-et-les-presidents-d-etablissements-

    Toutes les études convergent pour constater que les dépenses de l’Etat consacrées aux universités sont en chute libre. Entre 2008 et 2021, le nombre d’étudiants a augmenté de 25 % quand le budget de l’enseignement supérieur a progressé de moins de 10 % (en euros constants), d’où une baisse de 12 % de la dépense par étudiant, a calculé l’économiste Thomas Piketty. Dans le même temps, l’Etat demande aux universités de le suppléer, en payant les frais résultant de l’avancement et des mesures catégorielles qu’engrangent, au cours de leurs carrières, les fonctionnaires que sont les enseignants-chercheurs, soit une manne équivalant à plus de 600 millions d’euros depuis 2012, selon l’association #France Universités.

  • Quand on est millionnaire, il faut être riche sans trop en avoir l’air, Anne Bory

    La France est désormais le troisième pays, derrière les Etats-Unis et la Chine, abritant le plus de millionnaires en dollars états-uniens, selon le rapport sur la richesse mondiale publié par UBS, le 15 août https://www.ubs.com/global/fr/media/display-page-ndp/fr-20230815-global-wealth-report-2023.html . Ces plus de 2,8 millions de millionnaires vivant en France en 2022 débordent donc largement les quelques milliardaires médiatiquement connus et les dynasties industrielles.
    Ces « élites ordinaires » ont moins attiré les regards sociologiques et médiatiques que la grande bourgeoisie ou les descendants de la noblesse, alors même qu’elles détiennent un capital économique – financier et immobilier – considérable, et qu’elles occupent l’essentiel des positions de pouvoir dans les mondes économique et politique.

    Le récent 140e numéro de la revue Politix, intitulé « Dominer par l’argent », comprend deux contributions consacrées à ces « riches » qui ne revendiquent que ponctuellement le qualificatif et se sentent obligés de légitimer leur position sociale dans un contexte national et international d’augmentation des inégalités. Rachel Sherman a ainsi enquêté auprès d’une quarantaine de couples fortunés vivant à New York. Lorraine Bozouls, elle, s’appuie sur un corpus équivalent, constitué lors d’une enquête par entretiens au sein de deux villes cossues de la banlieue parisienne. Les deux sociologues ont notamment porté un regard attentif aux façons de dépenser l’argent, à la question du logement et aux enjeux de légitimité.
    Si l’argent des « pauvres » est objet de moult contrôles et soupçons – la rituelle polémique autour de l’utilisation des aides sociales destinées à la rentrée scolaire en est un bon exemple –, l’abondance de l’argent des riches ne le place nullement hors d’un maillage étroit de normes sociales. Dans le cas de ces « élites ordinaires », en France comme aux Etats-Unis, #éthique_du_travail et consommation raisonnable sont en effet deux traits qui reviennent avec une fréquence frappante dans les entretiens. Mais ils ne sont pas propres à ce groupe social : on les retrouve dans d’autres groupes sociaux, bien moins dotés économiquement.

    Minimiser ses ressources

    Ces ménages, dans les deux pays étudiés, manifestent ainsi le besoin de s’appuyer sur une éthique du travail, insistant sur les efforts fournis, professionnellement, mais aussi dans le cadre des tâches relevant de la sphère domestique, tendant à minimiser le rôle des ressources héritées, qu’elles soient financières ou immobilières.
    L’article de Rachel Sherman évoque des enquêtés tous millionnaires au moins en patrimoine immobilier qui valorisent leurs pratiques de consommation à moindre coût, l’utilisation de bons de réduction et leur refus d’acheter une voiture neuve tant que leur « vieille voiture » actuelle fonctionne. Lorraine Bozouls montre, elle, comment le recours au crédit pour acheter une résidence principale contribue à euphémiser la richesse : on emprunte « comme tout le monde » plutôt que de payer comptant comme les « plus riches que soi ». Mais si, comme l’a écrit la sociologue Anne Lambert https://www.lemonde.fr/campus/article/2020/06/11/anne-lambert-sociologue-avec-la-crise-les-conditions-d-insertion-dans-la-vie , les classes populaires en « prennent pour vingt-cinq ans » avec des mensualités en proportion plus lourdes, au regard des budgets familiaux, ici, au fil des entretiens, on apprend que le prêt sur vingt ans a été remboursé en sept, ou que la part empruntée est très faible dans le prix d’achat.

    Travailler dur, consommer raisonnablement : on retrouve sans surprise dans les entretiens new-yorkais l’écho très fort à l’éthique protestante du capitalisme analysée par Max Weber. Cet écho existe néanmoins aussi clairement dans les entretiens menés par Lorraine Bozouls auprès de ménages de culture catholique, pratiquants pour certains.

    Ainsi, loin de la consommation ostentatoire déjà analysée par Thorstein Veblen à la toute fin du XIXe siècle, il convient pour ces « millionnaires ordinaires » d’être riches, et très souvent héritiers, sans trop en avoir l’air, à la fois aux yeux des autres et pour soi-même.

    https://www.lemonde.fr/sciences/article/2023/08/30/quand-on-est-millionnaire-il-faut-etre-riche-sans-trop-en-avoir-l-air_618707

    #riches #millionnaires

    • Dominer par l’argent, Politix 2022/4 (n° 140)
      https://www.cairn.info/revue-politix-2022-4.htm

      Ce numéro de Politix a été préparé en 2022 et achevé début 2023, pendant que la France connaissait un de ses mouvements sociaux les plus importants des trente dernières années. Ce dossier thématique n’est pas en lien direct avec la problématique des retraites et ne prétend pas contribuer au débat public sur cette question. Mais il éclaire, à sa façon, l’actualité que nous traversons en disséquant les différentes manières dont les #élites assoient leur #domination et influencent notre monde.
      Le dossier regroupe des contributions qui analysent les relations entre #capital économique et positions de #pouvoir : dans quelle mesure et à quelles conditions la richesse matérielle peut-elle être un ressort de l’accès à, du contrôle sur, et du maintien de ces positions ? À l’heure où la concentration des #richesses dans certains espaces de pouvoir peut paraître parfaitement assumée, les prétentions à l’égalité portées par nos démocraties contemporaines continuent de troubler ce compagnonnage qui, somme toute, pourrait sinon aller de soi. C’est, d’une certaine façon, cette #naturalisation_empêchée qu’explore ce dossier en étudiant des situations concrètes où se mêlent richesse et pouvoir. Plus précisément, ce numéro invite à s’intéresser aux tensions, même légères ou furtives, que fait naître cette relation : lorsque se donne à voir l’inconfort que peut provoquer l’abondance de ressources matérielles quand la pénurie est la règle, lorsqu’apparaissent des tiraillements suscités par l’occupation d’une position de pouvoir, acquise, au moins pour partie, grâce à cette richesse, ou lorsque se décèlent les ajustements, pratiques et symboliques, nécessaires pour contenir ou surmonter ces embarras…

  • Où le #classement_de_Shanghaï mène-t-il l’#université française ?

    Le classement de #Shanghaï, dont les résultats sont publiés mardi 15 août, a façonné une idée jamais débattue de l’« #excellence ». Des universitaires appellent à définir « une vision du monde du savoir » propre au service public qu’est l’enseignement supérieur français.

    Des universités à la renommée mondiale qui attirent les meilleurs étudiants, les chercheurs les plus qualifiés et les partenaires financiers les plus magnanimes : depuis l’avènement des classements internationaux dans l’#enseignement_supérieur, il y a vingt ans, la quête d’une certaine idée de l’« excellence » a intégré le vocabulaire universitaire, jusqu’à se muer en un projet politique.

    En France, en août 2003, la première édition du classement de Shanghaï, qui publie mardi 15 août son édition 2023, a été un coup de tonnerre : ignorant les subtilités administratives hexagonales et la tripartition entre #universités, grandes écoles et organismes de recherche, le palmarès n’avait distingué dans son top 50 aucun des fleurons nationaux. Piqués au vif, les gouvernements successifs se sont engouffrés dans la brèche et ont cherché les outils pour se conformer aux #standards. En 2010, le président de la République, #Nicolas_Sarkozy, avait fixé à sa ministre de l’enseignement supérieur, #Valérie_Pécresse, un #objectif précis : placer deux établissements français dans les 20 premiers mondiaux et 10 parmi les 100 premiers du classement de Shanghaï.

    La loi relative aux libertés et responsabilités des universités, votée en 2007, portait alors ses premiers fruits, présentés en personne par Mme Pécresse, en juillet 2010, aux professeurs #Nian_Cai_Liu et #Ying_Cheng, les deux créateurs du classement. Les incitations aux #regroupements entre universités, grandes écoles et organismes de recherche ont fleuri sous différents noms au gré des appels à projets organisés par l’Etat pour distribuer d’importants investissements publics (#IDEX, #I-SITE, #Labex, #PRES, #Comue), jusqu’en 2018, avec le nouveau statut d’#établissement_public_expérimental (#EPE). Toutes ces tactiques politiques apparaissent comme autant de stigmates français du palmarès chinois.

    Ces grandes manœuvres ont été orchestrées sans qu’une question fondamentale soit jamais posée : quelle est la vision du monde de l’enseignement supérieur et de la recherche que véhicule le classement de Shanghaï ? Lorsqu’il a été conçu, à la demande du gouvernement chinois, le palmarès n’avait qu’un objectif : accélérer la #modernisation des universités du pays en y calquant les caractéristiques des grandes universités nord-américaines de l’#Ivy_League, Harvard en tête. On est donc très loin du #modèle_français, où, selon le #code_de_l’éducation, l’université participe d’un #service_public de l’enseignement supérieur.

    « Société de marché »

    Pour la philosophe Fabienne Brugère, la France continue, comme la Chine, de « rêver aux grandes universités américaines sans être capable d’inventer un modèle français avec une #vision du savoir et la perspective d’un bonheur public ». « N’est-il pas temps de donner une vision de l’université ?, s’interroge-t-elle dans la revue Esprit (« Quelle université voulons-nous ? », juillet-août 2023, 22 euros). J’aimerais proposer un regard décalé sur l’université, laisser de côté la question des alliances, des regroupements et des moyens, pour poser une condition de sa gouvernance : une #vision_du_monde_du_savoir. »

    Citant un texte du philosophe Jacques Derrida paru en 2001, deux ans avant le premier classement de Shanghaï, la professeure à Paris-VIII définit l’université comme « inconditionnelle, en ce qu’elle peut #repenser_le_monde, l’humanité, élaborer des #utopies et des #savoirs nouveaux ». Or, « vingt ans après, force est de constater que ce texte reste un objet non identifié, et que rien dans le paysage universitaire mondial ne ressemble à ce qu’il projette, regrette Fabienne Brugère. Les grandes universités américaines que nous admirons et dans lesquelles Derrida a enseigné sont habitées par la société de marché ».

    Ironie du sort, c’est justement l’argent qui « coule à flots » qui garantit dans ces établissements de l’hyperélite des qualités d’étude et de bon encadrement ainsi qu’une administration efficace… Autant de missions que le service public de l’université française peine tant à remplir. « La scholè, le regard scolastique, cette disposition à l’étude, ce temps privilégié et déconnecté où l’on apprend n’est possible que parce que la grande machine capitaliste la fait tenir », déplore Mme Brugère.

    En imposant arbitrairement ses critères – fondés essentiellement sur le nombre de #publications_scientifiques en langue anglaise, de prix Nobel et de médailles Fields –, le classement de Shanghaï a défini, hors de tout débat démocratique, une #vision_normative de ce qu’est une « bonne » université. La recherche qui y est conduite doit être efficace économiquement et permettre un #retour_sur_investissement. « Il ne peut donc y avoir ni usagers ni service public, ce qui constitue un #déni_de_réalité, en tout cas pour le cas français », relevait le sociologue Fabien Eloire dans un article consacré au palmarès, en 2010. Est-il « vraiment raisonnable et sérieux de chercher à modifier en profondeur le système universitaire français pour que quelques universités d’élite soient en mesure de monter dans ce classement ? », questionnait le professeur à l’université de Lille.

    Derrière cet effacement des #spécificités_nationales, « une nouvelle rhétorique institutionnelle » s’est mise en place autour de l’« #économie_de_la_connaissance ». « On ne parle plus de “l’#acquisition_du_savoir”, trop marquée par une certaine #gratuité, mais de “l’#acquisition_de_compétences”, efficaces, directement orientées, adaptatives, plus en phase avec le discours économique et managérial », concluait le chercheur.

    Un poids à relativiser

    A y regarder de plus près, Shanghaï et les autres classements internationaux influents que sont les palmarès britanniques #QS_World_University_Rankings (#QS) et #Times_Higher_Education (#THE) valorisent des pays dont les fleurons n’accueillent finalement qu’un effectif limité au regard de leur population étudiante et du nombre total d’habitants. Le poids réel des « #universités_de_prestige » doit donc être relativisé, y compris dans les pays arrivant systématiquement aux tout premiers rangs dans les classements.

    Pour en rendre compte, Le Monde a listé les 80 universités issues de 16 pays qui figuraient en 2022 parmi les 60 premières des classements QS, THE et Shanghaï. Grâce aux sites Internet des établissements et aux données de Campus France, le nombre total d’étudiants dans ces universités a été relevé, et mis en comparaison avec deux autres statistiques : la démographie étudiante et la démographie totale du pays.

    Le cas des Etats-Unis est éclairant : ils arrivent à la 10e position sur 16 pays, avec seulement 6,3 % des étudiants (1,2 million) dans les 33 universités classées, soit 0,36 % de la population américaine.

    Singapour se place en tête, qui totalise 28,5 % des étudiants inscrits (56 900 étudiants) dans les huit universités de l’hyperélite des classements, soit 0,9 % de sa population. Suivent Hongkong, avec 60 500 étudiants dans quatre universités (20,7 % des étudiants, 0,8 % de sa population), et la Suisse, avec 63 800 étudiants dans trois établissements (19,9 % des étudiants, 0,7 % de sa population).

    Avec 98 600 étudiants dans quatre universités classées (Paris-Saclay, PSL, Sorbonne Université, Institut polytechnique de Paris), la France compte 3,2 % des étudiants dans l’hyperélite universitaire mondiale, soit 0,1 % de la population totale.

    La Chine arrive dernière : 255 200 étudiants sont inscrits dans les cinq universités distinguées (Tsinghua, Peking, Zhejiang, Shanghai Jiao Tong et Fudan), ce qui représente 0,08 % de sa population étudiante et 0,018 % de sa population totale.

    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/08/14/ou-le-classement-de-shanghai-mene-t-il-l-universite-francaise_6185365_440146

    #compétences #critique

    • Classement de Shanghaï 2023 : penser l’enseignement supérieur en dehors des palmarès

      Depuis vingt ans, les responsables politiques français ont fait du « standard » de Shanghaï une clé de #réorganisation des établissements d’enseignement supérieur. Mais cet objectif d’inscription dans la #compétition_internationale ne peut tenir lieu de substitut à une #politique_universitaire.

      Comme tous les classements, celui dit « de Shanghaï », censé comparer le niveau des universités du monde entier, suscite des réactions contradictoires. Que les championnes françaises y soient médiocrement placées, et l’on y voit un signe de déclassement ; qu’elles y figurent en bonne place, et c’est le principe du classement qui vient à être critiqué. Le retour de l’université française Paris-Saclay dans le top 15 de ce palmarès de 1 000 établissements du monde entier, établi par un cabinet chinois de consultants et rendu public mardi 15 août, n’échappe pas à la règle. Au premier abord, c’est une bonne nouvelle pour l’enseignement supérieur français, Paris-Saclay se hissant, derrière l’américaine Harvard ou la britannique Cambridge, au rang de première université non anglo-saxonne.

      Pourtant, ce succès apparent pose davantage de questions qu’il n’apporte de réponses sur l’état réel de l’enseignement supérieur français. Certes, la montée en puissance du classement chinois, créé en 2003, a participé à l’indispensable prise de conscience de l’inscription du système hexagonal dans un environnement international concurrentiel. Mais les six critères qui président arbitrairement à ce « hit-parade » annuel, focalisés sur le nombre de prix Nobel et de publications dans le seul domaine des sciences « dures », mais qui ignorent étrangement la qualité de l’enseignement, le taux de réussite ou d’insertion professionnelle des étudiants, ont conforté, sous prétexte d’« excellence », une norme restrictive, au surplus indifférente au respect des libertés académiques, politique chinoise oblige.

      Que les responsables politiques français aient, depuis vingt ans, cédé à ce « standard » de Shanghaï au point d’en faire une clé de réorganisation des établissements d’enseignement supérieur ne laisse pas d’étonner. Le principe « grossir pour être visible » (dans les classements internationaux) a servi de maître mot, il est vrai avec un certain succès. Alors qu’aucun établissement français ne figurait dans les cinquante premières places en 2003, ils sont trois aujourd’hui. Paris-Saclay résulte en réalité de la fusion d’une université, de quatre grandes écoles et de sept organismes de recherche, soit 13 % de la recherche française.

      Mais cette politique volontariste de #fusions à marche forcée, soutenue par d’importants crédits, n’a fait qu’alourdir le fonctionnement des nouvelles entités. Surtout, cette focalisation sur la nécessité d’atteindre à tout prix une taille critique et de favoriser l’excellence n’a fait que masquer les #impensés qui pèsent sur l’enseignement supérieur français : comment améliorer la #qualité de l’enseignement et favoriser la réussite du plus grand nombre ? Quid du dualisme entre universités et grandes écoles ? Quelles sources de financement pour éviter la paupérisation des universités ? Comment éviter la fuite des chercheurs, aux conditions de travail de plus en plus difficiles ? Et, par-dessus tout : quel rôle dans la construction des savoirs dans un pays et un monde en pleine mutation ?

      A ces lourdes interrogations, l’#obsession du classement de Shanghaï, dont le rôle de promotion des standards chinois apparaît de plus en plus nettement, ne peut certainement pas répondre. Certes, l’enseignement supérieur doit être considéré en France, à l’instar d’autres pays, comme un puissant outil de #soft_power. Mais l’objectif d’inscription dans la compétition internationale ne peut tenir lieu de substitut à une politique universitaire absente des débats et des décisions, alors qu’elle devrait y figurer prioritairement.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/08/15/classement-de-shanghai-2023-penser-l-enseignement-superieur-en-dehors-des-pa

    • Au même temps, #Emmanuel_Macron...

      Avec 27 universités représentées, le classement de Shanghai met à l’honneur l’excellence française.

      Acteurs de l’enseignement et de la recherche : merci !

      Vous faites de la France une grande Nation de formation, de recherche et d’innovation. Nous continuerons à vous soutenir.


      https://twitter.com/EmmanuelMacron/status/1691339082905833473
      #Macron

    • Classement de Miamïam des universités françaises.

      Ayé. Comme chaque année le classement de Shangaï est paru. Et l’auto-satisfecit est de mise au sommet de l’état (Macron, Borne, et bien sûr Oui-Oui Retailleau). Imaginez un peu : 27 de nos établissements français (universités et grandes écoles) y figurent.

      Rappel pour les gens qui ne sont pas familiers de ces problématiques : le classement de Shangaï est un classement international très (mais vraiment très très très) sujet à caution, qui s’est imposé principalement grâce à une bonne stratégie marketing (et à un solide lobbying), et qui ne prend en compte que les publications scientifiques des enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses de l’université : ce qui veut dire qu’il ne regarde pas “l’activité scientifique” dans sa globalité, et que surtout il n’en a rien à secouer de la partie “enseignement” ni, par exemple, du taux de réussite des étudiants et étudiantes. C’est donc une vision a minima hémiplégique de l’université. Il avait été créé par des chercheurs de l’université de Shangaï comme un Benchmark pour permettre aux université chinoises d’essayer de s’aligner sur le modèle de publication scientifique des universités américaines, donc dans un contexte très particulier et avec un objectif politique de soft power tout à fait explicite. Ces chercheurs ont maintenant créé leur boîte de consultants et se gavent en expliquant aux universités comment l’intégrer. L’un des co-fondateurs de ce classement explique notamment : “Avant de fusionner, des universités françaises nous ont demandé de faire une simulation de leur future place dans le classement“.

      Bref du quantitatif qui vise à souligner l’élitisme (pourquoi pas) et qui n’a pour objet que de le renforcer et se cognant ostensiblement de tout paramètre qualitatif a fortiori si ce qualitatif concerne les étudiant.e.s.

      Mais voilà. Chaque été c’est la même tannée et le même marronier. Et les mêmes naufrageurs de l’action publique qui se félicitent ou se navrent des résultats de la France dans ledit classement.

      Cette année c’est donc, champagne, 27 établissements français qui se retrouvent “classés”. Mal classés pour l’essentiel mais classés quand même : les 4 premiers (sur la jolie diapo du service comm du gouvernement) se classent entre la 16ème (Paris-Saclay) et la 78ème place (Paris Cité) et à partir de la 5ème place (sur la jolie diapo du service comm du gouvernement) on plonge dans les limbes (Aix-Marseille est au-delà de la 100ème place, Nantes au-delà de la 600ème). Alors pourquoi ce satisfecit du gouvernement ? [Mise à jour du 16 août] Auto-satisfecit d’ailleurs étonnant puisque si l’on accorde de la valeur à ces classements, on aurait du commencer par rappeler qu’il s’agit d’un recul : il y avait en effet 30 établissements classés il y a deux ans et 28 l’année dernière. Le classement 2023 est donc un recul. [/mise à jour du 16 août]

      Non pas parce que les chercheurs sont meilleurs, non pas parce que la qualité de la recherche est meilleure, non pas parce que les financements de la recherche sont plus importants et mieux dirigés, mais pour deux raisons principales.

      La première raison est que depuis plusieurs années on s’efforce d’accroître le “rendement” scientifique des personnels en vidant certaines universités de leurs activités et laboratoires de recherche (et en y supprimant des postes) pour le renforcer et le concentrer dans (très peu) d’autres universités. C’est le grand projet du libéralisme à la française qui traverse les présidences de Sarkozy à Macron en passant par Hollande : avoir d’un côté des université “low cost” dans lesquelles on entasserait les étudiant.e.s jusqu’à bac+3 et où on ferait le moins de recherche possible, et de l’autre côté des “universités de recherche et d’excellence” où on n’aurait pas grand chose à foutre de la plèbe étudiante et où on commencerait à leur trouver un vague intérêt uniquement à partir du Master et uniquement pour les meilleur.e.s et uniquement dans certains domaines (genre pas en histoire de l’art ni en études littéraires ni dans la plupart des sciences humaines et sociales).

      La seconde raison de ce “bon” résultat est que les universités se sont regroupées administrativement afin que les publications de leurs chercheurs et chercheuses soient mieux prises en compte dans le classement de Shangaï. Exemple : il y a quelques années, il y avait plusieurs sites universitaires dans les grandes villes. Chaque site était celui d’une discipline ou d’un regroupement de discipline. On avait à Toulouse, à Nantes et ailleurs la fac de droit, la fac de sciences, la fac de lettres, etc. Et les chercheurs et chercheuses de ces universités, quand ils publiaient des articles dans des revues scientifiques, “signaient” en s’affiliant à une institution qui était “la fac de sciences de Toulouse Paul Sabatier” ou “la fac de lettre de Toulouse le Mirail” ou “la fac de droit de Toulouse”. Et donc au lieu d’avoir une seule entité à laquelle rattacher les enseignants-chercheurs on en avait trois et on divisait d’autant les chances de “l’université de Toulouse” de monter dans le classement.

      Donc pour le dire rapidement (et sans pour autant remettre en cause l’excellence de la recherche française dans pas mal de disciplines, mais une excellence dans laquelle les politiques publiques de ce gouvernement comme des précédents ne sont pas pour grand-chose), la France gagne des places dans le classement de Shangaï d’une part parce qu’on s’est aligné sur les règles à la con dudit classement, et d’autre part parce qu’on a accepté de sacrifier des pans entiers de financements publics de la recherche dans certains secteurs (notamment en diminuant drastiquement le nombre de postes disponibles).

      Allez je vous offre une petite comparaison. Évaluer la qualité de l’université et de la recherche française à partir du classement de Shangaï c’est un peu comme si on prétendait évaluer la qualité de la gastronomie française à partir d’un référentiel établi par Mac Donald : on serait rapidement en capacité de comprendre comment faire pour gagner des places, mais c’est pas sûr qu’on mangerait mieux.

      Je vous propose donc un classement alternatif et complémentaire au classement de Shangaï : le classement de Miamïam. Bien plus révélateur de l’état actuel de l’université française.
      Classement de Miamïam.

      Ce classement est simple. Pour y figurer il faut juste organiser des distributions alimentaires sur son campus universitaire.

      Le résultat que je vous livre ici est là aussi tout à fait enthousiasmant [non] puisqu’à la différence du classement de Shangaï ce sont non pas 27 universités et établissements mais (au moins) 40 !!! L’excellence de la misère à la française.

      Quelques précisions :

      – ce classement n’est pas exhaustif (j’ai fait ça rapidement via des requêtes Google)
      – l’ordre des universités ne signifie rien, l’enjeu était juste de lister “l’offre” qu’elles proposaient sans prendre en compte l’ancienneté ou la fréquence de ces distributions ni le nombre d’étudiant.e.s touché.e.s
      - ce classement est très en dessous de la réalité : par exemple je n’ai inscrit qu’une seule fois l’université de Nantes alors que des distributions alimentaires sont aussi organisées sur son campus de la Roche sur Yon. Beaucoup des universités présentes dans ce classement organisent en fait des distributions alimentaires sur plusieurs de leurs campus et devraient donc y figurer 2, 3 ou 4 fois au moins.
      - je me suis autorisé, sans la solliciter, à utiliser comme crédit image la photo de Morgane Heuclin-Reffait pour France Info, j’espère qu’elle me le pardonnera.

      [Mise à jour du 16 Août]

      On invite aussi le gouvernement à regarder le classement du coût de la vie pour les étudiantes et étudiants : en constante augmentation, et atteignant une nouvelle fois, pour cette population déjà très précaire, des seuils d’alerte indignes d’un pays civilisé.

      Enfin on pourra, pour être complet dans la recension de l’abandon politique de l’université publique, signaler la stratégie de mise à mort délibérée par asphyxie conduite par les gouvernements successifs depuis plus de 15 ans. Extrait :

      “En dix ans, le nombre de recrutements d’enseignants-chercheurs titulaires a diminué de près de moitié, avec 1 935 ouvertures de poste en 2021, contre 3 613 en 2011. En 2022, on enregistre un léger sursaut, avec 2 199 postes de professeur d’université et de maître de conférences ouverts.

      La situation est d’autant plus paradoxale que les universités se vident de leurs enseignants-chercheurs chevronnés, avec un nombre de départs à la retraite en hausse de + 10,4 % en 2021 et de + 10,5 % en 2022, selon une note statistique du ministère publiée en juin. Un avant-goût de la décennie qui vient, marquée par des départs massifs de la génération du baby-boom : entre 2021 et 2029, le ministère prévoit une augmentation de 53 % en moyenne, et de 97 % en sciences – le bond le plus élevé.“

      https://affordance.framasoft.org/2023/08/classement-shangai-miam-miam

  • Le coût de la vie étudiante en hausse de près de 600 euros par an, selon l’UNEF
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/08/14/le-cout-de-la-vie-etudiante-en-hausse-de-6-47-selon-l-unef_6185370_4401467.h

    Dans une étude publiée lundi pointant une augmentation de 6,47 %, le syndicat étudiant anticipe un « stade de précarité majeure », aggravé par l’inflation.

    Explosion des dépenses alimentaires et bourses insuffisantes : l’#inflation ne fait qu’aggraver l’augmentation du coût de la vie pour les étudiants (...).
    Pour l’année 2023-2024, les frais inhérents aux études augmentent de 6,47 %, selon l’organisation. Le même taux que celui annoncé un an auparavant. Cette hausse représenterait un budget supplémentaire nécessaire de 594,76 euros pour l’année, soit 49,56 euros de plus par mois.

    « Jamais, en dix-neuf ans d’enquête de l’UNEF l’évolution du coût de la vie étudiante n’avait atteint de tels sommets », souligne le syndicat (...)

    Le budget des étudiants est alourdi en particulier par les hausses de frais de transports (+ 5,91 % pour les non-boursiers, + 3,95 % pour les boursiers), d’alimentation (+ 14,3 %) et d’électricité (+ 10,1 %).

    Le gouvernement a prévu une revalorisation du montant des #bourses étudiantes à hauteur de plus de 500 millions d’euros, permettant à 35 000 nouveaux étudiants de devenir #boursiers dès la rentrée. Le montant des bourses, variant désormais de 145,40 à 633,50 euros par mois, reste toutefois « largement insuffisant » pour vivre, pointe l’UNEF.

    le rapport Unef semble pour l’instant ne pas avoir fait l’objet d’une publication ouaibe, donc pas d’évaluation de la médiane du budget étudiant (si cela existe, faudrait alors parler parents, emplois) mais quelques mots sur le #logement chez l’oiseau mort

    https://twitter.com/UNEF/status/1690992446983884800

    Le logement reste le 1er poste de dépense des étudiant·e·s. Là encore, nous payons les mensonges d’
    @EmmanuelMacron. Il avait annoncé 60 000 nouveaux logements entre 2017 et 2022. En 2023, nous en sommes à ... 3067 nouveaux logements #CROUS, soit 5,11% de ce qui avait été promis

    Les bourses sur critères sociaux (BCS) de l’enseignement supérieur
    https://drees.solidarites-sante.gouv.fr/sites/default/files/2022-09/Minima22%20Fiche%2032%20%20-%20Les%20bourses%20sur%20cr

    Durant l’année universitaire 2020-2021, près de 750 000 étudiants ont perçu une bourse sur critères sociaux (BCS) du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche (MESR). Délivrée en fonction de leur situation financière et familiale, cette bourse
    est la principale aide financière du MESR versée aux étudiants (94 % des étudiants aidés par ce dernier sont boursiers sur critères sociaux et 95 % des montants d’aides versées sont des BCS). La part de boursiers parmi les étudiants présents au sein des formations éligibles a augmenté de 1,6 point entre les années universitaires 2019-2020 et 2020-2021, pour atteindre 38,4 %.

    #étudiants #étudiants_boursiers #alimentation #électricité #transports

  • Une entrée dans la #carrière_universitaire toujours plus entravée

    De nombreux jeunes docteurs ne parviendront jamais à obtenir un poste d’#enseignant-chercheur titulaire à l’université. En dix ans, le nombre de #recrutements a chuté de près de moitié, un paradoxe à l’heure où les départs à la retraite se multiplient.

    Qui peut encore embrasser la carrière d’enseignant-chercheur à l’université ? La question se pose alors que les portes apparaissent de plus en plus étroites pour des centaines de jeunes docteurs, soit bac + 8, qui voient les campagnes de recrutement se succéder sans jamais pouvoir accéder à un poste de titulaire dans un établissement.

    Chaque printemps, les postes ouverts sont publiés sur Galaxie, une plate-forme du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche. Pour postuler, les candidats doivent au préalable avoir été « qualifiés » aux fonctions de maître de conférences ou de professeur des universités par le Conseil national des universités, qui certifie la valeur du diplôme de doctorat. Il faut ensuite passer un concours, localement, sur dossier et après audition par un jury.

    Le grand flou sur les perspectives de carrière académique freine les ambitions d’un nombre grandissant de chercheurs qui doivent attendre l’âge de 34 ans, en moyenne, avant de décrocher leur premier poste, la titularisation n’intervenant réellement qu’un an plus tard.

    « 20 candidatures, 0 poste »

    Chercheur en sciences du langage et détenteur d’une habilitation à diriger des recherches, la plus haute qualification universitaire, Albin Wagener a livré son bilan de la dernière campagne de recrutement, sur son compte Twitter, le 12 mai : « 20 candidatures, 2 auditions (dont une que je n’ai pas pu faire), 0 poste. Comme quoi on peut avoir publié 10 bouquins, 42 articles scientifiques, 15 chapitres d’ouvrage, fait 87 interventions orales de natures diverses et ne pas avoir de poste de recherche dans une université publique française. »

    Cette réalité est autant connue que redoutée. « Il faut tenir psychologiquement, quand on ne reçoit tous les ans que des signaux de refus », commente Marieke Louis, maîtresse de conférences en science politique à Sciences Po Grenoble, dans le podcast « Politistes dans la Cité » consacré, le 19 juin, aux « différentes facettes de la #maltraitance_institutionnelle dans le monde de l’#enseignement_supérieur_et_de_la_recherche ».

    Manuel Cervera-Marzal, docteur en science politique, y détaille son parcours : 82 dossiers de candidature restés sans lendemain. Après sept années de contrats précaires aux quatre coins de la France, il a obtenu un poste en septembre 2022… à l’université de Liège, en Belgique. « Je suis très heureux à Liège, mais je ressens un pincement quand même, témoigne-t-il. On se demande ce qu’on a mal fait pour ne pas mériter sa place parmi les siens en France. »

    Le chercheur se félicite que « la parole se libère aujourd’hui », permettant de découvrir « l’ampleur des dégâts ». En dix ans, le nombre de recrutements d’enseignants-chercheurs titulaires a diminué de près de moitié, avec 1 935 ouvertures de poste en 2021, contre 3 613 en 2011. En 2022, on enregistre un léger sursaut, avec 2 199 postes de professeur d’université et de maître de conférences ouverts.

    La situation est d’autant plus paradoxale que les universités se vident de leurs enseignants-chercheurs chevronnés, avec un nombre de départs à la retraite en hausse de + 10,4 % en 2021 et de + 10,5 % en 2022, selon une note statistique du ministère publiée en juin. Un avant-goût de la décennie qui vient, marquée par des départs massifs de la génération du baby-boom : entre 2021 et 2029, le ministère prévoit une augmentation de 53 % en moyenne, et de 97 % en sciences – le bond le plus élevé.

    Baisse du #taux_d’encadrement

    Dans ce contexte, il est donc peu étonnant que le nombre de doctorants (15 700 en 2022) soit en baisse de 4 % en un an des effectifs inscrits en première année de thèse. France Universités, l’association des présidents d’établissement, s’en est inquiétée début juillet par voie de communiqué. « Les mathématiques (– 10,1 %) et la chimie et la science des matériaux (– 14,7 %) subissent particulièrement cette désaffection », relève-t-elle avant d’alerter sur le « risque de décrochage pour la recherche publique française ».

    La biologie des populations-écologie est la discipline enregistrant le plus gros déficit de postes (– 80 % entre 2010 et 2021), a calculé Julien Gossa, maître de conférences en sciences informatiques à l’université de Strasbourg, qui a compilé un ensemble de données sur l’entrée dans la carrière universitaire. « On a recruté moins d’une dizaine de maîtres de conférences dans cette discipline, ce qui est absolument navrant », commente-t-il dans une analyse publiée sur le site de la Conférence des praticiens de l’enseignement supérieur et de la recherche.

    Entre 2010 et 2021, le nombre de néorecrutés a été divisé par deux, passant d’environ 2 000 à 1 000. « Le secteur sciences et technologies est le plus fortement touché, avec près de 60 % de recrutements en moins, observe M. Gossa. Le nombre global de concurrents par poste est passé de 4,6 à 7,7, soit une augmentation de la tension à l’entrée dans la carrière de près de 70 %. » Conséquence : alors qu’il fallait attendre vingt-neuf ans en 2010 pour renouveler entièrement les effectifs au rythme du recrutement annuel, il en faudrait cinquante-deux au rythme du recrutement annuel tel qu’il est advenu en 2021.

    Cette #pénurie de postes conduit à une baisse du taux d’encadrement pédagogique de 17 %, passant sur la période de 3,7 titulaires pour 100 étudiants à 3,1, poursuit l’auteur de cette étude. Une baisse particulièrement marquée dans le domaine des lettres, langages et arts/sciences humaines et sociales et sciences et technologies, où le nombre d’enseignants-chercheurs par étudiant a baissé de près d’un quart en dix ans.

    La conclusion est sans appel, pour M. Gossa : « Au total, il faudrait désormais ouvrir plus de 11 000 postes pour retrouver les taux d’encadrement de 2010 » dans les universités.

    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/08/10/une-entree-dans-la-carriere-universitaire-toujours-plus-entravee_6185034_440
    #université #postes #ESR #France #conditions_de_travail #statistiques #chiffres #enseignement_supérieur

  • Quand la sociabilité exigée en start-up finit par écœurer : « Ils ont du mal à comprendre que pour nous, c’est juste un travail, souvent alimentaire »
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/04/27/quand-la-sociabilite-exigee-en-start-up-finit-par-ec-urer-les-plus-jeunes_61

    Tout allait alors très bien pour Constance (tous les prénoms ont été modifiés), 25 ans, dans sa start-up en technologie de l’information depuis trois ans. Dîners entre collègues, travail le week-end chez son patron, verres le soir… la jeune diplômée d’école de commerce finit par enchaîner les événements de l’entreprise avec appréhension. « Si tu ne viens pas, il y a des projets dans lesquels tu n’es pas intégrée, parce que tu n’étais pas là le soir. J’ai eu par exemple une opportunité qui aurait pu être pour quelqu’un qui était plus en retrait du groupe. Plutôt que de lui donner, on me l’a filée. Ça se fait beaucoup par affinités », raconte la cheffe de projet.
    https://justpaste.it/aazjp

    #travail #culture_d'entreprise #sociabilité_obligatoire #précarité

  • Que voulons-nous ? L’effondrement du macronisme. Après on verra
    https://qg.media/blog/haroldbernat/que-voulons-nous-leffondrement-du-macronisme-apres-on-verra

    Pour arrêter le mouvement, Macron et le siens comptaient sur l’inflation, la lassitude, le fatalisme, le matraquage médiatique, la moraline, la peur de la matraque, le « ce qui se fait ailleurs ». Ils ont en face la solidarité, la détermination, le refus, le volontarisme, le collectif, la vraie morale, le courage face à la peur, le « ce que nous voulons ici ». Ne les lâchons pas, jusqu’au retrait. C’est l’édito de la semaine d’Harold Bernat

    ... L’impunité du mensonge, nous l’avons en face depuis des années. Les mensonges s’accumulent mais le sourire reste, la morgue et le mépris paraissent inoxydables. Mais tout cela travaille dans l’ombre. La légalité, semaine après semaine, ne tient plus le tableau, elle ne parvient plus à dompter de ses tautologies (la loi, c’est la loi, dura lex sed lex, en latin c’est toujours plus impressionnant) la légitimité de la révolte qui monte des six coins de la France. Alors on reformule la question, non plus du côté de la légalité mais du point de vue désormais obsédant de la légitimité. Qui est en face ? Un escroc, un menteur, un faux. De quelle guerre parlons-nous ? D’une guerre juste, une guerre pour le respect du travail et des travailleurs, une guerre pour avoir le droit de partir à la retraite après plus de quarante années de travail sans que des millionnaires improductifs et parasites de l’État viennent nous sermonner comme des gosses de dix ans. Quelle pourrait être la fin générale de cette guerre sociale et politique ? L’effondrement du capitalisme ? Soyons peut-être plus modestes. Le retrait de la réforme des retraites et pas son report ou un moratoire bidon reste un préalable. Mais ce que nous voulons, au fond, c’est l’effondrement de la macronie, du règne de la fausseté attaché au nom de ce président philosophe complètement bidon et gonflé à la mondanité satisfaite. Pas l’effondrement de l’État ou de la République, de la macronie qui en est une corruption profonde. Après on verra.

    Pour arrêter le mouvement, Macron et son engeance comptaient sur l’inflation, la lassitude, l’acceptation, le fatalisme, l’individualisme, l’intersyndicale Casimir, le matraquage médiatique, la moraline, la peur de la matraque, le « ce qui se fait ailleurs », la lobotomie collective. Ils ont en face la solidarité, la détermination, le refus, le volontarisme, le collectif, l’inter-syndiqués anti-Casimir, la résistance critique, la vraie morale, le courage face à la peur, le « ce que nous voulons ici », l’éveil collectif. Ne les lâchons pas, serrons les mâchoires, plus fort encore, nous commençons à les tenir. N’ayons pas peur de ce chantage à la légalité en face d’individus qui sont en train de perdre ce sans quoi la légalité n’est qu’une coquille vide : la légitimité. Cela fait des années que cela dure, des années que nous endurons cette très dure carrière de mensonges et de malversations. Des années que nous souffrons ce monologue pathétique qui s’arroge le droit unilatéral de régenter des vies avec des passes et des coups de matraque. Nous ne verrons pas la fin de cette guerre car elle dépasse de très loin Macron le faux mais nous sommes engagés dans une lutte sérieuse et déterminée que l’on peut résumer sans trop de détours : nous ne voulons pas de ces gens-là au pouvoir en France. Faisons-les chuter lourdement. Que le bruit lourd de leur dégringolade s’entende jusqu’à Bruxelles, cela réchauffera sûrement le cœur du peuple grec qui a ouvert une voie inéluctable pour les peuples d’Europe.

    Harold Bernat

  • Quand, dans une banque, un jeune pioupiou du capitalisme découvre la déshumanisation du travail et des rapports humains

    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/04/02/j-ai-decouvert-le-quotidien-monotone-et-deshumanise-de-la-vie-d-un-jeune-cad

    Rapidement, j’ai ressenti comme un grand vide, dans cette ambiance si aseptisée. J’ai d’ailleurs listé quelques éléments. Il y a, par exemple, la volonté de tout quantifier, qui aboutit à la création d’indicateurs absurdes, comme « atteindre les 100 % d’excellence relationnelle » comme si les relations humaines pouvaient être quantifiées. Je pourrais aussi parler du langage « corporate », ou du management très vertical, voire infantilisant. Je suis évidemment conscient que tout milieu social ou professionnel implique des concessions. Mais cela devient alarmant quand celles-ci se font au détriment des individus eux-mêmes.

    Pour être très honnête, ce que j’ai trouvé le plus alarmant, c’est l’influence du milieu sur le comportement des employés. Il y a comme un filtrage d’émotions. Chaque collaborateur est dans le contrôle de soi, ne laissant paraître qu’une image lissée de lui-même. Attention, je ne dis pas là que c’est un problème d’individu, bien au contraire, les rares moments de discussions sincères me donnaient à voire des personnalités variées et sensibles. Simplement, les injonctions à l’homogénéité agissent comme une chape de plomb qui masque tout ce qu’il y a de plus vivant chez chacun.

    […]

    A l’heure de choisir mon premier poste, alors que mon parcours me prédestine à devenir le #jeune_cadre_dynamique idéal qui « relève les défis du monde de demain », je ressens un profond dégoût. Evoluer dans un environnement si vide de vie rend, aigri et terne, et je n’ose imaginer ce que cela ferait de moi après trente ans de #carrière. Peut-être est-ce propre à ma jeunesse ? Mais la résignation que j’ai pu constater, ce renoncement à aspirer à quelque chose de plus beau, me fait vraiment flipper.

    De cette expérience, je ressors avec la conviction que le seul moyen de changer vraiment les choses, c’est de bousculer le système économique actuel. Le mantra « changer les choses de l’intérieur » n’est qu’un appât à #bonne_conscience qui permet aux entreprises d’esquiver toute remise en question trop profonde du bien-fondé de leurs activités. A titre personnel, je n’ai ni prêt à rembourser ni famille à nourrir, je suis libre de choisir mon métier, et c’est une énorme chance. Dans le contexte climatique actuel, je vois cette chance comme un devoir de sortir d’un système économique destructeur pour tracer un autre chemin, et de « bifurquer ».

    #réification #capitalisme #petite_bourgeoisie #petit_bourgeois

  • « Le conflit de générations est réactivé par l’urgence écologique » : la journaliste Salomé Saqué déconstruit les stéréotypes sur les moins de 30 ans
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/03/25/le-conflit-de-generations-est-reactive-par-l-urgence-ecologique-la-journalis

    La journaliste de « Blast » dépeint dans son premier livre les attentes et les souffrances d’une génération – la sienne – marquée par la crise écologique et la montée des inégalités sociales.
    Propos recueillis par Marine Miller

    « Connasse ! Crève et fais pas chier ! » Ainsi commence le livre de Salomé Saqué, Sois jeune et tais-toi (Payot, 2023). Une insulte choc prononcée par un actionnaire de TotalEnergies âgé d’une soixantaine d’années à une jeune militante pour le climat bloquant l’entrée de l’assemblée générale du groupe. La séquence de cette altercation violente, filmée le 25 mai 2022, a fait le tour des réseaux sociaux et mis en exergue un fragment du conflit de générations et du mépris à l’égard des jeunes qui s’exprime ici et là dans la société française.

    La vidéo a aussitôt été envoyée par des jeunes followers directement à la journaliste de Blast, provoquant un sentiment de révolte. « Au départ, je me suis dit : ce n’est pas possible, j’ai voulu vérifier auprès des personnes présentes, qui ont confirmé qu’il ne s’était rien passé d’hostile avant. Imaginons la situation inverse, si un jeune militant s’en était pris à une personne âgée en l’insultant avec cette même violence… » De cette scène Salomé Saqué, 27 ans, tire une motivation pour accélérer son projet de livre sur la jeunesse et pour ne pas « laisser passer » ce sujet hors du débat public.

    Dans cette enquête, qui s’appuie sur les travaux de chercheurs en économie et en sociologie, sur les témoignages de jeunes de 18 à 30 ans, et sur sa propre expérience, Salomé Saqué défend sa génération des préjugés qui l’accablent : les jeunes seraient paresseux, narcissiques, craintifs, incultes, individualistes et sans engagement. Et dresse le portrait nuancé d’une jeunesse française soumise aux crises écologiques et économiques, en évitant de déclarer la guerre aux « boomeurs ».

    • De plus, les jeunes peuvent incarner de parfaits boucs émissaires en temps de crise. La pandémie a ainsi été l’occasion de les accabler pour leur « irresponsabilité », de pointer du doigt ceux qui ne respectaient pas les restrictions, alors que l’immense majorité d’entre eux se sont confinés en se pliant aux règles sanitaires. La free party en Bretagne en décembre 2021, par exemple, a été couverte quasi en continu par plusieurs chaînes de télé comme un événement politique.

      Vous rappelez que les conditions d’#emploi des #jeunes sont beaucoup plus difficiles que celles des générations précédentes. Quelles sont les conséquences ?

      C’est une première cause d’incompréhension entre les générations. De nombreux parents et grands-parents ont l’impression que les jeunes ne veulent pas travailler. On les entend parfois dire « moi aussi de mon temps c’était difficile ». Il ne s’agit pas de nier ces difficultés, mais il faut rappeler que la situation en matière d’emploi s’est nettement dégradée. La quête d’un CDI est aujourd’hui un parcours du combattant. Les chiffres sont édifiants, le taux d’emploi précaire des 15-24 ans est passé de 17,3 % en 1982 à 52,6 % en 2020.

      https://justpaste.it/8a2do

    • ces mauvaises conditions créent ce que les sociologues appellent un « effet cicatrice » qui ne se résorbe pas avec le temps : les jeunes sont de moins en moins bien payés, en #salaire d’entrée et en progression salariale. Le niveau d’éducation ne constitue plus une protection contre cette #précarisation. A diplôme égal, on ne dispose plus des mêmes chances que ses parents d’obtenir un #emploi correct, c’est une forme de déclassement ! Quand on fait l’addition : marché de l’emploi saturé, explosion du #chômage, baisse des salaires d’entrée, dégradation de la qualité de l’emploi, allongement de la durée des études, les jeunes subissent plus que les autres les difficultés financières. En 2018, le taux de précarité était de 38 % pour les 18-29 ans, contre 7 % pour les plus de 50 ans. Ils sont aussi les premiers abonnés à l’extrême #pauvreté. En 2019, plus de la moitié des bénéficiaires des Restos du cœur avaient moins de 26 ans.
      (...) il y a un déclin général du vote, et chez les jeunes il y a une diversification des modes d’engagement, qui passe par les manifestations (un jeune sur deux déclarait avoir déjà manifesté en 2019, ils n’étaient qu’un sur trois en 1981)

      (...) On observe une implication croissante des jeunes dans la contestation en cours : leur nombre grossit dans les cortèges, et ils sont de plus en plus bruyants sur les réseaux sociaux.
      Ils le font pour leur entourage proche de la retraite, pour qui ils s’inquiètent, puisqu’ils constatent les effets du travail sur leur santé, mais leurs revendications vont souvent au-delà de la réforme. On a vu apparaître des slogans tels que « Tu nous mets 64, on t’met 68 », ou encore « #Retraites, planète, même combat ». Le débat qui s’est ouvert est plus large, il concerne désormais la place que nous accordons au #travail dans nos vies, les conditions de travail, on retrouve même des revendications parlant de la précarité étudiante ou de la sortie du modèle productiviste, considéré comme incompatible avec l’urgence écologique par les scientifiques.

      #écologie #écologie_sociale

  • Qui veut encore travailler pour TotalEnergies ? Les étudiants des grandes écoles rejettent le secteur des énergies fossiles
    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/03/08/qui-veut-encore-travailler-pour-totalenergies-les-etudiants-des-grandes-ecol

    Les actions militantes se multiplient sur les campus contre les industries extractives. Les attentes de la nouvelle génération en matière de transition écologique obligent ainsi le géant TotalEnergies à donner des gages pour continuer d’attirer des diplômés.

    Je travaille avec des gens qui doivent répondre à leurs appels d’offre à ces Total et cie : bien qu’il y ait de l’argent à gagner avec eux, travailler avec leurs équipes est trop souvent ressenti comme un calvaire, car à la façon d’EDF, les collaborateurs internes maltraitent les sous-traitants, du fait d’une mentalité exécrable du type « Nous sommes [La grosse boiboite] et soyez contents de bosser avec nous ».

    C’est caricaturale, mais pourtant, régulièrement remonté en guise de RETEX, comme on dit dans les milieux où on parle bien (hier, j’ai utilisé les mots « onboarding » et « offboarding », histoire de gagner en crédibilité auprès de gens qui veulent quitter les solutions opensource pour aller vers un standard comme Office 365 (pour faire comme tout le monde) ; j’ai eu honte sur l’instant, mais qu’est-ce que ces gens qui croient que la grande stratégie, c’est de faire comme tout le monde, parce qu’on en a les moyens... bref... journée pénible que hier).

    A part ça, ces boites qui répondent aux AO de Total et cie, leurs collaborateurs aussi en ont marre de bosser avec ces grosses entreprises.

  • « On ne peut pas rêver trop grand quand la précarité prend toute la place »

    Cette semaine, Djamila (son prénom a été modifié), 21 ans, raconte la difficulté d’étudier quand on ne sait pas comment réussir à remplir son frigo.

    La première fois que je suis allée à une distribution alimentaire, c’était il y a quelques semaines, un jeudi soir, dans le 20e arrondissement de Paris. C’est la mission locale qui m’a conseillé d’y aller : j’ai été étonnée de voir que nous étions si nombreux, mais aussi agréablement surprise par l’énergie et la chaleur des bénévoles de l’association Linkee. En rentrant chez moi, j’ai pu me faire une ratatouille avec tous les légumes que j’avais récupérés, franchement c’était un miracle pour moi de me cuisiner un vrai truc ! Je garde aussi un souvenir ému d’un excellent muffin aux fruits rouges : iconique, j’ai adoré.

    Si ça pouvait être comme ça tous les jours, ce serait génial… Quand il n’y a pas un rond, ce qui est très fréquent, il n’y a même plus l’envie de manger. Je garde une collection affolante de tickets de caisse Lidl (je connais tous les prix par cœur) et c’est tout le temps la même chose : lait, « pain rustique », spaghettis, nems au crabe, nems à la crevette. C’est dur d’avoir une alimentation variée. Je mange seulement un repas par jour, parfois aucun. En fait, je n’arrive plus à aimer ce que je mange. Je me rends compte que j’ai perdu du poids. A force de galères financières, on finit par ne plus avoir envie de prendre soin de soi. A deux reprises, au petit matin, je me suis réveillée avec tout le corps qui tremblait : d’un seul coup, je vois trouble, j’ai le cœur qui palpite et je manque de m’évanouir… J’ai été obligée d’aller toquer chez mes voisins pour qu’ils me viennent en aide.

    Depuis que je suis à Paris, j’habite dans la même résidence Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires). Je viens de Wattrelos, près de Roubaix. J’ai décidé de quitter le domicile familial juste après le bac, à 17 ans, pour mes études. Aujourd’hui, j’ai 21 ans et j’ai choisi de faire une pause. Mais quand j’ai entamé à la rentrée 2019 une double licence en anglais et lettres modernes à la Sorbonne, j’ai tout de suite bénéficié d’une bourse, échelon 6.

    Ils sautent aussi des repas

    Mes deux parents sont au #chômage. Mon père touche l’allocation adulte handicapé – 1 076,00 € par mois. Ils ont tous les deux une santé fragile, ça n’aide pas pour travailler. Ils n’ont pas de diplôme, à part ma mère qui a un CAP de couture. Ils se partagent les 1 076,00 € à quatre, en comptant mes deux frères qui sont toujours chez eux. Une fois qu’ils ont payé toutes les factures, il ne reste plus rien. Ils croulent sous les rappels des différents organismes qui leur réclament l’argent dû. Eux aussi, ils sautent des repas. Mais dès qu’ils peuvent, ils m’envoient des petites sommes via Western Union. 20 €, 40 €… ça ne suffit pas mais c’est toujours mieux d’avoir 1 € que rien du tout. On est très solidaires : moi aussi je leur ai déjà envoyé de l’argent. On s’aide quand on est dans des situations vraiment urgentes.

    « Ce n’est pas possible d’aller étudier en sachant qu’en rentrant on ne pourra pas manger correctement »

    Avec ma bourse, je recevais autour de 480 € par mois, versés sur dix mois – depuis, ça a un peu augmenté. Mais cette année je n’y ai plus droit, du fait de mon choix de faire une pause dans mes études. Il faut dire que j’ai recommencé trois fois ma première année de licence : je n’ai pas réussi à la valider. Je suis censée être déjà en master mais ce n’est pas possible d’aller étudier en sachant qu’en rentrant on ne pourra pas manger correctement.

    C’est un cercle vicieux. L’aspect financier a un impact énorme sur le mental et sur les études. Il y a toujours ce retour de bâton qui nous ramène à la réalité dure et crue de notre statut social. Ce sentiment d’échec m’affecte : de la maternelle au lycée, j’ai toujours eu un parcours linéaire de bonne élève. Maintenant j’ai l’impression d’un gouffre avec mes amis qui, eux, ont continué d’avancer. L’impact est relationnel aussi, je dois refuser des sorties et ça joue sur les amitiés. Je me sens déphasée, à tous les niveaux.

    Remise en question

    Ce qui au départ m’animait – les cours de grammaire, de traduction, de thème… – a fini par être source d’angoisses. C’est même devenu une tannée plus qu’autre chose. J’ai remis en question aussi mon orientation : peut-être ne devrais-je faire qu’une mono licence finalement ? Ne faire que des lettres, alors que l’anglais me fascine ? On ne peut pas viser trop haut quand la précarité prend toute la place, on ne peut pas se permettre de rêver trop grand.

    Je me dis parfois que j’aurais dû faire mes études à Lille. Aller à Paris est une expérience sociale plus qu’académique. J’ai appris plein de choses sur l’administratif, ça c’est sûr ! Je suis allée en mairie pour demander de l’aide cet été – je n’avais aucune ressource, la bourse s’arrête en juillet et août. J’ai dû aller au centre d’aide sociale pour demander des cartes pour m’alimenter dans des restaurants solidaires. J’ai entamé la procédure d’inscription à la mission locale : je viens de signer un contrat d’engagement jeune (#CEJ). Je vais faire ça pendant un an pour mettre de l’argent de côté et reprendre mes études plus sereinement, sans être accablée par le manque. Dans le cadre du CEJ, je cherche une formation dans l’audiovisuel ou le professorat. C’est rémunéré 520 € par mois. A peu près le même montant que la bourse.

    Ma bourse comme source de revenus

    Je n’ai toujours eu que ma bourse comme source de revenus. Je paye 365 € de loyer. Avec les aides au logement, ma chambre de 19 mètres carrés me revient à 215 €. Une fois toutes les factures payées, il me reste environ 150 € pour manger pour le mois. Chaque jour, je fais un tableau pour voir ce que je dois acheter et ce que je peux dépenser. Le métro aussi, ça coûte cher… Avec l’inflation, j’essaie de mettre le plus d’argent possible dans un paquet de pâtes à 70 centimes que dans un carré de beurre à 2 €. Le frigo est vide. Hier, j’ai dû acheter un paquet de mouchoirs à 2,95 €. Mais il me fallait ces mouchoirs : ça a été un choix, comme toujours. Et je n’ai pas pris le taboulé.

    De septembre à novembre, j’ai essayé de postuler à droite à gauche mais je n’ai jamais été prise. J’ai essayé dans un collège, dans des boulangeries, des épiceries, un magasin pour enfants… rien n’a marché. La mission locale, c’était ma dernière option, je ne pouvais pas rester à ne rien faire. J’aimerais bien devenir bénévole à Linkee aussi. Cette pause va me permettre de réfléchir à ce que je veux et de retrouver la motivation pour mes études. C’est comme reconstruire pour mieux repartir.

    Suis-je en colère ? En fait, je suis dans l’indignation totale, en plus de me sentir impuissante. Mais je garde espoir. J’aimerais être enseignante en université. J’ai envie de me prouver que c’est possible, que les portes restent ouvertes pour tout le monde. Même si, pour certains, il est bien plus dur de les ouvrir.

    https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/01/08/on-ne-peut-pas-rever-trop-grand-quand-la-precarite-prend-toute-la-place_6157

    #étudiants #précaires