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  • Meurtre policier à Nanterre : BFM et Cnews criminalisent la victime et défendent le policier
    https://www.revolutionpermanente.fr/Meurtre-policier-a-Nanterre-BFM-et-Cnews-criminalisent-la-victi

    Toute la journée, comme à chaque meurtre policier, des déclinaisons plus ou moins explicites de ces rhétoriques visant à justifier les meurtres policiers auront rempli les antennes des médias. Mais alors que la rage face à ce nouveau meurtre est massive, ces réactions insupportables pourraient être une goutte de trop supplémentaire dans l’océan de la colère contre les violences policières.

    #ACAB

    Marc Olivier Fogiel (à la tête de BFMT)

    Le 24 avril 2019, Alain Weill le nomme directeur général de la chaîne d’information en continu BFM TV (groupe Altice-SFR). Marc-Olivier Fogiel quitte en conséquence RTL (groupe M6). Il prend ses fonctions en juillet 2019.

    En mars 2021, Le Canard enchaîné révèle que Marc-Olivier Fogiel fréquente régulièrement, en compagnie d’une vingtaine de journalistes du groupe Altice (BFM TV, RMC, SFR), un restaurant clandestin parisien, en dépit des restrictions imposées par le gouvernement dans le cadre de la pandémie de Covid-19.

    Le site Off-investigation décrit dans une enquête publiée en 2023 un management autoritaire et vertical au sein de la rédaction de BFMTV, conduisant à des souffrances au travail. Très proche d’Emmanuel Macron, Marc-Olivier Fogiel est également accusé d’empiler « les entorses à la déontologie et les biais éditoriaux protégeant ses amis ou l’exécutif ». Il interdit par ailleurs l’usage de l’expression « violences policières ».

    Vincent Bolloré (à la tête de CNEWS)
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/21/soupcons-de-corruption-au-togo-la-reconnaissance-de-culpabilite-de-vincent-b (#paywall)

  • Des jeunes en temps de mobilisation | Le Monde | 30.03.23

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/30/il-y-a-une-acceptation-plus-grande-de-la-violence-politique-chez-une-partie-

    Directeur de recherche émérite au CNRS et spécialiste de la jeunesse, le sociologue Olivier Galland estime que seule une partie de la jeunesse manifeste aujourd’hui contre la réforme des retraites. Mais la mobilisation, même si elle n’est pas massive, montre l’affaiblissement de la démocratie représentative aux yeux d’une part significative des moins de 25 ans.


    Comment analysez-vous la participation des jeunes au mouvement contre la réforme des retraites ?

    Peu présents au début de la mobilisation, ils ont grossi les cortèges depuis l’utilisation de l’article 49.3 de la Constitution pour faire adopter la réforme, jeudi 16 mars.
    La mobilisation des jeunes ne me semble pas massive, si on la compare à d’autres mouvements comme celui contre le CPE [contrat première embauche], comme on le fait depuis quelque temps. En 2006, les revendications touchaient les jeunes de manière spécifique et ils étaient plus nombreux dans la rue qu’en ce moment. Aujourd’hui, la question des retraites est en réalité peu mobilisatrice pour les moins de 25 ans, mais il existe une greffe opportuniste pour porter d’autres revendications sociétales.

    Plutôt que « les jeunes », je préfère d’ailleurs parler « des jeunes », car c’est non pas toute la jeunesse qui manifeste mais bien seulement une partie. Si on reprend la typologie que nous avions définie avec Marc Lazar [professeur émérite d’histoire et de sociologie politique à Sciences Po] dans notre enquête sur « une jeunesse plurielle » en février 2022 [pour l’Institut Montaigne], deux types de jeunesse manifestent aujourd’hui. Ceux que l’on peut appeler les « révoltés » (22 % de notre panel), d’un côté, et les « démocrates protestataires » (39 % de notre panel), de l’autre. Mais, il ne faut pas oublier toute cette jeunesse désengagée et très loin des préoccupations politiques.


    Qui sont ces « révoltés » et ces « démocrates protestataires » et que représentent-ils ?

    Ils possèdent à la fois des points communs et de grandes différences. Schématiquement, les révoltés prônent un changement radical de la société. Une majorité ne croit pas à l’utilité du vote et ils possèdent un degré d’acceptation élevé de la violence politique. Sociologiquement, ils sont plutôt mal à l’aise dans la société avec des difficultés matérielles et une forte précarité. S’y agrège une petite partie de l’élite scolaire. Ces diplômés, souvent des plus grandes écoles, estiment que les politiques ont trahi leur mandat, notamment sur les questions environnementales, et veulent changer le système.

    Les démocrates protestataires, eux, sont globalement plus diplômés que ce premier groupe, doté d’un fort bagage culturel. Ils sont moins enclins à la violence politique et croient encore malgré tout à l’utilité du vote.


    Que pensez-vous des blocages d’universités réputées plus conservatrices, comme Assas ou Dauphine ?

    Je reste un peu sceptique. Le basculement de ces étudiants est encore difficile à appréhender. Quelques dizaines d’étudiants suffisent à bloquer un site universitaire. Ce sont tout de même les bastions traditionnels des universités les plus à gauche, comme Rennes-II ou Tolbiac, qui se mobilisent aujourd’hui.


    Les jeunes femmes sont très présentes dans les manifestations. Est-ce un phénomène nouveau ?

    Dans les deux catégories les plus contestataires, les femmes sont majoritaires. Il n’est donc pas étonnant de les retrouver en plus grand nombre dans les cortèges. Elles sont à la pointe de l’évolution de la société et sont un élément moteur de ces changements, sur l’environnement ou le genre en particulier. En cela, elles ont beaucoup évolué par rapport aux femmes de la génération précédente. Bien plus que les hommes d’ailleurs.


    Lire aussi :

    – Entretient : « La jeunesse est traversée par un malaise démocratique profond »
    – Réforme des retraites : dans les cortèges, la jeunesse amplifie sa mobilisation

  • #Enquête sur « l’#islamo-gauchisme » à l’#université : histoire d’une vraie fausse annonce

    Un document du ministère de l’enseignement supérieur dont « Le Monde » a eu copie révèle que l’ancienne ministre Frédérique Vidal, contrairement à ses dires, n’a jamais diligenté d’enquête en février 2021.

    Cette fois, les masques sont tombés : malgré ses affirmations, l’ancienne ministre de l’enseignement supérieur Frédérique Vidal n’a jamais demandé d’enquête portant sur « l’ensemble des courants de recherche » menés dans les universités en lien avec « l’islamo-gauchisme ».

    Le 14 février 2021, sur le plateau de CNews, elle avait dénoncé un phénomène qui « #gangrène la société dans son ensemble » auquel « l’université n’est pas imperméable ». Deux jours plus tard, à l’Assemblée nationale, la ministre confirmait la mise en place d’« un bilan de l’ensemble des recherches » en vue de « distinguer ce qui relève de la #recherche_académique et ce qui relève du #militantisme et de l’#opinion ».

    L’initiative – dont l’Elysée et Matignon s’étaient désolidarisés très vite – avait suscité la « stupeur » de la Conférence des présidents d’université qui avaient dénoncé les « représentations caricaturales » et « arguties de café du commerce » de Mme Vidal. Censé être mandaté pour mener cette enquête, le centre national de la recherche scientifique (CNRS) avait lui insisté sur le fait que le terme d’« islamo-gauchisme » « ne correspond[ait] à aucune réalité scientifique », regrettant une « polémique emblématique d’une instrumentalisation de la science ».

    (#paywall)

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/29/enquete-sur-l-islamo-gauchisme-a-l-universite-histoire-d-une-vraie-fausse-an
    #Vidal #Frédérique_Vidal #ESR #enseignement_supérieur #France

    –-

    L’historique de cette affaire :
    https://seenthis.net/messages/902062

    • « Déclaration d’intention »

      Ces propos de la ministre – dans la lignée de ceux de son collègue Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l’éducation nationale, qui, dès octobre 2020, avait dénoncé les « ravages à l’université » de l’« islamo-gauchisme » – relevaient finalement du registre exclusif de la communication et de la fausse nouvelle. C’est ce que révèle le ministère de l’enseignement supérieur lui-même, dans un document daté du 17 mars dont Le Monde a eu copie.
      Il s’agit d’un mémoire en défense adressé au tribunal administratif de Paris, à qui le Conseil d’Etat avait transmis, il y a bientôt deux ans, la requête de six enseignants-chercheurs : les sociologues Nacira Guénif, Caroline Ibos, Gaël Pasquier, la géographe Anne-Laure Amilhat Szary, l’historienne Fanny Gallot et le politiste Fabien Jobard, en avril 2021, avaient déposé un recours contre Mme Vidal, l’accusant d’« abus de pouvoir ».

      Dans ce document, et en vue de démontrer, à son sens, l’irrecevabilité de la démarche des requérants, la direction des affaires juridiques du ministère explique tout simplement que « les propos de la ministre, qui nécessitaient d’être concrétisés par une décision ultérieure adressée à un service afin de le saisir de la réalisation d’une enquête, n’ont été suivis d’aucune demande adressée en ce sens au Centre national de la recherche scientifique, ni à tout autre établissement sous tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, regroupement d’organismes de recherche ou service d’inspection ».

      Le ministère en conclut que « dans ces conditions, la demande d’enquête se réduisant à une déclaration d’intention et n’ayant pas été formalisée, et par suite aucune enquête n’ayant été diligentée ni aucun rapport d’enquête rédigé, les conclusions à fin d’annulation de la “décision” du 14 février 2021 ne sont pas dirigées contre un acte faisant grief et sont, par suite, irrecevables ». Contactée mercredi 29 mars, Frédérique Vidal n’a pas souhaité apporter de commentaires.

      « Totale irresponsabilité politique »

      Pour William Bourdon et Vincent Brengarth, avocats des six enseignants-chercheurs, « l’aveu obtenu du gouvernement quant à l’absence d’enquête révèle une totale irresponsabilité politique et juridique ». Ils rappellent combien cette annonce a entretenu « un climat d’intimidation au sein du monde universitaire et dissuadé des études ». « Elle a aussi légitimité intentionnellement le terme d’“islamo-gauchisme” et amplifié les discours de haine », soulignent-ils.
      Si, formellement, l’affaire est close, l’onde de choc qui a traversé le monde universitaire est toujours présente. Dans une tribune au Monde, mercredi 29 mars, les requérants auxquels s’est adjoint le sociologue Eric Fassin, affirment que « plus que jamais, les femmes et les minorités sexuelles et raciales doivent montrer patte blanche » depuis lors. Car « c’est sur elles que pèsent au premier chef le soupçon idéologique et donc l’injonction de neutralité ».

      En résultent sur le terrain universitaire « des orientations de la recherche abandonnées, des vocations découragées, des thèses qui ne verront pas le jour, des articles et des livres qui ne seront pas publiés, des financements pas attribués, des postes pas créés », détaillent-ils.
      Ce dénouement révèle une « parole politique irresponsable ». S’il a fallu un recours devant le Conseil d’Etat et deux ans d’attente pour que le ministère de l’enseignement supérieur fournisse cette réponse – sans la rendre publique –, « c’est qu’il s’agit d’une politique d’intimidation visant à décourager l’exercice des savoirs critiques en encourageant leurs adversaires, dans et hors du monde académique », estiment les auteurs.

      Lire aussi :
      « Islamo-gauchisme » à l’université : la ministre Frédérique Vidal accusée d’abus de pouvoir devant le Conseil d’Etat
      « L’enquête sur “l’islamo-gauchisme” à l’université n’aura pas lieu et n’avait pas lieu d’être »

    • conclusions :
      – objectif atteint par Vidal, et effets durables
      – confirmation que cette technique particulière de terrorisme intellectuel fonctionne à merveille à la fac, et présente peu de risque judiciaires
      – erreur de cible pour les plaignants ; fallait pas attaquer en abus de pouvoir

      Vidal est elle attaquable pour fake news, avec la nouvelle loi ?
      Des mesures correctives ont-elle été requises auprès de la nouvelle ministre ?

  • #Sainte-Soline : Gérald Darmaninonvavoirdesscènesdeviolenceautresquecellesoùfigurentnospoliciersdontonnoussaouledepuisdesjoursmoijevousledit annonce engager la #dissolution du collectif écologiste Les #Soulèvements_de_la_Terre
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/28/sainte-soline-gerald-darmanin-annonce-vouloir-dissoudre-le-collectif-ecologi

    Le ministre a annoncé avoir demandé « deux rapports », l’un à la préfète des Deux-Sèvres et l’autre au directeur général de la gendarmerie nationale, sur les événements de Sainte-Soline. Ces deux rapports, a-t-il dit, seront mis « en ligne dans l’après-midi sur le site du ministère de l’intérieur ». « Le gouvernement n’a rien à cacher », a-t-il assuré.

    Selon une note du ministère datée de mardi, Soulèvements de la terre (SLT) « incite et participe à la commission de sabotages et dégradations matérielles ». Créé en 2021 par des « membres de l’ultragauche issue de l’ex-#ZAD [zone à défendre] de Notre-Dame-des-Landes » en Loire-Atlantique, SLT a « créé le concept de “#désarmement ” destiné à faire accepter la pratique de l’écosabotages », selon la note.

    En octobre 2022, lors d’une première manifestation contre les mégabassines à Sainte-Soline, Gérald Darmanin avait fustigé « l’#écoterrorisme » des auteurs de violence.

    edit ce qui se soulève ne se laisse pas dissoudre

    #soulèvement #gouvernement #décret #police

  • La Cour de cassation confirme le refus d’extrader dix militants italiens d’extrême gauche
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/28/la-cour-de-cassation-confirme-le-refus-d-extrader-dix-militants-italiens-d-e

    La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire valide ainsi définitivement la décision de la cour d’appel de Paris, qui s’était opposée en juin 2022 à la remise à l’Italie de ces deux femmes et huit hommes.

    #extradition

  • Retraites : ce que révèlent les comptes-rendus d’opération des CRS sur les heurts à Nantes, Rennes, Bordeaux ou Toulouse

    Lors de la manifestation contre la réforme des retraites, à Nantes, le 23 mars 2023. STEPHANE MAHE / REUTERS

    Des documents confidentiels consultés par « Le Monde » révèlent l’intensité du maintien de l’ordre en province lors de la neuvième journée de mobilisation, jeudi 23 mars, où plusieurs compagnies ont été sérieusement prises à partie.
    Par Antoine Albertini

    Quatre cent quarante et un policiers et gendarmes blessés au cours de la seule journée du jeudi 23 mars, à l’occasion de la neuvième journée de mobilisation interprofessionnelle contre la réforme des retraites : vendredi matin, au lendemain d’affrontements sans équivalent depuis les manifestations de « gilets jaunes », le ministre de l’intérieur a admis un bilan « effectivement difficile » sur le plateau de CNews, faisant état de « 1 500 black blocs venus casser du flic » à Paris. Si la capitale, avec 105 fonctionnaires touchés, a concentré près du quart des effectifs blessés, les forces de l’ordre ont été sérieusement bousculées dans plusieurs villes de province, comme en témoignent les « Septimo » consultés par Le Monde.
    Dans ces journaux de marche, chaque unité de CRS décrit le déroulement des opérations de maintien de l’ordre, à la minute près, et recense non seulement le nombre de blessés dans ses rangs, mais aussi celui des munitions tirées. Tous ces documents décrivent une situation très dégradée, marquée par des heurts continuels sitôt après la dispersion des cortèges officiels – et, parfois, pendant la progression des manifestants.
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés Quand une équipe des BRAV-M dérape au cours d’une interpellation : « Je peux te dire qu’on en a cassé, des coudes et des gueules »
    Le compte rendu de la CRS 22 de Périgueux, à Nantes, illustre la violence des affrontements entre les forces de l’ordre et, estime le document, huit cents individus appartenant à la mouvance d’« ultragauche » – dont deux cents black blocs. Il explique aussi le lourd bilan essuyé par cette unité : trente contusionnés et blessés, dont huit transportés au CHU de l’Hôtel-Dieu, l’un d’eux devant subir une intervention chirurgicale en urgence pour une plaie ouverte à la main.
    Barrages, poubelles, mortiers
    Jeudi, peu avant midi, et alors que les policiers sont déployés à Nantes depuis moins de deux heures, un « groupe à risque » commence à les prendre à partie. Mobiles et organisés, les émeutiers multiplient jets de projectiles, barrages et incendies de poubelles ou de palettes, tirs de mortiers d’artifice et jet d’au moins un cocktail Molotov. Une heure plus tard, alors que les incidents se poursuivent, les CRS vont se retrouver en sérieuse difficulté : ils doivent obéir à l’ordre de se replier vers une position très défavorable à proximité du quai Turenne, où des manifestants, disposés en surplomb, les assaillent sous un « déluge de projectiles ».
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés La gestion du maintien de l’ordre se durcit face à la multiplication des manifestations spontanées
    « Acculée », l’unité doit procéder à des tirs de grenades à très courte distance pour espérer se dégager puis se retrouve contrainte d’« opérer repli » sur le parking du CHU, une position de nouveau « très défavorable » où elle est encore prise à partie avant de parvenir à s’extraire du guêpier. Sans discontinuer, les affrontements se poursuivront pendant de longues heures, jusqu’au début de la soirée, où les responsables de la CRS 22 dressent le lourd bilan.
    Avec une partie de la CRS 15 de Béthune, elle aussi engagée à Nantes, la CRS 22 a tiré un nombre impressionnant de munitions : plus de 450 grenades de tous types et 72 grenades de désencerclement, des engins généralement réservés aux cas les plus extrêmes du maintien de l’ordre. Preuve de consignes destinées à limiter drastiquement l’emploi des LBD (lanceur de balles de défense), mis en cause dans la totalité des cas d’éborgnement, seuls cinq tirs de cette arme ont été appliqués.
    « Manifestants cagoulés »
    Moins exposées, les CRS 14 de Cenon (Gironde) et 20 de Limoges (Haute-Vienne), mobilisées à Bordeaux, ont aussi connu une journée intense, entre démantèlement de barricades érigées par les manifestants tout au long du cours Pasteur et « multiples jets de bouteilles en verre » ou de mortiers d’artifice, de pavés descellés de la place de la Victoire, sans compter des mises à feu de poubelles et des incendies qui se propageront à plusieurs véhicules. Eux aussi organisés, des dizaines de « manifestants cagoulés » sont même parvenus à tendre une corde dissimulée « au milieu d’encombrants et de détritus » sur toute la largeur d’une artère dans le but, décrypte le compte rendu, de « déclencher un bond offensif pour ensuite faire trébucher la première ligne des boucliers après les avoir attirés par provocation ». Bilan : deux blessés et dix contusionnés, trois personnes interpellées.
    A Toulouse, où les heurts se sont intensifiés à la fin de l’après-midi, la CRS 24 de Bon-Encontre (Lot-et-Garonne), a dû prendre en charge un black bloc pour une gêne respiratoire, avant que le commandant de l’unité ne perde brièvement conscience à la suite d’un jet de pavé sur son casque. Les policiers, qui ont tiré 115 grenades lacrymogènes et 9 grenades de désencerclement, comptent 1 blessé et 12 contusionnés.

    Écouter aussi Violences policières : une histoire du maintien de l’ordre « à la française »
    A Rennes enfin, la CRS 42 a dû faire face à « 1 000 manifestants radicaux dont 200 cagoulés ». Scénario identique : barricades, jets de pavés, véhicules caillassés et même des heurts entre les ouvriers d’un chantier situé quai Chateaubriand, sur les bords de la Vilaine, et les manifestants qui y font irruption peu avant 13 heures « afin de se réapprovisionner en barrières et en projectiles ». A 14 h 14, moins de deux heures après le début des échauffourées, 30 % du stock de grenades de l’unité est déjà consommé et un « recomplètement » est demandé par radio. Les incidents ne prendront fin qu’aux alentours de 17 heures.
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/25/retraites-les-crs-eprouves-apres-une-journee-noire-a-nantes-rennes-bordeaux-

    le sinistre de l’intérieur a revendiqué l’utilisation de 4000 grenades de désencerclement à Sainte-Soline.

    Edit le pointeur de l’intérieur semble avoir exagéré, ce serait 4000 grenades de toute sortes qui auraient été employées.
    La veille de la manif, il annonçait que « les Français vont voir ce week-end de nouvelles images extrêmement violentes », évoquant des activistes prêts à tuer du flic, ce qui fixait le cadre dans lequel allait s’exercer le maintien de l’ordre...

    #CRS #journaux_de_marche #police #manifestations

  • « Le nombre d’illégalités commises par les policiers est énorme, quasiment toutes les règles du maintien de l’ordre ont été violées : proportionnalité de la force, absolue nécessité de la force, usage des nasses, gazage des personnes, non-port du référentiel des identités et de l’organisation (RIO, le matricule de sept chiffres qui identifie les policiers), tutoiement, insultes, privation de liberté etc. »
    Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS.
    https://m.youtube.com/watch?v=ALlVdbjoack

    • Sebastian Roché :
      Quand aux interpellations : "Visiblement, la police ne parvient pas à interpeller ceux qui cassent », conclut ce magistrat". L’accès est gratuit ici
      https://www.mediapart.fr/journal/france/240323/la-repression-du-mouvement-social-cree-un-malaise-y-compris-chez-les-magis

      « Nous souhaitons vous faire part ce jour de notre profonde préoccupation quant aux enjeux d’importance auxquels la justice, et plus particulièrement le tribunal de Paris, est confrontée dans le cadre de la contestation sociale de la réforme des retraites qui se traduit depuis plusieurs jours par des manifestations et des rassemblements spontanés, notamment à Paris », écrit le SM.

      « Nous ne pouvons en effet que constater, au vu des comptes-rendus journalistiques associés aux vidéos enregistrées en temps réel par les personnes présentes, et déplorer, que ces manifestations font l’objet de pratiques de maintien de l’ordre qui interrogent très fortement quant à leur légalité, et à une instrumentalisation de la mesure de privation de liberté que constitue la garde à vue à des seules fins de maintien de l’ordre », poursuit le syndicat de magistrat·es.

      « Le caractère abusif de l’usage de la garde à vue, ayant visiblement comme seul but d’écarter temporairement les manifestants du lieu de manifestation, ressort avec évidence du décalage entre le nombre massif de mesures de garde à vue et le nombre restreint de suites judiciaires données à ces mesures [...]. [La presse] se fait l’écho, avec les réseaux sociaux, de comportements violents de membres de forces de l’ordre vis-à-vis de manifestants ou de personnes présentes sur les lieux, comportements qui ne peuvent que fortement interroger. »

      Les magistrates et magistrats du SM parisien saluent « la vigilance et l’implication » de leurs collègues parquetiers qui « veillent à la protection des libertés individuelles et au respect des règles de procédure, en procédant au “tri” ci-dessus évoqué, essentiel en ces circonstances ». Mais ils ajoutent ceci :

      « Si ce contrôle a posteriori est primordial, il nous semble qu’il serait tout aussi impératif que l’autorité judiciaire que vous représentez, madame la procureure, puisse rappeler aux responsables de la politique de maintien de l’ordre que la privation de liberté que constitue la garde à vue n’est utilisable que dans le respect des critères strictement définis par la loi, à savoir pour les strictes nécessités des enquêtes portant sur des infractions constatées, et en tout état de cause pas aux seules fins de mise à l’écart. »

      Il serait impératif que l’autorité judiciaire puisse rappeler, aux responsables de la politique de maintien de l’ordre, que la privation de liberté que constitue la garde à vue n’est utilisable que dans le respect des critères strictement définis par la loi.

      Le Syndicat de la magistrature

    • Une police, en démocratie, est une organisation formée de professionnels qui répondent à des règles de droit, et qui font l’objet d’un contrôle effectif, transparent et impartial. Aucune de ces conditions ne sont réunies en France. Voyons ça dans l’ordre.

      D’abord, les violations multiples des lois par les policières ne peuvent pas être traitées par l’organe qui est chargé de la détection de infractions, le procureur, cf. l’article de médiapart sur l’inertie des procureurs.

      Ensuite parce que l’organe de contrôle interne l’IGPN n’a pas l’indépendance, et donc par voie de conséquence l’impartialité nécessaire. Ses responsables sont en effets plutôt satisfaites du travail réalisé, par exemple, Brigitte Julien https://twitter.com/Vins37193/status/1640040381617172491?s=20

      Mais encore Agnès Thibault-Lecuivre qui nous dit en substance que l’IGPN travaille très bien et qu’on ne saurait en douter. Très 19eme siècle. Hélas 3 x hélas…

      Quelle preuves de la qualités des enquêtes ? Quelle redevabilité vis-à-vis du public de l’IGPN ? Quelle transparence et accès aux données par les journalistes et les chercheurs pour le vérifier ? Hélas, 3 x hélas...

      La défenseur des droits, quant à elle, ne s’est jamais vu attribuer les moyens de réaliser sa mission constitutionnelle. La régulation de la police française est à revoir profondément, et l’auto-satisfaction ne promet rien de bon. Mais sinon, tout est cool
      https://t.co/PmYFcgbuxF https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/23/sebastian-roche-en-matiere-de-controle-externe-de-la-police-la-france-est-un

      La police française fait face à une des plus graves crises de régulation de son histoire, non pas parce qu’elle a commis des fautes graves et répétées, mais parce que les responsables politiques n’ont rien fait pour les corriger des faiblesses qui sont, depuis longtemps, connues

      Je précise que les développements au dessus ne concernent pas la professionnalisation (selection, formation) qui mériterait un examen à part, mais la régulation.

      https://twitter.com/sebastianjroche/status/1640049519072083974

  • Quand une équipe des BRAV-M dérape au cours d’une interpellation : « Je peux te dire qu’on en a cassé, des coudes et des gueules »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/24/je-peux-te-dire-qu-on-en-a-casse-des-coudes-et-des-gueules-quand-la-brav-m-d

    La séquence dure plus de vingt minutes, enregistrée discrètement par un membre d’un groupe de sept personnes interpellées, lundi 20 mars, à l’angle des rues des Minimes et du Béarn, dans le 3e arrondissement de Paris. Entre commentaires à caractère sexuel, gifles, menaces et vantardises, ce document sonore, que Le Monde a pu authentifier, jette une lumière crue sur le comportement de fonctionnaires en contradiction totale avec les règles déontologiques autant qu’avec la loi.

    #paywall

  • La deuxième partie de la machine à broyer du manifestant se met en place. Le fait est que 300 interpellés qui ne donnent que 9 poursuites en justice, ça se voit. Il faut que ça ne se voit plus : faudrait voir à ce que la justice soutienne l’enthousiasme policier à « faire du chiffre ».

    Réforme des retraites : Éric Dupond-Moretti appelle les procureurs à la fermeté
    https://www.lefigaro.fr/actualite-france/reforme-des-retraites-xavier-dupond-moretti-appelle-les-procureurs-a-la-fer

    Le ministre de la Justice Éric Dupond-Moretti a demandé « une réponse pénale systématique et rapide » à l’encontre des personnes interpellées en marge des rassemblements contre la réforme des retraites pour « troubles graves à l’ordre public », « atteintes aux personnes et aux biens » et « actes d’intimidation et menaces contre les élus ».

    • chalut, et dislocation https://seenthis.net/messages/995203
      pour l’instant le principal souci est en amont de la justice, rafler, ça marche, cogner sans même arrêter, ça va, mais ficeler un minimum les dossiers qui permettraient condamnations fait moins kiffer les condés, ils baclent. ils baclent, eux aussi n’aiment de leur travail que ce qui leur permet de vivre le plus libres possible (on veut bien faire du chiffre, à condition d’éclater de la gauchiasse, du rouge et et du cassos), alors que les alternatives économiques habituelles sont disponibles (par exemple mettre en cause pour rébellion ne serait-ce que 5 à 10% des manifestants qu’on aura préalablement cognés). là aussi la fascisation est à l’oeuvre : ça parie que la crise de régime débouchera sur une politique toujours plus sécuritaire (pestilent promet de nous sauver du chaos), ou, mieux encore, sur une version plus explicitement néofasciste, coalition avec du RN dedans, ou RN et quelques satellisés. Toutes les composantes de la société jouent leurs cartes dans la partie en cours (on a même vu hier la CGT spectacle intervenir en nombre au théâtre de la Ville).

      « J’ai l’impression que mon arrestation est politique » : au tribunal de Paris, une barricade en feu, un dossier vide, une relaxe
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/23/j-ai-l-impression-que-mon-arrestation-est-politique-au-tribunal-de-paris-une

      Six prévenus pour 234 interpellés : traduction en chiffres de ce qu’une avocate impliquée dans ces dossiers, pour définir la stratégie des forces de l’ordre les soirs de contestation, a qualifié de « pêche au chalut ».

      A leur demande, ou faute de temps, cinq des six prévenus ont vu leur procès pour « dégradation ou détérioration du bien d’autrui par un moyen dangereux pour les personnes » renvoyé à fin avril, et ont été relâchés, après quarante-huit heures de garde à vue. Seul Clément Q., dans son jogging rouge à bandes blanches, a comparu. Ce Chambérien de 25 ans, qui suit une formation de couvreur, est accusé d’avoir confectionné une barricade à l’aide des déchets qui s’amoncellent sur les trottoirs parisiens en raison de la grève des éboueurs, et d’y avoir mis le feu. Il a été interpellé quelques hectomètres plus loin, place de la Bastille, alors qu’il rentrait chez lui. Le policier qui l’a arrêté affirme l’avoir reconnu grâce à son jogging.

      Voilà les faits exposés par la présidente du tribunal en trente secondes chrono – « Ça va être extrêmement rapide, j’ai dit tout ce que j’avais comme éléments ». Le garçon nie. La présidente, visiblement perplexe devant la maigreur du dossier, n’insiste pas. La procureure évoque avec autant de conviction que possible une fiche d’interpellation « précise » et une infraction « parfaitement caractérisée », puis requiert huit mois avec sursis, « une peine d’avertissement », car « même si c’est pour manifester ses idées, la société ne peut tolérer qu’on mette en danger des personnes » [poubelles].

      « Ici, c’est un tribunal, pas une tribune politique »

      L’avocate du prévenu plaide sur du velours contre un dossier « largement insuffisant » et des éléments à charge « infiniment faibles, voire honteux ». Elle confesse avoir imaginé, en découvrant le jogging rouge vif de son client en garde à vue, que la vidéosurveillance lui serait fatale, puis lit le procès-verbal d’exploitation vidéo : « Constatons la présence de plusieurs individus en train de construire une barricade. Ne constatons pas la présence du mis en cause concernant la présente procédure. » On n’a retrouvé sur le jeune homme ni gant, ni casque, ni cagoule, ni trace de brûlure. Tout juste un briquet. « Monsieur, comme beaucoup de Français, fume », dit l’avocate.
      « Pourquoi deux jours de garde à vue et une comparution pour quelque chose d’aussi fragile ?, demande-t-elle. On a du mal à comprendre. » Son propos devient alors politique, elle dénonce « l’instrumentalisation des interpellations par l’exécutif, qui ne s’en cache pas », appelle le tribunal, « garant des libertés fondamentales », à y « mettre un stop », et cite l’avocat et écrivain François Sureau : « Il ne reste rien de la liberté de manifester si le gouvernement peut choisir ses opposants. »

      « Voulez-vous ajouter quelque chose pour votre défense ?, demande la présidente.
      On continuera à se mobiliser contre cette réforme et contre le gouvernement, malgré la répression, répond, placide, le prévenu.

      Ici, c’est un tribunal correctionnel qui juge des délits, ce n’est pas une tribune politique.
      – J’ai l’impression que mon arrestation est politique, donc je tenais à le préciser. 
       »
      Clément Q. a été relaxé. Il n’existe, a lu la présidente, toujours aussi expéditive, « pas suffisamment d’éléments pour prouver qu’il a mis le feu à la barricade ».

      ben oui, c’est compliqué de prélever ce qui permet d’entrer en voie de condamnation dans une telle masse de comportements politiquement prohibés (cf. Darmanin déclarant faussement que ce serait un délit de participer à une manifestation non déclarée). et puis bon, le continuum des illégalismes est si vaste, si peuplé - de qui marche dans la rue, fuit la police, allume un feu de poubelle peut-on déjà faire un exemple quand des centaines, des dizaines de milliers de personnes se comportent de la sorte ? et comment y arriver lorsque comme hier des ouvriers commettent bien plus de dégâts que des manifestants qui si ils sabotent l’aspect et la réputation de villes entreprises cassent en réalité au mieux quelques dizaines de vitrines ?

      on a tort de dire que de Lallement à Nunez il n’y a pas eu de changement, la doctrine aller au contact reste, mais tactiquement elle est fortement démilitarisée (« On a été entraînés pour la “percussion” » https://seenthis.net/messages/995267), ça a rendu le tri des judiciarisables moins facile. nul doute que la répression doit changer de pied, la prédation policière se renforcer. prévenir, faire peur, terroriser, ça commence par ne plus se priver d’un organe policier vital, la justice. c’est dès aujourd’hui, et plus probablement ce soir, qu’on va découvrir de quels moyens ils se dotent pour ferrer le poisson. on le verra dès demain dans comparutions immédiates des TGI

      #justice #police #maintien_de_l'ordre #fascisation

    • Mathilde Panot @MathildePanot
      https://twitter.com/MathildePanot/status/1638954744159805472

      Cette « dépêche » interne du ministre
      @E_DupondM adressée aux procureurs vise à entraver la liberté de manifester ⤵️

      Manifester est un droit fondamental.

      Je saisis le Conseil d’État.

      (sinon, la police est bien larguée dans plusieurs villes, à la fois brutale et contrainte à la défensive, commissariat et préfecture brulés à Lorient, Paris ingouvernable, etc., et a beaucoup plus utilisé les grandes de désencerclement et LBD)

  • Un long reportage illustré (à lire sur le site du Monde pour accéder à toutes les photos) qui rend bien compte des spécificités de la justice (post-)coloniale, jusqu’à nos jours, en Polynésie française. L’auteur minore cependant les violences, a minima symboliques, liées à l’entrée en vigueur d’un système juridique importé.

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/17/en-polynesie-des-magistrats-nomades-apportent-un-peu-de-republique-au-bout-d

    En Polynésie, des magistrats nomades apportent un peu de République au bout du monde
    Par Franck Johannès, 17 mars 2023 à 05h30, mis à jour à 10h42

    Dans l’archipel, seules trois des cent dix-huit îles disposent de tribunaux. Pour les autres, des « juges forains » passent tous les deux ou trois ans pour trancher les litiges ou prononcer les divorces. Sur place, l’attente est forte, le choc culturel aussi.

    Ils sont déjà tous là, parfois depuis des heures. Des femmes avec une couronne de fleurs sur le chapeau et un éventail à la main, des hommes en bermuda, taillés comme des rugbymen des Fidji mais un peu intimidés, des vieux qui devisent à voix basse, à patienter dans la moiteur de la grande salle de la mairie. Ils ont lu depuis des jours l’affichette placardée à l’entrée, en français et en tahitien : « Avis à la population : la justice foraine informe qu’une mission est programmée sur l’île de Rurutu les mercredi 22, jeudi 23 et vendredi 24 février. » L’attente est forte : la dernière fois que la justice a débarqué sur l’île, c’était en 2021, et il faudra attendre de nouveau deux ans pour la revoir.

    Le juge forain qui descend de l’avion, c’est lui : Gérard Joly, 62 ans, les traits un peu tirés après s’être levé à 4 heures du matin à Tahiti, pour les trois journées d’audience, de douze heures chacune, prévues dans cette île perdue au milieu du Pacifique. Suivi par Christophe Lai Kui Hun, son fidèle greffier, qui traîne une pile de dossiers et une imprimante dans une glacière, et par Teana Gooding, l’interprète, qui rit encore plus souvent qu’elle ne parle.

    Un juge forain n’est pas un juge qui fait la foire ; c’est un juge nomade qui tient audience dans une île qui n’a pas de tribunal. C’est-à-dire, en Polynésie, toutes les 118 îles, sauf trois, dont Tahiti – le mot « forain » désigne à l’origine celui qui exerce son activité dans les marchés et les foires, et ce magistrat du bout du monde apporte avec lui un peu de la République, non sans difficulté. Gérard Joly, qui a été juge des enfants en métropole pendant dix-huit ans, a été affecté en Polynésie en septembre 2006, préside le tribunal du travail (les prud’hommes) à Papeete, et est aussi chargé de la justice foraine depuis sept ans.

    Rurutu est son dernier voyage. La tâche est passionnante mais épuisante. Il s’agit d’organiser des tournées pour desservir des archipels noyés dans une surface grande comme l’Europe, soit par des vols réguliers lorsqu’ils existent, comme à Rurutu, à un peu moins de 600 kilomètres de Tahiti ; soit par un vol privé avec les services administratifs de la Polynésie française ; soit encore par catamaran, sur un océan souvent houleux, pour aborder quatre ou cinq îles d’un coup en une semaine. Les îles Tuamotu, qui voyaient auparavant un juge tous les dix ans, peuvent espérer désormais faire trancher leurs litiges tous les trois à cinq ans. Aller jusqu’au tribunal de Papeete est, pour les habitants de ces îles, financièrement hors de question.

    « Vous avez tous le même nom ? »

    Des litiges, il y en a de plus en plus, et un juge forain unique, à l’évidence, ne suffit pas : il y avait, dans les archipels des Australes, des Tuamotu et des Gambier, 28 affaires foncières à juger en 2012, contre 101 en 2022, avec un stock de 261 cas encore à traiter. On comptait 65 dossiers aux affaires familiales en 2012, et 182 dix ans plus tard, sans compter les commissions rogatoires d’un juge de Papeete à exécuter, et les 123 affaires de délinquance à examiner sur place. Le juge forain est ainsi juge foncier, juge pénal, juge des affaires familiales, il prononce ici un divorce, là une adoption, voire un changement de sexe, et il a intérêt à avoir un solide greffier pour tenir les procédures – c’est le cas.

    Gérard Joly passe désormais le témoin à Laetitia Ellul, fine spécialiste du droit foncier. « Je suis le juge forain, les gens pensent que je m’appelle Forain ! s’amuse le magistrat. Et quand je dis que c’est maintenant Laetitia le juge forain, on me dit : “Ah bon ? Vous avez tous le même nom ?” » Dans le doute, tout le monde l’appelle Gérard.

    Le problème majeur, à Rurutu, ce sont les « affaires de terre », la propriété foncière. Cette île des Australes a en effet été un peu oubliée par la France. Le petit royaume est tombé sous protectorat français en 1889, avant d’être annexé en 1900. « Les lois françaises sont trop compliquées pour vous, vous ne pourriez pas les comprendre, avait paternellement assuré le gouverneur lors de l’annexion. Gardez vos lois et restez les chefs de vos îles. » Ainsi, pour l’administration coloniale, il ne s’est rien passé à Rurutu avant 1946, où la loi française s’est appliquée lorsque la Polynésie est devenue un territoire d’outre-mer.

    Sur l’île, on produit alors un café renommé, un peu de coprah, les femmes tissent la fibre de pandan pour en faire une vannerie réputée, les hommes pêchent et cultivent le taro, un tubercule qui tient à la fois de la pomme de terre et du navet. Sans se douter un instant qu’ils sont sur des terres qui ne leur appartiennent pas, faute du moindre titre de propriété. Arrive alors, au début des années 1950, Eric de Bisschop, un navigateur français, ancien consul pétainiste à Honolulu, mais qui a eu la bonne fortune d’épouser la fille d’un chef influent à Rurutu. La France le charge d’établir le cadastre de l’île, tâche immense dont il s’est fort bien acquitté jusqu’en 1953 (avant de périr sottement en mer, en 1958).

    Les surprises du cadastre

    Bisschop, improvisé géomètre, a fait noter, après de longues palabres, les noms et les ascendants des occupants des terres, de leurs voisins, de témoins, dans chaque parcelle, et a établi des « procès-verbaux de bornage », aujourd’hui précieux puisque ce sont les seules pièces officielles sur lesquelles s’appuyer. Le cadastre existe donc, mais toujours pas les titres de propriété, et les habitants de Rurutu ont découvert avec surprise que le champ de taro qu’ils cultivaient depuis trois générations ne leur appartenait pas : toutes les terres sont, par défaut, la propriété de l’Etat, et aujourd’hui de la Polynésie française. Il s’agit désormais de les redistribuer. Ce n’est pas une mince affaire.

    Une loi du territoire, qui court jusqu’en 2025, autorise cette redistribution : l’habitant de Rurutu qui s’estime propriétaire fait une déclaration auprès de la direction des affaires foncières, à Papeete, en justifiant, grâce aux fameux procès-verbaux de bornage, que sa famille y vit depuis des générations – Gérard Joly n’est pas pour rien dans la mise en œuvre, au fil des années, de cette jurisprudence. On vérifie sur place : si c’est bien le cas, la terre est au requérant ; si la propriété est contestée, l’affaire est renvoyée devant le tribunal, qui tranche l’imbroglio du supposé ayant droit. Pour pimenter la chose, les terres sont en indivision, et il faut ensuite départager les dizaines de lointains cousins qui ont un ancêtre commun mentionné sur le procès-verbal de bornage…

    Les affaires de terre mobilisent ainsi l’essentiel de la justice foraine. La nouvelle présidente, Laetitia Ellul, ouvre l’audience, et explique qu’elle remplace Gérard, lequel papote avec de vieilles connaissances. Elle siège, en civil, à côté du greffier, derrière une table recouverte d’une grande nappe rouge et or dans la salle de la mairie, où des ventilateurs s’efforcent de faire croire qu’ils apportent un peu de fraîcheur. Ambiance bon enfant, un peu surprenante : la juge tutoie les demandeurs. « Oui, c’est étrange vu de Paris, explique Gérard Joly, mais en tahitien le “vous” n’existe pas. Lorsqu’on vouvoie quelqu’un, il se demande à qui d’autre on s’adresse. Et le vouvoiement est vécu comme une distance affichée par les popa’a, les Blancs. On s’y fait, finalement. »

    L’ancien maire de Rurutu, Taratiera Tepa, revendique trois parcelles. Il a fait venir ses témoins, qui décrivent minutieusement les terrains et ce qui pousse dessus, assurent qu’il n’y a que la famille de l’ancien maire qui l’occupe. La présidente Ellul, procès-verbal de bornage dans une main, cadastre dans l’autre, instruit le dossier, fait noter les déclarations. Elle ira le lendemain sur place, grimper dans la montagne et patauger dans les ruisseaux, pour faire un PV de constat, évaluer l’âge des bananiers ou des avocatiers qu’on dit avoir été plantés par un ancêtre – car « la propriété se prouve par tout moyen », énonce le code civil. Chaque partie devrait ensuite résumer ses arguments par écrit, et le tribunal foncier de Papeete, où elle siège, tranchera. « Moi, je me débrouille tout seul, sans avocat, dit Taratiera Tepa, mais c’est long et compliqué, et ça coûte cher, il faut aller à Papeete. L’administration devrait prendre en charge les frais, ce n’est pas normal que ce soit la population qui supporte ça pour récupérer sa terre. »

    Justiciables intimidés

    Les dossiers se succèdent et se ressemblent, sous l’œil imperturbable de Pito, le policier municipal, un géant qui assure le service d’ordre et est aussi chauffeur et pourvoyeur de café. « Est-ce qu’on doit évacuer ma tante handicapée qui vit là depuis trente ans ? », s’indigne un demandeur. Laetitia Ellul le rassure : « Je ne pense pas que le haut-commissaire fasse intervenir la police pour chasser madame. On est en pleine phase d’instruction, chacun doit dire ce qu’il pense, et après je conclurai le dossier. » Teana, l’interprète, traduit le plus simplement possible le jargon juridique ; c’est difficile, d’autant que le rurutu n’est pas tout à fait du tahitien. « Ici, ils n’ont pas les “f” et les “h”, explique la jeune femme, et souvent cela ressemble à du vieux tahitien. » Christophe, le greffier polynésien, intervient souvent pour expliquer un point obscur ou rappeler que « l’audience, c’est le moment privilégié pour parler avec le juge » – il est souvent plus facile de ne pas s’adresser directement au magistrat, même si Laetitia déploie des trésors de patience et de pédagogie.

    Le choc culturel est tout de même violent. « La langue de la République est le français », dit la Constitution, mais personne sur l’île ne pense sérieusement que Rurutu soit la France, même si ses habitants en ont la nationalité. Et la culture locale est de tradition orale, alors que la procédure française multiplie les écrits, les requêtes, les conclusions. Le code civil polynésien a certes été profondément aménagé, mais « il s’agit d’une justice étrangère, a relevé Natacha Gagné, ethnologue à l’université Laval de Québec, qui a enquêté sur place : c’est celle des farani [les Français], c’est-à-dire la justice du colonisateur », qui engendre « des rapports fortement asymétriques » intimidant nécessairement les justiciables, et « sources de malaise ».

    C’est encore plus vrai pour la justice pénale, parfaitement conforme au droit de la métropole – et la mairie ressemble cette fois à un tribunal. Gérard Joly prend l’audience, en robe, pour la journée, avec deux assesseurs. Deux avocats commis d’office sont venus de Papeete avec une envoyée impromptue du parquet général, qui remplace l’habituelle magistrate, rompue, elle, aux coutumes des îles. On juge Edwin R., trésorier de l’Eglise protestante locale, qui a subtilisé 10 millions de francs Pacifique (CFP, soit 84 000 euros) en dix-neuf ans. L’Eglise ne s’est pas portée partie civile et fait son possible « pour qu’on ne mette pas son nez dans ses affaires », constate le juge. L’affaire est confuse, et le prévenu, qui assure qu’il rembourse 10 000 CFP par mois, est bien incapable de le prouver, son avocat n’ayant même pas pensé à lui demander des traces de chèques ou de virements. Le ministère public réclame une peine de six mois avec sursis : il prend un an avec sursis et 150 000 CFP d’amende.

    Dans la seconde affaire, Tibere M. a agressé sexuellement l’infirmière venue soigner sa vieille maman, et la soignante a porté plainte. Le parquet réclame son incarcération à Tahiti – il n’y a pas de prison à Rurutu – et de six à huit mois ferme ; il est finalement condamné à deux ans avec sursis et obligation de soins – obligation assez formelle, même si un psychologue passe de temps à autre sur l’île. En juge unique pour des affaires moins lourdes, le président Joly examine quatorze autres dossiers : bagarres, violences intrafamiliales pour la plupart, conduite en état d’ivresse, problèmes tumultueux de voisinage… Il distribue des mois de prison avec sursis, de petites amendes et, autant que possible, des travaux d’intérêt général – sur l’île, le choix des peines est nécessairement limité.

    « Difficultés du dialogue »

    Les prévenus parlent peu, et le tribunal a le plus grand mal à obtenir des réponses, mais ils ne mentent guère, ou très rarement, et avouent parfois, en passant, d’autres infractions que celle pour laquelle on les juge. Gérard Joly, plus bonhomme que jamais, s’adresse à eux très simplement, presque amicalement, pour casser un peu la solennité du tribunal. Mais, résume Natacha Gagné, « les silences et les difficultés du dialogue soulignent l’énorme contradiction entre le statut de l’audience comme moyen d’expression et d’écoute, et la réalité du rapport à l’Etat dans la pratique ».

    Pourtant, on l’aime bien, le juge forain, dans les îles. « Gérard, il me manque déjà, déclare en souriant Teana, l’interprète. Il met les gens à l’aise, il plaisante beaucoup, il est là tout le temps, toujours prêt pour un conseil et pour rendre service. » Le juge saute le repas de midi et reste dans la mairie. On vient lui demander comment adopter, comment divorcer, quels papiers il faut, et il n’hésite jamais à proposer une « requête verbale », que permet le code. Un couple débarque sans rendez-vous et veut divorcer par consentement mutuel : il dicte la requête au greffier, la requête est faite sans avocat, sans huissier, sans notaire, et sera prononcée à Papeete après avis du parquet, en quelques semaines.

    Une femme hésite un instant avant d’aller le voir ; c’est un raerae, une personne trans. Ce n’est pas rare en Polynésie, où la tolérance est grande sur la transidentité, même si ce n’est pas toujours simple pour autant. Elle suit un traitement depuis longtemps déjà, et veut changer d’état civil. Le juge prend la requête, un jeu de photos d’elle en robe qu’elle a apporté, pour convaincre le parquet, à Papeete, qui doit donner son avis. L’affaire ne devrait pas poser de difficulté.

    La juge Ellul, pendant ce temps, reçoit Heiroa, 37 ans, un grand gaillard parachutiste de Tarbes, venu rendre visite à son Omer, son père adoptif de Rurutu. C’est son papa fa’a’mu (quelque chose comme « pour nourrir », en français), une vieille coutume polynésienne, qui permet à des parents de confier leur enfant à des parents nourriciers, plus ou moins proches, en conservant des liens avec lui. Omer a obtenu de la justice française en 1988 une délégation d’autorité parentale, et veut désormais adopter le petit, qui est nettement plus grand que lui. « Je voulais qu’il porte mon nom, dit Omer, ravi, une fleur de tiaré derrière l’oreille. Et puis, pour la succession, c’est bien. J’aurais pu faire un testament, mais qui peut toujours être contesté. » Heiroa grommelle qu’un testament aurait bien suffi, mais il devient héritier à la fois de sa famille biologique et de sa famille d’adoption : bonne affaire, d’autant qu’Omer a « pas mal de terres ». Heiroa est majeur, Omer n’a pas d’autres enfants, l’adoption est une formalité. Le papa est parti avec son nouveau fils, un sourire radieux, de la lumière dans les yeux, et le sourire ému de la juge.

    A la nuit tombée, les deux magistrats sirotent une bière dans la pension qui les héberge, en faisant le point sur les dossiers. « C’est crevant, on n’arrête pas, mais on se sent utile, dit avec le sourire Laetitia Ellul. On se dit qu’on a vraiment aidé les gens, et que ça valait le coup. » Le lendemain, à l’aéroport, des plaignants leur déposent in extremis les pièces qu’ils n’ont pu fournir la veille. Parce que les magistrats du bout du monde ne reviendront pas avant deux ans.❞

    #Polynésie #justice #colonisation #post-colonialisme #cadastre #droit #magistrature

  • A la porte de la Chapelle, à #Paris, le « nouveau QG » des consommateurs de crack
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/13/a-la-porte-de-la-chapelle-a-paris-le-nouveau-qg-des-consommateurs-de-crack_6

    Des centaines d’usagers se réunissent dans un espace de repos du 18e arrondissement de Paris, tenu par des associations et à l’avenir incertain. Le lieu connaît un regain d’affluence depuis le démantèlement du campement du square Forceval. Ces hommes et ces femmes racontent leur addiction, leur misère et la violence du milieu.

    Des dizaines de personnes patientent, assises le long d’un muret, sous l’échangeur autoroutier de la porte de la Chapelle, à Paris. En ce lundi matin glacial de janvier, les consommateurs de crack attendent l’ouverture de l’espace de repos à la limite du 18e arrondissement. Ils peuvent y dormir, prendre un petit déjeuner, une boisson chaude et une douche, laver leurs vêtements ou encore être accompagnés dans leurs démarches administratives.

    L’endroit, cogéré par les associations Aurore et Gaïa-Paris, a ouvert ses portes en 2019, après l’évacuation de la « colline du crack », à quelques mètres de là. Mais c’est depuis le démantèlement par les forces de l’ordre du camp du square Forceval, près de la porte de la Villette, le 5 octobre 2022, qu’il connaît sa plus forte affluence. Jusque-là, la quinzaine de salariés sur place accueillait entre 80 et 100 personnes par jour. Depuis, les compteurs s’approchent des 300 visiteurs. « On croise ici tous les gens que l’on voyait à Forceval, assure un consommateur. C’est devenu le nouveau QG. »

    A l’intérieur de cette « Villette 2 », il est techniquement interdit de fumer ou de dealer. Beaucoup outrepassent cette règle avec plus ou moins de discrétion. Sur le trottoir à l’extérieur, les galettes de crack – un dérivé de la cocaïne coupé à l’ammoniaque et très addictif, qui se brûle sur un filtre au bout d’une pipe (ou doseur) – se fument à la vue de tous. Il y a de toutes les nationalités et de tous les âges. La majorité ont entre 25 ans et 44 ans, selon l’âge qu’ils donnent à l’accueil et qui n’est pas vérifié, tout comme leur nom. Leurs parcours sont multiples, mais toujours marqués par un événement traumatique : la mort d’un proche, un licenciement, un divorce, une migration.

    Dans les conversations, on parle de ce que l’on a traversé pour en arriver là, des fois où l’on a frôlé la mort, des galères de la nuit dans la rue. Et surtout de drogue. Le caillou remplace l’ennui dans ces vies souvent sans emploi. Il aide à oublier les problèmes. « Je consomme beaucoup parce que la vie est trop dure », souffle Ibrahim (les consommateurs cités uniquement par un prénom ont requis l’anonymat), doseur usagé à la main et casquette des Lakers de Los Angeles sur la tête. Ce Guinéen, arrivé en France il y a huit ans, habite aujourd’hui un centre d’hébergement à Paris. « Nous non plus on ne veut pas de cette vie. On n’a pas traversé plusieurs pays pour s’asseoir sur un muret et fumer du crack toute la journée. Mais on arrive dans un pays que l’on ne connaît pas, où l’on ne peut pas travailler : forcément, les gens tombent dedans », explique le trentenaire.

    Maladies psychologiques ou infectieuses
    La galette devient une obsession, même si la consommation varie en fonction des usagers – et surtout de leur porte-monnaie. Chaque élément blanc non identifié par terre est inspecté dans l’espoir de trouver un bout de caillou miraculeusement abandonné par son précédent propriétaire. « Le matin, la première chose à laquelle je pense, ce n’est pas à mon fils ou à mon petit-fils, c’est où je vais me procurer ma galette. C’est une nécessité presque médicale, confie Anissa. Même si je sais très bien que l’on nous donne de la merde, du poison. »

    Le visage fermé et marqué par vingt-huit années de consommation de crack, cette Parisienne de 43 ans est un personnage connu dans le milieu. Elle a vécu toutes les dernières évacuations. « Des transferts violents », selon elle. « Quand ils ont rasé ma cabane à Forceval, j’en ai pleuré. C’était mon petit palais. » Prise en charge par le dispositif Assore, géré par l’association Aurore, elle occupe un hébergement d’urgence au Sleep In, un centre près de la station de métro Marx-Dormoy, dans le 18e arrondissement.

    Mais la place est chère et beaucoup se retrouvent confrontés à la précarité de la rue. Les maladies psychologiques ou infectieuses sont courantes, tout comme les gales, les teignes ou les poux de corps. Le taux de positivité aux infections sexuellement transmissibles y est de six à huit fois supérieur à la population générale. Cela touche beaucoup les femmes, qui représentent environ 10 % des usagers à l’espace de repos. « Le produit engendre des prises de risques. Il existe aussi le “sex for crack” : certaines femmes font des passes sans protection pour négocier plus d’argent ou plus de produit », explique un salarié de l’association Gaïa-Paris qui souhaite rester anonyme, venu sur place comme tous les mercredis avec un camion pour proposer des dépistages.

    « Je n’ai jamais consommé dans des conditions aussi lamentables qu’à Paris », regrette Anissa, passée par les Pays-Bas. Elle rappelle tout de même qu’il n’y a « pas que du sale » dans ce milieu et que l’on peut même croiser des diplômés et des cadres. Mais ceux-ci ne s’éternisent jamais.

    « Je me déteste tellement »
    Récupérer quelques pièces pour acheter son caillou devient une quête commune. D’autant que la « drogue du pauvre » n’échappe pas à l’inflation actuelle, la galette étant passée de 5 euros il y a quelques années à 15 euros aujourd’hui. Chacun trempe dans des business plus ou moins obscurs. Certains font la manche, d’autres volent. Les consommateurs deviennent eux-mêmes vendeurs pour pouvoir acheter plus.

    Devant l’espace, Fayçal, un Algérien de 33 ans aux yeux explosés après deux nuits sans dormir – ce qui est loin d’être un exploit dans le milieu –, fume une galette entière d’un trait. Certains la cassent en trois ou quatre morceaux pour multiplier le nombre de « kifs », mais lui préfère « le grand flash direct ». Il en sort une deuxième, la pose sur son filtre, déclenche le briquet et aspire de nouveau. Vingt euros partis en cinq minutes pour deux minutes de plaisir. « C’est comme si tu sortais du sauna, avec la tête qui tourne un peu plus », décrit Fayçal.

    Lui dépense entre 80 et 100 euros par jour. Pour l’argent, il tourne « à la débrouille. Je connais des gens… », lâche-t-il, énigmatique. Son autre méthode est tout aussi difficile à confesser : « Parfois, je mens à ma mère, chez qui j’habite. C’est une vieille dame. Je lui dis que j’ai besoin d’essence pour ma moto. Elle me file du fric et je vais m’acheter du crack. J’ai honte. Mais ce n’est pas moi qui ment, c’est ça », avoue-t-il en pointant sa pipe.

    A force de mensonges, les consommateurs s’isolent petit à petit. « Il ne vaut mieux pas dire que l’on fume du crack. Ça vous détruit socialement », conseille Saïd, 38 ans, tombé dedans il y a deux ans après un burn-out, mais qui « remonte la pente » aujourd’hui. Beaucoup souffrent de vivre ainsi à l’écart de la société. Ils se savent perçus comme les « drogués », les « zombies » ou les « schlagues » par les autres. Pourtant, ce regard extérieur n’est pas toujours le plus difficile à supporter. « Je ne me suis jamais vraiment aimée, mais depuis que je suis tombée dans cette drogue, je me déteste tellement », lâche Lili, consommatrice depuis bientôt neuf ans et ancienne vendeuse au BHV du Marais.

    Esquissant quelques sourires forcés, cette quadragénaire poursuit sur un ton monocorde : « Ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle la drogue du “sheitan” [diable]. Tu t’isoles, tu te mens à toi-même, tu t’éloignes de tes proches… Aujourd’hui, j’essaye de résister juste pour mes enfants, mais franchement je suis fatiguée de la vie. »

    « Un monde de loups »
    Tous n’ont pas le courage d’avouer leur addiction à leur famille. « J’ai six sœurs et trois frères. Il ne faut pas qu’ils sachent que je suis ici. J’aurais trop honte s’ils l’apprenaient », concède celui qui se fait appeler « Kirikou ». Il avoue d’ailleurs ne pas avoir le courage de fumer en public et attend d’être seul dans sa chambre pour allumer sa pipe. Pourquoi venir à l’espace de repos alors ? « Les danseurs aiment discuter avec les danseurs, les boxeurs avec les boxeurs, les fumeurs avec les fumeurs, répond-il. Je connais tout le monde ici et je rencontre encore des gens. Cela m’est même arrivé d’avoir des petites chéries ! »

    Il est pourtant le seul usager croisé à décrire un milieu amical. Il y a bien quelques scènes de vie et de rires à l’espace de la porte de la Chapelle, autour de la table de ping-pong dans la cour, d’un échiquier ou d’un Puissance 4 dans la salle de détente. Ces moments s’évaporent tel un kif. Le mot d’ordre dans le milieu : on ne peut pas avoir d’amis. « Tu demandes à quelqu’un de garder ton vélo cinq minutes, tu te retournes, et il l’a déjà revendu », peste Osnat, 54 ans, dont trente dans le crack.

    Même dans la misère, il y a peu de solidarité. « Les gens savent très bien que l’on est dans la même galère. Mais tout le monde veut gagner plus, quitte à faire du mal », regrette Latsye, un Français d’origine togolaise de 41 ans, « coincé » à Paris depuis plusieurs mois à cause du crack, qui dort dans un bus abandonné. « C’est un monde de loups. Si t’es une brebis, tu te fais croquer », résume Hervé, consommateur présent depuis plusieurs années.

    Cette violence interne, moins visible que les attaques sur les riverains médiatisées, est omniprésente. A l’espace de repos, tout peut devenir un sujet d’embrouille. Un simple regard, un mot de travers. Les insultes et les menaces fusent. Dans la rue, le cadre associatif n’est pas là pour calmer les ardeurs. Alors des dizaines de consommateurs reviennent à l’infirmerie de l’espace d’accueil avec des plaies de lame, des brûlures, des traces de chaîne de vélo. « Tout marche à l’agression. Et ça ira de pire en pire. On se fait agresser à coups de hache ou de marteau », s’inquiète Anissa. Lili, elle, a reçu deux coups de tournevis dans le cou à la Villette. Les agressions sexuelles sont aussi nombreuses et passées sous silence. « Dans cette communauté, la femme qui dit ne pas avoir été violée, soit elle ment, soit elle ne l’a pas encore été », témoigne Anissa, victime de plusieurs viols.

    Associations débordées
    Face à cette tension, les salariés d’Aurore et de Gaïa-Paris se débrouillent comme ils peuvent. La philosophie de la maison est plutôt « d’accueillir cette violence, qui est juste l’expression d’un mal-être », défend François Dhont, chef de service du lieu, en place depuis décembre 2020. Parfois, l’équipe sanctionne certains comportements d’une exclusion temporaire. Et quand la pression est trop forte, il arrive que les portes de l’espace restent fermées quelques jours. En décembre 2022, une violente bagarre a éclaté dans le centre et a fortement marqué les effectifs. Ils se raccrochent tout de même à ce sentiment d’être utile à un public précaire. « Il y a un gros respect de l’association chez beaucoup, rappelle un salarié qui ne souhaite pas donner son nom. Une fois, on s’est fait piquer un ordinateur. Ce sont des usagers qui nous l’ont rapporté en s’excusant : “Désolé, les autres ont déconné.” »

    Il n’empêche que ce travail épuise vite. Les salariés restent rarement plus de deux ans. D’autant plus que les associations sont débordées depuis le démantèlement du square Forceval. Les effectifs n’ont pas été réévalués, malgré le triple de public accueilli. Le centre était même ouvert le week-end à l’origine, mais il a depuis fermé pour se concentrer sur les jours de semaine.

    De l’autre côté de la route, les policiers présents aux horaires d’ouverture semblent tout aussi démunis. C’est un jeu du chat et de la souris qui se joue tous les jours : les consommateurs se rassemblent le long de l’avenue en fonction de la présence des forces de l’ordre. « On sait que tout le monde fume ici et qu’il y a même du deal, mais qu’est-ce que vous voulez que l’on fasse ?, reconnaît un policier désolé. Quand on en embarque un, c’est souvent un simple consommateur. Donc, on ne le garde même pas. Et puis ce sont des gens qui ont des maladies, la gale, etc. Donc, personne ne veut d’eux dans les voitures de police ou les commissariats. »

    Des paroles qui tranchent avec le discours officiel de Laurent Nuñez, préfet de police de Paris, nommé en septembre 2022 et chargé par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, d’éradiquer le trafic de crack à Paris d’ici à un an. « Quatre mois après l’évacuation de Forceval, l’objectif est atteint : il n’y a plus de scène de trafic et de consommation à ciel ouvert », se félicite le préfet, précisant qu’entre 300 et 600 policiers sont mobilisés tous les jours sur l’ensemble de la capitale pour éviter une réimplantation.

    « Sur le dispositif policier, je ne vois pas ce que l’on peut faire de mieux, en matière d’engagement, d’enquête judiciaire, de présence sur la voie publique », poursuit-il. Le préfet en appelle alors à « une montée en puissance » des dispositifs de santé publique. Le sujet devrait être au cœur des discussions d’un nouveau plan crack à venir, le précédent datant de 2019 et courant jusqu’à 2021. De son côté, l’agence régionale de santé précise : « Depuis l’évacuation de Forceval, l’agence s’efforce de compléter le dispositif de prise en charge, en mettant notamment l’accent sur le renforcement des filières de soins. »

    Menace d’un énième déplacement
    L’offre sanitaire est en plus délicate à proposer aux usagers. Pierre Kreitmann, seul infirmier titulaire à l’espace de repos de la porte de la Chapelle, travaille notamment avec le centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie de l’hôpital Fernand-Widal (10e arrondissement) et tente de ramener les consommateurs qui passent par son infirmerie vers des structures de soins. « La rue rend le suivi médical très difficile, déplore-t-il. Toute hospitalisation est une perte de repères pour cette population. Sortir de l’addiction, c’est aussi se confronter à soi-même, à ce que l’on était quand on consommait. Ça peut effrayer. »

    Balde Souleyman peut en témoigner. A 26 ans, ce Guinéen, venu en France en 2017 pour fuir les persécutions dans son pays liées à son orientation sexuelle, a arrêté le crack après un traitement d’un an. « Au départ, quand on m’a envoyé au centre, je n’étais pas prêt. J’allais à mes rendez-vous en étant défoncé », confie-t-il. Son dernier « kif » remonte à novembre 2021. S’il est de passage à l’espace de repos, c’est uniquement pour qu’on l’aide à trouver un poste de bénévole à l’Armée du salut. « Il faut que je m’occupe, sinon j’ai envie de consommer. Je sais que si j’y retouche, rien qu’une fois, je coule à nouveau. C’est pour ça que j’évite de traîner ici désormais. »

    Bientôt, plus personne ne traînera là. Le lieu doit fermer ses portes le 31 mars. Encerclé par les chantiers de la ligne ferroviaire du CDG-Express et d’un futur campus de l’université Paris-I, l’espace a surtout vu sortir de terre face à lui l’impressionnante Adidas Arena, qui accueillera des épreuves des Jeux olympiques et paralympiques de 2024. Pour l’instant, les associations n’ont pas de nouveau point de chute. « Ici, c’était vraiment l’endroit parfait. On ne gênait personne », regrette un médiateur à l’entrée de l’espace.

    L’avenir est tout aussi incertain chez les consommateurs et se profile la menace d’un énième déplacement. « On est passé de la colline à Stalingrad, puis aux jardins d’Eole et à la porte de la Villette pour revenir à la porte de la Chapelle. Qui sait, à force d’être déplacés dans tous les sens, peut-être que l’on finira un jour sur les Champs-Elysées », en rigole Anissa. Une chose est sûre, personne ici ne croit à la fin du crack à Paris.

    d’après les fait-diversiers, le crack a commencé à être consommé dans des petites villes

    #drogues #misère #crack

  • L’Insee confirme le désamour des Français pour les grandes métropoles
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/17/l-insee-confirme-le-desamour-des-francais-pour-les-grandes-metropoles_616585


    #territoire
    J’ai toujours été précurseuse.

    Au-delà de Paris, les métropoles dans leur ensemble sont les grandes perdantes de ces mouvements migratoires. Les agglomérations de plus de 700 000 habitants, qui, avant l’épidémie, affichaient pour la plupart un solde migratoire positif, connaissent elles aussi « une tendance postcrise » de baisse d’attractivité.

  • A Marseille, le propriétaire de 122 logements insalubres renvoyé devant la justice

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/17/a-marseille-le-proprietaire-de-122-logements-insalubres-renvoye-devant-la-ju

    Cent-vingt-deux logements insalubres ou dangereux, dont le plus exigu n’atteignait pas les 5 mètres carrés. Quarante-deux foyers et une trentaine d’enfants vivant dans des lieux infestés de cafards, de punaises de lit, couverts de moisissures, parfois sans chauffage ni eau chaude, et sous la menace d’une électrocution. Des locataires, demandeurs d’asile ou sans papiers, qui témoignent : pour eux, il n’y a pas le choix. « C’est ça ou la rue. »

    Propriétaire d’immeubles délabrés disséminés dans les quartiers les plus pauvres de la cité phocéenne, Gérard Gallas, 49 ans, un ancien policier marseillais reconverti dans l’immobilier, sera jugé pour soumission de personnes vulnérables à des conditions de #logement indignes et mise en danger d’autrui. Il encourt sept ans de prison et une amende de 200 000 euros.

    L’amende représente quoi ? à peine 4 mois du loyer de ces 122 logements.

    #marchand_de_sommeil #ancien_policier #marseille #insalubrité

    • (...) L’enquête va dévoiler l’étendue du patrimoine de Gérard Gallas. Les poursuites judiciaires visent quatre des dix immeubles qu’il possède, soit un total de 97 appartements devenus 122 logements à la suite de divisions de lots. Au 179, avenue Roger-Salengro (15e), frappé d’un arrêté de péril grave et imminent de juillet 2020 à mars 2021, les six appartements ont été transformés en 21 logements, une fois des cloisons montées et les combles sommairement et dangereusement aménagées. Un 6 mètres carrés peut y être loué 350 euros. Au 85, boulevard Viala (15e), les locataires témoignent de l’insalubrité : fissures, humidité, remontées dans les toilettes, nuisibles, cour transformée en dépotoir… « A trois, on paie 400 euros pour une pièce de 10 mètres carrés », raconte l’un d’eux.
      « Je voudrais juste une douche et l’eau chaude, également du chauffage, car j’ai 85 ans », rapporte un locataire présent boulevard Viala depuis 1983. Le retraité se déplace avec un déambulateur. Un Comorien explique qu’il vit avec son épouse et deux jeunes enfants dans un 9 mètres carrés réglé 393 euros par mois, un appartement sans ouverture. « On vit dans le noir, comme dans un frigo », explique-t-il aux enquêteurs, estimant que le propriétaire « fait de l’argent sur [leur] misère ».

      on trouve cet article là https://justpaste.it/b8tw8
      augmenté de Ces notables qui louent des logements insalubres

      #logement #Marseille

  • A Lyon, alerte humanitaire à l’intérieur du nouveau centre de rétention administrative
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/06/a-lyon-alerte-humanitaire-a-l-interieur-du-nouveau-centre-de-retention-admin

    En effectuant une visite surprise, la députée européenne Sylvie Guillaume a pu observer la pression subie par les personnels. L’association Forum réfugiés a suspendu ses activités à plusieurs reprises, en raison de l’insécurité.

    Mis en service depuis un an, le nouveau centre de rétention administrative (CRA) de Lyon, discrètement implanté près de l’aéroport Saint-Exupéry, connaît de sérieux problèmes humanitaires, comme a pu le découvrir Sylvie Guillaume lors d’une visite surprise, vendredi 3 mars. En rentrant dans l’enceinte ultra-sécurisée, comme le lui permet son statut de parlementaire, la députée européenne (Parti socialiste, Alliance progressiste des socialistes et démocrates) a appris que les intervenants de l’association Forum réfugiés ont suspendu leur activité à plusieurs reprises depuis le début de cette année, à cause de l’insécurité. Et qu’une société privée assure les soins médicaux, en remplacement du personnel hospitalier que n’arrivent pas à recruter les hospices civils de Lyon (HCL), en raison des réticences qu’inspire le lieu, entouré de hauts murs hérissés de barbelés.

  • La nouvelle vie sous surveillance de l’avocat franco-palestinien Salah Hamouri
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/02/la-nouvelle-vie-sous-surveillance-de-l-avocat-franco-palestinien-salah-hamou

    Au début du mois de février, Olivier Pareja, un ingénieur habitant la banlieue parisienne, reçoit un appel téléphonique d’un genre un peu particulier. A l’autre bout de la ligne, un agent du Service central du renseignement territorial, le successeur des RG, lui pose « une question à quitte ou double » : « Salah Hamouri va-t-il venir » à la réunion publique organisée le 9 février, à Versailles, par l’Association France-Palestine Solidarité (AFPS), dont M. Pareja est l’un des responsables dans les Yvelines ? Le policier ne fait pas mystère de ses intentions : si l’avocat franco-palestinien, expulsé en décembre 2022 de Jérusalem par les autorités israéliennes, est invité à l’événement, celui-ci sera interdit.

    L’organisateur a répondu par la négative. La réunion de l’AFPS, consacrée à la présentation du rapport d’Amnesty International qualifiant le régime auquel sont soumis les Palestiniens d’« apartheid », s’est déroulée sans entrave. Mais cet épisode en dit long sur les pressions auxquelles est soumis M. Hamouri, 37 ans, depuis son arrivée en France. Cet employé d’une ONG de défense des prisonniers palestiniens a passé près de dix années derrière les barreaux israéliens, victime d’un harcèlement politico-administratif dénoncé par les grandes organisations de défense des droits humains.

    Mais dans une partie des organisations juives, à l’Assemblée nationale et au sein même de l’exécutif, le natif de Jérusalem est présenté comme un agitateur potentiellement dangereux. Ces attaques ont mené à l’annulation de plusieurs conférences auxquelles il devait participer, dont l’une organisée par la mairie de Lyon, début février, consacrée aux trente ans des accords de paix d’Oslo. « Le gouvernement tolère ma présence sur le sol français mais il ne veut pas que je parle de ma cause », déplore Salah Hamouri, dont la mère est française et le père palestinien.

    « Pas légitime à parler du conflit »

    La campagne qui le vise repose sur deux éléments : sa condamnation, en 2008, par un tribunal militaire israélien, pour participation à un obscur complot visant à assassiner (...)

    #Paywall
    #Salah_Hamouri

    • La campagne qui le vise repose sur deux éléments : sa condamnation, en 2008, par un tribunal militaire israélien, pour participation à un obscur complot visant à assassiner le rabbin Ovadia Yossef, chef du parti séfarade Shass ; et son affiliation supposée au Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), organisation classée terroriste par l’Union européenne. « Un terroriste condamné pour activité terroriste n’est pas légitime à parler du conflit », martèle Simon Seroussi, le porte-parole de l’ambassade israélienne en France.

      L’appartenance de M. Hamouri à ce parti n’a, cependant, pas été démontrée par les autorités israéliennes. Quant aux aveux qu’il a faits à son procès, la seule pièce à charge figurant dans le dossier, ils résultent d’une procédure de plaider-coupable : sept ans de prison s’il admettait sa participation audit complot, quatorze ans s’il persistait à la nier. Dans un courrier daté de 2011, Alain Juppé, alors chef de la diplomatie française, soulignait que « les aveux faits à l’audience n’ont été corroborés par aucun élément de preuve ».

      Dans l’affaire de la conférence de Lyon, ces détails ont été passés à la trappe. Confronté aux protestations des représentants de la communauté juive locale, le maire, Grégory Doucet (Europe Ecologie-Les Verts), a déprogrammé l’événement. Dans la foulée, l’université Lyon-III a préféré désinviter le trentenaire d’une seconde conférence, prévue le 22 février.
      « Mon problème, c’est l’occupation israélienne, ça n’a rien à voir avec les juifs, rétorque l’ex-résident de Jérusalem. Il faut que cela soit clair une fois pour toutes. » « Les Israéliens voudraient qu’il y ait une peine supplémentaire, que Salah soit condamné au silence », s’insurge Elsa Lefort, son épouse française, interdite de séjour en Israël et en Palestine depuis 2016.

      La nouveauté, comme l’a montré le coup de téléphone de la police à l’AFPS, c’est que la crispation à son sujet est bien réelle Place Beauvau. Début février, en réponse à une question du député Renaissance du Val-de-Marne Mathieu Lefèvre, désignant Salah Hamouri comme un « sinistre personnage », le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, l’a qualifié de « triste personnalité ». Il a ajouté que si le maire de Lyon n’avait pas fait machine arrière, la préfecture de la région aurait interdit la conférence pour menace à l’ordre public.

      Peu avant l’atterrissage de son mari à Paris, le 18 décembre 2022, Elsa Lefort avait contacté la police aux frontières de l’aéroport Roissy - Charles-de-Gaulle, pour discuter des modalités de son accueil. Elle avait été choquée de s’entendre répondre que le débarquement de Salah devait être « discret », sans journalistes ni militants propalestiniens dans le terminal. Des dizaines de fidèles, dont des élus de La France insoumise et du Parti communiste, l’attendaient néanmoins à sa sortie de l’avion et l’ont applaudi.

      Crispation

      « Il est très dangereux d’essayer de faire de Salah Hamouri une rockstar au moment où l’antisémitisme se cache derrière un antisionisme très virulent, dont il est le symbole », argue Mathieu Lefèvre, président du groupe d’études sur l’antisémitisme au Palais-Bourbon. Tout en reconnaissant que le Franco-Palestinien « a droit à un procès équitable », ce qui sous-entend que celui de 2008 ne l’était pas, le parlementaire, comme nombre de ses collègues de droite, reprend les accusations israéliennes, dont l’appartenance au FPLP, « une évidence » selon lui.

      Pour le Quai d’Orsay, ces liens n’ont pourtant rien d’évident. La diplomatie française, qui s’est opposée à l’expulsion de M. Hamouri de Jérusalem, réclamant qu’il vive libre et en famille dans la Ville sainte, ne considère pas que l’avocat soit membre de la formation marxisante. Ce positionnement supposait qu’il n’y aurait pas d’entrave à sa liberté de mouvements et de parole une fois arrivé en France. La Place Beauvau n’a pas donné suite aux questions du Monde sur cette divergence d’appréciation.

      Dans cette affaire, la crispation du ministère de l’intérieur reflète celle d’une partie des organisations juives françaises, farouchement hostiles à l’entrée du terme « apartheid » dans le lexique du conflit israélo-palestinien. Pour tenir sa réunion de Versailles, organisée dans un tiers lieu, l’AFPS a dû s’y reprendre à trois fois.
      « Il y a un revirement dans la politique du gouvernement qui est inadmissible, s’inquiète Jean-Claude Samouiller, le président de la branche française d’Amnesty International. On ne peut pas abdiquer devant les pressions, d’où qu’elles viennent. La liberté d’expression ne doit pas seulement être tolérée, elle doit être protégée. »

  • Au procès de quatre ex-agents de RTE poursuivis pour des actions sur le réseau électrique : « Le vrai problème, c’est que vient faire la DGSI là-dedans ? »
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/03/01/au-proces-de-quatre-ex-agents-de-rte-poursuivis-pour-des-actions-sur-le-rese


    Manifestation de soutien à quatre ex-agents de maintenance de RTE, entreprise gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, jugés mardi 28 février par le tribunal correctionnel de Paris. CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

    Ces ex-salariés du gestionnaire du réseau de transport d’électricité avaient coupé le pilotage de quatorze postes haute tension en 2022. A l’issue d’une enquête menée par la sécurité intérieure, ils ont comparu mardi devant le tribunal correctionnel de Paris.

    Par Aline Leclerc

    Couper le système informatique qui permet de piloter à distance quatorze postes électriques haute tension est-il un acte de protestation inoffensif et banal dans le cadre d’un mouvement social, ou un geste grave, susceptible de provoquer des catastrophes en série ? Cette question aussi technique que politique fut au cœur des neuf heures d’audience du procès de quatre ex-agents de maintenance de RTE, entreprise gestionnaire du réseau public de transport d’électricité, mardi 28 février, devant le tribunal correctionnel de Paris.