Sahara occidental : les réfugiés sahraouis affluent dans les camps de Tindouf, en Algérie
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Sahara occidental : les réfugiés sahraouis affluent dans les camps de Tindouf, en Algérie
Par Driss Rejichi (Tindouf, Algérie, envoyé spécial)
Depuis trois ans, un village de tentes a poussé aux abords d’Aousserd, l’un des principaux camps de réfugiés sahraouis qui enserrent la ville de Tindouf, en Algérie. Des toiles plantées en plein désert, loin des habitations en dur aux toits de tôle, des réservoirs d’eau et des petits climatiseurs, dont sont désormais équipés certains foyers.
« Sans revenus, on n’a pas les moyens de construire une maison », explique Béchir Mahmoud, un berger de 65 ans, qui partage une tente avec sa femme et ses enfants sans accès à l’eau courante ou à l’électricité. Comme lui, ils sont plusieurs milliers à avoir rejoint les environs de Tindouf depuis 2020, poussés par la reprise des combats entre l’armée marocaine et les indépendantistes du Front Polisario.
Soutenue par l’Algérie, l’organisation lutte depuis 1973 pour la « libération » du Sahara occidental, une ancienne colonie espagnole figurant sur la liste des territoires non autonomes de l’ONU. Tête de pont de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) proclamée en 1976, le Front Polisario a combattu les armées mauritanienne et marocaine entre 1975 et 1991, date de la signature d’un cessez-le-feu avec Rabat.
Mais les victoires diplomatiques obtenues par le royaume chérifien ces dernières années – reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental – et la rupture du cessez-le-feu le 13 novembre 2020 ont mis fin au statu quo qui avait gelé le conflit pendant trente ans de part et d’autre du « mur des sables » érigé par le Maroc sur 2 700 kilomètres pour séparer la partie du territoire qu’il contrôle (80 %) des marches méridionale et orientale (20 %), où s’exerce de facto la tutelle de la RASD.
Une guerre de faible intensité s’est rouverte, dans laquelle les drones, utilisés par le Maroc pour des missions de reconnaissance ou des frappes, tiennent désormais une place centrale. Pour les Sahraouis qui nomadisaient à travers les « terres libérées » – la partie du Sahara occidental sous contrôle du Front Polisario –, les camps des environs de Tindouf sont devenus un point d’ancrage. Selon le Haut-Commissariat pour les réfugiés (HCR), la région accueille plus de 173 000 personnes réparties entre six camps, dont les noms reprennent ceux des principales villes du Sahara occidental.
Béchir Mahmoud, lui, est arrivé en 2021 après qu’« une bombe » est tombée sur le village de Bir Tiguisit, où il faisait paître son troupeau, près de la frontière avec la Mauritanie. « Tous mes moutons ont été tués, d’un coup », se souvient le vieil homme, qui a rejoint Tindouf avec sa famille, grâce à une caravane de marchands mauritaniens.
Dans les camps, plusieurs réfugiés évoquent ces bombardements visant des troupeaux et parfois, aussi, des civils. Comme cette femme en larmes, qui raconte avoir perdu son fils, un orpailleur de 22 ans, tué alors qu’il se rendait avec six amis dans la région de Gleibat El Foula, sous contrôle marocain, pour prospecter un filon, en novembre 2021.
« Quand j’ai appris qu’il était mort, j’ai perdu un morceau de mon cœur, articule-t-elle péniblement. On a seulement retrouvé les corps de mon fils et d’un de ses amis, mais les sept ont été tués. » Tous les Sahraouis interrogés attribuent ces tirs à des drones.
« Environ 26 000 soldats sahraouis mobilisables »« Nous sommes informés des signalements de frappes à l’est du mur [des sables] et documentons tous les incidents auxquels nous pouvons avoir accès », assure un représentant de la Mission des Nations unies au Sahara occidental (Minurso). Dans son dernier rapport au Conseil de sécurité, la mission note que « la majorité des frappes qui ont fait l’objet d’investigations ont causé des pertes humaines et des dommages matériels ». Fin 2024, le Front Polisario recensait pour sa part 120 décès liés aux aéronefs utilisés par les forces marocaines depuis la rupture du cessez-le-feu.
Selon l’Institut international d’études stratégiques, l’armée marocaine a acquis, entre 2019 et 2024, des drones de combat chinois Wing Loong II et turcs Bayraktar TB2, ainsi que des appareils de reconnaissance israéliens. « Ces armes électroniques ont complètement perturbé le champ de bataille », reconnaît Cheikh Mahmoud, directeur du bureau de la coordination militaire d’Aousserd. Ce vétéran, qui a pris les armes dans les années 1970, explique que « désormais les drones sont sur le front en permanence, de jour comme de nuit ». « On apprend à nos soldats à les repérer, à suivre les bons itinéraires pour éviter les frappes », ajoute-t-il.
Dans les camps de Tindouf, les seules défenses visibles sont les ZU-23, un vieux modèle de DCA soviétique. Les Land Rover des combattants du Front Polisario qui reviennent des « territoires libérés » sont couverts de savon et de sable pour ne pas être repérés, et seuls quelques civils prennent encore le risque de s’aventurer dans cette zone en passant par la Mauritanie.« Tout l’équipement des Sahraouis est hérité de la période de la guerre, des armes venues d’Algérie, de Libye et de Cuba », rappelle le journaliste algérien Akram Kharief, spécialiste des questions de défense. Il estime les forces du Front Polisario à « environ 26 000 soldats mobilisables », contre 100 000 militaires marocains gardant le « mur des sables ».
Mais Rabat ne domine pas seulement le terrain militaire. En 2020, quelques jours avant la fin du premier mandat du président américain Donald Trump, le royaume est parvenu – en échange de son engagement à renouer avec Israël – à faire reconnaître sa souveraineté sur le Sahara occidental par Washington. Madrid a suivi en 2022, puis Paris en 2024.Lors de la visite du président Emmanuel Macron au Maroc, en octobre 2024, d’importants investissements dans la région ont été annoncés. Depuis, les personnalités politiques françaises se pressent à Dakhla et Laâyoune, les principales villes sahraouies, comme la ministre de la culture, Rachida Dati, et le président du Sénat, Gérard Larcher, en février.Dans les camps de réfugiés, cet alignement franco-marocain laisse indifférent. « On n’est pas surpris, surtout pas par la France, qui soutient le Maroc depuis 1975 », explique Salah Zoubir, un trentenaire installé dans le camp de Rabouni et qui a grandi avec sa mère à Laâyoune, en « territoire occupé ».
A Tindouf, dit-il, tous les réfugiés gardent en mémoire les bombardements français de 1977-1978 contre le Front Polisario : l’opération « Lamantin », lancée par Paris en soutien à l’armée mauritanienne pour obtenir la libération de six otages français capturés par des combattants sahraouis à Zouerate quelques mois plus tôt.Lorsqu’il vivait de l’autre côté du « mur des sables », Salah Zoubir explique avoir « été arrêté plus d’une fois » à cause de sa participation à des manifestations « contre l’occupation ». L’installation de familles marocaines dans le territoire est perçue comme une menace existentielle pour les indépendantistes, parce qu’elle risque de changer la donne en cas de référendum sur le statut du Sahara occidental. Une consultation prévue par le cessez-le-feu de 1991, mais qui n’a jamais pu se tenir faute de listes électorales abouties.
« La définition des critères pour déterminer qui pourrait participer à un référendum supervisé par l’ONU a toujours été l’un des principaux points de blocage dans les négociations entre le Polisario et le Maroc », rappelle Hugh Lovatt, membre du Conseil européen pour les relations internationales, un cercle de réflexion. « Le Maroc pousse sa population à s’installer au Sahara depuis 1975, y compris en utilisant des incitations économiques », ajoute le chercheur, estimant que, « sur les 500 000 personnes vivant aujourd’hui au Sahara occidental, seulement un tiers est sahraoui ».
Très attaché à la cause indépendantiste, Salah Zoubir reconnaît que nombre de Sahraouis restés dans les « territoires occupés » se sont accommodés de la présence marocaine, participant à la vie économique et politique de la région. A Tindouf, les réfugiés admettent que l’oubli dans lequel leur cause a sombré nourrit une inquiétude croissante. « Qui va nous aider à nous libérer ? A part l’Algérie, nous n’avons plus d’allié », déplore Béchir Mahmoud, qui redoute de devoir « terminer sa vie ici », dans les camps. Pas question, pour autant, d’accepter une intégration du Sahara sous souveraineté marocaine. S’il le faut, « on finira cette guerre seuls », lâche le vétéran.
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