En 1974, dans un contexte géopolitique d’extrême tension entre la Grèce et la Turquie (Copeaux, Mauss-Copeaux, 2011), l’instauration brutale (Novosselof, Neisse, 2007) de la Buffer Zone a scindé Chypre en deux parties, cantonnant les Chypriotes grecs au sud de l’île et les Chypriotes turcs au nord. Si la mise en place de frontières établit communément de la distance dans la proximité (Arbaret-Schulz, 2008), à Chypre la Buffer Zone a introduit de l’hostilité dans l’humanité, dressant véritablement les populations les unes contre les autres.
Outre la présence des stigmates constitutifs de la mise en place de la Buffer Zone telle la station touristique fantomatique de Varosia (Lageiste, 2011), la distinction par l’appartenance matérielle et symbolique (Groupe frontière, 2004) a pris forme et force au long de la frontière. Affichage ostentatoire des attributs nationaux et culturels respectifs - drapeaux grecs contre drapeaux turcs ; clochers contre minarets -. Cette opposition identitaire (Di Méo, 2001) continue de s’affirmer malgré les multiples tentatives conciliatrices de l’Union européenne et des Nations Unies.
Toutefois, l’ouverture de brèches à partir de 2003 au sein de cette séparation jusqu’alors hermétique - six points de passage désormais possibles -, a suscité la curiosité, l’intérêt touristique toujours avide d’altérité. Des flux (Van Houtum, 2000) ont pris forme à travers l’île, occasionnant la mise en tourisme de la partie nord de l’île restée hors du fait touristique depuis la séparation. Certains acteurs opportunistes, se sont emparés de cette originalité frontalière pour l’exploiter comme un véritable produit touristique : observation de la Buffer Zone à Famagouste, croisière côtière au long du front de mer abandonné de Varosia, ouverture de commerces de part et d’autre du point de passage ouvert au cœur de Nicosie - rue piétonne avec franchises occidentales côté grec, bazars côté turcs -. Ce phénomène de debordering (Scott, 2009) maintient, sinon renforce l’opposition territoriale, tandis que la mise en scène qui l’accompagne en permet la mise à profit.
Ainsi, cette mise en tourisme singulière conduit-elle à un fonctionnement renouvelé, offrant l’apparence d’une fluidité à travers des flux touristiques, tout en scénographiant l’opposition, la conflictualité et le ressentiment.