• Le revenu universel en Italie, plus si universel que ça
    https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/01/19/l-italie-adopte-une-version-amendee-du-revenu-universitael_5411565_3234.html

    Après des mois de fausses pistes et de ballons d’essai, de crises de nerfs et de menaces de rupture, le gouvernement italien est donc parvenu à s’entendre. Dans les prochaines semaines devrait ainsi entrer en vigueur le « #revenu_de_citoyenneté », engagement de toujours des 5 Etoiles. « C’est un rêve qui se réalise », a aussitôt triomphé le chef politique du mouvement, Luigi Di Maio, sans trop s’attarder sur les multiples amendements apportés à un projet qui n’a plus grand-chose à voir avec l’idée originale.

    Initialement voulu par le fondateur du mouvement, Beppe Grillo, comme la première étape vers le #revenu_universel, le revenu de citoyenneté se présentera comme une indemnité temporaire (pas plus de 18 mois, renouvelables une fois), obligatoirement associée à la recherche d’un emploi.

    Plus de dix ans en Italie
    Pour la percevoir, il faudra avoir résidé plus de dix ans en Italie (dont les deux dernières années), et déclarer moins de 9 360 euros annuels de revenus – 780 euros par mois, le seuil statistique de pauvreté en Italie. Son montant sera calculé par cellule familiale, et pourra aller jusqu’à 780 euros par mois (500 + 280 d’aide au logement) pour une personne seule, 1 330 euros pour une famille. Et il sera assorti de nombreuses décotes : selon ses concepteurs, 5 millions de personnes sont concernées, pour un effort total de 7 milliards d’euros par la communauté, ce qui revient à dire que le montant moyen de l’aide se montera à un peu plus de 100 euros par personne et par mois.

    De plus, la personne recevant cette aide devra accepter toute offre sérieuse de travail qui lui sera faite à moins de 100 kilomètres de chez elle. Au fil du temps, le rayon géographique s’étendra, jusqu’à atteindre 250 kilomètres au bout d’un an et demi, voire l’ensemble du territoire national dans les derniers mois.

    Enfin, pour répondre aux accusations de favoriser l’assistanat et le travail au noir, le gouvernement a assorti cette aide de nombreuses interdictions : ainsi, pour être éligible, il ne faudra pas avoir acheté une voiture neuve dans les six derniers mois, ni posséder une grosse cylindrée ou un bateau de trop grande taille. Par ailleurs, les éventuels fraudeurs seront punis avec la plus grande sévérité : ils pourraient encourir « jusqu’à » six années de prison.

    La réforme des #retraites devrait concerner 1 million de travailleurs

    Comparée a cette mesure incroyablement complexe, supposant l’existence dans tout le pays de centres d’aide à l’emploi dignes de ce nom, la réforme des retraites annoncée au même moment en conseil des ministres est d’une simplicité biblique. Selon le dispositif « quota 100 », toute personne âgée de plus de 62 ans et ayant cotisé trente-huit années pourra partir à la retraite dans les prochains mois. Pour le gouvernement, la mesure devrait concerner 1 million de travailleurs, et libérerait instantanément 1 million de postes de travail, aussitôt pourvus, et elle ne coûtera pas plus de 4 milliards d’euros cette année – un chiffre considéré comme très inférieur à la réalité par de nombreux experts.

    Attaché à démontrer aux marchés que ces mesures n’entraîneront pas une explosion des déficits, Giuseppe Conte a assuré que la mise en place de ces dispositifs ne nécessiterait pas de loi de finances rectificative. Pourtant rien n’est moins sûr, alors que le budget italien est sous la surveillance de Bruxelles et que la conjoncture italienne s’est, ces derniers mois, dégradée de façon spectaculaire.

    Alors que le pays semble techniquement entré en #récession (le troisième trimestre de 2018 a été négatif et les estimations pour la fin de l’année sont très pessimistes), le 1 % de progression du PIB prévu en 2019 semble hors de portée. Vendredi, la banque d’Italie a révisé à la baisse ses prévisions de croissance, estimées désormais à 0,6 %. Cette annonce a fait bondir Luigi Di Maio, qui a aussitôt dénoncé les « estimations apocalyptiques » d’une institution « qui se trompe depuis des années ».

    Le ministre du travail et du développement économique a d’autant moins intérêt à tenir compte des avertissements de l’institution que pour eux, l’essentiel est ailleurs : le revenu de citoyenneté doit entrer en vigueur, coûte que coûte, en avril. Pour qu’il puisse commencer à être perçu avant les élections européennes.

  • Au Japon, la prison comme maison de retraite, Philippe Pons
    https://www.lemonde.fr/international/article/2019/01/14/au-japon-la-prison-comme-maison-de-retraite_5408603_3210.html

    Pour pallier pauvreté et solitude, des Japonais de plus de 65 ans se font arrêter pour de menus larcins, contraignant les prisons à s’adapter à de nouvelles contraintes.

    Il se chauffait au soleil d’hiver dans ce petit parc désert du quartier à la population aux revenus modestes d’Arakawa, au nord de Tokyo. Agé, emmitouflé dans une parka qui avait connu des jours meilleurs, un bonnet sur le crâne, il portait une barbichette clairsemée. Echange de sourires. La conversation s’engage sur l’hiver ensoleillé japonais, la vie d’autrefois, la pension insuffisante, la #solitude des personnes âgées… « Demain j’irai à la #prison voir un ami, ce n’est pas un criminel, il a mon âge [78 ans] et il a été arrêté pour un #vol à l’étalage dans une supérette. Il voulait se faire arrêter. En prison, il a chaud, il est nourri et s’il est malade, on s’occupe de lui… Comme il est récidiviste, il en a pris pour deux ans… Un jour il faudra peut-être que je fasse comme lui. »

    Le Japon a le plus faible taux de criminalité du monde et une population carcérale relativement peu nombreuse par rapport à d’autres démocraties avancées. Mais celle-ci vieillit vite. Reflet de l’évolution démographique de l’archipel ? Pas seulement.

    Sénilité et incontinence

    Le Japon a la médaille d’or en espérance de vie mais la proportion des actifs dans la population se réduit et un quart de la population a plus de 65 ans (40 % en 2050). La délinquance de Japonais âgés (et surtout des femmes de la même tranche d’âge) est un phénomène apparu depuis une décennie qui va en s’aggravant.

    Selon le « Livre blanc sur la criminalité » de décembre 2018, 21,1 % des personnes arrêtées en 2017 avaient plus de 65 ans alors qu’en 2000, cette tranche d’âge ne représentait que 5,8 % de la population carcérale. Les délinquants âgés sont arrêtés pour de menus larcins. La majorité vole des produits alimentaires pour se nourrir ou améliorer l’ordinaire. Une minorité dit préférer la prison à une vie au seuil de la #pauvreté (ou en dessous) et à la solitude.

    L’arrivée de seniors dans les prisons a créé de nouvelles charges pour l’administration pénitentiaire. Ces détenus âgés présentent souvent les symptômes dus à la #vieillesse : ils entendent mal et tardent à exécuter les ordres ; certains sont incontinents, d’autres ont des problèmes de mobilité et il faut parfois les aider à se nourrir et à se laver : un surcroît de travail pour les gardiens. « Certains errent sans savoir où ils sont », écrit Yamamoto Joji dans Ceux qui ont élu domicile en prison, livre de souvenirs sur l’année que l’auteur a passé derrière les barreaux, publié en 2018.

    Des détenus âgés présentent en outre des symptômes de sénilité : selon le ministère de la justice, en 2016, c’était le cas d’un sur dix des plus de 65 ans. À partir de 2019 a été institué un examen psychologique pour les prisonniers de plus de 60 ans. Ceux qui sont diagnostiqués séniles bénéficient d’un traitement spécial. Des prisons ont aussi commencé à aménager des quartiers réservés aux détenus âgés. La prison devient pour certains l’équivalent d’une maison de retraite et leur incarcération revient à une sorte de prise en charge par l’Etat compensant l’insuffisance des #retraites.

    Hausse des « morts solitaires »

    Au lendemain de la guerre, trois générations pouvaient vivre sous le même toit puis la famille monoparentale s’est imposée et les seniors ont commencé à vivre seuls… et de plus en plus vieux. Divorcés ou ayant perdu leur conjoint, sans famille ou se refusant par fierté à demander de l’aide, six millions de Japonais âgés vivent dans un isolement quasi total et meurent ainsi. Les « #morts_solitaires » sont en augmentation constante : plus de 30 000 en 2016. Selon une enquête de la municipalité de Tokyo, 40 % de ces morts solitaires n’avaient pas de famille ni d’amis.

    Les #femmes sont les plus touchées par la détresse de la vieillesse : dans leur cas, la solitude se conjugue à la précarité financière. Beaucoup de Japonaises âgées vivent sous le seuil de pauvreté en raison d’une retraite insuffisante à la suite du décès du mari. Et elles seraient plus nombreuses que les hommes à chercher à se faire emprisonner : en 2017, une détenue sur cinq était âgée de plus de 65 ans. Quand elles sortent, elles récidivent plus que les hommes. Globalement, un quart des anciens détenus de plus de 65 ans récidive dans les deux ans qui suivent leur libération. Ce taux, le plus élevé toutes tranches d’âge confondues, contribue à l’augmentation des seniors dans la population carcérale.

    « La prison est une oasis pour moi. J’ai perdu ma liberté mais je n’ai plus à m’occuper de rien. Je peux parler avec d’autres détenues, je mange trois fois par jour, disait une détenue de 78 ans interrogée par l’agence Bloomberg en mars 2018. Ma fille me rend visite une fois par mois. Elle me trouve pathétique. Elle a sans doute raison. »

    L’homme à la barbichette du parc est pensif : « On peut comprendre les récidivistes. La vie est dure dehors. Mon ami dit qu’en prison au moins, il ne se préoccupe de rien… Et dehors, personne ne l’attendra quand il sortira. Sinon moi, si je suis en vie. » Des détenus âgés meurent en prison. Après la crémation (obligatoire au Japon), leurs cendres sont envoyées à un parent – s’il en existe un connu de l’administration.

  • La grève, un mode d’action devenu obsolète ? Raphaëlle Besse Desmoulières
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/01/12/la-greve-un-mode-d-action-devenu-obsolete_5408248_3224.html
    Des « gilets jaunes » apportent leur soutien aux grévistes d’un magasin Castorama, à Englos (Nord), le 11 janvier. Philippe Huguen/AFP

    Les « gilets jaunes » ont fait reculer le gouvernement sans recourir au moindre arrêt de travail.

    La #grève est-elle has been ? Depuis bientôt deux mois, les « #gilets_jaunes » ont fait éclater leur colère dans le pays, s’installant sur les ronds-points la semaine, envahissant les Champs-Elysées le samedi, sans avoir recours à ce mode d’action collective qui accompagne traditionnellement les conflits sociaux. Ils n’en ont pas moins réussi à bloquer une partie de l’#économie avant les fêtes de Noël, sans impact sur leur fiche de paie, et pourraient bien continuer alors que les soldes ont commencé mercredi 9 janvier. Et sont parvenus à faire reculer le gouvernement, contraint, mi-décembre, de lâcher 10 milliards d’euros pour tenter d’éteindre l’incendie.

    La nature de la première revendication des « gilets jaunes » – la suppression d’une taxe sur le carburant – explique en partie l’absence de grèves de cette mobilisation née en dehors des entreprises. La sociologie du mouvement, très hétérogène, aussi. Ce dernier agrège certes des #salariés mais aussi des #précaires, des #chômeurs, des #retraités, des #indépendants, des petits patrons… Autant de personnes qui ne sont pas habituées à faire grève, ni d’ailleurs à manifester, et que les syndicats ont du mal à toucher.

    C’est là l’une des principales caractéristiques de cette mobilisation : s’être construite en dehors des #syndicats. « C’est la première fois qu’un mouvement social leur échappe totalement, observe l’historien Stéphane Sirot, spécialiste des conflits sociaux. Les directions syndicales sont perçues comme appartenant à la vaste sphère du pouvoir et sont mises dans le même sac que les autres formes de structures institutionnalisées. » Ce que pointe de nouveau le baromètre annuel du Cevipof, le centre de recherches de Sciences Po, publié vendredi par Le Figaro. S’ils restent mieux considérés que les médias et les politiques, les syndicats ne recueillent la confiance que de 27 % des personnes interrogées.

    Coup de semonce
    L’émergence et le poids pris par les réseaux sociaux ont également rendu possible le fait de s’organiser sans structures établies. « Cela crée une relation directe entre des gens inconnus et qui peuvent s’enflammer sans avoir besoin des organisations syndicales, note Raymond Soubie, ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy. C’est un peu une concurrence déloyale. » Déjà en 2016, le mouvement contre la loi travail était né d’une pétition en ligne, lancée par la militante féministe Caroline De Haas, qui avait récolté plus de 1 million de signatures. Un premier coup de semonce qui avait bousculé les centrales de salariés sans qu’elles ne se remettent en question.

    La crise des « gilets jaunes », inédite sur bien des aspects, interpelle les confédérations syndicales – notamment la CGT – qui ont de plus en plus de mal à mobiliser les travailleurs au travers de journées d’action à répétition au cours desquelles elles les appellent à défiler et à cesser le travail. « Depuis plusieurs années, il y a une difficulté pour elles à impulser des grèves par le haut et à les faire converger, rappelle Baptiste Giraud, maître de conférences en science politique à l’université Aix-Marseille. Le plus souvent, les mouvements de grève sont localisés et liés à des restructurations ou à des motifs salariaux. »
    Depuis 1995, mis à part le mouvement lycéen contre le contrat première embauche (CPE) en 2006, aucun conflit social d’ampleur n’a réussi à faire capituler les pouvoirs publics. La bataille contre le recul de l’âge de départ en retraite de 2010, qui avait pourtant vu défiler plusieurs centaines de milliers de personnes, n’a pas fait bouger Nicolas Sarkozy. « Depuis vingt ans, le pouvoir politique s’assoit sur les mobilisations syndicales », constate Jean-Marie Pernot, chercheur à l’Institut de recherches économiques et sociales. Même s’ils sont obligés de négocier, les gouvernements ont vu qu’ils pouvaient laisser passer l’orage. Résultat : les contestations ritualisées n’obtiennent quasiment plus de résultats. En témoigne la grève à la SNCF, bastion de la CGT, au printemps 2018, qui n’a pas permis d’obtenir le retrait du projet de loi. « Il y a une démonétisation de l’efficacité de la grève, même dans les endroits où les syndicats sont bien implantés », observe Guy Groux, chercheur au Cevipof.

    « Ovni social »
    L’absence de victoires significatives ces dernières années du mouvement syndical a également pu durcir les pratiques. Faut-il dès lors avoir recours à la violence pour se faire entendre ? « Le message renvoyé – et c’est aussi la responsabilité du politique –, c’est que face à des contestations institutionnalisées, les résultats sont nuls et que seules des pratiques radicales, voire violentes, peuvent l’inciter à modifier sa position », considère Stéphane Sirot. « Si les “gilets jaunes” étaient restés tranquillement dans leur coin, comme les syndicats, le gouvernement aurait attendu que ça se calme, estime Jean-Marie Pernot. C’est terriblement pédagogique. »

    Si 2016 a vu l’irruption du « cortège de tête » avec des manifestations qui ont dégénéré presque systématiquement depuis, le niveau de violences ces dernières semaines a franchi un palier. L’absence des organisations syndicales et de leurs services d’ordre peut expliquer en partie cette situation. Mais les violences, qu’elles soient du côté des manifestants comme des forces de l’ordre, ont cependant pu décourager certains protestataires de continuer à faire les déplacements les samedis sur Paris. « Le nombre de blessés et de mutilés est du jamais-vu depuis un demi-siècle, indique Stéphane Sirot. Il y a un raidissement du pouvoir et la tentation est forte aujourd’hui de faire usage de dispositifs répressifs. On peut avoir une situation qui dégénère. »

    Comment désormais en sortir ? Les annonces du gouvernement, mi-décembre, n’ont pas mis fin à la crise et il n’est pas sûr que le « grand débat » qui doit débuter mardi soit de nature à apaiser la situation. Selon ce qui sera retenu, il risque de générer de la frustration quant à des revendications qui brassent aujourd’hui autant des sujets de pouvoir d’achat que des questions démocratiques. « Quand il faisait face à un mouvement classique lancé par des organisations syndicales, même si ce dernier était fort, le pouvoir politique savait le gérer, fait remarquer Raymond Soubie. Là, l’exécutif est en face d’un phénomène nouveau qu’il ne connaît pas. C’est un ovni social. » Un avis partagé par Baptiste Giraud : « Le gouvernement affronte les limites du recours aux modalités classiques de résolution des conflits sociaux. Il paye très clairement le fait d’avoir marginalisé les corps intermédiaires. » Sans syndicats ni leaders reconnus comme tels avec qui négocier ? La tâche n’est pas aisée.

    Pour Stéphane Sirot, « la contestation s’est fermement installée, même si elle s’exprime minoritairement sur les ronds-points ». Contrairement à la grève qui a un coût et qui est risquée pour le salarié, venir à Paris ou à Bourges, comme les « gilets jaunes » étaient invités à le faire samedi, ne représente que le prix du trajet, même si celui-ci peut s’avérer élevé pour certains. « Des personnes en sont arrivées à un tel dégoût et une telle difficulté à vivre qu’elles n’ont rien à perdre », ajoute l’historien.

    Selon un sondage Odoxa diffusé jeudi, une courte majorité des personnes interrogées (52 %) continue à souhaiter la poursuite du mouvement quand elles étaient les deux tiers (66 %) mi-novembre. Les pouvoirs publics s’attendaient cependant à un regain de la mobilisation samedi. Cette dernière a également donné des idées aux enseignants des « stylos rouges » qui se sont eux aussi organisés via les réseaux sociaux et en dehors des syndicats pourtant bien implantés dans leur profession.

    « Un des éléments de force des personnes mobilisées et qui le font pour la première fois, c’est que, contrairement à des militants syndicaux habitués à la défaite et à la résignation, elles acceptent moins facilement de rentrer chez elles », relève Baptiste Giraud. A l’image de ce qui peut se passer lors de grèves longues, des solidarités collectives se sont créées entre les protestataires, qui ont pu permettre à certains de sortir de leur isolement. « Ça produit un encouragement à continuer, souligne le sociologue. Une fois que vous êtes engagés très longtemps, abandonner sans avoir obtenu ce que vous jugez comme un minimum, c’est très coûteux. Ça devient le carburant de la mobilisation. » Autant de mauvaises nouvelles pour un exécutif affaibli.

  • « Le mouvement des “gilets jaunes” n’est pas un rassemblement aux revendications hétéroclites », Jean-Yves Dormagen et Geoffrey Pion
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/27/le-mouvement-des-gilets-jaunes-n-est-pas-un-rassemblement-aux-revendications

    D’après une étude de terrain réalisée à Dieppe, les deux chercheurs Jean-Yves Dormagen et Geoffrey Pion estiment, dans une tribune au « Monde », qu’il existe un socle de #revendications sociales et politiques parmi les militants.

    Tribune. Dieppe (Seine-Maritime), 30 000 habitants, premier port pour la coquille Saint-Jacques en Normandie, se trouve être un bastion du mouvement des « #gilets_jaunes ». Un des tout premiers groupes Facebook appelant à la manifestation du 17 novembre y a été créé. Il comptait près de 16 000 membres à sa fermeture, le 25 novembre.
    Ici, le mouvement a été immédiatement d’une ampleur exceptionnelle : le 17 novembre, plus de 1 000 personnes garnissaient la dizaine de ronds-points bloqués à l’entrée de la ville (dont 405 sur le rond-point d’Auchan, selon un comptage policier) et sur les départementales en direction d’Abbeville, de Beauvais, de Rouen et de Fécamp. Nous avons voulu profiter d’une présence sur le terrain pour évaluer et mesurer dès le départ ce qui se passait sous nos yeux.

    Rapidement, les chiffres proposés par le ministère de l’intérieur nous ont paru bien faibles. On citait des chiffres concernant le nombre de manifestants relevés à une heure H. Mais contrairement à ce que nous observions directement au quotidien sur le terrain, rien ne rendait compte de l’important roulement des « gilets jaunes » sur les #ronds-points, ni de la solidarité active de la population envers le mouvement – en lui apportant bois, nourriture et encouragements – comme du soutien passif que manifestaient de très nombreux automobilistes en mettant leur gilet jaune sur le pare-brise.

    Etonnant soutien populaire
    Nous nous sommes alors donné les moyens de mesurer précisément ces différentes formes de soutien. Les 26 et 27 novembre par exemple, nous avons réalisé un comptage à partir de 900 véhicules passant sur le rond-point d’Intermarché à Rouxmesnil-Bouteilles : 44 % d’entre eux arboraient un gilet jaune. Un nouveau comptage portant sur 3 291 véhicules était réalisé dans une cinquantaine de quartiers dieppois et de villages alentour, les 2 et 3 décembre : 38 % des véhicules ont alors le gilet jaune sur le pare-brise.

    Cette #solidarité n’a pas cessé de s’afficher depuis, comme en attestent les 32 % de gilets jaunes toujours présents sur les pare-brises des véhicules dieppois le 19 décembre. Le succès des pétitions contre l’augmentation des taxes débuté le 26 novembre à Arques-la-Bataille apportait une autre confirmation de cet étonnant soutien #populaire. En moins d’une semaine, les autres ronds-points l’avaient reprise et près de 14 000 personnes l’avaient déjà signée.

    Nous avons mené une étude systématique de ces signatures, pour ne pas en rester à de simples impressions qui se révèlent parfois trompeuses. Il ressort de l’analyse spatiale des signataires que 22 % des Dieppois et 15 % des Dieppoises ont signé cette pétition. Ce soutien d’un niveau très inhabituel se révèle maximal chez les 18-39 ans (24 %) et décroît l’âge avançant.

    Face à la nécessité de se structurer, de trouver un mode démocratique de désignation de #messagers et de hiérarchisation des revendications, des « gilets jaunes » nous ont alors sollicités pour les aider à mettre en place une consultation citoyenne. Celle-ci est réalisée le 9 décembre par des questionnaires-papier sur les quatre ronds-points toujours occupés à Dieppe (Arques-la-Bataille, Leclerc Rouxmesnil-Bouteilles, Euro Channel Neuville-lès-Dieppe et Auchan Dieppe).

    Plusieurs dizaines de « gilets jaunes » proposent durant toute la journée aux automobilistes et aux piétons de remplir ce questionnaire, dans leur voiture ou dans les abris de fortune construits sur les ronds-points. Le succès, là encore, dépasse les attentes et face à la volonté de répondre de nombreuses personnes, des questionnaires devront être réimprimés tout au long de la journée.

    Un premier mouvement social pour 54 %
    Nous avons analysé ces questionnaires qui représentent un matériel de première main tout à fait inédit sur les « gilets jaunes » eux-mêmes. Nous nous concentrerons ici sur les 822 répondants (sur 1 549) qui déclarent avoir participé « au moins une fois » à un rassemblement sur un rond-point depuis le 17 novembre. Parmi ces 822 « gilets jaunes » « actifs », 58 % sont des hommes et 42 % des femmes. Les 25-54 ans en représentent 60 %, quand les très jeunes adultes (18-24 ans) comptent pour 10 % et les plus de 65 ans, 9 %. Les salariés forment le gros des « gilets jaunes » (61 %) suivis par les #retraités (16 %), les #travailleurs_indépendants (6 %) et les #chômeurs (6 %) [là encore, l’hybride "chômeur en activité à temps réduit" semble passer à la trappe, misère de la #sociologie, ndc] .

    Il s’agit de leur première participation à un mouvement social pour 54 % d’entre eux. Ce qui montre à quel point ce mouvement rassemble des citoyens peu habitués à l’#action_collective et souvent éloignés de la politique. Un noyau dur de quasiment 14 % de « gilets jaunes » est présent presque tous les jours, soutenus par plus de 40 % qui sont présents régulièrement. Les 46 % restant ont fait acte de présence au moins une fois.

    Le soutien au mouvement, la détermination à durer dans le temps, donc à s’organiser et à se trouver démocratiquement des porte-parole fait l’objet d’un puissant consensus. C’est là un point très important qui démontre que le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas vécu par ses principaux protagonistes comme un simple mouvement revendicatif et ponctuel : 91 % des « gilets jaunes » souhaitent s’organiser en un mouvement structuré et durable et 80 % pensent même qu’ils doivent se doter de messagers/porte-parole démocratiquement élus pour les représenter.

    « Très mauvaise » opinion du gouvernement
    Contrairement à une idée reçue qui a beaucoup circulé, le mouvement des « gilets jaunes » n’est pas un rassemblement hétérogène réunissant des revendications hétéroclites. Bien au contraire, ce mouvement s’organise autour d’un socle de revendications sociales et politiques qui font la quasi-unanimité parmi les participants actifs. La consultation organisée à Dieppe et alentour le confirme. Treize revendications ont été soumises à l’avis des « gilets jaunes » dieppois pour mieux déterminer leurs priorités.

    Le rétablissement de l’ISF, la revalorisation du smic, l’annulation de l’augmentation du prix du carburant, l’augmentation des retraites, la baisse des impôts directs, l’augmentation des impôts pour les plus grosses entreprises, le maintien et le soutien des petits commerces locaux, la réforme des rémunérations des élus et l’interdiction des délocalisations d’entreprises sont plébiscitées par plus de 90 % des « gilets jaunes » comme « prioritaires » ou « très prioritaires ».

    Enfin, le rejet du gouvernement et du chef de l’Etat contribue lui aussi à cimenter le mouvement : 77 % des « gilets jaunes » dieppois ont une « très mauvaise » opinion du gouvernement et plus des deux tiers d’entre eux jugent comme « très prioritaire » la démission ou la destitution du président de la République. Ce qui confirme encore une fois combien ce mouvement mêle indissociablement dimension sociale et dimension politique. D’ailleurs aujourd’hui, c’est le « RIC » – le référendum d’initiative citoyenne – qui a remplacé la suppression des taxes sur le diesel comme revendication prioritaire des « gilets jaunes » présents sur les ronds-points.

    Cette monographie du mouvement des « gilets jaunes », dans une ville typique de la France périphérique, montre son ampleur à l’échelle locale, la profondeur du soutien populaire dont il bénéficie, son homogénéité, et surtout – ce qui est peut-être le plus important – sa volonté de se structurer et de durer au-delà des premières revendications conjoncturelles qui lui ont permis d’émerger.

  • Les agents des impôts aux premières loges du ras-le-bol fiscal , Benoît Floc’h, Le Monde
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/27/les-agents-des-impots-aux-premieres-loges-du-ras-le-bol-fiscal_5402530_3224.

    Les agents des impôts aux premières loges du ras-le-bol fiscal
    Selon la direction générale des finances publiques, 250 incidents se sont produits dans des #centres_des_impôts depuis le début du mouvement des « #gilets_jaunes ».

    Le ras-le-bol fiscal, ce sont les agents des impôts qui en parlent le mieux. Eux qui sont quotidiennement confrontés à cette colère sourde, qui s’est manifestée de manière spectaculaire avec le mouvement des « gilets jaunes ». « On le ressent constamment, presque tous les jours », constate Laurent Hutin, représentant syndical Solidaires finances publiques. Pour ce contrôleur des impôts, qui travaille à Cambrai (Nord), le ras-le-bol fiscal a pris le visage de « cette petite mémé qui pleurait dans mon bureau, il y a quelques mois, parce qu’elle n’arrivait plus à payer ses impôts ». « Je n’avais jamais vu ça, soupire-t-il. On essaie de se blinder, mais la souffrance des gens, ça désarçonne… »

    Les Français, qui détiennent le record d’Europe de la pression fiscale, ne veulent plus de taxes. Et pour que le message soit bien clair, certains « gilets jaunes » ont joint le geste à la parole en s’en prenant physiquement aux centres des impôts. Selon les chiffres transmis au Monde par Bercy, 250 incidents se sont produits en France depuis le début du mouvement, fin octobre. Cela va « des #dégradations de serrures à la pose de murs devant les entrées, plus quelques cas d’#incendies de poubelles et vitres brisées », détaille Bercy. Solidaires, le premier syndicat du secteur, en a dénombré « 136, dont 55 avec des dégradations matérielles importantes ».

    Cela couvait depuis longtemps

    Le 17 décembre, le centre des impôts de Thonon-les-Bains (Haute-Savoie) a été vandalisé : des vitres ont été brisées et un feu a été allumé. « Dix impacts de jets de pierre ou de coups de masse » ont été relevés sur la devanture, a constaté France Bleu Pays de Savoie. A Villefranche-de-Rouergue (Aveyron), « une balle de foin pourri » a été placée devant l’entrée du bâtiment, a relaté La Dépêche. Des actions plus violentes avaient eu lieu à Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône), Castres (Tarn) ou Falaise (Calvados)…

    Mais, en réalité, cela couvait depuis longtemps. « Le mouvement des “gilets jaunes” met sur la place publique un sentiment que l’on ressentait depuis longtemps », explique Laurent Hutin. Les agents des impôts sont aux premières loges, surtout lorsqu’ils sont à l’accueil, pour observer les affres du « consentement à l’#impôt ».
    « Oui, on le vit, le ras-le-bol fiscal, témoigne Sophie, en poste dans la région parisienne, qui souhaite conserver l’anonymat. Les gens disent qu’ils ne veulent plus d’impôts. Or, c’est notre métier de les recouvrer… » D’où cette colère à laquelle ils sont parfois confrontés.
    Même si certains contribuables font la part des choses : « On est le réceptacle d’une rancœur, mais pas la cible, relativise Sylvain, fonctionnaire en Corse. Le ras-le-bol fiscal, il existe, mais il n’est pas dirigé contre nous. On nous dit “on paie trop d’impôt, mais vous êtes logés à la même enseigne que nous…’’ »

    Subtilités byzantines de la #fiscalité

    Pour Sylvain, la complexité administrative accroît considérablement l’exaspération de citoyens considérant déjà qu’ils sont trop taxés. « J’ai en mémoire le cas d’une personne, raconte-t-il, qui avait obtenu gain de cause [après une réclamation]. Mais elle ne comprenait pas le courrier qu’on lui avait envoyé… Les gens ne comprennent plus le langage de l’administration. C’est frappant chez les jeunes : ils ne comprennent rien à ce qu’on leur dit. »

    Mais, au-delà du langage, c’est surtout la complexité même de la fiscalité qui pollue les relations entre fonctionnaires et contribuables. « Ce sont les #impôts_locaux les plus compliqués à comprendre, déplore Yves Peyras, contrôleur des finances publiques à Toulouse. Selon que vous disposez d’une douche ou d’une baignoire, vous ne payerez pas le même montant de taxe sur votre logement… »
    Sur ce point, la volonté du gouvernement de supprimer progressivement la #taxe_d’habitation devrait satisfaire ceux qui se perdent dans les subtilités byzantines de la #fiscalité_locale… Même si cette annonce a, elle aussi, embrouillé les contribuables. C’est ce qu’Arlette Crouzet, responsable du service des impôts des particuliers Grenoble-Chartreuse, a expliqué à Olivier Dussopt, le 19 novembre, lors d’une visite du secrétaire d’Etat. Elle évoque « beaucoup de réactions épidermiques. Certaines personnes avaient compris qu’elles auraient droit à une exonération à 100 % d’un coup. D’autres avaient bien saisi qu’elles n’auraient droit qu’à un tiers cette année, mais elles ont vu leur taux augmenter à cause des collectivités locales… Bref, les agents ont dû faire face à des entretiens parfois délicats et même houleux. Il y avait un gros décalage entre ce que les gens entendaient dans les médias et ce que nous étions alors en mesure de leur expliquer . »

    Trop d’impôts, trop complexes, et « il y a toujours des gens révoltés contre l’injustice de la fiscalité », note Sandrine, contrôleuse qui travaille dans le Val-d’Oise. L’image du « président des riches » qui réduit l’impôt sur la fortune mais augmente la contribution sociale généralisée (#CSG) des #retraités a visiblement fait des ravages dans les trésoreries…

    « Rendre l’accueil sur place pénible »

    De multiples restrictions administratives nourrissent également ce ras-le-bol qu’un rien suffit à faire déborder. « Les personnes âgées ne comprennent pas qu’elles ne puissent plus payer par chèque », même si ce n’est plus financièrement pénalisé, relate par exemple Yves Peyras, le contrôleur de Toulouse, également représentant syndical Solidaires.

    L’impossibilité de payer en espèces pour des sommes inférieures à 300 euros est visiblement un sujet. Lors de la visite de M. Dussopt en Isère, la question est très vite arrivée dans la discussion qu’il a eue avec les responsables des services : « Avec la baisse de la taxe d’habitation, on a une recrudescence de gens qui viennent payer en liquide. Mais comme ce moyen de paiement est aujourd’hui interdit au-dessus de 300 euros, cela pose problème », a relevé Philippe Vasseur, responsable de la trésorerie de Saint-Martin-d’Hères.
    La crispation a semble-t-il été aiguë : « A cause du paiement en numéraire, a complété Philippe Leray, directeur départemental des finances publiques, on était au bord de la révolution au centre Rhin-et-Danube. Mais c’est un problème général dans le département et ça, on ne l’avait pas vu venir… »

    Il y a plus grave. Selon les agents interrogés, dans le souci de prendre le tournant du numérique et de faire des économies, Bercy voudrait que les usagers perdent l’habitude de venir dans les centres des impôts au profit des démarches en ligne. Concrètement, cela implique de « rendre l’#accueil sur place pénible , explique Sylvain. L’an passé, par exemple, la direction a fait enlever toutes les chaises de la salle d’attente… Mais chez nous, on reçoit beaucoup de personnes âgées, donc on a demandé à ce qu’elles soient réinstallées. »

    En revanche, lorsque son tour est arrivé, il faut se remettre debout, et le rester. « On les reçoit à la chaîne, poursuit l’agent corse, sur des sièges où l’on est mi-assis mi-debout. Mais c’est tellement inconfortable que personne ne s’en sert. Des voltigeurs, une tablette accrochée au bras, comme chez Orange, passent des uns aux autres et essaient de traiter ce qu’ils peuvent. »

    « Temps d’entretien mesuré »

    La direction générale des finances publiques « récuse formellement que des consignes ont été données pour forcer les gens à être debout ou limiter la durée des entretiens », indique-t-on à Bercy. L’administration centrale assure qu’elle ne privilégie aucun « moyen de contact » par rapport à d’autres. Le cabinet de M. Darmanin rappelle que celui-ci veut « augmenter le nombre de points de contacts physiques de 30 % ».

    Reste que le témoigne de Sylvain n’est pas isolé. La situation est comparable à Toulouse. Ou dans le Val-d’Oise : « Il y a quelques années, on recevait encore les gens dans des bureaux, rappelle Sandrine. On prenait le temps de leur expliquer. Aujourd’hui, ce n’est plus possible. On les reçoit debout pour que ça aille plus vite et qu’ils ne reviennent pas. Enfin, nous, on est assis et eux restent debout. On a pour consigne que l’entretien ne dépasse pas cinq minutes. On les incite à faire leurs démarches sur Internet. Mais là, du fait de la fracture numérique, vous perdez un quart des gens. »

    A Cergy, dans le même département, le dispositif est même un peu plus sophistiqué : « Notre temps d’entretien, explique Myriam Lebkiri, secrétaire départemental de la CGT, est mesuré automatiquement par un outil informatique : le gestionnaire de fil d’attente. Quand le temps est écoulé, ça passe au rouge. Quand on reçoit des #étrangers, qui ne maîtrisent pas le français, leur dire au bout de quelques minutes qu’ils doivent aller sur Internet, ça n’a aucun sens. Or, ces gens ont besoin de leur #avis_de_non-imposition : c’est le sésame pour obtenir leurs prestations, leur titre de séjour, la cantine des enfants, etc. »

    Toutes ces tracasseries rendent la communication difficile. « Quand ils viennent aux impôts, poursuit Mme Lebkiri, les gens pleurent, s’énervent… L’accueil du public est de plus en plus compliqué et on est de plus en plus tiraillé entre ce qui nous semble juste et ce que l’on nous demande de faire. » Sophie donne un exemple : « Certains attendent une heure, relate l’agente en région parisienne, et quand on les reçoit, on se rend compte que leur problème est complexe. Alors, on leur dit qu’ils doivent prendre rendez-vous… Les gens ne sont pas contents, mais on ne peut plus faire autrement… »

    Frustration des agents

    « Les gens ne comprennent pas que l’on soit injoignable au téléphone », constate Yves Peyras, qui invoque, comme d’autres le manque de personnels. « Allez sur Google Maps et regardez les commentaires associés à mon centre des impôts. Vous verrez… » Certains, en effet, sont sans ambiguïté : « C’est très dur de les avoir au téléphone, peste l’un. Ah, les impôts ! Ils adorent qu’on leur passe de l’argent, mais n’aiment pas qu’on leur pose des questions ou que l’on aille les voir… » Mais de nombreux autres témoignages évoquent un « service téléphonique efficace et très sympathique ».

    Pas sûr que cela suffise à remonter le moral des troupes, passablement affecté si l’on en croit les agents des impôts contactés. Beaucoup de fonctionnaires expriment de la frustration : « On n’est plus en mesure de remplir nos missions fiscales », déplore M. Peyras. Le contrôleur évoque le retard qui s’accumule dans le traitement des courriels. Un autre prévient : « Les collègues sont très consciencieux et l’administration compte là-dessus. Mais là, le seau est percé de partout et on n’arrive plus à accomplir toutes nos missions correctement. Par exemple, on ne fait presque plus de contrôle fiscal allégé : on prend pour argent comptant ce que nous déclarent les gens… Le régime des #autoentrepreneurs n’est plus du tout contrôlé chez nous. »
    Rien de tel, pourtant, que le sentiment que certains passent entre les gouttes du fisc pour nourrir… le ras-le-bol fiscal. Là encore, l’administration centrale dément en bloc, en mettant notamment en avant la dernière loi sur la lutte contre la #fraude_fiscale. « C’est une priorité qui ne subit aucun fléchissement », assure-t-on à Bercy.

    • Quel que soit le sujet, la presse pousse son agenda de prescription. Et si on doit parler des GJ, il faut que cela aille dans le sens du vent : les impôts sont trop élevés, les taxes sont trop nombreuses, les impôts sont trop élevés et vraiment les GJ, quelque part, l’ISF, ils sont contre eux aussi, et tiens d’ailleurs, on ne va pas parler des salaires, hein, ni de hausse de productivité, on va parler jusqu’à plus soif des impôts trop élevés.

      Ou on va à nouveau parler djihadisme et antisémitisme, puis on va parler sexisme et racisme, et ça va être tellement mignon que tout le monde va oublier combien ceux qui font cela sont habituellement teigneux avec les faibles et respectueux avec les puissants le reste du temps.

      On ne va pas parler des choses qui fâchent et qui sont trop compliquées : le partage de la valeur, l’évasion fiscale, les lobbys, non, on n’en parle pas. Pourtant, là aussi, il y a quelques records d’Europe à citer pour la France...

    • Oui, vous avez raison, on peut tous se fâcher des conneries monumentales et de la ligne politique de L’imMonde (la thèse rebattue de la #révolte_anti-fiscale), on peut aussi passer au tamis les énoncés de l’ennemi et y trouver d’autres perles qui rendent compte d’une situation dont on aurait pas aisément connaissance autrement, dont on voit comment ils émergent (au moins partiellement) dans le #discours_public_autorisé.

      Avoir du mal à obtenir un avis de #non_imposition a des conséquences matérielles dramatiques en matière de droits sociaux (et le Monde, pernicieux ?, de citer ici un « étranger » comme si les « aides sociales » leur étaient réservés. Privilégier l’administration à distance, la #taylorisation des services, c’est bien des soucis, et voilà que ça apparaît, voilé, dans la presse de régime.
      Cette vague de contestation, ces forces collectives qui se matérialisent le font aussi dans un contexte de #dématérialisation de la gestion des populations (ni bureaux, ni accueil).

    • @biggrizzly le mde c’est #la_voix_de_son_maitre mais j’espère bien qu’on va continuer à parler de sexisme ou de racisme et même d’attaques des centres des impots, non mais ! voila encore une excuse bidon qui n’empêche en rien de faire AUSSI des articles sur des lois que l’assemblée ou le sénat font passer actuellement en se foutant éperdument de la population, de parler salaires, licenciements, prison, droit de manifester etc.

      Les choix éditoriaux sont politiques mais tout est lié et le ferment de révolte des GJ est enfin commun aux oublié·es d’un bout à l’autre de la france pour les unir dans une #convergence_des_luttes.
      De quoi se plaignent les politiques de tout bord qui rêvaient pourtant bien de cette fameuse union nationale à récupérer à coup de je_suis_machin ou je_fais_du_foot voire jai_des_couilles … Je commençais à fatiguer de voir les gauchistes/syndicalistes/et même anarchomoncul cramponnés à leurs théories sur ce qu’il faudrait faire ou dire, en pleine réunionite pour compter la monnaie de leur silence. Sais-tu combien de fois les militant·es de telle spécificité ce sont retrouvé·es berné·es ces dernières années par des lois fourre-tout qui les empêchaient de fait de les contrer ?
      Un article comme celui-ci je le prends avec joie, c’est toujours ça, le blocage des centres des impôts a commencé et ce sera aussi le blocage des usines ou des banques si il le faut. Ceux qui n’ont rien et dont on a écrasé la gueule toute leur vie n’ont aussi pas grand chose à perdre et illes tapent là où est le nerf de la guerre et tant mieux.
      Et pour les médias, the most effective way to do it is to do it.

    • @touti : je suis totalement en phase avec ton point de vue, et comme d’autres fois, ma concision a évacué toute complexité. Je faisais cette remarque en lien avec le tag #belles_âmes initié par @aude_v et qui permet de suivre toutes ces instrumentalisations de ce qui nous est cher, instrumentalisations qui permettent de perpétuer le pire, sous couvert de s’apitoyer sur des sujets dont les mêmes #belles_âmes se foutent la plupart du temps.

      Oui, cet article évoque des choses importantes, et je les lis moi aussi avec étonnement et plaisir. Mais malgré tout, la voix de son maître ne peut pas s’empêcher de tirer la couverture là où il souhaite, à créer des causalités qui n’existent pas mais qui arrangent l’agenda des puissants. On va parler de l’antisémitisme, mais ce sera pour discréditer les GJ, on va parler de services publics en déshérence, mais ce sera pour dire qu’il y a trop d’impôts et de taxes et que ça crée du malheur chez les petites gens. Parfois, je trouve que le prix à payer pour entendre parler de choses qu’on désespérait de voir exister dans les médias de prescription est très élevé, parce que la conclusion que tout le monde retient en définitive est qu’il y a trop d’impôts. Et le gvt en toute décontraction va pouvoir agir dans le sens demandé par la majorité, il va baisser les impôts... (des plus riches).

      Ceci dit, je suis comme toi, je suis aux anges de constater cette convergence. Mais, le gouffre entre ceux qui convergent et les autres me semble de plus en plus grand. Si tu ne t’informes que par les médias de prescription, désormais, tu ne vois qu’une seule chose au 20h : les boutiques qui perdent de l’argent, les grandes surfaces qui perdent de l’argent, le chômage technique de telle ou telle petite boite. Tout le reste, la Réunion qui brûle, les rond-points bloqués, tu n’en entends pas parler (ah si, tu entends parler des GJ racistes, des GJ sexistes, des GJ nazis, des GJ antisémites et des GJ voleurs). Tu ne vois que les côtés négatifs. Et tu te dis que « vivement que ça s’arrête ».

    • Le prélèvement à la source, une réforme à hauts risques, Benoît Floc’h et Virginie Malingre
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/27/le-prelevement-a-la-source-une-reforme-a-hauts-risques_5402599_823448.html

      Alors que la crise des « gilets jaunes » a remis en lumière la question du pouvoir d’achat, certains redoutent l’effet psychologique de la réforme.

      C’est la #réforme qui ne peut plus être repoussée. Le 1er janvier 2019, le #prélèvement_à_la_source entrera en vigueur et trente jours plus tard, les contribuables découvriront sur leur fiche de #salaire ce qu’il leur reste pour vivre une fois l’#impôt_sur_le_revenu soustrait. Depuis des mois, Bercy se prépare à cette échéance à hauts risques. Le ministre de l’action et des comptes publics, Gérald Darmanin, n’a pas le droit à l’erreur, tant le sujet est politiquement inflammable.

      A l’Elysée, on mesure les risques, mais on affirme que « tout a été fait pour que la réforme se réalise dans les meilleures conditions ». « Nous sommes prêts, assure M. Darmanin au Monde. Il y aura sans doute des erreurs, mais certainement moins que dans l’ancien système de l’impôt “à la papa”, qui en a généré 3 millions en 2018 ! Les agents des finances publiques seront là pour les résoudre, ils font un travail formidable. » Quant au sentiment de gagner moins que pourraient avoir les Français en découvrant leur rémunération nette fin janvier, après retenue de l’impôt, l’exécutif veut croire que le travail de pédagogie effectué suffira à l’empêcher.

      La relation avec l’administration et le pouvoir d’achat sont deux écueils potentiellement déflagratoires, comme l’a notamment montré ces dernières semaines la mobilisation des « gilets jaunes ». Emmanuel Macron le sait. Au lendemain de son élection, il avait d’ailleurs décidé de repousser d’un an la mise en place du prélèvement à la source, initialement prévue pour janvier 2018. Fin août, le chef de l’Etat avait envisagé de la reporter une nouvelle fois, jugeant que les garanties apportées par Bercy n’étaient pas suffisantes.

      Au risque politique, s’ajoute un risque économique. Que les Français aient le sentiment de toucher moins d’argent, qu’ils décident en conséquence de moins consommer et cela pourrait se traduire directement dans les chiffres de l’activité, laquelle donne déjà des signes de ralentissement. « Il y aura un impact psychologique, en termes de pouvoir d’achat et de consommation », prévient le sénateur (LR) d’Eure-et-Loir Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Une mise en garde que le gouvernement ne peut négliger, alors qu’il a construit le budget 2019 avec une hypothèse de croissance de 1,7 % et que l’Insee mise désormais sur 1,3 %.

      Gains de trésorerie
      « Darmanin risque sa peau sur cette affaire », juge un macroniste de la première heure. On ne pourra en tout cas pas lui reprocher d’avoir ménagé sa peine. Dès qu’il en a l’occasion, le ministre issu de la droite plaide pour le prélèvement à la source. Il martèle qu’il ne s’agit pas d’une réforme de l’impôt sur le revenu, mais seulement de son mode de collecte. Dorénavant, l’impôt sera prélevé directement par l’employeur sur le salaire ou la caisse de retraite sur la pension. « Le prélèvement à la source est une façon plus simple de payer son impôt, a-t-il tweeté le 20 décembre. Nous sommes l’un des derniers pays à ne pas l’avoir mis en œuvre. »

      Bercy multiplie également les arguments pour convaincre que non seulement la réforme n’entraîne pas de perte de pouvoir d’achat, mais que, en plus, elle génère des gains de trésorerie. Notamment pour les contribuables mensualisés, qui sont aujourd’hui prélevés le 15 du mois et qui, à partir de janvier, le seront mécaniquement à la fin du mois, rappelle souvent Gérald Darmanin. « Elle permettra de nombreux gagnants en trésorerie et améliorera le quotidien de tous ceux qui connaissent des changements de situation familiale ou professionnelle », assure-t-il. Quant à ceux qui bénéficient de #crédits_d’impôt (services à la personne, frais de garde d’enfant, investissement locatif, etc.), ils percevront 60 % de cet avantage dès le 15 janvier, a décidé l’Elysée en septembre. Soit un transfert de 5 milliards d’euros.

      Par ailleurs, note le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, « les contribuables concernés par le prélèvement à la source sont très minoritaires, puisque 57 % des Français ne payent pas d’impôt sur le revenu, et que, parmi ceux qui le payent, 60 % sont déjà mensualisés ». Pour ces derniers, le fait de payer l’impôt sur douze mois, plutôt que sur dix – comme c’est le cas actuellement –, représente le principal atout de la réforme. C’est en tout cas ce que montre la dernière enquête Elabe sur ce thème, réalisée les 18 et 19 décembre. La même étude accrédite d’ailleurs l’image d’une réforme populaire : 68 % des Français y sont favorables.

      « Une affaire de perception »
      Néanmoins, au sein de la majorité parlementaire, son entrée en vigueur inquiète. « Jusqu’aux retraites, on n’a que des réformes impossibles, surtout le prélèvement à la source », juge un député LRM qui a l’oreille du président. Plusieurs élus évoquent l’enchaînement des mesures, qui brouille leur lisibilité. Pour le député LRM du Rhône Bruno Bonnell, « l’impact du prélèvement à la source n’est pas clair, il va masquer plus ou moins les baisses de cotisations de fin octobre ». « Mais en janvier, ajoute-t-il, il y aura la prime de fin d’année que certaines entreprises verseront, et, en février, la prime d’activité… Donc des plus et des moins, rien d’évident en perception ». Or, comme le dit un conseiller à l’Elysée, « la politique, c’est d’abord une affaire de perception » .

      L’administration fiscale a été mise sous pression, pour éviter au maximum les problèmes techniques. Depuis des mois, de nombreux tests ont été effectués, dont certains avaient donné des résultats calamiteux, comme l’avait révélé Le Parisien début septembre, quand Emmanuel Macron doutait de l’opportunité de mener à terme cette réforme.

      Mais, à en croire l’exécutif, tout serait réglé. « La préfiguration n’a pas révélé d’erreurs », indique-t-on dans l’entourage de Gérald Darmanin. Huit millions de fiches de paie tests ont été envoyées depuis octobre, manière de préfigurer le dispositif et d’acclimater les contribuables. Le ministre compare souvent la mise en œuvre du prélèvement à la source au « bug de l’an 2000 », quand le monde entier craignait que la transition d’un millénaire à l’autre ne fasse dérailler les systèmes informatiques. Il n’en fut rien.

      Certains syndicats se montrent moins affirmatifs. Solidaires finances publiques, le premier syndicat du secteur, appréhende l’arrivée des « #tiers_collecteurs » dans le circuit de l’impôt sur le revenu : les entreprises ou les caisses de retraite, notamment. « Quand vous multipliez les intervenants, vous multipliez les risques : les bugs peuvent venir d’ailleurs que de l’administration, estime Anne Guyot-Welke, sa porte-parole, mais ce sont nos services qui seront rendus responsables. » Et le ministre.

    • Effectivement, le passage en force du prélèvement mensuel obligatoire fait que beaucoup de personnes envisagent de fermer leur compte en banque et de rendre leur carte de crédit.
      Sans fric, pas de financiers, pas de banquiers.

      Le #holdup du gouvernement ne passe pas inaperçu, obliger chacun·e à donner un blanc seing mensuel sur son compte bancaire alors que dans le même temps les services publics sont sacrifiés avec les hopitaux en premier, ça risque de faire très mal, il n’y a qu’une dictature qui semble avoir été prévue au programme pour résoudre le conflit qui en résultera. Ces politiques sont complètement tarés.

  • « Le mouvement des “#gilets_jaunes” est avant tout une demande de revalorisation du #travail », Yann Le Lann, sociologue, propos recueillis par Sylvia Zappi
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/24/le-mouvement-des-gilets-jaunes-est-avant-tout-une-demande-de-revalorisation-

    Le sociologue Yann Le Lann (université de Lille) a coordonné une enquête d’un mois sur le mouvement de protestation. Il revient pour « Le Monde » sur les enseignements de l’étude.

    Yann Le Lann est maître de conférences en sociologie à l’université de Lille. Spécialiste du travail, il a coordonné l’#enquête du collectif Quantité critique, composé de chercheurs et de doctorants de Lille et de Sciences Po Paris, qui a analysé le mouvement des « gilets jaunes » durant un mois. Le sociologue estime que l’identité du mouvement est centrée sur la reconnaissance du travail.

    Quel est le profil des gilets jaunes que vous avez interrogé ?
    Ce qui resort de nos questionnaires recoupe les informations déjà publiées sur ce mouvement : ce sont les #classes_populaires, employés et ouvriers, qui sont présentes sur les barrages. On y retrouve aussi beaucoup de #femmes qui ont pris une place importante dans le mouvement, souvent en position pivot : c’est à elles qu’on fait confiance pour gérer des caisses de solidarité ou mener des actions. On trouve aussi une part importante de #retraités. Tous nos questionnaires montrent qu’on a affaire à des personnes aux revenus inférieurs à 1 600 euros mensuels, voire très souvent juste au niveau du SMIC.

    Ce mouvement est passé d’une revendication contre les taxes sur les carburants à une demande de hausse des salaires. Vous expliquez que c’est une bascule très signifiante. Pourquoi ?
    Parce que c’est important pour comprendre le décalage entre la première perception de cette mobilisation et sa réalité politique, ce qui a donné lieu à un malentendu sur ce mouvement. Les premiers temps, les chaînes d’information l’ont présenté comme l’expression d’un ras-le-bol des territoires périurbains braqués contre la taxe sur les carburants. Le mouvement a eu l’intelligence de subvertir cette audience pour déplacer la revendication vers des enjeux de #salaire et de #retraite qui sont devenus le cœur de leur plate-forme.
    A nos yeux, c’est donc la question de la reconnaissance du travail qui est en jeu. Ceux qui se mobilisent sont des salariés qui n’ont pas les moyens de se mettre en grève. Parce que leur budget est trop contraint ou parce qu’ils n’ont pas les ressources politiques autour d’eux pour porter une revendication salariale auprès de leur patron. Ou parce qu’ils ont déjà fait l’expérience d’une négociation salariale qui a échoué.

    Et pourtant, les « gilets jaunes » sont passés à une plate-forme revendicative beaucoup plus large…
    Oui, parce que l’écho médiatique leur a permis de se faire entendre sur d’autres enjeux. Mais la question centrale demeure celle du travail. Comme, pour eux, le canal classique de la revendication collective, organisée sur les lieux de travail, est bouché, ça a débordé ailleurs : ils ont en quelque sorte contourné cette impossibilité en s’organisant en dehors des heures de travail, sur des barrages et des places, en occupant l’espace public. Du coup, ce n’est pas le patron qui est interpellé mais l’#Etat, qui est jugé comme ayant une responsabilité en matière salariale et se retrouve à devoir gérer ces #revendications. C’est tout à fait nouveau et c’est un défi pour lui.

    N’est-ce pas une remise en cause des syndicats ?
    C’est un coup de semonce. Les « gilets jaunes » sont très loin des organisations syndicales. Ceux que nous avons interrogés portent un regard très varié sur leur action ; nous avons tenté de les répartir en trois groupes. Le premier, très largement majoritaire, regroupe tous ceux qui n’ont aucun contact avec les #syndicats. Cela concerne les nombreux salariés des petites et moyennes entreprises (PME) ou des très petites entreprises (TPE) dans lesquelles il n’y a pas de structuration de la négociation collective.
    Ensuite, il y a ceux qui ont été en contact avec des syndicats, ont tenté de négocier des hausses de salaire et de meilleures conditions de travail, et n’ont pas obtenu gain de cause. Ils en ressentent une forme d’amertume. Le troisième profil, minoritaire, correspond à des personnes plus politisées qui veulent qu’il y ait convergence de luttes avec d’autres secteurs professionnels emmenés par les syndicats.

    Quel est le positionnement politique des « gilets jaunes » de votre échantillon ?
    On a trois blocs quasi égaux de 20 % entre les #abstentionnistes et #votes_blancs, les électeurs de Jean-Luc #Mélenchon et ceux de Marine #Le_Pen. On a vu se confirmer une polarité au sein du mouvement entre la gauche radicale et l’#extrême_droite, avec, au milieu, une zone grise difficile à cerner. Mais le sentiment que le gouvernement ne respecte plus la souveraineté populaire, qu’il est en rupture avec les intérêts du peuple, unifie ces trois pôles. D’une manière générale, nous avons perçu une défiance totale vis-à-vis de tous ceux qui ont été aux affaires depuis quarante ans.

    [comme souvent, ici "le travail" est un vocable qui unifie tout et exempte d’une analyse concrète de ses modalités, on remarquera que stage, chômage, en activité à temps réduit ou pas, AAH, etc ne sont pas cités parmi les variables prises en compte, ndc]

    Comment cela se traduit-il en matière de valeurs politiques ?
    Il y a indéniablement, parmi les « gilets jaunes », une part importante qui ressent une vraie crainte à l’égard de la crise migratoire et qui, lorsqu’on l’interroge sur l’#immigration, porte des idées xénophobes ou #racistes. Ainsi, 48 % des personnes que nous avons interrogées estiment qu’en matière d’emploi, « on devrait donner la priorité à un Français sur un immigré en situation régulière ».
    Malgré cela, le mouvement s’est politisé sur des slogans qui empruntent aux valeurs de la gauche. Car les porte-parole des ronds-points ont privilégié les mots d’ordre qui permettaient de fédérer. Ce sont les revendications sur les salaires, les retraites, le référendum d’initiative citoyenne (RIC), qui se sont avérées les plus consensuelles et ont permis au mouvement de durer. Les « gilets jaunes » ont eu cette intelligence collective d’orienter leur parole publique vers le social et d’éviter de faire caractériser leur mobilisation comme un mouvement de « petits blancs » récupérable par l’extrême droite.

    Votre constat ne contredit-il pas les observations des chercheurs de Bordeaux dont « Le Monde » a publié les résultats ?
    Non, ils sont complémentaires. Il y a deux niveaux de pensée : les valeurs que l’on n’assume pas dans le face-à-face avec un enquêteur, et celles que l’on affirme seul en répondant à un questionnaire en ligne. Ces deux types d’enquête donnent des résultats souvent très différents.
    Nous avons mesuré qu’une partie des « gilets jaunes » est très sensible aux thèses présentant l’immigration comme un danger mais qu’ils ne les défendent pas à l’intérieur du mouvement. Les slogans xénophobes sont demeurés minoritaires. Ce sont la critique du gouvernement et la dénonciation d’une politique économique du pays qui ont soudé tout le monde.

    On a senti une lutte d’influence entre deux ailes du mouvement, les « mélenchonistes » et les sympathisants de Marine Le Pen. L’avez-vous perçue ?
    Cette opposition existe à l’évidence mais elle demeure difficile à capter parce qu’il y a très peu de militants organisés . Cela reste sourd, latent, entre des petits noyaux qui veulent que le mouvement s’organise autour des enjeux de démocratie et de justice sociale, et des tentatives de récupération de l’extrême droite sur les questions identitaires. Cette dernière a cependant échoué à l’intérieur du mouvement : j’ai le sentiment que le pôle abstentionniste des « gilets jaunes » n’est pas en train de basculer dans les bras de Marine Le Pen.

    Le fait que la revendication de hausse du #smic ait été autant centrale en est le signe. Tout comme la réaction massive contre les violences policières vécues sur les barrages et dans les manifestations du 1er décembre. Ce qui ne dit pas pour autant que le Rassemblement national ne puisse pas gagner, auprès d’une partie des Français, la bataille sur le sens du mouvement, alors qu’il n’est pas arrivé à imposer ses thèses à l’intérieur.

    #xénophobie #bataille_idéologique

  • « Le sentiment de pauvreté met en évidence une insécurité sociale durable et une vision dégradée de son avenir », Nicolas Duvoux, Propos recueillis par Anne Chemin
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/21/qui-se-sent-pauvre-en-france_5400777_3232.html

    « Le sentiment de pauvreté met en évidence une insécurité sociale durable et une vision dégradée de son avenir »
    Pour le sociologue Nicolas Duvoux, la pauvreté monétaire est un indicateur d’inégalité, alors que la pauvreté subjective, qui concerne environ 13 % de la population, est un indicateur d’insécurité.

    Nicolas Duvoux est professeur de sociologie à l’université Paris-VIII-Vincennes Saint-Denis, chercheur au Cresppa-LabToP. Il est l’auteur, avec Adrien Papuchon, de « Qui se sent pauvre en France ? Pauvreté subjective et insécurité sociale », un article de la Revue française de sociologie, 2018/4, p. 607-645

    Quelles sont les différentes définitions de la #pauvreté et que nous apprennent-elles ?

    La question de savoir qui sont les « pauvres » a été très débattue dans les sciences humaines et sociales. En France est considéré comme pauvre tout individu vivant dans un ménage dont le niveau de vie est inférieur à 60 % du niveau de vie médian : en 2016, cela représente 1 026 euros par mois pour une personne isolée, soit 14 % de la population. La pauvreté touche aujourd’hui de manière disproportionnée les enfants (19,8 %), les jeunes adultes (19,7 % des 18-29 ans) et les familles monoparentales (34,8 %). C’est un indicateur d’inégalité, qui mesure l’écart avec les revenus médians ou intermédiaires.

    Il y a aussi la pauvreté en conditions de vie – elle est en baisse du fait, notamment, de l’amélioration de la qualité des logements. Enfin, il y a le fait d’être « assisté » par la collectivité, c’est-à-dire de percevoir une aide sociale, notamment le revenu de solidarité active (#RSA). Inspirée par les analyses du sociologue allemand Georg Simmel, cette approche qui s’est déployée dans un ­contexte de développement du #chômage_de_masse met l’accent sur les formes institutionnelles de la pauvreté : l’intervention des pouvoirs publics assigne l’individu à l’identité de pauvre.

    Vous venez de publier, avec Adrien Papuchon, un article dans la « Revue française de sociologie » qui évoque la « #pauvreté_subjective ». Cette notion permet-elle de mieux comprendre le mouvement des « gilets jaunes » ?

    Tandis que la #pauvreté_monétaire relative indique la part des ­revenus qui sont éloignés des revenus intermédiaires ou médians, le sentiment de pauvreté, qui concerne environ 13 % de la population, met en évidence une #insécurité_sociale durable et une vision dégradée de son avenir. La pauvreté monétaire est un indicateur d’inégalité, alors que la pauvreté subjective est un indicateur d’insécurité. L’apport principal de cette mesure subjective de la pauvreté est de remettre en cause la vision la plus commune de la pauvreté qui, en se centrant sur les situations d’éloignement prolongé du marché du travail, néglige la forte proportion d’actifs parmi les personnes qui se jugent pauvres.

    Les données du baromètre d’opinion de la direction de la ­recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques montrent qu’un tiers des personnes qui se sentent pauvres sont en emploi. La moitié d’entre elles sont des employés et ouvriers en emploi ou au chômage, centre de gravité des #classes_populaires. Des #retraités modestes et de petits #indépendants apparaissent aussi surreprésentés.

    Ces catégories modestes mais non pauvres, subalternes mais non démunies, sont aujourd’hui dans une situation de tension et mal protégées : leur sentiment de pauvreté est attaché à un pessimisme pour l’avenir. C’est sans doute une des explications de l’irruption de populations « invisibles » à l’occasion du mouvement des « #gilets_jaunes ».

    Que nous apprend la notion de « pauvreté subjective » sur la complexité du monde social ?

    Cette notion nous invite à utiliser la perception de soi et la ­#dimension_subjective d’un phénomène comme la pauvreté pour accéder aux structures qui déterminent la position des ­individus. Ainsi, notre propos n’est pas de compléter la mesure objective de la pauvreté par une mesure subjective, encore moins d’opposer les deux, mais de dépasser la dualité de l’objectif et du subjectif.

    La réflexion en termes de #classes_sociales a toujours fait la part à cette dualité (Marx parlait de classes « en soi » et « pour soi ») et un des paradoxes des sociétés contemporaines est précisément le désajustement entre une forte augmentation des #inégalités socio-économiques et une faible ­conscience de classe, y compris chez ceux qui la subissent.

    Dans ce contexte, il nous semble important de renouveler l’approche de la structure sociale en intégrant ces deux dimensions plutôt que de présupposer que la perception de soi est une illusion qui masque les déterminations sociales ou, au contraire, que la subjectivité donne un accès direct au monde social. Il faut travailler les chevauchements et les désajustements entre les dimensions : ainsi des hommes seuls se disent pauvres même quand ils ne le sont pas et, même pauvres au sens monétaire, sont préservés dans leur identité quand ils sont en couple. A rebours, les familles monoparentales sont à la fois pauvres objectivement et subjectivement. Le #temps joue un rôle majeur dans l’articulation de ces dimensions.

    #sociologie_des_sentiments #assistés #pauvres

    • « Gilets jaunes » : « La perspective d’une réunification d’un bloc populaire inquiète les politiques », Nicolas Duvoux, propos recueillis par Sylvia Zappi
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2019/02/07/gilets-jaunes-la-perspective-d-une-reunification-d-un-bloc-populaire-inquiet

      Pour le sociologue Nicolas Duvoux, le mouvement de protestation a fait renaître une #conscience_de_classe parmi les couches populaires.

      Nicolas Duvoux est professeur de sociologie à l’université Paris-VIII. Il a codirigé, avec Cédric Lomba, l’ouvrage collectif Où va la France populaire ? (Presses universitaires de France, 120 p., 9,50 €), qui montre que la fragmentation du monde ouvrier est le principal facteur de son désarmement identitaire et politique.

      On ne parle plus aujourd’hui de classe ouvrière, mais de classes populaires. Pourquoi ?

      Parce que la réalité et la représentation sociales de ces groupes ont changé. Le monde ouvrier, depuis trente ans, a connu de très fortes évolutions avec l’accès à l’éducation, la tertiarisation des emplois et leur féminisation. L’image sociologique de ce monde-là au sortir de la seconde guerre mondiale était celle de l’ouvrier masculin qualifié de Billancourt. Il incarnait le groupe et lui donnait sa force.
      C’était un univers soudé autour d’une forte centralité professionnelle et d’un mouvement social et politique capable d’agréger l’ensemble, pourtant disparate, même pendant les « trente glorieuses ». Cette unité n’existe plus. Les classes populaires sont aujourd’hui constituées de groupes éclatés.

      Comment se définit alors ce monde populaire ?

      Par ce qui l’unifie encore, à savoir sa position #subalterne dans le monde socio-économique et la contrainte économique qu’il subit – celle des travailleurs qui ont des emplois d’exécutants et qui reçoivent des ordres. Ces modes de vie sont aussi un marqueur commun. Les classes populaires ont ainsi un attachement aux #sociabilités_locales et un fort sentiment d’appartenance au groupe, un sens du #collectif qu’on ne perd pas.
      Mais dans cet ensemble, des différenciations importantes sont apparues. On n’a pas la même vision du monde selon qu’on a un emploi stable ou #précaire, selon qu’on réside dans une commune reléguée ou incluse dans une métropole, selon qu’on habite dans un petit pavillon ou dans un grand ensemble en banlieue, si on est en couple avec deux salaires ou une mère célibataire, si l’on appartient à une minorité visible ou non, etc.
      Ce qu’il y a derrière cette appellation de classes populaires n’est donc pas un bloc homogène, mais un continuum qui va des strates les plus précaires – les #allocataires des minima sociaux – jusqu’aux frontières inférieures des classes moyennes – ouvriers et employés qualifiés.

      Comment ces écarts se traduisent-ils au quotidien ?

      Par de petites variations de revenu ou de position sociale qui finissent par faire de grandes différences. Ainsi, la gestion des budgets familiaux n’est pas la même. Quand on est parmi les catégories les plus modestes, on trouve des conduites d’adaptation à la #pauvreté. Certains, quand ils reçoivent leur salaire, mettent tout de suite de côté l’argent du loyer, réflexe qui assure au ménage qu’au moment des arbitrages à faire, ils ne seront pas réalisés sur un poste qui entraîne des dettes. D’autres ménages ayant des revenus presque identiques ne peuvent anticiper et vont se mettre dans le rouge.

      Cet éclatement a affaibli l’identité collective. Comment ?

      L’exigence d’#égalité, cette vision du monde social fondatrice dans la manière dont les catégories populaires se perçoivent elles-mêmes – l’opposition entre le « nous » qui souffrons, qui exécutons les ordres, qui subissons, versus « eux », les puissants, les dominants, les élites –, existe toujours.
      Mais cet ethos égalitaire a changé ces dernières années sous l’influence de ce que le sociologue Olivier Schwartz appelle la « conscience sociale triangulaire ». Les classes populaires s’identifient toujours comme un « nous », mais il y a désormais deux « eux » : ceux d’en haut, les #riches, et ceux d’en bas, les #assistés, ceux qu’on appelle les « cas soc » [cas sociaux]. Cette tension, qui est une nouveauté majeure, divise le groupe en opposant les catégories stabilisées, qui ont un emploi, et les plus paupérisés, qu’on stigmatise.

      Le mouvement des « gilets jaunes » a-t-il réduit cette fracture ?

      Le premier effet de cette mobilisation a été de faire réapparaître les classes populaires dans l’espace social. Le sentiment d’invisibilité, l’injustice, l’impression que les règles ne sont pas les mêmes pour tout le monde, ont formé un cocktail qui a été le moteur de cette explosion. On a vu que la revendication de dignité – « Pourquoi, en suivant les règles du jeu, on ne s’en sort pas ? » – a été très fortement portée sur les ronds-points et cette exigence constitue un facteur d’unité nouvelle.
      Ce mouvement a aussi fait réémerger la frontière principale entre le « eux » des élites et le « nous » du peuple. La stigmatisation des assistés ou des #immigrés s’est peu fait entendre sur les barrages, comme si la conscience de classe se réunifiait. La question est désormais de voir si les tensions internes entre les segments les plus stables et les assistés, apparues ces dernières années, vont reprendre le dessus ou si un bloc populaire unifié face aux élites va se reconstituer. La perspective de cette réunification peut inquiéter, et l’on comprend que les politiques cherchent à recréer des clivages au sein du monde populaire, comme l’a fait le président de la République en stigmatisant « ceux qui déconnent » en ouverture du grand débat national.

  • De nouvelles actions pour les « gilets jaunes »
    http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2018/12/16/01016-20181216ARTFIG00160-de-nouvelles-actions-pour-les-gilets-jaunes.php

    Avec la double casquette de manifestant et de représentant du mouvement, Steven Lebee, qui a pris, samedi, la parole dans un cortège du quartier de l’Opéra à Paris aux côtés de Priscillia Ludosky, met en garde contre des apparences trompeuses. Dans le bus du retour, ce dimanche, ce père au foyer de 31 ans vivant en Haute-Savoie raconte comment nombre de cars transportant des « gilets jaunes », stoppés aux entrées de la capitale, ont dû faire demi-tour. « Il n’y avait pas moins de monde mais on a refoulé des bus entiers », assure-t-il.

    • « Gilets jaunes » : la mobilisation s’essouffle, particulièrement à Paris [ce titre dessert l’article ; plus bas : « Gilets jaunes » : l’exécutif répond et tente une sortie de crise]
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/17/la-mobilisation-des-gilets-jaunes-s-essouffle-particulierement-a-paris_53986

      [...] Samedi matin, en haut des Champs-Elysées, le contraste avec les semaines passées était #spectaculaire : quelques centaines de personnes tout au plus. Ces dernières se refusaient de se rendre à l’évidence, en reprochant aux #forces_de_l’ordre – avec des #interpellations_préventives ou des barrages – d’avoir freiné les manifestants. Le nombre d’interpellations a pourtant chuté drastiquement : 179 pour la journée de samedi à Paris, contre 1 082 le 8 décembre.

      Des échauffourées, avec gaz lacrymogène et jets de projectiles, suivis de mises en garde à vue ont eu lieu à Bordeaux, Saint-Etienne, Toulouse, Nantes, Besançon, Nancy ou Lyon. Et plusieurs zones de péages dans le sud, de Perpignan à Orange, ont de nouveau été touchées par des incendies et dégradations. Mais on déplore globalement beaucoup moins d’incidents et de blessés, partout en France.
      Venu de Douai (Nord) manifester à Paris, Jean-Luc, technicien de 29 ans, se doutait bien qu’il y aurait moins de monde : « Certains sont satisfaits des annonces de Macron, il y a eu l’attentat de Strasbourg, les violences, certains ont pris peur… Et puis, ça fait cinq semaines qu’on est sur les ronds-points, les gens sont fatigués. »

      Cette occupation des #ronds-points est le cœur battant du mouvement. C’est là qu’on réinvente le monde autour d’un feu de bois et qu’on fait vivre la lutte localement. Du maintien de ces places fortes dépend désormais la poursuite de la mobilisation. Les responsables de la majorité l’ont bien compris, à l’instar du président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand, qui n’a pas exclu, dimanche sur France 3, l’envoi de « CRS ou de gendarmes à la campagne » pour « libérer l’espace public » .

      Depuis le 17 novembre, ceux qui mènent des opérations de #blocage ont déjà été régulièrement délogés. Affectés dans leur activité économique, des commerçants et des exploitants d’autoroutes ont saisi la voie judiciaire et obtenu gain de cause : dans l’Eure, cinq ordonnances ont ainsi été rendues, obligeant des « #gilets_jaunes » à quitter les lieux, sous astreinte financière.

      Mais ces derniers jours, des « gilets jaunes » pacifiques et ne menant aucune action de blocage sont, eux aussi, sous pression. Dans l’Yonne, certains ont été sommés par le préfet de réduire la taille de leur #campement à un simple abri contre la pluie. « C’était un petit village qui commençait à se construire », déplore le préfet de l’Yonne, Patrice Latron auprès du Monde. Moins confortable, l’occupation en ce mois de décembre pourrait s’avérer plus difficile.

      Dimanche soir, à Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire), les « gilets jaunes » qui avaient installé buvette et canapé sur l’échangeur du Magny étaient en émoi. « On s’attend à être évacué mardi ou mercredi, tempêtait ainsi l’un d’eux, Pierre-Gaël Laveder. Ils veulent étouffer le mouvement ! » Lui craignait que ces représailles rendent la mobilisation plus violente samedi prochain. C’est un risque. Car même moins nombreux, les « gilets jaunes » n’ont pas tout à fait rendu les armes. A Montceau-les-Mines, comme ailleurs en France, certains veulent croire à un acte VI, le 22 décembre, y compris à Paris.

      « Gilets jaunes » : l’exécutif répond et tente une sortie de crise, Cédric Pietralunga et Bertrand Bissuel
      https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/17/l-executif-au-defi-d-une-delicate-sortie-de-crise_5398679_823448.html

      Edouard Philippe a détaillé des mesures sociales qui seront examinées dans la semaine par les élus, alors que la mobilisation semble s’essoufler.

      Pas question de fanfaronner. Même si le mouvement des « gilets jaunes » semble marquer le pas, avec seulement 66 000 #manifestants à travers la France samedi 15 décembre, soit deux fois moins qu’une semaine plus tôt, l’exécutif se garde bien de crier victoire. « La participation [aux manifestations] est moindre, mais les questions posées sont toujours là », a reconnu François Bayrou, le président du MoDem, dimanche, sur BFM-TV.

      Au bout de cinq semaines de mobilisation, les « gilets jaunes » ont fait vaciller le pouvoir. Pour la première fois depuis le début de son mandat, le président de la République a été contraint de reculer, en abandonnant la hausse de la taxe carbone prévue en 2019, qui devait à nouveau faire augmenter le prix du litre de diesel (de 6 centimes) et celui de l’essence (de 3 centimes) le 1er janvier.

      S’il a réussi à calmer tout ou partie de la colère, en annonçant pour environ 10 milliards d’euros de mesures sociales [sic] le 10 décembre, Emmanuel Macron sait qu’il ne peut pas faillir dans l’exécution. Qu’il donne le sentiment de tergiverser ou de renoncer à une partie de ses promesses, et les ronds-points pourraient très vite se colorer de nouveau de jaune. « On n’a pas le droit à l’erreur », reconnaît un conseiller de l’exécutif. « 

      L’engagement du président sera tenu (…), il n’y aura pas de #carabistouille », s’est engagé Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, très proche du chef de l’Etat, dans Le JDD du 16 décembre.

      Critiques de l’opposition

      Alors que nombre d’observateurs s’inquiètent de la capacité du #gouvernement à mettre en musique les engagements d’Emmanuel Macron, le premier ministre Edouard Philippe a tenté d’en préciser les modalités, dans un entretien aux Echos, lundi. S’agissant des 100 euros supplémentaires pour les #travailleurs modestes, le dispositif finalement retenu a encore évolué par rapport à ce que l’exécutif en avait dit, il y a quelques jours.

      La hausse de #revenu, promise par Emmanuel Macron, reposera finalement sur deux éléments : la revalorisation légale du #smic, au 1er janvier 2019, ce qui ne figurait pas dans le schéma de départ, et une forte amélioration de la #prime_d’activité (PA) – celle-ci pouvant désormais être versée à quelque 5 millions de ménages (contre 3,8 millions à l’heure actuelle, selon le ministère du travail).

      Mais avec ce dispositif, seulement un peu plus de la moitié des smicards seront éligibles aux 100 euros en plus ; les autres ne seront pas concernés, du fait des conditions d’attribution de la PA puisque celle-ci tient compte des ressources ainsi que de la composition du foyer, et non pas des revenus de la personne seule. Un pari risqué : en évinçant un certain nombre de smicards de la mesure, Emmanuel Macron prête le flanc aux critiques de l’opposition et des « gilets jaunes », qui pourront railler la promesse non vraiment tenue du chef de l’Etat.

      Le détail des mesures : ce qu’Edouard Philippe a répondu aux « gilets jaunes »

      Néanmoins, la mesure pourra s’appliquer à des personnes dont la rémunération est un peu au-dessus du smic. Un exemple, évoqué par Edouard Philippe dans Les Echos : un célibataire sans enfant, dont les ressources mensuelles nettes vont jusqu’à 1 560 euros, touchera le surcroît de 100 euros. Les sommes tomberont dans la poche des bénéficiaires début février 2019. Montant total de la dépense : 2,5 milliards d’euros.

      Autre coup de pouce en faveur du pouvoir d’achat : dès le 1er janvier 2019, les heures supplémentaires seront exonérées de l’impôt sur le revenu et de cotisations salariales (mais pas des charges patronales [sic] , contrairement à ce qui avait été indiqué dans un premier temps). Les allégements cesseront de s’appliquer si les gains dépassent 5 000 euros par an. La facture pour les finances publiques devrait s’élever à environ 2,5 milliards d’euros l’an prochain.

      « Faire vite »

      Le premier ministre a également confirmé l’annulation de la hausse de la CSG qui était entrée en vigueur, début 2018, pour une partie des #retraités. A l’avenir, ceux dont le revenu fiscal de référence est de 22 580 euros par an (pour une personne seule) repasseront au taux de 6,6 % (contre 8,3 % depuis janvier 2018). D’après l’entourage de la ministre du travail, Muriel Pénicaud, quelque 3,7 millions de ménages vont profiter de cette décision, soit environ la moitié de ceux qui avaient subi la majoration du taux de CSG en début d’année. Coût de ce geste : 1,5 milliard d’euros.

      Enfin, jusqu’à la fin mars 2019, les entreprises auront la possibilité d’octroyer une prime exceptionnelle à leurs personnels. Cette gratification sera entièrement défiscalisée et exonérée de tout prélèvement (cotisations sociales, CSG, CRDS), dans la limite de 1 000 euros et pour ceux dont le salaire mensuel ne dépasse pas trois smic.

      Au-delà des inquiétudes techniques, les #macronistes s’interrogent sur la capacité du Parlement à légiférer rapidement pour que les mesures annoncées par le chef de l’Etat puissent s’appliquer dès janvier. Le projet de loi, qui doit servir de véhicule à ces dispositions, sera présenté mercredi en conseil des ministres et l’Assemblée nationale l’examinera dès le lendemain. Le Sénat devrait suivre vendredi. Mais que les députés de l’opposition multiplient les amendements ou que le Sénat – où les macronistes ne sont pas majoritaires – rechigne à voter le texte en l’état, et c’est tout le bel ordonnancement de l’exécutif qui tombe à l’eau.

      « J’en appelle à la responsabilité des parlementaires, a plaidé M. Ferrand dans Le JDD. La liberté de débattre et d’amender est essentielle, mais il serait paradoxal de retarder volontairement l’adoption de mesures sociales urgentes – surtout de la part de partis politiques qui ont soutenu les “gilets jaunes” ! » « 

      L’objectif n’est pas de pinailler mais de faire vite ce qui a été annoncé », a abondé Marc Fesneau, le ministre des relations avec le Parlement, dimanche dans Le Parisien.

      Cela suffira-t-il pour permettre à l’exécutif de se projeter dans « l’après » ? Le bon accueil réservé au chef de l’Etat à Strasbourg, où il s’est rendu vendredi soir pour rendre hommage aux victimes de l’attaque terroriste du 11 décembre, a rasséréné les soutiens du président. « C’est la preuve qu’il n’est pas empêché, qu’il peut continuer à sortir de l’Elysée », estime un familier du Château. La venue d’Emmanuel Macron à Biarritz, où il doit se rendre mardi 18 décembre pour préparer la réunion du G7 que la France organise dans la ville basque l’été prochain, sera un autre test de la capacité du chef de l’Etat à renouer avec les Français.

      D’autres veulent croire que le « grand débat annoncé par le président de la République permettra de faire baisser la pression. Mais celui-ci a déjà pris du retard. Son lancement, prévu le 14 décembre, a été retardé et un premier couac sur l’ajout puis le retrait de l’immigration parmi les thèmes prévus de la consultation interroge. La commission nationale du débat public, présidée par Chantal Jouanno, ancienne ministre de Nicolas Sarkozy, doit présenter cette semaine les modalités de l’événement. En attendant, certains ministres ont déjà annoncé leur présence à des débats, comme la secrétaire d’Etat à la transition écologique, Brune Poirson, qui devait échanger avec des associations, lundi, à Carpentras.

      Seule certitude : « Le chemin sera long » pour reconquérir l’opinion, anticipe un très proche du chef de l’Etat. Selon le baromètre mensuel de l’IFOP, publié dimanche 16 décembre, les Français ne sont plus que 23 % à se dire satisfaits de l’action d’Emmanuel Macron. A titre de comparaison, au même moment de son mandat, Nicolas Sarkozy comptait 44 % d’opinions favorables, tandis que François Hollande ne donnait satisfaction qu’à 22 % des Français, selon l’institut. En un an, la cote de popularité de l’actuel chef de l’Etat a été divisée par plus de deux.

  • « Gilets jaunes » : la révolte des ronds-points
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2018/12/15/sur-les-ronds-points-les-gilets-jaunes-a-la-croisee-des-chemins_5397928_3224

    Adélie a 28 ans, employée aux pompes funèbres, sa vocation. A ceci près que la spécialité est verrouillée dans le coin et travailler plus loin revient trop cher en essence, en garde d’enfant, en temps. Bref, chômeuse. En fait, à cet instant précis, Adélie s’en fout. Depuis quand sa vie ne lui avait pas semblé si excitante ? Laisser le téléphone allumé en rentrant à la maison. Ne plus regarder les dessins animés avec la petite, mais les infos. Parler à des gens auxquels elle n’aurait jamais osé adresser la parole, Stéphane par exemple, avec sa barbichette tortillée en deux tresses et sa dégaine de gouape. Un routier, en fait, adorable. « Sinon, on fait quoi de nos journées ? », dit Adélie. Etre au cœur du réacteur, cette fois au moins.

    #Florence_Aubenas #Paywall

    • La grande reportrice Florence Aubenas et le photographe Edouard Elias racontent cette France qui se retrouve depuis un mois sur les carrefours giratoires.

      Deux bâches sont tendues en plein vent sur une charpente en bois récupéré. Un coin fait cuisine, Butagaz, table bricolée. Deux canapés occupent le fond, un générateur, quatre drapeaux français et le sapin de Noël, apporté par un club de motards. C’est « la cahute », appellation officielle : combien y en a-t-il aujourd’hui en France, posées sur le bord des ronds-points ? Celle-là est à côté du Leclerc, à l’entrée de Marmande (Lot-et-Garonne). « On dirait un campement roumain », jubile Adélie. Des flammes s’élancent de trois gros bidons.

      Adélie a 28 ans, employée aux pompes funèbres (...) au cœur du réacteur, cette fois au moins.

      On est le 6 décembre, il est midi. Trois semaines que le mouvement a démarré, avec l’impression, ici, que tout ne fait que commencer. Un noyau de 150 « gilets jaunes » occupent par roulement le rond-point Leclerc. « Macron, nous te retirons ta Légion d’honneur », proclame la pancarte.

      A la ronde, deux autres ronds-points sont aussi occupés, chacun avec son identité et sa cahute : celui du Leclerc est le plus gros, la vitrine locale du mouvement, le rond-point VIP, baptisé « le QG ». Là se brassent les nouvelles, vraies ou fausses. Bruxelles ne veut plus d’agriculteurs en France, vous êtes au courant ? Les banques vont faire faillite, l’argent sera bloqué, retirez tout ce que vous avez. Quelqu’un a vu l’adjudant de la gendarmerie, celui qui est beau gosse ? Le seul sujet dont personne ne parle, c’est le moratoire pour la taxe sur les carburants, que vient juste d’annoncer le gouvernement. La hausse de son montant avait déclenché le mouvement, mais ça n’intéresse plus personne. Trop tard. Tant pis. Déjà ailleurs. Certains ne sont même pas au courant.

      Trois dames, employées dans une grande surface – dont l’une tricote aussi des bonnets pour 2 euros –, rangent des fromages dans une glacière. La plus jeune a sauté le déjeuner. Trop cher. Il faut s’habituer à entendre l’expression, elle revient sans cesse sur le rond-point. « Moi, c’est pareil, sauf le dimanche de la Fête de la mère », précise la tricoteuse. « Mais ici, c’est gratuit, on pourrait manger », glisse la troisième. La plus jeune râle : « Ah non, j’ai peur d’y prendre goût. »

      Les syndicats de routiers FO-transports et la CGT ont annoncé une grève illimitée. Les paysans devraient les rejoindre, les lycéens aussi. La France pourrait être paralysée. Devant la cahute, les gendarmes boivent le café. « Vous défendez tout le monde ou quoi ? », risque un gradé. « On ne défend pas tout le monde, on défend M. et Mme Tout-le-Monde. Vous
      voyez la nuance ? »

      Vendredi 7 décembre, rond-point de la Satar, 9 heures

      Coralie arrive la première. A son mari, apiculteur, certains sont allés dire : « On a vu ta femme sur le #rond-point avec des voyous et des #cas_soc’. » « Moi aussi, je suis un cas social », constate Coralie, 25 ans. Elle a mis un temps à digérer le mot, mais « objectivement », dit-elle, c’est bien celui qui pourrait la définir. Elle vient de déposer à l’école ses deux fils d’un premier mariage. Garde le souvenir amer d’un élevage de chevaux catastrophique. Aimerait devenir assistante maternelle. Il fait très froid, il faudrait rallumer le feu éteint dans le bidon. « Qu’est-ce que je fais là ? », se demande Coralie. Et puis, un grand gars arrive, qui voudrait peindre un slogan sur une pancarte. « Je peux écrire “Pendaison Macron” ? », il demande.

      « Vas-y, fais-toi plaisir », dit Coralie. Personnellement, elle ne voit aucune urgence à pendre Macron. Et alors ? On affiche ce qu’on veut. Le gilet jaune lui-même sert à ça, transformer chacun en homme-sandwich de son propre message, tracé au feutre dans le dos : « Stop au racket des citoyens par les politiques » ; « Rital » ; « Macron, tu te fous de ton peuple » ; « Non au radar, aux 80 km/h, au contrôle technique, aux taxes, c’est trop » ; « 18 ans et sexy » ; « Le ras-le-bol, c’est maintenant » ; « Marre d’avoir froid » ; « Fatigué de survivre » ; « Staff du rond-point » ; « Frexit » ; « Le peuple en a assé, Macron au buchet. »

      Depuis des mois, son mari disait à Coralie : « Sors de la maison, va voir des copines, fais les magasins. » Ça a été les « #gilets_jaunes », au rond-point de la Satar, la plus petite des trois cahutes autour de Marmande, plantée entre un bout de campagne, une bretelle d’autoroute et une grosse plate-forme de chargement, où des camions se relaient jour et nuit.

      L’activité des « gilets » consiste ici à monter des barrages filtrants. Voilà les autres, ils arrivent, Christelle, qui a des enfants du même âge que ceux de Coralie, Laurent, un maréchal-ferrant, André, un retraité attifé comme un prince, 300 chemises et trois Mercedes, Sylvie, l’éleveuse de poulets. Et tout revient d’un coup, la chaleur de la cahute, la compagnie des humains, les « Bonjour » qui claquent fort. Est-ce que les « gilets jaunes » vont réussir à changer la vie ? Une infirmière songeuse : « En tout cas, ils ont changé ma vie. »

      Le soir, en rentrant, Coralie n’a plus envie de parler que de ça. Son mari trouve qu’elle l’aime moins. Il le lui a dit. Un soir, ils ont invité à dîner les fidèles du rond-point. Ils n’avaient jamais reçu personne à la maison, sauf la famille bien sûr. « Tu l’as, ton nouveau départ. Tu es forte », a glissé le mari. Coralie distribue des tracts aux conducteurs. « Vous n’obtiendrez rien, mademoiselle, vous feriez mieux de rentrer chez vous », suggère un homme dans une berline. « Je n’attends rien de spécial. Ici, on fait les choses #pour_soi : j’ai déjà gagné. »

      Rond-point Leclerc, 11 heures

      Une clameur au bout de la rue, 150 #élèves débarquent du lycée Val-de-Garonne, à Marmande, vers le rond-point Leclerc. Ils ont longtemps hésité à faire grève, les classes comptent une majorité de #boursiers, anxieux pour leurs subsides.

      Depuis les années 1990, Marmande et ses riches terres agricoles se sont abîmées dans le croissant de la pauvreté. « Si je vois mon fils dans le cortège, ça va barder : il est censé préparer le bac S », dit Antoine, un ancien de la pub et fervent « gilet jaune ».

      D’un pas traînant d’ados, les lycéens embraient vers le Centre Leclerc, en face de la cahute. « On va faire des pillages, comme à Paris ? », se renseigne l’un, pas étonné. Ici, Leclerc, c’est bien plus qu’un hypermarché, un empire battant sa propre monnaie et tenu par une famille surnommée « les nababs de Marmande ». Très haut par-dessus les pompes, le prix du gasoil clignote en rouge : 1,39 euro aujourd’hui. On le consulte comme ailleurs le Dow Jones. En général, les autres grandes surfaces s’alignent.

      Au début, ça se passait au mieux entre Leclerc et les « gilets jaunes », l’hyper leur avait même livré une palette de bouteilles d’eau. Puis le patron a estimé que la contestation avait assez duré et a envoyé des employés détruire la cahute pendant la nuit. « On est restés deux jours sans abri : plus personne ne venait. Sans cabane, le mouvement disparaît », dit un « gilet jaune ». Une autre a été construite de l’autre côté du rond-point.

      Voyant arriver les lycéens, vigiles et gendarmes s’approchent. La jeune troupe a déjà fait demi-tour, traînant un unique chariot pour #butin. Christophe, dit « Kéké », les accueille entre deux pins parasols, au milieu du rond-point. Employé à la SNCF, motard, prof de handball, syndiqué Sud Rail, un gros charisme et une petite barbe, Kéké est une des figures des « gilets jaunes » : « On vous applaudit, les jeunes, mais que ce soit clair : si vous faites les cons, nous, les adultes, on se retirera et on vous laissera seuls avec les gendarmes. Vous vous ferez gazer, ce sera plié en une heure. »

      Les lycéens sont contre la réforme du bac, contre Parcoursup, contre la pause déjeuner qui dure quarante-cinq minutes seulement. « Il faut faire un tract », propose l’un. « Un quoi ? »

      Un « gilet jaune » passe parmi eux avec des gâteaux sur un plateau. Installée depuis peu dans la région, Cécile se présente : « Je suis une vilaine mélenchoniste. Je suis zadiste, j’ai fait Notre-Dame-des-Landes. » Des cèpes poussent dans sa cuisine, elle a son propre potager. Demain, le 8 décembre, un samedi annoncé « noir », elle compte manifester à Paris. « Ce sera violent, mais le monde a besoin d’images de violence pour se réveiller. Il faut un référendum pour renverser Macron. »

      Trois lycéennes parlementent : « C’est très dangereux, madame, Marine Le Pen va passer. Vous êtes dans le Lot-et-Garonne, il y a une majorité de personnes blanches qui vivent là depuis des générations. » Cécile, abasourdie : « Tu ne veux pas destituer Macron ? » Les lycéennes : « Vous ne venez pas de province, vous ne comprenez pas. »

      Samedi 8 décembre. Rond-point Leclerc, 14 heures

      Finalement, personne n’ira manifester à Paris. A Bordeaux non plus, et même Agen paraît soudain bien loin. La veille, Dorothée aussi était tentée « de monter au front » : « Je sais que ce ne sera pas la féria, mais j’ai besoin de voir par moi-même. » Finalement non.

      Dorothée, 42 ans, monteuse-câbleuse, 1 100 euros net, est l’une des deux porte-parole des « gilets » de Marmande. « Ça faisait des années que je bouillais devant ma télé, à me dire : “Personne ne pense comme moi, ou quoi ?” Quand j’ai entendu parler des “gilets jaunes”, j’ai dit à mon mari : “C’est pour moi.” »

      A l’autre bout du rond-point, Yohann, l’autre porte-parole, est en train de se faire traiter de « traître » : il a négocié avec le maire (Constructifs/Agir) de Marmande, Daniel Benquet, et certains agriculteurs pour éviter le blocage de la ville. « On doit être des “gilets jaunes” exemplaires, aucune dégradation », sermonne Yohann, ton de bon pasteur. D’autres se mettent à l’accuser de viser une carrière politique, la pire insulte sur le rond-point. Lui, plus fort : « Je veux juste faire chier, je le jure. »

      Kéké propose une action : tout le monde rentre dans le Leclerc « en civil » – c’est-à-dire sans gilet jaune –, remplit un chariot, puis se dirige vers les caisses. Coup de trompette, on enfile les gilets et on abandonne les courses en criant : « On est le 8 du mois, et, désolés, on n’a déjà plus d’argent ! » Quelques petites voix se font entendre. Ici, tout le monde a plus ou moins un lien avec Leclerc, des proches qui y travaillent ou bien comme client, tout simplement. « Je ne suis pas assez culottée pour y aller », murmure quelqu’un.

      Une vingtaine de volontaires finissent par se disperser dans les rayons, sous les affiches célébrant la « foire au porc ». Aucune consigne n’a été donnée sur la façon de remplir les chariots. Mais sans se concerter, tous – ou presque – y entassent la même chose : leurs fantasmes. L’une accumule des #cadeaux de Noël démesurés pour les enfants (« J’en ai trois à charge et 25 euros de budget pour chacun »). Béret et allure de rentier bonhomme, Christian rafle des dessous féminins par brassées, bas et culottes exclusivement. Un couple s’offre les courses dont il rêve, que de la marque, même pour les boîtes de thon, et sans regarder les prix. C’est la première fois : « D’habitude, on a la calculatrice à la main, ça prend des heures. » Martine est perdue, elle ne va plus au Leclerc depuis longtemps. « Trop cher. »

      Aujourd’hui, les virées dans les hypermarchés ont changé de goût. Fini la grande fête innocente des années 1980, avec son sentiment d’opulence et de liberté. « On y va, bien obligé, mais humilié. Un jour, ça pétera aussi. La rage n’est plus très loin », dit quelqu’un. Coup de trompette. Les gilets sortent, en même temps qu’une Marseillaise. Certains photographient le chariot qu’ils ne prendront pas. « C’est déjà ça. »

      Dimanche 9 décembre. Rond-point de Samazan, 15 heures

      On se croirait à un barbecue en famille, ça discute par groupes, un gobelet à la main. « Au début, on ne savait pas où on mettait les pieds », raconte une retraitée. Des gens arrivaient de partout, seuls en général, sans se connaître, pas très sûrs de rester. Personne n’osait vraiment se parler, certains n’ont rien dit pendant longtemps, dos courbé dans un coin. On les a vus peu à peu se redresser.

      Et puis, que s’est-il passé ? Comment tout le monde s’est soudain retrouvé à déballer devant de parfaits inconnus – « Des gens à qui on aurait marché dessus chez Leclerc à peine deux semaines plus tôt, sans les saluer » – les choses les plus profondes de sa vie ? Des choses si intimes qu’on les cachait soigneusement jusque-là, « sauf parfois entre amis, mais c’était gênant ». La cahute est devenue le lieu où « les masques tombent ». Plus de honte. « Ça fait dix ans que je vis sans sortir, à parler à ma chienne. Aujourd’hui, les digues lâchent », dit une infirmière.

      Chacun a son histoire, toujours très compliquée, mais toutes se ressemblent au fond, un enchevêtrement de problèmes administratifs, de santé, de conditions de travail. Pris à part, chacun des éléments paraît logique, voire acceptable, mais placés bout à bout, ils finissent par former une infernale machine à broyer.

      Il est question, par exemple, de ces trois frères, placés dans trois centres aérés différents à cause des écoles, mais il est impossible de payer les trois notes et de les convoyer tous le mercredi : alors il a fallu choisir lequel resterait à la maison. Ou bien ce laboratoire de biotechnologie végétale, un des quatre en France, qui n’arrive pas à recruter : Marmande, c’est trop loin, disent les écoles, on préfère envoyer nos stagiaires au Kenya.

      Vous voyez ces maisons en bord de route, que les voitures frôlent en passant ? Eux, c’est là qu’ils habitent. La mairie et l’école sont à 2 km, la poste à 7 km, le médecin et les impôts à 8 km, Intermarché à 9 km, l’hôpital à 25 km. Le travail de monsieur à 26 km. Ils ont une seule voiture. La suite du feuilleton dure une bonne heure. Mais dans la cahute, tout le monde la réclame.

      « Ici, il n’y en a pas un plus haut que l’autre, personne pour te juger. » Un jeune homme en fauteuil roulant continue : « Dépendre de la société, c’est ce qui pouvait m’arriver de pire. On a une espèce de fierté, lâchons le mot. » Cet autre, un petit costaud, joue le Père Noël dans les écoles et les supermarchés, payé en nature. « Je vis au black, en fait. » La voiture de celui-là roule sans contrôle technique. « On est tous passés hors la loi, sans même le vouloir. On n’a même plus peur des gendarmes. Qu’est-ce qu’on va devenir ? »

      Le rond-point de Samazan se trouve entre le péage de l’autoroute – dont les « gilets jaunes » ouvrent régulièrement les barrières sans faire payer – et le village du même nom, 883 habitants. Si les maires des alentours soutiennent en général le mouvement, l’édile de Samazan est un des seuls à porter le gilet jaune. Cette année, deux agriculteurs de la commune se sont fait saisir les terres. Quatre tracteurs de la Coordination rurale viennent parfois tourner sur les carrefours, solidaires, mais avec leurs propres problèmes. Finalement, les routiers ne feront pas grève, revendications acceptées. Les lycéens non plus : pas de transport collectif, et les parents renâclent à les conduire au rond-point.

      Lundi 10 décembre. Rond-point Leclerc, 20 heures

      On est quel jour ? Le 10 ? Celui où Emmanuel Macron doit prendre la parole ? Non, celui où les #retraites sont versées, voilà la grande attente qui occupe les conversations.

      Ça y est, le président s’est mis à parler, on le regarde dans la cahute sur une tablette. « Il annoncera son départ », pronostique Kéké. Macron est l’unique homme politique dont le nom est prononcé sur les ronds-points de Marmande, jamais aucun autre.

      La politique est prohibée : un militant communiste a bien essayé de tracter, puis un petit couple – lui en costume, elle en blouson de cuir –, se disant France insoumise. Tous ont été chassés. Le seul discours commun évoque les « privilégiés de la République », députés, énarques, ministres, sans distinction, à qui « on ne demande jamais de sacrifices ». En fait, c’est à eux qu’on en veut, bien davantage qu’aux multinationales ou aux patrons.

      Fabien attend un coup d’Etat militaire, « restaurer la discipline et le respect ». Un autre est sûr qu’Emmanuel Macron va lever une armée de migrants, « qui sont tous des guerriers », pour mater les pays récalcitrants dans l’Union européenne. Cette armée pourrait finir par le renverser. Chacun s’écoute sans broncher, personne ne contredit personne. « On va vers la troisième guerre mondiale », conclut quelqu’un. Puis ça rigole quand même. « Vous vous imaginez dire ça à table, en famille ? Tout de suite, ça déraperait. »

      L’allocution est finie. Macron est toujours président. « Il nous a servi du flan, ou quoi ? », demande Nico, interloqué. Silence général. Dehors, un gendarme monte la garde. « Des gens qui n’auraient jamais dû se rencontrer se mettent ensemble. Ça fait peur. »

      Mardi 11 décembre. Rond-point Leclerc, 8 heures

      Des « gilets » du rond-point de Samazan sont venus en visite. On échange quelques mots.

      « A votre rond-point, vous avez des gens de couleur ?

      – Pourquoi ?

      – On dirait que le mouvement ne les arrange pas. Ici, il n’y a que des gens comme moi, des purs Français.

      – Attention, je ne suis pas raciste. Je vais prendre leur défense.

      – Moi non plus, je ne suis pas raciste, sauf pour une tranche d’âge, les 12-25 ans. Pas plus. En tout cas, c’est la première fois que je parle avec quelqu’un qui soutient les migrants. »

      Le premier samedi où elle est venue, cette présidente d’association a failli s’en aller. « J’étais à la torture. Ils se lâchaient sur les Arabes qui profitent. » Puis elle s’est dit : « On est là, il faut essayer. » Curieusement, son mari, fonctionnaire, ne s’est pas mis en colère comme avec leurs amis qui votent Marine Le Pen. Il discute. Oui, ici, c’est possible, chacun fait en sorte que tout se passe bien. La conversation a repris. « Certains Arabes peuvent être méchants, ça dépend de leur degré de religion. »

      Comme par miracle, Zara et Fatma apparaissent à cet instant précis, en foulards imprimés léopard, pour offrir un grand plat de couscous. « Trop timides pour se faire voir », disent-elles, en repartant sur la pointe des pieds. Tout le monde mange du couscous. Un gendarme passe. La direction de #Leclerc vient de couper ses dotations aux associations et à certaines communes : trop d’argent perdu à cause des « gilets jaunes ».

      Mercredi 12 décembre. Rond-point Leclerc, 17 heures

      Mathieu, un routier, gare son camion sur le terre-plein. Il annonce avoir reçu un message du maire de Marmande, Daniel Benquet : « Je souhaiterais avoir les doléances des “gilets jaunes” pour en faire part au premier ministre. » Mathieu a immédiatement répondu : le référendum d’initiative citoyenne, visant notamment certains personnages politiques quand le peuple ne se sent plus représenté. Emmanuel Macron, par exemple. Le maire – qui n’avait pas l’air emballé, selon Mathieu – a demandé s’il y en avait d’autres.

      « Je me suis permis de dire que c’était la seule », dit Mathieu. Sous la cahute, Yohann vient d’arriver. « Moi, je vais monter à Paris. Il faut les attaquer intra-muros : aller marcher sur les bobos. » « Les quoi ? », demande quelqu’un. « Les gens de la métropole qui nous qualifient de sauvages, qui nous méprisent parce qu’on ne pense pas et qu’on ne vit pas comme eux. » Yohann bombe le torse, en mimant des « Bonjour », lèvres pincées. Il est lancé : « Oui, je me suis durci. J’ai une haine, ça me bouffe, ça me réveille la nuit. Je me retiens depuis si longtemps. »

      Il irait même tout de suite, s’il pouvait. Mais il y a celle qui vient de lui téléphoner et qu’il appelle « Madame », puis cette maison pour laquelle il s’est endetté et qui est sa « revanche à prendre ». Dehors, ça pleut dru. Il remet son manteau. Le père de Yohann est employé à la blanchisserie de l’hôpital. Sa mère est femme de ménage. Lui travaille dans les pièces détachées pour automobiles. Classe moyenne, dit-il. Les mains se serrent. Ça va aller ? Il s’excuse. « Je ne sais pas ce qui m’a pris. »

      Un « gilet jaune » demande qu’on le raccompagne à sa voiture : celle des gendarmes est à côté, on ne sait jamais. Lui, c’est un petit retraité qui se met soudain à raconter sa guerre d’Algérie. Puis s’arrête. « Est-ce qu’on va nous laisser respirer ? » Alors, un gendarme : « La lutte continue. » A la demande d’un hôtel cette fois, la cahute a dû être à nouveau déplacée.

      #ouvrières #ouvriers #mobilisation #rencontre

  • Mouvement lycéen : une cartographie inédite, Mattea Battaglia et Camille Stromboni
    https://www.lemonde.fr/education/article/2018/12/13/mouvement-lyceen-une-cartographie-inedite_5396741_1473685.html

    L’effervescence, partie de la province et des petites villes, ne se structure pas selon les schémas traditionnels de mobilisation de la #jeunesse. On parle d’un réveil des enfants des « #gilets_jaunes ».

    Les enseignants l’admettent volontiers : la mobilisation lycéenne qui s’est déployée dans le sillage des « gilets jaunes » les a pris de court. Pas seulement par la contagion rapide d’une académie à l’autre – jusqu’à 470 #lycées ont été perturbés sur 4 000 au total, dont 2 500 publics. Pas seulement par son installation dans la durée (deux semaines de #blocages) ou par ses excès de violence localisés [et ses #violences_policières généralisées, ndc] , d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) à Orléans (Loiret) en passant par Blagnac (Haute-Garonne) ou Mantes-la-Jolie (Yvelines).

    Ce qui interpelle les observateurs de ce mouvement de jeunesse, qu’ils soient sociologues, proviseurs ou chercheurs, c’est bien sa géographie, alors qu’une nouvelle journée de #mobilisation s’annonce ce vendredi. Quelques exemples suffisent à dessiner ses contours inédits. A Paris, les grands lycées de l’Est – ceux du cours de Vincennes dans le 20e arrondissement notamment – n’ont pas joué le rôle moteur qu’ils endossent habituellement, contre la loi travail, la loi Fillon, le lycée Darcos, le contrat première embauche (CPE)… A Rouen, les chemins empruntés par les lycéens sont eux aussi venus rebattre la carte habituelle des mobilisations : plutôt que des établissements « bourgeois » de la rive droite, les premiers défilés sont partis des lycées plus populaires, de la rive gauche.

    Les « enfants des “gilets jaunes” » ?

    Les autres exemples avancés se résument, souvent, aux noms de villes de taille moyenne qui, jour après jour, ont vu leur jeunesse faire les gros titres de la presse locale : à Digne-les-Bains, chef-lieu des Alpes-de-Haute-Provence, un millier de lycéens sont descendus dans la rue. A Cambrai (Nord), ils étaient 600 à manifester. A Dijon, en Côte-d’Or, on en a recensé 200 devant le rectorat…

    Est-ce une mobilisation des « enfants des “gilets jaunes” » ? Le réveil d’une frange de la jeunesse qui partage, avec ses parents, des fins de mois difficiles et un sentiment de déclassement ? C’est l’une des grilles d’analyse retenues. « Sur les ronds-points s’observe une cohésion intergénérationnelle, défend Michelle Zancarini-Fournel, historienne. On voit des #jeunes rejoindre des #retraités, c’est suffisamment rare pour être souligné. »

    Nous l’avons vérifié dans plusieurs académies – dont Lille, Montpellier et Marseille – en épluchant la presse quotidienne régionale, en sollicitant les rectorats, mais aussi, au cas par cas, les personnels des établissements bloqués.

    Dans l’académie de Lille, aux côtés des élèves lillois – ceux du lycée international Montebello, bloqué à répétition –, la jeunesse de Denain et de Liévin a, elle aussi, donné de la voix, parfois en endossant un gilet jaune, alors que le mouvement débutait à peine, le 30 novembre. Les lycéens de Cambrai, de Coudekerque-Branche, ou, dans le Pas-de-Calais, de Lens ou d’Oignies ont ensuite rejoint le mouvement, au fil de plusieurs journées de mobilisation nationale – lundi 3 décembre, jeudi 6, vendredi 7 ou encore le « mardi noir » du 11 décembre. « Se font entendre des territoires périurbains souvent très défavorisés, qui peinent à se relever de la crise de l’industrie, constate un universitaire lillois qui a souhaité garder l’anonymat [? ndc]. C’est relativement inédit. »

    « Deux logiques se superposent »

    On assiste à une possible « inversion des déclencheurs du mouvement », avance l’historien Claude Lelièvre : « L’effervescence n’est pas à Paris. Elle est en province et dans les petites #villes, ce qui ne veut pas dire qu’elle est périphérique », souligne-t-il.

    Autour de Montpellier, parmi les premiers établissements mobilisés, se sont illustrés un #lycée_d’enseignement_professionnel agricole à Frontignan (Hérault) et un centre de #formation des #apprentis à Rodilhan (Gard). Devant ce CFA, le 5 décembre, une quarantaine d’#élèves ont installé un « barrage filtrant » en soutien aux « gilets jaunes ». Dans la foulée, plusieurs établissements nîmois se sont mobilisés. Le 7, le mouvement s’étendait, dans l’Hérault, à Montpellier, Lodève, Lunel, Agde, Sète…

    Face aux débordements, la rectrice, Béatrice Gilles – anciennement en poste à Créteil – a appelé les #lycéens au calme. « Ce sont des zones très pauvres, très désocialisées que l’on voit s’animer, confirme l’universitaire montpelliérain Yann Bisiou. Pendant ce temps-là, certains grands lycées de Montpellier ne bougent pas. »

    Il y a, depuis Mai 68, une forme de régularité dans la construction des mouvements de jeunesse qui semble aujourd’hui s’infléchir, abonde l’enseignant-chercheur Vincent Troger. « Un mouvement se déclenche toujours soit contre une réforme éducative, soit pour rejoindre une contestation sociale, explique-t-il. Dans le cas présent, les deux logiques se superposent. L’originalité est aussi là. » A Nantes, où il enseigne, Vincent Troger a ainsi le sentiment que plusieurs « lycées de la périphérie », contrairement aux mobilisations antérieures, ont joué le rôle de « moteurs ».

    « L’étincelle est partie des #filières technologiques [cf. la lutte contre le contrat d’insertion professionnel (CIP) qui prévoyait en 1994 un salaire égal à 80 % du salaire de référence pour le spas insérés", jeunes, ndc] »

    A Béziers (Hérault), Bruno Modica, professeur d’histoire, constate que la « vague » s’est élancée des lycées professionnels et polyvalents avant de gagner le centre-ville. « Ce sont les enfants des villages périphériques de Béziers qui se font entendre, dit-il, et pas les jeunes politisés ou les casseurs professionnels. »

    Des casseurs, on a pu en voir à l’œuvre dans les académies de Créteil, Versailles et Toulouse notamment, là où l’institution a comptabilisé le plus de blocages ayant dégénéré. « Que les établissements de banlieue autour de moi se mobilisent, en soi, ça ne me surprend pas, confie un enseignant d’Aubervilliers, lui-même mobilisé. Mais à ce point-là, c’est du jamais-vu en éducation prioritaire depuis une dizaine d’années. »
    Au sein même des lycées, c’est sur le profil des jeunes engagés qu’insiste Stéphane Rio, enseignant d’histoire à Marseille. « L’étincelle est partie des filières technologiques, de manière rapide et éruptive », témoigne-t-il. Ce professeur dit avoir d’abord vu sur les blocus des jeunes peu politisés, parlant autant d’eux que de leurs parents. Des adolescents qui n’ont pas toujours les codes des « bons élèves », ne réclament pas d’« AG », ne veulent pas nécessairement rejoindre les défilés. « Ils prônent le blocage pur et simple, observe-t-il, pour tenir le lycée comme on tient un rond-point. »

    A la tête d’un lycée de Liévin (Pas-de-Calais), devant lequel une centaine de jeunes se sont relayés durant huit jours, ce proviseur ne dit pas autre chose : « Ce ne sont pas nos jeunes intellos qui sont en première ligne », lâche-t-il.

    « Une crainte commune »

    Dans l’académie de Marseille, où les débordements ont poussé à la fermeture préventive d’au moins cinq établissements, la jeunesse s’est d’abord illustrée à Martigues avant de battre le pavé dans la cité phocéenne, Aix, Gardanne, etc.

    Ici comme ailleurs, disent les syndicalistes, il semble qu’un tournant ait été pris dans le sillage des interpellations de Mantes-la-Jolie (Yvelines) et des images des 151 jeunes agenouillés, les mains sur la tête, qui ont inondé les réseaux sociaux le 6 décembre.

    Depuis, à écouter les enseignants, le mot d’ordre « proprement lycéens » résonne plus haut. « Les jeunesses se sont unies, reprend Stéphane Rio, pour dire leur crainte commune : que les réformes en cours – celles du lycée, du bac, de Parcoursup – accroissent des inégalités dont ils seront les premières victimes. »
    « Le bac ne sera plus le même selon les établissements », martèlent-ils d’un blocage à l’autre. Et la sélection à l’entrée de l’université les laissera « sur le carreau ».

    Ça sent quand même ce 68 que j’ai pas vécu, la libération de la parole et la prise de parti, la découverte de ce que les singularités créent de collectif si la situation s’y prête. Ça rappelle ces belles manifs qui comme l’ouvrier marche d’atelier en atelier dans et contre l’usine lycéens et collégiens manifestaient d’un établissement scolaire à l’autre, du technique au général ; ça rappelle La horde d’or, ce moment de la fin des ’60 où ceux qui étaient confinés aux formations techniques et professionnelles ont été mêlés aux étudiants, entrainant un bordel général qui a mis en cause toutes les fonctions productives
    #scolarisés
    http://ordadoro.info/?q=content/«-un-poignard-dans-le-cœur-de-la-ville-capitaliste-»

    • Lycéens et étudiants rejoignent les « gilets jaunes » dans le rejet de la Macronie, Violaine Morin

      « Qui ne saute pas est macroniste ! » Sur le quai de la ligne 4, à la station de métro Châtelet à Paris, un groupe de lycéens survoltés bondit comme un seul homme. On croise quelques élèves de Charlemagne, un établissement du 4e arrondissement, souvent « en pointe » dans les contestations lycéennes. Direction la place Saint-Michel, où quelques groupes peignent des banderoles étalées sur le sol en attendant midi, l’heure du rassemblement à l’appel de trois syndicats, l’Union nationale lycéenne (UNL), la Fédération indépendante et démocratique lycéenne (FIDL) et le Syndicat général des lycéens (SGL).

      La bouche de métro déverse, à intervalles réguliers, des grappes de jeunes gens qui viennent grossir les rangs. Dix jours après le début de la contestation, les lycéens seront 2 600, selon la Préfecture de police, à manifester, mardi 11 décembre, pour 450 lycées perturbés dans toute la France – parmi lesquels 60 sont bloqués sur plus de 2 500, selon un bilan du ministère de l’éducation nationale communiqué à la mi-journée. Dans une ambiance festive, les manifestants entonnent des slogans classiques. Pour rappeler des souvenirs aux lycéens de n’importe quelle génération, il suffit d’insérer le nom du ministre de leur jeunesse – François Fillon, Claude Allègre – devant les mots « si tu savais, ta réforme, ta réforme… »

      Mais ici, le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, a cédé la place à Emmanuel Macron, comme si la personne du président de la République cristallisait toutes les passions de ce mouvement qui tente de profiter de l’élan des « gilets jaunes ». « Ni les professeurs ni les étrangers, c’est Macron qu’il faut virer », scandent les jeunes, en alternant avec « Macron, t’es foutu, la jeunesse est dans la rue ». Le ministre, pourtant à la manœuvre de trois chantiers parmi ceux qui forment les points de crispation – la réforme du baccalauréat, Parcoursup et les suppressions de postes dans le second degré –, est le grand « absent » de la manifestation qui doit cheminer jusque sous ses fenêtres.

      Au-delà de ce rejet collectif, les lycéens tombent difficilement d’accord sur les mots d’ordre. « Les mouvements de jeunesse souffrent souvent de n’être pas assez clairs et pas assez unis », concède Tito, en 1re au lycée Fénelon. Pour pallier ce problème, deux assemblées générales ont été organisées dans son établissement afin de définir « pourquoi on manifeste ». L’ensemble des revendications tient donc en un slogan, répété tout l’après-midi : « Contre Parcoursup, allez allez, contre le nouveau bac, allez allez, contre le SNU [service national universel], allez allez. » Mais dans le détail, les préoccupations varient selon les profils et les âges.
      Les élèves de banlieue, venus souvent avec leurs enseignants, s’inquiètent d’un baccalauréat « dévalué » par rapport à celui des lycées de centre-ville. Younes, en 1re au lycée Angela-Davis de la Plaine Saint-Denis, craint que ses amis de 2de, qui seront les premiers à passer le nouveau bac – composé d’un contrôle continu et de quatre épreuves terminales –, n’obtiennent un diplôme au rabais. « Je viens d’un quartier défavorisé où on a la réputation de vouloir tout brûler, plaide-t-il. Notre bac ne vaudra pas la même chose que celui des beaux quartiers. »

      Chenoa, élève de 2de à Noisy-le-Grand, se sent un peu à l’abri de cette « dévaluation » dans son lycée international sélectif. Elle fera partie de la première génération du baccalauréat « nouvelle formule ». Pour elle, cette réforme est « bâclée ». La jeune fille ne « comprend même pas » comment devront s’organiser ses choix pour l’année prochaine, alors que la carte des spécialités disponibles dans chaque lycée doit être annoncée fin décembre – un calendrier accéléré, semble-t-il, pour apaiser les inquiétudes des lycéens.

      Les étudiants, eux, se sont joint au rassemblement des lycéens après une assemblée générale tenue dans la matinée sur la place de la Sorbonne. Salomé et ses camarades, inscrites en licence d’espagnol à Paris-IV, veulent « prêter main-forte » aux lycéens. Mais les étudiants tentent de mobiliser sur leurs propres dossiers, par exemple sur la hausse des frais de scolarité pour les étrangers. « On est contents que les lycéens se soient mobilisés, tempère Salomé. On ne veut pas faire passer nos revendications avant les leurs, aujourd’hui, on est là pour eux. »

      Mais pourquoi ne pas être descendus dans la rue avant ? Parcoursup a connu sa première saison cet été, la réforme du bac est sur les rails depuis le printemps… De toute évidence, l’occasion offerte par la contestation des « gilets jaunes » était trop belle pour ne pas tenter de s’en saisir, même si les manifestants se défendent de tout opportunisme. « Ils ont réussi à mobiliser et cela a créé de l’espoir », analyse Tito, le lycéen de Fénelon.
      Les plus militants s’en remettent aux précédents historiques de la convergence des luttes entre étudiants et travailleurs. « La force sociale des “gilets jaunes” est incontestable, il faut en profiter », juge Léo, étudiant en philosophie à Paris-I. Partout dans le cortège, on entend des accents communs avec les revendications des « gilets jaunes », sur ce gouvernement qui ne prête qu’aux riches, ce service public qui souffre, ces manifestants brimés.

      L’interpellation musclée des lycéens de Mantes-la-Jolie (Yvelines), alignés à genoux sur le sol, le 6 décembre, est évoquée plusieurs fois. La vidéo, qui a fait le tour des réseaux sociaux, a choqué la communauté éducative. « On ne peut pas laisser faire ça », enrage un enseignant d’Aubervilliers. A plusieurs reprises, les manifestants se mettront à genoux sur la chaussée, mains sur la tête. Julien, un élève de 1re ES de la Plaine Saint-Denis à qui l’on demande s’il n’a pas peur devant de telles images, répond que lui et ses camarades s’efforcent de maintenir un blocus pacifique. « Bien sûr que j’ai peur que ça devienne violent, ajoute-t-il après un temps de réflexion. Et en même temps, si je ne fais rien, qui va le faire pour moi ? »

  • Smic : pas de coup de pouce, mais un revenu en hausse.

    Avec de nombreuses infos sur ces #miettes, ce « Smic qui augmente sans rien coûter aux employeurs »
    https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/12/11/smic-pas-de-coup-de-pouce-mais-un-revenu-en-hausse_5395702_823448.html

    Pour répondre au mouvement des « gilets jaunes », l’exécutif a décidé d’augmenter la prime d’activité de 80 euros et d’intégrer à son calcul l’exonération des cotisations salariales.

    De telles orientations sont discutables parce que « la prime d’activité ne crée aucun droit, contrairement au salaire qui, lui, en crée, notamment pour la retraite et l’assurance-chômage », décrypte Eric Heyer, de l’Observatoire français des conjonctures économiques. En outre, une hausse du smic se propage aux échelons de rémunérations situés juste au-dessus, dans le public et dans le privé : ces « effets de diffusion » ne se produiront pas avec la mesure présentée lundi par M. Macron.

    Smic et prime d’activité : les annonces d’Emmanuel Macron en 8 questions, Samuel Laurent, Gary Dagorn et Adrien Sénécat, L’iMonde (article pas si pire à part quelques détails occultés, dont l’exclusion de nombreux étrangers, ndc)
    https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/11/smic-et-prime-d-activite-les-annonces-d-emmanuel-macron-en-8-questions_53958

    Avec un graphique présentant ce Dénombrement au niveau national des foyers #allocataires ayant un droit versable à la #PPA par situation familiale http://data.caf.fr/dataset/foyers-allocataires-percevant-la-prime-d-activite-ppa-niveau-national/resource/2e3cc82e-8224-47a2-9563-d0943990c786

    Que faut-il comprendre lorsque le chef de l’Etat parle de « 100 euros par mois » de plus pour un salarié en 2019 ?

    « Cent euros par mois » en plus pour les travailleurs rémunérés au salaire minimal : c’était l’une des annonces phares de l’intervention télévisée d’Emmanuel Macron, lundi 10 décembre. Mais cette formule, destinée à répondre aux revendications des « #gilets_jaunes », soulève de nombreuses questions. Qui pourra réellement prétendre à cette hausse de pouvoir d’achat ? S’agit-il d’une hausse du salaire minimal ou d’une aide de l’Etat ? Nos précisions en huit questions.
    Un salarié au smic verra-t-il ses revenus augmenter de 100 euros par mois ?
    Les salariés qui gagnent un peu plus que le smic en bénéficieront-ils aussi ?
    Et les salariés à temps partiel ?
    La hausse sera-t-elle automatique ?
    Est-ce l’Etat qui paiera ?
    La hausse de la prime d’activité peut-elle rendre imposable ?
    La prime d’activité est-elle écartée du calcul des droits au chômage et à la retraite ?
    La hausse du smic en 2019 sera-t-elle la plus importante depuis plus de dix ans ?

    1. Un salarié au smic verra-t-il ses revenus augmenter de 100 euros par mois ? C’EST PLUS COMPLIQUÉ

    « Le salaire d’un travailleur au smic augmentera de 100 euros par mois dès 2019 sans qu’il en coûte un euro de plus pour l’employeur », a affirmé Emmanuel Macron, lundi 10 décembre. Derrière cette formule simple se cachent en fait des situations variables. Le chiffre de 100 euros englobe deux mesures différentes, explique une source gouvernementale au Monde : la baisse des cotisations salariales en 2018, qui représente un peu plus de 20 euros par mois pour un salarié au smic à temps plein ; la hausse du montant maximal de la prime d’activité de 80 euros net. Cette aide devait initialement augmenter quatre fois de 20 euros, de 2018 à 2021. Elle devrait finalement augmenter d’environ 60 euros au début de 2019 après une première hausse de 20 euros en octobre 2018.

    Tout le monde ne gagnera pas « 100 euros par mois »
    Selon la même source, le calcul d’Emmanuel Macron ne tenait pas compte de la revalorisation légale du smic de 1,8 % au 1er janvier 2018 (soit environ 20 euros net de plus). Ce qui fait que, dans le meilleur des cas, un salarié au smic pourrait prétendre à un revenu mensuel net d’environ 1 430 euros en 2019 en comptant la prime d’activité, contre 1 307 euros à la fin de décembre 2017.

    Attention, en revanche : si la baisse des cotisations salariales concerne tous les salariés, la prime d’activité est versée sous conditions de revenus, et c’est l’ensemble du foyer qui est pris en compte. Ainsi, un salarié au smic peut ne pas pouvoir prétendre à la prime d’activité à cause des revenus de son conjoint.
    De même, le chiffre de « 80 euros » d’augmentation de la prime d’activité correspond à un montant maximal théorique. Mais celui-là peut être moindre selon la situation réelle des salariés. Il faudra en réalité attendre de connaître les détails des règles de calcul retenues par le gouvernement pour estimer réellement qui gagnera combien en janvier 2019.

    Parmi les pistes évoquées revient également l’idée d’intégrer la prime d’activité à un futur « revenu universel d’activité » souhaité par Emmanuel Macron, dont les contours restent à déterminer. C’est probablement ce qu’évoquait le premier ministre, Edouard Philippe, à l’Assemblée nationale mardi 11 décembre, lorsqu’il a affirmé vouloir verser la prime d’activité à un plus large public que celui actuellement concerné.

    Note : les #étrangers doivent justifier de 5 ans de séjour légal sur le territoire pour ouvrir droit à la prime d’activité ; rien pour les #auto_entrepreneurs ; report de la « négociations » de l’#assurance_chômage et de la #réforme des #retraites

    #sans_papiers #fiscalité #droits_sociaux #annonces #Smic #salaires #prime_d'activité #non recours #revenu #chômeuses #travailleuses_à_temps_partiel #travailleurs_pauvres #précarisation

    https://seenthis.net/messages/742902

  • « Le mouvement des “gilets jaunes” favorise la cohésion intergénérationnelle des milieux populaires », Michelle Zancarini-Fournel
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/10/michelle-zancarini-fournel-le-mouvement-des-gilets-jaunes-favorise-la-cohesi
    Torcy,le 10 novembre : R Priscillia Ludosky, 33 ans, gérante d’une boutique en ligne de cosmétique. "C’est une incompréhension face au coût de l’essence qui m’incite fin mai à lancer une pétition. J’avais envie de savoir si j’étais la seule concernée. Aujourd’hui je ne suis pas étonnée de voir autant de gens qui en ont ras le bol, mais le rassemblement. Très concrètement j’attends aujourd’hui une réponse des pouvoirs publics à ma pétition." BENJAMIN GIRETTE POUR LE MONDE

    Selon l’historienne des #mouvements_sociaux, Zancarini-Fournel la révolte des « gilets jaunes » ressemble à celui contre la « profitation » qui s’était déroulé en 2008-2009 dans les départements d’outre-mer, comme en témoigne le parcours de l’une de ses figures, Priscilla Ludovsky.

    D’origine martiniquaise, Priscilla Ludosky, 33 ans, habitant en Seine-et-Marne, #auto-entrepreneuse et gérante d’une boutique en ligne de cosmétiques est la première à avoir demandé la « baisse des prix des carburants à la pompe » dans une pétition sur Internet qui a recueilli à ce jour plus d’un million de signatures. Peut-être avait-elle, outre le préjudice financier constaté pour son activité professionnelle, le souvenir des mouvements sociaux qui s’étaient déroulés en 2008-2009 dans les départements d’outre-mer (8 jours à la Réunion, 15 jours en Guyane, 44 jours en Guadeloupe, 38 jours en Martinique) pour la baisse du prix des carburants contre la « #profitation », marqués par l’appel de neuf intellectuels antillais à l’initiative de Patrick Chamoiseau et d’Edouard Glissant, un « Manifeste pour les #produits_de_haute_nécessité » qui proposait un autre modèle de société. L’épisode le plus connu a été la grève générale et les #blocages routiers en Guadeloupe (20 janvier-4 mars 2009) conclus par un accord-cadre sur la baisse des #prix à la pompe et la revalorisation des revenus.
    On a souligné la modernité et la mobilité de la mobilisation des « #gilets_jaunes « de 2018 grâce aux réseaux sociaux (même s’il y a eu en 2011 des antécédents dans les « révolutions arabes »), laissant syndicats, partis et représentants politiques à l’écart. Le support matériel et symbolique qui permet la distinction, l’identification et le rassemblement des manifestants est un objet ordinaire, le gilet jaune que doit posséder tout automobiliste, et sur lequel sont parfois inscrits des slogans. L’espace matériel de la mobilisation comme les répertoires d’action permettent de comprendre la protestation avec la politisation d’un espace très spécifique : les barrages aux ronds-points à l’entrée des villes ou aux péages d’autoroute, impliquent une prise de pouvoir temporaire sur des nœuds de communication et donc sur la fluidité caractéristique du fonctionnement des systèmes productifs contemporains.

    Violences populaires

    La mobilisation des « gilets jaunes » a été comparée aux jacqueries de l’Ancien Régime avec leurs révoltes contre le fisc et à la Révolution française, pour les violences populaires, l’usage du drapeau tricolore et de la Marseillaise. Elle a été comparée aussi au poujadisme de 1953-1956 des petits commerçants et des artisans opposés au contrôle fiscal mis en place par l’administration. Si l’on retrouve le même sentiment d’injustice fiscale et le même discours contre les élites, ce ne sont pas exactement les mêmes catégories sociales qui sont concernées (1). Les « gilets jaunes » ne peuvent être non plus assimilés aux revendications des professionnels de la route des années 1990, ni aux « bonnets rouges » qui ont contribué à l’échec de l’écotaxe en 2016, rassemblant petits patrons agriculteurs de la FNSEA, et régionalistes bretons, mais les formes de #violence_populaire et les #répertoires_d’action similaires ne peuvent rendre équivalents les mots d’ordre et les protagonistes impliqués dans des contextes très différents. Il en est de même pour la comparaison avec 1968 (barricades, manifestations violentes à Paris, tentative d’incendie de la Bourse le 24 mai 1968 et le 1er décembre 2018. Si rapprochement il peut y avoir avec 1968, c’est celui de la « crise d’hégémonie » (Gramsci) ou de la « crise du consentement » (Boris Gobille).

    Retour au calme et fin de l’impunité, une urgence pour tous !
    Le mouvement actuel s’est développé sur l’ensemble du territoire – y compris en région parisienne – en particulier dans les villes moyennes, les zones désindustrialisées et les zones rurales qui perdent des habitants. Le parcours de Priscilla Ludovsky témoigne de la diversité du pays au XXIe siècle, mais aussi de celle des protagonistes dans ce mouvement social de grande ampleur territoriale, très éclaté et disparate, sans #porte-parole ni leader jusqu’à ce jour, même si certaines figures sont individualisées à la télévision. Il s’agit d’un mouvement d’interconnaissance avec une cohésion intergénérationnelle, de l’artisan à la jeune #chômeuse en passant par les salariés de l’hôpital et par des #retraités, essentiellement des membres des milieux populaires.

    Présence importante des femmes

    Les photographies des barrages et des manifestations montrent une présence importante des #femmes, une constante dans l’histoire des mouvements populaires, en général occultée. Nombreuses, elles sont souvent #célibataires ou #divorcées, mais il y a aussi des #mères de famille (2). Le mouvement paraît largement soutenu par la population qui condamne la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) alors que les taxes, entre autres sur les carburants, pèsent sur tous et toutes. La personnalité même et la fonction du chef de l’Etat, surnommé « le roi Macron » comme l’énonce une manifestante venue de la Somme à Paris le 8 décembre, sont mises en cause partout.

    A la Réunion, le mouvement des « gilets jaunes « a pris une tournure plus violente parce que la population rencontre encore plus de difficultés entre #chômage et #précarité_sociale. Des épisodes de rébellions urbaines de la jeunesse marginalisée agitent l’île. Les auteurs des violences urbaines nocturnes surnommés « les cagoules noires », sont assimilés à la population noire, les « kafs » de l’île (descendants des esclaves importés d’Afrique, les Cafres). Au-delà de ces violences, la faillite économique et sociale est patente et les failles s’accroissent dans la population entre ses différentes composantes. Les violences urbaines ne sont cependant pas spécifiques à La Réunion, comme l’ont montré les épisodes parisiens des samedis précédents : sur les lieux symboliques du pouvoir que sont les Champs-Elysées et la place de l’Etoile, groupes d’extrême droite et d’extrême gauche ont agi en même temps que des « gilets jaunes » venus de province.

    Tache d’huile

    Le mouvement semble faire tache d’huile chez les #lycéens, les agriculteurs, les indépendants du bâtiment et les ambulanciers, chacun avançant ses propres revendications. Mais dans plusieurs villes, des « gilets jaunes » ont repris le 8 décembre la position infligée par les forces de l’ordre aux lycéens de Mantes-la-Jolie, à genoux, les mains derrière la tête. Le 4 décembre, Jean-François Barnaba, « gilet jaune » de l’Indre, a énoncé quatre revendications : baisse des taxes, augmentation des bas salaires et des pensions, restauration des services publics, réforme des institutions pour démocratiser la vie politique. Mais, comme nombre d’habitants de sa ville, Le Blanc, ce qui l’anime c’est la fermeture de la maternité, symbole de l’atteinte à l’égalité et à l’humanité.

    Après la 4e journée de mobilisation à Paris le samedi 8 décembre, le bilan est contrasté : les manifestants ont été contenus à Paris par de nombreux contrôles en amont et un millier d’interpellations (considérées comme illégales par la Ligue des droits de l’homme) au prix d’une mobilisation impressionnante des forces de police. Musées, magasins et institutions étaient fermés avec des conséquences économiques importantes. Les marches sur le climat se sont déroulées pour l’essentiel dans le calme, mais des affrontements ont eu lieu, outre Paris, dans de nombreuses villes témoignant de la profondeur de la révolte et de la crise sociale et politique, avec l’attente de la déclaration annoncée du président de la République. Le contexte européen marqué par des composantes populistes autoritaires rend le champ des possibles ouvert et incertain quant à l’avenir de ce mouvement.

    (1) Alexis Spire, Résistances à l’impôt, attachement à l’Etat,, Seuil, 348 p., 22 €.
    (2) Entretien avec le sociologue de l’INRA Benoît Coquard sur le site de Contretemps, 23 novembre 2018.

    #Michelle_Zancarini-Fournel (Historienne, auteure de Les luttes et les rêves. Une #histoire_populaire de la France de 1685 à nos jours, La Découverte/Zones, 2016)

  • Une situation excellente ? Plate forme d’enquêtes militantes
    http://www.platenqmil.com/blog/2018/12/06/une-situation-excellente

    Vu les événements des derniers jours et ceux qui s’annoncent dans les jours à venir, il est possible que la situation soit excellente (1). Le pouvoir exprimé par les #Gilets_Jaunes a en effet provoqué une crise profonde au sein du gouvernement. Beaucoup de choses restent incertaines, le mouvement est trop récent, trop mouvant et contient trop d’éléments nouveaux pour tirer des conclusions, mais les gilets jaunes sont en train de produire un bouleversement d’ampleur, dans lequel toutes nos forces ont leur mot à dire.
     
    Le samedi 1er décembre a marqué une nouvelle étape de la mobilisation. Alors que l’exécutif faisait le pari d’un affaiblissement, les gilets jaunes ont remonté d’un cran le niveau de la confrontation, déjà bien élevé les semaines précédentes. La manifestation parisienne s’est transformée en une offensive telle qu’on n’en a pas connu depuis bien longtemps. Non seulement les gilets-jaunes étaient plus nombreux, mais ils et elles ont déployé une inventivité particulièrement efficace face à l’encadrement policier. La #révolte débordait de toute part et les techniques répressives habituelles – lacrymogènes, grenades, nasses, matraques ou canons à eaux – ne pouvaient pas y faire grand-chose. Des comités d’action s’improvisaient entre deux boutiques de luxe, on traversait des avenues bordées de sapins de Noël enflammés et des tags recouvraient la Place Vendôme. L’attention a tendance à se focaliser sur Paris, mais les récits qui émergent dans d’autres villes, voire des villages, montrent que le phénomène est bien plus large. Si on peut y voir une continuité avec les formes de réappropriations de la violence dans les cortèges, notamment depuis 2016, il faut reconnaitre qu’un cap a été franchi.
     
    Plus surprenant encore, le début de semaine qui a suivi donne l’impression que le ton est donné et qu’il peut porter plus loin encore. La réaction immédiate et puissante des lycéen.es est de ce point de vue exemplaire. Ils et elles ont repris leur lutte contre la réforme du bac et la sélection en donnant aux blocages l’intensité de l’époque gilet-jauné. Dans les facs, les AG font le plein contre l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiant·es étrangers. Et on peut espérer que les #occupations qui se mettent en place s’inspirent elles aussi du climat pour prendre une forme moins autocentrée que ce qu’on a pu connaitre dans la première moitié de l’année. Les ambulancier·es ont carrément envahi la place de la Concorde alors que celle-ci se remettait à peine des émeutes du week-end. Dans le #syndicalisme de combat, des appels à prendre part à la manifestation commencent à voir le jour. En Ile de France, les cheminot·es et les postier·es ont déjà donné le ton, suivis par des secteurs moins attendus comme les cimentiers du Groupe Lafarge, ou par les camarades de Geodis Gennevilliers. Les fédérations trainent un peu, comme à leur habitude, mais certaines appellent à la grève, voire au blocage pour la CGT transport, à partir de lundi.


     
    Au-delà des #luttes les plus visibles, tout un ensemble de micro-évènements échangés de bouche à oreille laissent à penser qu’un parfum de révolution traine dans l’air. Selon les écoles – et sans que ce soit contradictoire – on peut y voir le résultat d’un processus de subjectivisation en pleine émergence ou bien l’ouverture d’une forme de légitimité à passer à l’acte. Dans les deux cas, l’effet produit peut être considérable au-delà d’une temporalité courte. Si le mouvement continue de se renforcer, on voit mal comment des réformes comme celle des #retraites ou de l’#assurance_chômage pourraient être mises sur la table, comme c’était prévu, au début de l’année prochaine. Pour le moment, Macron et son gouvernement continuent dans le cynisme absolu au service des plus riches. Ils se sont contentés de lâcher une ridicule suspension des taxes carburant pour l’année 2019, chiffrée à 4 milliards, ce qui représente une offrande de 6 centimes pour le diesel et de 3 centimes pour l’essence. Super ! Comment peuvent-ils croire qu’un truc aussi insignifiant pourrait faire taire des gilets-jaunes qui depuis vingt jours passent leur semaine sur des ronds-points et leur samedi face aux flics ? Sans compter que la veille, mardi 05 décembre, l’assemblée venait de valider un cadeau dix fois plus gros pour les patrons : une transformation du CICE en baisse des cotisations sociales pour un coût de 40 milliards sur l’année 2018. Un énorme foutage de gueule.
     

     
    On entend souvent que les gilets-jaunes ont bougé, mais on peut aussi penser que c’est nous-mêmes qui avons fait bouger nos #cadres_d’analyse de la situation, après reconnaissance des effets engendrés. Aux premiers jours, on était un peu étonnés que les gilets-jaunes carburent au prix de l’essence. Et pourtant, la taxe carbone, au même titre que la TVA, sont bien des #impôts_non_redistributifs, dont les riches s’acquittent aisément alors que d’autres galèrent. La thématique demeure trop restreinte mais elle a vite été débordée, sur la question des #services_publics ou du retour de l’#ISF (3) par exemple. Et elle peut encore déborder au-delà, jusqu’à rejoindre des enjeux qui nous sont plus familiers. Sur la question des #salaires tout d’abord, qui semble difficilement évitable quand on parle de difficulté à finir le mois. Sur la misère du #travail aussi, qui occupe une place de choix dans le pourrissement de nos quotidiens. Sur les violences policières bien sûr, qui ont viré au défoulement généralisé ces derniers jours. Finalement, depuis le début du mouvement, les #revendications portées partent principalement des #conditions_matérielles_d’existence et c’est leur force. Difficiles à synthétiser, mais englobant tous les aspects, elles pourraient être réunies sous une formule qu’on a beaucoup entendue et qui à le mérite de percuter : « On n’en veut plus de cette vie de merde ».

    Tout ça reste largement imprévisible et des zones d’ombres persistent. Des courants #citoyennistes, #légalistes et #nationalistes traversent bien certains esprits embrumés et nécessitent de poser des #clivages nets. (...)

    #lycéens

  • C’est l’Eure.

    Dans l’Eure, « le réservoir de la colère explose » 23 NOVEMBRE 2018 PAR FRANÇOIS BONNET

    Dans l’Eure, péages d’autoroute et gros ronds-points demeurent bloqués tout ou partie de la journée. Le prix des carburants est oublié. Ouvriers, retraités, intérimaires, artisans, jeunes et vieux disent tous la même chose : une vie de galère avec des revenus de misère et des injustices qu’ils ne veulent plus supporter.

    « Le prix du carburant, pardon, mais je m’en contrefous », assure Line – « Appelez-moi Madame Line », insiste-t-elle. Madame Line est donc arrivée à pied, ce mercredi matin, au rond-point de Gaillon, dans l’Eure, avec son panier à roulettes. Des cakes faits maison et du café. Deux kilomètres de trajet. Une soixantaine de gilets jaunes sont là, sur le rond-point, pour un barrage filtrant. Ça dure depuis samedi. C’est juste à côté de Kiabi, de McDo et d’Auchan. C’est un rond-point dans une zone commerciale comme partout.

    Et là, les Klaxon des poids lourds et des voitures font connaître leur soutien. Les gilets jaunes sont en évidence derrière les pare-brise. On rigole bien. Ça blague autour des braseros, des barbecues et en tapant la converse avec les automobilistes qui attendent. Sans compter ce camionneur qui fait trois fois le tour du rond-point, Klaxon à fond. Lui, il réchauffe les cœurs. Il fait très froid. Depuis samedi, la fatigue s’accumule.

    C’est aussi pour ça que vient Madame Line. La voiture, elle a fait une croix dessus. « Je l’ai depuis deux ans au parking. Faudrait le contrôle technique, j’ai pas les sous, ma voiture réussira pas l’examen et il faudrait que je remette l’assurance, pas possible », précise-t-elle. Adieu la voiture, mais là, sur le rond-point, surgissent plein de nouveaux amis.

    Madame Line est retraitée. 720 euros par mois. Et une vie dont l’horizon au-delà de son logement HLM se résume au Auchan du rond-point de Gaillon et aux quelques sorties organisées quand ses enfants le peuvent. « Charges fixes enlevées, j’ai quoi ? 150, parfois 200 euros par mois », dit-elle.

    « Ben, il y a dix jours, on se connaissait pas », dit Alain. Lui a la quarantaine, c’est un grand costaud qui travaille à quelques kilomètres, au centre technique de Renault. Ça tombe bien, il y a quinze jours, il a loué un vélo électrique pour voir « si ça pouvait le faire pour aller au boulot ». Quinze kilomètres par jour, avec une grande côte. C’est pas évident, conclut-il.

    Une révolte, dit-il, c’est aussi plein de plaisir. Des découvertes, des gens, des horaires qui volent en éclats, une liberté. « Sur le groupe Facebook, on est des centaines. Là, on se relaie, moi je repars au boulot et je reviens ce soir. On se croisait dans la rue et on se disait pas bonjour, là on discute et il y a ce mot : solidarité. On pense pas pareil ? On s’en fout. Il y a des cons, des racistes ? On leur demande de se taire. La solidarité, c’est quand même ce gouvernement qui devrait montrer que cela existe au lieu de nous piétiner. »

    Ce que disent Line et Alain ? C’est ce qu’on pouvait entendre cette semaine sur la dizaine de gros points de blocage visités dans cette partie du département de l’Eure qui va de Vernon à Val-de-Reuil. La hausse des carburants est oubliée depuis longtemps. D’autant que les prix, constatés à l’Intermarché de Gasny vendredi matin, sont dans la fourchette basse. « Les carburants, c’est la goutte qui a fait exploser le réservoir de la colère », assure Smaïn, un « bloqueur » du péage de l’autoroute A13 à Heudebouville.

    Non, sur les ronds-points, on ne parle plus carburant mais des vraies choses qui fâchent : la pauvreté, les jeunes sans horizon ou précaires à l’éternité, les retraités à la ramasse, et soi-même ou bien dans la galère ou pas vraiment assuré des deux ou trois ans qui viennent. La peur de plonger à son tour. Et surtout, les salaires qui ne permettent pas de finir les mois.

    Il y a ce plaisir de se retrouver ensemble. Des gens que rien n’aurait réunis. Des petits gestes. À l’entrée des Andelys, c’est Anaïs qui raconte : « Un vieux dans une caisse pourrie me donne un billet de 5 euros, en fait c’est lui qu’il faudrait aider. » Le gars qui laisse un plateau de charcuterie d’au moins 50 euros à Gaillon. Ce voyageur dans une belle voiture qui, à Fleury-sur-Andelle, tend un billet de 20 euros. Ce boulanger qui a fait une fournée spéciale d’éclairs au chocolat « Soutien au blocage 27 » (le 27, c’est l’Eure).

    « On se bat pour nos jeunes, pour les retraités, pour nos salaires. »

    Partout, sur tous les ronds-points bloqués, les tables sont remplies de victuailles et de matériel avec parfois le groupe électrogène qui tourne. À Vernon, à la sortie de l’A13, une R5 traîne une carriole remplie de bois de chauffage. Aux Andelys, un routier passe un sac de gâteaux. Sur la barrière de péage de Heudebouville, c’est l’entassement de casse-croûte. Et là, ce jeune gendarme qui discute avec les gilets jaunes :
    « Bon, vers quelle heure vous arrêtez le blocage ?
    -- Pourquoi ?
    -- Euh, ça va devenir dangereux après 17 heures. Et puis faut que je rentre nourrir mon chien, soyez sympas.
    -- Votre chien peut attendre.
    -- Non, c’est un gros, il fait trente kilos, faut qu’il ait sa ration à l’heure. Et puis j’ai pas envie d’être rappelé pour ramasser un corps démembré.
    -- Sympa, vous nous portez chance…
    -- Non mais attention, c’est très dangereux les entrées de péage. »

    Et aux Andelys, où le centre des impôts a été bloqué puis fermé, voilà deux femmes gendarmes qui s’avancent sur le rond-point :
    « Alors, on se respecte, pas vrai ? Donc ne mettez pas des photos de nous sur Facebook.
    -- Y’en a déjà de parties, je crois.
    -- Justement, faut arrêter. Regardez, on n’a pas notre calot, on va se faire engueuler par la hiérarchie.
    -- Mettez votre calot, c’est pas mal.
    -- Ben non, regardez la gueule qu’on a avec ça.
    -- OK, on supprime les photos. »

    C’est bien joli de faire la fête et les barbecues merguez-chipo avec de nouveaux amis, mais « ici c’est pas la kermesse de l’école », corrige David. Il est là depuis cinq jours, à Gaillon. Les yeux rougis et creusés par le froid, la fumée, le manque de sommeil, les discussions sans fin. Comme les autres. David résume : « On se bat pour nos jeunes, pour les retraités, pour nos salaires. On nous traite de beaufs, d’illettrés, de sans-dents, on veut du respect, de la moralité et de l’écoute. Et on veut surtout la fin des injustices : Macron supprime l’ISF, les grandes boîtes ne paient pas les impôts, regardez Carlos Ghosn et les paradis fiscaux. »

    À Vernon, Éric, 41 ans, préfère faire dans l’imagé : « C’est quoi l’histoire ? On nous demande de se serrer la ceinture et en plus de baisser notre froc. Ça, c’est un truc pas possible. Donc stop ! » Ouvrier dans une entreprise de traitement des métaux près de Mantes-la-Jolie, il dit y avoir perdu une épaule. En arrêt de travail depuis avril, un accident professionnel et un patron qui ne respecte aucune consigne de sécurité. « On travaille avec des bains de cyanure, d’acides différents, de chrome. Pas de bleus de travail sécurisés, des petits masques de peinture qui ne servent à rien. L’inspection du travail est passée. Et qu’est-ce qu’a fait le patron ? Acheter des hottes de cuisine ! Et là-dessus, en équipe de nuit, j’ai fait une chute. Comment je fais maintenant avec une épaule foutue… »

    Traditionnellement ouvrière, cette partie de la vallée de la Seine a un temps bien vécu : automobile, métallurgie, industries chimiques, des entreprises de sous-traitance de partout pour les grands groupes et des logements pas trop chers. Depuis vingt ans, l’histoire n’est plus la même avec les crises, les délocalisations et les plans de licenciements qui se sont empilés. « Du boulot, il y en a encore, dit Kevin, 32 ans, mais faut voir les conditions. Moi, je suis cariste en intérim. En ce moment, c’est chômage : 806 euros par mois. J’ai un loyer de 450 euros, une fille à charge. Eh bien, je marche avec un compte dans le rouge et mes découverts enrichissent la banque ! J’ai calculé l’an dernier : 700 euros de frais bancaires dans l’année. »

    Chantal et Rose viennent prendre le relais sur le rond-point. La première est retraitée, 800 euros par mois, une sortie en voiture tous les quinze jours pour faire le « plein de courses », les habits achetés dans les vide-greniers et des jongleries comptables pour, parfois, se payer un billet de train. « On peut vivre comme cela quelques années mais tout le temps, non, c’est trop dur », commente-t-elle.
    Rose approuve en riant. Son mari est au chômage depuis deux ans. Elle est en intérim – « je prends tout, ménage, caissière, etc. » – au Smic et en ce moment en arrêt maladie avec le dos cassé. « 740 euros d’indemnités, on va pas loin avec ça. Donc pour deux de mes trois gosses, c’est plus d’activités et pas de vacances. »

    Le cahier de doléances de René, soudeur à la retraite
    « Ici, c’est la révolte de la France qui a 1 000 euros par mois, voire moins, pour vivre », dénonce Laurence, auto-entrepreneuse dans le service à la personne. Elle ne se plaint pas, son mari a « un bon travail », mais elle dit connaître des « gens qui bossent et qui vivent au camping ou dans leur voiture ». Alain abonde dans son sens. « Il y avait un espoir avec Macron et il ne se passe rien ou le pire. Il n’écoute personne, il a écrasé tout le monde avec ses ordonnances. “Licencier pour mieux embaucher”, c’était ça son truc. Les embauches, je les vois pas. Je suis depuis vingt-huit ans chez Renault et c’est le contraire qui se passe. »

    À Écouis, sur la grande départementale qui mène vers Rouen, ils sont une dizaine à taper des pieds pour se réchauffer devant le feu rouge. Et voici un petit tract : « Les gilets jaunes ne sortent pas que pour l’essence. » Suit une longue énumération de 27 mesures, impôts, taxes : de l’augmentation du gaz au projet de vignette pour les véhicules polluants ; de la suppression de l’ISF à la fermeture des services dans les hôpitaux ; de l’augmentation de l’âge de la retraite aux suppressions de poste dans l’éducation… Tout y passe. C’est un paysage social apocalyptique qui est dressé avec cette conclusion : « Une fois mort, ça ne s’arrête pas : il faut payer l’enterrement et tout le tralala, soit environ 4 000 euros et plus. »

    René, lui, est bien content. Ça lui rappelle Mai-68, quand il commençait sa carrière d’ouvrier chez Bata, à Vernon, avant de se reconvertir en soudeur spécialisé. Le voilà qui émerge de l’épais brouillard qui noie le rond-point un grand cahier à la main. « Je fais tous les blocages et je demande à chacun d’écrire une mesure qu’il faudrait prendre, vous voulez mettre quoi vous ? »

    Le cahier est feuilleté. Rembourser tous les médicaments. Baisser le prix des mutuelles. Mettre les banques à genoux. Augmenter le Smic. Aider les jeunes pour louer des logements – « C’est vrai qu’à 30 piges, être toujours chez Papa-Maman, c’est la honte », commente René. Que les patrons paient leurs impôts. Ouvrir la gare de Gaillon qui est fermée tous les après-midi et où les distributeurs de billets sont cassés. Annuler les 80 km/h sur les nationales.

    Et ça continue. Sur le rond-point, une jeune femme fait elle aussi l’inventaire. « J’en ai marre de tout, j’en ai marre de rien pouvoir faire avec mes gosses, j’en ai marre de compter en permanence pour finir le mois, j’en ai marre de pas être respectée par le patron, j’en ai marre des conneries des journalistes à la télé. » Et elle fond en larmes. « Excusez, je suis fatiguée. »

    Emmitouflé dans sa grosse veste camouflage, Daniel s’offre un petit moment de politique en filtrant les poids lourds. « Moi, c’est pas le pire, je suis à la retraite depuis quatre ans, 1 300 euros par mois. » Daniel a été délégué syndical et il regrette bien que les syndicats ne soient pas dans le coup. « Pourquoi la CGT n’est pas là ?, demande-t-il. Si les gars à l’usine Renault-Flins arrêtaient le travail, ne serait-ce qu’une journée, ce serait plié. »

    L’ancien syndicaliste expose à qui veut l’entendre son choix d’un « capitalisme régulé et juste ». Les multinationales ont trop de pouvoir, le CAC 40 ne paie pas ses impôts, les jeunes galèrent et doivent compléter leur salaire par le travail au noir. Il se souvient de ce reportage sur Starbucks – « c’est à la mode ça » – qui ne paie pas un sou d’impôt en France. Il est pour l’Europe mais pas celle-là, qui ne « fait rien pour le salarié ». Et il en a assez de se faire marcher dessus : « En 2005, on vote non à la Constitution européenne et, trois ans après, on nous l’impose, c’est la démocratie, ça ? »

    À une quarantaine de kilomètres de là, à Fleury-sur-Andelle, en bordure du plateau agricole du Vexin, c’est une autre syndicaliste qui tient avec une cinquantaine de personnes le rond-point. Leïla travaille dans une usine de sous-traitance automobile qui produit des joints de portière et carrosserie. « Attention, je suis là en tant que citoyenne, prévient-elle. Vient ici qui veut, avec ses idées et ses envies, c’est pas un bataillon syndical et justement ça nous change. »

    « Faut discuter, ouvrir une grande négociation »

    Un de ses collègues de l’usine est à ses côtés, trente ans dans cette boîte, la retraite dans trois ans et il s’inquiète. « Quand je suis rentré, on était 1 800 employés, maintenant on est 400 dont 200 intérimaires. Et la moitié ont été virés », résume Marc. L’usine vient de perdre la fabrication de deux joints, assure-t-il, produits désormais chez des sous-traitants à l’étranger. « Regardez l’usine Renault au Maroc, tout va partir et tous ces jeunes, ils vont devenir quoi ? Moi, je dois aider mon fils et puis aider aussi ma mère qui s’en sort pas, c’est humiliant pour tout le monde. »

    Serge a 20 ans, une grande mèche orange dans les cheveux et un scooter poussif fait de récupérations diverses. « J’ai pas le permis et ici, sans bagnole, ça aide pas. » Jardins, espaces verts : il met des C.V. partout et ne trouve nulle part. « Là, je me dépanne dans un centre équestre, 30 euros la journée, je vais faire quatre, cinq jours ce mois. Mais les retraités n’ont plus de thune, on ne peut plus faire leur jardin, les haies, les arbres. »

    Les retraités, voilà un chef d’entreprise qui veut en parler. À Gaillon, Raphaël a une menuiserie, six salariés et est habitué à tourner avec deux mois de travail d’avance. « J’ai quelques marchés d’entreprise, dit-il, mais l’essentiel de mes clients sont des particuliers et à 80 % des retraités. » Il l’assure et enrage : la CSG, le projet de désindexation des retraites, la hausse du fuel de chauffage, les frais de santé… Voilà que les retraités ont gelé ou différé leurs commandes. « Je vois mon chiffre d’affaires fondre comme neige au soleil. Ça, c’est un truc que le gouvernement n’avait pas prévu mais demandez à tous les artisans, les retraités sont à l’arrêt et on se prend cela en pleine tête. »
    Raphaël a donné la semaine à ses salariés. Tous sur les ronds-points ! « J’ai mis dix-huit ans à construire cette boîte, je les laisserai pas la détruire. C’est une folie, il n’y a plus de pouvoir d’achat et c’est nous, en bout de chaîne, qui tombons. »

    Et après ? Ça discute sur les ronds-points et les péages de l’A13. Bien peu des gilets jaunes disaient vouloir manifester à Paris, samedi. « Ça sent le traquenard, s’il y a des affrontements, on va tout perdre et le gouvernement fera tout pour que ça se passe mal », assure un « bloqueur » du péage d’Heudebouville. À Écouis, le groupe qui tient le feu rouge est bien décidé à y aller : « On va faire opération train gratuit, on va quand même pas polluer pour aller à la capitale ! » Et puis Paris n’est qu’un moment. Sans mesures fermes du gouvernement, les blocages vont continuer, assurent les manifestants.

    « Faut discuter, ouvrir une grande négociation avec les syndicats et annoncer vite l’annulation de certaines taxes. Il faut que les petits Mickeys au pouvoir acceptent de reculer, il n’y a que les idiots qui ne changent pas. D’autant que dans six mois, on vote et là, Macron va comprendre sa douleur », dit l’ancien syndicaliste de Vernon. À Fleury-sur-Andelle, Marc attend une « solution correcte pour tout le monde ». « On veut bien payer si nos impôts servent à quelque chose mais on sait aussi que le petit ne peut pas tout payer. Il faut remettre de l’équilibre, de l’égalité. »

    Sans représentant, sans structure et organisation, les occupants de ronds-points n’en démordent pas. C’est justement l’absence de chefs, de délégués, de revendications précises qui « fout le bazar », assurent-ils. Au pouvoir de se débrouiller avec ça et de trouver la porte de sortie. Voilà un exercice qui sonne déjà comme une revanche pour cette France des mille euros et moins par mois.

    https://www.mediapart.fr/journal/france/231118/dans-l-eure-le-reservoir-de-la-colere-explose?onglet=full

    #giletsjaunes #eure #blocage

  • War hero must sell his house to pay for care because ’he’s survived too long’ | Metro News
    https://metro.co.uk/2018/11/10/war-hero-must-sell-his-house-to-pay-for-care-because-hes-survived-too-long-
    https://metrouk2.files.wordpress.com/2018/11/pri_54645003-cd692.jpg?quality=90&strip=all&w=1200&h=630&c
    Cet homme doit vendre sa maison parce qu’il a vécu trop longtemps. C’est encore un exemple pour la détérioration du système de soins au Royaume Uni.

    Bob Frost, from Sandwich, Kent, had hoped to pass the £300,000 property to his children but this may no longer be possible after his NHS funding was withdrawn when he recovered from an illness.

    Mr Frost is now in the care of Kent County Council social services, who told him he will have to contribute to his care.

    Mr Frost’s partner Mildred Schutz, 94, who is a former British spy, said he had saved £25,000 for himself but a relative stole it. The couple met 20 years ago but they don’t live together. Ms Shutz lives in London and visits him several times a month. Ms Shutz added: ‘I suppose you could say that we have become inseparable.’

    Mr Frost, who grew up in Camden, north London, was shot down by Nazis in 1942 while operating as a rear gunner in a jet for the RAF. He managed to evade capture until he was eventually smuggled to Spain and then made it to the British embassy. He added: ‘The Germans were after me, and the resistance were trying to help me,’

    #santé #retraites #viellesse #Royaume_Uni #guerre

  • Pourquoi la nouvelle réforme des retraites pourrait encore aggraver les #Inégalités femmes-hommes
    https://www.bastamag.net/Pourquoi-la-nouvelle-reforme-des-retraites-pourrait-aggraver-les-inegalite

    La réforme des retraites annoncée par le gouvernement pour 2019 pourrait bien exacerber les fortes inégalités qui persistent dans le montant des pensions entre hommes et femmes. En cause : une possible généralisation du système par points au lieu du système par répartition, qui assurait jusqu’ici une solidarité entre carrières complètes et incomplètes, mais aussi entre hauts #Revenus et bas salaires. Les femmes seront les premières touchées, de même que les travailleurs intérimaires ou à temps partiels, (...)

    #Décrypter

    / #Syndicalisme, Inégalités, Revenus, #Protections_sociales, A la une, Quel avenir pour nos protections sociales (...)

    #Quel_avenir_pour_nos_protections_sociales_ ?

  • #Retraites: équilibre financier jusqu’en 2070! | Le Club de Mediapart
    https://blogs.mediapart.fr/yves-faucoup/blog/101018/retraites-equilibre-financier-jusqu-en-2070

    rapport-cor
    Le problème ou la bonne nouvelle, c’est que le Conseil d’Orientation des Retraites (COR), l’organisme de référence sur la question, a conclu dans son rapport de 182 pages, en juin dernier, que selon tous les scénarios de croissance annuelle de la productivité du travail (1 %, 1,3 ou 1,5 ou 1,8) les comptes seront à l’équilibre jusqu’en 2070 (et même « la part des dépenses brutes resterait inférieure à celle constatée en 2017 dans [les] trois scénarios » : 13,8 % du PIB en 2017, entre 11,6 et 14,4 en 2070). Une loi votée sous Hollande, que beaucoup ont oubliée parce qu’elle est de portée décalée, exige 43 ans de cotisations à partir de 2035, ce qui conduira automatiquement les salariés à partir, en moyenne, à 64 ans.

  • Réforme macronienne des #retraites : une autre façon de favoriser les hauts salaires et de faire des économies budgétaires...
    http://reformeraujourdhui.blogspot.com/2018/09/reforme-macronienne-des-retraites-une.html

    Dans le cadre de la prochaine réforme des retraites qui sera lancée par une loi-cadre débattue au Parlement courant 2019, l’objectif affiché par Emmanuel Macron est de mettre fin aux inégalités de traitement selon le statut ou le secteur d’activité et d’aboutir à une meilleure lisibilité du #système. Mais si une harmonisation des différents régimes est souhaitable, le nouveau système de retraites par #points, risque fort de favoriser les très hauts salaires tout en permettant au gouvernement de faire des économies budgétaires… La France comptera 1,4 cotisant par retraité à partir de la fin des années 2040 selon le Conseil d’orientation des retraites (COR). Le gouvernement veut refonder le système actuel par répartition morcelé en une quarantaine de régimes et vise un nouveau système « universel », (...)

    #ans #cotisations #taux

  • #Retraites : pourquoi les Françaises s’inquiètent plus que les autres
    http://www.lefigaro.fr/conjoncture/2018/09/20/20002-20180920ARTFIG00006-retraites-pourquoi-les-francaises-s-inquietent-pl


    Un vrai article de merde que je résume brièvement : les Françaises sont des connes gâtées qui ne font rien qu’à pleurer la bouche pleine !
    Bien sûr, pas un mot sur les inégalités de salaires, les difficultés d’accès aux emplois rémunérateurs ou les attaques contre les pensions en général et celles de réversion en particulier.
    Je suppose que l’article a été directement écrit par une compagnie d’assurance privée qui n’en peut plus d’attendre la privatisation du gâteau des cotisations retraites !

    26% des personnes en âge de travailler épargnent régulièrement pour leur retraite dans le monde. La France, qui dispose d’un système de protection sociale parmi les plus généreux, se situe nettement en deçà de cette moyenne, avec seulement 18% des personnes en âge de travailler qui mettent de l’argent de côté tous les mois pour leurs vieux jours. Ce taux grimpe à 33% au Royaume-Uni, 38% au Canada et 40% aux États-Unis. Bref, si les Françaises s’inquiètent pour leur retraite, elles ne sont pas plus prévoyantes et n’épargnent pas davantage que les autres.

  • En #Corée du Sud, les #retraités seuls face à la #pauvreté - Asialyst
    https://asialyst.com/fr/2018/08/06/coree-du-sud-retraites-seuls-face-pauvrete

    Un long métrage de fiction, plusieurs documentaires télé, des publications académiques et quantité d’articles de presse : l’histoire des « Bacchus Ladies » continue de sidérer la Corée du Sud. Le sort de ces dames âgées – la plupart ont entre 60 et 80 ans – qui se prostituent en plein Séoul pour simplement pouvoir manger a jeté une lumière crue sur un phénomène plus large : la pauvreté des #seniors. C’est que près de la moitié des plus de 66 ans vit sous le seuil de pauvreté dans le pays, un chiffre sans égal au sein des économies avancées. Enquête sur un phénomène complexe, qui, comme souvent en Corée, trahit les difficultés d’une société qui a rapidement muté.

    Les causes :
    #politiques_publiques récentes et faibles ;
    #système_de_retraite récents ;
    3° développement des #familles mononucléaires ;

    #inégalités #confucianisme

  • L’Albanie, nouvel eldorado des Italiens ?

    Pendant longtemps, les migrations trans-adriatiques entre Tirana et Rome n’allaient que dans un seul sens, d’est en ouest. Aujourd’hui, le balancier semble se rééquilibrer. #Patrons, #retraités et #étudiants italiens partent tenter leur chance en Albanie. Reportage.

    https://www.courrierdesbalkans.fr/Albanie-nouvel-eldorado-Italiens

    #Italie #émigration #Albanie #migrations #émigration_italienne #paywall
    cc @albertocampiphoto

  • Bernard Friot – En finir avec les luttes défensives Polémix et la Voix Off - 12 Avril 2018

    Conférence du sociologue Bernard Friot.

    Essayer d’esquiver les coups assénés aux #conquis-sociaux ne suffit pas.

    Passer à une lutte offensive commence par redonner du sens aux mots. Comme le mot « travail » : Activité consistant à produire des richesses, pas à servir le capital.
    http://polemix.dooz.org/BernardFriot1.mp3
    #Parents, #retraités, #chômeurs, #étudiants… produisent des #richesses. Et sont donc des travailleurs qui méritent un salaire.

    Lutter, c’est aussi redonner du sens à notre Histoire populaire :

    Comment, dans la France ruinée de 1946, le ministre communiste

    Ambroise Croizat construit le Régime Général de la Sécurité Sociale, conformément au Programme du CNR – Conseil National de la Résistance…

    #Plainte #Dénonciation #Construction- d-alternatives #travail #capitalisme #économie #critique_de_la_valeur #bernard_friot #salariat #emploi #politique #salaire #allocations_familiales #audio #radio