• « Accepter de prendre des risques pour vivre une vie pleine, c’est préférer mourir plutôt que vivre indignement »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/12/qu-est-ce-qui-est-plus-essentiel-que-de-pouvoir-decider-du-moment-de-sa-prop

    Accepter de prendre des risques – y compris celui de mourir – pour vivre une vie pleine, conviviale, épanouie, c’est d’une certaine manière préférer mourir plutôt que vivre indignement. C’est donc vouloir la mort plutôt qu’une vie rétrécie. Or ceux qui, en raison des souffrances, des handicaps et de la dépendance que provoquent la vieillesse ou la maladie, choisissent délibérément de mourir, que font-ils d’autre ? Il est incohérent de défendre le choix d’une vie qui inclut la mort d’un côté et de refuser la liberté de choisir celle-ci au terme d’une réflexion approfondie, conduisant à estimer sa vie « accomplie ».

    #biopolitique #paywall

    • Comment les plus âgés doivent-ils pouvoir gérer le risque lié à la pandémie due au coronavirus ? Le philosophe François Galichet défend le droit à vouloir la mort plutôt qu’une vie rétrécie.

      Tribune. La psychologue Marie de Hennezel, dans un vibrant plaidoyer (« Notre réaction au Covid-19 montre que plus on dénie la mort, moins on tolère le risque et l’incertitude », Le Monde du 8 janvier https://seenthis.net/messages/850474), défend le droit des plus âgés à « retrouver le sens des choses et aller droit à l’essentiel », et notamment à ne plus dénier la mort : « Plus on dénie la mort, moins on tolère le risque et l’incertitude. »

      Ce plaidoyer aura certainement fait sursauter tous ceux qui savent que Marie de Hennezel est une farouche adversaire de la liberté de mourir. Elle dénonce une politique qui « a voulu protéger les plus âgés en les infantilisant parfois, en les privant de leur libre choix de décider ce qui était essentiel pour eux ». Mais qu’est-ce qui est plus essentiel que de pouvoir décider du moment de sa propre mort ?

      Ce refus de l’infantilisation est effectivement attesté par de nombreuses enquêtes auprès des seniors. « Oui, je prends le risque, je préfère me sentir vivant et aller voir ma famille quitte à mourir, mais en restant libre. A notre âge, on veut profiter de ce qui nous reste. » Ils affirment préférer « vivre que durer » (« Covid-19 : “A notre âge, on veut profiter de ce qui nous reste” », Le Monde du 5 septembre 2020).

      Le refus de vivre indignement

      Accepter de prendre des risques – y compris celui de mourir – pour vivre une vie pleine, conviviale, épanouie, c’est d’une certaine manière préférer mourir plutôt que vivre indignement. C’est donc vouloir la mort plutôt qu’une vie rétrécie. Or ceux qui, en raison des souffrances, des handicaps et de la dépendance que provoquent la vieillesse ou la maladie, choisissent délibérément de mourir, que font-ils d’autre ? Il est incohérent de défendre le choix d’une vie qui inclut la mort d’un côté et de refuser la liberté de choisir celle-ci au terme d’une réflexion approfondie, conduisant à estimer sa vie « accomplie ».

      C’est pourquoi j’invite Marie de Hennezel à assumer son plaidoyer jusqu’au bout. Les personnes que j’ai accompagnées dans leur choix de mourir délibérément, comme celles qui détiennent les moyens de le faire, témoignent exactement des qualités qu’elle décrit chez les seniors.

      Lire aussi En temps de Covid-19, « les vieux entendent aussi décider de leur mort »

      Comme le montre l’enquête que j’ai menée auprès d’elles (dans mon livre Qu’est-ce qu’une vie accomplie ? , Odile Jacob, 2020, chapitre 5), « elles organisent leur vie autour de ce qui est pour elles essentiel ». Elles entretiennent « un autre rapport au temps » et jouissent de tous les bienfaits de la vie, parce qu’elles savent qu’elles peuvent en sortir si elle devient intolérable. Elles ont une relation plus sereine avec leurs proches, parce qu’elles sont certaines de n’être jamais un poids pour eux.

      Seul pays d’Europe à l’interdire

      Les sondages montrent que 96 % des Français sont favorables à une aide à mourir. L’Allemagne, l’Espagne, le Portugal, l’Autriche l’ont légalisée ou s’apprêtent à le faire, après la Belgique, les Pays-Bas et la Suisse. La France sera bientôt le seul pays d’Europe à l’interdire, comme elle a été l’un des derniers à abolir la peine de mort.

      Lire aussi « La médecine des personnes âgées ne peut pas tourner indéfiniment le dos à la liberté et à la mort »

      Refuser l’aide à une mort délibérée, c’est entretenir le déni de la mort que Marie de Hennezel prétend combattre ; c’est en faire une fatalité et non une composante fondamentale de notre liberté, comme l’ont reconnu bien des philosophes : Platon, Sénèque, Montaigne, Hume, Nietzsche, Cioran, entre autres.

      Un projet de loi vient d’être déposé au Sénat pour légitimer enfin l’aide à mourir. Après tant d’occasions manquées, celle-ci sera-t-elle la bonne ?

      #vieux (et, par extension, #malades...) #loi_sur_la_fin_de_vie #aide_à_mourir #suicide_assisté #éthique #euthanasie

  • #Belgique : plus de 70% des internautes ont refusé d’accepter ces cookies analytiques
    https://www.rtbf.be/info/economie/detail_les-sites-belges-sevres-des-donnees-des-cookies-analytiques?id=10671202

    Le secteur du digital et publicitaire de même que la Feweb qui représente les entreprises du web belge ont entamé une consultation avec l’Autorité de la Protection des Données pour tenter de trouver une solution au consentement des utilisateurs qui est requis depuis un an pour récolter des « cookies analytiques », rapporte L’Echo mardi.

    Différence entre cookies analytiques et cookies publicitaires
    Les cookies analytiques ne sont pas les cookies publicitaires habituels qui servent notamment au reciblage des internautes. Ce sont des cookies qui servent à savoir, par exemple, combien de personnes ont visité une page internet, sur quelles zones ils ont cliqué ou encore combien de temps un internaute est resté sur tel ou tel site. Des données anonymes et peu sensibles, mais qui sont essentielles pour les éditeurs de sites belges.

    « Depuis l’instauration du consentement explicite, plus de 70% des internautes ont refusé d’accepter ces cookies analytiques », expliquent Patrick Marck et Olivier De Doncker, à la tête de la Feweb. . . . . . .

    #cookies #publicité #profiling #facebook #google #surveillance #firefox #cnil #marketing #tracking #cookie #algorithme #bigdata #web #vie_privée #données #privacy #consentement #internet

  • Sommes-nous encore une communauté ?

    « Il y a des étudiants fragiles qui se suicident », disait la ministre #Frédérique_Vidal le 2 janvier, une ministre et un gouvernement qui ne soutiennent ni les étudiants, ni l’université, ni la recherche. Et qui mettent des milliers de vies en danger. Publication d’un message aux collègues et étudiant.e.s de l’Université de Strasbourg, qui devient ici une lettre ouverte.

    Chères toutes, chers tous,

    Je tente de rompre un silence numérique intersidéral, tout en sachant que les regards se portent outre-atlantique …

    Cette journée du mercredi 6 janvier a été calamiteuse pour l’Université de Strasbourg. Elle a montré une fois de plus les graves conséquences des carences en moyens financiers, techniques et en personnels dans l’#enseignement_supérieur et la recherche, y compris dans les grandes universités dites de recherche intensive, qui communiquent sur leur excellent équipement et qui sont dans les faits sous-financées – tout comme les plus grands hôpitaux - et sont devenues des usines à fabriquer de la #souffrance et de la #précarité. Il faudra bien sûr identifier les causes précises de la panne informatique géante subie par toute la communauté universitaire de Strasbourg, alors que se tenaient de très nombreux examens à distance : voir ici 8https://www.dna.fr/education/2021/01/06/incident-reseau-durant-un-examen-partiel-etudiants-stresses-et-en-colere) ou là (https://www.francebleu.fr/infos/insolite/universite-de-strasbourg-une-panne-informatique-perturbe-les-examens-de-m).

    Nous avons été informés uniquement par facebook et twitter - je n’ai volontairement pas de comptes de cette nature et n’en aurai jamais, il me semble : je pratique très mal la pensée courte - et par sms. 50 000 sms, promet-on. Mais je n’ai rien reçu sur mon 06, bien que je sois secrétaire adjoint du CHSCT de cette université et que la bonne information des représentants des personnels du CHSCT dans une telle situation soit une obligation, la sécurité des personnels et des étudiants n’étant plus assurée : plus de téléphonie IP, plus de mail, plus aucun site internet actif pendant des heures et des heures. Et ce n’est peut-être pas totalement terminé à l’heure où je publie ce billet (15h).

    Il ne s’agit pas ici d’incriminer les agents de tel ou tel service, mais de faire le constat qu’une université ne peut pas fonctionner en étant sous-dotée et sous-administrée. Une fois de plus, la question qu’il convient de se poser n’est pas tant de savoir si l’université est calibrée pour le virage numérique qu’on veut lui faire prendre à tous les niveaux et à la vitesse grand V en profitant de la crise sanitaire (au profit des #GAFAM et de la #Fondation SFR_que soutient Frédérique Vidal pour booster l’accès aux data des étudiants), que de déterminer si des #examens à distance, des cours hybrides, l’indigestion de data ou de capsules vidéo ne dénaturent pas fondamentalement l’#enseignement et la relation pédagogique et ne sont pas vecteurs de multiples #inégalités, #difficultés et #souffrances, aussi bien pour les étudiants que pour les enseignants et les personnels.

    Ce sont donc des milliers d’étudiants (entre 2000 et 4000, davantage ?), déjà très inquiets, qui ont vu hier et encore aujourd’hui leur #stress exploser par l’impossibilité de passer des examens préparés, programmés de longue date et pour lesquels ils ont tenté de travailler depuis de longs mois, seuls ou accompagnés au gré des protocoles sanitaires variables, fluctuants et improvisés qu’un ministère incompétent ou sadique prend soin d’envoyer systématiquement à un moment qui en rendra l’application difficile, sinon impossible. Le stress des étudiant.e.s sera en conséquence encore plus élevé dans les jours et semaines qui viennent, pour la poursuite de leurs examens et pour la reprise des cours ce 18 janvier. De mon côté et par simple chance j’ai pu garantir hier après-midi la bonne tenue d’un examen de master à distance : je disposais de toutes les adresses mail personnelles des étudiants et j’ai pu envoyer le sujet et réceptionner les travaux dans les délais et dans les conditions qui avaient été fixées. Tout s’est bien passé. Mais qu’en sera-t-il pour les milliers d’autres étudiants auxquels on promet que l’incident « ne leur sera pas préjudiciable » ? Le #préjudice est là, et il est lourd.

    Mes questions sont aujourd’hui les suivantes : que fait-on en tant que personnels, enseignants, doctorants et étudiant.e.s (encore un peu) mobilisé.e.s contre la LPR, la loi sécurité globale, les réformes en cours, le fichage de nos opinions politiques, appartenances syndicales ou données de santé ? Que fait-on contre la folie du tout #numérique et contre les conséquences de la gestion calamiteuse de la pandémie ? Que fait-on en priorité pour les étudiants, les précaires et les collègues en grande difficulté et en souffrance ? Que fait-on pour éviter des tentatives de suicide d’étudiants qui se produisent en ce moment même dans plusieurs villes universitaires ? Et les tentatives de suicide de collègues ?

    Je n’ai pas de réponse. Je lance une bouteille à la mer, comme on dit. Et je ne suis pas même certain d’être encore en mesure d’agir collectivement avec vous dans les jours qui viennent tant j’ai la tête sous l’eau, comme beaucoup d’entre vous … Peut-être qu’il faudrait décider de s’arrêter complément. Arrêter la machine folle. Dire STOP : on s’arrête, on prend le temps de penser collectivement et de trouver des solutions. On commence à refonder. On se revoit physiquement et on revoit les étudiants à l’air libre, le plus vite possible, avant l’enfer du 3ème confinement.

    Nous sommes une #intelligence_collective. « Nous sommes l’Université », avons-nous écrit et dit, très souvent, pendant nos luttes, pour sauver ce qui reste de l’Université. Je me borne aujourd’hui à ces questions : Sommes-nous encore l’Université ? Sommes-nous encore une intelligence collective ? Que reste-t-il de notre #humanité dans un système qui broie l’humanité ? Sommes-nous encore une #communauté ?

    En 2012, j’ai écrit un texte dont je me souviens. Il avait pour titre « La communauté fragmentée ». Je crois que je pensais à Jean-Luc Nancy en écrivant ce texte, à la fois de circonstance et de réflexion. A 8 années de distance on voit la permanence des problèmes et leur vertigineuse accélération. Nous sommes aujourd’hui une communauté fragmentée dans une humanité fragmentée. Comment faire tenir ensemble ces fragments ? Comment rassembler les morceaux épars ? Comment réparer le vase ? Comment réinventer du commun ? Comment faire ou refaire communauté ?

    Je pose des questions. Je n’ai pas de réponse. Alors je transmets quelques informations. Je n’imaginais pas le faire avant une diffusion officielle aux composantes, mais vu les problèmes informatiques en cours, je prends sur moi de vous informer des avis adoptés à l’unanimité par le CHSCT qui s’est tenu ce 5 janvier. Ce n’est pas grand-chose, mais un avis de CHSCT a quand même une certaine force de contrainte pour la présidence. Il va falloir qu’ils suivent, en particulier sur le doublement des postes de médecins et de psychologues. Sinon on ne va pas les lâcher et on ira jusqu’au CHSCT ministériel.

    Je termine par l’ajout de notes et commentaires sur les propos de #Vidal sur France Culture le 2 janvier (https://www.franceculture.fr/emissions/politique/frederique-vidal-ministre-de-lenseignement-superieur-et-de-la-recherch

    ). Je voulais en faire un billet Mediapart mais j’ai été tellement écœuré que je n’ai pas eu la force. Il y est question des suicides d’étudiants. Il y a des phrases de Vidal qui sont indécentes. Elle a dit ceci : « Sur la question des suicides, d’abord ce sont des sujets multi-factoriels … On n’a pas d’augmentation massive du nombre de suicides constatée, mais il y a des étudiants fragiles qui se suicident ».

    Sur le réseau CHSCT national que j’évoquais à l’instant, il y a des alertes très sérieuses. Des CHSCT d’université sont saisis pour des TS d’étudiants. L’administrateur provisoire de l’Université de Strasbourg a bien confirmé ce 5 janvier que la promesse de Vidal de doubler les postes de psychologues dans les universités n’était actuellement suivi d’aucun moyen, d’aucun financement, d’aucun effet. Annonces mensongères et par conséquent criminelles ! Si c’est effectivement le cas et comme il y a des tentatives de suicides, il nous faudra tenir la ministre pour directement responsable. Et il faut le lui faire savoir tout de suite, à notre ministre "multi-factorielle" et grande pourvoyeuse de data, à défaut de postes et de moyens effectifs.

    Je vais transformer ce message en billet Mediapart. Car il faut bien comprendre ceci : nous n’avons plus le choix si on veut sauver des vies, il faut communiquer à l’extérieur, à toute la société. Ils n’ont peur que d’une seule chose : la communication. Ce dont ils vivent, qui est la moitié de leur infâme politique et dont ils croient tenir leur pouvoir : la #communication comme technique du #mensonge permanent. Pour commencer à ébranler leur système, il nous faut systématiquement retourner leur petite communication mensongère vulgairement encapsulée dans les media « mainstream" par un travail collectif et rigoureux d’établissement des faits, par une éthique de la #résistance et par une politique des sciences qui repose sur des savoirs et des enseignements critiques. Et j’y inclus bien sûr les savoirs citoyens.

    Notre liberté est dans nos démonstrations, dans nos mots et dans les rues, dans nos cris et sur les places s’il le faut, dans nos cours et nos recherches qui sont inséparables, dans nos créations individuelles et collectives, dans l’art et dans les sciences, dans nos corps et nos voix. Ils nous font la guerre avec des mensonges, des lois iniques, l’imposture du « en même temps » qui n’est que le masque d’un nouveau fascisme. Nous devons leur répondre par une guerre sans fin pour la #vérité et l’#intégrité, par la résistance de celles et ceux qui réinventent du commun. Au « en même temps », nous devons opposer ceci : "Nous n’avons plus le temps !". Ce sont des vies qu’il faut sauver. Le temps est sorti de ses gonds.

    Bon courage pour tout !

    Pascal

    PS : Avec son accord je publie ci-dessous la belle réponse que ma collègue Elsa Rambaud a faite à mon message sur la liste de mobilisation de l’Université de Strasbourg. Je l’en remercie. Je précise que la présente lettre ouverte a été légèrement amendée et complétée par rapport au message original. Conformément à celui-ci, j’y adjoins trois documents : la transcription commentée de l’entretien de Frédérique Vidal sur France Culture, les avis du CHSCT de l’Université de Strasbourg du 5 janvier 2021 et le courriel à tous les personnels de l’université de Valérie Robert, Directrice générale des services, et François Gauer, vice-président numérique. Nous y apprenons que c’est "le coeur" du système Osiris qui a été « affecté ». Il y a d’autres cœurs dont il faudra prendre soin … Nous avons besoin d’Isis... Soyons Isis, devenons Isis !

    –—

    Cher Pascal, cher-e-s toutes et tous,

    Merci de ce message.

    Pour ne pas s’habituer à l’inacceptable.

    Oui, tout ça est une horreur et, oui, le #distanciel dénature la #relation_pédagogique, en profondeur, et appauvrit le contenu même de ce qui est transmis. Nos fragilités institutionnelles soutiennent ce mouvement destructeur.

    Et pour avoir suivi les formations pédagogiques "innovantes" de l’IDIP l’an passé, je doute que la solution soit à rechercher de ce côté, sinon comme contre-modèle.

    Je n’ai pas plus de remèdes, seulement la conviction qu’il faut inventer vraiment autre chose : des cours dehors si on ne peut plus les faire dedans, de l’artisanat si la technique est contre nous, du voyage postal si nos yeux sont fatigués, du rigoureux qui déborde de la capsule, du ludique parce que l’ennui n’est pas un gage de sérieux et qu’on s’emmerde. Et que, non, tout ça n’est pas plus délirant que le réel actuel.

    Voilà, ça ne sert pas à grand-chose - mon mail- sinon quand même à ne pas laisser se perdre le tien dans ce silence numérique et peut-être à ne pas s’acomoder trop vite de ce qui nous arrive, beaucoup trop vite.

    Belle année à tous, résistante.

    Elsa

    https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/070121/sommes-nous-encore-une-communaute
    #étudiants #université #France #confinement #covid-19 #crise_sanitaire #santé_mentale #suicide #fragmentation

    • Vidal sur France Culture le 2 janvier :

      https://www.franceculture.fr/emissions/politique/frederique-vidal-ministre-de-lenseignement-superieur-et-de-la-recherch

      En podcast :

      http://rf.proxycast.org/d7f6a967-f502-4daf-adc4-2913774d1cf3/13955-02.01.2021-ITEMA_22529709-2021C29637S0002.mp3

      Titre d’un billet ironique à faire : « La ministre multi-factorielle et téléchargeable »

      Transcription et premiers commentaires.

      Reprise des enseignements en présence « de manière très progressive ».

      Dès le 4 janvier « Recenser les étudiants et les faire revenir par groupe de 10 et par convocation. » Comment, quand ?

      « Les enseignants sont à même d’identifier ceux qui sont en difficulté. » Comment ?

      « Le fait qu’on ait recruté 20 000 tuteurs supplémentaires en cette rentrée permet d’avoir des contacts avec les étudiants de première année, voir quels sont leur besoin pour décider ensuite comment on les fait revenir … simplement pour renouer un contact avec les équipes pédagogiques. » Mensonge. Ils ne sont pas encore recrutés. En 16:30 Vidal ose prétendre que ces emplois ont été créé dans les établissement au mois de décembre. Non, c’est faux.

      « 10 % des étudiants auraient pu bénéficier de TP. » Et 0,5% en SHS, Lettres, Art, Langues ?

      La seconde étape concernera tous les étudiants qu’on « essaiera de faire revenir une semaine sur deux pour les TD » à partir du 20 janvier.

      Concernant les étudiants : « souffrance psychologique très forte, … avec parfois une augmentation de 30 % des consultations »

      « Nous avons doublé les capacités de psychologues employés par les établissements ». Ah bon ?

      « Sur la question des suicides, d’abord ce sont des sujets multi-factoriels ». « On n’a pas d’augmentation massive du nombre de suicides constatée, mais il y a des étudiants fragiles qui se suicident ».

      « on recrute 1600 étudiants référents dans les présidences universitaires » (à 10 :30) « pour palier au problème de petits jobs ».

      « On a doublé le fond d’aide d’urgence. »

      « Nous avons-nous-même au niveau national passé des conventions avec la Fondation SFR … pour pouvoir donner aux étudiants la capacité de télécharger des data … », dit la ministre virtuelle. SFR permet certainement de télécharger une bouteille de lait numérique directement dans le frigo des étudiants. « Donner la capacité à télécharger des data » : Vidal le redira.

      L’angoisse de la ministre : « La priorité est de garantir la qualité des diplômes. Il ne faut pas qu’il y ait un doute qui s’installe sur la qualité des diplômés. »

      La solution est le contrôle continu, « le suivi semaine après semaine des étudiants » : « Ces contrôles continus qui donnent évidemment beaucoup de travail aux étudiants et les forcent à rester concentrés si je puis dire, l’objectif est là aussi. » Cette contrainte de rester concentré en permanence seul devant la lumière bleue de son écran, ne serait-elle pas en relation avec la souffrance psychologique reconnue par la ministre et avec le fait que « des étudiants fragiles se suicident » ?

    • Question posée par nombre d’étudiants non dépourvus d’expériences de lutte : puisque les tribunes et autres prises de position, les manifs rituelles et les « contre cours » ne suffisent pas, les profs et les chercheurs finiront-ils par faire grève ?

      Dit autrement, la « résistance » doit-elle et peut-elle être platonique ?

      Et si le suicide le plus massif et le plus terrible était dans l’évitement de ces questions ?

    • @colporteur : tes questions, évidemment, interrogent, m’interrogent, et interrogent tout le corps enseignant de la fac...
      « Les profs finiront-ils (et elles) pour faire grève ? »

      Réponse : Je ne pense pas.
      Les enseignant·es ont été massivement mobilisé·es l’année passée (il y a exactement un an). De ce que m’ont dit mes collègues ici à Grenoble : jamais ielles ont vu une telle mobilisation par le passé. Grèves, rétention des notes, et plein d’autres actions symboliques, médiatiques et concrètes. Les luttes portaient contre la #LPPR (aujourd’hui #LPR —> entérinée le matin du 26 décembre au Journal officiel !!!), contre les retraites, contres les violences policières, etc. etc.
      Cela n’a servi strictement à rien au niveau des « résultats » (rien, même pas les miettes).
      Les profs sont aussi très fatigué·es. J’ai plein de collègues qui vont mal, très mal.
      Les luttes de l’année passée ont été très dures, et il y a eu de très fortes tensions.
      On n’a pas la possibilité de se voir, de se croiser dans les couloirs, de manger ensemble. On est tou·tes chez nous en train de comprendre comment éviter que les étudiant·es lâchent.

      Je me pose tous les jours la question : quoi faire ? Comment faire ?

      L’université semble effriter sous nos pieds. En mille morceaux. Avec elle, les étudiant·es et les enseignant·es.

      Venant de Suisse, les grèves étudiantes, je ne connais pas. J’ai suivi le mouvement l’année passée, j’ai été même identifiée comme une des « meneuses du bal ». Je l’ai payé cher. Arrêt de travail en septembre. Mes collègues m’ont obligée à aller voir un médecin et m’ont personnellement accompagnée pour que je m’arrête pour de bon. Beaucoup de raisons à cela, mais c’était notamment dû à de fortes tensions avec, on va dire comme cela, « l’administration universitaire »... et les choses ont décidément empiré depuis les grèves.

      Personnellement, je continue à être mobilisée. Mais je ne crois pas à la confrontation directe et aux grèves.

      Le problème est de savoir : et alors, quelle stratégie ?

      Je ne sais pas. J’y pense. Mes collègues y pensent. Mais il y a un rouleau compresseur sur nos épaules. Difficile de trouver l’énergie, le temps et la sérénité pour penser à des alternatives.

      J’ai peut-être tort. Mais j’en suis là, aujourd’hui : détourner, passer dessous, passer derrière, éviter quand même de se faire écraser par le rouleau compresseur.
      Stratégie d’autodéfense féministe, j’ai un peu l’impression.

      Les discussions avec mes collègues et amiEs de Turquie et du Brésil me poussent à croire qu’il faut changer de stratégie. Et un mot d’ordre : « si on n’arrivera pas à changer le monde, au moins prenons soins de nous » (c’était le mot de la fin de la rencontre que j’avais organisée à Grenoble avec des chercheur·es de Turquie et du Brésil :
      https://www.pacte-grenoble.fr/actualites/universitaires-en-danger-journee-de-reflexion-et-de-solidarites-avec-

    • #Lettre d’un #étudiant : #exaspération, #résignation et #colère

      Bonjour,
      Je viens vers vous concernant un sujet et un contexte qui semblent progressivement se dessiner…
      Il s’agit du second semestre, et le passage en force (par « force » je veux dire : avec abstraction de tout débat avec les principaux acteur·ices concerné·es, post-contestations en 2019) de la loi LPR qui, il me semble, soulève une opposition d’ensemble de la part des syndicats enseignants universitaires (étant salarié, je suis sur la liste de diffusion de l’université).
      Aussi je viens vers vous concernant le deuxième semestre, qui risque de faire comme le premier : on commence en présentiel, puis on est reconfiné un mois et demi après. Bien entendu, je ne suis pas devin, mais la politique de ce gouvernement est assez facile à lire, je crois.
      Quelle opposition est possible, concrètement ? Car, loin d’aller dans des débats philosophiques, la solution d’urgence du numérique est certainement excusable, sauf lorsque cela tend à s’inscrire dans les mœurs et qu’elle ne questionne pas « l’après », mais qu’elle le conditionne. Or, je ne suis pas sûr qu’il soit sain d’envisager la transmission de savoirs d’une manière aussi arbitraire et insensée dans la durée, et qu’en l’absence de projet politique, cela semble devenir une réponse normée aux différentes crises prévues.
      J’ai la chance d’avoir un jardin, une maison, de l’espace, de pouvoir m’indigner de ceci car j’ai moins de contraintes, et de l’énergie mentale préservée de par un « capital culturel ». Ce n’est pas le cas d’autres, qui sont bloqué·es dans un 9 m2 depuis deux mois.
      Je ne veux pas me prononcer en le nom des autres étudiant·es, mais je peux affirmer que l’exaspération du distanciel et la validation de cette loi (ainsi que les autres, soyons francs) sont en train de soulever un dégoût assez fort. C’est très usant, d’être le dernier maillon d’une chaîne qui se dégrade, sous prétexte que « le distanciel fait l’affaire en attendant » alors même que rien n’est fait en profondeur pour améliorer le système de santé public, ni aucun, sinon l’inverse (l’on parle encore de réduction de lits en 2021 dans l’hôpital public). Je suis pour la solidarité nationale, mais celle-ci n’envisage aucune réciprocité. Et nous les « jeunes » sommes les bizus assumés du monde qui est en train de s’organiser.
      Et cela commence à peser sérieusement sur les promotions.

      (…)
      Je suis convaincu que personne n’apprécie la présente situation, comme j’ai l’impression qu’il n’y aura pas 36 000 occasions d’empêcher les dégradations générales du service public. Et je crains que, par l’acceptation de ce qui se passe, l’on avorte les seules options qu’il reste.
      Je suis désolé de ce message, d’exaspération, de résignation, de colère.

      J’ai choisi l’université française pour les valeurs qu’elle portait, pour la qualité de son enseignement, la force des valeurs qu’elle diffusait, la symbolique qu’elle portait sur la scène internationale et sa distance avec les branches professionnelles. Et j’ai l’impression que tout ce qui se passe nous condamne un peu plus, alors que la loi sécurité globale élève un peu plus la contestation, et que le gouvernement multiplie ses erreurs, en s’attaquant à trop de dossiers épineux en même temps. N’y a t’il pas un enjeu de convergence pour rendre efficace l’opposition et la proposition ?
      L’université n’est pas un bastion politique mais elle a de tout temps constitué un contre-pouvoir intellectuel se légitimant lors de dérives non-démocratiques, ou anti-sociales. Lorsqu’une autorité n’a que des positions dogmatiques, se soustrait de tout débat essentiel, d’acceptation de la différence (ce qui fait société !), n’est-il pas légitime de s’y opposer ?
      Nous, on se prend le climat, l’austérité qui arrive, la fragilisation de la sécu, des tafta, des lois sur le séparatisme, des policier·es décomplexé·es (minorité) qui tirent sur des innocents et sont couverts par des institutions qui ne jouent pas leur rôle arbitraire, on se fait insulter d’islamo-gauchistes sur les chaînes publiques parce qu’on porte certaines valeurs humanistes. J’avais à cœur de faire de la recherche car la science est ce qui nourrit l’évolution et garantit la transmission de la société, la rendant durable, je ne le souhaite plus. À quoi ça sert d’apprendre des notions de durabilité alors qu’on s’efforce de rendre la société la moins durable possible en pratique ?
      Que peut-on faire concrètement ? Ne nous laissez pas tomber, s’il vous plaît. Nous sommes et serons avec vous.
      Vous, enseignant·es, que vous le vouliez ou non êtes nos « modèles ». Les gens se calquent toujours sur leurs élites, sur leurs pairs.
      Vous êtes concerné·es aussi : les institutions vont commencer à faire la chasse aux sorcières dans les corpus universitaires si les dérives autoritaires se banalisent.

      L’orientation du débat public et la « fachisation » d’idéaux de société va inéluctablement faire en sorte que les enseignant·es soient en ligne de mire pour les valeurs qu’iels diffusent. C’est déjà en cours à la télé, des député·es banalisent ce discours.
      N’est-il pas du devoir des intellectuel·les d’élever le niveau du débat en portant des propositions ?
      Je ne suis pas syndiqué, pas engagé dans un parti, et je me sens libre de vous écrire ceci ; et je l’assumerai.
      Ce que je souhaite, c’est que l’on trouve un discours commun, motivant, pour que l’action puisse naître, collectivement et intelligemment : étudiant·es, et enseignant·es.
      Avec tout mon respect, fraternellement, et en considérant la difficile situation que vous-même vivez.

      Un étudiant en M1
      2 décembre 2020

      https://academia.hypotheses.org/29240

    • Des #vacataires au bord de la rupture se mettent en #grève

      Depuis le 23 novembre 2020, les vacataires en sociologie de l’#université_de_Bourgogne sont en #grève_illimitée. Ils et elles dénoncent les conditions de précarité dans lesquelles ils et elles travaillent, et demandent qu’un dialogue autour de ces problématiques soit enfin instaurer.

      Suite à leur communiqué, les enseignant·e·s–chercheur·e·s du département de sociologie ont décidé de leur apporter tout leur soutien.

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      Communiqué des vacataires en sociologie à l’université de Bourgogne au bord de la rupture

      Nous, docteur·es et doctorant·es, vacataires et contractuel.le.s au département de sociologie, prenons aujourd’hui la parole pour dire notre colère face aux dysfonctionnements structurels au sein de l’université de Bourgogne, qui nous mettent, nous et nos collègues titulaires, dans des situations ubuesques. Nous tirons la sonnette d’alarme !

      L’université de Bourgogne, comme tant d’autres universités en France, recourt aux vacataires et aux contractuel·les pour réaliser des missions pourtant pérennes. Ainsi, en termes d’enseignement, nous vacataires, assurons en moyenne 20 % des enseignements des formations de l’université de Bourgogne. Et au département de sociologie cette proportion grimpe à près de 30%.

      Le statut de vacataire est, à l’origine, pensé pour que des spécialistes, qui ne seraient pas enseignant·es-chercheur·ses à l’université, puissent venir effectuer quelques heures de cours dans leur domaine de spécialité. Cependant aujourd’hui ce statut est utilisé pour pallier le manque de postes, puisque sans nous, la continuité des formations ne peut être assurée : en comptant les vacations ainsi que les heures complémentaires imposées aux enseignants titularisés, ce sont en effet 46% des cours qui dépassent le cadre normal des services des enseignant-chercheurs. Nous sommes donc des rouages essentiel du fonctionnement de l’université.

      Doctorant·es (bien souvent non financé·es, notamment en Sciences Humaines et Sociales) et docteur·es sans postes, nous sommes payé·es deux fois dans l’année, nous commençons nos cours bien souvent plusieurs semaines (à plusieurs mois !) avant que nos contrats de travail soient effectivement signés. Nous sommes par ailleurs rémunéré·es à l’heure de cours effectuée, ce qui, lorsqu’on prend en compte le temps de préparation des enseignements et le temps de corrections des copies, donne une rémunération en dessous du SMIC horaire1.

      Au delà de nos situations personnelles, bien souvent complexes, nous constatons tous les jours les difficultés de nos collègues titulaires, qui tentent de « faire tourner » l’université avec des ressources toujours plus limitées, et en faisant face aux injonctions contradictoires de l’administration, la surcharge de travail qu’induit le nombre croissant d’étudiant·es et les tâches ingrates à laquelle oblige l’indigne sélection mise en place par Parcoursup ! Sans compter, aujourd’hui, les charges administratives qui s’alourdissent tout particulièrement avec la situation sanitaire actuelle. Nous sommes contraint·es d’adapter les modalités d’enseignement, sans matériel et sans moyens supplémentaires, et dans des situations d’incertitudes absolues sur l’évolution de la situation. Nous sommes toutes et tous au maximum de nos services et heures complémentaires et supplémentaires, à tel point que, quand l’un·e ou l’autre doit s’absenter pour quelques raisons que ce soit, nos équipes sont au bord de l’effondrement ! Et nous ne disons rien ici du sens perdu de notre travail : ce sentiment de participer à un vrai service public de l’enseignement supérieur gratuit et ouvert à toutes et tous, systématiquement saboté par les réformes en cours du lycée et de l’ESR !

      C’est pour ces raisons, et face au manque de réponse de la part de l’administration, que nous avons pris la difficile décision d’entamer un mouvement de grève illimité à partir du lundi 23 novembre 2020 à 8 h. Ce mouvement prendra fin lorsqu’un dialogue nous sera proposé.

      Nos revendications sont les suivantes :

      Mensualisation des rémunérations des vacataires ;
      Souplesse vis-à-vis des « revenus extérieurs » insuffisants des vacataires, particulièrement en cette période de crise sanitaire ;
      Exonération des frais d’inscription pour les doctorant.e.s vacataires ;
      Titularisation des contractuelles et contractuels exerçant des fonctions pérennes à l’université ;
      Plus de moyens humains dans les composantes de l’université de Bourgogne.

      Nous avons bien conscience des conséquences difficiles que cette décision va provoquer, autant pour nos étudiant.e.s, que pour le fonctionnement du département de sociologie. Nous ne l’avons pas pris à la légère : elle ne s’est imposée qu’à la suite d’abondantes discussions et de mûres réflexions. Nous en sommes arrivé.es à la conclusion suivante : la défense de nos conditions de travail, c’est aussi la défense de la qualité des formations de l’université de Bourgogne.

      Pour ceux qui se sentiraient désireux de nous soutenir, et qui le peuvent, nous avons mis en place une caisse de grève afin d’éponger en partie la perte financière que recouvre notre engagement pour la fin d’année 2020.

      https://www.papayoux-solidarite.com/fr/collecte/caisse-de-greve-pour-les-vacataires-sociologie-dijon

      Nous ne lâcherons rien et poursuivrons, si besoin est, cette grève en 2021.
      Lettre de soutien des enseignant·es–chercheur·ses du département de sociologie à l’université de Bourgogne

      https://academia.hypotheses.org/29225
      #précarité #précaires

    • Un étudiant de Master, un doyen de droit : à quand les retrouvailles ?

      Academia republie ici, avec l’accord de leurs auteurs, deux courriels adressés l’un sur une liste de diffusion de l’Université de Paris-1 Panthéon-Sorbonne et l’autre par le doyen de la faculté de droit. Les deux disent la même chose : le souhait de se retrouver, de le faire dans des bonnes conditions sanitaires, mais de se retrouver. Aujourd’hui, seul le gouvernement — et peut-être bientôt le Conseil d’État qui devrait rendre la décision concernant le référé-liberté déposé par Paul Cassia — et audiencé le 3 décembre 2020 ((Le message que Paul Cassia a adressé à la communauté de Paris-1 à la sortie de l’audience avec un seul juge du Conseil d’État vendredi, n’était pas encourageant.)) — les en empêchent.

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      Courriel de Dominik, étudiant en Master de Science Politique à l’Université de Paris-1

       » (…) Je me permets de vous transmettre le point de vue qui est le mien, celui d’un étudiant lambda, mais qui passe beaucoup de temps à échanger avec les autres. Je vous conjure d’y prêter attention, parce que ces quelques lignes ne sont pas souvent écrites, mais elles passent leur temps à être prononcées entre étudiantes et étudiants.

      Je crois qu’il est temps, en effet, de se préoccuper de la situation, et de s’en occuper à l’échelle de l’université plutôt que chacun dans son coin. Cette situation, désolé de répéter ce qui a été dit précédemment, est alarmante au plus haut point. J’entends parler autour de moi de lassitude, de colère, de fatigue, voire de problèmes de santé graves, de dépressions et de décrochages. Ce ne sont pas des cas isolés, comme cela peut arriver en novembre, mais bien une tendance de fond qui s’accroît de jour en jour. J’ai reçu des appels d’étudiantes et d’étudiants qui pleuraient de fatigue, d’autres d’incompréhensions. L’un m’écrivait la semaine dernière qu’il s’était fait remettre sous antidépresseurs, tandis que plusieurs témoignent, en privé comme sur les groupes de discussion, de leur situation de “décrochage permanent”.

      Ce décrochage permanent, je suis en train de l’expérimenter, consiste à avoir en permanence un train de retard que l’on ne peut rattraper qu’en prenant un autre train de retard. Le travail est en flux tendu, de 9 heures à 21 heures pour les plus efficaces, de 9h à minuit, voire au-delà pour les plus occupés, ceux qui font au système l’affront de vouloir continuer à suivre un second cursus (linguistique, dans mon cas), voire pire, de continuer à s’engager dans la vie associative qui rend notre Alma Mater si singulière. Parce que nous l’oublions, mais la vitalité associative est elle aussi en grand danger.

      Pour revenir au décrochage permanent, qui est à la louche le lot de la moitié des étudiantes et étudiants de ma licence, et sûrement celui de milliers d’autres à travers l’Université, c’est une situation qui n’est tenable ni sur le plan physique, ni sur le plan psychique, ni sur le plan moral, c’est à dire de la mission que l’Université se donne.

      Sur le plan physique, nous sommes victimes de migraines, de fatigue oculaire (une étudiante me confiait il y a trois jours avoir les yeux qui brûlent sous ses lentilles), de maux de dos et de poignet. Certains sont à la limite de l’atrophie musculaire, assis toute la journée, avec pour seul trajet quotidien l’aller-retour entre leur lit et leur bureau, et éventuellement une randonnée dans leur cuisine. Je n’arrive pas non plus à estimer la part des étudiantes et étudiants qui ne s’alimente plus correctement, mangeant devant son écran ou sautant des repas.

      Sur le plan psychique, la solitude et la routine s’installent. Solitude de ne plus voir ni ses amis ni même quiconque à ce qui est censé être l’âge de toutes les expériences sociales, lassitude des décors (le même bureau, la même chambre, le même magasin), routine du travail (dissertation le lundi, commentaire le mardi, fiche de lecture le mercredi, etc. en boucle) et des cours (“prenez vos fascicules à la page 63, on va faire la fiche d’arrêt de la décision n°xxx”).

      Sur le plan moral, parce que notre Université est en train d’échouer. La Sorbonne plus que toute autre devrait savoir en quoi elle est un lieu de débat d’idées, d’élévation intellectuelle, d’émancipation et d’épanouissement. Sans vie associative, sans conférences, sans rencontres, sans soirées endiablées à danser jusqu’à 6 heures avant l’amphi de Finances publiques (désolé), sans les interventions interminables des trotskystes dans nos amphis, les expos dans la galerie Soufflot, les appariteurs tatillons en Sorbonne et les cafés en terrasse où on se tape dessus, entre deux potins, pour savoir s’il vaut mieux se rattacher à Bourdieu ou à Putnam, à Duguit ou à Hauriou, sans tout ce qui fait d’une Université une Université et de la Sorbonne la Sorbonne, nous sommes en train d’échouer collectivement.

      Sous prétexte de vouloir s’adapter à la situation sanitaire, nous avons créé un problème sanitaire interne à notre établissement, et nous l’avons recouvert d’une crise du sens de ce que nous sommes en tant qu’étudiantes et étudiants, et de ce que Paris I est en tant qu’Université.

      Ce problème majeur ne pourra être traité qu’à l’échelle de toute l’Université. Parce que nombre de nos étudiants dépendent de plusieurs composantes, et qu’il serait dérisoire de croire qu’alléger les cours d’une composante suffira à sauver de la noyade celles et ceux qui seront toujours submergés par les cours de la composante voisine. Parce qu’il semble que nous ayons décidé de tenir des examens normaux en présentiel en janvier, alors même que nombre d’entre nous sont confinés loin de Paris, alors même que la situation sanitaire demeure préoccupante, alors même qu’il serait risible de considérer qu’un seul étudiant de cette Université ait pu acquérir correctement les savoirs et savoir-faires qu’on peut exiger de lui en temps normal.

      Je ne dis pas qu’il faut tenir des examens en distanciel, ni qu’il faut les tenir en présentiel, pour être honnête je n’en ai pas la moindre idée. Je sais en revanche que faire comme si tout était normal alors que rien ne l’est serait un affront fait aux étudiants.

      J’ajoute, enfin, pour conclure ce trop long mot, que je ne parle pas ici des mauvais élèves. Lorsque je parle de la souffrance et de la pénibilité, c’est autant celle des meilleurs que des médiocres. Quand quelqu’un qui a eu 18,5 au bac s’effondre en larmes au bout du fil, ce n’est plus un problème personnel. Quand des étudiantes et étudiants qui ont été sélectionnés sur ParcourSup à raison d’une place pour cent, qui ont été pour beaucoup toute leur vie les modèles les plus parfaits de notre système scolaire, qui sont pour nombre d’entre eux d’anciens préparationnaires à la rue d’Ulm, quand ceux-là vous disent qu’ils souffrent et qu’ils n’en peuvent plus, c’est que le système est profondément cassé.

      Désolé, je n’ai pas de solutions. On en a trouvé quelques-unes dans notre UFR, elles sont listées dans le mail de M. Valluy, mais je persiste à croire que ce n’est pas assez. Tout ce que je sais, c’est qu’il faut arrêter de faire comme si tout allait bien, parce que la situation est dramatique.

      Je sais, par ailleurs, que ce constat et cette souffrance sont partagés par nombre d’enseignants, je ne peux que leur témoigner mon indéfectible soutien. Je remercie également Messieurs Boncourt et Le Pape d’alerter sur cette situation, et ne peux que souscrire à leur propos.

      Prenez soin de notre société, Prenez soin de vous (…) »

      Dominik

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      Mesdames, Messieurs, chers étudiants,
      Comment vous dire ? Pas d’information ici, pas de renseignement. Je voulais vous parler, au nom de tous.
      La Faculté est froide, déserte. Pas de mouvement, pas de bruit, pas vos voix, pas vos rires, pas l’animation aux pauses. Il n’y a même plus un rayon de soleil dans la cour.
      Nous continuons à enseigner devant des écrans, avec des petites mains qui se lèvent sur teams et une parole à distance. Quelque fois nous vous voyons dans une petite vignette, un par un.
      Quelle tristesse qu’une heure de cours devant un amphithéâtre vide, dont on ne sent plus les réactions, à parler devant une caméra qui finit par vous donner le sentiment d’être, vous aussi, une machine.
      Quel manque d’âme dans ce monde internet, ce merveilleux monde du numérique dont même les plus fervents défenseurs perçoivent aujourd’hui qu’il ne remplacera jamais la chaleur d’une salle remplie de votre vie.

      Vous nous manquez, plus que vous ne l’imaginez. Vous nous manquez à tous, même si nous ne savons pas toujours ni vous le dire, ni vous le montrer.
      Et au manque s’ajoute aujourd’hui une forme de colère, contre le traitement qui vous est fait. Votre retour en février seulement ? Inadmissible. La rentrée en janvier est devenue notre combat collectif.
      Partout les Présidents d’Université expriment leur désaccord et seront reçus par le Premier Ministre. Les doyens de Faculté sont montés au créneau devant le Ministre de l’enseignement supérieur. On ne garantit pas d’être entendus mais on a expliqué que l’avenir ne s’emprisonne pas et que vous êtes l’avenir. Il semble que cela fasse sérieusement réfléchir.
      Si d’aventure nous obtenions gains de cause, et pouvions rentrer en janvier, je proposerai de décaler la rentrée en cas de besoin pour qu’on puisse reprendre avec vous.
      Et vous ?
      Ne croyez pas que nous ignorions que beaucoup d’entre vous se sentent isolés, délaissés, abandonnés même, et que, parfois, même les plus forts doutent. Nous percevons, malgré votre dignité en cours, que la situation est déplaisante, anxiogène, désespérante. Et nous pensons à celles et ceux qui ont été ou sont malades, ou qui voient leurs proches souffrir.
      Nous le sentons bien et souffrons de nous sentir impuissants à vous aider davantage.
      Je veux simplement vous dire que vous devez encore tenir le coup. C’est l’affaire de quelques semaines. C’est difficile mais vous allez y arriver. Vous y arriverez pour vous, pour vos proches, pour nous.

      Pour vous parce que, quelle que soit l’issue de ce semestre, vous aurez la fierté d’avoir résisté à cet orage. Vous aurez été capables de surmonter des conditions difficiles, et serez marqués, par ceux qui vous emploieront demain, du sceau de l’abnégation et courage. Ce sera, de toute façon, votre victoire.
      Pour vos proches parce qu’ils ont besoin, eux aussi, de savoir que vous ne cédez pas, que vous continuez à tout donner, que si vous avez parfois envie d’en pleurer, vous aurez la force d’en sourire.
      Pour nous enfin car il n’y aurait rien de pire pour nous que de ne pas vous avoir donné assez envie pour aller de l’avant. Nous ne sommes pas parfaits, loin de là, mais faisons honnêtement ce que nous pouvons et espérons, de toutes nos forces, vous avoir transmis un peu de notre goût pour nos disciplines, et vous avoir convaincus que vous progresserez aussi bien par l’adversité que par votre réussite de demain.
      Comment vous dire ? j’avais juste envie de vous dire que nous croyons en vous et que nous vous attendons. Bon courage !

      Amicalement
      Fabrice GARTNER
      Doyen de la Faculté de droit, sciences économiques et gestion de Nancy
      Professeur de droit public à l’Université de Lorraine
      Directeur du Master 2 droit des contrats publics
      Avocat spécialiste en droit public au barreau d’Epinal

      https://academia.hypotheses.org/29334

    • « Un #dégoût profond pour cette République moribonde » , écrit un étudiant de sciences sociales

      Le message a circulé. Beaucoup.
      Sur les listes de diffusion, sur les plateformes de messagerie. Le voici publié sur un site : Bas les masques. Il n’est pas inutile de le relire. Et de continuer à se demander que faire. De son côté, Academia continue : proposer des analyses, proposer des actions.

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      Bonjour,

      Je suis enseignant de sciences sociales en lycée en Bretagne et j’ai reçu le cri d’alarme d’un de mes ancien-ne-s élèves de première qui a participé à la manifestation parisienne contre la loi dite de sécurité globale le samedi 5 décembre dernier. Il a aujourd’hui 21 ans et il est étudiant.

      Je me sens démuni pour répondre seul à ce cri d’alarme alors je le relaie en espérant qu’il sera diffusé et qu’il suscitera quelque chose. Une réaction collective à imaginer. Mais laquelle ?

      Merci d’avance pour la diffusion et pour vos éventuelles réponses.

      « Bonjour Monsieur,

      Ce mail n’appelle pas nécessairement de réponse de votre part, je cherchais simplement à écrire mon désarroi. Ne sachant plus à qui faire part du profond mal-être qui m’habite c’est vous qui m’êtes venu à l’esprit. Même si cela remonte à longtemps, l’année que j’ai passée en cours avec vous a eu une influence déterminante sur les valeurs et les idéaux qui sont aujourd’hui miens et que je tente de défendre à tout prix, c’est pour cela que j’ai l’intime conviction que vous serez parmi les plus à même de comprendre ce que j’essaye d’exprimer.

      Ces dernières semaines ont eu raison du peu d’espoir qu’il me restait. Comment pourrait-il en être autrement ? Cette année était celle de mes 21 ans, c’est également celle qui a vu disparaître mon envie de me battre pour un monde meilleur. Chaque semaine je manifeste inlassablement avec mes amis et mes proches sans observer le moindre changement, je ne sais plus pourquoi je descends dans la rue, il est désormais devenu clair que rien ne changera. Je ne peux parler de mon mal-être à mes amis, je sais qu’il habite nombre d’entre eux également. Nos études n’ont désormais plus aucun sens, nous avons perdu de vue le sens de ce que nous apprenons et la raison pour laquelle nous l’apprenons car il nous est désormais impossible de nous projeter sans voir le triste futur qui nous attend. Chaque semaine une nouvelle décision du gouvernement vient assombrir le tableau de cette année. Les étudiants sont réduits au silence, privés de leurs traditionnels moyens d’expression. Bientôt un blocage d’université nous conduira à une amende de plusieurs milliers d’euros et à une peine de prison ferme. Bientôt les travaux universitaires seront soumis à des commissions d’enquêtes par un gouvernement qui se targue d’être le grand défenseur de la liberté d’expression. Qu’en est-il de ceux qui refuseront de rentrer dans le rang ?

      Je crois avoir ma réponse.

      Samedi soir, le 5 décembre, j’étais présent Place de la République à Paris. J’ai vu les forces de l’ordre lancer à l’aveugle par-dessus leurs barricades anti-émeutes des salves de grenades GM2L sur une foule de manifestants en colère, habités par une rage d’en découdre avec ce gouvernement et ses représentants. J’ai vu le jeune homme devant moi se pencher pour ramasser ce qui ressemblait à s’y méprendre aux restes d’une grenade lacrymogène mais qui était en réalité une grenade GM2L tombée quelques secondes plus tôt et n’ayant pas encore explosée. Je me suis vu lui crier de la lâcher lorsque celle-ci explosa dans sa main. Tout s’est passé très vite, je l’ai empoigné par le dos ou par le sac et je l’ai guidé à l’extérieur de la zone d’affrontements. Je l’ai assis au pied de la statue au centre de la place et j’ai alors vu ce à quoi ressemblait une main en charpie, privée de ses cinq doigts, sorte de bouillie sanguinolente. Je le rappelle, j’ai 21 ans et je suis étudiant en sciences sociales, personne ne m’a appris à traiter des blessures de guerre. J’ai crié, crié et appelé les street medics à l’aide. Un homme qui avait suivi la scène a rapidement accouru, il m’a crié de faire un garrot sur le bras droit de la victime. Un garrot… Comment pourrais-je avoir la moindre idée de comment placer un garrot sur une victime qui a perdu sa main moins d’une minute plus tôt ? Après quelques instants qui m’ont paru interminables, les street medics sont arrivés et ont pris les choses en main. Jamais je n’avais fait face à un tel sentiment d’impuissance. J’étais venu manifester, exprimer mon mécontentement contre les réformes de ce gouvernement qui refuse de baisser les yeux sur ses sujets qui souffrent, sur sa jeunesse qui se noie et sur toute cette frange de la population qui suffoque dans la précarité. Je sais pertinemment que mes protestations n’y changeront rien, mais manifester le samedi me permet de garder à l’esprit que je ne suis pas seul, que le mal-être qui m’habite est général. Pourtant, ce samedi plutôt que de rentrer chez moi heureux d’avoir revu des amis et d’avoir rencontré des gens qui gardent espoir,je suis rentré chez moi dépité, impuissant et révolté. Dites-moi Monsieur, comment un étudiant de 21 ans qui vient simplement exprimer sa colère la plus légitime peut-il se retrouver à tenter d’installer un garrot sur le bras d’un inconnu qui vient littéralement de se faire arracher la main sous ses propres yeux, à seulement deux ou trois mètres de lui. Comment en suis-je arrivé là ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

      Je n’ai plus peur de le dire. Aujourd’hui j’ai un dégoût profond pour cette République moribonde. Les individus au pouvoir ont perverti ses valeurs et l’ont transformée en appareil répressif à la solde du libéralisme. J’ai développé malgré moi une haine profonde pour son bras armé qui défend pour envers et contre tous ces hommes et ces femmes politiques qui n’ont que faire de ce qu’il se passe en bas de leurs châteaux. J’ai toujours défendu des valeurs humanistes et pacifistes, qui m’ont été inculquées par mes parents et desquelles j’ai jusqu’ici toujours été très fier. C’est donc les larmes aux yeux que j’écris ceci mais dites-moi Monsieur, comment aujourd’hui après ce que j’ai vu pourrais-je rester pacifique ? Comment ces individus masqués, sans matricules pourtant obligatoires peuvent-ils nous mutiler en toute impunité et rentrer chez eux auprès de leur famille comme si tout était normal ? Dans quel monde vivons-nous ? Dans un monde où une association de policiers peut ouvertement appeler au meurtre des manifestants sur les réseaux sociaux, dans un monde où les parlementaires et le gouvernement souhaitent renforcer les pouvoirs de cette police administrative qui frappe mutile et tue.Croyez-moi Monsieur, lorsque je vous dis qu’il est bien difficile de rester pacifique dans un tel monde…

      Aujourd’hui être français est devenu un fardeau, je suis l’un de ces individus que l’Etat qualifie de « séparatiste », pourtant je ne suis pas musulman, ni même chrétien d’ailleurs. Je suis blanc, issu de la classe moyenne, un privilégié en somme… Mais quelle est donc alors cette religion qui a fait naître en moi une telle défiance vis-à-vis de l’Etat et de la République ? Que ces gens là-haut se posent les bonnes questions, ma haine pour eux n’est pas due à un quelconque endoctrinement, je n’appartiens à l’heure actuelle à aucune organisation, à aucun culte « sécessioniste ». Pourtant je suis las d’être français, las de me battre pour un pays qui ne veut pas changer. Le gouvernement et les individus au pouvoir sont ceux qui me poussent vers le séparatisme. Plutôt que de mettre sur pied des lois visant à réprimer le séparatisme chez les enfants et les étudiants qu’ils s’interrogent sur les raisons qui se cachent derrière cette défiance. La France n’est plus ce qu’elle était, et je refuse d’être associé à ce qu’elle représente aujourd’hui. Aujourd’hui et malgré moi je suis breton avant d’être français. Je ne demanderais à personne de comprendre mon raisonnement, seulement aujourd’hui j’ai besoin de me raccrocher à quelque chose, une lueur, qui aussi infime soit-elle me permette de croire que tout n’est pas perdu. Ainsi c’est à regret que je dis cela mais cette lueur je ne la retrouve plus en France, nous allons au-devant de troubles encore plus grands, le pays est divisé et l’antagonisme grandit de jour en jour. Si rien n’est fait les jeunes qui comme moi chercheront une sortie, un espoir alternatif en lequel croire, quand bien même celui-ci serait utopique, seront bien plus nombreux que ne l’imaginent nos dirigeants. Et ce ne sont pas leurs lois contre le séparatisme qui pourront y changer quelque chose. Pour certains cela sera la religion, pour d’autre comme moi, le régionalisme. Comment pourrait-il en être autrement quand 90% des médias ne s’intéressent qu’aux policiers armés jusqu’aux dents qui ont été malmenés par les manifestants ? Nous sommes plus de 40 heures après les événements de samedi soir et pourtant je n’ai vu nulle part mentionné le fait qu’un manifestant avait perdu sa main, qu’un journaliste avait été blessé à la jambe par des éclats de grenades supposées sans-danger. Seul ce qui reste de la presse indépendante tente encore aujourd’hui de faire la lumière sur les événements terribles qui continuent de se produire chaque semaine. Soyons reconnaissants qu’ils continuent de le faire malgré les tentatives d’intimidation qu’ils subissent en marge de chaque manifestation.

      Je tenais à vous le dire Monsieur, la jeunesse perd pied. Dans mon entourage sur Paris, les seuls de mes amis qui ne partagent pas mon mal-être sont ceux qui ont décidé de fermer les yeux et de demeurer apolitiques. Comment les blâmer ? Tout semble plus simple de leur point de vue. Nous sommes cloitrés chez nous pendant que la planète se meurt dans l’indifférence généralisée, nous sommes rendus responsables de la propagation du virus alors même que nous sacrifions nos jeunes années pour le bien de ceux qui ont conduit la France dans cette impasse. Les jeunes n’ont plus l’envie d’apprendre et les enseignants plus l’envie d’enseigner à des écrans noirs. Nous sacrifions nos samedis pour aller protester contre ce que nous considérons comme étant une profonde injustice, ce à quoi l’on nous répond par des tirs de grenades, de gaz lacrymogènes ou de LBD suivant les humeurs des forces de l’ordre. Nous sommes l’avenir de ce pays pourtant l’on refuse de nous écouter, pire, nous sommes muselés. Beaucoup de chose ont été promises, nous ne sommes pas dupes.

      Ne gaspillez pas votre temps à me répondre. Il s’agissait surtout pour moi d’écrire mes peines. Je ne vous en fait part que parce que je sais que cette lettre ne constituera pas une surprise pour vous. Vous êtes au premier rang, vous savez à quel point l’abime dans laquelle sombre la jeunesse est profonde. Je vous demanderai également de ne pas vous inquiéter. Aussi sombre cette lettre soit-elle j’ai toujours la tête bien fixée sur les épaules et j’attache trop d’importance à l’éducation que m’ont offert mes parents pour aller faire quelque chose de regrettable, cette lettre n’est donc en aucun cas un appel au secours. J’éprouvais seulement le besoin d’être entendu par quelqu’un qui je le sais, me comprendra.

      Matéo »

      https://academia.hypotheses.org/29546

    • Les étudiants oubliés : de la #méconnaissance aux #risques

      Ce qui suit n’est qu’un billet d’humeur qui n’engage évidemment ni la Faculté, ni ses étudiants dont je n’entends pas ici être le représentant. Et je ne parle que de ceux que je crois connaître, dans les disciplines de la Faculté qui est la mienne. On ne me lira pas jusqu’au bout mais cela soulage un peu.

      Le président de la République a vécu à « l’isolement » au pavillon de la Lanterne à Versailles. Ce n’était pas le #confinement d’un étudiant dans sa chambre universitaire, mais il aura peut-être touché du doigt la vie « sans contact ». On espère qu’elle cessera bientôt pour nos étudiants, les oubliés de la République…

      #Oubliés des élus (j’excepte mon député qui se reconnaîtra), y compris locaux, qui, après avoir milité pour la réouverture des petits commerces, n’ont plus que le 3e confinement comme solution, sans y mettre, et c’est le reproche que je leur fais, les nuances qu’appelle une situation estudiantine qui devient dramatique.

      Oubliés depuis le premier confinement. Alors qu’écoliers, collégiens et lycéens rentraient, ils n’ont jamais eu le droit de revenir dans leur Faculté. Le « #distanciel » était prôné par notre Ministère. On neutralisera finalement les dernières épreuves du baccalauréat, acquis sur tapis vert. Pourtant, aux étudiants, et à nous, on refusera la #neutralisation des #examens d’un semestre terminé dans le chaos. Ils devront composer et nous tenterons d’évaluer, mal.

      Tout le monde rentre en septembre… Pour les étudiants, le ministère entonne désormais l’hymne à « l’#enseignement_hybride »… On coupe les promotions en deux. On diffuse les cours en direct à ceux qui ne peuvent s’asseoir sur les strapontins désormais scotchés… Les étudiants prennent l’habitude du jour sur deux. Les débuts technologiques sont âpres, nos jeunes ont une patience d’ange, mais on sera prêts à la Toussaint.

      Oubliés au second confinement. Le Ministre de l’éducation a obtenu qu’on ne reconfine plus ses élèves, à raison du risque de #décrochage. Lui a compris. L’enseignement supérieur n’obtient rien et reprend sa comptine du « distanciel ». Les bambins de maternelle pourront contaminer la famille le soir après une journée à s’esbaudir sans masque, mais les étudiants n’ont plus le droit de venir, même masqués, même un sur deux, alors que c’est la norme dans les lycées.

      Oubliés à l’annonce de l’allègement, quand ils, apprennent qu’ils ne rentreront qu’en février, quinze jours après les restaurants… Pas d’explication, pas de compassion. Rien. Le Premier ministre, décontenancé lors d’une conférence de presse où un journaliste, un original pour le coup, demandera … « et les étudiants ? », répondra : « Oui, nous avons conscience de la situation des étudiants ».

      Des collègues croyant encore aux vertus d’un #référé_liberté agiront devant le Conseil d’Etat, en vain. Merci à eux d’avoir fait la démarche, sous la conduite de Paul Cassia. Elle traduit une demande forte, mais sonne comme un prêche dans le désert.

      Oubliés alors que le ministère a connaissance depuis décembre des chiffres qui montrent une situation psychologique dégradée, des premières tentatives de suicide. Il a répondu… ! Nos dernières circulaires nous autorisent à faire revenir les étudiants dès janvier pour… des groupes de soutien ne dépassant pas 10 étudiants… Ce n’est pas de nounous dont les étudiants ont besoin, c’est de leurs enseignants. Et les profs n’ont pas besoin d’assistants sociaux, ils veulent voir leurs étudiants.

      On pourrait refaire des travaux dirigés en demi salles… à une date à fixer plus tard. Le vase déborde ! Quand va-t-on sérieusement résoudre cet #oubli qui ne peut résulter que de la méconnaissance et annonce des conséquences graves.

      La méconnaissance

      Fort d’une naïveté qu’on veut préserver pour survivre, on va croire que l’oubli est le fruit non du mépris, mais d’une méprise.

      Les étudiants sont d’abord victimes de leur nombre. Le Premier Ministre parlera d’eux comme d’un « #flux », constitué sans doute d’écervelés convaincus d’être immortels et incapables de discipline. Les éloigner, c’est évidemment écarter la masse, mais l’argument cède devant les étudiants (les nôtres par exemple), qui ont prouvé leur capacité à passer leurs examens « en présentiel » dans un respect impressionnant des consignes. Il cède aussi devant la foule de voyageurs du métro ou les files d’attente des grands magasins. Brassage de population ? Il y en a des pires.

      Ils sont ensuite victime d’un cliché tenace. Dans un amphi, il ne se passe rien. L’enseignant débite son cours et s’en va. Le cours ayant tout d’un journal télévisé, on peut le… téléviser. Tous les enseignants, mais se souvient-on qu’ils existent, savaient et on redécouvert que tout dans un amphi est fait d’échanges avec la salle : des #regards, des #sourires, des sourcils qui froncent, un brouhaha de doute, un rire complice. Le prof sent son public, redit quand il égare, accélère quand il ennuie, ralentit quand il épuise.

      Le ministère croit le contraire, et le Conseil d’Etat, dont l’audace majeure aura été de critiquer la jauge dans les églises, a cédé au cliché pour les amphis en jugeant que le distanciel « permet l’accès à l’enseignement supérieur dans les conditions sanitaires » actuelles (ord. n°447015 du 10 décembre). Nous voilà sauvés. Le prêtre serait-il plus présent que le professeur ? La haute juridiction, pour les théâtres, admettant que leurs #mesures_sanitaires sont suffisantes, nous avons d’ailleurs les mêmes, concèdera que leur fermeture compromet les libertés mais doit être maintenue dans un « contexte sanitaire marqué par un niveau particulièrement élevé de diffusion du virus au sein de la population », autant dire tant que le gouvernement jugera que ça circule beaucoup (ord. n°447698 du 23 décembre). Si on résume, « 30 à la messe c’est trop peu », « pour les études la télé c’est suffisant » et « on rouvrira les théâtres quand ca ira mieux ».

      Au ministère, on imagine peut-être que les étudiants se plaisent au distanciel. Après tout, autre #cliché d’anciennes époques, ne sont-ils pas ces comateux en permanente grasse matinée préférant se vautrer devant un écran en jogging plutôt que subir la corvée d’un cours ? Cette armée de geeks gavés à la tablette depuis la poussette ne goûtent-ils pas la parenté entre un prof en visio et un jeu vidéo ? Ils n’en peuvent plus de la distance, de ces journées d’écran… seuls, au téléphone ou via des réseaux sociaux souvent pollués par des prophètes de malheur ayant toujours un complot à dénoncer et une rancoeur à vomir.

      Enfin, les étudiants, adeptes chaque soir de chouilles contaminantes, doivent rester éloignés autant que resteront fermés les bars dont ils sont les piliers. Ignore-t-on que la moitié de nos étudiants sont boursiers, qu’ils dépenseront leurs derniers euros à acheter un livre ou simplement des pâtes plutôt qu’à s’enfiler whisky sur vodka… ? Ignore-t-on les fêtes thématiques, les soirées littéraires, les conférences qu’ils organisent ? Quand on les côtoie, ne serait-ce qu’un peu, on mesure que leur #convivialité n’est pas celles de soudards.

      Ils survivraient sans les bars et peuvent rentrer avant qu’on les rouvre.

      Ceux qui les oublient par facilité ne les connaissent donc pas. Et c’est risqué.

      Le risque

      Le risque est pédagogique. On sait que ça décroche, partout. Les titulaires du bac sans l’avoir passé n’ont plus de repères. Leur échec est une catastrophe annoncée. Les étudiants plus aguerris ne sont pas en meilleur forme. L’#apprentissage est plus difficile, la compréhension est ralentie par l’absence d’échange. Et, alors que deux semestres consécutifs ont déjà été compromis, le premier dans l’urgence, le second par facilité, faut-il en ajouter un troisième par #lâcheté ? La moitié d’une licence gachée parce qu’on ne veut pas prendre le risque de faire confiance aux jeunes ? Les pédagogues voient venir le mur et proposent qu’on l’évite au lieu d’y foncer en klaxonnant.

      Le risque est économique. On ne confine pas les élèves en maternelle car il faut que les parents travaillent. Les étudiants ne produisent rien et peuvent se garder seuls. C’est pratique ! Mais le pari est à court terme car la génération qui paiera la dette, c’est eux. Faut-il décourager des vocations et compromettre l’insertion professionnelle de ceux qui devront avoir la force herculéenne de relever l’économie qu’on est en train de leur plomber ? Plus que jamais la #formation doit être une priorité et le soutien aux jeunes un impératif.

      Il est sanitaire. A-t-on eu des #clusters dans notre fac ? Non. Et pourtant on a fonctionné 7 semaines, avec bien moins de contaminations que dans les écoles, restées pourtant ouvertes. On sait les efforts et le sacrifice des soignants. Nul ne met en doute ce qu’ils vivent et ce qu’ils voient. Les étudiants ont eu, eux aussi, des malades et des morts. Ils savent ce qu’est la douleur. Les enseignants aussi. Mais la vie est là, encore, et il faut la préserver aussi.

      Et attention qu’à force de leur interdire les lieux dont les universités ont fait de véritables sanctuaires, on les incite aux réunions privées, à dix dans un studio juste pour retrouver un peu de partage. On sait pourtant que c’est dans la sphère privée que réside le problème. Le retour dans les #amphis, c’est la réduction du #risque_privé, et non l’amplification du #risque_public.

      Il est humain. Un étudiant n’est pas un être solitaire. Il étudie pour être utile aux autres. Il appartient toujours à une #promo, qu’en aucun cas les réseaux sociaux ne peuvent remplacer. Il voulait une #vie_étudiante faite des découvertes et des angoisses d’un début de vie d’adulte avec d’autres jeunes adultes. Ce n’est pas ce qu’on lui fait vivre, pas du tout. L’isolement le pousse au doute, sur la fac, sur les profs, sur les institutions en général, et, pire que tout, sur lui-même. La #sécurité_sanitaire conduit, chez certains, à la victoire du « à quoi bon ». Si quelques uns s’accommodent de la situation, la vérité est que beaucoup souffrent, ce qu’ils n’iront pas avouer en réunion publique quand on leur demande s’ils vont bien. Beaucoup se sentent globalement délaissés, oubliés, voire méprisés. Va-t-on continuer à leur répondre « plus tard », « un peu de patience », sans savoir jusque quand du reste, et attendre qu’on en retrouve morts ?

      Il est aussi politique. Certains étudiants ont la sensation de payer pour d’autres ; ceux qui ont affaibli l’hôpital, ceux qui n’ont pas renouvelé les masques, ceux qui ont cru à une grippette, et on en passe. Il est temps d’éviter de les culpabiliser, même indirectement.

      Pour retrouver une #confiance passablement écornée, les gouvernants doivent apprendre à faire confiance à leur peuple, au lieu de s’en défier. Les étudiants sont jeunes mais, à condition de croire que c’est une qualité, on peut parier qu’ils ne décevront personne s’ils peuvent faire leurs propres choix. N’est-ce pas à cela qu’on est censé les préparer ?

      Si la préservation des populations fragiles est un devoir que nul ne conteste, au jeu de la #fragilité, les étudiants ont la leur ; leur inexpérience et le besoin d’être guidés.

      Dans l’histoire de l’Homme, les aînés ont toujours veillé à protéger la jeune génération. Les parents d’étudiants le font dans chaque famille mais à l’échelle du pays c’est la tendance inverse. Une génération de gouvernants ignore les #jeunes pour sauver les ainés. Doit-on, pour éviter que des vies finissent trop tôt, accepter que d’autres commencent si mal ? C’est un choc de civilisation que de mettre en balance à ce point l’avenir sanitaire des uns et l’avenir professionnel des autres.

      Alors ?

      Peut-on alors revenir à l’équilibre et au bon sens ? Que ceux qui ont besoin d’être là puissent venir, et que ceux qui préfèrent la distance puissent la garder ! Que les enseignants qui veulent des gens devant eux les retrouvent et que ceux qui craindraient pour eux ou leurs proches parlent de chez eux. Peut-on enfin laisser les gens gérer la crise, en fonction des #impératifs_pédagogiques de chaque discipline, des moyens de chaque établissement, dans le respect des normes ? Les gens de terrain, étudiants, enseignants, administratifs, techniciens, ont prouvé qu’ils savent faire.

      Quand le silence vaudra l’implicite réponse « tout dépendra de la situation sanitaire », on aura compris qu’on fait passer le commerce avant le savoir, comme il passe avant la culture, et qu’on a préféré tout de suite des tiroirs caisses bien pleins plutôt que des têtes bien faites demain.

      https://academia.hypotheses.org/29817

    • Covid-19 : des universités en souffrance

      En France, les valses-hésitations et les changements réguliers de protocole sanitaire épuisent les enseignants comme les étudiants. Ces difficultés sont accentuées par un manque de vision politique et d’ambition pour les universités.

      Les années passées sur les bancs de l’université laissent en général des souvenirs émus, ceux de la découverte de l’indépendance et d’une immense liberté. La connaissance ouvre des horizons, tandis que se construisent de nouvelles relations sociales et amicales, dont certaines se prolongeront tout au long de la vie.

      Mais que va retenir la génération d’étudiants qui tente de poursuivre ses études malgré la pandémie de Covid-19 ? Isolés dans des logements exigus ou obligés de retourner chez leurs parents, livrés à eux-mêmes en raison des contraintes sanitaires, les jeunes traversent une épreuve dont ils ne voient pas l’issue. Faute de perspectives, l’épuisement prend le dessus, l’angoisse de l’échec est omniprésente, la déprime menace.

      Des solutions mêlant enseignement présentiel et à distance ont certes permis d’éviter les décrochages en masse, mais elles n’ont pas empêché l’altération de la relation pédagogique. Vissés derrière leur écran pendant parfois plusieurs heures, les étudiants pâtissent de l’absence d’échanges directs avec les professeurs, dont certains ont du mal à adapter leurs cours aux nouvelles contraintes. Faute de pouvoir transmettre leur savoir dans de bonnes conditions, certains enseignants passent du temps à faire du soutien psychologique.

      Ces difficultés sont communes à l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, partout dans le monde. Mais en France, elles sont accentuées par un manque de vision politique et d’ambition pour les universités et une ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, qui brille par sa discrétion.
      Deux vitesses dans l’enseignement supérieur

      Les universités anglo-saxonnes ont adopté des politiques plus radicales, mais qui ont le mérite de la clarté. Bon nombre d’entre elles ont décidé dès l’été que le semestre d’automne, voire toute l’année, serait entièrement en ligne. En France, les valses-hésitations et les changements réguliers de protocole sanitaire épuisent les enseignants, les empêchent de se projeter, tandis que les étudiants peinent à s’adapter sur le plan matériel, certains se retrouvant contraints de payer le loyer d’un appartement devenu inutile, alors que tous les cours sont à distance.

      La situation est d’autant plus difficile à vivre que l’enseignement supérieur avance à deux vitesses. Hormis pendant le premier confinement, les élèves des classes préparatoires et des BTS, formations assurées dans des lycées, ont toujours suivi leurs cours en présentiel. En revanche, pour l’université, c’est la double peine. Non seulement les étudiants, généralement moins favorisés sur le plan social que ceux des classes préparatoires aux grandes écoles, sont moins encadrés, mais ils sont contraints de suivre les cours en ligne. Cette rupture d’égalité ne semble émouvoir ni la ministre ni le premier ministre, qui n’a pas eu un mot pour l’enseignement supérieur lors de sa conférence de presse, jeudi 7 janvier.

      Là encore, la pandémie agit comme un révélateur de faiblesses préexistantes. Les difficultés structurelles des universités ne sont que plus visibles. Ainsi, les établissements ne parviennent pas à assumer l’autonomie qui leur a été octroyée. Obligés d’accueillir chaque année davantage d’étudiants, soumis à des décisions centralisées, ils manquent de moyens, humains et financiers, pour s’adapter. Les dysfonctionnements techniques lors des partiels, reflet d’une organisation indigente ou sous-dimensionnée, en ont encore témoigné cette semaine.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/01/09/covid-19-des-universites-en-souffrance_6065728_3232.html

    • Hebdo #96 : « Frédérique Vidal devrait remettre sa démission » – Entretien avec #Pascal_Maillard

      Face au danger grave et imminent qui menace les étudiants, Pascal Maillard, professeur agrégé à la faculté des lettres de l’université de Strasbourg et blogueur de longue date du Club Mediapart, considère que « l’impréparation du ministère de l’enseignement et de la recherche est criminelle ». Il appelle tous ses collègues à donner leurs cours de travaux dirigés (TD) en présentiel, même si pour cela il faut « boycotter les rectorats » !

      C’est comme si l’on sortait d’une longue sidération avec un masque grimaçant au visage. D’un cauchemar qui nous avait enfoncé dans une nuit de plus en plus noire, de plus en plus froide, sans issue. Et puis d’un coup, les étudiants craquent et on se dit : mais bon sang, c’est vrai, c’est inhumain ce qu’on leur fait vivre ! Nous abandonnons notre jeunesse, notre avenir, en leur apprenant à vivre comme des zombies.

      Depuis le début de la crise sanitaire, ils sont désocialisés, sans perspective autre que d’être collés à des écrans. Une vie numérique, les yeux éclatés, le corps en vrac et le cœur en suspens. Le mois de décembre avait pourtant redonné un peu d’espoir, Emmanuel Macron parlait de rouvrir les universités, de ne plus les sacrifier. Et puis, pschitt ! plus rien. Les fêtes sont passées et le discours du 7 janvier du premier ministre n’a même pas évoqué la question de l’enseignement supérieur. Un mépris intégral !

      Dans le Club, mais aussi fort heureusement dans de nombreux médias, la réalité catastrophique des étudiants a pris la une : ils vont mal, se suicident, pètent les plombs et décrochent en masse. De notre côté, Pascal Maillard, professeur agrégé à la faculté de lettres de l’université de Strasbourg, et blogueur infatigable depuis plus de 10 ans chez nous, a sonné la sirène d’alarme avec un premier billet, Sommes-nous encore une communauté ?, suivi quelques jours plus tard de Rendre l’Université aux étudiants, sans attendre les « décideurs », qui reprend une série de propositions formulées par le collectif RogueESR.

      Pour toucher de plus près ce qui se passe dans les universités, aux rouages souvent incompréhensibles vu de l’extérieur, mais aussi pour imaginer comment reprendre la main sur cette situation (car des solutions, il y en a !), nous lui avons passé hier soir un long coup de fil. Stimulant !

      Club Mediapart : Dans votre dernier billet, Rendre l’Université aux étudiants, sans attendre les « décideurs », vous publiez une série de propositions formulées par le collectif RogueESR pour améliorer la sécurité en vue d’une reprise des cours. Certaines exigeraient surtout du courage (réaménagement des locaux, organisation intelligente des travaux dirigés en présentiel, etc.), mais d’autres demandent des investissements matériels et financiers substantiels. Quels sont, d’après vous, les leviers possibles pour que ces propositions soient prises en compte par les instances dirigeantes ?

      Pascal Maillard : Les leviers sont multiples. Ces dernières semaines, il s’est passé quelque chose de très important : il y a eu une prise de conscience générale que l’État a abandonné l’université, les étudiants, ses personnels, alors que, dans le même temps, il subventionne l’économie à coups de milliards. Aujourd’hui, même les présidents d’université se manifestent pour dire qu’il faut en urgence faire revenir les étudiants parce que la situation est dramatique ! Je crois qu’il faut un mouvement collectif, un mouvement de masse de l’ensemble des étudiants et de la communauté universitaire pour dire : « Maintenant, ça suffit ! » L’État a aussi abandonné la culture, et c’est scandaleux car on ne peut pas vivre sans culture, mais au moins il l’a subventionnée. En revanche, pour l’université, aucune aide. On n’a rien vu, sinon !

      Club Mediapart : Avez-vous avez fait une évaluation de ces investissements et renforts humains ?

      PM : C’est vraiment très peu de moyens. Quelques dizaines de millions permettraient de financer des capteurs de CO2 (un capteur coûte 50 euros) et des filtres Hepa pour avoir une filtration sécurisée (une centaine d’euros). On peut installer également, c’est ce que préconise le collectif RogueESR (collectif informel composé d’une cinquantaine de collègues enseignants-chercheurs très actifs), des hottes aspirantes au-dessus des tables dans les lieux de restauration. Ces investissements seraient plus importants, mais ne dépasseraient pas 200/300 euros par unité. Le problème, c’est que l’État ne prend pas la décision de financer ces investissements qui permettraient de rouvrir les universités de façon plus sécurisée. Par ailleurs, il faut rappeler que certains amphithéâtres peuvent accueillir au-delà de la jauge de 50 % car ils sont très bien ventilés. Il est urgent aujourd’hui de calculer le taux de CO2, on sait le faire, on a les moyens de le faire. Ce que le collectif RoqueESR dit dans son texte et avec lequel je suis complètement d’accord, c’est que comme l’État ne veut rien faire, il faut que l’on prenne en charge ces décisions nous-mêmes.

      Club Mediapart : Dans ce billet, vous mettez le gouvernement et la bureaucratie universitaire sur le même plan. N’y a-t-il pas quand même des différences et des marges de manœuvre du côté des présidents d’université ?

      PM : Non, je crois que la grande majorité des présidents ont fait preuve de suivisme par rapport à la ligne définie par le gouvernement et Frédérique Vidal, à savoir le développement et l’exploitation maximum des ressources numériques. On n’a pas eu de filtre Hepa, mais on a eu des moyens importants pour l’informatique, les cours à distance, le développement de Moodle et des outils de visioconférence. Là, il y a eu des investissements lourds, y compris de la part du ministère, qui a lancé des appels à projets sur l’enseignement et les formations numériques. Frédérique Vidal pousse depuis de nombreuses années au tout numérique, ce n’est pas nouveau.

      Club Mediapart : Peut-on quand même attendre quelque chose de la réunion prévue ce vendredi entre les présidents d’université et Frédérique Vidal ?

      PM : Je crois que ce sont les impératifs sanitaires qui vont l’emporter. Frédérique Vidal, qui a fait preuve non seulement d’indifférence à l’égard des étudiants mais aussi d’une grande incompétence et d’un manque de fermeté pour défendre l’université, n’est plus crédible.

      Club Mediapart : Dans le fil de commentaires du dernier billet de Paul Cassia, qui montre bien comment les articles et les circulaires ministérielles ont « coincé » les directions d’université, vous proposez la réécriture de l’article 34 du décret du 10 janvier pour assouplir l’autorisation de retour en présentiel dans les universités. Cette modification ne risque-t-elle pas de reporter la responsabilité vers les présidents d’université au profit du gouvernement, qui pourrait se dédouaner encore plus de tout ce qui va se passer ?

      PM : Depuis le début, la stratégie du gouvernement est la même que celle des présidents d’université : la délégation au niveau inférieur. La ministre fait rédiger par sa bureaucratie des circulaires qui sont vagues, très pauvres, qui n’ont même pas de valeur réglementaire et qui disent en gros : c’est aux présidents de prendre leurs responsabilités. Mais que font les présidents, pour un grand nombre d’entre eux ? Afin de ne pas trop engager leur responsabilité juridique, que ce soit pour les personnels ou les étudiants, ils laissent les composantes se débrouiller. Mais les composantes ne reçoivent pas de moyens pour sécuriser les salles et pour proposer des heures complémentaires, des créations de postes, etc. Les seuls moyens qui sont arrivés dans les établissements sont destinés à des étudiants pour qu’ils aident d’autres étudiants en faisant du tutorat par groupe de 10. À l’université de Strasbourg, ça s’appelle REPARE, je crois (raccrochement des étudiants par des étudiants). Ce sont des étudiants de L3 et de masters qui sont invités à faire du tutorat pour soutenir des étudiants de L1/L2. Cela permet à des étudiants qui sont désormais malheureusement sans emploi, sans revenu, d’avoir un emploi pendant un certain temps. Ça, c’est l’aspect positif. Mais ces étudiants, il faut 1/ les recruter, 2/ il est très important de les former et de les accompagner.

      Club Mediapart : la démission de Frédérique Vidal fait-elle débat parmi les enseignants et les chercheurs ?

      PM : Frédérique Vidal nous a abandonnés, elle a aussi laissé Blanquer, qui a l’oreille de Macron, lancer sa guerre contre les « islamo-gauchistes », et puis elle a profité de la crise sanitaire pour détruire un peu plus l’université. C’est elle qui a fait passer la LPR en situation d’urgence sanitaire, alors même qu’elle avait dit pendant le premier confinement qu’il était hors de question en période d’urgence sanitaire de faire passer des réformes. La version la plus radicale en plus ! La perspective est vraiment de détruire le Conseil national des universités.

      J’ai appris hier avec une grande tristesse que Michèle Casanova, une grande archéologue, spécialiste de l’Iran, est décédée le 22 décembre. Elle s’est battue pendant un mois et demi contre le Covid. Elle était professeure des universités à Lyon, elle venait d’être nommée à Paris-Sorbonne Université. Des collègues sont morts, pas que des retraités, mais aussi des actifs.

      La ministre n’a rien dit pour les morts dans l’université et la recherche. Pas un mot. Ils sont en dessous de tout. Ils n’ont plus le minimum d’humanité que l’on attend de responsables politiques. Ils ont perdu l’intelligence et la décence, ils ont perdu la compétence et ils ne sont plus que des technocrates, des stratèges qui ne pensent qu’à leur survie politique. Ce sont des communicants, sans éthique. La politique sans l’éthique, c’est ça le macronisme.

      Aujourd’hui, les universitaires ont à l’esprit deux choses. D’une part la mise en pièces du statut des enseignants-chercheurs avec la LPR qui conduit à la destruction du Conseil national des universités : nous avons appris cette semaine que la fin de la qualification pour devenir professeur des universités étaient effective pour les maîtres de conférences titulaires, là immédiatement, sans décret d’application. Des centaines de collègues ont envoyé leur demande de qualification au CNU. Ce pouvoir bafoue tous nos droits, il bafoue le droit en permanence. D’autre part, bien sûr, les conditions calamiteuses et l’impréparation de cette rentrée. Aujourd’hui, on ne sait pas si l’on va pouvoir rentrer la semaine prochaine. On ne sait rien ! Rien n’a été préparé et je pense que c’est volontaire. Cette impréparation est politique, elle est volontaire et criminelle. Je pèse mes mots et j’assume. C’est criminel aujourd’hui de ne pas préparer une rentrée quand des milliers d’étudiants et d’enseignants sont dans la plus grande souffrance qui soit !

      Club Mediapart : Avec en plus des inégalités entre étudiants absolument incompréhensibles…

      PM : Absolument ! Les BTS et les classes préparatoires sont restés ouverts et fonctionnent à plein. Aujourd’hui, les enseignants qui préparent aux grandes écoles, que ce soit dans les domaines scientifiques ou littéraires ou les préparations aux écoles de commerce, ont la possibilité de faire toutes leurs colles jusqu’à 20 heures, avec des dérogations… devant 40/50 étudiants. Ce que l’on ne dit pas aujourd’hui, c’est que les étudiants de classe préparatoire eux aussi vont mal. Ils sont épuisés, ils n’en peuvent plus. 40 heures de cours masqués par semaine. Comment ça se vit ? Mal. Il y a pour l’instant assez peu de clusters de contamination dans les classes prépas. Les conditions sanitaires dans ces salles, souvent exiguës et anciennes, sont pourtant bien plus mauvaises que dans les grandes salles et les amphis des universités. Ces classes, qui bénéficient de moyens plus importants – un étudiant de classe prépa coûte à l’État entre 15 000 et 17 000 euros, tandis qu’un étudiant coûte entre 5 000 et 7 000 euros –, ont le droit à l’intégralité de leurs cours, tandis que les étudiants, eux, sont assignés à résidence. Il est clair que ce traitement vient élever au carré l’inégalité fondatrice du système de l’enseignement supérieur français entre classes prépas (dont les élèves appartiennent, le plus souvent, à des classes sociales plus favorisées) et universités.

      Club Mediapart : Est-ce que l’on peut s’attendre à une mobilisation importante le 26 janvier ?

      PM : Le 26 janvier sera une date importante. L’intersyndicale de l’enseignement supérieur et de la recherche appelle à une journée nationale de grève et de mobilisation le 26, avec un mot d’ordre clair : un retour des étudiants à l’université dans des conditions sanitaires renforcées. Mais, à mon sens, il faut accompagner cette demande de retour aux cours en présence de moyens financiers, techniques et humains conséquents. L’intersyndicale demande 8 000 postes pour 2021. On en a besoin en urgence. Il y a donc une urgence à accueillir en vis-à-vis les étudiants de L1 et L2, mais ensuite progressivement, une fois que l’on aura vérifié les systèmes de ventilation, installé des filtres Hepa, etc., il faudra accueillir le plus rapidement possible les étudiants de tous les niveaux. J’insiste sur le fait que les étudiants de Licence 3, de master et même les doctorants ne vont pas bien. Il n’y a pas que les primo-entrants qui vont mal, même si ce sont les plus fragiles. Je suis en train de corriger des copies de master et je m’en rends bien compte. Je fais le même constat pour les productions littéraires des étudiants que j’ai pu lire depuis huit mois dans le cadre d’ateliers de création littéraire. En lisant les textes de ces étudiants de L1, souvent bouleversants et très engagés, je mesure à quel point le confinement va laisser des traces durables sur elles et sur eux.

      Club Mediapart : Ce sont les thèmes traités qui vous préoccupent…

      PM : Il y a beaucoup, beaucoup de solitude, de souffrance, d’appels à l’aide et aussi l’expression forte d’une révolte contre ce que le monde des adultes est en train de faire à la jeunesse aujourd’hui. Il y a une immense incompréhension et une très grande souffrance. La question aujourd’hui, c’est comment redonner du sens, comment sortir de la peur, enrayer la psychose. Il faut que l’on se batte pour retrouver les étudiants. Les incompétents qui nous dirigent aujourd’hui sont des criminels. Et je dis aujourd’hui avec force qu’il faut démettre ces incompétents ! Frédérique Vidal devrait remettre sa démission. Elle n’est plus crédible, elle n’a aucun poids. Et si le gouvernement ne donne pas à l’université les moyens de s’équiper comme il convient pour protéger ses personnels et ses étudiants, ils porteront une responsabilité morale et politique très très lourde. Ils ont déjà une responsabilité considérable dans la gestion d’ensemble de la crise sanitaire ; ils vont avoir une responsabilité historique à l’endroit de toute une génération. Et cette génération-là ne l’oubliera pas !

      Club Mediapart : En attendant, que faire ?

      PM : Comment devenir un sujet libre, émancipé quand on est un étudiant ou un enseignant assigné à résidence et soumis à l’enfer numérique ? C’est ça la question centrale, de mon point de vue. Je ne pense pas que l’on puisse être un sujet libre et émancipé sans relation sociale, sans se voir, se rencontrer, sans faire des cours avec des corps et des voix vivantes. Un cours, c’est une incarnation, une voix, un corps donc, ce n’est pas le renvoi spéculaire de son image face à une caméra et devant des noms. Je refuse de faire cours à des étudiants anonymes. Aujourd’hui, j’ai donné rendez-vous à quelques étudiants de l’atelier de création poétique de l’université de Strasbourg. On se verra physiquement dans une grande salle, en respectant toutes les règles sanitaires. J’apporterai des masques FFP2 pour chacune et chacun des étudiants.

      Club Mediapart : Vous avez le droit ?

      PM : Je prends sur moi, j’assume. Je considère que la séance de demain est une séance de soutien. Puisque l’on a droit à faire du soutien pédagogique…

      Club Mediapart : Pourquoi n’y a-t-il pas plus de profs qui se l’autorisent ? Le texte est flou, mais il peut être intéressant justement parce qu’il est flou…

      PM : Ce qu’il est possible de faire aujourd’hui légalement, ce sont des cours de tutorat, du soutien, par des étudiants pour des étudiants. Il est aussi possible de faire des travaux pratiques, mais ces TP, il y a en surtout en sciences de la nature et beaucoup moins en sciences humaines. On a des difficultés graves en sciences sociales et sciences humaines, lettres, langue, philo, parce que l’on a zéro TP. Pour ma part, je compte demander que mes cours de L1 et mes travaux dirigés soient considérés comme des TP ! Mais, pour cela, il faut réussir à obtenir des autorisations.

      Des autorisations d’ouverture de TP, il faut le savoir, qui sont soumises aux rectorats. Les universités sont obligées de faire remonter aux rectorats des demandes d’ouverture de cours ! L’université est autonome et aujourd’hui cette autonomie est bafouée en permanence par l’État. Donc, non seulement l’État nous abandonne, l’État nous tue, mais en plus l’État nous flique, c’est-à-dire restreint nos libertés d’enseignement, de recherche, et restreint aussi nos libertés pédagogiques. Or, notre liberté pédagogique est garantie par notre indépendance, et cette indépendance a encore une valeur constitutionnelle. Tout comme notre liberté d’expression.

      Un collègue qui enseigne en IUT la communication appelle à la désobéissance civile. Le texte de RogueESR n’appelle pas explicitement à la désobéissance civile mais il dit très clairement : c’est à nous de faire, c’est à nous d’agir, avec les étudiantes et les étudiants ! Nous allons agir, on ne peut pas, si on est responsables, écrire : « Agissons » et ne pas agir ! Je dis à tous les collègues : mettons-nous ensemble pour transformer les TD en TP, qui sont autorisés, ou bien boycottons les rectorats et faisons nos TD ! Et proposons aux étudiants qui le souhaitent de venir suivre les cours en présence et aux autres qui ne le peuvent, de les suivre à distance. Avec d’autres, je vais essayer de convaincre les collègues de Strasbourg de faire du présentiel. On aura du mal, mais je pense qu’il est aujourd’hui légitime et parfaitement justifié de refuser les interdictions ministérielles parce qu’il y a des centaines et des milliers d’étudiants en danger. On a un devoir de désobéissance civile quand l’État prend des décisions qui conduisent à ce que l’on appelle, dans les CHSCT, un danger grave et imminent.

      https://blogs.mediapart.fr/edition/lhebdo-du-club/article/140121/hebdo-96-frederique-vidal-devrait-remettre-sa-demission-entretien-av

    • À propos du #brassage. #Lettre à la ministre de l’enseignement supérieur

      On pouvait s’y attendre mais c’est enfin annoncé, les universités ne réouvriront pas pour le début du second semestre. Des centaines de milliers d’étudiants vont devoir continuer à s’instruire cloitrés dans leurs 9m2, les yeux vissés à quelques petites fenêtres Zoom. Alors que des centaines de témoignages d’élèves désespérés inondent les réseaux sociaux, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, a justifié ces mesures d’isolement par le « brassage » qu’impliquerait la vie étudiante avec ses pauses cafés et les « #bonbons partagés avec les copains ». Un étudiant lyonnais nous a confié cette lettre de réponse à la ministre dans laquelle il insiste sur le #stress, le #vide et l’#errance qui règnent dans les campus et auxquels le gouvernement semble ne rien vouloir comprendre.

      Madame la ministre,

      Aujourd’hui, je ne m’adresse pas à vous pour vous plaindre et vous dire que je comprends votre situation. Je ne m’adresse pas à vous pour vous excuser de votre manifeste #incompétence, pire, de votre monstrueuse #indifférence à l’égard de vos administré·e·s, nous, étudiant·e·s. Je m’adresse à vous parce que vous êtes responsable de ce qu’il se passe, et vous auto congratuler à l’assemblée n’y changera rien.

      Je suis en Master 2 de philosophie, à Lyon 3. Deux étudiant·e·s de ma ville ont tenté de mettre fin à leurs jours, dans la même semaine, et tout ce que vous avez trouvé à dire, c’est : « Le problème, c’est le brassage. Ce n’est pas le cours dans l’amphithéâtre mais l’étudiant qui prend un café à la pause, un bonbon qui traîne sur la table ou un sandwich avec les copains à la cafétéria »

      Je pourrais argumenter contre vous que ce que nous voulons, c’est un espace pour travailler qui ne soit pas le même que notre espace de sommeil, de cuisine ou de repos ; ce que nous voulons, c’est pouvoir entendre et voir nos professeurs en vrai, nous débarrasser de l’écran comme interface qui nous fatigue, nous brûle les yeux et le cerveau ; ce que nous voulons, c’est avoir la certitude que ça ira mieux et qu’on va pouvoir se sortir de cette situation. Et tant d’autres choses. Mais je ne vais pas argumenter là-dessus, beaucoup l’ont déjà fait et bien mieux que je ne pourrais le faire.

      Je vais vous expliquer pourquoi aujourd’hui, il vaut mieux prendre le risque du brassage, comme vous dites, que celui, bien d’avantage réel, de la mort d’un·e étudiant·e. Nous sommes tous et toutes dans des états d’#anxiété et de stress qui dépassent largement ce qu’un être humain est capable d’endurer sur le long terme : cela fait bientôt un an que ça dure, et je vous assure que pas un·e seul·e de mes camarades n’aura la force de finir l’année si ça continue comme ça.

      Parce qu’on est seul·e·s. Dans nos appartements, dans nos chambres, nos petits 10m2, on est absolument seul·e·s. Pas d’échappatoire, pas d’air, pas de distractions, ou trop de distractions, pas d’aide à part un numéro de téléphone, pas de contacts. Des fantômes. Isolé·e·s. Oublié·e·s. Abandonné·e·s. Désespéré·e·s.

      Pour vous c’est un problème, un danger, l’étudiant·e qui prend un café à la pause ? Pour beaucoup d’entre nous c’était ce qui nous faisait tenir le coup. C’était tous ces petits moments entre, les trajets d’une salle à l’autre, les pauses café, les pauses clopes. Ces moments de discussion autour des cours auxquels on vient d’assister, ces explications sur ce que l’on n’a pas compris, les conseils et le soutien des camarades et des professeurs quand on n’y arrive pas. Toutes ces petites respirations, ces petites bulles d’air, c’était tout ça qui nous permettait de tenir le reste de la journée.

      C’était aussi le sandwich entre amis, le repas à la cafétéria ou au CROUS, pas cher, qu’on était assuré·e·s d’avoir, tandis que là, seul·e·s, manger devient trop cher, ou bien ça parait moins important. Ces moments où l’on discute, on se reprend, on s’aide, on se passe les cours, on se rassure, on se motive quand on est fatigué·e·s, on se prévoit des sessions de révision. On se parle, on dédramatise, et on peut repartir l’esprit un peu plus tranquille. Nous avons toujours eu besoin de ces moments de complicité, d’amitié et de partage, nous qui ne sommes aujourd’hui réduit·e·s qu’à des existences virtuelles depuis le mois de mars dernier. Ça fait partie des études, de ne pas étudier. D’avoir une #vie_sociale, de se croiser, de se rencontrer, de boire des cafés et manger ensemble. Supprimer cette dimension, c’est nous condamner à une existence d’#errance_solitaire entre notre bureau et notre lit, étudiant·e·s mort·e·s-vivant·e·s, sans but et sans avenir.

      Le brassage c’est tous ces moments entre, ces moments de #vie, ces #rencontres et ces #croisements, ces regards, ces dialogues, ces rires ou ces soupirs, qui donnaient du relief à nos quotidiens. Les moments entre, c’est ce qui nous permettait aussi de compartimenter, de mettre nos études dans une case et un espace désigné pour, de faire en sorte qu’elles ne débordent pas trop dans nos vies. Ce sont ces délimitations spatiales et temporelles qui maintenaient notre bonne santé mentale, notre #intérêt et notre #motivation : aujourd’hui on a le sentiment de se noyer dans nos propres vies, nos têtes balayées par des vagues de stress incessantes. Tout est pareil, tout se ressemble, tout stagne, et on a l’impression d’être bloqué·e·s dans un trou noir.

      Tout se mélange et on se noie. C’est ce qu’on ressent, tous les jours. Une sensation de noyade. Et on sait qu’autour de nous, plus personne n’a la tête hors de l’eau. Élèves comme professeurs. On crie dans un bocal depuis des mois, et personne n’écoute, personne n’entend. Au fur et à mesure, les mesures tombent, l’administration ne suit pas, nous non plus, on n’est jamais tenu·e·s au courant, on continue quand même, parce qu’on ne veut pas louper notre année. Dans un sombre couloir sans fin, on essaye tant bien que mal d’avancer mais il n’y a ni lumière, ni sortie à l’horizon. Et à la fin, on est incapables de travailler parce que trop épuisé·e·s, mais incapables aussi d’arrêter, parce que l’on se sent trop coupables de ne rien faire.

      Aujourd’hui, je m’adresse à vous au lieu de composer le dernier devoir qu’on m’a demandé pour ce semestre. Je préfère écrire ce texte plutôt que de faire comme si de rien n’était. Je ne peux plus faire semblant. J’ai envie de vomir, de brûler votre ministère, de brûler ma fac moi aussi, de hurler. Pourquoi je rendrais ce devoir ? Dans quel but ? Pour aller où ? En face de moi il y a un #brouillard qui ne fait que s’épaissir. Je dois aussi trouver un stage. Qui me prendra ? Qu’est-ce que je vais faire ? Encore du télétravail ? Encore rester tous les jours chez moi, dans le même espace, à travailler pour valider un diplôme ? Et quel diplôme ? Puis-je encore vraiment dire que je fais des études ? Tout ça ne fait plus aucun sens. C’est tout simplement absurde. On se noie dans cet océan d’#absurdité dont vous repoussez les limites jour après jour.

      Nous interdire d’étudier à la fac en demi-groupe mais nous obliger à venir tous passer un examen en présentiel en plein confinement ? Absurde. Autoriser l’ouverture des lycées, des centres commerciaux, mais priver les étudiants de leurs espaces de vie sous prétexte que le jeune n’est pas capable de respecter les mesures barrières ? Absurde. Faire l’autruche, se réveiller seulement au moment où l’on menace de se tuer, et nous fournir (encore) des numéros de téléphone en guise d’aide ? Absurde. Vous ne pouvez pas continuer de vous foutre de notre gueule comme ça. C’est tout bonnement scandaleux, et vous devriez avoir honte.

      Vous nous avez accusés, nous les #jeunes, d’être irresponsables : cela fait des mois qu’on est enfermé·e·s seul·e·s chez nous, et la situation ne s’est pas améliorée. Et nous n’en pouvons plus. Nous n’avons plus rien à quoi nous raccrocher. Je vois bien que vous, ça a l’air de vous enchanter que la population soit aujourd’hui réduite à sa seule dimension de force productive : travail, étude, rien d’autre. Pas de cinéma, pas de musées, pas de voyage, pas de temps libre, pas de manifs, pas de balades, pas de sport, pas de fêtes. Boulot, dodo. Le brassage ça vous fait moins peur dans des bureaux et sur les quais du métro hein ? Et je ne vous parle même pas de mes ami·e·s qui doivent, en prime, travailler pour se nourrir, qui vivent dans des appartements vétustes, qui n’ont pas d’ordinateur, qui n’ont pas de connexion internet, qui sont précaires, qui sont malades, qui sont à risque. Je ne vous parle même pas de Parcoursup, de la loi sur la recherche, de la tentative d’immolation d’un camarade étudiant l’année dernière. Je ne vous parle pas de cette mascarade que vous appelez « gestion de la crise sanitaire », de ces hôpitaux qui crèvent à petit feu, de ces gens qui dorment dehors, de ces gens qui meurent tous les jours parce que vous avez prêté allégeance à l’économie, à la rentabilité et à la croissance. Je ne vous parle pas non plus du monde dans lequel vous nous avez condamné·e·s à vivre, auquel vous nous reprochez de ne pas être adapté·e·s, ce monde qui se meure sous vos yeux, ce monde que vous exploitez, ce monde que vous épuisez pour vos profits.

      Je m’adresse à vous parce que vous êtes responsable de ce qu’il se passe. Je m’adresse à vous pleine de colère, de haine, de tristesse, de fatigue. Le pire, c’est que je m’adresse à vous tout en sachant que vous n’écouterez pas. Mais c’est pas grave. Les étudiant·e·s ont l’habitude.

      Rouvrez les facs. Trouvez des solutions plus concrètes que des numéros verts. Démerdez-vous, c’est votre boulot.

      PS : Et le « bonbon qui traine sur une table » ? Le seul commentaire que j’aurais sur cette phrase, c’est le constat amer de votre totale #ignorance de nos vies et du gouffre qui nous sépare. Votre #mépris est indécent.

      https://lundi.am/A-propos-du-brassage

    • Le distanciel tue

      « Le distanciel tue ! », avait écrit hier une étudiante sur sa pancarte, place de la République à Strasbourg. Macron et Vidal ont répondu ce jour aux étudiant.es, par une entreprise de communication à Saclay qui nous dit ceci : Macron est définitivement le président des 20% et Vidal la ministre du temps perdu.

      Gros malaise à l’Université Paris-Saclay, où le président Macron et la ministre Frédérique Vidal participent à une table ronde avec des étudiant.es, bien sûr un peu trié.es sur le volet. Pendant ce temps bâtiments universitaires et routes sont bouclés, les manifestants éloignés et encerclés. Voir ci-dessous le communiqué CGT, FSU, SUD éducation, SUD Recherche de l’Université Paris-Saclay. Les libertés sont une fois de plus confisquées et dans le cas présent les otages d’une entreprise de com’ qui vire au fiasco, pour ne pas dire à la farce. Attention : vous allez rire et pleurer. Peut-être un rire nerveux et des pleurs de colère. La politique de Macron appartient à un très mauvais théâtre de l’absurde, qui vire à la tragédie. Ou une tragédie qui vire à l’absurde. Nous ne savons plus, mais nous y sommes.

      Il est 13h15. Je tente de déjeuner entre deux visioconférences et quelques coups de fil urgents au sujet de collègues universitaires qui ne vont pas bien. On m’alerte par sms : Macron et Vidal à la télé ! J’alume le téléviseur, l’ordinateur sur les genoux, le portable à la main. La condition ordinaire du citoyen télétravailleur. La ministre parle aux étudiant.es. On l’attendait à l’Université de Strasbourg ce matin avec son ami Blanquer, pour les Cordées de la réussite, mais le déplacement en province du ministre de l’Education nationale a été annulé. Une lettre ouverte sur la question a circulé. La ministre est donc à Saclay. Que dit-elle ? Je prends des notes entre deux fourchettes de carottes râpées :

      « Le moment où le décret sort, il faut que ce soit au moins la veille du jour où les choses sont mises en place. » Là, je manque de m’étouffer, mais dans un réflexe salutaire je parviens à appuyer sur la touche « Enregistrement ». L’aveu est terrible, magnifique. Du Vidal dans le texte. Je pense à Jarry. Je pense à Ionesco. Je pense surtout aux dizaines de milliers de personnels des universités qui, à dix reprises depuis le début de cette gestion calamiteuse et criminelle de cette crise, se sont retrouvés vraiment dans cette situation : devoir appliquer du jour au lendemain le décret ou la circulaire de la ministre. Samedi et dimanche derniers, des centaines de collègues à l’université de Strasbourg et des milliers partout en France ont travaillé comme des brutes pour « préparer » la rentrée du 18. Le décret date du 15 et a été publié le 16 ! Des centaines de milliers d’étudiants paniquaient sans information. Criminel !

      Mais la ministre continue :

      « Tout le monde sera ravi d’accélérer l’étape d’après ». Nous aussi, mais on ne sait pas comment faire.

      « Sur le calendrier, c’est difficile .. » Effectivement.

      « Moi, j’ai des débuts d’année - des débuts de second semestre, pardon - qui s’échelonnent quelque part … ». Quelque part … La ministre fait-elle encore ses cours à l’Université de Nice ?

      Là, Macron sent que ça dérape vraiment et coupe Frédérique Vidal. Il a raison. Tant qu’il y est, il ferait bien de lui demander sa démission. Il rendra service à l’université, à la recherche, à la jeunesse, au pays. Et il sauvera peut-être des vies. Après avoir accompli cette action salutaire, il nous rendra aussi service en tentant d’être président à plus de 20%. « 20% en présentiel, dit-il, mais jamais plus de 20%, l’équivalent d’un jour par semaine ». Le président est un peu déconnecté des réalités de la gestion d’une faculté au pays du distanciel, de l’Absurdistan et du démerdentiel. Pour bien comprendre les choses en étant "pratico-pratique" comme dit Macron, voilà de quoi il retourne : les enseignants et les scolarités (personnels administratifs dévoués et épuisés qui n’en peuvent plus et qu’on prend pour des chèvres) doivent organiser et gérer les TD de 1ère année à la fois en présence et à distance pour un même groupe, les CM à distance, et articuler le tout dans un emploi du temps hebdomadaire qui n’oblige pas les étudiants à entrer chez eux pour suivre un TD ou un CM à distance après avoir suivi un TP ou un TD en présence. Et désormais il faudrait entrer dans la moulinette les 20% en présence pour tous les niveaux : L1, L2, L3, M1, M2. Une pure folie. Mais pas de problème, Macron a la solution : « C’est à vos profs de gérer », dit-il aux étudiants. Le président en disant ceci pourrait bien devoir gérer quelques tentatives de suicide supplémentaires. Pour les étudiant.es cette folie se traduit par une résignation au "distanciel" et toutes ses conséquences pathologiques, ou un quotidien complètement ingérable dans l’éclatement entre la distance et l’absence. Dites à un individu qu’il doit être présent dans la distance et distant dans la présence, faites-lui vivre cela pendant des mois, et vous êtes assuré qu’il deviendra fou. L’Etat fabrique non seulement de la souffrance individuelle et collective, mais aussi de la folie, une folie de masse.

      La suite confirmera que Macron et Vidal ont le même problème avec le temps, un gros problème avec le temps. L’avenir est au passé. Le président dira ceci : « Evidemment il y aura des protocoles sanitaires très stricts » pour le second semestre. Le second semestre a débuté dans la majorité des universités. Mais, pas de problème : « Evidemment ce que je dis, c’est pour dans 15 jours à trois semaines ». Les 20 % et tout le tralala. Dans 15 jours on recommence tout et on se met au travail tout de suite pour préparer la 11ème révolution vidalienne ? Le président n’a pas compris que Vidal a fait de l’Université une planète désorbitée ...

      Nous sommes de plus en plus nombreux à penser et dire ceci : « Ils sont fous, on arrête tout, tout de suite ! On sauve des vies, on désobéit ! ». Dans certaines universités, il y des mots d’ordre ou des demandes de banalisation des cours pour la semaine prochaine. Lors de l’AG d’hier à l’Université de Strasbourg, étudiant.es et personnels ont voté cette demande. Il faut tout banaliser avant que l’insupportable ne devienne banal ! Il nous faut nous rapprocher, limiter le "distanciel". Il n’y a aucun ciel dans les capsules et les pixels. Nous avons besoin de présence et pour cela il faut des moyens pour améliorer la sécurité sanitaire des universités.

      https://blogs.mediapart.fr/pascal-maillard/blog/210121/le-distanciel-tue

    • –-> Comment la ministre elle-même découvre l’annonce du président de la République d’un retour à l’Université de tous les étudiants 1 jour /5 (et qui annule la circulaire qui faisait rentrer les L1) lors de sa visite Potemkine à Paris-Saclay...
      Le 21 janvier donc, quand le semestre a déjà commencé...


      https://twitter.com/rogueESR/status/1353014523784015872

      Vidal dit, texto, je transcris les mots qu’elle prononce dans la vidéo :

      « Là j’ai bien entendu la visite du président, donc si l’idée c’est qu’on puisse faire revenir l’ensemble des étudiants sur l’ensemble des niveaux avec des jauges à 20% ou 1/5 de temps, ou... les universités ça, par contre... je vais le leur... dire et nous allons travailler ensemble à faire en sorte que ce soit possible, parce qu’effectivement c’était l’étape d’après, mais je pense que tout le monde sera ravi d’accélérer l’étape d’après parce que c’était quelque chose que je crois c’était vraiment demandé »

      –---

      Circulaire d’Anne-Sophie Barthez du 22 janvier 2021

      Au Journal officiel du 23/1/2021, un #décret modifiant le décret COVID, qui entre en vigueur immédiatement, sans mention des universités, ni modification de l’article 34 34 du décret du 29 oct. 2020 au JO. La circulaire du 22 janvier 2021 de la juriste Anne-Sophie Barthez, DGSIP, ci-dessous est donc illégale.


      https://academia.hypotheses.org/30306

      –---

      On se croirait au cirque... ou dans un avion sans pilote.

    • Kévin Boiveau continue ainsi sur son thread :

      je cite encore @VidalFrederique :
      – « Les étudiants sont porteurs et symptomatiques et font forcément des écarts sur les gestes barrières »
      – « Des étudiants sont assis entre les cours sans masques »
      – « Des étudiants trop nombreux dans certains lieux »
      Mais c’est pas le pire
      – « Les photos et vidéos sur les réseaux sociaux ne sont pas la réalité du terrain » "les étudiants vont bien globalement"

      Mme la Ministre @VidalFrederique, avec votre discours, vous mettez la communauté universitaire à dos ! Écoutez les messages et les actes de détresse !

      https://twitter.com/Kevin_BOIVEAU/status/1354483952363466759

      C’est à partir de la minute 1:07:00 :
      http://videos.assemblee-nationale.fr/video.10236533_60118ba7066e6.commission-des-affaires-cult

      –-> où Vidal reprend encore cette idée qu’un #campus n’est pas un #lycée, qu’il y a « #brassage » (elle l’a redit !!!) dans les universités, contrairement aux lycées.
      Qu’elle a été sur place et a vu que les étudiant·es font la fête car ielles se retrouvent...
      et autres idioties qu’il vaudrait la peine de transcrire, mais... voilà, ni le temps ni la force en ce moment !

    • Ne pas tirer sur l’ambulance, vraiment ? Débat « #Malaise_étudiant » au Sénat, 10 février 2021

      #Monique_de_Marco, sénatrice de Gironde, groupe Écologiste – Solidarité et Territoires, vice-présidente de la Commission Culture, a demandé la tenue d’un #débat dans le cadre des #questions_au_gouvernement. Le thème — « Le fonctionnement des universités en temps de COVID et le malaise étudiant » — a inspiré les oratrices et orateurs inscrit·es après l’intervention initiale de la sénatrice qui rappelle les données de la fondation Abbé Pierre : ces derniers mois, 20% des jeunes ont eu recours à l’#aide_alimentaire ; la moitié des étudiant·es déclarent des difficultés à payer leurs #repas et leur #loyer, qui représente 70% de leur budget. Dans une enquête portant sur 70 000 étudiant·es, 43% déclaraient des troubles de #santé_mentale, comme de l’#anxiété ou de la #dépression. Face à cela, les mesures sont insuffisantes, inégalitaires — puisque les #classes_préparatoires sont restées normalement ouvertes — et les #services_universitaires complètement débordés. À quand une réponse structurelle au problème de la #pauvreté_étudiante, comme une #allocation_autonomie_étudiante ?

      Parmi les interventions, souvent prises, pointant les béances de la politique gouvernementale, citons un extrait du discours de #Pierre_Ouzoulias qui parle de #définancement assumé par le gouvernement des budgets « #Vie_étudiante » depuis le début du quinquennat, en dépit des alertes.

      "Je n’oublie pas qu’en novembre 2019, par la loi de finances rectificative, votre Gouvernement avait supprimé 35 millions d’euros de crédits du programme « Vie étudiante ». En 2018 et 2019, ce sont 100 millions d’euros de crédits votés par le Parlement qui n’ont finalement pas été affectés à la vie étudiante par votre Gouvernement.

      L’an passé, à l’occasion de la discussion des quatre lois de finances rectificatives, j’ai proposé des amendements pour apporter aux universités et au Centre national des œuvres universitaires et scolaires des moyens d’urgence pour leur permettre d’aider rapidement les étudiants. Par la voie de Monsieur #Darmanin, alors ministre du l’Action et des Comptes publics, le Gouvernement m’avait expliqué qu’il n’y avait pas besoin de #crédits_budgétaires supplémentaires. La politique du « Quoi qu’il en coûte » a ignoré les campus et la #détresse_estudiantine.

      Cet automne nous avons discuté d’une loi de programmation de la recherche que le Gouvernement nous a présenté comme le plus grand effort budgétaire depuis la Libération. L’Université n’a bénéficié, dans ce cadre, d’aucune #aide_budgétaire supplémentaire, comme si les étudiants d’aujourd’hui ne seraient pas les chercheurs de demain.

      J’entends aujourd’hui les déclarations compassionnelles du Gouvernement qui s’alarme du mal vivre des étudiants. Mais, la #pandémie n’en est pas l’unique cause. Dans les universités, comme à l’hôpital, la crise sanitaire est la révélatrice d’une situation de #sous-investissement_chronique qui a fragilisé tout le #service_public de l’#enseignement_supérieur."

      La messe est dite. Sans appel pour dénoncer le mépris dans lequel le gouvernement tient « les emmurés de vingt ans » (Max Brisson), les sénateurs et sénatrices n’ont pas évoqué l’embroglio de circulaires-décrets inapplicables : iels ont pourtant souligné la nécessité d’un cadre réglementaire clair et stable et une plus grande #décentralisation des décisions.

      Public Sénat a choisi deux extraits représentatifs du discours, désormais sans queue ni tête, sans perspective, et vide de sens, de la Ministre. En voici un :


      https://twitter.com/publicsenat/status/1359585785159315457

      Que faut-il en comprendre ? La meilleure explication tient dans les mots de l’universitaire Pierre-Yves Modicom : il s’agit ni plus ni moins de « nier l’évidence sanitaire pour ne pas avoir à assumer les investissements matériels et les recrutements que la reconnaissance des faits impliquerait. L’incohérence, c’est la marque du déni obstiné de la réalité ».

      Le doyen Gabriel Galvez-Behar résumait ainsi le point de vue des agents du supérieur :

      "Nous ne pouvons plus minimiser les séquelles de la crise, nous contenter d’un illusoire retour à la normale, ni nous satisfaire d’expédients. Tout cela réclame ce qui a tant manqué jusqu’à présent : de l’anticipation, de la cohérence et des moyens à la hauteur de l’enjeu."

      Madame Vidal — alors que l’ensemble des usagers et des agents de l’ESR s’enfoncent chaque jour davantage, dans une détresse et un découragement graves — pas plus que son équipe n’ont pris la mesure du problème ni esquissé un début de solution, bien au contraire. Les réponses qu’elle a apportée devant la représentation nationale en attestent et attestent également de la toxicité de son ministère pour l’ensemble des agents publics et des usagers de l’ESR.

      Si vous ne souhaitez pas tirer sur une ambulance, allez-vous laisser un cadavre piloter l’université ? C’est la question que nous pouvons légitimement nous poser ce soir.

      https://academia.hypotheses.org/30821

  • Coronavirus live: Vietnam reports first case of new Covid variant; Irish health officials warn virus is ’absolutely rampant’ - latest updates | World news | The Guardian
    https://www.theguardian.com/world/live/2021/jan/02/coronavirus-live-vietnam-reports-first-case-of-new-covid-variant-latest
    https://i.guim.co.uk/img/media/915f5f9988ca05661de92f91151e43c3cb42bcee/0_47_3600_2159/master/3600.jpg?width=1200&height=630&quality=85&auto=format&fit=crop&overlay-ali

    Vietnam reports first case of new Covid variant spreading around Britain
    Vietnam has detected its first imported case of the new Covid-19 variant that is spreading rapidly around Britain, the health ministry said on Saturday. The variant was identified in a 44-year-old woman returning to Vietnam from Britain, who was quarantined upon arrival and tested positive for the virus on 24 December. “Researchers ran gene-sequencing on the patient’s sample and found the strain is a variant known as “VOC 202012/01”, the ministry said in a statement. Vietnam, which has recorded 35 Covid linked deaths, is still operating repatriation flights to bring its citizens stuck in the UK home amid the pandemic.

    #Covid-19#migrant#migration#vietnam#grandebretagne#sante#virusmutant#circulation#pandemie#contamination

  • C’est le #changement qui fait peur, pas la migration

    Les changements très rapides engendrent des réactions de #défense. Certes, la migration est perçue comme un aspect du changement sociétal. Cependant, ce n’est pas la migration en soi qui fait #peur, mais les conséquences liées à la #croissance, comme l’activité soutenue du bâtiment, l’augmentation du #trafic_routier ou l’#appauvrissement redouté de la #vie_sociale. Telles sont les conclusions de la dernière étude de la Commission fédérale des migrations CFM. L’étude de terrain « Vivre-ensemble et côte-à-côte dans les communes suisses - Migration : #perceptions de la population résidente » donne une image variée des #sensibilités. Il s’avère également que la majorité des personnes interrogées attachent beaucoup d’importance à l’#échange sur le plan local et aux possibilités de #rencontre.

    Environ 45 pourcent des habitants de Suisse vivent aujourd’hui dans des agglomérations. C’est là où l’évolution des dernières décennies est la plus visible et perceptible. Dans le cadre de l’étude, huit communes (Agno, Belp, Le Locle, Losone, Lutry, Oftringen, Rheinfelden, Rümlang) ont été visitées. La procédure avec des résultats ouverts comprenait des discussions informelles, de courts entretiens et un sondage ludique sur tablette.

    La migration vue comme un aspect de la #transformation_sociétale

    Les personnes interviewées sont conscientes à la fois des aspects positifs et négatifs du changement. Et elles les jugent d’une manière beaucoup plus différenciée que ce qui s’exprime souvent dans les débats politiques. La migration est généralement évoquée en relation avec d’autres sujets et est rarement mentionnée directement comme un problème majeur. Cependant, une #attitude négative à l’égard des changements dans l’agglomération peut se traduire par une position critique vis-à-vis des immigrés. Cela est notamment le cas lorsqu’ils sont perçus non seulement comme une composante, mais aussi comme les responsables du changement de la société. On leur attribue alors l’intensification de la #pollution de l’#environnement ou du trafic routier, de l’activité de construction et de l’#individualisation de la société - tous ces éléments portant préjudice à la qualité du #vivre_ensemble.

    La présence et la participation importent plus que l’origine

    La cohabitation avec des personnes venues de « pays proches » est jugée moins problématique. Mais l’étude démontre aussi que la #résidence durable dans la commune et la #participation à la #vie_locale relativisent l’importance que les résidents attachent à l’origine des membres de la communauté. La participation à la vie économique et les #compétences_linguistiques sont considérées comme des conditions importantes pour être accueillis dans la collectivité. D’un point de vue local, cela peut également être vu comme l’expression de la volonté et de l’intérêt de la population résidente d’échanger avec les nouveaux arrivants.

    L’attitude de #pessimisme face aux changements s’accompagne de #scepticisme à l’égard de la migration

    L’attitude des personnes vis-à-vis des changements varie selon la durée de leur présence dans la commune, selon leurs liens avec le lieu, leur âge et leur orientation politique. En particulier les #personnes_âgées, les résidents de longue date et les personnes attachées aux lieux ont tendance à être plus critiques à l’égard de la croissance locale et de l’arrivée d’étrangers. Ils accordent beaucoup d’importance à la préservation de l’aspect du lieu, du #paysage environnant et des #usages_locaux. À l’inverse, les personnes jeunes, mobiles, sympathisantes de gauche, les femmes et les personnes issues de la migration ont plus souvent tendance à éprouver les changements et la migration comme des phénomènes normaux. Les attitudes négatives envers les étrangers expriment donc des réserves face au changement social et à la #modernisation.

    Diversité vécue et communauté doivent s‘équilibrer

    Pour le futur développement des agglomérations, il est important de tenir compte des besoins de tous les habitants et de créer des passerelles entre les anciens habitants et les nouveaux arrivants. C’est pourquoi les changements rapides devraient être accompagnés, communiqués et si cela est possible planifiés avec des modalités basées sur la #participation.

    https://www.ekm.admin.ch/ekm/fr/home/aktuell/mm.msg-id-81673.html
    #préjugés #asile #migrations #réfugiés #changement_sociétal #perception #Suisse

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    Transformation des communes : une étude avec et pour les habitants
    https://www.youtube.com/watch?v=We7Ke1zvddY&feature=youtu.be

    Pour télécharger la version succincte de l’étude :
    https://www.ekm.admin.ch/dam/ekm/fr/data/dokumentation/materialien/studie-migration-ansaessige-bevoelkerung.pdf

    ping @isskein @karine4

  • Du malaise en milieu étudiant

    Seul un étudiant sur dix parvient encore à suivre ses #cours_en_ligne. Non, le problème n’est pas individuel. Arrêtez de nous envoyer vers des psychologues tout en prolongeant notre #isolement.

    Tous les cours se ressemblent. Se lever une demi-heure avant à grand-peine (rythme de sommeil complètement déstructuré), s’asseoir et ouvrir l’ordinateur, le connecter à la 4G instable du téléphone, chercher le lien de la visioconférence, couper le micro, et malaise.

    #Malaise des professeurs qui monologuent devant une galerie de portraits ennuyés et silencieux, au mieux, devant une grille de prénoms muets la plupart du temps. Mosaïques sinistres de visages qui en disaient davantage derrière un masque. Les professeurs disent : Je sais que les temps sont difficiles mais nous n’avons pas le choix, vous lirez cet article pour la fois prochaine, rendez-moi le travail pour mi-décembre. Ils disent aussi, sur un ton angoissé ou agacé – sûrement conscients du ridicule de la situation – Est-ce que ça va ? Vous m’entendez ? Quelqu’un veut répondre à la question ? Bon, s’il n’y a pas de remarque alors je poursuis. Malaise des étudiants, notre malaise. Il n’y a pas de questions parce qu’il n’y a rien à questionner ; on ne sait pas exactement ce qui vient d’être dit et on s’en fout, aussi. Trop difficile de rester concentré, les écrans finissent par brûler et fatiguer les yeux, la tête bourdonne des bruits de micros saturés. Malaise parce que ça ne rime à rien, parce que c’est complètement irréel, parce qu’on ne voit plus pourquoi on continuerait. Ça avait du sens lorsque c’était encore pris dans des relations sociales, lorsqu’il y avait un rapport entre le professeur et les étudiants, un jeu de regards, des interventions spontanées, des corps et des attitudes, un ancrage dans le réel. Ce n’est plus le cas. Et, pire, l’irréalité n’a plus de bornes depuis que le professeur donne cours dans nos chambres ; il n’y a plus guère de séparation spatiale entre vie étudiante et vie personnelle, et la première – celle qui déjà occupait et préoccupait beaucoup – envahit totalement la seconde. Avant, on refermait le cahier ou l’ordinateur portable, on faisait son sac, on discutait quelque temps avec des camarades ou un professeur, on prenait le métro, le bus, le vélo ou on marchait jusqu’à chez soi. Maintenant, on quitte la réunion Zoom et on reste sur la même chaise, dans la même chambre, avec la même solitude, à faire ce que l’on faisait de creux ou de sans intérêt pour passer le temps pendant le cours qu’on n’écoutait pas vraiment. Toujours ce sentiment d’irréalité, d’absurdité ; ce malaise.

    Les symptômes de ce malaise s’expriment partout, dans des circonstances plus ou moins terribles. Le premier confinement a été difficile, le second confinement est un coup de grâce. Nous sommes dans un sale état, toutes les enquêtes réalisées le prouvent : Article 1, dans une enquête datant du 16 novembre mené parmi 700 étudiants issus de milieux populaires, relève que 73.5 % d’entre eux se disent stressés et épuisés. À Sciences Po Paris, l’Association de l’École d’Affaires Publiques rapporte dans les résultats de son sondage (environ 1200 réponses) que les états dépressifs ont actuellement un taux de prévalence de 41 % parmi les étudiants, en plus de l’anxiété qui touche 61 % des interrogés (les moyennes françaises en octobre étaient respectivement autour de 15 % et 19 %). 91 % des étudiants affirment avoir des difficultés à suivre les cours en ligne. Dans le sondage réalisé dans notre spécialité de M1, on retrouve des chiffres similaires : onze personnes sur dix-huit (soit 61 %) rapportent des sentiments de tristesse ou de mélancolie, et seuls trois élèves sur dix-huit se disent capables de suivre correctement les cours. Les troubles du sommeil et les troubles alimentaires ont également des taux de prévalence particulièrement inquiétants. L’épuisement et la fatigue sont omniprésents, et concernent quinze étudiants sur dix-huit. On comprend aisément comment la charge de travail accrue, l’angoisse, l’exposition intensive aux écrans, les états dépressifs et l’isolement peuvent expliquer cette lassitude. Nous attendons les résultats d’enquêtes plus larges, mais rien ne laisse présager de meilleures conclusions.

    Malaise, donc : des professeurs font cours à des étudiants en souffrance qui ne les écoutent pas. Quel sens est-ce que ça peut bien avoir, pour nous comme pour nos enseignants ? Les professeurs et les administrations envoient les étudiants vers des psychologues, dans des messages pleins de bienveillance et de take care, parce qu’ils ne savent pas comment répondre autrement. Les tribunes et les articles qui paraissent ces dernières semaines sur le sujet ont beau faire ce même constat terrible, ils demandent également plus d’aide psychologique pour les étudiants. Ils se trompent : nous n’avons pas besoin de psychologues. Il est impossible de croire que le problème que nous rencontrons est individuel, alors qu’il concerne une majorité écrasante d’entre nous. Le problème n’est pas psychologique et ne se règle pas avec des séances chez un psy, des antidépresseurs ou des anxiolytiques. Ce n’est pas non plus une preuve de paresse des étudiants, et pas davantage un défaut d’adaptation que le temps corrigera. Nos études nous intéressent, nous voulons réussir et nous nous en savons capables : voilà pourquoi notre malaise est aussi dérangeant. Si le problème est aussi massif, c’est bien qu’il ne relève pas de fragilités individuelles et qu’un encouragement à s’accrocher ne suffit pas. Le problème, c’est que notre vie quotidienne est devenue insupportable et que tout le monde prétend ne rien voir parce que c’est plus simple.

    Il faut briser le silence et affronter ce malaise-là maintenant, parce que nous en payons les conséquences beaucoup trop cher. Affronter le fait qu’en moyenne sur Zoom, dans une classe de trente personnes, il n’y a que trois personnes qui écoutent effectivement. Affronter le fait que nous sommes envahis par les cours, les travaux à rendre et l’angoisse à l’idée de ne pas y parvenir. Affronter le fait que nous n’avons pour la plupart pas besoin d’un soutien psychologique, mais d’un changement matériel, réel de nos conditions d’étude. Affronter le fait que c’est pour la majorité d’entre nous un cauchemar qui n’en finit pas : si le déconfinement est prévu le 15 décembre, que tous les commerces sont ouverts et que les offices religieux peuvent se tenir à plus de trente personnes depuis le 28 novembre, les étudiants ne peuvent même pas rêver de retourner en cours avant mi-février – dans l’hypothèse plus que fragile qu’aucun nouveau confinement ne soit décrété. Le covid-19 ne nous a presque pas touchés, mais nous sommes écrasés par ses conséquences dans le déni général.

    Jusqu’à présent, chaque fois que nous avons osé parler, on nous a systématiquement répondu que dans les circonstances actuelles, on nous comprend mais que c’est une impasse et que tout le monde fait déjà au mieux. On nous répond – avec la facilité que cela comporte – qu’effectivement la période est difficile et frustrante, mais que les professeurs doivent bien évaluer leurs cours, qu’ils ne sont pas compétents en psychiatrie et qu’il faut consulter, et qu’on n’a pas le choix. Tous ces arguments sont audibles, mais aussi sans pertinence face à ce que nous vivons. Il n’y a pas d’impasse. Il n’y a d’impasse que parce qu’on refuse de toucher aux murs, parce qu’on se dit que les étudiants trouveront bien un moyen de tenir, qu’on notera gentiment leurs travaux médiocres, et que tout ça ne sera pas éternel ; comme on a toujours fait. Et on continue à faire des cours Zoom – au moins on ne se rend pas compte que personne n’écoute – en ignorant ce qui se passe de l’autre côté des écrans.

    Voilà ce qu’il y a, derrière les écrans, derrière les têtes fatiguées-ennuyées, les caméras éteintes et le mode muet : il y a nous qui ne tenons pas, nous qui arrivons de moins en moins à rendre des travaux même médiocres, nous pour qui l’horizon est complètement bouché. Alors il n’y a pas d’autre possibilité que de remettre en cause ce à quoi on refusait de toucher, dans sa totalité.

    https://blogs.mediapart.fr/maina-catteau/blog/051220/du-malaise-en-milieu-etudiant

    #ESR #étudiants #confinement #distanciel #enseignement #université #facs #enseignement_à_distance #témoignage #silence #interaction #concentration #relations_sociales #vie_étudiante #vie_personnelle #espace #séparation_spatiale #solitude #dépression #sondage #épuisement #fatigue #lassitude #souffrance #angoisse #conditions_d'étude #cauchemar #déconfinement #déni #covid-19 #coronavirus

    Déjà signalé ici : https://seenthis.net/messages/889944
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  • Les Canaries ont le blues du tourisme de masse
    https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/03/les-canaries-ont-le-blues-du-tourisme-de-masse_6061982_3210.html

    Avec ses plages bétonnées, ses centres commerciaux avec discothèques en sous-sol, ses villes entières qui n’existent que pour les touristes, l’île de Grande Canarie, en particulier, peut de toute façon difficilement espérer la transformation d’une industrie basée sur le nombre. Car l’archipel accueille normalement seize millions de touristes par an, dont près de 50 % viennent par l’intermédiaire de tour-opérateurs ; lesquels ont même des noms de rues à Maspalomas : « avenida Touroperador Tui », « avenida Touroperador Vingresor », « Ols Wings », « Cosmos », etc.José Maria Mañaricua, le président de la Fédération des entrepreneurs de l’hôtellerie et du tourisme (FEHT), ne croit donc pas lui non plus en un changement de modèle. Au contraire. « L’Union européenne est vieillissante, le tourisme augmente de 2 % par an, de nouveaux pays instaurent des droits sociaux qui permettent à leurs habitants de partir en vacances, et des nations émergentes voient leur classe moyenne grossir, dit-il. Nous sommes un pays de services et les bien-pensants qui parlent de changer de modèle ne se souviennent-ils pas quand, au début du siècle, seuls les riches partaient en vacances ? La grandeur du tourisme de masse est que presque tous les gens peuvent venir aux Canaries, profiter du soleil et de la plage, et nous n’allons pas renoncer à cela. »
    Plus modéré, le président du gouvernement régional canarien, le socialiste Angel Victor Torres, convient que « l’Europe doit profiter de la crise pour générer des modèles de développement différents, durables, un tourisme soutenable, éthique, car c’est le bon chemin ». Cependant, à court terme, les Canaries ne peuvent pas se le permettre, laisse-t-il entendre. « Nous devons aider ceux qui n’ont plus de revenus, le taux de chômage a beaucoup augmenté, nous avons dépassé les 30 % et même les 60 % si on ajoute les dispositifs de chômage partiel. »
    Alors que la saison d’hiver, traditionnellement la plus haute de l’année, commence, c’est ainsi qu’aux Canaries, ces jours-ci, on attend les touristes comme la pluie dans le désert. A tel point que, pour ne pas risquer de les effrayer, la maire de Mogan, dans le sud de Grande Canarie, a exigé le démantèlement du camp de migrants du port d’Arguineguin, où étaient entassées près de 2 000 personnes arrivées dans des embarcations de fortune. Elle a aussi demandé que les dix-sept hôtels utilisés pour en loger des milliers d’autres récupèrent leur fonction touristique, ce qui n’est pas possible pour l’heure, faute d’autre solution.Si les Canaries ont beau multiplier les campagnes de communication, insister sur le relativement faible taux d’incidence du Covid-19 sur l’archipel et imposer des tests en pensant rassurer les touristes, rien, cependant, ne garantit leur retour à court terme

    #Covid-19#migrant#migration#canaries#espagne#ue#sante#tourisme#economie#ccamp#vieillissement#demographie

  • IMAGINONS un monde #sans_voiture, rien qu’une fois…
    http://carfree.fr/index.php/2020/12/04/imaginons-un-monde-sans-voiture-rien-quune-fois

    Cette #vidéo fait suite au court métrage « Douce ville » qu’il faut voir vu avant d’entamer celle-ci. Pour visionner le court métrage « Douce ville » c’est par ici : http://carfree.fr/index.php/2020/11/16/douce-ville Dans cette nouvelle Lire la suite...

    #Vie_sans_voiture #Ville_sans_voitures #bruit

  • Les « #instant_cities » – Villes réimaginées sans histoire, sans avenir

    Le thème des « instant cities », ces villes bâties du jour au lendemain, revient dans les débats des urbanistes et architectes, inspirés par l’expérience des campements et autres zones à défendre (ZAD). L’anthropologue #Michel_Agier nous entretient du sujet dans un texte publié sur le site AOC : https://aoc.media/opinion/2020/09/28/utopie-dystopie-non-fiction-faire-ville-faire-communaute-3-3

    #Utopie, #dystopie, #non-fiction#Faire_ville, faire communauté

    Le thème des « instant cities », ces villes bâties du jour au lendemain, revient dans les débats des urbanistes et architectes d’aujourd’hui, inspirés par l’expérience des #campements et autres #ZAD. La ville est ré-imaginée sans histoire et sans avenir, comme marquée d’abord par l’#immédiateté, l’#instantanéité et la #précarité. Des réflexions qui rejoignent celles de l’ethnologue qui se demande ce que « faire ville » veut dire, elles permettent de penser la ville en se libérant de la contrainte du réel et du présent, comme le font le plus librement les fictions post-catastrophe.

    Avec la montée des #incertitudes et des formes de vie précaires dans toutes les régions du monde et plus particulièrement dans les contextes migratoires, le thème des instant cities (villes « instantanées », bâties « du jour au lendemain ») revient dans les débats des urbanistes et architectes d’aujourd’hui, et peuvent aider à penser la ville de demain en général. Le thème est ancien, apparu dans les années 1960 et 1970, d’abord avec l’histoire des villes du #far_west américain, nées « en un jour » et très vite grandies et développées comme le racontent les récits de #San_Francisco ou #Denver dans lesquels des migrants arrivaient et traçaient leurs nouvelles vies conquises sur des espaces nus.

    À la même époque, des architectes anglais (Peter Cook et le groupe #Archigram) s’inspiraient des lieux de #rassemblements et de #festivals_précaires comme #Woodstock pour imaginer des villes elles-mêmes mobiles – une utopie de ville faite plutôt d’objets, d’images et de sons transposables que de formes matérielles fixes. Troisième forme desdites instant cities, bien différente en apparence, celle qui est allée des villes de l’instant aux « #villes_fantômes », à l’instar des utopies graphiques des #villes_hors-sol construites en Asie, dans le Golfe persique et au Moyen-Orient principalement, sur le modèle de #Dubaï.

    Nous sommes aujourd’hui dans une autre mise en œuvre de ce modèle. En 2015, la Cité de l’architecture et du patrimoine montrait l’exposition « Habiter le campement » qui réincarnait très concrètement le concept à travers les rassemblements festivaliers (la « ville » de trois jours du festival #Burning_Man aux États-Unis), mais aussi les campements de #yourtes pour les #travailleurs_migrants, les #campings et #mobile_homes pour touristes et travellers, ou les #camps-villes pour réfugiés. Allant plus loin dans la même démarche, le groupe #Actes_et_Cité publie en 2018 l’ouvrage La ville accueillante où, inspirées de l’expérience du « #camp_humanitaire » de la ville de #Grande-Synthe, différentes solutions d’espaces d’#accueil sont étudiées (quartiers d’accueil, squats, campements aménagés, réseau de maisons de migrants, etc.), leur rapidité de mise en œuvre (quelques semaines) et leur coût réduit étant des critères aussi importants que leur potentiel d’intégration et d’acceptation par la population établie.

    On pourrait encore ajouter, pour compléter ce bref tour d’horizon, le géant suédois du meuble #Ikea qui, après une tentative d’implantation dans le marché des abris pour camps de réfugiés en association avec le HCR dans les années 2010-2015, a lancé en 2019 « #Solarville », un projet de #Smartcity fondé sur l’architecture en bois et l’énergie solaire.

    L’idée de la #table_rase permet de penser la ville en se libérant de la contrainte du réel et du présent, comme le font le plus librement les fictions post-catastrophes.

    Le point commun de toutes ces expériences d’instant cities est leur ambition de réduire, voire de supprimer l’écart entre le #temps et l’#espace. Immédiateté, instantanéité et #précarité de la ville, celle-ci est ré-imaginée sans histoire et sans avenir. Sans empreinte indélébile, la ville se pose sur le sol et ne s’ancre pas, elle est associée à la précarité, voire elle-même déplaçable. Ce seraient des villes de l’instant, des #villes_présentistes en quelque sorte. Dans tous les cas, l’idée de la table rase, image du rêve extrême de l’architecte et de l’urbaniste, permet de penser la ville en se libérant de la contrainte du réel et du présent, comme le font le plus librement les #fictions_post-catastrophes. Dans leur excentricité même, ces images et fictions dessinent un horizon de villes possibles.

    C’est cette ville à venir que j’aimerais contribuer à dessiner, non pas pourtant à partir de la table rase de l’architecte, mais à partir de l’ethnographie d’une part au moins du présent. Un présent peut-être encore marginal et minoritaire, et donc hors des sentiers battus, quelque chose d’expérimental pour reprendre le mot très pragmatique de Richard Sennett, peu visible encore, mais qui a toutes les chances de s’étendre tant il sait répondre à des besoins croissants, dans cet avenir qui nous inquiète.

    C’est dans un « #présent_futuriste » que j’ai trouvé quelques éléments de réponse, un futur déjà là, quelque peu anachronique donc, mais aussi inédit, tout à fait décentré de la ville historique, notamment européenne, à laquelle nous nous référons encore trop souvent pour penser l’universalité des villes. Je me suis familiarisé avec la vie quotidienne des zones de #marges ou frontières, de #borderlands, et avec celles et ceux qui les habitent ou y passent. Rien d’exotique dans cela, rien d’impossible non plus, ce sont des lieux quelconques réinvestis, détournés, occupés pour un temps plus ou moins long, des déplacements et des attachements plus ou moins profonds aux lieux de résidence, de passage ou de refuge, et ce sont des événements – politiques, catastrophiques ou artistiques, prévus ou fortuits – créateurs d’échanges, éphémères ou non, et nous faisant occuper et donner un sens à des lieux parfois inconnus. Ces formes sociales, ces moments partagés, toutes ces situations rendent les espaces fréquentés plus familiers, partagés et communs, même sans en connaître le devenir.

    Loin d’être exceptionnelle, cette expérience de recherche m’a semblé expérimentale et exemplaire d’un certain futur urbain. Cela résonne avec les propos des urbanistes rebelles qui pensent comme #Jane_Jacob ou #Richard_Sennett un urbanisme pratique – ou « pragmatique », dit lui-même Sennett, qui ancre depuis longtemps sa réflexion dans l’#homo_faber, dans le faire de l’humain. Il faut, écrit-il, « placer l’homo faber au centre de la ville ». C’est ce que je ferai ici, en poursuivant cette interrogation sur le faire-ville dans sa double dimension, qui est de faire communauté, créer ou recréer du commun, et de faire la ville, c’est-à-dire l’inventer et la fabriquer.

    Une écologie et une anthropologie urbaines sont tout à inventer pour le monde à venir.

    C’est un présent futuriste fait d’étranges établissements humains : des armatures flexibles, modelables à volonté, des murs transparents, des cubes réversibles ou transposables. Curieusement, ces lieux font d’emblée penser à une ville mais précaire et #démontable, ce sont des #agglomérations_temporaires dont la matière est faite de murs en toile plastifiée, de charpentes en planches, en tubes métalliques ou en branchages, de citernes d’eau en caoutchouc, de canalisations et latrines en prêt-à-monter, prêt-à-défaire, prêt-à-transporter.

    Les lumières de la ville sont intermittentes et blafardes, fournies par des moteurs électrogènes mis en route à chaque nouvelle arrivée (fruit d’un désordre ou d’une catastrophe), devenue elle-même prévisible tout comme ses conséquences techniques – ruptures dans les flux et les stocks d’énergie, de nourriture ou de services. Les va-et-vient incessants de camions blancs bâchés emmènent des grandes quantités de riz, de boulgour et de personnes déplacées. Parfois, sur quelques terrains vagues, d’autres enfants jouent au football, ou bien des adultes inventent un terrain de cricket.

    À partir de la matière première disponible dans la nature (terre, eau, bois de forêt) ou de la matière résiduelle de produits manufacturés disponible (planches, palettes, bâches plastifiées, toiles de sac, feuilles métalliques d’emballage, plaques de polystyrène), des habitants bricolent et pratiquent une #architecture_adaptative, réactive, avec les moyens du bord, comme ailleurs ou autrefois une architecture des #favelas ou des #bidonvilles. Des maisons en pisé côtoient d’autres constructions en tissus, carton et tôle. Cette matérialité est en constante transformation.

    Malgré la surprise ou la perplexité qu’on peut ressentir à l’énumération de ces étranges logistiques urbaines, ce n’est pas de la fiction. Ce sont mes terrains d’#ethnographie_urbaine. On y verra sans doute une #dystopie, un mélange cacophonique de prêt-à-monter, de #récupérations et de #bricolages, j’y vois juste l’avenir déjà là, au moins sur les bords, dans un monde certes minoritaire (en Europe au moins), frontalier, à la fois mobile et précaire, mais terriblement efficace et qui a toutes les chances de s’étendre. #Ville_en_kit serait le nom de ce modèle qui viendrait après celui de la ville historique et rejoindrait, « par le bas », celui de la ville générique, dont il serait l’envers moins visible.

    Une écologie et une anthropologie urbaines sont tout à inventer pour le monde à venir, nous n’en connaissons encore presque rien si ce n’est qu’elles seront marquées par une culture de l’#urgence, du présent et de l’#incertitude, organisant et meublant des espaces nus ou rasés ou abandonnés, pour des durées inconnues. Ce qui est marquant est la répétition du #vide qui prévaut au premier jour de ces fragiles agglomérations, mais aussi la résurgence rapide de la #vie_sociale, de la #débrouille_technique, d’une #organisation_politique, et de la quête de sens. Cette ville en kit semble plus périssable, mais plus adaptable et « résiliente » aussi que la ville historique, qu’il nous faut donc oublier. Celle-ci était délimitée dans des enceintes visibles, elle était en dur, elle se développait de plus en plus à la verticale, avec ses voies goudronnées vite saturées de véhicules et de bruits. Cette ville historique maintenant implose, pollue et expulse les malchanceux au-delà de ses limites, mais elle continue de fournir le modèle de « la ville » dans le monde. Pourtant, le modèle s’écarte des réalités.

    On peut s’interroger sur le caractère utopique ou dystopique des #imaginaires_urbains qui naissent de l’observation des contextes dits « marginaux » et de leur permanence malgré leurs destructions répétées partout. Faut-il opposer ou rapprocher une occupation de « ZAD », une invasion de bidonvilles et une installation de migrants sans abri devenue « #jungle », selon le pourquoi de leur existence, toujours spécifique, ou selon le comment de leur processus, toujours entre résistance et adaptation, et les possibles qu’ils ont ouverts ? Si ces établissements humains peuvent être considérés, comme je le défends ici, comme les tout premiers gestes d’un processus urbain, du faire-ville dans son universalité, alors il convient de s’interroger sur ce qu’ils ouvrent, les décrire en risquant des scénarios.

    Ce partage d’expériences suppose une prise de conscience de l’égalité théorique de toutes les formes urbaines.

    Comment passe-t-on de cette #marginalité qui fait #désordre à de la ville ? Une pensée concrète, une #architecture_an-esthétique, un #habitat_minimal, évolutif, peuvent rendre #justice à ces situations et leur donner une chance d’inspirer d’autres expériences et d’autres manières de faire ville. Je reprends là en partie quelques-uns des termes de l’architecte grec et français #Georges_Candilis (1913-1995), pour qui l’observation directe, au Pérou, dans la périphérie de Lima, au début des années 70, d’un processus d’installation et construction d’une « #invasión » fut un choc. Dans la nuit, « des milliers de personnes » avaient envahi un terrain vague « pour construire une nouvelle ville », l’alerta son collègue péruvien.

    C’est moins l’invasion elle-même que la réaction de l’architecte européen qui m’intéresse ici. Longtemps collaborateur de Le Corbusier, Candilis a ensuite passé des années à concevoir, en Europe essentiellement, des très grands ensembles à bas prix, pour « les plus démunis ». Il voit dans le mouvement d’invasion urbaine à Lima un « raz de marée populaire », devant lequel les autorités cèdent et qui va « construire une maison, une ville, sans matériaux ni architectes, avec la seule force du Plus Grand Nombre et le seul espoir de survivre ». Le deuxième jour de l’invasion, sous les yeux de l’architecte devenu simple témoin, les maisons commencent à s’édifier avec des matériaux de récupération, des quartiers se forment et les habitants (« y compris les enfants ») votent pour désigner leurs responsables. « J’assistais émerveillé, écrit Candilis quelques années plus tard, à la naissance d’une véritable “communauté urbaine” », et il évoque, enthousiaste, « l’esprit même de la ville ».

    Je ne pense pas qu’il ait voulu dupliquer en France ce qu’il avait vu à Lima, mais certainement s’inspirer de ses principes. Il exprimait l’intense découverte que cet événement avait représentée pour lui, et surtout le fait que le faire-ville passe par un événement, qui est l’irruption d’un sujet citadin, porteur de l’esprit de la ville et faiseur de communauté urbaine. C’est ce sujet citadin et cette communauté urbaine qui font la ville et qui permettent de penser à nouveaux frais le modèle des instant cities, en le renversant sur lui-même en quelque sorte, contre l’idée qu’il puisse naître hors-sol et qu’il puisse produire des villes fantômes qui attendront leur peuplement.

    Ce partage d’expériences, pour devenir systématique et efficace sans être du mimétisme ni du collage formel, suppose une prise de conscience de l’égalité théorique de toutes les formes urbaines, que j’ai rappelée au tout début de cette réflexion. C’est une démarche qui ne demande ni exotisme ni populisme, mais une attention à ce qu’il y a de plus universel dans le #faire-ville, qui est une énergie de #rassemblement et de #mise_en_commun, dont la disparition, à l’inverse, engendre les étalements diffus et les ghettos qu’on connaît aussi aujourd’hui.

    https://formes.ca/territoire/articles/les-instant-cities-villes-reimaginees-sans-histoire-sans-avenir
    #villes_instantanées #urban_matter #urbanisme #présent #passé #futur

  • "Réfugiés", « migrants », « exilés » ou « demandeur d’asile » : à chaque mot sa fiction, et son ombre portée

    Alors que les violences policières contre un campement éphémère de personnes exilées font scandale, comment faut-il nommer ceux dont les tentes ont été déchiquetées ?

    Nombreuses et largement unanimes, les réactions qui ont suivi l’intervention de la police, lundi 23 novembre au soir, place de la République à Paris, condamnent la violence des forces de l’ordre. De fait, après cette intervention pour déloger le campement éphémère installé en plein Paris dans le but de donner de l’écho à l’évacuation récente d’un vaste camp de réfugiés sur les contreforts du périphérique, les images montrent les tentes qui valsent, les coups qui pleuvent, des matraques qui cognent en cadence, et de nombreux soutiens nassés en pleine nuit ainsi que la presse. Survenu en plein débat sur la loi de sécurité globale, et après de longs mois d’un travail tous azimuts pour poser la question des violences policières, l’épisode a quelque chose d’emblématique, qui remet au passage l’enjeu de l’accueil migratoire à la Une des médias.

    Une occasion utile pour regarder et penser la façon dont on nomme ceux qui, notamment, vivent ici dans ces tentes-là. Durant toute la soirée de lundi, la réponse policière à leur présence sur la place de la République a été amplement commentée, en direct sur les réseaux sociaux d’abord, puis sur les sites de nombreux médias. Si certains utilisaient le mot “migrants” désormais ordinaire chez les journalistes, il était frappant de voir que d’autres termes prenaient une place rare à la faveur de l’événement à chaud. Et en particulier, les mots “réfugiés” et “exilés”.

    En ligne, Utopia56, le collectif à l’origine de l’opération, parle de “personnes exilées”. Chez Caritas France (ex-Secours catholique), c’est aussi l’expression qu’utilise par exemple, sur la brève bio de son compte twitter, la salariée de l’humanitaire en charge des projets “solidarité et défense des droits des personnes exilées”. Ce lexique n’a rien de rare dans le monde associatif : la Cimade parle aussi de longue date de “personnes exilées”, la Fédération des acteurs de solidarités qui chapeaute 870 associations de même, et chez chez Act up par exemple, on ne dit pas non plus “migrants” mais “exilés”. Dans la classe politique, la nuit de violences policières a donné lieu à des déclarations de protestation où il n’était pas inintéressant d’observer l’usage des mots choisis dans le feu de l’action, et sous le projecteur des médias : plutôt “exilés” chez les écologistes, via le compte twitter “groupeecoloParis”, tandis qu’Anne Hidalgo, la maire de Paris, parlait quant à elle de “réfugiés”.

    Du côté des médias, le terme poussé par le monde associatif n’a sans doute jamais aussi bien pris qu’à chaud, dans l’épisode de lundi soir : sur son compte Twitter, CNews oscillait par exemple entre “migrants” et “personnes exilées”... au point de se faire tacler par ses abonnés - il faudrait plutôt dire “clandestins”. Edwy Plenel panachait pour sa part le lexique, le co-fondateur de Médiapart dénonçant au petit matin la violence dont avaient fait l’objet les “migrants exilés”.

    Peu suspect de gauchisme lexical, Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, affirmait de son côté saisir l’IGPN pour une enquête sur cette évacuation d’un “campement de migrants”, tandis que le mot s’affichait aussi sur la plupart des pages d’accueil des sites de médias. Comme si le terme “migrants” était devenu un terme générique pour dire cette foule anonyme de l’immigration - sans que, le plus souvent, on interroge en vertu de quels critères ? Cet épisode de l’évacuation violente de la place de la République est en fait l’occasion idéale pour regarder la façon dont le mot “migrants” s’est disséminé, et remonter le film pour comprendre comment il a été forgé. Car ce que montre la sociologue Karen Akoka dans un livre qui vient justement de paraître mi-novembre (à La Découverte) c’est que cette catégorie est avant tout une construction dont la sociogenèse éclaire non seulement notre façon de dire et de penser, mais surtout des politiques publiques largement restées dans l’ombre.
    Les mots de l’asile, ces constructions politiques

    L’Asile et l’exil, ce livre formidable tiré de sa thèse, est à mettre entre toutes les mains car précisément il décortique en quoi ces mots de l’immigration sont d’abord le fruit d’un travail politique et d’une construction historique (tout aussi politique). Les acteurs de cette histoire appartiennent non seulement à la classe politique, mais aussi aux effectifs des officiers qui sont recrutés pour instruire les demandes. En centrant son travail de doctorat sur une sociohistoire de l’Ofpra, l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, créé en 1952, la chercheuse rappelle qu’il n’est pas équivalent de parler d’exil et d’asile, d’exilés, de demandeurs d’asile, de migrants ou de réfugiés. Mais l’ensemble de sa démonstration éclaire en outre toute la part d’artifice que peut receler ce raffinage lexical qui a permis à l’Etat de construire des catégories d’aspirants à l’exil comme on labelliserait des candidats plus ou moins désirables. Face aux "réfugiés", légitimes et acceptables depuis ce qu’on a construit comme une forme de consensus humaniste, les "migrants" seraient d’abord là par émigration économique - et moins éligibles. Tout son livre consiste au fond en une déconstruction méthodique de la figure du réfugié désirable.

    Les tout premiers mots de l’introduction de ce livre (qu’il faut lire en entier) remontent à 2015 : cette année-là, Al-Jazeera annonçait que désormais, celles et ceux qui traversent la Méditerranée seront pour de bon des “réfugiés”. Et pas des “migrants”, contrairement à l’usage qui était alors en train de s’installer dans le lexique journalistique à ce moment d’explosion des tentatives migratoires par la mer. Le média qatari précisait que “migrants” s’apparentait à ses yeux à un “outil de deshumanisation”. On comprenait en fait que “réfugié” était non seulement plus positif, mais aussi plus légitime que “migrant”.

    En droit, c’est la Convention de Genève qui fait les “réfugiés” selon une définition que vous pouvez consulter ici. Avant ce texte qui remonte à 1951, on accueillait aussi des réfugiés, quand se négociait, au cas par cas et sous les auspices de la Société des nations, la reconnaissance de groupes éligibles. Mais le flou demeure largement, notamment sur ce qui, en pratique, départirait le “réfugié” de “l’étranger”. A partir de 1952, ces réfugiés répondent à une définition, mais surtout à des procédures, qui sont principalement confiées à l’Ofpra, créé dans l’année qui suit la Convention de Genève. L’autrice rappelle qu’à cette époque où l’Ofpra passe d’abord pour une sorte de “consulat des régimes disparus”, il y a consensus pour considérer que l’institution doit elle-même employer des réfugiés chargés de décider du sort de nouveaux candidats à l’asile. A l’époque, ces procédures et ces arbitrages n’intéressent que très peu de hauts fonctionnaires. Ca change progressivement à mesure que l’asile se politise, et la décennie 1980 est une bonne période pour observer l’asile en train de se faire. C’est-à-dire, en train de se fabriquer.

    La construction du "réfugié militant"

    Sur fond d’anticommunisme et d’intérêt à relever la tête après la guerre coloniale perdue, la France décidait ainsi au début des années 80 d’accueillir 130 000 personnes parmi celles qui avaient fui l’un des trois pays de l’ex-Indochine (et en particulier, le Vietnam). On s’en souvient encore comme des “boat people”. Ils deviendront massivement des “réfugiés”, alors que le mot, du point de vue juridique, renvoie aux critères de la Convention de Genève, et à l’idée de persécutions avérées. Or Karen Akoka rappelle que, bien souvent, ces procédures ont en réalité fait l’objet d’un traitement de gros. C’est-à-dire, qu’on n’a pas toujours documenté, dans le détail, et à l’échelle individuelle, les expériences vécues et la position des uns et des autres. Au point de ne pas trop chercher à savoir par exemple si l’on avait plutôt affaire à des victimes ou à des bourreaux ? Alors que le génocide khmer rouge commençait à être largement connu, l’idée que ces boat people massivement arrivés par avion camperaient pour de bon la figure du “bon réfugié” avait cristallisé. La chercheuse montre aussi que ceux qui sont par exemple arrivés du Vietnam avaient fait l’objet d’un double tri : par les autorités françaises d’une part, mais par le régime vietnamien d’autre part… et qu’il avait été explicitement convenu qu’on exclurait les militants politiques.

    Or dans l’imaginaire collectif comme dans le discours politique, cette représentation du réfugié persécuté politiquement est toujours très active. Elle continue souvent de faire écran à une lecture plus attentive aux tris opérés sur le terrain. Et empêche par exemple de voir en quoi on a fini par se représenter certaines origines comme plus désirables, par exemple parce qu’il s’agirait d’une main-d’œuvre réputée plus docile. Aujourd’hui, cette image très puissante du "réfugié militant" reste arrimée à l’idée d’une histoire personnelle légitime, qui justifierait l’étiquetage de certains “réfugiés” plutôt que d’autres. C’est pour cela qu’on continue aujourd’hui de réclamer aux demandeurs d’asile de faire la preuve des persécutions dont ils auraient fait l’objet.

    Cette enquête approfondie s’attèle à détricoter ce mirage du "bon réfugié" en montrant par exemple que, loin de répondre à des critères objectifs, cette catégorie est éminemment ancrée dans la Guerre froide et dans le contexte post-colonial. Et qu’elle échappe largement à une approche empirique rigoureuse, et critique. Karen Akoka nous dépeint la Convention de Genève comme un cadre qui se révèle finalement assez flou, ou lâche, pour avoir permis des lectures et des usages oscillatoires au gré de l’agenda diplomatique ou politique. On le comprend par exemple en regardant le sort de dossiers qu’on peut apparenter à une migration économique. Sur le papier, c’est incompatible avec le label de “réfugié”. Or dans la pratique, la ligne de partage entre asile d’un côté, et immigration de l’autre, ne semble plus si étanche lorsqu’on regarde de près qui a pu obtenir le statut dans les années 1970. On le comprend mieux lorsqu’on accède aux logiques de traitement dans les années 70 et 80 : elles n’ont pas toujours été les mêmes, ni été armées du même zèle, selon l’origine géographique des candidats. Edifiant et très pédagogique, le sixième chapitre du livre d’Akoka s’intitule d’ailleurs “L’Asile à deux vitesses”.

    L’autrice accorde par exemple une attention particulière à la question des fraudes. Pas seulement à leur nombre, ou à leur nature, mais aussi au statut que les institutions ont pu donner à ces fraudes. Ainsi, Karen Akoka montre l’intérêt qu’a pu avoir l’Etat français, à révéler à grand bruit l’existence de “filières zaïroises” à une époque où la France cherchait à endiguer l’immigration d’origine africaine autant qu’à sceller une alliance avec le Zaïre de Mobutu. En miroir, les entretiens qu’elle a menés avec d’anciens fonctionnaires de l’Ofpra dévoilent qu’on a, au contraire, cherché à dissimuler des montages frauduleux impliquant d’ex-Indochinois.

    Les "vrais réfugiés"... et les faux

    Entre 1970 et 1990, les chances de se voir reconnaître “réfugié” par l’Ofpra ont fondu plus vite que la banquise : on est passé de 90% à la fin des années 70 à 15% en 1990. Aujourd’hui, ce taux est remonté (de l’ordre de 30% en 2018), mais on continue de lire que c’est le profil des demandeurs d’asile qui aurait muté au point d’expliquer que le taux d’échec explose. Ou que la démarche serait en quelque sorte détournée par de “faux demandeurs d’asile”, assez habiles pour instrumentaliser les rouages de l’Ofpra en espérant passer entre les gouttes… au détriment de “vrais réfugiés” qu’on continue de penser comme tels. Karen Akoka montre qu’en réalité, c’est plutôt la manière dont on instruit ces demandes en les plaçant sous l’égide de politiques migratoires plus restrictives, mais aussi l’histoire propre de ceux qui les instruisent, qui expliquent bien plus efficacement cette chute. Entre 1950 et 1980 par exemple, nombre d’officiers instructeurs étaient issus des mêmes pays que les requérants. C’était l’époque où l’Ofpra faisait davantage figure de “consulat des pays disparus”, et où, par leur trajectoire personnelle, les instructeurs se trouvaient être eux-mêmes des réfugiés, ou les enfants de réfugiés. Aujourd’hui ce sont massivement des agents français, fonctionnaires, qui traitent les dossiers à une époque où l’on ne subordonne plus les choix au Rideau de fer, mais plutôt sous la houlette d’une politique migratoire et de ce qui a sédimenté dans les politiques publiques comme “le problème islamiste”.

    Rassemblé ici au pas de course mais très dense, le travail de Karen Akoka est un exemple vibrant de la façon dont l’histoire, et donc une approche pluridisciplinaire qui fait la part belle aux archives et à une enquête d’histoire orale, enrichit dans toute son épaisseur un travail entamé comme sociologue. Du fait de la trajectoire de l’autrice, il est aussi un exemple lumineux de tout ce que peut apporter une démarche réflexive. Ca vaut pour la façon dont on choisit un mot plutôt qu’un autre. Mais ça vaut aussi pour la manière dont on peut déconstruire des façons de penser, ou des habitudes sur son lieu de travail, par exemple. En effet, avant de soutenir sa thèse en 2012, Karen Akoka a travaillé durant cinq ans pour le HCR, le Haut commissariat aux réfugiés des Nations-Unies. On comprend très bien, à la lire, combien elle a pu d’abord croire, et même nourrir, certaines fausses évidences. Jusqu’à être “mal à l’aise” avec ces images et ces chimères qu’elle entretenait, depuis son travail - qui, en fait, consistait à “fabriquer des réfugiés”. Pour en éliminer d’autres.

    https://www.franceculture.fr/societe/refugies-migrants-exiles-ou-demandeur-dasile-a-chaque-mot-sa-fiction-e

    #asile #migrations #réfugiés #catégorisation #catégories #mots #terminologie #vocabulaire #Ofpra #France #histoire #légitimité #migrants_économiques #réfugié_désirable #déshumanisation #Convention_de_Genève #politisation #réfugié_militant #Indochine #boat_people #bon_réfugié #Vietnam #militants #imaginaire #discours #persécution #persécution_politique #preuves #guerre_froide #immigration #fraudes #abus #Zaïre #filières_zaïroises #Mobutu #vrais_réfugiés #faux_réfugiés #procédure_d'asile #consulat_des_pays_disparus #politique_migratoire
    #Karen_Akoka
    ping @isskein @karine4 @sinehebdo @_kg_

    • ...même jour que l’envoi de ce post on a discuté en cours Licence Géo le séjour d’Ahmed publié en forme de carte par Karen Akoka dans l’atlas migreurop - hasard ! Et à la fin de son exposé un étudiant proposait par rapport aux catégories : Wie wäre es mit « Mensch » ? L’exemple du campement à Paris - des pistes ici pour approfondir !

    • Ce qui fait un réfugié

      Il y aurait d’un côté des réfugiés et de l’autre des migrants économiques. La réalité des migrations s’avère autrement complexe souligne la politiste #Karen_Akoka qui examine en détail comment ces catégories sont historiquement, socialement et politiquement construites.

      L’asile est une notion juridique précieuse. Depuis le milieu du XXe siècle, elle permet, à certaines conditions, de protéger des individus qui fuient leur pays d’origine en les qualifiant de réfugiés. Mais l’asile est aussi, à certains égards, une notion dangereuse, qui permet paradoxalement de justifier le fait de ne pas accueillir d’autres individus, les rejetant vers un autre statut, celui de migrant économique. L’asile devenant alors ce qui permet la mise en œuvre d’une politique migratoire de fermeture. Mais comment faire la différence entre un réfugié et un migrant économique ? La seule manière d’y prétendre consiste à s’intéresser non pas aux caractéristiques des personnes, qu’elles soient rangées dans la catégorie de réfugié ou de migrant, mais bien plutôt au travail qui consiste à les ranger dans l’une ou l’autre de ces deux catégories. C’est le grand mérite de « #L’Asile_et_l’exil », le livre important de Karen Akoka que de proposer ce renversement de perspective. Elle est cette semaine l’invitée de La Suite dans Les Idées.

      Et c’est la metteuse en scène Judith Depaule qui nous rejoint en seconde partie, pour évoquer « Je passe » un spectacle qui aborde le sujet des migrations mais aussi pour présenter l’Atelier des artistes en exil, qu’elle dirige.

      https://www.franceculture.fr/emissions/la-suite-dans-les-idees/ce-qui-fait-un-refugie

      #livre #catégorisation #catégories #distinction #hiérarchisation #histoire #ofpra #tri #subordination_politique #politique_étrangère #guerre_froide #politique_migratoire #diplomatie

    • La fabrique du demandeur d’asile

      « Il y a les réfugiés politiques, et c’est l’honneur de la France que de respecter le droit d’asile : toutes les communes de France en prennent leur part. Il y a enfin ceux qui sont entrés illégalement sur le territoire : ceux-là ne sont pas des réfugiés, mais des clandestins qui doivent retourner dans leur pays », disait déjà Gerald Darmanin en 2015. Mais pourquoi risquer de mourir de faim serait-il moins grave que risquer de mourir en prison ? Pourquoi serait-il moins « politique » d’être victime de programmes d’ajustement structurels que d’être victime de censure ?

      Dans son livre L’asile et l’exil, une histoire de la distinction réfugiés migrants (La découverte, 2020), Karen Akoka revient sur la construction très idéologique de cette hiérarchisation, qui est liée à la définition du réfugié telle qu’elle a été décidée lors de la Convention de Genève de 1951, à l’issue d’âpres négociations.

      Cette dichotomie réfugié politique/migrant économique paraît d’autant plus artificielle que, jusqu’aux années 1970, il suffisait d’être russe, hongrois, tchécoslovaque – et un peu plus tard de venir d’Asie du Sud-Est, du Cambodge, du Laos ou du Vietnam – pour décrocher le statut de réfugié, l’objectif premier de la France étant de discréditer les régimes communistes. Nul besoin, à l’époque, de montrer qu’on avait été individuellement persécuté ni de nier la dimension économique de l’exil.

      Aujourd’hui, la vaste majorité des demandes d’asile sont rejetées. Qu’est ce qui a changé dans les années 1980 ? D’où sort l’obsession actuelle des agents de l’OFPRA (l’Office français de protection des réfugiés et apatrides) pour la fraude et les « faux » demandeurs d’asile ?

      Plutôt que de sonder en vain les identités et les trajectoires des « demandeurs d’asile » à la recherche d’une introuvable essence de migrant ou de réfugié, Karen Akoka déplace le regard vers « l’offre » d’asile. Avec la conviction que les étiquettes en disent moins sur les exilés que sur ceux qui les décernent.

      https://www.youtube.com/watch?v=bvcc0v7h2_w&feature=emb_logo

      https://www.hors-serie.net/Aux-Ressources/2020-12-19/La-fabrique-du-demandeur-d-asile-id426

    • « Il n’est pas possible d’avoir un système d’asile juste sans politique d’immigration ouverte »

      La chercheuse Karen Akoka a retracé l’histoire du droit d’asile en France. Elle montre que l’attribution de ce statut a toujours reposé sur des intérêts politiques et diplomatiques. Et que la distinction entre les « vrais » et les « faux » réfugiés est donc discutable.

      Qui étaient les personnes qui ont été violemment évacuées du camp de la place de la République, il y a quatre semaines ? Ceux qui les aident et les défendent utilisent le mot « exilés », pour décrire une condition qui transcende les statuts administratifs : que l’on soit demandeur d’asile, sans-papiers, ou sous le coup d’une obligation de quitter le territoire français, les difficultés restent sensiblement les mêmes. D’autres préfèrent le mot « illégaux », utilisé pour distinguer ces étrangers venus pour des raisons économiques du seul groupe que la France aurait la volonté et les moyens d’accueillir : les réfugiés protégés par le droit d’asile. Accordé par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra) depuis 1952, ce statut permet aujourd’hui de travailler et de vivre en France à celles et ceux qui peuvent prouver une persécution ou une menace dans leur pays d’origine. Pour les autres, le retour s’impose. Mais qui décide de l’attribution du statut, et selon quels critères ?

      Pour le savoir, Karen Akoka a retracé l’histoire de l’Ofpra. Dressant une galerie de portraits des membres de l’institution, retraçant le regard porté sur les Espagnols, les Yougoslaves, les boat-people ou encore les Zaïrois, elle montre dans l’Asile et l’Exil (La Découverte) que l’asile a toujours été accordé en fonction de considérations politiques et diplomatiques. Elle remet ainsi en cause l’idée que les réfugiés seraient « objectivement » différents des autres exilés, et seuls légitimes à être dignement accueillis. De quoi prendre conscience (s’il en était encore besoin) qu’une autre politique d’accueil est possible.
      Comment interprétez-vous les images de l’évacuation du camp de la place de la République ?

      Quand on ne connaît pas la situation des personnes exilées en France, cela peut confirmer l’idée que nous serions en situation de saturation. Il y aurait trop de migrants, la preuve, ils sont dans la rue. Ce n’est pas vrai : si ces personnes sont dans cette situation, c’est à cause de choix politiques qui empêchent toute forme d’intégration au tissu social. Depuis les années 90, on ne peut plus légalement travailler quand on est demandeur d’asile. On est donc dépendant de l’aide publique. Avec le règlement européen de Dublin, on ne peut demander l’asile que dans le premier pays de l’Union européenne dans lequel on s’enregistre. Tout cela produit des illégaux, qui se trouvent par ailleurs enfermés dans des statuts divers et complexes. Place de la République, il y avait à la fois des demandeurs d’asile, des déboutés du droit d’asile, des « dublinés », etc.
      Y a-t-il encore des groupes ou des nationalités qui incarnent la figure du « bon réfugié » ?

      Aujourd’hui, il n’y a pas de figure archétypale du bon réfugié au même titre que le dissident soviétique des années 50-60 ou le boat-people des années 80. Il y a tout de même une hiérarchie des nationalités qui fait que les Syriens sont perçus le plus positivement. Mais avec une différence majeure : alors qu’on acheminait en France les boat-people, les Syriens (comme beaucoup d’autres) doivent traverser des mers, franchir des murs… On fait tout pour les empêcher d’arriver, et une fois qu’ils sont sur place, on les reconnaît à 90 %. Il y a là quelque chose de particulièrement cynique.
      Vos travaux reviennent à la création de l’Ofpra en 1952. Pourquoi avoir repris cette histoire déjà lointaine ?

      Jusqu’aux années 80, l’Ofpra accordait le statut de réfugié à 80 % des demandeurs. Depuis les années 90, environ 20 % l’obtiennent. Cette inversion du pourcentage peut amener à la conclusion qu’entre les années 50 et 80, les demandeurs d’asile étaient tous de « vrais » réfugiés, et que depuis, ce sont majoritairement des « faux ». Il était donc important d’étudier cette période, parce qu’elle détermine notre perception actuelle selon laquelle l’asile aurait été dénaturé. Or il apparaît que cette catégorie de réfugié a sans cesse été mobilisée en fonction de considérations diplomatiques et politiques.

      La question de l’asile n’a jamais été neutre. En contexte de guerre froide, le statut de réfugié est attribué presque automatiquement aux personnes fuyant des régimes communistes que l’on cherche à décrédibiliser. Lorsqu’on est russe, hongrois ou roumain, ou plus tard vietnamien, cambodgien ou laotien, on est automatiquement reconnu réfugié sans qu’il soit nécessaire de prouver que l’on risque d’être persécuté ou de cacher ses motivations économiques. Ce qui apparaît comme de la générosité est un calcul politique et diplomatique. Les 80 % d’accords de l’époque sont autant pétris de considérations politiques que les 80 % de rejets aujourd’hui.
      Ces considérations conduisent alors à rejeter les demandes émanant de certaines nationalités, même dans le cas de régimes communistes et/ou autoritaires.

      Il y a en effet d’importantes différences de traitement, qui s’expliquent principalement par l’état des relations diplomatiques. La France est réticente à accorder l’asile aux Yougoslaves ou aux Portugais, car les relations avec Tito ou Salazar sont bonnes. Il n’y a d’ailleurs même pas de section portugaise à l’Ofpra ! Mais au lieu de les rejeter massivement, on les dirige vers les procédures d’immigration. La France passe des accords de main- d’œuvre avec Belgrade, qui permettent d’orienter les Yougoslaves vers la régularisation par le travail et de faire baisser le nombre de demandeurs d’asile.

      Grâce aux politiques d’immigration ouvertes on pouvait donc diriger vers la régularisation par le travail les nationalités rendues « indésirables » en tant que réfugiés en raison des relations diplomatiques. On pouvait prendre en compte les questions de politique étrangère, sans que cela ne nuise aux exilés. Aujourd’hui, on ne peut plus procéder comme cela, puisque la régularisation par le travail a été bloquée. Les rejets ont donc augmenté et la question du « vrai-faux » est devenu le paradigme dominant. Comme il faut bien justifier les rejets, on déplace la cause des refus sur les demandeurs en disséquant de plus en plus les biographies pour scruter si elles correspondent ou non à la fiction d’une identité de réfugié supposée neutre et objective.

      Cela montre qu’il n’est pas possible d’avoir un système d’asile juste sans politique d’immigration ouverte, d’abord parce que les catégories de réfugiés et de migrants sont poreuses et ne reflètent qu’imparfaitement la complexité des parcours migratoires, ensuite parce qu’elles sont largement façonnées par des considérations politiques.
      Vous identifiez les années 80 comme le moment où change la politique d’asile. Comment se déroule cette évolution ?

      Les changements de cette période sont liés à trois grands facteurs : la construction de l’immigration comme un problème qui arrime la politique d’asile à l’impératif de réduction des flux migratoires ; la fin de la guerre froide qui diminue l’intérêt politique à l’attribution du statut ; et la construction d’une crise de l’Etat social, dépeint comme trop dépensier et inefficace, ce qui justifie l’austérité budgétaire et la rigueur juridique dans les institutions en charge des étrangers (et plus généralement des pauvres). L’Ofpra va alors passer d’un régime des réfugiés, marqué par un fort taux d’attribution du statut, des critères souples, une activité tournée vers l’accompagnement des réfugiés en vue de leur intégration, à un régime des demandeurs d’asile orienté vers une sélection stricte et la production de rejets qui s’appuient sur des exigences nouvelles. Désormais, les demandeurs doivent montrer qu’ils risquent d’être individuellement persécutés, que leurs motivations sont purement politiques et sans aucune considération économique. Ils doivent aussi fournir toujours plus de preuves.
      Dans les années 80, ce n’était pas le cas ?

      La particularité de la décennie 80 est qu’elle voit coexister ces deux régimes, en fonction des nationalités. Les boat-people du Laos, du Cambodge et du Vietnam reçoivent automatiquement le statut de réfugié sur la seule base de leur nationalité. Et pour cause, non seulement on retrouve les questions de guerre froide, mais s’ajoutent des enjeux postcoloniaux : il faut que la figure de l’oppresseur soit incarnée par les anciens colonisés et non plus par la France. Et n’oublions pas les besoins de main- d’œuvre, toujours forts malgré les restrictions de l’immigration de travail mises en place dès les années 70. L’arrivée de ces travailleurs potentiels apparaît comme une opportunité, d’autant qu’on les présume dociles par stéréotype. Au même moment, les Zaïrois, qui fuient le régime du général Mobutu, sont massivement rejetés.
      Pourquoi ?

      Après les indépendances, la France s’efforce de maintenir une influence forte en Afrique, notamment au Zaïre car c’est un pays francophone où la France ne porte pas la responsabilité de la colonisation. C’est également un pays riche en matières premières, qui fait figure de rempart face aux Etats communistes qui l’entourent. Les Zaïrois qui demandent l’asile doivent donc montrer qu’ils sont individuellement recherchés, là où prévalait auparavant une gestion par nationalité. L’Ofpra surmédiatise les fraudes des Zaïrois, alors qu’il étouffe celles des boat-people. On a donc au même moment deux figures absolument inversées. Dans les années 90, la gestion de l’asile bascule pour tous dans le système appliqué aux Zaïrois. Cette rigidification entraîne une augmentation des fraudes, qui justifie une nouvelle surenchère d’exigences et de contrôles dans un cercle vicieux qui perdure jusqu’aujourd’hui.
      Il faut ajouter le fait que l’Ofpra devient un laboratoire des logiques de management.

      L’Ofpra est longtemps resté une institution faible. Il était peu considéré par les pouvoirs publics, en particulier par sa tutelle, les Affaires étrangères, et dirigé par les diplomates les plus relégués de ce ministère. Au début des années 90, avec la construction de l’asile comme « problème », des sommes importantes sont injectées dans l’Ofpra qui s’ennoblit mais sert en retour de lieu d’expérimentation des stratégies de management issues du secteur privé. Les agents sont soumis à des exigences de productivité, de standardisation, et à la segmentation de leur travail. On leur demande notamment de prendre un certain nombre de décisions par jour (deux à trois aujourd’hui), faute de quoi ils sont sanctionnés.

      Cette exigence de rapidité s’accompagne de l’injonction à justifier longuement les décisions positives, tandis qu’auparavant c’était davantage les rejets qui devaient être motivés. Cette organisation productiviste est un facteur d’explication du nombre grandissant de rejets. La division du travail produit une dilution du sentiment de responsabilité qui facilite cette production des rejets. Ce n’est pas que les agents de l’Ofpra fassent mal leur travail. Mais les techniques managériales influent sur leurs pratiques et elles contribuent aux 80 % de refus actuels.
      Quelle est l’influence de la question religieuse sur l’asile ?

      Pour aborder cette question, je suis partie d’un constat : depuis la fin des années 90, un nouveau groupe, composé de femmes potentiellement victimes d’excision ou de mariage forcé et de personnes homosexuelles, a accès au statut de réfugié. Comment expliquer cette ouverture à un moment où la politique menée est de plus en plus restrictive ? On pense bien sûr au changement des « mentalités », mais cette idée, si elle est vraie, me semble insuffisante. Mon hypothèse est que c’est aussi parce que nous sommes passés du problème communiste au problème islamiste comme soubassement idéologique de l’attribution du statut. Par ces nouvelles modalités d’inclusion se rejoue la dichotomie entre un Occident tolérant, ouvert, et un Sud global homophobe, masculiniste, sexiste.

      Cette dichotomie a été réactualisée avec le 11 septembre 2001, qui a donné un succès aux thèses sur le choc des civilisations. On retrouve cette vision binaire dans la façon dont on se représente les guerres en Afrique. Ce seraient des conflits ethniques, flous, irrationnels, où tout le monde tire sur tout le monde, par opposition aux conflits politiques de la guerre froide. Cette mise en opposition permet de sous-tendre l’idée selon laquelle il y avait bien par le passé de vrais réfugiés qui arrivaient de pays avec des problèmes clairs, ce qui ne serait plus le cas aujourd’hui. Cette vision culturaliste des conflits africains permet également de dépolitiser les mouvements migratoires auxquels ils donnent lieu, et donc de délégitimer les demandes d’asile.

      https://www.liberation.fr/debats/2020/12/20/il-n-est-pas-possible-d-avoir-un-systeme-d-asile-juste-sans-politique-d-i

    • Le tri aux frontières

      En retraçant l’histoire de l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides, Karen Akoka montre que l’accueil des migrants en France relève d’une distinction non assumée entre « bons » réfugiés politiques et « mauvais » migrants économiques.
      « Pourquoi serait-il plus légitime de fuir des persécutions individuelles que des violences collectives ? Pourquoi serait-il plus grave de mourir en prison que de mourir de faim ? Pourquoi l’absence de perspectives socio-économiques serait-elle moins problématique que l’absence de liberté politique ? »

      (p. 324)

      Karen Akoka, maîtresse de conférences en sciences politique à l’Université Paris Nanterre et associée à l’Institut des sciences sociales du politique, pose dans cet ouvrage des questions essentielles sur les fondements moraux de notre société, à la lumière du traitement réservé aux étrangers demandant une forme de protection sur le territoire français. Les institutions publiques concernées – principalement le ministère des Affaires Étrangères, l’ Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), le ministère de l’Intérieur – attribuent depuis toujours aux requérants un degré variable de légitimité : ce dernier, longtemps lié à la nationalité d’origine, s’incarne en des catégories (réfugié, boat people, demandeur d’asile, migrant…) qui sont censées les distinguer et les classer, et dont le sens, les usages, et les effets en termes d’accès aux droits évoluent dans le temps. Cet ouvrage a le grand mérite de dévoiler les processus organisationnels, les rapports de force, les intérêts politiques, et les principes moraux qui sous-tendent ces évolutions de sens et d’usage des catégories de l’asile.

      Ce dévoilement procède d’une entreprise socio-historique autour de la naissance et du fonctionnement de l’Ofpra, entre les années 1950 et les années 2010, et notamment des pratiques de ses agents. Dans une approche résolument constructiviste, la figure du « réfugié » (et en creux de celui qui n’est pas considéré « réfugié ») émerge comme étant le produit d’un étiquetage dont sont responsables, certes, les institutions, mais qui est finalement délégué aux agents chargés de la mise en œuvre des règles et orientations politiques.

      Comment est-on passé d’une reconnaissance presque automatique du statut de réfugié pour des communautés entières de Russes, Géorgiens, Hongrois dans les années 1960 et 1970, à des taux de rejets très élevés à partir des années 1990 ? À quel moment et pourquoi la preuve d’un risque individuel (et non plus d’une persécution collective) est devenue un requis ? À rebours d’une explication qui suggérerait un changement de profil des requérants, l’auteure nous invite à rentrer dans les rouages de la fabrique du « réfugié » et de ses alter ego : le « demandeur d’asile » et le « migrant économique ». Pour comprendre à quoi cela tient, elle se penche sur le travail des agents qui sont appelés à les ranger dans une de ces multiples catégories, et sur les éléments (moraux, organisationnels, économiques, et politiques) qui influencent leurs arbitrages.
      Un voyage dans le temps au sein de l’OFPRA

      En s’appuyant à la fois sur les archives ouvertes et sur de nombreux entretiens, son livre propose un éclairage sur l’évolution des décisions prises au sein de l’Ofpra, au plus près des profils et des expériences des hommes et femmes à qui cette responsabilité a été déléguée : les agents.

      Karen Akoka propose une reconstruction chronologique des événements et des logiques qui ont régi l’octroi de l’asile en France à partir de l’entre-deux-guerres (chapitre 1), en s’attardant sur la « fausse rupture » que représente la création de l’Ofpra en 1952, à la suite de la ratification de la Convention de Genève (chapitre 2). Elle montre en effet que, loin de représenter un réel changement avec le passé, la protection des réfugiés après la naissance de cette institution continue d’être un enjeu diplomatique et de politique étrangère pendant plusieurs décennies.

      Les chapitres suivants s’attachent à montrer, de façon documentée et parfois à rebours d’une littérature scientifique jusque-là peu discutée (voir Gérard Noiriel, Réfugiés et sans-papiers, Paris, Hachette, 1998), que la création de l’Ofpra n’est pas exemplaire d’un contrôle « purement français » de l’asile : le profil des agents de l’Ofpra compte, et se révèle déterminant pour la compréhension de l’évolution des pourcentages de refus et d’acceptation des demandes. En effet, entre 1952 et la fin des années 1970, des réfugiés et des enfants de réfugiés occupent largement la place d’instructeurs de demandes de leurs compatriotes, dans une période de guerre froide où les ressortissants russes, géorgiens, hongrois sont reconnus comme réfugiés sur la simple base de leur nationalité. Les contre-exemples sont heuristiques et ils montrent les intérêts français en politique étrangère : les Yougoslaves, considérés comme étant des ressortissants d’un régime qui s’était désolidarisé de l’URSS, et les Portugais, dont le président Salazar entretenait d’excellents rapports diplomatiques avec la France, étaient pour la plupart déboutés de leur demande ; y répondre positivement aurait été considéré comme un « acte inamical » vis-à-vis de leurs dirigeants.

      Les années 1980 sont une décennie de transition, pendant laquelle on passe d’un « régime des réfugiés » à un « régime des demandeurs d’asile », où la recherche d’une crainte individuelle de persécution émerge dans les pratiques des agents. Mais toujours pas vis-à-vis de l’ensemble des requérants : des traitements différenciés continuent d’exister, avec d’évidentes préférences nationales, comme pour les Indochinois ou boat people, et des postures de méfiance pour d’autres ressortissants, tels les Zaïrois. Ce traitement discriminatoire découle encore des profils des agents chargés d’instruire les demandes : ils sont indochinois pour les Indochinois, et français pour les Zaïrois. La rhétorique de la fraude, pourtant bien documentée pour les ressortissants indochinois aussi, est largement mobilisée à charge des requérants africains. Elle occupe une place centrale dans le registre gouvernemental dans les années 1990, afin de légitimer des politiques migratoires visant à réduire les flux.

      L’entrée par le profil sociologique des agents de l’Ofpra et par les changements organisationnels internes à cet organisme est éclairante : la proximité culturelle et linguistique avec les publics n’est plus valorisée ; on recherche des agents neutres, distanciés. À partir des années 1990, l’institution fait évoluer les procédures d’instruction des demandes de façon à segmenter les compétences des agents, à déléguer aux experts (juristes et documentaristes), à réduire le contact avec les requérants ; l’organisation introduit progressivement des primes au rendement selon le nombre de dossiers traités, et des sanctions en cas de non remplissage des objectifs ; des modalités informelles de stigmatisation touchent les agents qui accordent trop de statuts de réfugié ; le recrutement d’agents contractuels permet aux cadres de l’Ofpra d’orienter davantage leur façon de travailler. Il apparaît alors qu’agir sur le profil des recrutés et sur leurs conditions de travail est une manière de les « contrôler sans contrôle officiel ».

      L’approche socio-historique, faisant place à différents types de données tels les mémoires, le dépouillement d’archives, et les entretiens, a l’avantage de décrire finement les continuités et les ruptures macro, et de les faire résonner avec les expériences plus micro des agents dans un temps long. Aussi, l’auteure montre que leurs marges de manœuvre sont largement influencées par, d’un côté, les équilibres politiques internationaux, et de l’autre, par l’impact du new public management sur cette organisation.

      Le retour réflexif de l’auteure sur sa propre expérience au sein du HCR, où elle a travaillé entre 1999 et 2004, est aussi le gage d’une enquête où le sens accordé par les interlocuteurs à leurs pratiques est pris au sérieux, sans pour autant qu’elles fassent l’objet d’un jugement moral. Les dilemmes moraux qui parfois traversent les choix et les hésitations des enquêté.e.s éclairent le continuum qui existe entre l’adhésion et la résistance à l’institution. Mobiliser à la fois des extraits d’entretiens de « résistants » et d’« adhérents », restituer la puissance des coûts de la dissidence en termes de réputation auprès des collègues, faire de la place aux bruits de couloirs : voilà les ingrédients d’une enquête socio-historique se rapprochant de la démarche ethnographique.
      Pour en finir avec la dichotomie réfugié/migrant et la morale du vrai/faux

      Une des contributions essentielles de l’ouvrage consiste à déconstruire l’édifice moral de l’asile, jusqu’à faire émerger les paradoxes de l’argument qui consisterait à dire que protéger l’asile aujourd’hui implique de lutter contre les fraudeurs et de limiter l’attribution du statut aux plus méritants. Karen Akoka aborde au fond des enjeux politiques cruciaux pour notre société, en nous obligeant, si encore il en était besoin, à questionner la légitimité de distinctions (entre réfugié et migrant) qui ne sont pas sociologiquement fondées, mais qui servent en revanche des intérêts et des logiques politiques des plus dangereuses, que ce soit pour maquiller d’humanitarisme la volonté cynique de davantage sélectionner les candidats à l’immigration, ou pour affirmer des objectifs populistes et/ou xénophobes de réduction des entrées d’étrangers sur le territoire sous prétexte d’une prétendue trop grande diversité culturelle ou encore d’une faible rentabilité économique.

      Ce livre est une prise de position salutaire contre la rhétorique des « vrais et faux réfugiés », contre la posture de « autrefois c’était différent » (p. 27), et invite à arrêter de porter un regard moralisateur sur les mensonges éventuels des demandeurs : ces mensonges sont la conséquence du rétrécissement des cases de la protection, de la surenchère des horreurs exigées pour avoir une chance de l’obtenir, de la réduction des recours suspensifs à l’éloignement du territoire en cas de refus de l’Ofpra… La portée politique d’une sociohistoire critique des étiquetages est en ce sens évidente, et l’épilogue de Karen Akoka monte en généralité en mettant en perspective la dichotomie réfugié/migrant avec d’autres populations faisant l’objet de tri : le parallèle avec les pauvres et les guichetiers étudiés par Vincent Dubois (La vie au guichet. Relation administrative et traitement de la misère, Paris, Economica, 2003) permet de décloisonner le cas des étrangers pour montrer comment le système justifie la (non)protection des (in)désirables en la présentant comme nécessaire ou inévitable.

      https://www.icmigrations.cnrs.fr/2021/05/25/defacto-026-08

    • Karen Akoka : « Le statut de réfugié en dit plus sur ceux qui l’attribuent que sur ceux qu’il désigne »

      Alors que l’accueil d’exilés afghans divise les pays de l’Union européenne, l’interprétation par la France du droit d’asile n’a pas toujours été aussi restrictive qu’aujourd’hui, explique, dans un entretien au « Monde », la sociologue spécialiste des questions migratoires.

      (#paywall)

      https://www.lemonde.fr/international/article/2021/08/30/karen-akoka-le-statut-de-refugie-en-dit-plus-sur-ceux-qui-l-attribuent-que-s

  • « Le Ministère de l’Intérieur, par l’intermédiaire du site permettant la génération d’attestations de déplacement dérogatoire COVID-19, est en mesure d’assurer un pistage nominatif des citoyens, en usant de procédés comparables à ceux qu’emploient les régies publicitaires et d’autres spécifiques aux services de renseignement. »

    https://www.broken-by-design.fr/posts/attestation-covid-19

    L’article intéressera les développeureuses Web car il est très bien expliqué. Leçon : il n’y a pas que les cookies pour pister.

    #vie_privée #TousAntiCovid #pistage_Web #SOP #localStorage

  • Perché l’università delle piattaforme è la fine dell’università

    Un gruppo di docenti di alcune università italiane ha scritto una lettera aperta sulle conseguenze dell’uso di piattaforme digitali proprietarie nella didattica a distanza. Auspichiamo che si apra al più presto una discussione sul futuro dell’educazione e che gli investimenti di cui si discute in queste settimane vengano utilizzati per la creazione di un’infrastruttura digitale pubblica per scuole e università.

    Care colleghe e cari colleghi, care studentesse e cari studenti,

    come certamente sapete, le scuole e le università italiane, da quando è iniziata l’emergenza COVID, per ragioni inizialmente comprensibili, si sono affidate per la gestione della didattica a distanza (esami inclusi) a piattaforme e strumenti proprietari, appartenenti, perlopiù, alla galassia cosiddetta “GAFAM” (Google, Apple, Facebook, Microsoft e Amazon: https://gafam.info). Esistono poche eccezioni, come il Politecnico di Torino, che ha adottato soluzioni non-proprietarie (https://www.coronavirus.polito.it/didattica_online/supporto_tecnico_alla_didattica_online/linee_guida_e_vademecum_tecnici) e autoprodotte. Tuttavia, il 16 luglio 2020 la Corte di Giustizia Europea ha emanato una sentenza (https://www.garanteprivacy.it/documents/10160/0/FAQ+dell%27EDPB+sulla+sentenza+della+Corte+di+giustizia+dell%27Unione+europea+nella+causa+C-311_18.pdf/d2f928b2-ab57-ae7c-8f17-390664610d2c?version=3.0) molto importante, dove, in sintesi, si afferma che le imprese statunitensi non garantiscono la privacy degli utenti secondo il regolamento europeo sulla protezioni dei dati, conosciuto come #GDPR (#General_Data_Protection_Regulation: https://gdpr.eu/what-is-gdpr). Dunque allo stato tutti i trasferimenti di dati da UE a Stati Uniti devono essere considerati non conformi alla direttiva europea e perciò illegittimi.

    Sul tema è in corso un dibattito a livello comunitario e il Garante Europeo ha esplicitamente invitato “istituzioni, uffici, agenzie e organi dell’Unione europea a evitare trasferimenti di dati personali verso gli Stati Uniti per nuove operazioni di trattamento o in caso di nuovi contratti con fornitori di servizi” (https://www.key4biz.it/il-garante-privacy-europeo-non-usare-i-cloud-provider-usa-conformarsi-alla-sentenza-schrems-ii/328472). Mentre il garante irlandese ha direttamente vietato (https://www.politico.eu/article/facebook-privacy-data-us) i trasferimenti dei dati degli utenti Facebook verso gli Stati Uniti. Alcuni studi (http://copyrightblog.kluweriplaw.com/2020/06/04/emergency-remote-teaching-a-study-of-copyright-and-data-p) infine sottolineano come la maggioranza della piattaforme commerciali usate durante la “didattica emergenziale” (in primis G-Suite: https://www.agendadigitale.eu/scuola-digitale/liberiamo-la-scuola-dai-servizi-cloud-usa-lettera-aperta-ai-presidi) pongano seri problemi legali e documentano una “sistematica violazione dei principi di trasparenza.”

    In questa difficile situazione, varie organizzazioni, tra cui (come diremo sotto) alcuni docenti universitari, stanno cercando di sensibilizzare scuole e università italiane ad adeguarsi alla sentenza, nell’interesse non solo di docenti e studenti, che hanno il diritto di studiare, insegnare e discutere senza essere sorvegliati (https://www.vox.com/recode/2020/5/4/21241062/schools-cheating-proctorio-artificial-intelligence), profilati e schedati, ma delle istituzioni stesse. I rischi legati a una didattica appaltata a multinazionali che fanno dei nostri dati ciò che vogliono non sono, infatti, solo economici e culturali, ma anche legali: chiunque, in questa situazione, potrebbe sporgere reclamo al garante della privacy a danno dell’istituzione in cui ci troviamo a lavorare.

    La questione va però al di là del diritto alla privatezza nostra e dei nostri studenti. Nella rinnovata emergenza COVID sappiamo che vi sono enormi interessi economici (https://www.roars.it/online/dematerializzazioni-algoritmi-e-profitti) in ballo e che le piattaforme digitali, che in questi mesi hanno moltiplicato i loro fatturati (si veda lo studio (https://www.mbres.it/sites/default/files/resources/rs_WebSoft2020_presentazione.pdf) pubblicato a ottobre da Mediobanca), hanno la forza e il potere per plasmare il futuro dell’educazione in tutto il mondo. Un esempio è quello che sta accadendo nella scuola con il progetto nazionale “#Smart_Class” (https://www.istruzione.it/pon), finanziato con fondi UE dal Ministero dell’Istruzione. Si tratta di un pacchetto preconfezionato di “didattica integrata” (https://www.youtube.com/watch?v=vPPhUL8MIPs&feature=youtu.be

    ) dove i contenuti (di tutte le materie) li mette Pearson, il software Google e l’hardware è Acer-Chrome Book. (Per inciso, Pearson è il secondo editore al mondo (https://www.publishersweekly.com/binary-data/Global502019.pdf), con un fatturato di oltre 4 miliardi e mezzo di euro nel 2018.) E per le scuole che aderiscono non è possibile acquistare altri prodotti…

    Infine, sebbene possa apparirci fantascienza, oltre a stabilizzare la teledidattica proprietaria (https://www.roars.it/online/teledidattica-proprietaria-e-privata-o-libera-e-pubblica) come “offerta”, si parla già (https://www.forbes.com/sites/forbestechcouncil/2020/06/08/artificial-intelligence-in-education-transformation) di intelligenze artificiali che “affiancheranno” i docenti nel loro lavoro.

    Per tutte queste ragioni un gruppo di docenti di varie università italiane ha deciso di reagire.

    La loro e nostra iniziativa non è al momento finalizzata a presentare un reclamo immediato al garante, ma ad evitarlo, permettendo a docenti e studenti di creare spazi di discussione e indurre a rettificare scelte che coinvolgono la loro libertà d’insegnamento e il loro diritto allo studio. Solo se la risposta istituzionale sarà insufficiente o assente, ricorreremo, come extrema ratio, al reclamo al garante della privacy. In tal caso il primo passo sarà sfruttare la “falla” aperta dalla sentenza della corte UE per spingere il garante italiano a intervenire (invero lo aveva già fatto #Antonello_Soro (https://www.key4biz.it/soro-al-parlamento-infrastruttura-cloud-pubblica-non-piu-eludibile-per-lindipendenza-dai-poteri-privati/311412), ma è rimasto inascoltato). Lo scopo di queste azioni non è certamente quello di “bloccare” le piattaforme che erogano la didattica a distanza e chi le usa, ma spingere il governo a investire finalmente nella creazione di un’infrastruttura pubblica e basata su software libero (https://www.agendadigitale.eu/sicurezza/leuropa-post-privacy-shield-e-lopen-source-la-via-per-uscire-dal-colo) per la comunicazione scientifica e didattica. Esistono vari modelli (vedi quello proposto qui: https://infolet.it/files/2020/11/FACSIMILE-MODULO-DOCENTI-PRIVACY_pdf.pdf) ai quali ispirarsi, per esempio in Francia (http://apps.education.fr), ma anche in Spagna (https://cedec.intef.es/proyecto-edia), ecc. e la stessa UNESCO nel 2019 ha approvato una Raccomandazione (https://en.unesco.org/news/new-unesco-recommendation-will-promote-access-educational-resources-all) per l’uso di risorse e strumenti aperti in ambito educativo.

    Come dicevamo sopra, prima di arrivare al garante nazionale è necessario una tappa preliminare. Ciascuno deve scrivere al responsabile del trattamento dati richiedendo alcune informazioni (qui il fac-simile di modulo per docenti che abbiamo preparato: https://infolet.it/files/2020/11/FACSIMILE-MODULO-DOCENTI-PRIVACY_pdf.pdf). Se non si riceverà risposta entro trenta giorni, o se la risposta è considerata insoddisfacente, si potrà procedere col reclamo al garante nazionale. A quel punto, il discorso cambierà, perché il reclamo al garante potrà essere fatto non solo da singoli, ma da gruppi o associazioni. È importante sottolineare che, anche in questo evitabile scenario, la domanda al responsabile del trattamento dati non può essere assolutamente interpretata come una “protesta” contro il proprio ateneo, ma come un tentativo di renderlo, per tutti e tutte, un ambiente di lavoro e di studi migliore, adeguandosi alle norme europee.

    https://infolet.it/2020/11/10/perche-luniversita-delle-piattaforme-e-la-fine-delluniversita

    #université #enseignement_à_distance #gafa #vie_privée #protection_des_données #business #GAFAM #cour_de_justice_européenne #CJUE #enseignement #ESR #distanciel

    ping @etraces

    • Why basing universities on digital platforms will lead to their demise
      (All links removed. They can be found in the original post – English Translation by Desmond Schmidt)

      A group of professors from Italian universities have written an open letter on the consequences of using proprietary digital platforms in distance learning. They hope that a discussion on the future of education will begin as soon as possible and that the investments discussed in recent weeks will be used to create a public digital infrastructure for schools and universities.

      Dear colleagues and students,

      as you already know, since the COVID-19 emergency began, Italian schools and universities have relied on proprietary platforms and tools for distance learning (including exams), which are mostly produced by the “GAFAM” group of companies (Google, Apple, Facebook, Microsoft and Amazon). There are a few exceptions, such as the Politecnico di Torino, which has adopted instead its own custom-built solutions. However, on July 16, 2020 the European Court of Justice issued a very important ruling, which essentially says that US companies do not guarantee user privacy in accordance with the European General Data Protection Regulation (GDPR). As a result, all data transfers from the EU to the United States must be regarded as non-compliant with this regulation, and are therefore illegal.

      A debate on this issue is currently underway in the EU, and the European Authority has explicitly invited “institutions, offices, agencies and organizations of the European Union to avoid transfers of personal data to the United States for new procedures or when securing new contracts with service providers.” In fact the Irish Authority has explicitly banned the transfer of Facebook user data to the United States. Finally, some studies underline how the majority of commercial platforms used during the “educational emergency” (primarily G-Suite) pose serious legal problems and represent a “systematic violation of the principles of transparency.”

      In this difficult situation, various organizations, including (as stated below) some university professors, are trying to help Italian schools and universities comply with the ruling. They do so in the interests not only of the institutions themselves, but also of teachers and students, who have the right to study, teach and discuss without being surveilled, profiled and catalogued. The inherent risks in outsourcing teaching to multinational companies, who can do as they please with our data, are not only cultural or economic, but also legal: anyone, in this situation, could complain to the privacy authority to the detriment of the institution for which they are working.

      However, the question goes beyond our own right, or that of our students, to privacy. In the renewed COVID emergency we know that there are enormous economic interests at stake, and the digital platforms, which in recent months have increased their turnover (see the study published in October by Mediobanca), now have the power to shape the future of education around the world. An example is what is happening in Italian schools with the national “Smart Class” project, financed with EU funds by the Ministry of Education. This is a package of “integrated teaching” where Pearson contributes the content for all the subjects, Google provides the software, and the hardware is the Acer Chromebook. (Incidentally, Pearson is the second largest publisher in the world, with a turnover of more than 4.5 billion euros in 2018.) And for the schools that join, it is not possible to buy other products.

      Finally, although it may seem like science fiction, in addition to stabilizing proprietary distance learning as an “offer”, there is already talk of using artificial intelligence to “support” teachers in their work.

      For all these reasons, a group of professors from various Italian universities decided to take action. Our initiative is not currently aimed at presenting an immediate complaint to the data protection officer, but at avoiding it, by allowing teachers and students to create spaces for discussion and encourage them to make choices that combine their freedom of teaching with their right to study. Only if the institutional response is insufficient or absent, we will register, as a last resort, a complaint to the national privacy authority. In this case the first step will be to exploit the “flaw” opened by the EU court ruling to push the Italian privacy authority to intervene (indeed, the former President, Antonello Soro, had already done so, but received no response). The purpose of these actions is certainly not to “block” the platforms that provide distance learning and those who use them, but to push the government to finally invest in the creation of a public infrastructure based on free software for scientific communication and teaching (on the model of what is proposed here and
      which is already a reality for example in France, Spain and other European countries).

      As we said above, before appealing to the national authority, a preliminary stage is necessary. Everyone must write to the data protection officer (DPO) requesting some information (attached here is the facsimile of the form for teachers we have prepared). If no response is received within thirty days, or if the response is considered unsatisfactory, we can proceed with the complaint to the national authority. At that point, the conversation will change, because the complaint to the national authority can be made not only by individuals, but also by groups or associations. It is important to emphasize that, even in this avoidable scenario, the question to the data controller is not necessarily a “protest” against the institution, but an attempt to turn it into a better working and study environment for everyone, conforming to European standards.

      https://theoreti.ca/?p=7684

  • More Girls To Parks ! Case Study of Einsiedler Park, Vienna, Milota Sidorova

    Compared to boys, girls in the age of 9-12 years don‘t spend as much time in parks and on playgrounds. And while you may have the memory of boys actively playing football all around, girls are really missing. Girls like to chat and spend the time indoors, some explain. Well, you don‘t feel that quite a sufficient explanation even you, yourself not being a gender studies expert.

    Girls pass through Einsiedler park twice a way. Before and after school. They cross the paths through the park and quickly disappear. The park is located in ethnically diverse Viennese district. The other group of girls we have noticed were girls from families of ethnic background. They come and look up for their younger siblings, this is quite typical situation, explains Claudia Prinz-Brandenburg, landscape architect working for Park Department of Vienna.

    The pilot study consisted of several rounds of workshops with girls within one year‘s time. The results were quite surprising and showed there were no facilities for them, girls had no reason to stop here. So an inventory of the park came. Fenced, encaged basketball playground, benches, greenery and relatively poor lighting. Since there was nothing that would serve young girls, Viennese chose the strategy of quick attraction. Different elements like platforms, interactive game installations, hammocks were placed along main pedestrian roads. These elements grabbed attention of passing kids, girls among them. They stopped them for couple of more minutes. And if they are passing walking and talking and have to spend the time outdoors, why not in the park?

    Fear, which is a feeling hard to define by hard data was one of the results of workshops with the girls. They mentioned fear of probable danger. Widening main pedestrian roads leading through the park, improving lighting conditions – these were the first steps. The central element of the park is the enclosed cage playground which we call ballcage among ourselves.

    We enter the playground. After Claudia draws out the idea of fear, for a moment I see myself being eleven years old starting teenager who would be flirting with boys while playing footbal. I could see standing groups of older boys that I dared not to look at. I could see the only door into the cage and them standing very close, controlling walk-ins and walk-outs. And their comments! Oh! The intensity of a sudden memory suprised me even as a thirty years old woman. It is the the fear from impossibility to exit the enclosed space full of strangers, this is the fear that prevents girls from entering playgrounds. To prevent that a redesign ofpark was prepared by the Park Department of Vienna in cooperation with the Coordination Office for Special Needs of Women. The fence was open from three sides and double layered at sites offering three large ways to exit the playground for safe street. Suddenly you feel it and you can breathe.

    Young girls like to watch the game of the others, for example – boys. It takes a little while before they start to play themselves, they like to chat among themselves. Also you can rarely see a girl coming to the playground alone, usually they come in two or in little groups. Only when they feel confident enough they go and play. The playground space is split into two by low platform that was designed for sitting and observing. After a while it became a real center where girls started to play the music, dance and all kinds of informal, spontaneous activities emerged, says Claudia. Finally we had girls in the park!

    Gender mainstreaming carefully analyzes behavior and needs of girls, reorganizes space and improves its usability. It doesn’t necessarily improve aesthetics, but focus on optimizing functions.

    In Einsiedler park we see two playgrounds out of which one is designed for basketball and football. The other one has no signs, no equipment, nothing. With its zero design it is the space for informal ball games. Had we designed the playground, we would immediately formalize another space for football and basketball, games usually performed by boys. Girls tend to play games using whole body, including singing or chatting, throwing ball.

    The effect is that boys and men usually occupy one side of the playground, while the other is used by girls and mixed groups.

    Einsiedler park serves as a central living room of the district. Since the flats are really small here, people tend to spend quite a lot of time outdoors. To be outdoors is partially a culture, partially a necessity, especially for people of ethnic background and low income. So are sisters taking care of their younger siblings on typical playground for the youngest. Here, however they have no place to talk or play themselves. Park Department designed another playground, game elements just next to the place where their siblings are. They also placed tables and benches into the playground for kids below 6 years of age, so their baby sitters can sit inside while having their own space. Two groups of different needs were combined in one space while keeping open-ended options for both of them.

    I am passing through the park that looks nothing special at the first sight. Neither elements, nor materials look any special, hyped by design or another novelty. Still I find myself quite amazed by this behavioral explanation. Gender mainstreaming carefully analyzes behavior and needs of girls, reorganizes space and improves its usability. It doesn’t necessarily improve aesthetics, but focus on optimizing functions.

    Did you achieve what you set out to do?

    Oh yes, after a year we did an evaluation study and found out that the number of girls present in parks increased. So did the amount of informal activities. Results of this pilot project were summarized into guiding principles adopted by Park Department which have been used in design of any new park since then, sums up her part of the walk Claudia Prinz Brandenburg.

    Achieving the knowledge is a thing of expert nature, to pass on the changes – unfortunately – is something quite different.

    For me everything started when I gave birth to my twins. I had to push a giant double stroller over sidewalks of Vienna. Surely you can imagine how terrible that was – cars, narrow, uneven sidewalks, dark corners when one does not see. I immediately realized that life in city does not give the fair chances to women, especially mothers, says Renate Kaufman, sharp woman of grey eyes that directly find their target. Former teacher got incredible sensitivity towards needs of children and parents. Later on she joined politics and two years ago she concluded her fourteen years long mission on as a Chairwoman of 6th Viennese District that became the pilot district of gender mainstreaming implementation.

    Fourteen years, that is quite a time! I say to myself, I – the citizen of Central European space used to four years long political cycles that bring complete opposition towards urban planning policies of the former establishment. Political discontinuity is not efficient, but rather destructive and in its best it is – tiring. Human life however flows continually, from day to day, from year to year, slowly turning decades. It is full of duties and roles that are happening in a physical space of the city. Back home, politics is perceived as a game of sharks, dominant types discouraging more compassionate types from entering it. And when we think of our urban planning it is still considered rather a technical discipline. Parametric control over indicators of traffic, quotas on areas that are be built or not to built, volumes, heights, areas designed as development areas, all of this gives us false feeling that we are planning our cities rationally, ergo, good. But where in all of this we can find true understanding of everyday human life? Try to go even further and bring the term gender equality into this hard professional environment.

    Some municipalities tuned onto words like participation and sustainable development. We are still, however only starting. Reality of participation turns into overuse of surveys, but not a real understanding of groups representing wide range of users. We are still witnessing unprofessional processes which on the top of that are not properly paid. Awareness however kicks in and urban planners and some municipal representatives start to speak about manuals of public spaces.

    How to design good public space? For whom?

    For people.

    What kind of people?

    Well, here is where I usually don’t get the answer much further. But this is the space, the opener where you can really start to get interested in the layer of gender and gender equality. Gender mainstreaming (balancing opportunities for men and women) was implemented in Vienna in 90ties under the directive of European Union. Here is also where I stop using the passive voice. Gender mainstreaming grew into urban planning by pragmatic and practical work of Eva Kail, urban planner who had her own aha moment in 1991. She organized the exhibition Who Owns the Public Space and became interested in connections among old woman, mother, woman of ethnic background, girl using the city. She studied methodologies of gender mainstreaming in architecture and urban planning being already a norm in Germany. Later on, being an employee of Urban Planning Department of the City of Vienna, she started to lobby for budgets. Budgets for pilot studies of user behaviors, budgets for pilot projects – just like the one in Einsiedler park. During her career she was able to assist in more than 60 pilot projects, covering practical aspects of gender mainstreaming and gender equality in housing, transportation, planning and design of small scale public spaces, just like the ones of large scale.

    If you want to do something for women, do something for pedestrians.

    Results showed us women walk and use public transport more than men. Men are more frequent car drivers. Why? Well, this is connected to life roles and duties. If a woman is a mother or care taker, her way through the city is more complex. Men take cars and go to work and back. Usual. This pattern has not changed even in 2016. So, if you want to do something for women, do something for pedestrians, says Kail.

    If women are the major client in public space, how it should function? Try to look at it through eyes of mothers, girls or elderly women. The differences will come out of quite simple observation. The rest is a question of common sense and measures taken.

    How did you achieve all of this in your neighborhood? I ask Renate Kaufmann, who energetically lead our group through the streets and explain why the sidewalks are lower here, why the light was placed there or why the mirror, at all. She is much more persuasive than the gender expert herself. In politics I love to fight for the right causes, she looks at me and for a long time I have nothing to say...

    http://www.wpsprague.com/research-1/2017/1/6/more-girls-to-parks-case-study-of-einsiedler-park-viennamilota-sidorova

    #genre #femmes #espace_public #géographie #Vienne #parcs #parcs_publics #filles #garçons #enfants #enfance #villes #Autriche #urban_matter

    ping @nepthys

  • École et dispositif de signalement pour risque de « radicalisation » - !S @sociodeter on Thread Reader App
    https://threadreaderapp.com/thread/1325355200484438019.html

    Là où je suis d’accord avec LdC c’est qu’un point de tension majeur se situe dans la question "qui va traiter du « problème » ?". Gestion en interne par l’établissement ou externalisation d’abord au rectorat, puis à la #police et enfin à la #justice.
    Pour répondre à cette question, il faut bien sûr prendre en compte le contexte actuel (#islamophobie, injonction au signalement, délire sécuritaire) mais aussi les évolutions qui touchent directement l’#école depuis des années, notamment cette tendance à l’externalisat° justement.

    Ayant déjà pas mal parlé de l’effet du contexte hier, je vais surtout m’attarder sur ces fameuses évolutions dans le traitement des problèmes de vie scolaire (car c’est bien de ça dont on parle et de rien d’autre : de simples problèmes de #vie_scolaire).

    Unroll available on Thread Reader

    On commence par un extrait d’entretien avec un principal adjoint qui reconnaît que le traitement de certaines situations spécifiques a fortement évolué ces dernières années : opposition entre signalement et gestion en interne.

    #profs #enseignants #école_sécuritaire #école_démissionnaire

  • Vietnam is not pitting economic growth against public health as it fights Covid | Tran Le Thuy | Opinion | The Guardian, 20 Oct 2020
    https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/oct/20/vietnam-covid-economic-growth-public-health-coronavirus

    My country seemed to have all the ingredients for a coronavirus disaster, so what has it done right ?

    On the evening of 7 March 2020, I received an email from the manager of the office building where I work in central Hanoi. It said the father of Nguyen Hong Nhung https://www.nytimes.com/2020/03/11/style/fashion-coronavirus-patient.html, the 17th Covid-19 patient in the country and first in the city, had dined on the third floor of the building the night before. Although he had twice tested negative for the virus, the building managers had reported his presence to the authorities. Seven staff who had been in contact with him were isolated and the building was immediately cleaned with disinfectant spray.

    To date, Vietnam (population: 95 million) has recorded 35 deaths from the novel coronavirus. My office building’s response was typical of the aggressive contact-tracing strategy the country adopted from the beginning of the pandemic. During the first phase, the government managed to cut off all the virus transmission routes promptly and comprehensively. Every infected person was hospitalised. People in contact with them were traced to the fourth layer and isolated. Their homes and neighbourhoods were put under local lockdown and sanitised by the army. The country has effectively been acting as if this were biological warfare.

    Vietnam had all the ingredients for a Covid-19 disaster. It has a 1,300km (800-mile) border with China, with lots of informal trade via secret mountain trails, and an under-developed healthcare system (albeit a well functioning one). So, beyond contact-tracing, why has Vietnam been so good at dealing with the pandemic?

    The central reason is perhaps the way the government has depoliticised the pandemic, treating it purely as a health crisis, allowing for effective governance. There was no political motive for government officials to hide information, as they don’t face being reprimanded if there are positive cases in their authority area that are not due to their mistakes. I haven’t heard about any religious opposition to the government’s strategy either. With the head of Hanoi centre for disease control being arrested https://e.vnexpress.net/news/news/hanoi-cdc-chief-arrested-for-graft-in-coronavirus-test-kit-purchase-408 for suspected corruption in relation to the purchase of testing kits, and small traders getting fines for price-gouging face-masks, the government has also been clear that public health cannot be entangled with commercial interests.

    The second reason is Vietnam knows China well – it learned from the Sars outbreak in 2003 that the Chinese authorities might downplay it. In January, when Wuhan announced the first death, Vietnam tightened its border and airport control of Chinese visitors. This wasn’t an easy decision, given that cross-border trade with China accounts for a significant part of the Vietnamese economy. When the first Covid cases were announced in Vietnam – a father and son from China – it took precautionary measures above and beyond World Health Organization recommendations, including health declaration and temperature screening at every border entry point and stopping flights to and from Wuhan. Preparations for a pandemic were implemented a week before https://blogs.worldbank.org/health/containing-coronavirus-covid-19-lessons-vietnam the outbreak was officially a public health emergency of international concern, and more than a month before WHO declared Covid-19 a pandemic.

    The government also decided to embrace freedom of information on Covid-related matters. Although the Vietnamese media is state-owned, featuring ideological control similar to that of China, they are free to report about the pandemic. When a member of the central theoretical council of the central committee, the brain of the Communist party of Vietnam, contracted the virus on a trip to the UK, and risked infecting the minister of planning and investment who was on the same flight as him, his whereabouts were published http://cand.com.vn/y-te/Benh-nhan-thu-21-nhiem-COVID-19-o-Viet-Nam-ngoi-cung-chuyen-bay-voi-co-gai- for contact tracing. This was another lesson learned from the experience of Sars.

    The motto for the first phase was that if we stay alive, the question of wealth and the economy can come later. Ordinary people did suffer, such as the gig economy workers: whenever I order a Grabcar (a south-east Asian version of Uber) these days, the vehicle that arrives is always newer and more expensive that what I’m used to; as a driver explained, those who used to pick me up in their cheaper cars have had to sell them to stay afloat, leaving only those with deeper pockets left in the market.

    But now the government has shifted its anti-Covid strategy towards the economy. The tactics for the second wave are more sophisticated. Contact tracing is still prompt and aggressive but lockdown and isolation are more selective; international flights have been opened for foreign workers, such as engineers from South Korea’s LG, who are needed to keep the economy functioning.

    For now it looks like Vietnam has seen off the threat of a second wave. There will be challenges ahead – the shops and hotels in the most fancy streets of Hanoi and Ho Chi Minh City remain empty, and South Korea, one of Vietnam’s biggest investors, is pushing for it to shorten the time for compulsory isolation for foreign workers. But given that Vietnam is one of the few countries in the world currently experiencing positive GDP growth, the supposed trade-off between the economy and public health, which countries around the world are negotiating, looks to be something of a false choice.

    • Tran Le Thuy is director of Centre for the Media and Development Initiatives in Hanoi

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    politique de santé
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    #covid-19 #Vietnam #santé_publique

  • Les patients schizophrènes ont eu moins accès à la réanimation lors de la 1re vague Covid • HOSPIMEDIA
    https://www.hospimedia.fr/actualite/articles/20201105-psychiatrie-les-patients-schizophrenes-ont-eu-moins-acces

    Une étude récente montre une mortalité augmentée des personnes schizophrènes hospitalisées dans le cadre d’une contamination au Covid par rapport aux patients Covid+ hospitalisés sans pathologie mentale. Elle révèle aussi que ces personnes ont eu moins accès à la réanimation que les patients non schizophrènes, à comorbidités équivalentes.

    Disparities in Intensive Care Unit Admission and Mortality Among Patients With Schizophrenia and COVID-19 : A National Cohort Study
    https://academic.oup.com/schizophreniabulletin/advance-article/doi/10.1093/schbul/sbaa158/5935036

    Abstract
    Patients with schizophrenia (SCZ) represent a vulnerable population who have been understudied in COVID-19 research. We aimed to establish whether health outcomes and care differed between patients with SCZ and patients without a diagnosis of severe mental illness. We conducted a population-based cohort study of all patients with identified COVID-19 and respiratory symptoms who were hospitalized in #France between February and June 2020. Cases were patients who had a diagnosis of SCZ. Controls were patients who did not have a diagnosis of severe mental illness. The outcomes were in-hospital mortality and intensive care unit (ICU) admission. A total of 50 750 patients were included, of whom 823 were SCZ patients (1.6%). The SCZ patients had an increased in-hospital mortality (25.6% vs 21.7%; adjusted OR 1.30 [95% CI, 1.08–1.56], P = .0093) and a decreased ICU admission rate (23.7% vs 28.4%; adjusted OR, 0.75 [95% CI, 0.62–0.91], P = .0062) compared with controls. Significant interactions between SCZ and age for mortality and ICU admission were observed (P = .0006 and P < .0001). SCZ patients between 65 and 80 years had a significantly higher risk of death than controls of the same age (+7.89%). SCZ patients younger than 55 years had more ICU admissions (+13.93%) and SCZ patients between 65 and 80 years and older than 80 years had less ICU admissions than controls of the same age (−15.44% and −5.93%, respectively). Our findings report the existence of disparities in health and health care between SCZ patients and patients without a diagnosis of severe mental illness. These disparities differed according to the age and clinical profile of SCZ patients, suggesting the importance of personalized COVID-19 clinical management and health care strategies before, during, and after hospitalization for reducing health disparities in this vulnerable population.

    Covid-19 : mortalité plus élevée des patients schizophrènes lors de la première vague, selon une étude
    https://www.lefigaro.fr/flash-actu/covid-19-mortalite-plus-elevee-des-patients-schizophrenes-lors-de-la-premie

    La surmortalité des patients schizophrènes est due à plusieurs facteurs, selon M. Fond, qui avance plusieurs hypothèses : « ce sont des patients plus réfractaires aux soins, dans un contexte où les soignants sont débordés » , ajoutant que la schizophrénie « accélère le vieillissement ». « Un patient schizophrène compte comme deux patients en termes de soins infirmiers, surtout s’il a des troubles du comportement, mais cette surcharge de travail n’est pas prise en compte » , assure M. Fond. Selon lui, « même si ce n’est pas politiquement correct, quand on annonce au téléphone un patient d’Ehpad et schizophrène, c’est une perte de chance certaine ».

    La surmortalité a été spécialement forte dans la tranche d’âge 65-80 ans selon le chercheur, où la différence entre le groupe avec une maladie mentale et le groupe « contrôle » est de 8%. Les schizophrènes sont « des patients très isolés qui ont plus tendance à demander à ne pas être réanimés » , ajoute-t-il. Ils ont aussi davantage de facteurs de comorbidité, comme l’hypertension ou le diabète.

    Une des préconisations des chercheurs est « que les personnels de ces unités soient mieux formés à la psychiatrie, et que cette formation soit valorisée par l’hôpital ».

    #covid-19 #folie #psychiatrie #vieillissement #surmortalité #Guillaume_Fond

  • Je suis prof. Seize brèves réflexions contre la terreur et l’obscurantisme, en #hommage à #Samuel_Paty

    Les lignes qui suivent ont été inspirées par la nouvelle atroce de la mise à mort de mon collègue, Samuel Paty, et par la difficile semaine qui s’en est suivie. En hommage à un #enseignant qui croyait en l’#éducation, en la #raison_humaine et en la #liberté_d’expression, elles proposent une quinzaine de réflexions appelant, malgré l’émotion, à penser le présent, et en débattre, avec raison. Ces réflexions ne prétendent évidemment pas incarner la pensée de Samuel Paty, mais elles sont écrites pour lui, au sens où l’effort de pensée, de discernement, de nuances, de raison, a été fait en pensant à lui, et pour lui rendre hommage. Continuer de penser librement, d’exprimer, d’échanger les arguments, me parait le meilleur des hommages.

    1. Il y a d’abord eu, en apprenant la nouvelle, l’#horreur, la #tristesse, la #peur, devant le #crime commis, et des pensées pour les proches de Samuel Paty, ses collègues, ses élèves, toutes les communautés scolaires de France et, au-delà, toute la communauté des humains bouleversés par ce crime. Puis s’y est mêlée une #rage causée par tous ceux qui, d’une manière ou d’une autre, et avant même d’en savoir plus sur les tenants et aboutissants qui avaient mené au pire, se sont empressés de dégainer des kits théoriques tendant à minimiser l’#atrocité du crime ou à dissoudre toute la #responsabilité de l’assassin (ou possiblement des assassins) dans des entités excessivement extensibles (que ce soit « l’#islamisation » ou « l’#islamophobie ») – sans compter ceux qui instrumentalisent l’horreur pour des agendas qu’on connait trop bien : rétablissement de la peine de mort, chasse aux immigré.e.s, chasse aux musulman.e.s.

    2. Il y a ensuite eu une peur, ou des peurs, en voyant repartir tellement vite, et à la puissance dix, une forme de réaction gouvernementale qui a de longue date fait les preuves de son #inefficacité (contre la #violence_terroriste) et de sa #nocivité (pour l’état du vivre-ensemble et des droits humains) : au lieu d’augmenter comme il faut les moyens policiers pour enquêter plus et mieux qu’on ne le fait déjà, pour surveiller, remonter des filières bien ciblées et les démanteler, mais aussi assurer en temps réel la protection des personnes qui la demandent, au moment où elles la demandent, on fait du spectacle avec des boucs émissaires.

    Une sourde appréhension s’est donc mêlée à la peine, face au déferlement d’injures, de menaces et d’attaques islamophobes, anti-immigrés et anti-tchétchènes qui a tout de suite commencé, mais aussi face à l’éventualité d’autres attentats qui pourraient advenir dans le futur, sur la prévention desquels, c’est le moins que je puisse dire, toutes les énergies gouvernementales ne me semblent pas concentrées.

    3. Puis, au fil des lectures, une #gêne s’est installée, concernant ce que, sur les #réseaux_sociaux, je pouvais lire, « dans mon camp » cette fois-ci – c’est-à-dire principalement chez des gens dont je partage plus ou moins une certaine conception du combat antiraciste. Ce qui tout d’abord m’a gêné fut le fait d’énoncer tout de suite des analyses explicatives alors qu’au fond on ne savait à peu près rien sur le détail des faits : quel comportement avait eu précisément Samuel Paty, en montrant quels dessins, quelles interactions avaient eu lieu après-coup avec les élèves, avec les parents, qui avait protesté et en quels termes, sous quelles forme, qui avait envenimé le contentieux et comment s’était produit l’embrasement des réseaux sociaux, et enfin quel était le profil de l’assassin, quel était son vécu russe, tchétchène, français – son vécu dans toutes ses dimensions (familiale, socio-économique, scolaire, médicale), sa sociabilité et ses accointances (ou absences d’accointances) religieuses, politiques, délinquantes, terroristes ?

    J’étais gêné par exemple par le fait que soit souvent validée a priori, dès les premières heures qui suivirent le crime, l’hypothèse que Samuel Paty avait « déconné », alors qu’on n’était même pas certain par exemple que c’était le dessin dégoutant du prophète cul nu (j’y reviendrai) qui avait été montré en classe (puisqu’on lisait aussi que le professeur avait déposé plainte « pour diffamation » suite aux accusations proférées contre lui), et qu’on ne savait rien des conditions et de la manière dont il avait agencé son cours.

    4. Par ailleurs, dans l’hypothèse (qui a fini par se confirmer) que c’était bien ce dessin, effectivement problématique (j’y reviendrai), qui avait servi de déclencheur ou de prétexte pour la campagne contre Samuel Paty, autre chose me gênait. D’abord cet oubli : montrer un #dessin, aussi problématique soit-il, obscène, grossier, de mauvais goût, ou même raciste, peut très bien s’intégrer dans une #démarche_pédagogique, particulièrement en cours d’histoire – après tout, nous montrons bien des #caricatures anti-juives ignobles quand nous étudions la montée de l’antisémitisme, me confiait un collègue historien, et cela ne constitue évidemment pas en soi une pure et simple perpétuation de l’#offense_raciste. Les deux cas sont différents par bien des aspects, mais dans tous les cas tout se joue dans la manière dont les documents sont présentés et ensuite collectivement commentés, analysés, critiqués. Or, sur ladite manière, en l’occurrence, nous sommes restés longtemps sans savoir ce qui exactement s’était passé, et ce que nous avons fini par appendre est que Samuel Paty n’avait pas eu d’intention maligne : il s’agissait vraiment de discuter de la liberté d’expression, autour d’un cas particulièrement litigieux.

    5. En outre, s’il s’est avéré ensuite, dans les récits qui ont pu être reconstitués (notamment dans Libération), que Samuel Paty n’avait fait aucun usage malveillant de ces caricatures, et que les parents d’élèves qui s’étaient au départ inquiétés l’avaient assez rapidement et facilement compris après discussion, s’il s’est avéré aussi qu’au-delà de cet épisode particulier, Samuel Paty était un professeur très impliqué et apprécié, chaleureux, blagueur, il est dommageable que d’emblée, il n’ait pas été martelé ceci, aussi bien par les inconditionnels de l’ « esprit Charlie » que par les personnes légitimement choquées par certaines des caricatures : que même dans le cas contraire, même si le professeur avait « déconné », que ce soit un peu ou beaucoup, que même s’il avait manqué de précautions pédagogiques, que même s’il avait intentionnellement cherché à blesser, bref : que même s’il avait été un « mauvais prof », hautain, fumiste, ou même raciste, rien, absolument rien ne justifiait ce qui a été commis.

    Je me doute bien que, dans la plupart des réactions à chaud, cela allait sans dire, mais je pense que, dans le monde où l’on vit, et où se passent ces horreurs, tout désormais en la matière (je veux dire : en matière de mise à distance de l’hyper-violence) doit être dit, partout, même ce qui va sans dire.

    En d’autres termes, même si l’on juge nécessaire de rappeler, à l’occasion de ce crime et des discussions qu’il relance, qu’il est bon que tout ne soit pas permis en matière de liberté d’expression, cela n’est selon moi tenable que si l’on y adjoint un autre rappel : qu’il est bon aussi que tout ne soit pas permis dans la manière de limiter la liberté d’expression, dans la manière de réagir aux discours offensants, et plus précisément que doit être absolument proscrit le recours à la #violence_physique, a fortiori au #meurtre. Nous sommes malheureusement en un temps, je le répète, où cela ne va plus sans dire.

    6. La remarque qui précède est, me semble-t-il, le grand non-dit qui manque le plus dans tout le débat public tel qu’il se polarise depuis des années entre les « Charlie », inconditionnels de « la liberté d’expression », et les « pas Charlie », soucieux de poser des « #limites » à la « #liberté_d’offenser » : ni la liberté d’expression ni sa nécessaire #limitation ne doivent en fait être posées comme l’impératif catégorique et fondamental. Les deux sont plaidables, mais dans un #espace_de_parole soumis à une autre loi fondamentale, sur laquelle tout le monde pourrait et devrait se mettre d’accord au préalable, et qui est le refus absolu de la violence physique.

    Moyennant quoi, dès lors que cette loi fondamentale est respectée, et expressément rappelée, la liberté d’expression, à laquelle Samuel Paty était si attaché, peut et doit impliquer aussi le droit de dire qu’on juge certaines caricatures de Charlie Hebdo odieuses :

    – celles par exemple qui amalgament le prophète des musulmans (et donc – par une inévitable association d’idées – l’ensemble des fidèles qui le vénèrent) à un terroriste, en le figurant par exemple surarmé, le nez crochu, le regard exorbité, la mine patibulaire, ou coiffé d’un turban en forme de bombe ;

    – celle également qui blesse gratuitement les croyants (et les croyants lambda, tolérants, non-violents, tout autant voire davantage que des « djihadistes » avides de prétextes à faire couler le sang), en représentant leur prophète cul nul, testicules à l’air, une étoile musulmane à la place de l’anus ;

    – celle qui animalise une syndicaliste musulmane voilée en l’affublant d’un faciès de singe ;

    – celle qui annonce « une roumaine » (la joueuse Simona Halep), gagnante de Roland-Garros, et la représente en rom au physique disgracieux, brandissant la coupe et criant « ferraille ! ferraille ! » ;

    – celle qui nous demande d’imaginer « le petit Aylan », enfant de migrants kurdes retrouvé mort en méditerranée, « s’il avait survécu », et nous le montre devenu « tripoteur de fesses en Allemagne » (suite à une série de viols commis à Francfort) ;

    – celle qui représente les esclaves sexuelles de Boko Haram, voilées et enceintes, en train de gueuler après leurs « allocs » ;

    – celle qui fantasme une invasion ou une « islamisation » en forme de « grand remplacement », par exemple en nous montrant un musulman barbu dont la barbe démesurée envahit toute la page de Une, malgré un minuscule Macron luttant « contre le séparatisme », armé de ciseaux, mais ne parvenant qu’à en couper que quelques poils ;

    – celle qui alimente le même fantasme d’invasion en figurant un Macron, déclarant que le port du foulard par des femmes musulmanes « ne le regarde pas » en tant que président, tandis que le reste de la page n’est occupé que par des femmes voilées, avec une légende digne d’un tract d’extrême droite : « La République islamique en marche ».

    Sur chacun de ces dessins, publiés en Une pour la plupart, je pourrais argumenter en détail, pour expliquer en quoi je les juge odieux, et souvent racistes. Bien d’autres exemples pourraient d’ailleurs être évoqués, comme une couverture publiée à l’occasion d’un attentat meurtrier commis à Bruxelles en mars 2016 et revendiqué par Daesh (ayant entraîné la mort de 32 personnes et fait 340 blessés), et figurant de manière pour le moins choquante le chanteur Stromae, orphelin du génocide rwandais, en train de chanter « Papaoutai » tandis que voltigent autour de lui des morceaux de jambes et de bras déchiquetés ou d’oeil exorbité. La liste n’est pas exhaustive, d’autres unes pourraient être évoquées – celles notamment qui nous invitent à rigoler (on est tenté de dire ricaner) sur le sort des femmes violées, des enfants abusés, ou des peuples qui meurent de faim.

    On a le droit de détester cet #humour, on a le droit de considérer que certaines de ces caricatures incitent au #mépris ou à la #haine_raciste ou sexiste, entre autres griefs possibles, et on a le droit de le dire. On a le droit de l’écrire, on a le droit d’aller le dire en justice, et même en manifestation. Mais – cela allait sans dire, l’attentat de janvier 2015 oblige désormais à l’énoncer expressément – quel que soit tout le mal qu’on peut penser de ces dessins, de leur #brutalité, de leur #indélicatesse, de leur méchanceté gratuite envers des gens souvent démunis, de leur #racisme parfois, la #violence_symbolique qu’il exercent est sans commune mesure avec la violence physique extrême que constitue l’#homicide, et elle ne saurait donc lui apporter le moindre commencement de #justification.

    On a en somme le droit de dénoncer avec la plus grande vigueur la violence symbolique des caricatures quand on la juge illégitime et nocive, car elle peut l’être, à condition toutefois de dire désormais ce qui, je le répète, aurait dû continuer d’aller sans dire mais va beaucoup mieux, désormais, en le disant : qu’aucune violence symbolique ne justifie l’hyper-violence physique. Cela vaut pour les pires dessins de Charlie comme pour les pires répliques d’un Zemmour ou d’un Dieudonné, comme pour tout ce qui nous offense – du plutôt #douteux au parfaitement #abject.

    Que reste-t-il en effet de la liberté d’expression si l’on défend le #droit_à_la_caricature mais pas le droit à la #critique des caricatures ? Que devient le #débat_démocratique si toute critique radicale de #Charlie aujourd’hui, et qui sait de de Zemmour demain, de Macron après-demain, est d’office assimilée à une #incitation_à_la_violence, donc à de la complicité de terrorisme, donc proscrite ?

    Mais inversement, que devient cet espace démocratique si la dénonciation de l’intolérable et l’appel à le faire cesser ne sont pas précédés et tempérés par le rappel clair et explicite de l’interdit fondamental du meurtre ?

    7. Autre chose m’a gêné dans certaines analyses : l’interrogation sur les « #vrais_responsables », formulation qui laisse entendre que « derrière » un responsable « apparent » (l’assassin) il y aurait « les vrais responsables », qui seraient d’autres que lui. Or s’il me parait bien sûr nécessaire d’envisager dans toute sa force et toute sa complexité l’impact des #déterminismes_sociaux, il est problématique de dissoudre dans ces déterminismes toute la #responsabilité_individuelle de ce jeune de 18 ans – ce que la sociologie ne fait pas, contrairement à ce que prétendent certains polémistes, mais que certains discours peuvent parfois faire.

    Que chacun s’interroge toujours sur sa possible responsabilité est plutôt une bonne chose à mes yeux, si toutefois on ne pousse pas le zèle jusqu’à un « on est tous coupables » qui dissout toute #culpabilité réelle et arrange les affaires des principaux coupables. Ce qui m’a gêné est l’enchaînement de questions qui, en réponse à la question « qui a tué ? », met comme en concurrence, à égalité, d’une part celui qui a effectivement commis le crime, et d’autre part d’autres personnes ou groupes sociaux (la direction de l’école, la police, le père d’élève ayant lancé la campagne publique contre Samuel Paty sur Youtube, sa fille qui semble l’avoir induit en erreur sur le déroulement de ses cours) qui, quel que soit leur niveau de responsabilité, n’ont en aucun cas « tué » – la distinction peut paraitre simple, voire simpliste, mais me parait, pour ma part, cruciale à maintenir.

    8. Ce qui m’a gêné, aussi, et même écoeuré lorsque l’oubli était assumé, et que « le système » néolibéral et islamophobe devenait « le principal responsable », voire « l’ennemi qu’il nous faut combattre », au singulier, ce fut une absence, dans la liste des personnes ou des groupes sociaux pouvant, au-delà de l’individu #Abdoullakh_Abouyezidovitch, se partager une part de responsabilité. Ce qui me gêna fut l’oubli ou la minoration du rôle de l’entourage plus ou moins immédiat du tueur – qu’il s’agisse d’un groupe terroriste organisé ou d’un groupe plus informel de proches ou de moins proches (via les réseaux sociaux), sans oublier, bien entendu, l’acolyte de l’irresponsable « père en colère » : un certain #Abdelhakim_Sefrioui, entrepreneur de haine pourtant bien connu, démasqué et ostracisé de longue date dans les milieux militants, à commencer par les milieux pro-palestiniens et la militance anti-islamophobie.

    Je connais les travaux sociologiques qui critiquent à juste titre l’approche mainstream, focalisée exclusivement les techniques de propagande des organisations terroristes, et qui déplacent la focale sur l’étude des conditions sociales rendant audible et « efficace » lesdites techniques de #propagande. Mais justement, on ne peut prendre en compte ces conditions sociales sans observer aussi comment elles pèsent d’une façon singulière sur les individus, dont la responsabilité n’est pas évacuée. Et l’on ne peut pas écarter, notamment, la responsabilité des individus ou des groupes d’ « engraineurs », surtout si l’on pose la question en ces termes : « qui a tué ? ».

    9. Le temps du #choc, du #deuil et de l’#amertume « contre mon propre camp » fut cela dit parasité assez vite par un vacarme médiatique assourdissant, charriant son lot d’#infamie dans des proportions autrement plus terrifiantes. #Samuel_Gontier, fidèle « au poste », en a donné un aperçu glaçant :

    – des panels politiques dans lesquels « l’équilibre » invoqué par le présentateur (Pascal Praud) consiste en un trio droite, droite extrême et extrême droite (LREM, Les Républicains, Rassemblement national), et où les différentes familles de la gauche (Verts, PS, PCF, France insoumise, sans même parler de l’extrême gauche) sont tout simplement exclues ;

    – des « débats » où sont mis sérieusement à l’agenda l’interdiction du #voile dans tout l’espace public, l’expulsion de toutes les femmes portant le #foulard, la #déchéance_de_nationalité pour celles qui seraient françaises, la réouverture des « #bagnes » « dans îles Kerguelen », le rétablissement de la #peine_de_mort, et enfin la « #criminalisation » de toutes les idéologies musulmanes conservatrices, « pas seulement le #djihadisme mais aussi l’#islamisme » (un peu comme si, à la suite des attentats des Brigades Rouges, de la Fraction Armée Rouge ou d’Action Directe, on avait voulu criminaliser, donc interdire et dissoudre toute la gauche socialiste, communiste, écologiste ou radicale, sous prétexte qu’elle partageait avec les groupes terroristes « l’opposition au capitalisme ») ;

    – des « plateaux » sur lesquels un #Manuel_Valls peut appeler en toute conscience et en toute tranquillité, sans causer de scandale, à piétiner la Convention Européenne des Droits Humains : « S’il nous faut, dans un moment exceptionnel, s’éloigner du #droit_européen, faire évoluer notre #Constitution, il faut le faire. », « Je l’ai dit en 2015, nous sommes en #guerre. Si nous sommes en guerre, donc il faut agir, frapper. ».

    10. Puis, très vite, il y a eu cette offensive du ministre de l’Intérieur #Gérald_Darmanin contre le #CCIF (#Collectif_Contre_l’Islamophobie_en_France), dénuée de tout fondement du point de vue de la #lutte_anti-terroriste – puisque l’association n’a évidemment pris aucune part dans le crime du 17 octobre 2020, ni même dans la campagne publique (sur Youtube et Twitter) qui y a conduit.

    Cette dénonciation – proprement calomnieuse, donc – s’est autorisée en fait d’une montée en généralité, en abstraction et même en « nébulosité », et d’un grossier sophisme : le meurtre de Samuel Paty est une atteinte aux « #valeurs » et aux « institutions » de « la #République », que justement le CCIF « combat » aussi – moyennant quoi le CCIF a « quelque chose à voir » avec ce crime et il doit donc être dissous, CQFD. L’accusation n’en demeure pas moins fantaisiste autant qu’infamante, puisque le « combat » de l’association, loin de viser les principes et les institutions républicaines en tant que telles, vise tout au contraire leur manque d’effectivité : toute l’activité du CCIF (c’est vérifiable, sur le site de l’association aussi bien que dans les rapports des journalistes, au fil de l’actualité, depuis des années) consiste à combattre la #discrimination en raison de l’appartenance ou de la pratique réelle ou supposée d’une religion, donc à faire appliquer une loi de la république. Le CCIF réalise ce travail par les moyens les plus républicains qui soient, en rappelant l’état du Droit, en proposant des médiations ou en portant devant la #Justice, institution républicaine s’il en est, des cas d’atteinte au principe d’#égalité, principe républicain s’il en est.

    Ce travail fait donc du CCIF une institution précieuse (en tout cas dans une république démocratique) qu’on appelle un « #contre-pouvoir » : en d’autres termes, un ennemi de l’arbitraire d’État et non de la « République ». Son travail d’#alerte contribue même à sauver ladite République, d’elle-même pourrait-on dire, ou plutôt de ses serviteurs défaillants et de ses démons que sont le racisme et la discrimination.

    Il s’est rapidement avéré, du coup, que cette offensive sans rapport réel avec la lutte anti-terroriste s’inscrivait en fait dans un tout autre agenda, dont on avait connu les prémisses dès le début de mandat d’Emmanuel Macron, dans les injures violentes et les tentatives d’interdiction de Jean-Michel #Blanquer contre le syndicat #Sud_éducation_93, ou plus récemment dans l’acharnement haineux du député #Robin_Réda, censé diriger une audition parlementaire antiraciste, contre les associations de soutien aux immigrés, et notamment le #GISTI (Groupe d’Information et de Soutien aux Immigrés). Cet agenda est ni plus ni moins que la mise hors-jeu des « corps intermédiaires » de la société civile, et en premier lieu des #contre-pouvoirs que sont les associations antiracistes et de défense des droits humains, ainsi que les #syndicats, en attendant le tour des partis politiques – confère, déjà, la brutalisation du débat politique, et notamment les attaques tout à fait inouïes, contraires pour le coup à la tradition républicaine, de #Gérald_Darmanin contre les écologistes (#Julien_Bayou, #Sandra_Regol et #Esther_Benbassa) puis contre la #France_insoumise et son supposé « #islamo-gauchisme qui a détruit la république », ces dernières semaines, avant donc le meurtre de Samuel Paty.

    Un agenda dans lequel figure aussi, on vient de l’apprendre, un combat judiciaire contre le site d’information #Mediapart.

    11. Il y a eu ensuite l’annonce de ces « actions coup de poing » contre des associations et des lieux de culte musulmans, dont le ministre de l’Intérieur lui-même a admis qu’elles n’avaient aucun lien avec l’enquête sur le meurtre de Samuel Paty, mais qu’elles servaient avant tout à « #adresser_un_message », afin que « la #sidération change de camp ». L’aveu est terrible : l’heure n’est pas à la défense d’un modèle (démocratique, libéral, fondé sur l’État de Droit et ouvert à la pluralité des opinions) contre un autre (obscurantiste, fascisant, fondé sur la terreur), mais à une #rivalité_mimétique. À la #terreur on répond par la terreur, sans même prétendre, comme le fit naguère un Charles Pasqua, qu’on va « terroriser les terroristes » : ceux que l’on va terroriser ne sont pas les terroristes, on le sait, on le dit, on s’en contrefout et on répond au meurtre par la #bêtise et la #brutalité, à l’#obscurantisme « religieux » par l’obscurantisme « civil », au #chaos de l’#hyper-violence par le chaos de l’#arbitraire d’État.

    12. On cible donc des #mosquées alors même qu’on apprend (notamment dans la remarquable enquête de Jean-Baptiste Naudet, dans L’Obs) que le tueur ne fréquentait aucune mosquée – ce qui était le cas, déjà, de bien d’autres tueurs lors des précédents attentats.

    On s’attaque au « #séparatisme » et au « #repli_communautaire » alors même qu’on apprend (dans la même enquête) que le tueur n’avait aucune attache ou sociabilité dans sa communauté – ce qui là encore a souvent été le cas dans le passé.

    On préconise des cours intensifs de #catéchisme_laïque dans les #écoles, des formations intensives sur la liberté d’expression, avec distribution de « caricatures » dans tous les lycées, alors que le tueur était déscolarisé depuis un moment et n’avait commencé à se « radicaliser » qu’en dehors de l’#école (et là encore se rejoue un schéma déjà connu : il se trouve qu’un des tueurs du Bataclan fut élève dans l’établissement où j’exerce, un élève dont tous les professeurs se souviennent comme d’un élève sans histoires, et dont la famille n’a pu observer des manifestations de « #radicalisation » qu’après son bac et son passage à l’université, une fois qu’il était entré dans la vie professionnelle).

    Et enfin, ultime protection : Gérald Darmanin songe à réorganiser les rayons des #supermarchés ! Il y aurait matière à rire s’il n’y avait pas péril en la demeure. On pourrait s’amuser d’une telle #absurdité, d’une telle incompétence, d’une telle disjonction entre la fin et les moyens, si l’enjeu n’était pas si grave. On pourrait sourire devant les gesticulations martiales d’un ministre qui avoue lui-même tirer « à côté » des véritables coupables et complices, lorsque par exemple il ordonne des opérations contre des #institutions_musulmanes « sans lien avec l’enquête ». On pourrait sourire s’il ne venait pas de se produire une attaque meurtrière atroce, qui advient après plusieurs autres, et s’il n’y avait pas lieu d’être sérieux, raisonnable, concentré sur quelques objectifs bien définis : mieux surveiller, repérer, voir venir, mieux prévenir, mieux intervenir dans l’urgence, mieux protéger. On pourrait se payer le luxe de se disperser et de discuter des #tenues_vestimentaires ou des #rayons_de_supermarché s’il n’y avait pas des vies humaines en jeu – certes pas la vie de nos dirigeants, surprotégés par une garde rapprochée, mais celles, notamment, des professeurs et des élèves.

    13. Cette #futilité, cette #frivolité, cette bêtise serait moins coupable s’il n’y avait pas aussi un gros soubassement de #violence_islamophobe. Cette bêtise serait innocente, elle ne porterait pas à conséquence si les mises en débat du #vêtement ou de l’#alimentation des diverses « communautés religieuses » n’étaient pas surdéterminées, depuis de longues années, par de très lourds et violents #stéréotypes racistes. On pourrait causer lingerie et régime alimentaire si les us et coutumes religieux n’étaient pas des #stigmates sur-exploités par les racistes de tout poil, si le refus du #porc ou de l’#alcool par exemple, ou bien le port d’un foulard, n’étaient pas depuis des années des motifs récurrents d’#injure, d’#agression, de discrimination dans les études ou dans l’emploi.

    Il y a donc une bêtise insondable dans cette mise en cause absolument hors-sujet des commerces ou des rayons d’ « #alimentation_communautaire » qui, dixit Darmanin, « flatteraient » les « plus bas instincts », alors que (confère toujours l’excellente enquête de Jean-Baptiste Naudet dans L’Obs) l’homme qui a tué Samuel Paty (comme l’ensemble des précédents auteurs d’attentats meurtriers) n’avait précisément pas d’ancrage dans une « communauté » – ni dans l’immigration tchétchène, ni dans une communauté religieuse localisée, puisqu’il ne fréquentait aucune mosquée.

    Et il y a dans cette bêtise une #méchanceté tout aussi insondable : un racisme sordide, à l’encontre des #musulmans bien sûr, mais pas seulement. Il y a aussi un mépris, une injure, un piétinement de la mémoire des morts #juifs – puisque parmi les victimes récentes des tueries terroristes, il y a précisément des clients d’un commerce communautaire, l’#Hyper_Cacher, choisis pour cible et tués précisément en tant que tels.

    Telle est la vérité, cruelle, qui vient d’emblée s’opposer aux élucubrations de Gérald Darmanin : en incriminant les modes de vie « communautaires », et plus précisément la fréquentation de lieux de culte ou de commerces « communautaires », le ministre stigmatise non pas les coupables de la violence terroriste (qui se caractérisent au contraire par la #solitude, l’#isolement, le surf sur #internet, l’absence d’#attaches_communautaires et de pratique religieuse assidue, l’absence en tout cas de fréquentation de #lieux_de_cultes) mais bien certaines de ses victimes (des fidèles attaqués sur leur lieu de culte, ou de courses).

    14. Puis, quelques jours à peine après l’effroyable attentat, sans aucune concertation sur le terrain, auprès de la profession concernée, est tombée par voie de presse (comme d’habitude) une stupéfiante nouvelle : l’ensemble des Conseils régionaux de France a décidé de faire distribuer un « #recueil_de_caricatures » (on ne sait pas lesquelles) dans tous les lycées. S’il faut donner son sang, allez donner le vôtre, disait la chanson. Qu’ils aillent donc, ces élus, distribuer eux-mêmes leurs petites bibles républicaines, sur les marchés. Mais non : c’est notre sang à nous, petits profs de merde, méprisés, sous-payés, insultés depuis des années, qui doit couler, a-t-il été décidé en haut lieu. Et possiblement aussi celui de nos élèves.

    Car il faut se rendre à l’évidence : si cette information est confirmée, et si nous acceptons ce rôle de héros et martyrs d’un pouvoir qui joue aux petits soldats de plomb avec des profs et des élèves de chair et d’os, nous devenons officiellement la cible privilégiée des groupes terroristes. À un ennemi qui ne fonctionne, dans ses choix de cibles et dans sa communication politique, qu’au défi, au symbole et à l’invocation de l’honneur du Prophète, nos dirigeants répondent en toute #irresponsabilité par le #défi, le #symbole, et la remise en jeu de l’image du Prophète. À quoi doit-on s’attendre ? Y sommes-nous prêts ? Moi non.

    15. Comme si tout cela ne suffisait pas, voici enfin que le leader de l’opposition de gauche, celui dont on pouvait espérer, au vu de ses engagements récents, quelques mises en garde élémentaires mais salutaires contre les #amalgames et la #stigmatisation haineuse des musulmans, n’en finit pas de nous surprendre ou plutôt de nous consterner, de nous horrifier, puisqu’il s’oppose effectivement à la chasse aux musulmans, mais pour nous inviter aussitôt à une autre chasse : la #chasse_aux_Tchétchènes :

    « Moi, je pense qu’il y a un problème avec la #communauté_tchétchène en France ».

    Il suffit donc de deux crimes, commis tous les deux par une personne d’origine tchétchène, ces dernières années (l’attentat de l’Opéra en 2018, et celui de Conflans en 2020), plus une méga-rixe à Dijon cet été impliquant quelques dizaines de #Tchétchènes, pour que notre homme de gauche infère tranquillement un « #problème_tchétchène », impliquant toute une « communauté » de plusieurs dizaines de milliers de personnes vivant en France.

    « Ils sont arrivés en France car le gouvernement français, qui était très hostile à Vladimir Poutine, les accueillait à bras ouverts », nous explique Jean-Luc #Mélenchon. « À bras ouverts », donc, comme dans un discours de Le Pen – le père ou la fille. Et l’on a bien entendu : le motif de l’#asile est une inexplicable « hostilité » de la France contre le pauvre Poutine – et certainement pas une persécution sanglante commise par ledit Poutine, se déclarant prêt à aller « buter » lesdits Tchétchènes « jusque dans les chiottes ».

    « Il y a sans doute de très bonnes personnes dans cette communauté » finit-il par concéder à son intervieweur interloqué. On a bien lu, là encore : « sans doute ». Ce n’est donc même pas sûr. Et « de très bonnes personnes », ce qui veut dire en bon français : quelques-unes, pas des masses.

    « Mais c’est notre #devoir_national de s’en assurer », s’empresse-t-il d’ajouter – donc même le « sans doute » n’aura pas fait long feu. Et pour finir en apothéose :

    « Il faut reprendre un par un tous les dossiers des Tchétchènes présents en France et tous ceux qui ont une activité sur les réseaux sociaux, comme c’était le cas de l’assassin ou d’autres qui ont des activités dans l’#islamisme_politique (...), doivent être capturés et expulsés ».

    Là encore, on a bien lu : « tous les dossiers des Tchétchènes présents en France », « un par un » ! Quant aux suspects, ils ne seront pas « interpellés », ni « arrêtés », mais « capturés » : le vocabulaire est celui de la #chasse, du #safari. Voici donc où nous emmène le chef du principal parti d’opposition de gauche.

    16. Enfin, quand on écrira l’histoire de ces temps obscurs, il faudra aussi raconter cela : comment, à l’heure où la nation était invitée à s’unir dans le deuil, dans la défense d’un modèle démocratique, dans le refus de la violence, une violente campagne de presse et de tweet fut menée pour que soient purement et simplement virés et remplacés les responsables de l’#Observatoire_de_la_laïcité, #Nicolas_Cadène et #Jean-Louis_Bianco, pourtant restés toujours fidèles à l’esprit et à la lettre des lois laïques, et que les deux hommes furent à cette fin accusés d’avoir « désarmé » la République et de s’être « mis au service » des « ennemis » de ladite #laïcité et de ladite république – en somme d’être les complices d’un tueur de prof, puisque c’est de cet ennemi-là qu’il était question.

    Il faudra raconter que des universitaires absolument irréprochables sur ces questions, comme #Mame_Fatou_Niang et #Éric_Fassin, furent mis en cause violemment par des tweeters, l’une en recevant d’abjectes vidéos de décapitation, l’autre en recevant des #menaces de subir la même chose, avec dans les deux cas l’accusation d’être responsables de la mort de Samuel Paty.

    Il faudra se souvenir qu’un intellectuel renommé, invité sur tous les plateaux, proféra tranquillement, là encore sans être recadré par les animateurs, le même type d’accusations à l’encontre de la journaliste et chroniqueuse #Rokhaya_Diallo : en critiquant #Charlie_Hebdo, elle aurait « poussé à armer les bras des tueurs », et « entrainé » la mort des douze de Charlie hebdo.

    Il faudra se souvenir qu’au sommet de l’État, enfin, en ces temps de deuil, de concorde nationale et de combat contre l’obscurantisme, le ministre de l’Éducation nationale lui-même attisa ce genre de mauvaise querelle et de #mauvais_procès – c’est un euphémisme – en déclarant notamment ceci :

    « Ce qu’on appelle l’#islamo-gauchisme fait des ravages, il fait des ravages à l’#université. Il fait des ravages quand l’#UNEF cède à ce type de chose, il fait des ravages quand dans les rangs de la France Insoumise, vous avez des gens qui sont de ce courant-là et s’affichent comme tels. Ces gens-là favorisent une idéologie qui ensuite, de loin en loin, mène au pire. »

    Il faudra raconter ce que ces sophismes et ces purs et simples mensonges ont construit ou tenté de construire : un « #consensus_national » fondé sur une rage aveugle plutôt que sur un deuil partagé et un « plus jamais ça » sincère et réfléchi. Un « consensus » singulièrement diviseur en vérité, excluant de manière radicale et brutale tous les contre-pouvoirs humanistes et progressistes qui pourraient tempérer la violence de l’arbitraire d’État, et apporter leur contribution à l’élaboration d’une riposte anti-terroriste pertinente et efficace : le mouvement antiraciste, l’opposition de gauche, la #sociologie_critique... Et incluant en revanche, sans le moindre état d’âme, une droite républicaine radicalisée comme jamais, ainsi que l’#extrême_droite lepéniste.

    Je ne sais comment conclure, sinon en redisant mon accablement, ma tristesse, mon désarroi, ma peur – pourquoi le cacher ? – et mon sentiment d’#impuissance face à une #brutalisation en marche. La brutalisation de la #vie_politique s’était certes enclenchée bien avant ce crime atroce – l’évolution du #maintien_de l’ordre pendant tous les derniers mouvements sociaux en témoigne, et les noms de Lallement et de Benalla en sont deux bons emblèmes. Mais cet attentat, comme les précédents, nous fait évidemment franchir un cap dans l’#horreur. Quant à la réponse à cette horreur, elle s’annonce désastreuse et, loin d’opposer efficacement la force à la force (ce qui peut se faire mais suppose le discernement), elle rajoute de la violence aveugle à de la violence aveugle – tout en nous exposant et en nous fragilisant comme jamais. Naïvement, avec sans doute un peu de cet idéalisme qui animait Samuel Paty, j’en appelle au #sursaut_collectif, et à la #raison.

    Pour reprendre un mot d’ordre apparu suite à ce crime atroce, #je_suis_prof. Je suis prof au sens où je me sens solidaire de Samuel Paty, où sa mort me bouleverse et me terrifie, mais je suis prof aussi parce que c’est tout simplement le métier que j’exerce. Je suis prof et je crois donc en la raison, en l’#éducation, en la #discussion. Depuis vingt-cinq ans, j’enseigne avec passion la philosophie et je m’efforce de transmettre le goût de la pensée, de la liberté de penser, de l’échange d’arguments, du débat contradictoire. Je suis prof et je m’efforce de transmettre ces belles valeurs complémentaires que sont la #tolérance, la #capacité_d’indignation face à l’intolérable, et la #non-violence dans l’#indignation et le combat pour ses idées.

    Je suis prof et depuis vingt-cinq ans je m’efforce de promouvoir le #respect et l’#égalité_de_traitement, contre tous les racismes, tous les sexismes, toutes les homophobies, tous les systèmes inégalitaires. Et je refuse d’aller mourir au front pour une croisade faussement « républicaine », menée par un ministre de l’Intérieur qui a commencé sa carrière politique, entre 2004 et 2008, dans le girons de l’extrême droite monarchiste (auprès de #Christian_Vanneste et de #Politique_magazine, l’organe de l’#Action_française). Je suis prof et je refuse de sacrifier tout ce en quoi je crois pour la carrière d’un ministre qui en 2012, encore, militait avec acharnement, aux côtés de « La manif pour tous », pour que les homosexuels n’aient pas les mêmes droits que les autres – sans parler de son rapport aux femmes, pour le moins problématique, et de ce que notre grand républicain appelle, en un délicat euphémisme, sa « vie de jeune homme ».

    Je suis prof et j’enseigne la laïcité, la vraie, celle qui s’est incarnée dans de belles lois en 1881, 1882, 1886 et 1905, et qui n’est rien d’autre qu’une machine à produire plus de #liberté, d’#égalité et de #fraternité. Mais ce n’est pas cette laïcité, loin s’en faut, qui se donne à voir ces jours-ci, moins que jamais, quand bien même le mot est répété à l’infini. C’est au contraire une politique liberticide, discriminatoire donc inégalitaire, suspicieuse ou haineuse plutôt que fraternelle, que je vois se mettre en place, sans même l’excuse de l’efficacité face au terrorisme.

    Je suis prof, et cette #vraie_laïcité, ce goût de la pensée et de la #parole_libre, je souhaite continuer de les promouvoir. Et je souhaite pour cela rester en vie. Et je souhaite pour cela rester libre, maître de mes #choix_pédagogiques, dans des conditions matérielles qui permettent de travailler. Et je refuse donc de devenir l’otage d’un costume de héros ou de martyr taillé pour moi par des aventuriers sans jugeote, sans cœur et sans principes – ces faux amis qui ne savent qu’encenser des profs morts et mépriser les profs vivants.

    https://lmsi.net/Je-suis-prof

    #Pierre_Tevanian

    –—

    –-> déjà signalé sur seenthis :
    https://seenthis.net/messages/882390
    https://seenthis.net/messages/882583
    ... mais je voulais mettre le texte complet.

  • Qui est complice de qui ? Les #libertés_académiques en péril

    Professeur, me voici aujourd’hui menacé de décapitation. L’offensive contre les musulmans se prolonge par des attaques contre la #pensée_critique, taxée d’islamo-gauchisme. Celles-ci se répandent, des réseaux sociaux au ministre de l’Éducation, des magazines au Président de la République, pour déboucher aujourd’hui sur une remise en cause des libertés académiques… au nom de la #liberté_d’expression !

    Je suis professeur. Le 16 octobre, un professeur est décapité. Le lendemain, je reçois cette menace sur Twitter : « Je vous ai mis sur ma liste des connards à décapiter pour le jour où ça pétera. Cette liste est longue mais patience : vous y passerez. »

    C’est en réponse à mon tweet (https://twitter.com/EricFassin/status/1317246862093680640) reprenant un billet de blog publié après les attentats de novembre 2015 (https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/161115/nous-ne-saurions-vouloir-ce-que-veulent-nos-ennemis) : « Pour combattre le #terrorisme, il ne suffit pas (même s’il est nécessaire) de lutter contre les terroristes. Il faut surtout démontrer que leurs actes sont inefficaces, et donc qu’ils ne parviennent pas à nous imposer une politique en réaction. » Bref, « nous ne saurions vouloir ce que veulent nos ennemis » : si les terroristes cherchent à provoquer un « conflit des civilisations », nous devons à tout prix éviter de tomber dans leur piège.

    Ce n’est pas la première fois que je reçois des #menaces_de_mort. Sur les réseaux sociaux, depuis des années, des trolls me harcèlent : les #insultes sont quotidiennes ; les menaces, occasionnelles. En 2013, pour Noël, j’ai reçu chez moi une #lettre_anonyme. Elle recopiait des articles islamophobes accusant la gauche de « trahison » et reproduisaient un tract de la Résistance ; sous une potence, ces mots : « où qu’ils soient, quoi qu’ils fassent, les traîtres seront châtiés. » Je l’analysais dans Libération (https://www.liberation.fr/societe/2014/01/17/le-nom-et-l-adresse_973667) : « Voilà ce que me signifie le courrier reçu à la maison : on sait où tu habites et, le moment venu, on saura te trouver. » J’ajoutais toutefois : « l’#extrême_droite continue d’avancer masquée, elle n’ose pas encore dire son nom. » Or ce n’est plus le cas. Aujourd’hui, les menaces sont signées d’une figure connue de la mouvance néonazie. J’ai donc porté #plainte. C’est en tant qu’#universitaire que je suis visé ; mon #université m’accorde d’ailleurs la #protection_fonctionnelle.

    Ainsi, les extrêmes droites s’enhardissent. Le 29 octobre, l’#Action_française déploie impunément une banderole place de la Concorde : « Décapitons la République ! »

    C’est quelques heures après un nouvel attentat islamiste à Nice, mais aussi après une tentative néofasciste avortée en Avignon. Avant d’être abattu, l’homme a menacé d’une arme de poing un commerçant maghrébin. Il se réclamait de #Génération_identitaire, dont il portait la veste avec le logo « #Defend_Europe », justifiant les actions du groupe en Méditerranée ou à la frontière franco-italienne ; un témoin a même parlé de #salut_nazi (https://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/vaucluse/avignon/avignon-homme-arme-couteau-abattu-policiers-1889172.htm). Le procureur de la République se veut pourtant rassurant : « c’est un Français, né en France, qui n’a rien à voir avec la religion musulmane ». Et de conclure : « nous avons plus affaire à un #déséquilibré, qui semble proche de l’extrême droite et a fait des séjours en psychiatrie. Il n’y a pas de revendication ». « Comme dans le cas de l’attentat de la mosquée de Bayonne perpétré par un ancien candidat FN en octobre 2019 » (https://www.mediapart.fr/journal/france/281019/attentat-bayonne-l-ex-candidat-fn-en-garde-vue?onglet=full), note Mediapart, « le parquet national antiterroriste n’a pas voulu se saisir de l’affaire ». Ce fasciste était un fou, nous dit-on, pas un terroriste islamiste : l’attaque d’Avignon est donc passée presque inaperçue.

    Si les #Identitaires se pensent aux portes du pouvoir, c’est aussi que certains médias ont préparé le terrain. En une, l’#islamophobie y alterne avec la dénonciation des universitaires antiracistes (j’y suis régulièrement pointé du doigt) (https://www.lepoint.fr/politique/ces-ideologues-qui-poussent-a-la-guerre-civile-29-11-2018-2275275_20.php). Plus grave encore, l’extrême droite se sent encouragée par nos gouvernants. Le président de la République lui-même, qui a choisi il y a un an de parler #communautarisme, #islam et #immigration dans #Valeurs_actuelles, s’inspire des réseaux sociaux et des magazines. « Le monde universitaire a été coupable. Il a encouragé l’#ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon. Or, le débouché ne peut être que sécessionniste. » Selon Le Monde du 10 juin 2020, Emmanuel Macron vise ici les « discours racisés (sic) ou sur l’intersectionnalité. » Dans Les Inrocks (https://www.lesinrocks.com/2020/06/12/idees/idees/eric-fassin-le-president-de-la-republique-attise-lanti-intellectualisme), je m’inquiétais alors de cet #anti-intellectualisme : « Des sophistes qui corrompent la jeunesse : à quand la ciguë ? » Nous y sommes peut-être.

    Car du #séparatisme, on passe aujourd’hui au #terrorisme. En effet, c’est au tour du ministre de l’Éducation nationale de s’attaquer le 22 octobre, sur Europe 1, à « l’islamo-gauchisme » qui « fait des ravages à l’Université » : il dénonce « les #complices_intellectuels du terrorisme. » « Qui visez-vous ? », l’interroge Le JDD (https://www.lejdd.fr/Politique/hommage-a-samuel-paty-lutte-contre-lislamisme-blanquer-precise-au-jdd-ses-mesu). Pour le ministre, « il y a un combat à mener contre une matrice intellectuelle venue des universités américaines et des #thèses_intersectionnelles, qui veulent essentialiser les communautés et les identités, aux antipodes de notre #modèle_républicain ». Cette idéologie aurait « gangrené une partie non négligeable des #sciences_sociales françaises » : « certains font ça consciemment, d’autres sont les idiots utiles de cette cause. » En réalité, l’intersectionnalité permet d’analyser, dans leur pluralité, des logiques discriminatoires qui contredisent la rhétorique universaliste. La critique de cette assignation à des places racialisées est donc fondée sur un principe d’#égalité. Or, à en croire le ministre, il s’agirait « d’une vision du monde qui converge avec les intérêts des islamistes. » Ce qui produit le séparatisme, ce serait donc, non la #ségrégation, mais sa dénonciation…

    Si #Jean-Michel_Blanquer juge « complices » celles et ceux qui, avec le concept d’intersectionnalité, analysent la #racialisation de notre société pour mieux la combattre, les néofascistes parlent plutôt de « #collabos » ; mais les trolls qui me harcèlent commencent à emprunter son mot. En France, si le ministre de l’Intérieur prend systématiquement le parti des policiers, celui de l’Éducation nationale fait de la politique aux dépens des universitaires. #Marion_Maréchal peut s’en féliciter : ce dernier « reprend notre analyse sur le danger des idéologies “intersectionnelles” de gauche à l’Université. »


    https://twitter.com/MarionMarechal/status/1321008502291255300
    D’ailleurs, « l’islamo-gauchisme » n’est autre que la version actuelle du « #judéo-bolchévisme » agité par l’extrême droite entre les deux guerres. On ne connaît pourtant aucun lien entre #Abdelhakim_Sefrioui, mis en examen pour « complicité d’assassinat » dans l’enquête sur l’attentat de #Conflans, et la gauche. En revanche, le ministre ne dit pas un mot sur l’extrême droite, malgré les révélations de La Horde (https://lahorde.samizdat.net/2020/10/20/a-propos-dabdelhakim-sefrioui-et-du-collectif-cheikh-yassine) et de Mediapart (https://www.mediapart.fr/journal/france/221020/attentat-de-conflans-revelations-sur-l-imam-sefrioui?onglet=full) sur les liens de l’imam avec des proches de #Marine_Le_Pen. Dans le débat public, jamais il n’est question d’#islamo-lepénisme, alors même que l’extrême droite et les islamistes ont en commun une politique du « #conflit_des_civilisations ».

    Sans doute, pour nos gouvernants, attaquer des universitaires est-il le moyen de détourner l’attention de leurs propres manquements : un professeur est mort, et on en fait porter la #responsabilité à d’autres professeurs… De plus, c’est l’occasion d’affaiblir les résistances contre une Loi de programmation de la recherche qui précarise davantage l’Université. D’ailleurs, le 28 octobre, le Sénat vient d’adopter un amendement à son article premier (https://www.senat.fr/amendements/2020-2021/52/Amdt_234.html) : « Les libertés académiques s’exercent dans le respect des #valeurs_de_la_République », « au premier rang desquelles la #laïcité ». Autrement dit, ce n’est plus seulement le code pénal qui définirait les limites de la liberté d’expression des universitaires. Des collègues, désireux de régler ainsi des différends scientifiques et politiques, appuient cette offensive en réclamant dans Le Monde la création d’une « instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux #principes _épublicains et à la liberté académique »… et c’est au nom de « la #liberté_de_parole » (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-) ! Bref, comme l’annonce sombrement le blog Academia (https://academia.hypotheses.org/27401), c’est « le début de la fin. » #Frédérique_Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur et de la recherche, le confirme sans ambages : « Les #valeurs de la laïcité, de la République, ça ne se discute pas. »


    https://twitter.com/publicsenat/status/1322076232918487040
    Pourtant, en démocratie, débattre du sens qu’on veut donner à ces mots, n’est-ce pas l’enjeu politique par excellence ? Qui en imposera la définition ? Aura-t-on encore le droit de critiquer « les faux dévots de la laïcité » (https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/101217/les-faux-devots-de-la-laicite-islamophobie-et-racisme-anti-musulmans) ?

    Mais ce n’est pas tout. Pourquoi s’en prendre aux alliés blancs des minorités discriminées, sinon pour empêcher une solidarité qui dément les accusations de séparatisme ? C’est exactement ce que les terroristes recherchent : un monde binaire, en noir et blanc, sans « zone grise » (https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/260716/terrorisme-la-zone-grise-de-la-sexualite), où les musulmans feraient front avec les islamistes contre un bloc majoritaire islamophobe. Je l’écrivais dans ce texte qui m’a valu des menaces de décapitation : nos dirigeants « s’emploient à donner aux terroristes toutes les raisons de recommencer. » Le but de ces derniers, c’est en effet la #guerre_civile. Qui sont donc les « #complices_intellectuels » du terrorisme islamiste ? Et qui sont les « idiots utiles » du #néofascisme ?

    En France, aujourd’hui, les #droits_des_minorités, religieuses ou pas, des réfugiés et des manifestants sont régulièrement bafoués ; et quand des ministres s’attaquent, en même temps qu’à une association de lutte contre l’islamophobie, à des universitaires, mais aussi à l’Unef (après SUD Éducation), à La France Insoumise et à son leader, ou bien à Mediapart et à son directeur, tous coupables de s’engager « pour les musulmans », il faut bien se rendre à l’évidence : la #démocratie est amputée de ses #libertés_fondamentales. Paradoxalement, la France républicaine d’Emmanuel #Macron ressemble de plus en plus, en dépit des gesticulations, à la Turquie islamiste de Recep Tayyip Erdogan, qui persécute, en même temps que la minorité kurde, des universitaires, des syndicalistes, des médias libres et des partis d’opposition.

    Pour revendiquer la liberté d’expression, il ne suffit pas d’afficher des caricatures ; l’esprit critique doit pouvoir se faire entendre dans les médias et dans la rue, et partout dans la société. Sinon, l’hommage à #Samuel_Paty serait pure #hypocrisie. Il faut se battre pour la #liberté_de_la_pensée, de l’engagement et de la recherche. Il importe donc de défendre les libertés académiques, à la fois contre les menaces des réseaux sociaux et contre l’#intimidation_gouvernementale. À l’heure où nos dirigeants répondent à la terreur par une #politique_de_la_peur, il y a de quoi trembler pour la démocratie.

    https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/011120/qui-est-complice-de-qui-les-libertes-academiques-en-peril
    #Eric_Fassin #intersectionnalité #SHS #universalisme #Blanquer #complicité

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    Pour compléter le fil de discussion commencé par @gonzo autour de :
    Jean-François Bayart : « Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’Etat en France »
    https://seenthis.net/messages/883974

    ping @isskein @karine4 @cede

    • Une centaine d’universitaires alertent : « Sur l’islamisme, ce qui nous menace, c’est la persistance du déni »

      Dans une tribune au « Monde », des professeurs et des chercheurs de diverses sensibilités dénoncent les frilosités de nombre de leurs pairs sur l’islamisme et les « idéologies indigénistes, racialistes et décoloniales », soutenant les propos de Jean-Michel Blanquer sur « l’islamo-gauchisme ».

      Tribune. Quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty, la principale réaction de l’institution qui est censée représenter les universités françaises, la Conférence des présidents d’université (CPU), est de « faire part de l’émotion suscitée » par des propos de Jean-Michel Blanquer sur Europe 1 et au Sénat le 22 octobre. Le ministre de l’éducation nationale avait constaté sur Europe 1 que « l’islamo-gauchisme fait des ravages à l’université », notamment « quand une organisation comme l’UNEF cède à ce type de choses ». Il dénonçait une « idéologie qui mène au pire », notant que l’assassin a été « conditionné par des gens qui encouragent cette #radicalité_intellectuelle ». Ce sont des « idées qui souvent viennent d’ailleurs », le #communautarisme, qui sont responsables : « Le poisson pourrit par la tête. » Et au Sénat, le même jour, Jean-Michel Blanquer confirmait qu’il y a « des courants islamo-gauchistes très puissants dans les secteurs de l’#enseignement_supérieur qui commettent des dégâts sur les esprits. Et cela conduit à certains problèmes, que vous êtes en train de constater ».

      Nous, universitaires et chercheurs, ne pouvons que nous accorder avec ce constat de Jean-Michel Blanquer. Qui pourrait nier la gravité de la situation aujourd’hui en France, surtout après le récent attentat de Nice – une situation qui, quoi que prétendent certains, n’épargne pas nos universités ? Les idéologies indigéniste, racialiste et « décoloniale » (transférées des campus nord-américains) y sont bien présentes, nourrissant une haine des « Blancs » et de la France ; et un #militantisme parfois violent s’en prend à ceux qui osent encore braver la #doxa_antioccidentale et le prêchi-prêcha multiculturaliste. #Houria_Bouteldja a ainsi pu se féliciter début octobre que son parti décolonial, le #Parti_des_indigènes_de_la_République [dont elle est la porte-parole], « rayonne dans toutes les universités ».

      La réticence de la plupart des universités et des associations de spécialistes universitaires à désigner l’islamisme comme responsable de l’assassinat de Samuel Paty en est une illustration : il n’est question dans leurs communiqués que d’« #obscurantisme » ou de « #fanatisme ». Alors que le port du #voile – parmi d’autres symptômes – se multiplie ces dernières années, il serait temps de nommer les choses et aussi de prendre conscience de la responsabilité, dans la situation actuelle, d’idéologies qui ont pris naissance et se diffusent dans l’université et au-delà. L’importation des idéologies communautaristes anglo-saxonnes, le #conformisme_intellectuel, la #peur et le #politiquement_correct sont une véritable menace pour nos universités. La liberté de parole tend à s’y restreindre de manière drastique, comme en ont témoigné récemment nombre d’affaires de #censure exercée par des groupes de pression.

      « Nous demandons à la ministre de prendre clairement position contre les idéologies qui sous-tendent les #dérives_islamistes »

      Ce qui nous menace, ce ne sont pas les propos de Jean-Michel Blanquer, qu’il faut au contraire féliciter d’avoir pris conscience de la gravité de la situation : c’est la persistance du #déni. La CPU affirme dans son communiqué que « la recherche n’est pas responsable des maux de la société, elle les analyse ». Nous n’en sommes pas d’accord : les idées ont des conséquences et les universités ont aussi un rôle essentiel à jouer dans la lutte pour la défense de la laïcité et de la liberté d’expression. Aussi nous étonnons-nous du long silence de Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, qui n’est intervenue le 26 octobre que pour nous assurer que tout allait bien dans les universités. Mais nous ne sommes pas pour autant rassurés.

      Nous demandons donc à la ministre de mettre en place des mesures de #détection des #dérives_islamistes, de prendre clairement position contre les idéologies qui les sous-tendent, et d’engager nos universités dans ce combat pour la laïcité et la République en créant une instance chargée de faire remonter directement les cas d’atteinte aux principes républicains et à la liberté académique. Et d’élaborer un guide de réponses adaptées, comme cela a été fait pour l’éducation nationale.

      Premiers signataires : Laurent Bouvet, politiste, professeur des universités ; Jean-François Braunstein, philosophe, professeur des universités ; Jeanne Favret-Saada, anthropologue, directrice d’études honoraire à l’Ecole pratique des hautes études ; Luc Ferry, ancien ministre de l’éducation nationale (2002-2004) ; Renée Fregosi, politiste, maîtresse de conférences HDR en science politique ; Marcel Gauchet, philosophe, directeur d’études émérite à l’Ecole des hautes études en sciences sociales ; Nathalie Heinich, sociologue, directrice de recherche au CNRS ; Gilles Kepel, politiste, professeur des universités ; Catherine Kintzler, philosophe, professeure honoraire des universités ; Pierre Nora, historien, membre de l’Académie française ; Pascal Perrineau, politiste professeur des universités ; Pierre-André Taguieff, historien des idées, directeur de recherche au CNRS ; Pierre Vermeren, historien, professeur des universités

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      Liste complète des signataires :

      Signataires

      Daniel Aberdam, directeur de recherches à l’INSERM – Francis Affergan, professeur émérite des Universités – Alya Aglan, professeur des Universités – Jean-François Agnèse, directeur de recherches IRD – Joëlle Allouche-Benayoun, chargée de recherche au CNRS – Éric Anceau, maître de conférences HDR – Julie d’Andurain, professeur des Universités – Sophie Archambault de Beaune, professeur des Universités – Mathieu Arnold, professeur des Universités – Roland Assaraf, chargé de recherche au CNRS – Philippe Avril, professeur émérite des Universités – Isabelle Barbéris, maître de conférences HDR – Clarisse Bardiot, maître de conférences HDR – Patrick Barrau, maître de conférences honoraire – Christian Bassac, professeur honoraire des Universités – Myriam Benarroch, maître de conférences – Martine Benoit, professeur des Universités – Wladimir Berelowitsch, directeur d’études à l’EHESS – Florence Bergeaud-Blackler, chargée de recherche au CNRS – Maurice Berger, ancien professeur associé des Universités – Marc Bied-Charrenton, professeur émérite des Universités – Andreas Bikfalvi, professeur des Universités – Jacques Billard, maître de conférences honoraire – Jean-Cassien Billier, maître de conférences – Alain Blanchet, professeur émérite des Universités – Guillaume Bonnet, professeur des Universités – ​Laurent Bouvet, professeur des Universités – Rémi Brague, professeur des Universités – Joaquim Brandão de Carvalho, professeur des Universités – Jean-François Braunstein, professeur des Universités – Christian Brechot, professeur émérite des Universités – Stéphane Breton, directeur d’études à l’EHESS – Jean-Marie Brohm, professeur émérite des Universités – Michelle-Irène Brudny, professeur honoraire des Universités – Patrick Cabanel, directeur d’études, École pratique des hautes études – Christian Cambillau, directeur de recherches émérite au CNRS – Belinda Cannone, maître de conférences – Dominique Casajus, directeur de recherches émérite au CNRS – Sylvie Catellin, maître de conférences – Brigitte Chapelain, maître de conférences – Jean-François Chappuit, maître de conférences – Patrick Charaudeau, professeur émérite des Universités – Blandine Chelini-Pon, professeur des Universités – François Cochet, professeur émérite des Universités – Geneviève Cohen-Cheminet, professeur des Universités – Jacqueline Costa-Lascoux, directrice de recherche au CNRS – Cécile Cottenceau, PRAG Université – Philippe Crignon, maître de conférences – David Cumin, maître de conférences HDR – Jean-Claude Daumas, professeur émérite des Universités – Daniel Dayan, directeur de recherches au CNRS – Chantal Delsol, membre de l’Académie des sciences morales et politiques – Gilles Denis, maître de conférences HDR – Geneviève Dermenjian, maître de conférences HDR – Albert Doja, professeur des Universités – Michel Dreyfus, directeur de recherche au CNRS – Philippe Dupichot, professeur des Universités – Alain Ehrenberg, directeur émérite de recherche au CNRS – Marie-Claude Esposito, professeur émérite des Universités – Jean-Louis Fabiani, directeur d’études à l’EHES – Jeanne Favret-Saada, directrice d’études honoraire à l’EPHE – Laurent Fedi, maître de conférences – Rémi Ferrand, maître de conférences – Luc Ferry, ancien ministre de l’Éducation nationale – Michel Fichant, professeur émérite des Universités – Dominique Folscheid, professeur émérite des Universités – Nicole Fouché, chercheuse CNRS-EHESS - Annie Fourcaut, professeur des Universités – Renée Fregosi, maître de conférences HDR retraitée – Pierre Fresnault-Deruelle, professeur émérite des Universités – Marc Fryd, maître de conférences HDR – Alexandre Gady, professeur des Universités – Jean-Claude Galey, directeur d’études à l’EHESS – Marcel Gauchet, directeur d’études à l’EHESS – Christian Gilain, professeur émérite des Universités – Jacques-Alain Gilbert, professeur des Universités – Gabriel Gras, chargé de recherche au CEA – Yana Grinshpun, maître de conférences – Patrice Gueniffey, directeur d’études à l’EHESS – Éric Guichard, maître de conférences HDR – Jean-Marc Guislin, professeur émérite des Universités – Charles Guittard, professeur des Universités – Philippe Gumplowicz, professeur des Universités – Claude Habib, professeur émérite des Universités – François Heilbronn, professeur des Universités associé à Sciences-Po – Nathalie Heinich, directrice de recherche au CNRS – Marc Hersant, professeur des Universités – Philippe d’Iribarne, directeur de recherche au CNRS – François Jost, professeur émérite des Universités – Olivier Jouanjan, professeur des Universités – Pierre Jourde, professeur émérite des Universités – Gilles Kepel, professeur des Universités – Catherine Kintzler, professeur honoraire des Universités – Marcel Kuntz, directeur de recherche au CNRS – Bernard Labatut, maître de conférence HDR – Monique Lambert, professeur des Universités – Frédérique de La Morena, maître de conférences – Philippe de Lara, maître de conférences HDR – Philippe Larralde, PRAG Université – Dominique Legallois, professeur des Universités – Anne Lemonde, maître de conférences – Anne-Marie Le Pourhiet, professeur des Universités – Andrée Lerousseau, maître de conférences – Franck Lessay, professeur émérite des Universités – Marc Levilly, maître de conférences associé – Carlos Levy, professeur émérite des Universités – Roger Lewandowski, professeur des Universités – Philippe Liger-Belair, maître de conférences – Laurent Loty, chargé de recherche au CNRS – Catherine Louveau, professeur émérite des Universités – Danièle Manesse, professeur émérite des Universités – Jean-Louis Margolin, maître de conférences – Joseph Martinetti, maître de conférences – Céline Masson, professeur des Universités – Jean-Yves Masson, professeur des Universités – Eric Maulin, professeur des Universités – Samuel Mayol, maître de conférences – Isabelle de Mecquenem, PRAG Université – Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur des Universités – Marc Michel, professeur émérite des Universités –​ Jean-Baptiste Minnaert, professeur des Universités – Nathalie Mourgues, professeur émérite des Universités – Lion Murard, chercheur associé au CERMES – Franck Neveu, professeur des Universités – Jean-Pierre Nioche, professeur émérite à HEC – Pierre Nora, membre de l’Académie française – Jean-Max Noyer, professeur émérite des Universités – Dominique Ottavi, professeur émérite des Universités – Bruno Ollivier, professeur des Universités, chercheur associé au CNRS – Gilles Pages, directeur de recherche à l’INSERM – Marc Perelman, professeur des Universités – Pascal Perrineau, professeur des Universités – Laetitia Petit, maître de conférences des Universités – Jean Petitot, directeur d’études à l’EHESS – Béatrice Picon-Vallin, directrice de recherches au CNRS – René Pommier, maître de conférences – Dominique Pradelle, professeur des Universités – André Quaderi, professeur des Universités – Gérard Rabinovitch, chercheur associé au CNRS-CRPMS – Charles Ramond, professeur des Universités – Jean-Jacques Rassial, professeur émérite des Universités – François Rastier, directeur de recherche au CNRS – Philippe Raynaud, professeur émérite des Universités – Dominique Reynié, professeur des Universités – Isabelle Rivoal, directrice de recherches au CNRS – Jean-Jacques Roche, professeur des Universités – Pierre Rochette, professeur des Universités – Marc Rolland, professeur des Universités – Danièle Rosenfeld-Katz, maître de conférences – Bernard Rougier, professeur des Universités – Andrée Rousseau, maîtresse de conférences – Jean-Michel Roy, professeur des Universités – François de Saint-Chéron, maître de conférences HDR – Jacques de Saint-Victor, professeur des Universités – Xavier-Laurent Salvador, maître de conférences HDR – Jean-Baptiste Santamaria, maître de conférences – Yves Santamaria, maître de conférences – Georges-Elia Sarfati, professeur des Universités – Jean-Pierre Schandeler, chargé de recherche au CNRS – Pierre Schapira, professeur émérite des Universités – Martine Segalen, professeur émérite des Universités – Perrine Simon-Nahum, directrice de recherche au CNRS – Antoine Spire, professeur associé à l’Université – Claire Squires, maître de conférences – Marcel Staroswiecki, professeur honoraire des Universités – Wiktor Stoczkowski, directeur d’études à l’EHESS – Jean Szlamowicz, professeur des Universités – Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS – Jean-Christophe Tainturier, PRAG Université – Jacques Tarnero, chercheur à la Cité des sciences et de l’industrie – Michèle Tauber, maître de conférences HDR – Pierre-Henri Tavoillot, maître de conférences HDR – Alain Tedgui, directeur de recherches émérite à l’INSERM – ​Thibault Tellier, professeur des Universités – Françoise Thom, maître de conférences HDR – André Tiran, professeur émérite des Universités – Antoine Triller, directeur de recherches émérite à l’INSERM – Frédéric Tristram, maître de conférences HDR – Sylvie Toscer-Angot, maître de conférences – Vincent Tournier, maître de conférences – Christophe Tournu, professeur des Universités – Serge Valdinoci, maître de conférences – Raymonde Vatinet, professeur des Universités – Gisèle Venet, professeur émérite des Universités – François Vergne, maître de conférences – Gilles Vergnon, maître de conférences HDR – Pierre Vermeren, professeur des Universités – Nicolas Weill-Parot, directeur d’études à l’EPHE – Yves Charles Zarka, professeur émérite des Universités – Paul Zawadzki, maître de conférences HDR – Françoise Zonabend, directrice d’études à l’EHESS

      https://manifestedes90.wixsite.com/monsite

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-
      #manifeste_des_cents #manifeste_des_100 #décolonial #ESR #enseignement_supérieur

    • De la liberté d’expression des « voix musulmanes » en France

      Le traumatisme né de l’assassinat de l’enseignant Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine le 16 octobre 2020 impose une réflexion collective profonde, aussi sereine que possible. L’enjeu est fondamental pour la société française qui, d’attentat revendiqué par une organisation constituée en attentat mené par un « loup solitaire », de débat sur le voile en débat sur Charlie, et de loi antiterroriste en loi contre le « séparatisme » s’enferre depuis plusieurs décennies dans une polarisation extrêmement inquiétante autour des questions liées à l’islam.

      Le constat de la diffusion, au sein des composantes se déclarant musulmanes en France, de lectures « radicales » et qui survalorisent la violence est incontestable. L’idéologie dite « djihadiste » demeure certes marginale, mais possède une capacité d’adaptation manifeste, liant les enjeux propres au monde musulman avec des problématiques françaises. Internet lui offre une caisse de résonance particulière auprès des plus jeunes, générant du ressentiment, mais aussi des frustrations. La #prison et la #délinquance, sans doute autant que certaines mosquées et associations cultuelles, constituent d’autres espaces de #socialisation à cette vision mortifère du monde.

      En revanche, les interprétations des racines de cette diffusion divergent, donnant lieu à des #controverses_scientifiques et médiatiques qui n’honorent pas toujours les personnes concernées. Il est manifeste que face à un problème complexe, l’analyse ne saurait être monocausale et ne se pencher que sur une seule variable. L’obsession pour la part purement religieuse du phénomène que légitiment certains chercheurs et qui est au cœur des récentes politiques du gouvernement français fonctionne comme un #écran_de_fumée.

      S’attaquer par des politiques publiques aux « #prêcheurs_de_haine » ou exiger la réforme d’un Islam « malade » sans autre forme de réflexion ou d’action ignore la dimension relationnelle de la #violence et des tensions qui déchirent la France.

      Quand les « islamo-gauchistes » doivent rendre des comptes

      Cette perspective revient à négliger l’importance de la #contextualisation, oubliant d’expliquer pourquoi une interprétation particulière de l’islam a pu acquérir, via sa déclinaison politique la plus fermée, une capacité à incarner un rejet de la société dominante. En somme cette lecture méconnaît comment et pourquoi une interprétation radicale du #référent_islamique trouve depuis quelques années une pertinence particulière aux yeux de certains, et pourquoi ce serait davantage le cas en #France qu’ailleurs en Europe. Elle revient surtout à oublier la nature circulaire des dynamiques qui permet à un contexte et à une idéologie de s’alimenter mutuellement, désignant alors de façon simpliste celui qui « aurait commencé » ainsi que — et c’est là une funeste nouveauté des derniers mois — ses « collabos » affublés du label « islamo-gauchiste » et qui devraient rendre des comptes.

      Beaucoup a ainsi été écrit et dit, parfois trop rapidement. En tant que chercheur et citoyen, je ressens autant de la lassitude que de la tristesse, mesurant combien mon champ professionnel développe de façon croissante une sorte d’incommunicabilité, entrainant des haines tenaces et donnant de plus en plus souvent lieu à de la diffamation entre ses membres. Il m’apparait que la perspective faisant toute sa place à la #complexité des phénomènes politiques et sociaux a, d’une certaine manière, perdu la partie. Marginalisée dans les médias, elle devient manifestement de plus en plus inaudible auprès d’institutions publiques en quête de solutions rapides et brutales, faisant souvent fi du droit. L’approche nuancée des sciences sociales se trouve reléguée dans des espaces d’expression caractérisés par l’entre-soi politique, scientifique ou, il faut le reconnaitre, communautaire (ce dernier parfois prompt à tordre le discours et à le simplifier pour se rassurer).

      « Liberté d’expression », mais pas pour tout le monde

      Cette mécanique de parole complexe reléguée ne concerne pas uniquement les chercheurs. Ma frustration de « perdant » n’a au fond que peu d’importance. Elle renvoie toutefois à un enjeu beaucoup plus fondamental qui concerne l’espace de représentation et d’expression des musulmans français. Dans un contexte de fortes tensions autour de la question musulmane, il s’agit là d’un blocage récurrent dont les pouvoirs publics et une grande partie des médias se refusent à percevoir la centralité. La faiblesse des espaces offerts aux voix qui se revendiquent musulmanes et sont reconnues comme légitimes par leurs coreligionnaires constitue un angle mort que les tenants de la « liberté d’expression » auraient tout intérêt à aborder. Autant que le contrôle policier et la surveillance des appels à la haine sur Internet et dans les mosquées, c’est là un levier nécessaire pour contenir la violence et lutter contre elle.

      La liberté d’expression n’a jamais été totale, et certains tabous légitimes demeurent ou évoluent avec le temps. Pensons à la pédocriminalité dans les années 1970, ou aux caricatures sur les juifs et l’argent dans les années 1930. Parmi les tenants d’une laïcité intégrale, qui a déjà discuté avec une femme voilée ? Partons tout d’abord du principe que l’ignorance de l’Autre et de sa propre histoire constitue une racine de la #polarisation grave de la société française. Admettons ensuite qu’il est important pour chacun d’avoir une perception juste de ses concitoyens et aussi, en démocratie, de se sentir correctement et dignement représenté à une variété d’échelons.

      La figure de #Hassen_Chalghoumi, imam d’origine tunisienne d’une mosquée en Seine–Saint-Denis très fréquemment mobilisé dans les grands médias, symbolise un dysfonctionnement patent de ce mécanisme de #représentation. Sa propension à soutenir des positions politiques à rebours de ses « ouailles » supposées, en particulier sur la Palestine, mais surtout son incapacité à s’exprimer correctement en français ou même à avoir un fond de culture générale partagée ne constitue aucunement des caractéristiques rédhibitoires pour faire appel à lui quand un sujet en lien avec l’islam émerge. Pire, il semblerait même parfois que ce soit exactement le contraire comme quand Valeurs actuelles, alors accusé d’avoir caricaturé la députée Danièle Obono en esclave, a fait appel à lui pour défendre la liberté d’expression et l’a placé, détail sans doute potache, mais tellement symptomatique de mépris affiché, devant une plaque émaillée « Licence IV » (autrefois utilisée pour désigner les débits de boissons alcoolisées).

      Pour les millions de Français d’origine musulmane dont l’élocution française est parfaite et qui partagent les mêmes références culturelles populaires que la majorité des Français, reconnaissons qu’il est parfaitement humiliant d’avoir l’impression que les médias n’ont pas d’autre « modèle » à mobiliser ou à valoriser pour entendre une voix décrite comme musulmane. Comment dès lors ne pas comprendre la défiance envers les médias ou la société dans son ensemble ?

      L’ère du #soupçon

      Certes, il revient aux musulmans au premier chef de s’organiser et de faire émerger des figures représentatives, dépassant ainsi la fragmentation qui est celle de leur culte, ainsi que la mainmise exercée par les États d’origine, Maroc, Algérie et Turquie en tête. Les luttes internes sont elles-mêmes d’une grande violence, souvent fondées sur le « narcissisme des petites différences » de Sigmund Freud. Toutefois, reconnaissons que l’expérience démontre que les restrictions ne sont pas seulement internes à la « communauté ». Il y a plus de vingt ans déjà, le sociologue #Michel_Wieviorka avait pointé du doigt l’incapacité de la société française à accueillir les voix se revendiquant comme musulmanes :

      "Plutôt que d’être perçus comme des acteurs qui inventent et renouvellent la #vie_collective — avec ses tensions, ses conflits, ses négociations —, les associations susceptibles de passer pour « ethniques » ou religieuses […] sont couramment ignorées, soupçonnées de couvrir les pires horreurs ou traitées avec hostilité par les pouvoirs publics. […] À force de rejeter une association sous prétexte qu’elle serait intégriste et fermée sur elle-même, à force de lui refuser toute écoute et tout soutien, on finit par la constituer comme telle."

      De la chanteuse #Mennel (candidate d’origine syrienne à une émission sur TF1 et qui alors portait le foulard) à #Tariq_Ramadan (certes de nationalité suisse) en passant par l’humoriste #Yassine_Belattar et le #Comité_contre_l’islamophobie_en_France (CCIF), les occasions d’exclure les voix endogènes qui revendiquent une part d’#islamité dans leur discours et sont à même de servir de référence tant cultuelle que politique et culturelle ont été nombreuses. Parfois pleinement légitimes lorsque des accusations de viols ont été proférées, des dispositifs de contrôle imposent de « montrer patte blanche » au-delà de ce qui devrait légitimement être attendu. Non limités à l’évaluation de la probité, ils rendent en plus toute critique adressée à la société française et ses failles (en politique étrangère par exemple) extrêmement périlleuses, donnant le sentiment d’un traitement différencié pour les voix dites musulmanes, promptes à se voir si facilement criminalisées. Dès lors, certaines positions, pourtant parfaitement raisonnables, deviennent indicibles.

      Revendiquer la nécessité de la #lutte_contre_l’islamophobie, dont l’existence ne devrait pas faire débat par exemple quand une femme portant le foulard se fait cracher dessus par des passants fait ainsi de manière totalement absurde partie de cette liste de tabous, établie sans doute de manière inconsciente par des années d’#injonctions et de #stigmatisations, héritées de la période coloniale.

      Une telle mécanique vient enfin légitimer les logiques d’#exclusion propres au processus de #radicalisation. Elle s’avère dès lors contreproductive et donc dangereuse. Par exemple, dissoudre le CCIF dont l’action principale est d’engager des médiations et de se tourner vers les institutions publiques est à même de constituer, en acte aux yeux de certains, la démonstration de l’inutilité des #associations et donc l’impossibilité de s’appuyer sur les institutions légales. C’est une fois encore renvoyer vers les fonds invisibles de l’Internet les #espaces_d’expression et de représentation, c’est ainsi creuser des fossés qui génèrent l’#incompréhension et la violence.

      Il devient impérieux d’apprendre à s’écouter les uns les autres. Il demeure aussi nécessaire de reconnaitre que, comme l’entreprise a besoin de syndicats attentifs et représentatifs, la société dans son ensemble, diverse comme elle est, a tout à gagner à offrir des cadres d’expression sereins et ouverts à ses minorités, permettant aussi à celles-ci de revendiquer, quitte à ne pas faire plaisir à moi-même, à la majorité, ou au patron.

      https://orientxxi.info/magazine/de-la-liberte-d-expression-des-voix-musulmanes-en-france,4227
      #religion

    • « La pensée “décoloniale” renforce le narcissisme des #petites_différences »

      80 psychanalystes s’insurgent contre l’assaut des « #identitaristes » dans le champ du savoir et du social

      « Les intellectuels ont une mentalité plus totalitaire que les gens du commun » écrivait Georges Orwell (1903-1950), dans Essais, Articles et Lettres.

      Des militants, obsédés par l’#identité, réduite à l’#identitarisme, et sous couvert d’antiracisme et de défense du bien, imposent des #idéologies_racistes par des #procédés_rhétoriques qui consistent à pervertir l’usage de la langue et le sens des mots, en détournant la pensée de certains auteurs engagés dans la lutte contre le racisme qu’ils citent abondamment comme #Fanon ou #Glissant qui, au contraire, reconnaissent l’#altérité et prônent un nouvel #universalisme.

      Parmi ces militants, le Parti des indigènes de la République -dit le #PIR- qui s’inscrit dans la mouvance « décoloniale ».

      La pensée dite « décoloniale » s’insinue à l’Université et menace les sciences humaines et sociales sans épargner la psychanalyse. Ce phénomène se répand de manière inquiétante et nous n’hésitons pas à parler d’un #phénomène_d’emprise qui distille subrepticement des idées propagandistes. Ils véhiculent une idéologie aux relents totalitaires.

      Réintroduire la « #race » et stigmatiser des populations dites « blanches » ou de couleur comme coupables ou victimes, c’est dénier la #complexité_psychique, ce n’est pas reconnaître l’histoire trop souvent méconnue des peuples colonisés et les traumatismes qui empêchent la transmission.

      Une idéologie qui nie ce qui fait la singularité de l’individu, nie les processus toujours singuliers de #subjectivation pour rabattre la question de l’identité sur une affaire de #déterminisme culturel et social.

      Une idéologie qui secondarise, voire ignore la primauté du vécu personnel, qui sacrifie les logiques de l’#identification à celle de l’identité unique ou radicalisée, dénie ce qui fait la spécificité de l’humain.

      Le livre de Houria Bouteldja, porte-parole du PIR, intitulé Les Blancs, les Juifs et nous. Vers une politique de l’amour révolutionnaire (La Fabrique, 2016), soutenu par des universitaires et des chercheurs du CNRS, prétend défendre les #victimes - les « indigènes » - alors qu’il nous paraît en réalité raciste, antisémite, sexiste et homophobe et soutient un islamisme politique. L’ensemble du livre tourne autour de l’idée que les descendants d’immigrés maghrébins en France, du fait de leurs origines, seraient victimes d’un “#racisme_institutionnel” - voire un #racisme_d’Etat-, lequel aboutirait à véritablement constituer des “#rapports_sociaux_racistes”.

      L’auteure s’adresse aux « Juifs » : « Vous, les Juifs » : des gens qui pour une part seraient étrangers à la « blanchité », étrangers à la « race » qui, depuis 1492, dominerait le monde (raison pour laquelle elle distingue les « Juifs » des « Blancs »), mais qui pour une autre part sont pires que les « Blancs », parce qu’ils en seraient les valets criminels.

      Fanon, auquel les décoloniaux se réfèrent, ne disait-il pas : « Quand vous entendez dire du mal des Juifs, dressez l’oreille, on parle de vous ».

      Le #racialisme pousse à la #position_victimaire, au #sectarisme, à l’#exclusion, et finalement au #mépris ou à la #détestation du différent, et à son exclusion de fait. Il s’appuie sur une réécriture fallacieuse de l’histoire qui nie les notions de #progrès de #civilisation mais aussi des racismes et des rivalités tout aussi ancrés que le #racisme_colonialiste.

      C’est par le « #retournement_du_stigmate » que s’opère la transformation d’une #identité_subie en une #identité_revendiquée et valorisée qui ne permet pas de dépasser la « race.

      Il s’agit là, « d’#identités_meurtrières » (#Amin_Maalouf) qui prétendent se bâtir sur le meurtre de l’autre.

      Ne nous leurrons pas, ces revendications identitaires sont des revendications totalitaires, et ces #dérives_sectaires, communautaristes menacent nos #valeurs_démocratiques et républicaines en essentialisant les individus, en valorisant de manière obsessionnelle les #particularités_culturelles et en remettant à l’affiche une imagerie exotique méprisante que les puissances coloniales se sont évertuées à célébrer.

      Cette idéologie s’appuie sur ce courant multiculturaliste états-unien qu’est l’#intersectionnalité en vogue actuellement dans les départements des sciences humaines et sociales. Ce terme a été proposé par l’universitaire féministe américaine #Kimberlé_Crenshaw en 1989 afin de spécifier l’intersection entre le #sexisme et le #racisme subi par les femmes afro-américaines. La mouvance décoloniale peut s’associer aux « #postcolonial_studies » afin d’obtenir une légitimité académique et propager leur idéologie. Là où l’on croit lutter contre le racisme et l’oppression socio-économique, on favorise le #populisme et les #haines_identitaires. Ainsi, la #lutte_des_classes est devenue une #lutte_des_races.

      Des universitaires, des chercheurs, des intellectuels, des psychanalystes s’y sont ralliés en pensant ainsi lutter contre les #discriminations. C’est au contraire les exacerber.

      #Isabelle_de_Mecquenem, professeure agrégée de philosophie, a raison de rappeler que « emprise » a l’avantage de faire écho à l’article L. 141-6 du #code_de_l'éducation. Cet article dispose que « le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique (…) ». Rappelons que l’affaire Dorin à l’Université de Limoges relève d’une action sectaire (propagande envers les étudiants avec exclusion de toute critique).

      Il est impérieux que tout citoyen démocrate soit informé de la dangerosité de telles thèses afin de ne pas perdre de vue la tension irréductible entre le singulier et l’universel pour le sujet parlant. La #constitution_psychique pour Freud n’est en aucun cas un particularisme ou un communautarisme.

      Nous appelons à un effort de mémoire et de pensée critique tous ceux qui ne supportent plus ces logiques communautaristes et discriminatoires, ces processus d’#assignation_identitaire qui rattachent des individus à des catégories ethno-raciales ou de religion.

      La psychanalyse s’oppose aux idéologies qui homogénéisent et massifient.

      La psychanalyse est un universalisme, un humanisme. Elle ne saurait supporter d’enrichir tout « narcissisme des petites différences ». Au contraire, elle vise une parole vraie au profit de la singularité du sujet et de son émancipation.
      Signataires
      Céline Masson, Patrick Chemla, Rhadija Lamrani Tissot, Laurence Croix, Patricia Cotti, Laurent Le Vaguerèse, Claude Maillard, Alain Vanier, Judith Cohen-Solal, Régine Waintrater, Jean-Jacques Moscovitz, Patrick Landman, Jean-Jacques Rassial, Anne Brun, Fabienne Ankaoua, Olivier Douville, Thierry Delcourt, Patrick Belamich, Pascale Hassoun , Frédéric Rousseau, Eric Ghozlan, Danièle Rosenfeld-Katz, Catherine Saladin, Alain Abelhauser, Guy Sapriel, Silke Schauder, Kathy Saada, Marie-José Del Volgo, Angélique Gozlan, Patrick Martin-Mattera, Suzanne Ferrières-Pestureau, Patricia Attigui, Paolo Lollo, Robert Lévy, Benjamin Lévy, Houria Abdelouahed, Mohammed Ham, Patrick Guyomard, Monique Zerbib, Françoise Nielsen, Claude Guy, Simone Molina, Rachel Frouard-Guy, Françoise Neau, Yacine Amhis, Délia Kohen, Jean-Pierre Winter, Liliane Irzenski, Jean Michel Delaroche , Sarah Colin, Béatrice Chemama-Steiner, Francis Drossart, Cristina Lindenmeyer, Eric Bidaud, Eric Drouet, Marie-Frédérique Bacqué, Roland Gori, Bernard Ferry, Marie-Christine Pheulpin, Jacques Barbier, Robert Samacher, Faika Medjahed, Pierre Daviot, Laetitia Petit, David Frank Allen, Daniel Oppenheim, Marie-Claude Fourment-Aptekman, Michel Hessel, Marthe Moudiki Dubreuil, Isabelle Floch, Pierre Marie, Okba Natahi, Hélène Oppenheim-Gluckman, Daniel Sibony, Jean-Luc Gaspard, Eva Talineau, Paul Alerini, Eliane Baumfelder-Bloch, Jean-Luc Houbron, Emile Rafowicz, Louis Sciara , Fethi Benslama, Marielle David, Michelle Moreau Ricaud, Jean Baptiste Legouis, Anna Angelopoulos, Jean-François Chiantaretto , Françoise Hermon, Thierry Lamote, Sylvette Gendre-Dusuzeau, Xavier Gassmann, Guy Dana, Wladi Mamane, Graciela Prieto, Olivier Goujat, Jacques JEDWAB, Brigitte FROSIO-SIMON , Catherine Guillaume, Esther Joly , Jeanne Claire ADIDA , Christian Pierre, Jean Mirguet, Jean-Baptiste BEAUFILS, Stéphanie Gagné, Manuel Perianez, Alain Amar, Olivier Querouil, Jennifer Biget, Emmanuelle Boetsch, Michèle Péchabrier, Isabel Szpacenkopf, Madeleine Lewensztain Gagna, Michèle Péchabrier, Maria Landau, Dominique Méloni, Sylvie Quesemand Zucca

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2019/09/25/la-pensee-decoloniale-renforce-le-narcissisme-des-petites-differences_601292

      #pensée_décoloniale #psychanalyse #totalitarisme

    • Les sciences sociales contre la République ?

      Un collectif de revues de sciences humaines et sociales (SHS) met au défi le ministre de l’éducation nationale de trouver dans ses publications des textes permettant de dire que l’intersectionnalité inspire le terrorisme islamiste.

      Dans le JDD du 25 octobre, le ministre de l’éducation nationale déclarait qu’il y avait, dans les universités, un combat à mener. Contre l’appauvrissement de l’enseignement supérieur ? Contre la précarité étudiante ? Contre les difficultés croissantes que rencontrent tous les personnels, précaires et titulaires, enseignants et administratifs, à remplir leurs missions ? Contre la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), qui va amplifier ces difficultés ? Non : contre « une partie non négligeable des sciences sociales françaises ». Et le ministre, téméraire : face à cette « #gangrène », il faut cesser la « #lâcheté ».

      On reste abasourdi qu’un ministre de l’#éducation_nationale s’en prenne ainsi à celles et ceux qui font fonctionner les universités. Mais pour aberrants qu’ils soient, ces propos n’étonnent pas tout à fait : déjà tenus, sur Europe 1 et au Sénat, ils prolongent ceux d’Emmanuel Macron, en juin 2020, dans Le Monde, qui accusait les universitaires d’ethniciser la question sociale et de « casser la République en deux ». Plutôt que de se porter garant des libertés académiques, attaquées de toutes parts, notamment dans le cadre du débat parlementaire actuel, Jean-Michel Blanquer se saisit de l’assassinat d’un professeur d’histoire et géographie pour déclarer la guerre aux sciences sociales, qui défendraient des thèses autorisant les violences islamistes ! Sa conviction est faite : ce qui pourrit les universités françaises, ce sont les « thèses intersectionnelles », venues des « universités américaines » et qui « veulent essentialiser » les communautés.

      Ignorance ministérielle

      Le ministre « défie quiconque » de le contredire. Puisque les revues scientifiques sont, avec les laboratoires et les universités, les lieux d’élaboration des sciences sociales, de leurs controverses, de la diffusion de leurs résultats, c’est à ce titre que nous souhaitons mener cette contradiction, ses propos révélant son ignorance de nos disciplines, de leurs débats et de leurs méthodes.

      La démarche scientifique vise à décrire, analyser, comprendre la société et non à décréter ce qu’elle doit être. Les méthodes des sciences sociales, depuis leur émergence avec Emile Durkheim dans le contexte républicain français, s’accordent à expliquer les faits sociaux par le social, précisément contre les explications par la nature ou l’essence des choses. A ce titre, elles amènent aussi à rendre visibles des divisions, des discriminations, des inégalités, même si elles contrarient. Les approches intersectionnelles ne sont pas hégémoniques dans les sciences sociales : avec d’autres approches, que, dans leur précieuse liberté, les revues font dialoguer, elles sont précisément l’un des outils critiques de la #désessentialisation du monde social. Néologisme proposé par la juriste états-unienne Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980, le terme « intersectionnalité » désigne en outre, dans le langage actuel des sciences sociales, un ensemble de démarches qui en réalité remontent au XIXe siècle : il s’agit d’analyser la réalité sociale en observant que les #identités_sociales se chevauchent et que les logiques de #domination sont plurielles.

      Dès 1866, Julie-Victoire Daubié, dans La Femme pauvre au XIXe siècle, montre la particularité de la situation des ouvrières, domestiques et prostituées obligées de travailler pour survivre, faisant des femmes pauvres une catégorie d’analyse pour le champ de la connaissance et de la politique, alors que lorsqu’on parlait des pauvres, on pensait surtout aux hommes ; et que lorsqu’on parlait des femmes, on pensait avant tout aux bourgeoises.

      Une politique répressive de la pensée

      Plus près de nous, l’équipe EpiCov (pour « Epidémiologie et conditions de vie »), coordonnée par la sociologue Nathalie Bajos et le démographe François Héran, vient de publier des données concernant l’exposition au Covid-19 à partir de critères multiples parmi lesquels la classe sociale, le sexe, le lieu de naissance. Une première lecture de ces données indique que les classes populaires travaillant dans la maintenance (plutôt des hommes) et dans le soin (plutôt des femmes) ont été surexposées, et que, parmi elles, on compte une surreprésentation de personnes nées hors d’Europe. Une analyse intersectionnelle cherchera à corréler ces données, entre elles et avec d’autres disponibles, pour mieux comprendre comment les #discriminations s’entrelacent dans la vie des personnes. Où sont l’essentialisation, l’encouragement au communautarisme ? Pour les chercheurs et chercheuses en sciences sociales, il s’agit simplement, à partir de données vérifiées par des méthodes scientifiques, validées entre pairs et ouvertes à la discussion, de faire leur travail.

      L’anathème que le ministre lance traduit une politique répressive de la pensée. Nous mettons M. Blanquer au défi de trouver un seul texte publié dans la bibliothèque ouverte et vivante de nos revues qui permette de dire que l’intersectionnalité inspire le #terrorisme_islamiste. Se saisir d’un mot, « intersectionnalité », pour partir en guerre contre les sciences sociales et, plus généralement, contre la liberté de penser et de comprendre la société, est une manœuvre grossière. Si elle prend, nos universités devront troquer la liberté de chercher (qui est aussi la liberté de se tromper) pour rien moins qu’une science aux ordres, un obscurantisme ministériel. On voit mal comment la République pourrait en sortir grandie.

      Le collectif des revues en lutte, constitué en janvier 2020 autour de l’opposition aux projets de LPPR et de réforme des retraites, rassemble aujourd’hui 157 revues francophones, pour l’essentiel issues des sciences humaines et sociales.

      https://www.lemonde.fr/sciences/article/2020/11/02/les-sciences-sociales-contre-la-republique_6058195_1650684.html

    • Academic freedom in the context of France’s new approach to ’separatism’

      From now on, academic freedom will be exercised within the limits of the values ​​of the Republic. Or not.

      For months, France has been severely weakened by a deepening economic crisis, violent social tensions, and a health crisis out of control. The barbaric assassination of history professor Samuel Paty on October 16 in a Paris suburb and the murder of Vincent Loquès, Simone Barreto Silva, Nadine Devillers in the Notre-Dame basilica in Nice on October 29 have now plunged the country into terror.

      Anger, bewilderment, fear and a need for protection took over French society. French people should have the right to remain united, to understand, to stay sharp, do everything possible not to fall into the trap set by terrorists who have only one objective: to divide them. It is up to politics to lead the effort of collective elaboration of the mourning, to ensure the unity of the country. But that’s not what is happening. Politics instead tries to silence any attempt at reflection tying itself in knots to point the finger at the culprit, or, better yet, the culprits.

      In the narrative of the French government, there are two direct or indirect sources responsible for the resurgence of terrorism: abroad, the foreign powers which finance mosques and organizations promoting the separatism of Islamic communities, and consequently - as is only logical on the perpetually slippery slope of Macronist propaganda - terrorism; at home, it is the academics.

      It is true that the October attacks coincided with tensions which have been increasing for months between France and Turkey on different fronts: Syria, Libya, Nagorno-Karabakh, and above all the Eastern Mediterranean. And it is also true that the relationship between international tensions and the resurgence of terrorism needs to be explored. However, the allusion to the relationship between the role of academics and these attacks is simply outrageous and instrumental, aimed only at discrediting the category of academics engaged in recent weeks in a desperate struggle to prevent the passing of a Research programming law, which violently redefines the methods of funding and management of research projects, the status, the prerogatives as well as the academic freedom of university professors.
      Regaining control?

      “A teacher died and other teachers are being blamed for it" wrote the sociologist Eric Fassin, alluding to a long series of attacks that have been reiterated in recent months on the French university community – a community guilty, according to Macron and his collaborators, of excessive indulgence in the face of “immigration, Islam and integration”.

      “I must regain control of these subjects”, said Emmanuel Macron a year ago to the extreme right-wing magazine Valeurs Actuelles. A few months later, in the midst of a worldwide struggle against racism and police violence, Macron, scandalized by the winds of revolt – rather than by racism and police violence in themselves – explained to Le Monde that "The academic world has been guilty. It has encouraged the ethnicization of social issues, thinking that this was a good path to go down. But the outcome can only be secessionist.” The Minister of National Education Jean-Michel Blanquer, presenting in June 2020 to the Senate’s commission of inquiry on Islamist radicalization, had evoked for his part, “the permeability of the academic world with theories that are at the antipodes of the values of the Republic and secularism”, citing specifically “the indigenist theories”.

      A few days after the homicide of Samuel Paty, in an interview with Europe 1, the minister accused academics of “intellectual complicity with terrorism”, adding that “Islamo-leftism wreaks havoc in the University”… “favoring an ideology that only spells trouble”. Explaining himself further in Le Journal Du Dimanche, on October 24, Blanquer reiterated these accusations, specifying: "There is a fight to be waged against an intellectual matrix coming from American universities and intersectional theses that want to essentialize communities and identities, at the antipodes of the Republican model, which postulates the equality between human beings, independently of their characteristics of origin, sex, religion. It is the breeding ground for a fragmentation of societies that converges with the Islamic model”.
      A Darwinian law

      Such accusations and interferences have provoked many reactions of indignation, including that of the Conférence of University Presidents. However, nothing was sufficient to see the attack off. On Friday evening, after the launch of a fast-track procedure that effectively muzzled the debate, the Senate approved the research programming law. In many respects, this is the umpteenth banal neo-liberal, or, more exactly, admittedly Darwinian, reform of the French university: precarisation of the work of teachers, concentration of the funds on a limited number of “excellent” poles and individuals, promotion of competition between individuals, institutions and countries, strengthening of the managerial management of research, weakening of national guarantee structures and, more generally, weakening of self-governance bodies.

      But this law also contains a clear and astounding plan to redefine the respective roles of science and politics. The article of the law currently in force, which very effectively and elegantly defined the meaning of academic freedom:

      “Teacher and researchers enjoy full independence and complete freedom of expression in the exercise of their teaching functions and their research activities, subject to the reservations imposed on them, in accordance with university traditions and the provisions of this code, the principles of tolerance and objectivity”, has been amended by the addition of this sentence:

      “Academic freedoms are exercised with respect for the values ​​of the Republic”

      This addition which is in itself an outrage against the principles of the separation of powers and academic freedom has been joined by an explicit reference to the events of these days:

      “The terrible tragedy in Conflans-Sainte-Honorine shows more than ever the need to preserve, within the Republic, the freedom to teach freely and to educate the citizens of tomorrow”, states the explanatory memorandum. "The purpose of this provision is to enshrine this in law so that these values, foremost among which is secularism, constitute the foundation on which academic freedoms are based and the framework in which they are expressed.”

      The emotion engendered by the murder of innocent people was therefore well and truly exploited in an ignoble manner to serve the anti-democratic objective of limiting academic freedoms and setting the choices of the subjects to be studied, as well as the “intellettual matrix” to be adopted under the surveillance today of the presidential majority and tomorrow, who knows?

      To confirm this reading of the priorities of the majority and the fears it arouses, on Sunday November 1, Thierry Coulhon, adviser to the President of the Republic was appointed, through a “Blitzkrieg”, head of the Haut Council for the Evaluation of Research and Higher Education (Hceres), the national body responsible for the evaluation of research.

      A few details of this law, including the amendment on the limits of research freedom, may still change in the joint committee to be held on November 9. But the support of academics, individuals, organizations, scholarly journals, for the Solemn appeal for the protection of academic freedom and the right to study is now more urgent and necessary than ever.

      https://www.opendemocracy.net/en/can-europe-make-it/academic-freedom-in-the-context-of-frances-new-approach-to-separatism

    • Les sciences sociales contre la République ?

      Le 2 novembre 2020, l’AG des Revues en Lutte a répondu dans Le Monde au ministre J.-M. Blanquer qui entend combattre « une partie non négligeable des sciences sociales françaises », au prétexte de la lutte anti-terroriste.

      Cette tribune, que nous reproduisons ci-dessous, rejoint de très nombreuses prises de position récentes, contre l’intervention de J.-M. Blanquer, mais aussi contre E. Macron qui accuse les universitaires de « casser la République en deux » et contre deux amendements ajoutés à la LPPR (déjà parfaitement délétère) au Sénat : « les libertés académiques s’exercent dans le respect des valeurs de la République » et « les trouble-fête iront en prison ».

      Voici quelques-unes de ces prises de position :

      - Appel solennel pour la protection des libertés académiques et du droit d’étudier, sur Academia : https://academia.hypotheses.org/27287
      - Libertés académiques : des amendements à la loi sur la recherche rejetés par des sociétés savantes, dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/societe/article/2020/11/02/libertes-academiques-des-amendements-a-la-loi-sur-la-recherche-rejetes-par-d
      – Lettre ouverte aux Parlementaires, par Facs et labos en lutte, RogueESR, Sauvons l’Université et Université Ouverte : rogueesr.fr/lettre-ouverte-lpr/
      - Communiqué de presse : retrait de 3 amendements sénatoriaux à la LPR, par le collectif des sociétés savantes académiques : https://societes-savantes.fr/communique-de-presse-retrait-de-3-amendements-senatoriaux-a-la-lpr
      – « Cette attaque contre la liberté académique est une attaque contre l’État de droit démocratique », dans Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/02/cette-attaque-contre-la-liberte-academique-est-une-attaque-contre-l-etat-de-
      - Communique de presse national, par Facs et labos en lutte, RogueESR, Sauvons l’Université et Université Ouverte : rogueesr.fr/communique_suspendre_lpr/
      - Intersectionnalité : Blanquer joue avec le feu, par Rose-Marie Lagrave : https://www.liberation.fr/debats/2020/11/03/intersectionnalite-blanquer-joue-avec-le-feu_1804309
      - Qui est complice de qui ? Les libertés académiques en péril, par Eric Fassin : https://blogs.mediapart.fr/eric-fassin/blog/011120/qui-est-complice-de-qui-les-libertes-academiques-en-peril
      - Les miliciens de la pensée et la causalité diabolique, par Seloua Luste Boulbina : https://blogs.mediapart.fr/seloua-luste-boulbina/blog/021120/les-miliciens-de-la-pensee-et-la-causalite-diabolique
      - L’islamo-gauchisme : comment (ne) naît (pas) une idéologie, par Samuel Hayat : https://www.nouvelobs.com/idees/20201027.OBS35262/l-islamo-gauchisme-comment-ne-nait-pas-une-ideologie.html
      – Après Conflans : gare aux mots de la démocratie, par Olivier Compagnon : https://universiteouverte.org/2020/10/27/apres-conflans-gare-aux-mots-de-la-democratie
      – Toi qui m’appelles islamo-gauchiste, laisse-moi te dire pourquoi le lâche, c’est toi, par Alexis Dayon : https://blogs.mediapart.fr/alexis-dayon/blog/221020/toi-qui-mappelles-islamo-gauchiste-laisse-moi-te-dire-pourquoi-le-la
      - « Que le terme plaise ou non, il y a bien une islamophobie d’État en France », par Jean-François Bayart : https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/jean-francois-bayart-que-le-terme-plaise-ou-non-il-y-a-bien-une-islamophobie

      On peut également mentionner les nombreux numéros de revues académiques, récents ou à venir, portant sur l’intersectionnalité, cœur de l’attaque du gouvernement. Les Revues en Lutte en citent plusieurs dans un superbe fil Twitter (https://twitter.com/RevuesEnLutte/status/1321861736165711874?s=20).

      Un collectif de revues de sciences humaines et sociales (SHS) met au défi le ministre de l’éducation nationale de trouver dans ses publications des textes permettant de dire que l’intersectionnalité inspire le terrorisme islamiste.

      Tribune

      Dans le JDD du 25 octobre, le ministre de l’éducation nationale déclarait qu’il y avait, dans les universités, un combat à mener. Contre l’appauvrissement de l’enseignement supérieur ? Contre la précarité étudiante ? Contre les difficultés croissantes que rencontrent tous les personnels, précaires et titulaires, enseignants et administratifs, à remplir leurs missions ? Contre la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR), qui va amplifier ces difficultés ? Non : contre « une partie non négligeable des sciences sociales françaises ». Et le ministre, téméraire : face à cette « gangrène », il faut cesser la « lâcheté ».

      On reste abasourdi qu’un ministre de l’éducation nationale s’en prenne ainsi à celles et ceux qui font fonctionner les universités. Mais pour aberrants qu’ils soient, ces propos n’étonnent pas tout à fait : déjà tenus, sur Europe 1 et au Sénat, ils prolongent ceux d’Emmanuel Macron, en juin 2020, dans Le Monde, qui accusait les universitaires d’ethniciser la question sociale et de « casser la République en deux ». Plutôt que de se porter garant des libertés académiques, attaquées de toutes parts, notamment dans le cadre du débat parlementaire actuel, Jean-Michel Blanquer se saisit de l’assassinat d’un professeur d’histoire et géographie pour déclarer la guerre aux sciences sociales, qui défendraient des thèses autorisant les violences islamistes ! Sa conviction est faite : ce qui pourrit les universités françaises, ce sont les « thèses intersectionnelles », venues des « universités américaines » et qui « veulent essentialiser » les communautés.
      Ignorance ministérielle

      Le ministre « défie quiconque » de le contredire. Puisque les revues scientifiques sont, avec les laboratoires et les universités, les lieux d’élaboration des sciences sociales, de leurs controverses, de la diffusion de leurs résultats, c’est à ce titre que nous souhaitons mener cette contradiction, ses propos révélant son ignorance de nos disciplines, de leurs débats et de leurs méthodes.

      La démarche scientifique vise à décrire, analyser, comprendre la société et non à décréter ce qu’elle doit être. Les méthodes des sciences sociales, depuis leur émergence avec Emile Durkheim dans le contexte républicain français, s’accordent à expliquer les faits sociaux par le social, précisément contre les explications par la nature ou l’essence des choses. A ce titre, elles amènent aussi à rendre visibles des divisions, des discriminations, des inégalités, même si elles contrarient. Les approches intersectionnelles ne sont pas hégémoniques dans les sciences sociales : avec d’autres approches, que, dans leur précieuse liberté, les revues font dialoguer, elles sont précisément l’un des outils critiques de la désessentialisation du monde social. Néologisme proposé par la juriste états-unienne Kimberlé Crenshaw à la fin des années 1980, le terme « intersectionnalité » désigne en outre, dans le langage actuel des sciences sociales, un ensemble de démarches qui en réalité remontent au XIXe siècle : il s’agit d’analyser la réalité sociale en observant que les identités sociales se chevauchent et que les logiques de domination sont plurielles.

      Dès 1866, Julie-Victoire Daubié, dans La Femme pauvre au XIXe siècle, montre la particularité de la situation des ouvrières, domestiques et prostituées obligées de travailler pour survivre, faisant des femmes pauvres une catégorie d’analyse pour le champ de la connaissance et de la politique, alors que lorsqu’on parlait des pauvres, on pensait surtout aux hommes ; et que lorsqu’on parlait des femmes, on pensait avant tout aux bourgeoises.
      Une politique répressive de la pensée

      Plus près de nous, l’équipe EpiCov (pour « Epidémiologie et conditions de vie »), coordonnée par la sociologue Nathalie Bajos et l’épidémiologiste Josiane Warszawski, vient de publier des données concernant l’exposition au Covid-19 à partir de critères multiples parmi lesquels la classe sociale, le sexe, le lieu de naissance. Une première lecture de ces données indique que les classes populaires travaillant dans la maintenance (plutôt des hommes) et dans le soin (plutôt des femmes) ont été surexposées, et que, parmi elles, on compte une surreprésentation de personnes nées hors d’Europe. Une analyse intersectionnelle cherchera à corréler ces données, entre elles et avec d’autres disponibles, pour mieux comprendre comment les discriminations s’entrelacent dans la vie des personnes. Où sont l’essentialisation, l’encouragement au communautarisme ? Pour les chercheurs et chercheuses en sciences sociales, il s’agit simplement, à partir de données vérifiées par des méthodes scientifiques, validées entre pairs et ouvertes à la discussion, de faire leur travail.

      L’anathème que le ministre lance traduit une politique répressive de la pensée. Nous mettons M. Blanquer au défi de trouver un seul texte publié dans la bibliothèque ouverte et vivante de nos revues qui permette de dire que l’intersectionnalité inspire le terrorisme islamiste. Se saisir d’un mot, « intersectionnalité », pour partir en guerre contre les sciences sociales et, plus généralement, contre la liberté de penser et de comprendre la société, est une manœuvre grossière. Si elle prend, nos universités devront troquer la liberté de chercher (qui est aussi la liberté de se tromper) pour rien moins qu’une science aux ordres, un obscurantisme ministériel. On voit mal comment la République pourrait en sortir grandie.

      https://universiteouverte.org/2020/11/03/les-sciences-sociales-contre-la-republique

    • Islamisme : où est le déni des universitaires   ?

      Dans une tribune publiée par « le Monde », une centaine de professeurs et de chercheurs dénoncent les « idéologies indigénistes, racialistes et décoloniales » de leurs pairs, lesquelles mèneraient au terrorisme. Les auteurs rejouent ainsi la rengaine du choc des cultures qui ne peut servir que l’extrême droite identitaire.

      Comment peut-on prétendre alerter sur les dangers, réels, cela va sans dire, de l’islamisme en se référant aux propos confus et injurieux de Jean-Michel Blanquer ? Or, une récente tribune du Monde (https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/10/31/une-centaine-d-universitaires-alertent-sur-l-islamisme-ce-qui-nous-menace-c-), au lieu de contribuer à une nécessaire clarification, n’a pas d’autre fonction que de soutenir un ministre qui, loin de pouvoir se prévaloir d’une quelconque expertise sur les radicalités contemporaines, mène en outre une politique régressive pour l’école, c’est-à-dire indifférente à la reproduction des inégalités socio-culturelles dont s’accommode l’idéologie méritocratique. Faire oublier cette politique en détournant l’attention, d’autres que lui l’ont fait. Il convient seulement de ne pas être dupe.

      Car que disent les auteurs (certains d’entre eux, fort estimables, ont probablement oublié de relire) ? Que « l’islamo-gauchisme », ni défini ni corrélé au moindre auteur, est l’idéologie « qui mène au pire », soit au terrorisme. Ceux qui la propagent dans nos universités, « très puissants dans l’enseignement supérieur », commettraient d’irréparables dégâts. Et l’on invoque pêle-mêle l’indigénisme, le racialisme et le décolonialisme, sans le moindre souci de complexification, ni même de définition, souci non utile tant le symptôme de la supposée gangrène serait aisément repérable : le port du voile.

      Plus de trente ans après l’affaire de Creil, et quantité de travaux sociologiques, on n’hésite donc toujours pas à nier l’équivocité de ce signe d’appartenance pour le réduire à un outil de propagande. Chercher à comprendre, au lieu de condamner, serait une manifestation de l’esprit munichois. Que la Conférence des présidents d’université (CPU) proteste contre les déclarations du ministre, en rappelant utilement la fonction des chercheurs, passe par pertes et profits, l’instance que l’on ne peut soupçonner d’un quelconque gauchisme étant probablement noyautée par des islamistes dissimulés !

      Cette tribune rejoue, une fois encore, une vieille rengaine, celle du #choc_des_civilisations : « haine des Blancs », « doxa antioccidentale », « #multiculturalisme » (!), voilà les ennemis dont les universitaires se réclameraient, ou qu’ils laisseraient prospérer, jusqu’à saper ce qui fait le prix de notre mode de vie. Au demeurant, les signataires de la présente tribune sont profondément attachés aux principes de la République et, en l’espèce, à la liberté de conscience et d’expression. C’est au nom de celle-ci qu’ils se proposent de dénoncer les approximations de leurs collègues.

      Choisir le #débat plutôt que l’#invective

      Concernant l’#indigénisme, sa principale incarnation, le Parti des indigènes de la République (PIR) a totalement échoué dans sa volonté d’être audible dans nos enceintes universitaires. Chacun sait bien que l’écho des thèses racistes, antisémites et homophobes d’#Houria_Bouteldja est voisin de zéro. Quant au #décolonialisme, auquel l’indigénisme se rattache mais qui recouvre quantités d’autres thématiques, il représente bien un corpus structuré. Néanmoins, les études sur son influence dans nos campus concluent le plus souvent à un rôle marginal. Et, quoi qu’il en soit, ses propositions méritent débat parce qu’elles se fondent sur une réalité indiscutable : celle de l’existence d’injustices « épistémiques », c’est-à-dire d’#injustices qui se caractérisent par les #inégalités d’accès, selon l’appartenance raciale ou de genre, aux positions académiques d’autorité.

      D’une façon générale, il ne fait aucun doute que la communauté scientifique a, dans le passé, largement légitimé l’idée de la supériorité des hommes sur les femmes, des Blancs sur les Noirs, des « Occidentaux » sur les autochtones, etc. Mais, à partir de ce constat, les décoloniaux refusent la possibilité d’un point de vue universaliste et objectif au profit d’une épistémologie qui aurait « une couleur et une sexualité ». Ce faisant, ils oublient #Fanon dont pourtant ils revendiquent l’héritage : « Chaque fois qu’un homme a fait triompher la dignité de l’esprit, chaque fois qu’un homme a dit non à une tentative d’asservissement de son semblable, je me suis senti solidaire de son acte. En aucune façon je ne dois tirer du passé des peuples de couleur ma vocation originelle. […] Ce n’est pas le monde noir qui me dicte ma conduite. Ma peau noire n’est pas dépositaire de valeurs spécifiques. » Nous devons choisir le débat plutôt que l’invective.

      L’obsession antimulticulturaliste

      Quant à l’obsession antimulticulturaliste (« #prêchi-prêcha », écrivent-ils), elle est ignorante de ce qu’est vraiment ce courant intellectuel. A de nombreux égards, ce dernier propose une conception de l’#intégration différente de celle cherchant à assimiler pour égaliser. Il est donc infondé de le confondre avec une vision ethno-culturelle du lien politique. Restituer à l’égal sa différence, tel est le projet du multiculturalisme, destiné en définitive à aller plus loin dans l’instauration de l’#égalité que n’était parvenue à le faire la solution républicaine classique. Le meilleur de ce projet, mais non nécessairement sa pente naturelle, est sa contribution à ce que l’un de nous nomme la « #décolonisation_des_identités » (Alain Renaut), conciliation que les crimes de la #colonisation avaient rendue extrêmement difficile. Bref, nous sommes très éloignés du « prêchi-prêcha ».

      Enfin, un mot sur la « #haine_des_Blancs ». Cette accusation est non seulement stupéfiante si elle veut rendre compte des travaux universitaires, mais elle contribue à l’#essentialisation « racialiste » qu’elle dénonce. En effet, elle donne une consistance théorique à l’apparition d’un nouveau groupe, les Blancs, qui auparavant n’était pas reconnu, et ne se reconnaissait pas, comme tel. Dès lors, en présupposant l’existence d’une idéologie racialiste anti-française, anti-blanche, on inverse les termes victimaires en faisant de la culture dominante une culture assiégée. Ce tour de passe-passe idéologique ne peut servir que l’extrême droite identitaire.

      Toutes nos remarques critiques montrent qu’au lieu d’amorcer un nécessaire débat, la tribune ici analysée témoigne du déni dont pourtant des intellectuels non clairement identifiés sont accusés. Comment interpréter ce « manifeste » autrement que comme un appel à censurer ?

      https://www.liberation.fr/debats/2020/11/04/islamisme-ou-est-le-deni-des-universitaires_1804439

    • « Les libertés sont précisément foulées aux pieds lorsqu’on en appelle à la dénonciation d’études et de pensée »

      Environ deux mille chercheurs et chercheuses dénoncent, dans une tribune au « Monde », l’appel à la police de la pensée dans les universités signé par une centaine d’universitaires en soutien aux propos de Jean-Michel Blanquer sur « l’islamo-gauchisme ».

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/11/04/les-libertes-sont-precisement-foulees-aux-pieds-lorsqu-on-en-appelle-a-la-de

    • Open Letter: the threat of academic authoritarianism – international solidarity with antiracist academics in France

      A critical response to the Manifesto signed by over 100 French academics and published in the newspaper Le Monde on 2 November 2020, after the assassination of the school teacher, Samuel Paty.

      At a time of mounting racism, white supremacism, antisemitism and violent far-right extremism, academic freedom has come under attack. The freedom to teach and research the roots and trajectories of race and racism are being perversely blamed for the very phenomena they seek to better understand. Such is the contention of a manifesto signed by over 100 French academics and published in the newspaper Le Monde on 2 November 2020. Its signatories state their agreement with French Minister of Education, Jean-Michel Blanquer, that ‘indigenist, racialist, and “decolonial” ideologies,’ imported from North America, were responsible for ‘conditioning’ the violent extremist who assassinated school teacher, Samuel Paty, on 16 October 2020.

      This claim is deeply disingenuous, and in a context where academics associated with critical race and decolonial research have recently received death threats, it is also profoundly dangerous. The scholars involved in this manifesto have readily sacrificed their credibility in order to further a manifestly false conflation between the study of racism in France and a politics of ‘Islamism’ and ‘anti-white hate’. They have launched it in a context where academic freedom in France is subject to open political interference, following a Senate amendment that redefines and limits it to being ‘exercised with respect for the values of the Republic’.

      The manifesto proposes nothing short of a McCarthyist process to be led by the French Ministry for Higher Education, Research and Innovation to weed out ‘Islamist currents’ within universities, to take a clear position on the ‘ideologies that underpin them’, and to ‘engage universities in a struggle for secularism and the Republic’ by establishing a body responsible for dealing with cases that oppose ‘Republican principles and academic freedom’. The ‘Islamogauchiste’ tag (which conflates the words ‘Islam’ and ‘leftists’) is now widely used by members of the government, large sections of the media and hostile academics. It is reminiscent of the antisemitic ‘Judeo-Bolshevism’ accusation in the 1930s which blamed the spread of communism on Jews. The ‘Islamogauchiste’ notion is particularly pernicious as it voluntarily confuses Islam (and Muslims) with Jihadist Islamists. In other words, academics who point out racism against the Muslim minority in France are branded allies of Islamist terrorists and enemies of the nation.

      This is not the only contradiction that shapes this manifesto. Its signatories appear oblivious to how its feverish tone is redolent of the antisemitic witch-hunts against so-called ‘Cultural Marxists’ that portrayed Jewish intellectuals as enemies of the state. Today’s enemies are Muslims, political antiracists, and decolonial thinkers, as well as anyone who stands with them against rampant state racism and Islamophobia.

      Further, when seen in a global context, the question of who is in fact ‘importing’ ideas from North America is worth considering. The manifesto comes on the back of the Trump administration’s executive order ‘on Combating Race and Sex Stereotyping’ which effectively bans federal government contractors or subcontractors from engaging what are characterised as ideologies that portray the United States as ‘fundamentally racist or sexist’. Quick on Trump’s heels, the British Conservative Party moved to malign Critical Race Theory as a separatist ideology that, if taught in schools, would be ‘breaking the law’.

      We are concerned about the clear double standards regarding academic freedom in the attack on critical race and decolonial scholarship mounted by the manifesto. In opposition to the actual tenets of academic freedom, the demands it makes portray any teaching and research into the history or sociology of French colonialism and institutionalised racism as an attack on academic freedom. In contrast, falsely and dangerously linking these scholarly endeavours to Islamic extremism and holding scholars responsible for brutal acts of murder, as do the signatories of the Manifesto, is presented as consistent with academic freedom.

      This is part of a global trend in which racism is protected as freedom of speech, while to express antiracist views is regarded as a violation of it. For the signatories of the manifesto – as for Donald Trump – only sanitised accounts of national histories that omit the truth about colonialism, slavery, and genocide can be antiracist. In this perverse and ahistorical vision, to engage in critical research and teaching in the interests of learning from past injustices is to engage in ‘anti-white racism’, a view that reduces racism to the thoughts of individuals, disconnecting it from the actions, laws and policies of states and institutions in societies in which racial socioeconomic inequality remains rife.

      In such an atmosphere, intellectual debate is made impossible, as any critical questioning of the role played by France in colonialism or in the current geopolitics of the Middle East or Africa, not to mention domestic state racism, is dismissed as a legitimation of Islamist violence and ‘separatism’. Under these terms, the role of political and economic elites in perpetuating racism both locally and on a global scale remains unquestioned, while those who suffer are teachers and activists attempting to improve conditions for ordinary people on the ground.

      In the interests of a real freedom, of speech and of conscience, we stand with French educators under threat from this ideologically-driven attack by politicians, commentators and select academics. It is grounded in the whitewashing of the history of race and colonialism and an Islamophobic worldview that conflates all Muslims with violence and all their defenders with so-called ‘leftist Islamism’. True academic freedom must include the right to critique the national past in the interests of securing a common future. At a time of deep polarization, spurred by elites in thrall to white supremacism, defending this freedom is more vital than ever.

      https://www.opendemocracy.net/en/can-europe-make-it/open-letter-the-threat-of-academic-authoritarianism-international-sol

    • Qui pour soutenir les « coupables de dérives intellectuelles idéologiques dans les universités » ?

      Mercredi 25 novembre 2020 : deux députés demandent la « création d’une mission d’information sur les dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires », et le font publiquement savoir par un communiqué de presse.

      Ni la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, ni la Conférence des présidents d’université, ni l’Udice, l’association autoproclamée des dix plus grandes « universités de recherche » françaises, ne bougent le petit doigt.

      Jeudi 26 novembre 2020 : l’un des deux députés précédents, un certain Julien Aubert, se sentant pousser des ailes, décide d’aller plus loin, et dresse une liste de sept universitaires, dont un président d’université, qui ont en commun d’avoir dit sur les réseaux sociaux le dégoût que leur inspire l’idée même de « dérives intellectuelles idéologiques ». Publiant leurs photos de profils et leurs comptes Twitter personnels, le député jubile, avec le message suivant :

      « Les coupables s’autodésignent. Alors que la privation du débat, l’ostracisation et la censure est constatée par nombre de professeurs, étudiants ou intellectuels, certains se drapent dans des accusations de fascisme et de maccarthysme. »

      La ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, la Conférence des présidents d’université et l’Udice ne bougent pas davantage le petit doigt.

      Vendredi 27 novembre 2020 : L’Auref, l’Alliance des universités de recherche et de formation, qui regroupe rien de moins que 35 universités, décide de sortir du bois, et il faut la saluer. Il faut dire, aussi, que l’un de ses membres, le président de l’université de Bordeaux Montaigne, figure par les « coupables » désigné par le député Aubert. Le communiqué choisit de rester tout en rondeur : il « appelle à plus de calme et de retenue dans les propos, de dignité et de respect de l’autre dans le légitime débat public, de mobilisation sur les vrais enjeux de la France et de son université ». Mais il a le mérite, lui, d’exister.

      L’université de Rennes 2, de son côté, annonce se réserver « le droit de donner une suite juridique à cette dérive grave ». C’est en effet une vraie question, à tout le moins sur le terrain de la diffamation.

      Du côté de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, de la Conférence des présidents d’université et de l’Udice, en revanche, rien. Toujours rien. Désespérément rien.

      Ils bougeront un jour, c’est sûr, il le faudra bien, comme ils avaient bougé après les propos de Jean-Michel Blanquer sur l’islamo-gauchisme. Mais bouger comme ils le font, à la vitesse d’escargots réticents, ce n’est pas un soutien résolu et indéfectible dans la défense des libertés académiques. Ces gens ne sont tout simplement pas à la hauteur de l’Université.

      https://academia.hypotheses.org/29081

    • Chasse aux sorcières. Un député contre-attaque

      Loi recherche, libertés académiques et furie parlementaire..
      Comme elles venaient cette fois de députés, j’ai demandé au Président de l’@AssembleeNat de se saisir des attaques personnelles contre des personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche.
      Rien ne va plus.

      https://twitter.com/Sebastien_Nadot/status/1332350483437150209


      https://academia.hypotheses.org/29133

      #Sébastien_Nadot

    • La liste des coupables s’allonge. Au tour des universités ?

      Au Journal officiel de ce 3 décembre 2020, on trouve le décret portant dissolution d’un « #groupement_de_fait », l’« Association de défense des droits de l’homme – #Collectif_contre_l’islamophobie_en_France » (https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=-nWvo0jS6QqmBjWn9EPe_u_AvWkqbw3aGTWSBldcbDg=). Cette association était plus connue sous le nom de « #CCIF ».

      Ce décret de #dissolution inhabituellement long – trois pages – a déjà largement été commenté et dénoncé1. Academia se permet néanmoins d’insister sur un point : il est important de lire avec attention l’argumentation de ce décret — ce qu’en droit, on nomme les motifs — et d’observer par quels sautillements logiques le gouvernement en arrive aux pires conclusions. C’est même crucial pour la communauté de l’ESR, dans un contexte bien particulier d’attaques contre les libertés académiques. Certes, ce n’est pas la même artillerie qui est déployée contre le CCIF, d’un côté, et contre les universités et les scientifiques, de l’autre ; mais les petits bonds logiques qui y conduisent présentent de très fortes ressemblances.

      Prenons le premier des motifs du décret :

      « En qualifiant d’islamophobes des mesures prises dans le but de prévenir des actions terroristes et de prévenir ou combattre des actes punis par la loi, [le CCIF] doit être regardé comme partageant, cautionnant et contribuant à propager de telles idées, au risque de susciter, en retour, des actes de haine, de violence ou de discrimination ou de créer le terrain d’actions violentes chez certains de ses sympathisants ».

      Et voyons à quelle conclusion ce motif conduit :

      « Considérant que par suite, [le CCIF] doit être regardé comme provoquant à la haine, à la discrimination et à la violence en raison de l’origine, de l’appartenance à une ethnie, à une race ou à une religion déterminée et comme propageant des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ».

      Voilà donc un raisonnement qui se déploie de manière très décomplexée. Voir de l’islamophobie dans certaines évolutions arbitraires et discriminatoires de l’action anti-terroriste, c’est, première conséquence, prendre le « risque » de susciter du terrorisme ; et dans tous les cas, cela doit, seconde conséquence, être regardé comme une provocation à la haine, à la discrimination et à la violence en raison de l’origine, de l’appartenance à une ethnie, à une race ou à une religion déterminée et comme une propagation des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence.

      Ce mode bien particulier de raisonnement appelle deux remarques.

      La première remarque a trait au choix bien précis des mots qui sont employés dans le décret de dissolution du 2 décembre 2020. Ce décret fait référence, en réalité, à deux infractions pénales :

      - Il suggère d’abord l’infraction de provocation directe à des actes de terrorisme. Au terme de l’article 421-2-5 du code pénal, en effet, « le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000€ d’amende ».
      - Il suggère ensuite l’infraction d’incitation à la haine, à la violence ou à la discrimination raciale. Au terme de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en effet, « ceux qui auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement ».

      Mais le décret ne fait que suggérer ces infractions : il en reprend des formules, mais il ne dit pas qu’elles ont été commises par le CCIF. Il ne le dit pas parce que ces infractions n’ont pas été commises. Si elles l’avaient été, des poursuites pénales auraient immédiatement été engagées. Les outils de la police administrative — ici la dissolution d’une association — viennent donc suppléer les outils de la répression pénale, en singeant ces derniers : puisque le CCIF n’était pas sérieusement attaquable devant le juge pénal, le pouvoir exécutif choisit de l’attaquer par la voie administrative, et pour cela, il mime le vocabulaire pénal, tout en s’affranchissant, évidemment, de toutes les garanties qui caractérisent le procès pénal.

      La seconde remarque est, pour les universités, la plus importante. La dissolution du CCIF est largement justifiée par des propos tenus par l’association et ses dirigeants, au titre de leur liberté d’expression et sans qu’aucune infraction pénale n’ait été commise. La Ligue des droits de l’homme l’a bien identifié dans son communiqué : avec ce décret « le gouvernement s’engage sur la voie du délit d’opinion », un délit qui, précisément, n’existe pas. Un des motifs retenus dans le décret est, de ce point de vue, significatif :

      « sous couvert de dénoncer les actes de discriminations commis contre les musulmans, [le CCIF] défend et promeut une notion d’islamophobie particulièrement large, n’hésitant pas à comptabiliser au titre des ‘actes islamophobes‘ des mesures de police administrative, voire des décisions judiciaires, prises dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ».

      Ainsi donc, qualifier des pans de la lutte contre le terrorisme d’actes « islamophobes » est désormais interdit. Ce n’est pas interdit sur le plan pénal ; mais c’est sanctionné par le pouvoir exécutif, qui use pour cela de ses outils de police administrative.
      Quels enseignements pour l’enseignement supérieur et la recherche ?

      Ces petits bonds logiques grâce auxquels Emmanuel Macron, Jean Castex et Gérald Darmanin, les trois signataires du décret, justifient des atteintes à la libre expression sont évidemment inquiétants quant à l’état général des droits et libertés en France. Or, on observe quelques tressaillements du même ordre du côté de l’enseignement supérieur et de la recherche, et c’est sur ce point que nous aimerions insister à présent. Bien sûr, la situation du CCIF et celle de l’ESR restent incomparables, dans la mesure où, du côté de l’ESR, la grande machinerie de la police administrative n’a pas été mise en branle comme elle l’a été pour le CCIF. En revanche, des petits bonds logiques du même ordre que ceux dont le CCIF a été victime se multiplient jusqu’au sein des plus prestigieux établissements d’enseignement supérieur et de recherche. Plus inquiétant encore, ils se diffusent dans des cercles de plus en plus officiels au parlement et au gouvernement.

      L’établissement de relations entre des recherches scientifiques, d’un côté, et des qualifications pénales, de l’autre, sans pour autant que le moindre début de délit ne puisse être établi, se retrouve désormais couramment sous la plume de certain·es universitaires. Nathalie Heinich, directrice de recherche CNRS (classe exceptionnelle), membre du Centre de recherches sur les arts et le langage (CNRS/ EHESS), s’y prête allègrement par exemple : comme elle l’a récemment déclaré au Times Higher Education2, « les affirmations des universitaires sur le ‘racisme systématique’ et le ‘racisme d’État’ sont un encouragement direct au terrorisme ». Un encouragement direct au terrorisme, dit-elle : la référence à l’article 421-2-5 du code pénal, évoqué plus haut, est à nouveau explicite. À l’instar de ce que fait le pouvoir exécutif dans le décret de dissolution du CCIF, le vocabulaire du droit pénal est appelé à la rescousse pour attaquer certaines formes d’expression, sans, pour autant, qu’aucun début d’infraction pénale ne puisse être mobilisé.

      Ces références mal contrôlées au droit pénal auxquelles se livrent certain·es universitaires ne sont pas sans effets. Elles sont désormais reprises non sans opportunisme par certaines des plus hautes autorités de l’État. C’est le cas du député Julien Aubert qui, après avoir appelé avec le président du groupe des Républicains de l’Assemblée nationale à la mise en place d’une « mission d’information sur les dérives intellectuelles idéologiques dans les milieux universitaires », dresse des listes d’universitaires qu’il désigne comme « coupables ». C’est le cas, aussi, du ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer lorsqu’il parle, à propos des universités, de « complicité intellectuelle du terrrorisme ».

      Quand un parlementaire et un ministre, l’un et l’autre de premier plan, décident de mobiliser du vocabulaire pénal et de parler de « culpabilité » et de « complicité » à propos d’universitaires, il y a lieu d’être inquiet·es. Pour Jean-Michel Blanquer, agrégé de droit public, ces références pénales se font en toute connaissance de cause, d’ailleurs, si l’on veut bien se souvenir que, dans son autre vie, il a publié des travaux très sérieux au sujet des relations entre responsabilité pénale et responsabilité politique. Notons que l’un de ses ouvrages s’appelait La responsabilité des gouvernants, ce qui, c’est le moins qu’on puisse dire, est un titre qui résonne aujourd’hui étrangement concernant le ministre Blanquer.

      Dans un tel contexte, le décret de dissolution du CCIF est riche d’enseignements et justifie ce long billet d’Academia. Résumons les choses : si le CCIF a été dissout, ce n’est pas sur la base d’infractions pénales, puisqu’il n’était pas sérieusement possible d’actionner ces infractions, alors même qu’on n’a cessé d’en étendre le champ depuis vingt ans. Si le CCIF a été dissout, c’est par des références abusives à des infractions pénales, sur la base de quoi des mesures de police administrative ont été actionnées par le pouvoir exécutif, dont les motifs, nous l’avons vu, se situent d’abord et avant tout sur le terrain de la liberté d’expression.

      Que peut-on dans ces conditions craindre pour l’enseignement supérieur et la recherche ? Dès lors que l’on observe, aujourd’hui, que des collègues et du personnel politique de premier plan singent eux aussi des infractions pénales pour critiquer des recherches scientifiques, on peut légitimement craindre qu’un mouvement de terrain du même ordre que celui dont le CCIF a été la victime se réalise s’agissant des universités. Tout y mène.

      L’exclusion du champ académique

      Ce risque ne viendra sans doute pas du droit pénal lui-même, en tout cas pas dans un premier temps. Certes, on se souvient que la loi de programmation de la recherche a déjà étendu brusquement le champ du droit pénal universitaire, avec le nouveau délit d’atteinte au bon ordre et à la tranquillité des établissements. Mais on peut espérer que ce délit ne sorte pas sans dommage du contrôle du Conseil constitutionnel ; surtout, il ne suffira pas pour attaquer les recherches qui représentent « un encouragement direct au terrorisme », pas plus que la législation pénale anti-terroriste n’a suffi pour s’attaquer aux propos du CCIF. C’est donc vers de nouvelles formes juridiques de contraintes, autres que celles que propose le droit pénal, que le débat est en train de se déplacer plus ou moins consciemment, comme il s’est déplacé pour le CCIF. La voie la plus simple, pour cela, consiste à inventer de nouvelles limites à la libre expression des enseignant·es et des chercheur·ses, afin d’exclure du champ académique, et donc du champ des libertés académiques, certains propos et certain·es collègues.

      Cette démarche d’exclusion hors du champ des libertés académiques, dont les fondements épistémologiques ne sont pas neufs3, a pris une dimension professionnelle particulière depuis quelques années. Épistémologiquement, il s’agit de « faire coupure » entre ce qui est bonne science et mauvaise science, selon un principe médical de l’amputation pour éviter la propagation de la gangrène au corps entier : certain·es rappellent ainsi régulièrement que les sciences sociales critiques ne sont pas des sciences militantes, l’invocation du « militantisme » disqualifiant la légitimité épistémologique des travaux menés par des hommes et des femmes engagé∙es. Olivier Beaud, voix écoutée et reconnue de l’association Qualité de la science française, s’exprimait ainsi dans Le Monde du 2 décembre :

      « Je refuse l’inquisition politique mais je refuse aussi le silence qui serait de la lâcheté intellectuelle et reviendrait à cautionner des universitaires dont la pratique serait de surdéterminer leurs recherches censément scientifiques (donc objectives) par des considérations lourdement idéologiques, fût-ce au motif de défendre telle ou telle minorité ».

      L’article du Monde précise ensuite les propos d’Olivier Beaud : selon lui, des universitaires « radicaux » auraient délaissé la distinction opérée par Max Weber entre le « jugement de fait », qui fonde leurs recherches, et le « jugement de valeur », qui fonde leurs opinions.

      En se référant ainsi à la « neutralité axiologique » de Max Weber, Olivier Beaud tord la pensée d’un homme profondément engagé dans la construction de l’État prussien par les sciences économiques et sociales. Par chance pour notre démonstration, la traduction commandée à Julien Freund par Raymond Aron et parue en 1963 dans un contexte de guerre froide, a fait récemment l’objet de plusieurs éditions critiques qui retraduisent en français le texte original Du métier de savant (Wissenschaft als Beruf, 1917)4. Pour celles et ceux qui ont eu accès au texte de Weber par la seule traduction française, la lecture de cette traduction révisée est très éclairante : l’universitaire, pour faire science, a besoin d’une « inspiration », qui donne un sens à son travail, notamment ses tâches calculatoires ; cette inspiration a partie liée avec une question éthique, intime et indispensable : « quelle est la vocation de la science pour l’ensemble de la vie de l’humanité ? Quelle en est la valeur ? ».

      De nos jours, il est fréquent que l’on parle d’une « sciences sans présupposés, écrit Max Weber. Une telle science existe-t-elle ? Tout dépend ce que l’on entend par là. Tout travail scientifique présuppose la validité des règles de la logique et de la méthode, ces fondements universels de notre orientation dans le monde. Ces présupposés-là sont les moins problématiques du moins pour la question particulière qui nous occupe. Mais on présuppose aussi que le résultat du travail scientifique est important au sens où il mérite d’être connu. Et c’est de là que découlent, à l’évidence, tous nos problèmes. Car ce présupposé, à son tour, ne peut être démontré par les moyens de la science. On ne peut qu’en interpréter le sens ultime, et il faut le refuser ou l’accepter selon les positions ultimes que l’on adopte à l’égard de la vie
      — Weber, 1917 [2005], p. 36

      Les problèmes que Max Weber5 repérait hier sont les nôtres aujourd’hui : certains ou certaines disqualifient le travail scientifique de leurs collègues, non à l’aune de leur qualité scientifique intrinsèque, reposant sur la qualité de la réflexion, de la documentation, de l’analyse, mais par les présupposés qui ont initié la recherche.

      Ces derniers mois, les choses sont devenues très claires de ce point de vue : il y a des recherches dont certain·es ne veulent plus.

      C’est leur scientificité même qui est déniée : ces recherches sont renvoyées à de la pure « idéologie », sans qu’aucune explication précise ne soit jamais donnée, si ce n’est la référence à une autre idéologie, qu’il s’agisse des « valeurs de la République » ou de « l’unité de la nation ». « L’unité de la nation », c’est ce à quoi renvoyait l’association Qualité de la science française dans un récent communiqué : « il fait peu de doute que se développent dans certains secteurs de l’université des mouvances différentialistes plus ou moins agressives, qui mettent en cause l’unité de la nation, et dont l’attitude envers les fondamentalismes est ambiguë ». La comparaison sémantique avec les textes académiques prônant le maccarthysme est à ce titre très éclairante, même si leur rédaction doit être replacée dans le contexte de la guerre froide6 : le caractère scandaleux de toute opération de « chasse aux sorcières » se mesure, considère-t-on alors, à l’aune des risques encourus par la nation.

      Quelle va être la suite ? Va-t-on exclure ces savant∙es contemporain∙es de l’université, qui repose pourtant sur le principe de la pluralité et du dissensus ? Va-t-on les exclure en leur déniant tout travail de production et de transmission des connaissances scientifiques, pour les rejeter du côté de la simple expression des opinions ? Le risque, derrière ce feu qu’allument certain∙es universitaires, est connu : c’est évidemment que le pouvoir politique s’en saisisse, pour en tirer des conséquences juridiques.

      Nous nous trouvons très précisément au seuil d’un mouvement de ce type aujourd’hui en France. On y a échappé de peu lors des débats sur la loi de programmation de la recherche, avec l’amendement subordonnant les libertés académiques au respect des valeurs de la République auquel la ministre Vidal avait donné, on ne le rappellera jamais assez, un « avis extrêmement favorable ».

      Dans un contexte aussi pesant, c’est avec beaucoup d’appréhension, désormais, que l’on attend, du côté de la rédaction d’Academia, l’examen du « projet de loi renforçant les principes républicains » (plus connu sous le nom de « projet de loi Séparatismes »). Plusieurs collègues ont en particulier alerté Academia sur le fait qu’un collectif dénommé Vigilance Universités échange à propos de ce projet de loi avec la ministre déléguée auprès du ministre de l’Intérieur, chargée de la Citoyenneté, pour introduire les universités dans le champ de celui-ci. Nous craignons le pire. Cela fait plusieurs années maintenant que ces mêmes collègues propagent le sentiment d’une immense insécurité physique et de grands dangers intellectuels dans les universités, sans vouloir reconnaître qu’en conséquence de leurs propos, des personnalités politiques de premier rang, à droite et à l’extrême droite, appellent désormais à combattre les « dérives intellectuelles idéologiques » et dresse des listes de « coupables ».

      Peut-être est-il temps maintenant, pour elles et eux, de prendre conscience de leur responsabilité historique dans le mouvement de rétraction des libertés académiques en cours, à défaut d’avoir accepté de prendre la moindre position critique, lors des débats sur la loi de programmation de la recherche, sur la pénalisation des universités à laquelle ils et elles ont directement contribué par leurs propos et leurs actions.

      Il est surtout temps que l’ensemble des collègues prennent la juste mesure du danger. Il est temps que nous prenions, collectivement et clairement, position sur ce que défendre l’université veut dire.

      https://academia.hypotheses.org/29291

    • Antiracisme : la guerre des facs n’aura pas lieu

      Depuis la fin de l’automne 2018, par poussées de fièvre belliqueuse, surgissent périodiquement les tribunes, appels, articles qui mettent en garde contre un nouvel ennemi de la République : les « décoloniaux », qui « mènent la guerre des facs », écrit par exemple Étienne Girard dans Marianne, le 12 avril 2019. Des dizaines d’autres intellectuels, journalistes, personnalités publiques, ont pris la plume pour dénoncer « les obsédés de la race à la Sorbonne » (Charlie Hebdo 23 janvier 2019), les « énervés de la race » qui « martèlent leurs fameuses théories sur la race » (Le Canard Enchaîné, 24 juin 2020). Ils mettent en accusation la « stratégie hégémonique » du « décolonialisme » (Le Point, 28 novembre 2018) qui se lance « à l’assaut de l’université » (Le Nouvel Obs, 30 novembre 2018), qui « menace la liberté académique » (Le Monde, 12 avril 2019) et qui, « nouveau terrorisme intellectuel », « infiltre les universités » (La Revue des deux Mondes, 18 avril 2019) par une « grande offensive médiatique et institutionnelle » (L’Express, 26 décembre 2019), traduisant « une stratégie décoloniale de radicalité » (Le Monde, blog, 06 juillet 2020) en même temps qu’une « quête de respectabilité académique » (L’Express, 26 décembre 2019).

      La rhétorique est guerrière – et l’ennemi, puissant, organisé, déterminé, mobilisant des méthodes de guérilla, voire de « terrorisme », est déjà en passe de l’emporter, au point qu’il faut « appeler les autorités publiques, les responsables d’institutions culturelles, universitaires, scientifiques et de recherche, mais aussi la magistrature, au ressaisissement » (Le Point, 28 novembre 2018) et « sanctionner la promotion de l’idéologie coloniale » (Marianne, 26 juin 2020).

      Mais de quoi parle-t-on exactement ? Comme cela a déjà été souligné, si stratégie hégémonique il y a, elle est remarquablement peu efficace : aucun poste ni aucune chaire, dans aucun domaine de sciences humaines et sociales, n’a jamais été profilé « études postcoloniales ou décoloniales » à l’université ; pas de revue spécialisée, pas de maison d’édition ni même de collection de presses universitaires dans le domaine. Une analyse sociologique fine menée en termes de « correspondances multiples » sur plusieurs années et croisant plusieurs variables (publications, visibilité, lieux institutionnels, etc.) démontre que

      « les travaux sur la question minoritaire, la racialisation ou le postcolonial demeurent des domaines de niche […] bénéficiant d’une faible audience dans le champ académique comme dans l’espace public »
      — Inès Bouzelmat, « Le sous-champ de la question raciale dans les sciences sociales », Mouvements, 12 février 2019.

      Si guerre il y a, les deux camps en présence témoignent d’un « rapport de forces inégal » où la puissance, sinon l’hégémonie, est bien du côté du savoir contesté par « la mouvance post ou décoloniale » (L’Obs, 11 janvier 2020), qui fait figure de David contre le Goliath de l’universalisme républicain.

      De plus, il est remarquable que les combats de l’université, comme récemment contre la Loi de Programmation Pluriannuelle de la Recherche, dont le projet a été rendu public le 7 juin et qui est sur le point d’être adoptée en dépit de l’opposition explicite, massive et continue de la communauté universitaire, troublent généralement bien peu les penseurs institutionnels et les personnalités publiques. On compte sur les doigts d’une main les journalistes qui ont relayé les inquiétudes des universitaires : la vraie guerre est ailleurs. Pour les gardiens du temple, les « décoloniaux » menacent bien davantage l’université que la remise en cause des statuts des enseignants-chercheurs, la précarisation des personnels, la diminution accrue de financement récurrent et la mise en concurrence généralisée des institutions, des laboratoires et des individus. Ce n’est pas la disparition programmée du service public qui doit appeler « à la plus grande mobilisation » de la communauté universitaire (Marianne, 26 juin 2020), c’est la diffusion de « l’idéologie décoloniale ».

      C’est que cette guerre-là ne touche pas seulement l’université – sinon, qui s’en soucierait ? Comme l’a affirmé Emmanuel Macron dans des propos rapportés le 10 juin 2020 dans Le Monde, « le monde universitaire a été coupable », « il a encouragé l’ethnicisation de la question sociale en pensant que c’était un bon filon » et une telle stratégie « revient à casser la République en deux ». Voilà le véritable enjeu : les décoloniaux, par opportunisme et sens du « postcolonial business » (L’Express, 26 dec. 2019) ou par désir de promouvoir la haine et la division de la communauté politique, ou peut-être enfin par incompréhension et ignorance des vraies fractures sociales – par cynisme, par gauchisme ou par bêtise -, sont accusés de chercher à provoquer une « guerre des races » qui brisera la République. Ils sont ceux qui guident « les jeunes » dans les manifestations contre le racisme et les violences policières, ceux qui suscitent le déboulonnage des statues et les changements de noms des rues et places qui rendent hommage aux héros du colonialisme, ceux qui plaident pour l’introduction de statistiques ethniques afin de visibiliser les phénomènes de discrimination… C’est pourquoi, dans ces lignes de front qui se tracent, c’est bien eux qu’on prend à partie via ce « vous » populaire qu’ils incarnent comme une avant-garde : « J’exige de vous le respect. Sinon ce sera la guerre » (Marianne, 9 juillet 2020).
      Cette déclaration de guerre repose sur une confusion, un renversement et un double mensonge.

      La confusion est évidente : sont rassemblés sous une étiquette mal taillée des chercheurs et chercheuses aux positions épistémologiques précises et parfois en désaccord, qui travaillent depuis des années sur des objets dont l’importance n’est pas encore vraiment reconnue. Leur recherche, selon les règles d’usage de la discussion académique, exige de se confronter lors de séminaires, colloques et conférences où entrent en conversation les tenants de positions différentes avec les outils académiques de l’argumentation logique, de la distinction conceptuelle et de l’érudition textuelle. La « mouvance post ou décoloniale » n’existe pas. Et pour cause : les études décoloniales sont d’abord menées par des chercheuses et chercheurs latino-américains, parfois caribéens, qui diffèrent des courants postcoloniaux indiens ou, surtout, étasuniens, selon trois critères désormais bien établis : géopolitique, disciplinaire et généalogique1. Décoloniaux et postcoloniaux ne partagent ni les mêmes influences intellectuelles ni les mêmes contextes socio-économiques et culturels ; ils et elles mobilisent des outils méthodologiques différents pour poser des problèmes théoriques ou normatifs différents. Les désaccords scientifiques traversent aussi les disciplines, y compris entre celles et ceux qui sont persuadés de l’importance de s’intéresser au passé colonial pour comprendre le présent : historiens de l’esclavage et de la colonisation s’affrontent sur les aires géographiques pertinentes, sur les méthodologies de l’histoire globale ou locale, sur les sources archivistiques ou leur absence, etc. Bien loin de mettre en place des stratégies hégémoniques de domination académique, les universitaires échangent du savoir, de la connaissance, du raisonnement, avec humilité, rigueur et ténacité. Ils et elles travaillent et soumettent leurs hypothèses au test de l’évaluation par les pairs : ils font leur métier.

      Le renversement de perspective est tout aussi massif. Tout se passe comme si s’efforcer de mettre au jour les effets de domination historiquement fondés sur des rapports de race traduits dans l’organisation coloniale du monde, puis hérités de cet ordre sans être réellement déconstruits, revenait à créer ces effets de domination. Lorsque les chercheuses et chercheurs parlent de racialisation ou racisation, on leur oppose que le mot est « épouvantable » (Jean-Michel Blanquer, dans Libération, 21 novembre 2017). C’est un néologisme qui, selon la critique, ne permet pas de révéler une réalité sociale, mais qui produit, dans un geste performatif, la réalité qu’il prétend désigner.

      Or parler de groupe racisé consiste bien à nommer une réalité sociale : la catégorisation et la hiérarchisation de groupes sociaux, dans des contextes précis, en raison de facteurs visuels ou généalogiques réels ou fantasmés2. Il s’agit de chercher à expliquer, et non pas excuser, la construction, les mécanismes, les processus de reproduction de cette réalité. Parler de racialisation permet précisément de souligner que la race n’existe pas en tant que réalité biologique, de l’historiciser, la désessentialiser et la dénaturaliser. Il s’agit de produire de nouvelles ressources épistémiques pour dénoncer la hiérarchisation et l’inégalité raciales tout en évitant de reproduire les interprétations obsolètes et racistes du monde social.

      Sous la plume de ceux qui veulent « sanctionner » « l’idéologie coloniale », « supprimer les références racialistes », effacer la « nuée de concepts » qui traitent de la question raciale — non seulement dans la législation et la Constitution, mais aussi à l’université — une telle mise sous silence permettrait de supprimer le mal. Ces mots « réactivent l’idée de race » et « détournent des valeurs de liberté, égalité, fraternité qui fondent notre démocratie », affirment-ils (Le Point, 28 novembre 2018) : cessons d’utiliser ces mots abominables, et la « question sociale » sera enfin désethnicisée, la République réparée. Ils estiment sans doute qu’en France régnait l’égalité réelle jusqu’à ce que certains se mettent à dénoncer la domination raciale dont ils font l’expérience, et d’autres parviennent à admettre le privilège racial dont ils bénéficient.

      C’est là nier le travail des chercheuses et chercheurs qui, décrivant et évaluant les dominations raciales, s’efforçant de poser un diagnostic clair sur la nature et l’ampleur des inégalités qui traversent notre société, non seulement ne les créent pas, mais espèrent même contribuer à les faire disparaître. Vouloir les faire taire, c’est contribuer au racisme ordinaire en lui permettant d’avancer sous la « cape d’invisibilité » que procure l’étendard du républicanisme bafoué.

      Enfin le mensonge est double : d’une part, il consiste à faire semblant de croire qu’une poignée d’universitaires peut entraîner à elle seule les mouvements sociaux d’ampleur inédite qui ont vu le jour après le confinement pour dénoncer le racisme institutionnel et réclamer justice. C’est trop d’honneur. Trop de mépris, aussi, pour le travail de terrain des mouvements antiracistes et les associations de défense des droits qui mènent la lutte au quotidien auprès des victimes de stigmatisation et discrimination raciales. C’est enfin, surtout, être aveugle à la lame de fond qui nous emporte, à la transformation sociale massive que vit notre vieux modèle. Car d’autre part, le mensonge réside dans l’accusation selon laquelle les manifestant·es qui protestent contre le racisme et les discriminations, et réclament une participation égale et un statut paritaire dans le récit national, veulent « casse[r] la République en deux ». Or cela a été amplement souligné : les hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, racisé·es ou non, qui défilaient pour condamner les violences policières racistes en juin dernier3 chantaient ensemble La Marseillaise ; celles et ceux qui proposent de déplacer les statues des héros de la colonisation pour les muséifier le font au nom d’un hommage que la république pourrait rendre, sur ses places publiques, à d’autres héroïnes et d’autres héros français oubliés ou trop longtemps traités en objets et non en sujets politiques. La république peut être inclusive et réparée ; l’universel peut être visé — un universel concret, construit à partir des particularités et non pas en négation de celles-ci. Ce sont les fondations d’un nouvel universalisme possible qui sont en train d’être posées. Le mensonge consiste à prétendre que Cassandre veut la guerre.
      Et si ce n’était pas une guerre, mais une révolution ?

      Ce à quoi on assiste, et qui provoque la panique morale des puissants, peut se comprendre, c’est l’hypothèse faite ici, à la fois comme une révolution scientifique et comme une révolution politique, parce que les deux sont indissociables dans les sciences humaines et sociales. C’est à la fois un tournant copernicien ou changement de paradigme4, une nouvelle manière de façonner les problèmes et les solutions dans un processus discontinu de production du savoir, et le mouvement du « passage de l’idée dans l’expérience historique », la « tentative pour modeler l’acte sur une idée, pour façonner le monde dans un cadre théorique »5.

      L’ancien modèle théorique s’essouffle : les énigmes se multiplient, les exceptions ou anomalies ne confirment plus la règle mais s’accumulent pour miner l’autorité du vieux cadre interprétatif colorblind de notre monde social. Trop d’injustices sociales débordent le modèle de la lutte des classes, les inégalités socio-économiques à elles seules n’expliquent pas toutes les différences de trajectoire collective ou individuelle, les différences culturelles se naturalisent, l’écart se creuse et se visibilise entre les idéaux de la république et la réalité sociologique de leur mise en œuvre – y compris institutionnelle. L’épaisseur de l’histoire esclavagiste et coloniale pèse sur le mythe du contrat social républicain établi entre des partenaires égaux consentant librement à « faire peuple », ensemble. Ce qui est requis, ce n’est donc pas simplement une nouvelle grille de lecture à appliquer sur des données par ailleurs bien connues : c’est la manière même de voir le monde qui change, ce sont de nouveaux positionnements, de nouvelles perspectives, de nouvelles perceptions, la mise au jour de nouvelles archives, les témoignages de nouvelles voix, qui produisent des données jusque là méconnues ou ignorées, et qui entraînent l’exigence de renouveler le paradigme.

      La résistance de la vieille garde est d’autant plus désespérée que les sujets producteurs de ces nouvelles connaissances sont aussi des agents usuellement dominés et discrédités dans les circonstances « normales » du discours public. Ce sont des agents dont les idées, les ressources théoriques, les productions cognitives, souffrent d’un déficit de crédibilité dû soit à des biais ou stéréotypes négatifs qui conduisent à mettre en doute leur capacité à produire un discours valide, rationnel et raisonnable, sur leurs expériences singulières, soit à un excès de crédibilité accordé à d’autres agents dissonants, au témoignage ou à l’analyse desquels on a tendance à accorder une confiance supérieure. Racialisation, discrimination systémique, privilège blanc, stigmatisation raciale, parmi d’autres, sont des concepts et des ressources épistémiques précieuses pour décrire des expériences sociales, les partager, les interpréter, les évaluer, et peut-être transformer le monde où elles ont cours. Le monde universitaire n’est pas une armée de terroristes qui infiltre les lieux de savoir et casse la République en deux : le monde universitaire est l’espace institutionnel inclusif où ces agents producteurs de connaissance inédits et inaudibles peuvent participer à la production de savoirs qui nous concernent tous parce que tous, nous sommes la république. La guerre des facs n’aura pas lieu, parce que le monde d’après est déjà là : les monstres, et leurs derniers gémissements, disparaissent avec le clair-obscur.

      https://academia.hypotheses.org/29341

    • Academic Freedom Under Attack in France

      For many years, in what now seems the distant past, France was known as the nation that welcomed refugees from authoritarian countries; revolutionary activists, artists, exiled politicians, dissident students, could find sustenance and support in the land of liberty, equality, and fraternity. It is also the country whose philosophers gave us many of the tools of critical thinking, including perhaps the very word critique. In recent years—at least since the bicentennial of the French Revolution in 1989—that image has been replaced by a more disturbing one: a nation unable to decently cope (and increasingly at war) with people of color from its former colonies (black, Arab, Muslim) as well as Roma; a nation whose leaders are condemning critical studies of racial discrimination and charges of “Islamophobia” in the name of “the values of the Republic.”

      The years since the bicentennial have seen a dramatic increase in discrimination against a number of groups, but Arab/Muslims, many of them citizens (according to the settlement that ended the Algerian War) have been singled out. The charge against them has been that they practice their religion publicly, in violation of laïcité, the French version of secularism, the separation of church and state. Enshrined in a 1905 law, laïcité calls for state neutrality in matters of religion and protects individual rights of private religious conscience. Although the state is extremely supportive of Catholic religious practices (state funds support churches as a matter of preserving the national heritage, and religious schools, the majority of them Catholic, in the name of freedom of educational choice; the former president, Nicolas Sarkozy has insisted that Catholicism is an integral aspect of laïcité), Islam has been deemed a threat to the “values” upon which national unity is based.

      National unity is a peculiar concept in France, at least from an American perspective. The nation “one and indivisible” is imagined as culturally homogeneous. Anything that suggests division is scrupulously avoided. Thus there is no exact calculation of the numbers of Muslims in the French population because no official statistics are kept on racial, ethnic, or religious difference. To make those very real differences visible is thought to introduce unacceptable divisions in the representation of the unity of the national body.

      The presence of an estimated 6 to 10 million Muslims (in a country of some 67 million) has become a potent political weapon. Initially claimed by the far Right National Front party (now renamed the Rally for the Republic), the “Muslim problem” has become a concern of parties across the spectrum (in differing degrees from Right to Left). In 2003, in the face of increasing electoral success on the far Right, the conservative government of Jacques Chirac commissioned a report that redefined laïcité for the twenty-first century’s “clash of civilizations.” Titled “The New Laïcité, “ it extended the demand for neutrality from the state to its individual citizens, forbidding any display of religious affiliation in public space. Although said to be universally applicable, everyone understood this to be a policy aimed at Muslims. Thus the hijab (the Islamic headscarf) is prohibited in public schools; women are fined for wearing the niqab (the full face covering) on the streets of their towns; veiled women are prevented from serving as witnesses at weddings conducted in city halls; burkini clad women were forced to undress on some beaches in the summer of 2016….the list goes on. Women were the target of these rules and regulations (for reasons I have analyzed in my The Politics of the Veil (2007), but men, too, experience economic and social discrimination, as well as violent police surveillance in their homes and on the streets.

      In the wake of a number of horrific terrorist attacks in the name of Islam in French cities—the assassinations of the Charlie Hebdo journalists and the murders at the Bataclan theater in 2015, and most recently, in 2020, the beheading of a school teacher, Samuel Paty—all Muslims are increasingly defined as a threat to the security of the nation. The Interior Minister, Gérald Darmanin, has effectively declared war, defining not religion but Islamist ideology as “an enemy within.” Despite this careful distinction, a wartime, ethno-nationalist mentality has identified Muslims as a dangerous class. Antipathy to Muslims has become evidence of patriotism; those who argue that not all Muslims are terrorists and that discrimination against them might contribute to their radicalization, have been met with denunciations and vehement attacks. University professors are among these groups, and they have faced particularly nasty accusations of treason. The campaigns being mounted against them don’t just target individuals; in their insistence that teaching cannot deviate from “the values of the Republic,” the charges amount to a sustained attack on academic freedom.

      The call to rally around the Republic has come not only from the expected quarters—politicians and publicists on the Right—but also from the current (neo-) liberal administration and from within the academy itself. Historians, sociologists, and anthropologists who work on the history of colonialism, on issues of ethnic and racial discrimination, and who seek to account, within the problematics of their disciplines, for the inequalities evident in French society, have been labelled “islamo-gauchistes” for their presumed support for or identification with Muslims. The term is used as an insult, and it is employed regularly by intellectuals such as the philosopher Elisabeth Badinter and the feminist writer Caroline Fourest, neither of whom are considered to be on the Right. In 2018, following a conference at the University of Paris, 7, on “Racism and racial discrimination in the university,” some 80 intellectuals signed a letter condemning as “ideological” the increasing number of “racialist” university events and they called upon “the authorities” to put an end to their “use against the Republic.”

      The “authorities” have responded. In 2020, the Minister of Education, Jean-Michel Blanquer declared that anti-racist intellectuals were “complicit” in Samuel Paty’s murder. He accused “islamo-gauchistes” of “wreaking havoc” in the university. Those employing ideas of “intersectionality,” he denounced as “intellectual accomplices of terrorism.” He deemed intersectionality a pernicious import from multicultural America that “essentializes communities and identities, the antithesis of our model of the Republic.” If Muslims were “separatists,” these intellectuals were too. President Emmanuel Macron charged that “The academy is guilty. It has encouraged the ethnicization of the social question, thinking it’s a good subject to study. But, the outcome can only be secessionist. It will rebound to split the Republic in two.” In October, a bill was proposed in the Senate stating that “academic freedom must respect the values of the Republic.” And Frédérique Vidal, the Minister of Higher Education and Research, whose portfolio most directly pertains to the academy, asserted that “the values of laïcité, of the Republic, are not open for debate.”

      Although no one has yet been fired from a university position, the warning signs are clear. If the nation is at war with Islam, those who struggle to find alternatives to this divisiveness are, ironically, accused of dividing the nation. When professor of sociology (University of Paris 8) Eric Fassin was threatened on Twitter with decapitation for his “islamo-gauchiste views” by a right-wing extremist, his university president offered support (as did academic collectives from Turkey to Brazil), but there was no comment from those higher up in the education ministries. [Fassin sued and won a ruling against the man, but the court treated him not as member of a domestic, neo-Nazi, terrorist network (which he is), but as a lone aberrant individual.] Calls to rein in teachers who address racism and discrimination are widespread, and the threats of disciplinary action are particularly severe against the still relatively rare academics of color, many of whom hold junior, therefore vulnerable positions. State surveillance of research can make it difficult for those studying discrimination, as well as aspects of Islamic culture, to get access to the archives and repositories of data that they need. And then there is the self-policing that inevitably accompanies state surveillance and disapproval.

      But the resistance is impressive. There is no national organization equivalent to the AAUP in France, yet faculty have nonetheless mobilized. Courses continue to be taught, books and articles published, and conferences held on race and discrimination, and these are rightly justified as realizing the values of the Republic—those that stand for liberty and equality above all. There is a site, Université Ouverte where information on protests and other activities can be found, as well as the blog Academia with in-depth critical analyses. In response to a denunciation of their work by 100 intellectuals as “racializing” (racialiste) because it allegedly taught students to “hate whites and France,” more than 2000 academics replied this way in Le Monde: “To call the approach that examines, among other things, the impact of social, sexist, and racist oppression, ‘racialist,’ is despicable. [Racialist] signifies racist thought and regimes based on a supposed hierarchy of race….[But our] sociological and critical approach to racial questions, as the intersectional approaches so often attacked, do the opposite by exposing oppression in order to combat it.” An international letter of support for these efforts was circulated in November, 2020. It makes the case very clear: an increasingly ethno-nationalist politics is posing a dire threat to French academic freedom.

      As I write this in early 2021, the old slogan from May ’68 in France sums up the state of things: La lutte continue (the struggle goes on).

      https://academeblog.org/2021/01/05/academic-freedom-under-attack-in-france
      #Joan_Scott

    • Comment les militants décoloniaux prennent le pouvoir dans les universités
      https://seenthis.net/messages/900839

      ... où on parle notamment de ce nouveau site web :
      L’#Observatoire_du_décolonialisme_et_des_idéologies_identitaires :

      Ce site propose un regard critique, tantôt profond et parfois humoristique, sur l’émergence d’une nouvelle tendance de l’Université et de la Recherche visant à « décoloniser » les sciences qui s’enseignent. Il dénonce la déconstruction revendiquée visant à présenter des Institutions (la langue, l’école, la République, la laïcité) comme les entraves des individus. Le lecteur trouvera outre une série d’analyses et de critiques, une base de données de textes décoloniaux interrogeable en ligne, un générateur de titre de thèses automatique à partir de formes de titres, des liens d’actualités et des données sur la question et un lexique humoristique des notions-clés.

      Cet observatoire n’a pas pour but de militer, ni de prendre des positions politiques. Il a pour but d’observer et d’aider à comprendre, à lire la production littéraire, scientifique et éditoriale des études en sciences humaines ou prétendument scientifiques orientées vers le décolonialisme. Il veut surtout aider à comprendre la limite entre science et propagande.

      L’équipe :


      http://decolonialisme.fr

    • La France contaminée par les idées venues des campus américains

      Entre l’Élysée et la presse outre-Atlantique, la controverse ne s’arrête plus : « Les idées américaines menacent-elles la cohésion française ?? » s’interroge le New York Times. Le prestigieux quotidien américain revient sur une série d’observations et de déclarations entendues en France à la suite du discours d’Emmanuel Macron contre les séparatismes le 2 octobre.

      Ce jour-là, le président français avait mis en garde les universités contre « certaines théories en sciences sociales totalement importées des États-Unis d’Amérique ». L’Hexagone, affirme le New York Times, se sentirait menacé par « les idées progressistes américaines - notamment sur la race, le genre, le post-colonialisme ». Certains « politiciens, d’éminents intellectuels et nombre de journalistes français » craignent qu’elles soient « en train de saper leur société ».

      Il y a eu les déclarations de Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale, qui avait parlé d’un « combat à mener contre une #matrice_intellectuelle venue des universités américaines », et aussi le livre de deux éminents spécialistes des sciences sociales françaises, #Stéphane_Beaud et #Gérard_Noiriel, critiquant le principe d’#études_raciales. La virulence des réactions antiaméricaines étonne le NYT. Il note cependant :

      D’une certaine manière, c’est un combat par procuration autour de questions qui sont parmi les plus brûlantes au sein de la société française, celles notamment de l’#identité_nationale et du #partage_du_pouvoir."

      Car si, dans les universités françaises, la jeune génération de chercheurs n’est plus sur la même ligne que la précédente, la contestation de certains volets du #modèle_français est arrivée dans la société. Le journaliste américain cite plusieurs exemples, à commencer par les manifestations contre les violences policières suscitées par l’assassinat de George Floyd de juin 2020.

      [Celles-ci] remettaient en cause la non-reconnaissance institutionnelle de la race et le racisme systémique. Une génération #MeToo de féministes s’est dressée à la fois contre le pouvoir masculin et contre les féministes plus âgées. La répression qui a suivi une série d’attaques islamistes a soulevé des interrogations sur le modèle français de laïcité et l’intégration des immigrés des anciennes colonies de la France."

      Il se peut bien, estime le NYT en citant le chercheur français Éric Fassin, que derrière les attaques du gouvernement contre les universités américaines « se cachent les tensions d’une société où le pouvoir établi est bousculé ».

      https://www.courrierinternational.com/article/vu-des-etats-unis-la-france-contaminee-par-les-idees-venues-d

    • Will American Ideas Tear France Apart? Some of Its Leaders Think So

      Politicians and prominent intellectuals say social theories from the United States on race, gender and post-colonialism are a threat to French identity and the French republic.

      The threat is said to be existential. It fuels secessionism. Gnaws at national unity. Abets Islamism. Attacks France’s intellectual and cultural heritage.

      The threat? “Certain social science theories entirely imported from the United States,’’ said President Emmanuel Macron.

      French politicians, high-profile intellectuals and journalists are warning that progressive American ideas — specifically on race, gender, post-colonialism — are undermining their society. “There’s a battle to wage against an intellectual matrix from American universities,’’ warned Mr. Macron’s education minister.

      Emboldened by these comments, prominent intellectuals have banded together against what they regard as contamination by the out-of-control woke leftism of American campuses and its attendant cancel culture.

      Pitted against them is a younger, more diverse guard that considers these theories as tools to understanding the willful blind spots of an increasingly diverse nation that still recoils at the mention of race, has yet to come to terms with its colonial past and often waves away the concerns of minorities as identity politics.

      Disputes that would have otherwise attracted little attention are now blown up in the news and social media. The new director of the Paris Opera, who said on Monday he wants to diversify its staff and ban blackface, has been attacked by the far-right leader, Marine Le Pen, but also in Le Monde because, though German, he had worked in Toronto and had “soaked up American culture for 10 years.”

      The publication this month of a book critical of racial studies by two veteran social scientists, Stéphane Beaud and Gérard Noiriel, fueled criticism from younger scholars — and has received extensive news coverage. Mr. Noiriel has said that race had become a “bulldozer’’ crushing other subjects, adding, in an email, that its academic research in France was questionable because race is not recognized by the government and merely “subjective data.’’

      The fierce French debate over a handful of academic disciplines on U.S. campuses may surprise those who have witnessed the gradual decline of American influence in many corners of the world. In some ways, it is a proxy fight over some of the most combustible issues in French society, including national identity and the sharing of power. In a nation where intellectuals still hold sway, the stakes are high.

      With its echoes of the American culture wars, the battle began inside French universities but is being played out increasingly in the media. Politicians have been weighing in more and more, especially following a turbulent year during which a series of events called into question tenets of French society.

      Mass protests in France against police violence, inspired by the killing of George Floyd, challenged the official dismissal of race and systemic racism. A #MeToo generation of feminists confronted both male power and older feminists. A widespread crackdown following a series of Islamist attacks raised questions about France’s model of secularism and the integration of immigrants from its former colonies.

      Some saw the reach of American identity politics and social science theories. Some center-right lawmakers pressed for a parliamentary investigation into “ideological excesses’’ at universities and singled out “guilty’’ scholars on Twitter.

      Mr. Macron — who had shown little interest in these matters in the past but has been courting the right ahead of elections next year — jumped in last June, when he blamed universities for encouraging the “ethnicization of the social question’’ — amounting to “breaking the republic in two.’’

      “I was pleasantly astonished,’’ said Nathalie Heinich, a sociologist who last month helped create an organization against “decolonialism and identity politics.’’ Made up of established figures, many retired, the group has issued warnings about American-inspired social theories in major publications like Le Point and Le Figaro.

      For Ms. Heinich, last year’s developments came on top of activism that brought foreign disputes over cultural appropriation and blackface to French universities. At the Sorbonne, activists prevented the staging of a play by Aeschylus to protest the wearing of masks and dark makeup by white actors; elsewhere, some well-known speakers were disinvited following student pressure.

      “It was a series of incidents that was extremely traumatic to our community and that all fell under what is called cancel culture,’’ Ms. Heinich said.

      To others, the lashing out at perceived American influence revealed something else: a French establishment incapable of confronting a world in flux, especially at a time when the government’s mishandling of the coronavirus pandemic has deepened the sense of ineluctable decline of a once-great power.

      “It’s the sign of a small, frightened republic, declining, provincializing, but which in the past and to this day believes in its universal mission and which thus seeks those responsible for its decline,’’ said François Cusset, an expert on American civilization at Paris Nanterre University.

      France has long laid claim to a national identity, based on a common culture, fundamental rights and core values like equality and liberty, rejecting diversity and multiculturalism. The French often see the United States as a fractious society at war with itself.

      But far from being American, many of the leading thinkers behind theories on gender, race, post-colonialism and queer theory came from France — as well as the rest of Europe, South America, Africa and India, said Anne Garréta, a French writer who teaches literature at universities in France and at Duke.

      “It’s an entire global world of ideas that circulates,’’ she said. “It just happens that campuses that are the most cosmopolitan and most globalized at this point in history are the American ones.’’

      The French state does not compile racial statistics, which is illegal, describing it as part of its commitment to universalism and treating all citizens equally under the law. To many scholars on race, however, the reluctance is part of a long history of denying racism in France and the country’s slave-trading and colonial past.

      “What’s more French than the racial question in a country that was built around those questions?’’ said Mame-Fatou Niang, who divides her time between France and the United States, where she teaches French studies at Carnegie Mellon University.

      Ms. Niang has led a campaign to remove a fresco at France’s National Assembly, which shows two Black figures with fat red lips and bulging eyes. Her public views on race have made her a frequent target on social media, including of one of the lawmakers who pressed for an investigation into “ideological excesses’’ at universities.

      Pap Ndiaye, a historian who led efforts to establish Black studies in France, said it was no coincidence that the current wave of anti-American rhetoric began growing just as the first protests against racism and police violence took place last June.

      “There was the idea that we’re talking too much about racial questions in France,’’ he said. “That’s enough.’’

      Three Islamist attacks last fall served as a reminder that terrorism remains a threat in France. They also focused attention on another hot-button field of research: Islamophobia, which examines how hostility toward Islam in France, rooted in its colonial experience in the Muslim world, continues to shape the lives of French Muslims.

      Abdellali Hajjat, an expert on Islamophobia, said that it became increasingly difficult to focus on his subject after 2015, when devastating terror attacks hit Paris. Government funding for research dried up. Researchers on the subject were accused of being apologists for Islamists and even terrorists.

      Finding the atmosphere oppressive, Mr. Hajjat left two years ago to teach at the Free University of Brussels, in Belgium, where he said he found greater academic freedom.

      “On the question of Islamophobia, it’s only in France where there is such violent talk in rejecting the term,’’ he said.

      Mr. Macron’s education minister, Jean-Michel Blanquer, accused universities, under American influence, of being complicit with terrorists by providing the intellectual justification behind their acts.

      A group of 100 prominent scholars wrote an open letter supporting the minister and decrying theories “transferred from North American campuses” in Le Monde.

      A signatory, Gilles Kepel, an expert on Islam, said that American influence had led to “a sort of prohibition in universities to think about the phenomenon of political Islam in the name of a leftist ideology that considers it the religion of the underprivileged.’’

      Along with Islamophobia, it was through the “totally artificial importation’’ in France of the “American-style Black question” that some were trying to draw a false picture of a France guilty of “systemic racism’’ and “white privilege,’’ said Pierre-André Taguieff, a historian and a leading critic of the American influence.

      Mr. Taguieff said in an email that researchers of race, Islamophobia and post-colonialism were motivated by a “hatred of the West, as a white civilization.’’

      “The common agenda of these enemies of European civilization can be summed up in three words: decolonize, demasculate, de-Europeanize,’’ Mr. Taguieff said. “Straight white male — that’s the culprit to condemn and the enemy to eliminate.”

      Behind the attacks on American universities — led by aging white male intellectuals — lie the tensions in a society where power appears to be up for grabs, said Éric Fassin, a sociologist who was one of the first scholars to focus on race and racism in France, about 15 years ago.

      Back then, scholars on race tended to be white men like himself, he said. He said he has often been called a traitor and faced threats, most recently from a right-wing extremist who was given a four-month suspended prison sentence for threatening to decapitate him.

      But the emergence of young intellectuals — some Black or Muslim — has fueled the assault on what Mr. Fassin calls the “American boogeyman.’’

      “That’s what has turned things upside down,’’ he said. “They’re not just the objects we speak of, but they’re also the subjects who are talking.’’

      https://www.nytimes.com/2021/02/09/world/europe/france-threat-american-universities.html?searchResultPosition=5

    • Le manifeste des 100 repris par la tribune des généraux qui appellent Macron à défendre le #patriotisme...

      Qui sont donc les ennemis que ces militaires appellent à combattre pour sauver « la Patrie » ? Qui sont les agents du « délitement de la France » ? Le premier ennemi désigné reprend mot pour mot les termes de l’appel des universitaires publié le 1 novembre 2020 sous le titre de « Manifeste des 100 » : « un certain antiracisme » qui veut « la guerre raciale » au travers du « racialisme », « l’indigénisme » et les « théories décoloniales ». Le second ennemi est « l’islamisme et les hordes de banlieue » qui veulent soumettre des territoires « à des dogmes contraires à notre constitution ». Le troisième ennemi est constitué par « ces individus infiltrés et encagoulés saccagent des commerces et menacent ces mêmes forces de l’ordre » dont ils veulent faire des « boucs émissaires ».

      https://seenthis.net/messages/912643
      Et plus précisément : https://seenthis.net/messages/912643#message913950

    • « Islamo-gauchisme » à l’université : la ministre Frédérique Vidal accusée d’abus de pouvoir devant le Conseil d’Etat

      Six enseignants-chercheurs ont déposé en avril un #recours devant le #Conseil_d’Etat. La ministre de l’enseignement supérieur va devoir justifier sa décision d’ouvrir une enquête sur l’« islamo-gauchisme à l’université ».

      Qu’est devenue l’enquête sur l’ « islamo-gauchisme à l’université » voulue par la ministre de l’enseignement supérieur ? Le 14 février, Frédérique Vidal annonçait sur CNews qu’elle allait demander, « notamment au CNRS », de mener une enquête portant sur « l’ensemble des courants de recherche » en lien avec « l’islamo-gauchisme » à l’université. Deux jours plus tard, à l’Assemblée nationale, elle confirmait la mise en place d’ « un bilande l’ensemble des recherches » en vue de « distinguer ce qui relève de la recherche académique et ce qui relève du militantisme et de l’opinion .

      Quatre mois ont passé et c’est le silence complet. Sollicité par Le Monde à de multiples reprises, l’entourage de la ministre refuse d’indiquer si une enquête a été lancée et, le cas échéant, à qui a été confié le soin de la mener, le CNRS ayant décliné la demande.

      C’est désormais sur le terrain juridique que se joue l’affaire, six enseignants-chercheurs attaquant la ministre pour #abus_de_pouvoir. Une procédure de référé et un recours en annulation ont été introduits le 13 avril devant le Conseil d’Etat par les avocats William Bourdon et Vincent Brengarth. Les requérants demandent à Frédérique Vidal de renoncer officiellement et définitivement à cette enquête « qui bafoue les libertés académiques et menace de soumettre à un contrôle politique, au-delà des seules sciences sociales, la recherche dans son ensemble .

      Le 7 mai, le Conseil d’Etat qui a rejeté le référé a transmis la requête en annulation au ministère pour l’interroger sur sa position. « La ministre de l’enseignement supérieur dispose désormais de deux mois pour démontrer que sa décision ne constitue pas un détournement des pouvoirs et des attributions qui lui sont confiés », indiquent MM. Bourdon et Brengarth. « Info ou intox ? Les masques vont tomber. Quand on a suscité un tel émoi, il est essentiel que la ministre assume soit la décision, soit le rétropédalage », ajoute William Bourdon.

      « Police de la pensée »

      Si le Conseil d’Etat s’est déclaré incompétent, il demande au ministère des explications, souligne Fabien Jobard, l’un des requérants, chercheur au CNRS, spécialiste des questions pénales. « Il agit comme une commission d’accès aux documents administratifs en demandant à Mme Vidal de nous dire ce qu’il en est. Soit oui, une commission existe avec tel et tel membre, soit non c’est le plus probable , il n’y a pas de commission d’enquête », projette-t-il.

      Pour la requérante Fanny Gallot, maîtresse de conférences en histoire à l’université Paris-Est-Créteil, « ce recours marque le fait que les bornes ont été largement dépassées. Aujourd’hui, l’offensive est très forte et elle est autorisée par Frédérique Vidal . Ainsi, « mener des recherches sur les discriminations ethnoraciales quand on est soi-même racisé est d’emblée considéré comme se faire le porte-parole des minorités. Mener des recherches quand on est féministe, comme moi, peut être utilisé par certains pour remettre en question la scientificité de mes recherches », illustre-t-elle.

      Des étudiants de deuxième année de master qui voulaient s’inscrire en thèse hésitent à travailler sur certains sujets, notamment liés à l’intersectionnalité (qui consiste à croiser divers mécanismes de domination, liés au genre, à l’âge ou encore à la couleur de peau). « C’est une #intimidation, même s’il n’y a pas eu véritablement de commission d’enquête. Pour pouvoir assumer de parler de certains sujets, il faut être un enseignant en poste, sinon c’est trop risqué », confirme Caroline Ibos, maîtresse de conférences en science politique à l’université Rennes-II.

      Les effets sont donc « très concrets » et vont « dans le sens d’une #police_de_la_pensée », alors que sont en question des savoirs déjà marginalisés en France. « Il y a peu d’endroits où l’on peut se former en études de genre et un seul Paris-VIII qui décerne des doctorats en études de genre en France, décrit la chercheuse. Il n’y a pas de section au CNRS, ni au CNU [Conseil national des universités], c’est un champ particulièrement sous-financé et aujourd’hui le gouvernement décide de le livrer à la vindicte populaire ? »

      Fanny Gallot décrit « un climat d’angoisse » depuis les déclarations de la ministre. « Il y a des moments d’échanges académiques qui sont empêchés », comme lors d’une table ronde au mois de mars consacrée à l’intersectionnalité qui s’est déroulée dans une ambiance « électrique », rapporte-t-elle. « Je pense que je n’ai pas dit exactement ce que j’aurais dit si nous n’avions pas été trois semaines après les propos de Frédérique Vidal. Nous nous autocensurons dans une certaine mesure parce que nous avons #peur. Dans des conférences Zoom où on ne sait pas toujours qui est présent, on redoute des trolls. On ne sait plus ce que l’on peut dire en classe ou dans les séminaires », confie Fanny Gallot.

      Une #suspicion constante

      « Nous souhaitions mettre la ministre face à ses responsabilités, explique Nacira Guénif, professeure de sociologie à Paris-VIII, également requérante. On ne peut pas faire n’importe quelle déclaration sans que cela ait des implications. » Née en France de parents algériens, Nacira Guénif « travaille depuis longtemps dans ces conditions de suspicion.

      « J’ai eu un procès en imposture avant même d’avoir mon poste à l’université », narre-t-elle. Dans les années 1990, auprès de la direction des populations et des migrations, qui finançait une recherche obtenue par la jeune chercheuse après un appel d’offres, elle fait face à une « curée générale . « Je ne collais pas aux stéréotypes de la beurette, qui était précisément le sujet de ma thèse. On me reprochait de ne pas dire ce qu’on attendait de moi et cela s’est transformé en déloyauté de ma part », poursuit Nacira Guénif.

      Depuis, la suspicion de militance est constante, les promesses non tenues d’invitations dans des colloques se poursuivent et les prises à partie également. Dans la volonté de la ministre, Fabien Jobard voit « au mieux un doublon inutile et au pire, une volonté du gouvernement de substituer ou d’ajouter aux procédures scientifiques habituelles une procédure dérogatoire .

      Car, pour faire des enquêtes, il existe des commissions dans chacun des établissements, tel le comité national au CNRS, chargé d’évaluer les collègues et de recruter les nouveaux chercheurs. « C’est le principe de l’évaluation de l’action scientifique par les pairs, rappelle-t-il. Si un collègue au CNRS présente un projet visant à nous dire que le prolétariat nouveau est constitué d’islamistes et exige que le politique mette genou à terre devant lui, alors je suis suffisamment grand pour émettre un avis d’alerte sur ce collègue », illustre celui qui a siégé au comité national dans la section science politique entre 2004 et 2008.

      Lui aussi témoin d’effets concrets après l’annonce de Mme Vidal, Fabien Jobard cite le cas d’une collègue chargée de suivre plusieurs sujets pour le compte du gouvernement. « Dans le cadre de ses missions, elle travaille avec des militaires et, alors qu’elle voulait organiser un colloque, l’un d’eux s’est opposé à ce qu’il se tienne à La Sorbonne, "à cause des problèmes d’islamo-gauchisme" », relate Fabien Jobard, qui s’inquiète du discrédit jeté sur les travaux de recherche. « J’essaye de maintenir une crédibilité, mais si mes interlocuteurs habituels que sont les procureurs, les policiers et les gendarmes s’effraient de mon travail, ma relation en sera-t-elle grillée ? Vont-ils travailler uniquement avec des universités et organismes qui feront le voeu de ne pas être islamo-gauchistes ? »

      https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/06/10/islamo-gauchisme-a-l-universite-la-ministre-frederique-vidal-accusee-d-abus-

    • Ces attaques répétées contre le monde universitaire sont un chiffon rouge agité devant une opinion surchauffée par le #confusionnisme d’extrême droite qui se nourrit des frustrations sociales en les exacerbant « en même temps » avec des fantasmes identitaires et une volonté de renouer avec une certaine « grandeur » tout aussi fantasmée, lesquels fantasmes ont malheureusement contaminé une partie de la gauche nostalgique de « l’esprit des lumières » et d’une vision biaisée de la #laïcité. C’est une logique hégémonique de #reconquista pour conforter les « valeurs » mortifères héritées de l’occident gréco-romain puis chrétien. Cette logique hégémonique procède des mêmes intentions que le nazisme avec l’antisémitisme et le fantasme « judéo-bolchevique ». Quelques années après le deuxième conflit mondial, on a pu voir outre-atlantique se développer un anti-communisme propulsé par le sénateur Joseph McCarthy et plus récemment, cette logique était également à la manœuvre pendant le mandat de Trump avec pour conséquence la résurgence des mouvances issues du #suprémacisme_blanc.

      Make the Christian Occident great again ! ...

      #propagande_d'état

      (Mon propos est certainement synthétique mais c’est pourtant cela qu’évoquent les analyses d’ #Éric_Fassin)

    • #Caroline_Fourest sur LCP, 02.07.2021 :

      Journaliste : La société se racialise. A ce point-là ?
      Caroline Fourest : « En France, je peux vous dire, dans nos universités, à commencer par nos universités... regardez la façon dont les chercheurs ont réagi à une interpellation, certes peut-être trop directe et pas tout à fait bien choisie de la ministre de l’enseignement supérieur, mais il y a un corporatisme violent qui est en train de protéger le déni. D’abord, aujourd’hui quand on parle de questions qui fâchent ceux qui vous attaquent le plus violemment ce sont des chercheurs du CNRS. C’est un problème que l’alerte soit interdite. Que le fait de penser soit interdit de la part de gens qui sont des chercheurs du CNRS. Et puis il y a une très forte attraction du modèle américain qui passe évidemment par toutes les plateformes culturelles de ce modèle-là et aussi qui attire à l’université qui manque de moyen. »
      Journaliste : « Donc il y a vraiment une perméabilité »
      Caroline Fourest : « Tout le monde s’identitarise. »
      Journaliste : « Les combats idéologiques sont toujours menés par des minorités, mais est-ce que c’est toute la société ? »
      Caroline Fourest : « Toute la société s’identitarise. Version d’extrême droite évidemment ça peut donner des jeunes blancs déclassés qui vont désormais dire blancs au lieu de se dire pauvres et de se mettre ne mouvement pour essayer de lutter contre les inégalités. ça va donner des jeunes qu’au lieu de se dire ’On va lutter contre les inégalités’ se mettent à lutter par identité à l’extrême gauche »

      https://twitter.com/LCP/status/1411024030296064004

    • Un article d’avril 2021 :

      #Stéphane_Troussel : ’La République ne sait que faire des différences physiques ou des couleurs de peau multiples’

      Refusant l’affrontement qu’imposent la droite et l’extrême droite sur les réunions non mixtes, le président (PS) du conseil départemental de Seine-Saint-Denis appelle, dans une tribune au « Monde », la gauche à s’extraire d’une polémique stérile et dangereuse pour lutter véritablement contre les discriminations qui fracturent la société.

      La polémique est repartie, le brouhaha médiatique ne retombe pas. Après les outrances et les manipulations de la droite et de l’extrême droite, c’est maintenant au Sénat de surenchérir en adoptant un amendement à l’exposé des motifs caricatural au projet de loi dit « contre les #séparatismes » [celui-ci permettrait de dissoudre les associations qui organisent des réunions non mixtes racisées]. A en croire certains, sommant tous les autres de choisir leur camp, la République pourrait bien vaciller.

      Au fond, de quoi s’agit-il ? Des personnes se rassemblent pour échanger sur leurs expériences sociales douloureuses, les #discriminations vécues à partir d’un critère physique, d’une #orientation personnelle... Caractéristiques qui leur sont régulièrement renvoyées en pleine face comme une insulte : #sexisme, #racisme, #homophobie, etc. Il s’agit de paroles de victimes de racisme, de discrimination, d’inégalités. Il faut les prendre comme telles et, bien évidemment, je refuse que cela enferme les personnes concernées dans une « #victimisation » et que cela devienne une #parole_politique autrement que par son intégration unifiée contre toutes les formes de discrimination.

      Mais peu importe pour celles et ceux (Jean-Michel Blanquer, des députés et sénateurs LR, l’extrême droite...) qui ont lancé, puis alimenté la polémique. Toutes celles et tous ceux qui expriment, même avec nuance ou avec des réserves, une quelconque approbation de ces démarches, de ces expérimentations militantes, souvent transitoires, consistant à permettre de libérer la parole, sont accusés de « #dérive_séparatiste », « racialisante ».

      Artifices antiracistes

      Les gros mots sont de sortie. Les voilà lancés, jetés à une foule de commentateurs qui les voient comme un affront fait à une République censée être aveugle à la #couleur_de_peau, à la religion réelle ou supposée, au sexe... L’affrontement est en place, les camps bien délimités, chacun est sommé de choisir le sien et de laisser les nuances au vestiaire : les #racialistes d’une part, les #universalistes de l’autre. « Il faut choisir son camp, crient les repus de la haine », écrivait Albert Camus, dans son Pour une trêve civile, en 1956, en pleine guerre d’Algérie, condamnant à égalité les massacres de civils du FLN et les massacres répressifs de l’armée française.

      Cela semble ne poser de problème à personne que cette #polémique permette, à un an de la présidentielle, à la chef de l’extrême droite de se parer d’artifices antiracistes et de tenter de cohabiter, avec d’autres, dans le camp universaliste. Ici se situerait donc le débat politique de notre temps, la nouvelle #fracture : je m’y refuse. Je m’y refuse, parce que, si nous en sommes là, c’est que la gauche est tombée dans le piège tendu par la droite la plus réactionnaire et l’extrême droite qui, désormais, fixent les termes du débat et l’agenda politiques de notre pays.

      Je m’y refuse parce que, justement, la bonne question, celle qui devrait animer unanimement une gauche solidaire, droite dans ses bottes, fière de ses valeurs, cette question-là, la gauche française n’a pas su, ou pas suffisamment su, quelle réponse y apporter. Pourquoi, en France, les dispositifs républicains de lutte concrète contre les discriminations et les inégalités qui fracturent notre société piétinent ou ne s’imposent qu’au forceps (#loi_SRU [Solidarité et renouvellement urbain], #testing, #CV_anonyme, récépissé de contrôle d’identité, #droit_de_vote des étrangers aux élections locales, conventions ZEP-Sciences Po, mariage pour tous, droits des femmes...) ? Celles et ceux qui, à droite et à l’extrême droite, hurlent avec les loups ont combattu chacune de ces avancées.

      Pourtant, il n’y a qu’à se baisser pour constater le chemin qu’il reste à parcourir dans la lutte contre les #inégalités_femmes-hommes, le racisme, l’homophobie ou le #passé_colonial et ses conséquences pour les descendants des ex-pays colonisés.

      Il faudrait interdire les organisations qui reprendraient à leur compte des solutions avancées par la gauche libérale américaine, fondée sur le multiculturalisme et la valorisation des identités plurielles ? Ou bien faut-il se demander pourquoi n’opposer qu’un discours « il faut réduisons les inégalités socio-économiques pour que tout le monde ait sa chance » - ou qu’un slogan « la République, rien que la République » ? qui sonne de plus en plus creux aux oreilles de celles et ceux qui restent au bord du chemin, alors que les inégalités sociales et territoriales explosent dans notre société.

      L’#égalité_réelle

      Voilà mon explication. Oui, sans aucun doute, la République a un problème avec le #corps des individus, elle ne sait que faire de ces #différences_physiques, de ces #couleurs multiples, de ces orientations diverses, parce qu’elle a affirmé que pour traiter chacun et chacune également, elle devait être #aveugle.

      Mais, sans aucun doute également, d’autres dans la République ont détourné cette promesse d’une #égalité_républicaine, politique et donc sociale, pour exclure. Exclure les #femmes d’abord, les #pauvres ensuite, les #ouvriers, ces « classes laborieuses donc classes dangereuses », puis les #étrangers, la « #racaille » et ses « #sauvageons », venus d’ailleurs, emmenant leurs religions, leurs mémoires et leurs histoires. Et la gauche ne verrait pas cela. Elle passerait à côté de ce détournement, voire y inscrirait ses pas, au lieu de saisir le problème à bras-le-corps.

      Au lieu d’affirmer que dans ce pays, où a été défendue la République, puis la République sociale, il faut maintenant défendre la #République_citoyenne_et_universelle, la #République_métissée, la #République_de_l'égalité_réelle, en tentant de comprendre son passé, ses erreurs et ses oublis, pour regarder ensemble, tous et toutes ensemble, plus sereinement son avenir.

      Note(s) :

      Stéphane Troussel est président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/04/07/stephane-troussel-la-republique-a-un-probleme-avec-le-corps-des-individus-el

      #non-mixité

  • How FaceApp reveals a scary truth about female beauty standards
    https://www.gq-magazine.co.uk/lifestyle/article/faceapp-beauty-standards

    In the viral craze to age ourselves with FaceApp, one thing went unmentioned : it was almost exclusively men who were posting the results online. For women, finds Sirin Kale, it’s just another anxiety-inducing reminder of the expiry date society puts on female beauty Lina Slim was at work one day when she heard her colleagues laughing and messing around with their phones. They were testing out FaceApp, which will turn any selfie into a digitally generated image of what you’ll look like in (...)

    #FaceApp #algorithme #manipulation #femmes #vieillesse