Ici et pour mieux survoler le parcours intellectuel de Sachs, nous reprenons in extenso son intervention (3 octobre) auprès de Bloomberg , qu’on peut classer dans la presseSystème et qui se trouva dans l’obligation de laisser parler malgré l’horreur soulevé par ses propos pour les deux présentateurs... (Le premier : “Jeffrey, nous devons nous arrêter là”... Mais Sachs, poursuivant, et au diable la terreur censureuse !)
Jeffrey Sachs :« J’ai été attaqué dans ‘The Atlantic’ pour être du côté de la paix. Et je l’avoue, je suis du côté de la paix. Je suis très inquiet que nous soyons sur la voie de l’escalade vers la guerre nucléaire, rien de moins.
» La Russie estime que cette guerre est au cœur de ses intérêts de sécurité. Les États-Unis insistent sur le fait qu’ils feront tout pour aider l’Ukraine à vaincre la Russie. La Russie considère cela comme une guerre par procuration avec les États-Unis. Quoi que l’on pense de tout cela, c’est la voie d’une escalade extraordinaire et dangereuse. Et je suis très inquiet. [...]
» Une grande partie du monde regarde ces événements avec horreur, et une grande partie du monde n’aime pas cette expansion de l’OTAN, qu’ils interprètent comme étant au cœur de tout cela. Ils veulent voir un compromis entre les États-Unis et la Russie.
» Vote après vote aux Nations Unies, ce sont les nations occidentales qui ont voté pour des sanctions, des dénonciations et d’autres actions. Alors que la majorité du monde, certainement la majorité du monde en termes de population, reste sur la touche. Ils ne voient pas cela, comme nous le décrivons dans les médias, comme une attaque non provoquée de la Russie contre l’Ukraine.
» N’importe qui aux États-Unis pense, “Eh bien, qui cela peut-il être d’autre [que la Russie] ?” Mais c’est à cause de la façon dont nos médias ont rapporté cela. Ce conflit remonte à longtemps, il n’a pas commencé le 24 février 2022. En fait, la guerre elle-même a commencé en 2014, pas en 2022, et même cela avait des antécédents.
» La plupart du monde ne voit pas les choses comme nous les décrivons. La plupart du monde est simplement terrifié en ce moment, franchement.
» Il est incroyable d’entendre d’un côté qu’ils utiliseront des armes nucléaires s’ils le doivent, tandis que l’autre côté dit : “Vous ne pouvez pas nous effrayer”. [...]
» L’Europe connaît une récession économique très, très forte. La forte baisse de la production et du niveau de vie se traduit également par une hausse des prix, mais le fait principal est que l’économie européenne est frappée de plein fouet par la coupure soudaine de l’énergie.
» Et maintenant, pour parfaire le tout, il y a la destruction du gazoduc Nord Stream (dont je dirais sans hésiter qu’elle était une action des États-Unis, peut-être des États-Unis et de la Pologne). C’est de la spéculation. »
Intervieweur Bloomberg : « Jeff, nous devons nous arrêter là. Pourquoi pensez-vous que c’était une action américaine ? Quelles sont les preuves que vous avez de cela ? »
Jeffrey Sachs : « Eh bien, tout d’abord, il existe des preuves radar directes que des hélicoptères militaires américains, normalement basés à Gdansk, tournaient au-dessus de cette zone. Nous avons également eu la menace des États-Unis [le président Biden] au début de l’année : “d’une manière ou d’une autre, nous allons mettre fin au Nord Stream”.
» Vendredi dernier, lors d’une conférence de presse, le secrétaire d’État Blinken a fait une déclaration remarquable : “C’est aussi une formidable opportunité”. C’est une drôle de façon de parler si l’on s’inquiète du piratage d’une infrastructure internationale d’importance vitale.
» Je sais que cela va à l’encontre de notre discours, que vous n’êtes pas autorisé à dire ces choses en Occident, mais le fait est que partout dans le monde, lorsque je parle aux gens, ils pensent que les États-Unis l’ont fait. Même les journalistes de nos journaux qui sont impliqués me disent “bien sûr” [que les États-Unis l’ont fait], mais cela n’apparaît pas dans nos médias. »
Malgré la tentative de la deuxième journaliste de Bloomberg, la présentatrice, de lui faire quitter le sujet, Sachs y revient, à propos du manque de confiance dans les médias et le gouvernement...
[...] « Le plus gros problème est que nous avons des conflits géopolitiques majeurs, non seulement entre les États-Unis et la Russie, mais aussi entre les États-Unis et la Chine. Encore une fois, avec une énorme quantité de provocations venant du côté américain, nous brisons tout sentiment de stabilité en ce moment. Pour l’instant, beaucoup en Europe disent que les États-Unis sont leur plus proche allié et qu’ils doivent s’accrocher mais surveiller ce qui se passe politiquement. Il y a des bouleversements en Europe. Pays après pays en ce moment. Nous entrons dans une période d’énorme instabilité. Et nous sommes instables aux États-Unis en ce moment. Nous sommes passés par une insurrection, nous n’avons toujours pas dépassé ça.
» Nous entrons donc dans l’ère géopolitique la plus instable depuis plusieurs décennies. Nous entrons dans la première hyperinflation depuis plus de 40 ans. Et nous entrons dans la première escalade vers le précipice nucléaire depuis 60 ans. Il y a 60 ans exactement ce mois-ci avait lieu la crise des missiles cubains. C’est le moment le plus dangereux depuis la crise des missiles cubains.
» C’est une surcharge extraordinaire et nous ne voyons aucune tentative pour l’atténuer ou la calmer. Chaque jour, c’est l’escalade, nous allons vaincre l’autre camp, nous avons nos droits, nous pouvons défendre ce que nous voulons. La présidente de la Chambre Pelosi s’envole pour Taiwan. Nous ajoutons tant de provocations au sein d’une grande instabilité ! »