Erreur 404

/2021

  • Lutte contre le #sans-abrisme : une proposition de loi au Sénat et un débat à l’Assemblée
    https://www.banquedesterritoires.fr/lutte-contre-le-sans-abrisme-une-proposition-de-loi-au-senat-et

    Une proposition de loi (PPL) « visant à mettre en place un décompte annuel des personnes sans abri dans chaque commune » doit être examinée au Sénat, ce 24 janvier 2024, en séance plénière.

    […] Pour les communes de plus de 100.000 habitants, le décompte des personnes sans abri serait effectué « une fois par an, de nuit et dans des conditions précisées par décret », par des travailleurs sociaux et des bénévoles. Il s’agirait d’une institutionnalisation de la « nuit de la solidarité », organisée depuis 2018 à l’initiative de la ville de Paris. « L’objectif est de compter à un instant T le nombre de personnes en situation de rue, n’ayant donc pas d’endroit où dormir pour la nuit ou étant installées dans des lieux impropres au sommeil : voiture, tente, hall d’immeubles... », précise l’exposé des motifs de la PPL.

    […] La prochaine grande enquête de l’Insee sur les personnes sans domicile « n’est prévue qu’en 2025 », alors que la précédente « date de 2012 », a déploré Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé Pierre. […] « La Fondation Abbé Pierre estime à 330.000 le nombre de personnes sans domicile, c’est-à-dire, selon la définition de l’Insee, de personnes qui sont à la rue ou hébergées par l’État », alors qu’elles « n’étaient que 143.000 » en 2012, a-t-il resitué. Le nombre de personnes sans-abri, « c’est-à-dire qui ont passé la nuit précédente à la rue ou dans un lieu qui n’est pas prévu pour l’habitation », était estimé à 40.000 par la Cour des comptes en 2019, après 12.000 comptabilisées par l’Insee en 2012. « La frontière entre sans-abri, sans domicile et mal logé est ténue », a rappelé Manuel Domergue, citant notamment les 100.000 personnes qui vivent, selon l’Insee, dans des habitations de fortune.

    Si « un effort inédit » a été réalisé en matière d’hébergement social (203.000 places, « soit le double d’il y a dix ans ») et si 550.000 personnes « sont sorties de la rue et vivent dans des logements plus pérennes » du fait du plan Logement d’abord mis en œuvre par le gouvernement depuis 2017, « le nombre de personnes sans domicile augmente », souligne Manuel Domergue. « Un flux contrebalance le flux positif : celui des personnes qui perdent leur logement ou qui arrivent en France et ne peuvent s’y loger », explique-t-il. D’une part, « les arrivées sur le territoire ont indéniablement augmenté depuis 2015, en particulier celle de #demandeurs_d’asile, dont les deux tiers se retrouvent dans une situation administrative très précaire après avoir été déboutés ». Pour le directeur des études de la Fondation Abbé Pierre, l’absence de #régularisation_massive est un « verrou idéologique » qui constitue le « point faible du plan Logement d’abord ». D’autre part, l’autre « flux négatif » correspond aux #expulsions_locatives qui, au nombre de 17.500, ont « battu un record » en 2022.

    #logement

  • À propos de l’enseignante tuée en classe par un élève de 16 ans à Saint-Jean-de-Luz.

    Le procureur annonce « qu’une enquête a été ouverte pour assassinat, c’est à dire de meurtre avec préméditation » :
    https://france3-regions.francetvinfo.fr/nouvelle-aquitaine/gironde/bordeaux/une-enseignante-poignardee-par-un-eleve-dans-son-lycee-

    Ici ou là, on évoque le meurtre de Samuel Paty. Les ministres s’agitent et se posent devant la caméra pour réagir à chaud.

    Politiques et syndicalistes surenchérissent sur les réseaux sociaux pour savoir qui sera le plus apte à se mettre en valeur, tout en sachant faire vibrer de la corde de l’émotion.

    On apprend que l’élève est passé à l’acte parce qu’il entendait des voix. Il s’agit d’un symptôme parfaitement identifié et très connu de troubles psychiatriques. La tragédie qui touche l’enseignante, ses proches et sa famille ne doit pas faire oublier qu’un adolescent malade n’a, visiblement, pas été détecté ni pris en charge sur le plan médical. Les personnes souffrant de troubles psychiatriques mettent en danger leur entourage ainsi qu’eux-mêmes.

    Il suffirait juste de le rappeler.

    Nulle part je n’ai vu, aujourd’hui, dans cette presse putassière, de rappel sur l’alarmante augmentation des problèmes de santé mentale des mineur·es ni sur l’état de délabrement préoccupant des structures psychiatriques.

    « Face à la hausse des troubles psychiatriques chez les enfants, développer une politique de prévention est une priorité »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/08/02/face-a-la-hausse-des-troubles-psychiatriques-chez-les-enfants-developper-une

    « Effondrement » et « crise d’attractivité » de la psychiatrie publique
    https://www.santementale.fr/2021/06/le-risque-deffondrement-de-la-psychiatrie-publique

    • Les personnes souffrant de troubles psychiatriques mettent en danger leur entourage ainsi qu’eux-mêmes.

      sorry mais non. le danger pour l’entourage, c’est la fatigue, le désespoir, l’impuissance à y faire quelque chose, éventuellement quelques passages à l’acte qui le vise directement, mais pour l’essentiel sans ce degré de gravité que revêtent l’agression physique invalidante ou le meurtre !
      je n’ai pas la patience de chercher des données, pardon, mais la souffrance psychique fait se mettre en danger les personnes qui l’éprouve, par eux-mêmes et par d’autres (elles sont plus souvent victimes d’agressions, etc. que la moyenne). en revanche ces personnes sont moins que la moyenne de la population susceptibles de nuire dangereusement aux autres.
      sauf si on veut subito intégrer aux « personnes souffrant de troubles psychiatriques » la normopathie exaspérée qui travaille le grand nombre ou des pathologies plus particulières que l’on a du mal à ne pas attribuer à bon nombre de dominants (à quel point faut-il être psychopathe, pervers narcissique, pour être un dirigeant, à n’importe quel niveau, sachant que plus c’est haut plus cela peut devenir voyant ? ou comment dominer - les enfants, entre pairs, ou sur l’animal, femme sur enfant, mari sur femme, petit chef sur employé, etc. - suscite des dispositions « pathologiques »).

      si on ne sait pas parler depuis la folie (dit en binaire, ce n’est donné ni aux fous ni aux autres...) faut arrêter de dire (trop) des conneries à son sujet, puisque comme disait grosso modo Bonaffé (?) c’est à la manière dont les fous sont traités que l’on juge une société

      oui, il y a une destruction continue de la psychiatrie (ni lits, ni soignants, cf. suppression de la qualif infirmier psy) par l’État (et les psychiatres eux-mêmes...) depuis des décennies, c’est très voyant chez les mineurs. notre société d’abandon fabrique des fous (vivre à la rue), notre société punitive fabrique des fous (la violence de l’incarcération de masse en produit son lot). et oui, aussi, la folie n’est pas réductible à ces fabrications. mais chaque fois que des troubles psys sont mis en cause dans des crimes, c’est, encore, les fous qui en pâtissent (établissement fermés, contention).

      edit d’ailleurs, si les fous étaient dangereux, on y consacrerait du blé et du monde...
      à défaut de retrouver de la bonne doc, voilà un truc de la HAS qui dit

      La personne souffrant de troubles mentaux n’est que rarement impliquée dans une violence faite aux tiers.

      Dangerosité psychiatrique : étude et évaluation des facteurs de risque de violence hétéro-agressive chez les personnes ayant des troubles schizophréniques ou des troubles de l’humeur
      https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2011-07/evaluation_de_la_dangerosite_psychiatrique_-_rapport_dorientation.pdf

      pour le reste, c’est un point d’appui récurent pour des politique du bouc émissaire censées nous unifier et nous rassurer (on est normaux, ensemble, gouvernés)

      Psychiatrie : Sarkozy veut « sécuriser »
      https://www.lemonde.fr/societe/article/2008/12/02/sarkozy-promet-70-millions-d-euros-aux-hopitaux-psychiatriques_1126055_3224.

      Nous refusons encore une fois la politique de la peur, Union syndicale de la psychiatrie

      https://printempsdelapsychiatrie.org/author/humapsy

      #folie #psychiatrie

    • Crime et folie, un rapprochement trop tentant
      https://www.cairn.info/magazine-les-grands-dossiers-des-sciences-humaines-2011-12-page-2.html

      La part des violences homicides directement imputables aux troubles mentaux et au terreau biologique, à défaut d’être inexistante, s’avère manifestement marginale.

      edit en entendant la nouvelle du jour je m’attendais à des déclarations sur la dangerosité des fous, mais c’est un lycéen (?) et pas un psychiatrisé, il semble qu’il n’y en ait pas encore eu. et plus simplement, la confirmation du stéréotype infuse en sous texte.

    • Développement Matérialiste des Contradictions
      du Concept de Maladie (Krankheitsbegriff)
      http://www.spkpfh.de/Developpement_Materialiste_des_Contradictions.htm
      Ces textes ne sont pas récents et n’ont jamais fait partie des discours politiques publiés à grande échelle, mais on peut y trouver une richesse de mises en question et de réflexions dialectiques profondes.

      Si nous voulons comprendre pourquoi une pierre tombe sur le sol, nous ne pouvons pas nous contenter de déclarer que d’autre corps tombent aussi, mais nous devons saisir l’essence du phénomène (la chute), c’est-à-dire la gravitation en tant que loi générale de la matière sous la détermination de la masse.

      Il en est de même pour la maladie. Pour nous, de prime abord, il était clair qu’il ne suffit pas d’y chercher des causes univoques dans le physique, selon les modèles de la médecine scientifique. Nous sommes très rapidement devenus conscients du fait qu’il est aussi insuffisant de parler simplement des causes sociales de la maladie et de simplifier le problème en imputant la « faute » de la maladie et de la souffrance au « méchant » capitalisme ; nous avons compris que, dire simplement que la société est malade, est une affirmation complètement abstraite et sans effet.

      Empiriquement nous sommes partis uniquement de trois faits :

      Il y a la société capitaliste, le travail salarié et le capital.
      Il y a la maladie et les besoins insatisfaits, c’est-à-dire l’état de manque réel et de souffrance de l’individu.
      Il y a la catégorie de l’historicité, la catégorie de la production, ou bien de manière plus générale, la catégorie du temps, de la tranformation et du devenir.

      Simplement formulé le SPK a été la plus grande concrétisation possible, dans les années 1970-1971, des contradictions du concept de maladie portées à leur plus haute généralisation possible. Or, il est nécessaire à la dialectique de s’élever à un haut niveau de généralisation pour pouvoir résoudre des problèmes concrets, puisque la généralisation théorique est en même temps la condition et le résultat du travail pratique. Il s’agissait alors pour nous dès le début de saisir les symptômes en tant que phénomènes de l’essence de la maladie.

      #maladie #iatrocratie #folie #médecine #SPK

    • @colporteur
      Tout d’abord merci pour ta contribution :-)
      Tu l’écris toi-même : « la fatigue, le désespoir, l’impuissance à y faire quelque chose » ça c’est pour l’entourage direct et intime de la personne. Généralement cet entourage a connaissance du problème. Je suis d’accord que, de ce fait, les possibilités de mise en danger telles que les agressions physiques directes sont beaucoup plus rares.

      Mais ce n’est pas ça que j’évoquais :

      L’entourage auquel je pense c’est aussi et surtout toutes les instances de socialisation (travail, scolarité, transports, loisirs, commerces, etc.) qui mettent en relation la personne malade avec d’autres qui ne savent pas forcément qu’il y a un problème psy et, de ce fait, ça peut très rapidement dégénérer de façon très violente avec un accident comme dans n’importe quelle baston. Voilà pourquoi la notion de préméditation évoquée par le juge (ci-dessus) me semble révoltante.

      Ceci étant, une personne qui entend des voix peut tout à fait être conduite à commettre le pire et c’est là qu’il faut faire attention à ce qu’on raconte. La personne ne partage pas la « rationalité sociale ordinaire » et cela peut être préjudiciable à elle comme aux autres.

      C’est tout ce qu’il faut garder à l’esprit.

      Je ne porte pas de jugement sur la normalité ; c’est pas du tout mon propos. Je demande juste qu’on prenne en compte la maladie quand on atterri sur le terrain judiciaire et là je dois reconnaître que j’entends souvent des choses avec lesquelles je suis en désaccord, dès que ça vient sur le devant de la scène médiatique, surtout quand il y a des explications politiques ou idéologiques à trouver derrière des troubles de comportement (même si ces derniers sont totalement des problèmes politiques de santé publique, mais ce ne sont généralement pas ceux-là qui sont évoqué s dans ces cas-là).

      Sinon je suis d’accord avec toi que la principale concernée par la violence reste la personne en souffrance elle-même. Son malaise psy et sa difficile socialisation.

      Sur le plan social plus global, institutionnel, c’est une catastrophe complète et je reste très dubitatif sur les théories alternatives du type anti psychiatrie qui avaient pourtant toute ma sympathie.

    • @klaus merci pour cette citation du SPK qui est, si je me souviens bien ce groupe de psy radicaux des années 70 qui theorisaient qu’il fallait faire de la maladie une arme (contre le capitalisme). Merci de confirmer.
      Voilà qui nous mettra tous d’accord, n’est-ce pas @colporteur ?

    • d’accord avec toi sur ma mauvaise reprise du terme entourage alors qu’il s’agit d’un lieu de socialisation, disciplinaire, pas de l’espacé public, ni d’une relation personnelle.
      je souscris d’autant plus à cette distinction et que les deux dernières fois que je me suis pris des pains c’était à tenter de maintenir le contact avec des personnes en crise, pour elles et pour essayer d’éviter que la violence physique dont ils faisaient montre persiste et s’aggrave (l’un d’eux a décompensé plusieurs fois depuis, à suivre le fil de telles histoires, on vérifie fort bien et de façon répétée les carences massives des institutions de soins...). c’était violent, mais il y avait même à ce moment comme une retenue pour laquelle le fait que l’on se connaisse, que ce soit dans un contexte collectif, pas assez contenant pour faire le job (aider à aller suffisamment bien) mais réel, ça a certainement joué et ils sont sont resté bien en deçà de ce qu’ils pouvaient depuis l’avantage physique et les objets dont ils disposaient. aliénés mais pas tout à fait déliés. modalité dont il ne saurait être question d’exiger des institutions en place qu’elles l’assurent à elles seules.

      amère victoire de l’anti-psychiatrie, une destruction de la psychiatrie qui s’est opérée à rebours de ce à quoi elle prétendait. comme théorie critique, l’anti psychiatrie se discute (...). mais dans les faits c’est une transformation éthique, et socio politique contre l’autre. l’anti-psychiatrie se divise en deux : avec et pour les patients (controverses et expérimentations à la clé), ou contre les patients (particularité : la logique comptable qui prévaut ne prend même pas la peine de fabriquer un discours sur le bien du patient pour couvrir ses agissements).
      pour ma part j’aime plutôt un autre vivre avec la folie qui a été porté par des courant de critiques plus internes à la psychiatrie (désaliénisme et sectorisation, l’ancrage territorial plutôt que l’asile, Bonaffé, là aussi retourné pour partie avec la suppression de dizaine de milliers de lits en institution ; psychothérapie institutionnelle, Tosquelles, Oury, etc - soigner l’hôpital disaient-ils, puis Oury formulera la notion de normopathie, mais entre emprise technocratique en constante extension, argent comme critère de réussite lucre des cliniques privée autrefois fondées pour réinventer le soin, et scléroses internes ça ne tient que bien mal).

      cet élève de lycée catho sur fonds publics (l’état persiste à entendre la voix de Dieu, en continu, il y a peu des données sont sorties sur le coût public plus élevé des places dans le privé...) avec 100% de réussite au bac a fait rater quelque chose, à tout le moins, la « communauté scolaire » (si ce n’est l’"éducation spirituelle" https://stthomasdaquin.fr/etablissement/projet-etablissement). et ça a été plus que moche.
      ça a pour effet immédiat une distribution de sucreries verbales destinées aux profs, fallacieuse compensation d’un mépris général qui ne cessera pas. faudrait qu’ils s’en occupent mais ils ont trop à faire avec pronote, l’évaluation, l’obéissance, l’inculcation, la digestion de leur dévalorisation, de leurs défaites consenties (on se souviendra de l’évitement répété de la gréve du bac), la vie privée.

      ici, ce n’est pas comme tu en évoques la possibilité, un accident, une situation qui dégénère. plutôt un épisode délirant, pour parler gros, dont on ne sait depuis combien de temps et comment il se manifestait, qui débouche sur ce passage à l’acte là.
      et oui, comme tu le dis, il aurait pu (dû, ça je ne sais pas) trouver quelqu’un à qui parler (des mois d’attente pour une consultation en CMP, peut-être ce jeune est-il d’un milieu social qui aurait pu avoir accès à de la psychiatre ou psychothérapie en libéral ? là aussi ça peut-être long).
      il n’en reste pas moins que le refus de soin, ça fonctionne des deux côtés.

      pour la justice, d’un gars venu avec un couteau, disant avoir entendu des voix, sans doute avant d’arriver, en tout cas avant de fermer la porte de la classe et de poignarder, il est logique (sauf protection, privilège) de ne pas écarter à priori la préméditation. la qualification pénale a vocation à se modifier en fonction de l’enquête, de la procédure, etc. c’est pas bien parti puisqu’il est dit en état de subir la g-à-v et a semble-t-il (enfin ?) trouvé des oreilles pour un dire qui en ces circonstances ne pourra que l’incriminer (les jeux sont faits : au mieux la justice statuera sur une « responsabilité atténuée »).

      ...

      dommage que les lycéens ne soient pas (pour l’instant ?) plus sortis sur les retraites. le gars aurait peut-être été s’enjailler avec d’autres, plutôt que de s’enfermer dans une classe pour faire un boutonnière à cette professeure.

      #école #lycée

    • Tu fais bien de me reprendre @colporteur, j’ai formulé avec mes mots maladroits (« entourage ») quelque chose qui m’a mit hors de moi. Il est parfois difficile d’exprimer avec justesse ce que l’on ressent. En me relisant dans tes messages, je me suis d’ailleurs rendu compte que j’avais laissé passé une faute d’accord impardonnable. Plus essentiellement en te lisant, non seulement, je ne pense pas que nous soyons en désaccord sur le fond (ce qui ne serait en fait pas très important si ce n’était pas le cas) mais surtout, le plus important, tes explications apportent beaucoup d’éclairages enrichissants.

      Je te remercie encore pour ces apports qui montrent que tu as une réflexion très poussée sur la problématique psychiatrique, laquelle, pour peu qu’on ne dispose pas de ressources permettant de s’enfermer pas dans un univers surprotégé, nous touche tôt ou tard par toute sa violence. Surtout si, comme c’est mon cas, on a travaillé dans des situations d’accueil du public (tout public).

      Ce matin en écoutant la radio, ça m’a – comme qui dirait - remis une pièce dans la machine. On évoquait le fait que l’adolescent de Saint-Jean-de-Luz « ne faisait l’objet d’aucun signalement », comme si la solution à mettre en place pour… pour quoi, au fait ???
      Comme si la solution consistait à ficher et à répertorier « les cas » et anticiper « les risques ». On retrouve bien là la logique policière et carcérale (enfer me ment) qui contamine l’institution psychiatrique. Pouah !

      J’aurais mieux fait, comme hier, de ne pas ALLUMER la radio et d’écouter directement de la musique pour me mettre en forme, par exemple De la Soul / My writes (hier) et, ce matin (après le flux radiophonique), Lulu / Iced honey .

      Et avec Lou Reed (qui a été confronté à la violence psy) et Metallica de te rejoindre à penser que la jeunesse aurait toutes les meilleures raisons du monde de se révolter.

      See if the ice will melt for you
      Iced honey

      https://youtu.be/6sf5euJJx6o

    • L’édito du Télégramme du jour détonne dans l’ambiance médiatique générale (évitez d’aller voir les commentaires de la dépêche AFP sur Twitter…)

      [Édito] Une professeure est morte - Débats - Le Télégramme
      https://www.letelegramme.fr/debats/edito-une-professeure-est-morte-22-02-2023-13284057.php

      Notre éditorialiste Stéphane Bugat donne son point de vue sur ce que révèle de notre société le meurtre de la professeure de Saint-Jean-de-Luz.

      La professeure d’espagnol de 52 ans, du collège privé de Saint-Jean-de-Luz, est morte après avoir été agressée à coups de couteau par un élève de 16 ans. Cette tragédie ne fait malheureusement pas exception. D’autres faits, plus ou moins similaires, furent imputés à des jeunes dont le comportement relevait évidemment de la psychiatrie.

      Mais les chaînes dites d’information, le nez sur les sondages, et les réseaux sociaux, sous le régime de l’émotion permanente, déterminent l’opinion autant qu’elles la suivent. Elles n’ont donc eu nul besoin d’en savoir davantage sur les causes, ni même sur les circonstances, pour nous abreuver de commentaires alarmistes. C’est leur pitance.

      Comment les professeurs et les parents ne sonneraient-ils pas l’alarme ? Et les politiques vont s’en mêler promptement. La pondération pouvant être interprétée comme de l’indifférence, quelques mâles déclarations et l’annonce de nouvelles lois feront office de placebo. Avant que la machine médiatique s’intéresse à autre chose. L’information sanglante se consomme fraîche.

      Un tel fait divers, s’ajoutant à d’autres, nous pourrions pourtant le considérer comme le révélateur de profonds dérèglements sociétaux. Le terrible passage à l’acte traduisant une souffrance que l’on n’a su ni saisir, ni traiter. C’est en cela que les victimes le sont d’abord de défaillances systémiques.

      La médecine psychiatrique a certes fait des progrès considérables depuis cette époque maudite où elle traitait tout, ou presque, par les électrochocs et la mise à l’écart des patients. Cependant, ce sont ses moyens qui, à elle aussi, manquent cruellement.

      Une professeure est morte. Un adolescent est devenu un meurtrier. On peut s’en indigner. Mais, au-delà de l’effroi et des effluves de notre société du spectacle médiatique, qu’avons-nous d’autre à proposer que de la compassion ?

  • Turkey : Hundreds of Refugees Deported to Syria

    EU Should Recognize Turkey Is Unsafe for Asylum Seekers

    Turkish authorities arbitrarily arrested, detained, and deported hundreds of Syrian refugee men and boys to Syria between February and July 2022, Human Rights Watch said today.

    Deported Syrians told Human Rights Watch that Turkish officials arrested them in their homes, workplaces, and on the street, detained them in poor conditions, beat and abused most of them, forced them to sign voluntary return forms, drove them to border crossing points with northern Syria, and forced them across at gunpoint.

    “In violation of international law Turkish authorities have rounded up hundreds of Syrian refugees, even unaccompanied children, and forced them back to northern Syria,” said Nadia Hardman, refugee and migrant rights researcher at Human Rights Watch. “Although Turkey provided temporary protection to 3.6 million Syrian refugees, it now looks like Turkey is trying to make northern Syria a refugee dumping ground.”

    Recent signs from Turkey and other governments indicate that they are considering normalizing relations with Syrian President Bashar al-Assad. In May 2022, President Recep Tayyip Erdoğan of Turkey announced that he intends to resettle one million refugees in northern Syria, in areas not controlled by the government, even though Syria remains unsafe for returning refugees. Many of those returned are from government-controlled areas, but even if they could reach them, the Syrian government is the same one that produced over six million refugees and committed grave human rights violations against its own citizens even before uprisings began.

    The deportations provide a stark counterpoint to Turkey’s record of generosity as host to more refugees than any other country in the world and almost four times as many as the whole European Union (EU), for which the EU has provided billions of Euros in funding for humanitarian support and migration management.

    Between February and August, Human Rights Watch interviewed by phone or in person inside Turkey 37 Syrian men and 2 Syrian boys who had been registered for temporary protection in Turkey. Human Rights Watch also interviewed seven relatives of Syrian refugee men and a refugee woman whom Turkish authorities deported to northern Syria during this time.

    Human Rights Watch sent letters with queries and findings to the European Commission, the European Commission’s Directorate-General for Migration and Home Affairs, and the Turkish Interior Ministry. Human Rights Watch received a response from Bernard Brunet, of the EU’s Directorate-General for Neighborhood and Enlargement Negotiations. The content of this letter is reflected in the section on removal centers.

    Turkish officials deported 37 of the people interviewed to northern Syria. All said they were deported together with dozens or even hundreds of others. All said they were forced to sign forms either at removal centers or the border with Syria. They said that officials did not allow them to read the forms and did not explain what the forms said, but all said they understood the forms to be allegedly agreeing to voluntary repatriation. Some said that officials covered the part of the form written in Arabic with their hands. Most said they saw authorities at these removal centers processing other Syrians in the same way.

    Many said that they saw Turkish officials beat other men who had initially refused to sign, so they felt they had no choice. Two men detained at a removal center in Adana said they were given the choice of signing a form and going back to Syria or being detained for a year. Both chose to leave because they could not bear the thought of a year in detention and needed to support their families.

    Ten people were not deported. Some were released and warned that if they did not move back to their city of registration they would be deported if found elsewhere. Others managed to contact lawyers through the intervention of family members to help secure their release. Several are still in removal centers waiting for a resolution to their case, unaware why they are being detained and fearing deportation. Those released described life in Turkey as dangerous, saying that they are staying at home with their curtains closed and limiting movement to avoid the Turkish authorities.

    Deportees were driven to the border from removal centers, sometimes in rides lasting up to 21 hours, handcuffed the whole way. They said they were forced to cross border checkpoints at either Öncüpınar/Bab al-Salam or Cilvegözü/Bab al-Hawa, which lead to non-government- controlled areas of Syria. At the checkpoint, a 26-year-old man from Aleppo recalled a Turkish official telling him, “We’ll shoot anyone who tries cross back.”

    In June 2022, the UN refugee agency, UNHCR, said that 15,149 Syrian refugees had voluntarily returned to Syria so far this year. The local authorities who control Bab al-Hawa and Bab al-Salam border crossings respectively publish monthly numbers of people crossing through their checkpoints from Turkey to Syria. Between February and August 2022, 11,645 people were returned through Bab al-Hawa and 8,404 through Bab al-Salam.

    Turkey is bound by treaty and customary international law to respect the principle of nonrefoulement, which prohibits the return of anyone to a place where they would face a real risk of persecution, torture or other ill-treatment, or a threat to life. Turkey must not coerce people into returning to places where they face serious harm. Turkey should protect the basic rights of all Syrians, regardless of where they are registered and should not deport refugees who are living and working in a city other than where their temporary protection ID and address are registered.

    On October 21, Dr. Savaş Ünlü, head of the Presidency for Migration Management, responded by letter to Human Rights Watch’s letter of October 3 sharing this report’s findings. Emphasizing that Turkey hosts the largest number of refugees in the world, Dr. Ünlü rejected Human Rights Watch’s findings in their totality, calling the allegations baseless. Setting out the services provided by law to people seeking protection in Turkey, he underscored that Turkey “carries out migration management in accordance with national and international law.”

    “The EU and its member states should acknowledge that Turkey does not meet its criteria for a safe third country and suspend its funding of migration detention and border controls until forced deportations cease,” Hardman said. “Declaring Turkey a ‘safe third country’ is inconsistent with the scale of deportations of Syrian refugees to northern Syria. Member states should not make this determination and should focus on relocating asylum seekers by increasing resettlement numbers.”

    Human Rights Watch focused on the deportation of Syrian refugees who had been recognized by Turkey’s temporary protection regime but whom authorities nevertheless deported or threatened with deportation to Syria in 2022. All 47 Syrian refugees whose cases were examined had been living and working in cities across Turkey, the majority in Istanbul, before they were arrested, detained, and in most cases deported. All detainees are identified with pseudonyms for their protection.

    All but two had a Turkish temporary protection ID permit when they lived in Turkey, commonly called a kimlik, which protects Syrian refugees against forced return to Syria. Several said they had both a temporary protection ID and a work permit.

    Refugees, Asylum Seekers, and Migrants in Turkey

    Turkey shelters over 3.6 million Syrians and is the world’s largest refugee-hosting country. Under a geographical limitation that Turkey has applied to its accession to the UN Refugee Convention, Syrians and others coming from countries to the south and east of Turkey’s borders are not granted full refugee status. Syrian refugees are registered under a “temporary protection” regulation, which Turkish authorities say automatically applies to all Syrians seeking asylum.

    Turkey’s Temporary Protection Regulation grants Syrian refugees access to basic services including education and health care but generally requires them to live in the province in which they are registered. Refugees must obtain permission to travel between provinces. In late 2017 and early 2018, Istanbul and nine provinces on the border with Syria suspended registration of newly arriving asylum seekers.

    In February 2022, Turkey’s Deputy Interior Minister Ismail Çataklı said applications for temporary and international protection would not be accepted in 16 provinces: Ankara, Antalya, Aydın, Bursa, Çanakkale, Düzce, Edirne, Hatay, Istanbul, Izmir, Kırklareli, Kocaeli, Muğla, Sakarya, Tekirdağ, and Yalova. He also said residency permit applications by foreigners would not be accepted in any neighborhood in which 25 percent or more of the population consisted of foreigners. He reported that registration had already been closed in 781 neighborhoods throughout Turkey because foreigners in those locations exceeded 25 percent of the population.

    In June, Interior Minister Süleyman Soylu announced that from July 1 onward, the proportion would be reduced to 20 percent and the number of neighborhoods closed to foreigners’ registration increased to 1,200, with cancellation of temporary protection status of Syrians who traveled in the country without applying for permission. Many interviewees explained that they could not find employment in their city of registration and could not survive there but could find work in Istanbul.

    Rising Xenophobia in Turkey

    Over the past two years, there has been an increase in racist and xenophobic attacks against foreigners, notably against Syrians. On August 11, 2021, groups of Turkish residents attacked workplaces and homes of Syrians in a neighborhood in Ankara a day after a Syrian youth stabbed and killed a Turkish youth in a fight.

    In the lead-up to general elections in spring 2023, opposition politicians have made speeches that fuel anti-refugee sentiment and suggest that Syrians should be returned to war-torn Syria. President Erdoğan’s coalition government has responded with pledges to resettle Syrians in Turkish-occupied areas of northern Syria.

    Arrests

    Most of those interviewed were arrested on the streets of Istanbul, and others during raids in their workplaces or homes. The arresting officials sometimes introduced themselves as Turkish police officers, and all demanded to see the refugees’ identification documents.

    Under Turkey’s temporary protection regulation, Syrian refugees are required to live in the province where they first register as refugees. Seventeen of these 47 refugees were living and working in their city of registration, while the rest were living and working in a different province.

    Five refugees said they were arrested because of complaints or spurious allegations from neighbors or employers, ranging from making too much noise to being a terrorist. All refugees said these accusations had no foundation. Four of them were acquitted, released, or deported; one man is still being investigated.

    Detention

    On arrest, Syrian refugees were either taken to local police stations for a short period or directly to a removal center, usually Tuzla Removal Center in Istanbul. Other removal centers included were in Pendik, Adana, Gaziantep, and Urfa. In all cases, Turkish officials confiscated the Syrians’ telephones, wallets, and other personal belongings.

    The authorities refused refugees’ requests to call their family members or lawyers. One man who asked to speak to a lawyer said an officer at the police station said, “‘Did you commit any crime?’ When I said ‘no,’ he said, ‘Then you don’t need to call a lawyer.’”

    All said the Turkish authorities kept them in cramped, unsanitary rooms in various removal centers. Beds were limited and interviewees said they often had to share them. Refugees said they were usually divided according to nationality and were generally held with other Syrians. Boys under 18 were detained with adult men.

    While some removal centers had better conditions than others, all interviewees described a lack of adequate food and access to washroom facilities, as well as other unsanitary conditions. In Tuzla, where the majority of interviewees passed through, Syrians described being held outside in areas described as “basketball courts” for hours on end while waiting to be assigned a space, which was usually inside a cramped metal container.

    “Ahmad” described conditions at Tuzla Removal Center, where he was detained alongside unrelated children in overcrowded metal containers:

    There were six beds in my cell and two or three people had to share each bed, and in my cell, one kid was 16 and one was 17. At first there were 15 of us [in the cell] but then they added more people. We stayed 12 days without taking a shower because they didn’t have one.

    Beatings and Ill-Treatment

    All interviewees said Turkish officials in the removal centers either assaulted them or they witnessed officials kicking or beating other Syrians with their hands or wooden or plastic batons. “Fahad,” a 22-year-old man from Aleppo, described the beatings in Tuzla Removal Center:

    I was beaten in Tuzla…. I dropped my bread by accident and I tried to pick it up from the floor. An officer kicked me and I fell down. He started to beat me with a wooden stick. I couldn’t defend myself. I witnessed beatings of other people. In the evening if people smoked they were beaten. They [the guards] were always humiliating us. One man was smoking … and five guards started to beat him very hard and they made his eye black and blue and beat his back with a stick. And everyone who tried to intervene was beaten.

    “Ahmad,” a 26-year-old man from Aleppo, said Turkish police arrested him at his workplace, a tailor shop in Istanbul, and took him to Tuzla Removal Center where he was severely beaten on multiple occasions:

    I was beaten in Tuzla three times; the last time was the harshest for me. I was arguing about the fact that I should be allowed to go out of the doors of the prison, I should have been allowed time for breaks. So they [the guards] cursed me and insulted me and my family. I said I would complain to their director. I was beaten on my face with a wooden stick, and they [the guards] broke my teeth.

    Ahmad was eventually deported to northern Syria through the Bab al-Salam border crossing and is now staying in Azaz city, currently under the control of the Turkey-backed Syrian Interim Government, an opposition group, as he cannot cross into Syrian government-controlled Aleppo city because he is wanted by the Syrian army. “I fled the war [in Syria] because I am against violence,” he said. “Now they [the Turkish authorities] sent me back here. I just want to be in a safe place.”

    “Hassan,” a 27-year-old former political prisoner and survivor of torture from Damascus, was arrested at his house when his neighbors complained about the noise coming from his apartment. He spent a few months being transferred between various removal centers. At the last one, he was told to sign a voluntary return form. When he refused to sign, Hassan said, “I was put inside a cage, like a cage for a dog. It was metal … approximately 1.5 meters by one meter. When the sun hit the cage it was so hot.”

    When he was first arrested, Hassan managed to contact his wife before his phone was confiscated. She found a lawyer who helped secure his release.

    Forced to Sign “Voluntary Return” Forms

    Many deportees said Turkish officials – either removal center guards, or officials they described as “police” or “jandarma” interchangeably – used violence or the threat of violence to force them into signing “voluntary” return forms.

    Human Rights Watch gathered testimony indicating deportees were forced to sign “voluntary return” forms at removal centers in Adana, Tuzla, Gaziantep, and Diyarbakır, and a migration office in Mersin.

    “Mustafa,” a 21-year-old man from Idlib, was arrested on the streets in the Esenyurt neighborhood of Istanbul. After several days in a removal center in Pendik, he was transferred to Adana, where he was put in a small cell with 33 other Syrian men for a night. In the morning, Mustafa said, a jandarma officer came to take detainees separately to another room:

    When my turn came, they took two of us into a room where there were four officials: a jandarma, a plain-clothed man, the [Adana Removal Center] migration director, and a translator. I saw three people sitting on the floor under the table who had been taken earlier from our cell and their faces were swollen.

    The translator asked the man who was with me to sign some papers, but when he saw one was a voluntary return form he didn’t want to sign. The jandarma and the plain-clothed guy started beating him with their hands and their batons and kicked him. After about 10 minutes they tied his hands and moved him next to the men already on the floor under the table. The translator asked me if I wanted to taste what the others had tasted before me. I said no and signed the paper.

    Mustafa was later deported from Cilvegözü/Bab al-Hawa border crossing and is now staying in al-Bab city in northern Aleppo province.

    Syria Remains Unsafe for Returns

    Most people interviewed said they originated from government-controlled areas in Syria. They said they could not cross from the opposition-controlled areas of northern Syria to their places of origin for fear Syrian security agencies would arbitrarily arrest them and otherwise violate their rights. Those deported to northern Syria told Human Rights Watch they felt “stuck” there, unable to go to home or to forge a life amid the instability of clashes in northern Syria.

    “I cannot go back to Damascus because it is too dangerous,” said “Firaz,” 31, in a telephone interview, who is from the Damascus Countryside and was deported from Turkey in July 2022 and is now living in Afrin in northern Syria. “There is fighting and clashes [in Afrin]. What do I do? Where do I go?”

    In October 2021, Human Rights Watch documented that Syrian refugees who returned to Syria between 2017 and 2021 from Lebanon and Jordan faced grave human rights abuses and persecution at the hands of the Syrian government and affiliated militias, demonstrating that Syria is not safe for returns.

    While active hostilities may have decreased in recent years, the Syrian government has continued to inflict the same abuses onto citizens that led them to flee in the first place, including arbitrary detention, mistreatment, and torture. In September, the UN Commission of Inquiry on Syria once again concluded that Syria is not safe for returns.

    In addition to the fear of arrest and persecution, 10 years of conflict have decimated Syria’s infrastructure and social services, resulting in massive humanitarian needs. Over 13 million Syrians needed humanitarian assistance as of early 2021. Millions of people in northeast and northwest Syria, many of whom are internally displaced, rely on the cross-border flow of food, medicine, and other lifesaving assistance.

    International Law

    Turkey is a party to the International Covenant on Civil and Political Rights (ICCPR) and the European Convention on Human Rights, both of which prohibit arbitrary arrest and detention and inhuman and degrading treatment. If Turkey detains a person to deport them but there is no realistic prospect of doing so, including because they would face harm in the destination country, or the person is unable to challenge their removal, the detention is arbitrary.

    Turkey’s treaty obligations under the European Convention, the ICCPR, the Convention Against Torture, and the 1951 Refugee Convention also require it to uphold the principle of nonrefoulement, which prohibits the return of anyone to a place where they would face a real risk of persecution, torture or other ill-treatment, or a threat to life.

    Turkey may not use violence or the threat of violence or detention to coerce people to return to places where they face harm. This includes Syrian asylum seekers, who are entitled to automatic protection under Turkish law, including any who have been blocked from registration for temporary protection since late 2017. It is important that it also applies to refugees who have sought employment outside the province in which they are registered. Children should never be detained for reasons solely related to their immigration status, or detained alongside unrelated adults.

    EU Funding of Turkey’s Migration Management

    The implementation of the March 2016 EU-Turkey deal, which aimed to control the number of migrants reaching the EU by sending them back to Turkey, is based on the flawed premise that Turkey would be a safe third country to which to return Syrian asylum seekers. However, Turkey has never met the EU’s safe third country criteria as defined by EU law. The recent violent deportations show that any Syrian forcibly returned from the EU to Turkey would face a risk of onward refoulement to Syria.

    In June 2021, the Greek government adopted a Joint Ministerial Decision determining that Turkey was safe third country for asylum seekers from Syria, Afghanistan, Pakistan, Bangladesh, and Somalia.

    Turkey’s removal centers have been constructed and maintained with significant funding from the European Union. Prior to 2016, under the Instrument for Pre-Accession Assistance (IPA I and IPA II), the EU provided more than €89 million for the construction, renovation, or other support of removal centers in Turkey. Some €54 million of this funding in 2007 and 2008 was for the construction of seven removal centers in six provinces with a capacity for 3,750 people. In 2014, it provided another €6.7 million for renovation and refurbishment of 17 removal centers. In 2015, the EU provided about €29 million for the construction of six new removal centers with a capacity for 2,400 people.

    Following the first €3 billion committed to Turkey as part of the EU-Turkey deal of March 2016, the EU’s Facility for Refugees in Turkey (FRiT) provided €60 million to the then-Directorate General for Migration Management to “support Turkey in the management, reception and hosting of migrants, in particular irregular migrants detected in Turkey, as well as migrants returned from EU Member States territories to Turkey.” This funding was used for the construction and refurbishment of the Çankırı removal center and for staffing 22 other removal centers.

    The EU provided another €22.3 million to the DGMM for improving services and physical conditions in removal centers, including funding for “the safe and organized transfer of irregular migrants and refugees within Turkey,” and €3.5 million for “capacity-building assistance aimed at strengthening access to rights and services.”

    On December 21, 2021, the European Commission announced a €30 million financing decision to support the Turkish Interior Ministry’s Presidency of Migration Management’s “capacity building and improving the standards and conditions for migrants in Turkey’s hosting centers … to improve the management of reception and hosting centers in line with human rights standards and gender-sensitive approaches” and to ensure “safe and dignified transfer of irregular migrants.”

    https://www.hrw.org/news/2022/10/24/turkey-hundreds-refugees-deported-syria

    #asile #migrations #réfugiés #réfugiés_syriens #Turquie #renvois #expulsions #retour_au_pays #déportation #arrestations #rétention #détention_administrative

    –—

    ajouté à la métaliste Sur le #retour_au_pays / #expulsions de #réfugiés_syriens...
    https://seenthis.net/messages/904710

    • En Turquie entre 3,7 et 5 millions de réfugiés pour 82 à 84 millions d’habitants selon les sources. La Turquie accueille des réfugiés à hauteur de 4 à 6% de sa population.

      En UE 2,9 millions de réfugiés pour une population de 447 millions d’habitants, soit 0,6% de sa population.

      L’UE donne de l’argent à la Turquie mais cet argent doit servir à l’accueil des réfugiés, pas directement au bien être des Turcs...

      Si l’UE prenait sa part de l’accueil des réfugiés (au lieu de mettre tant d’argent dans les expulsions, et dans l’Agence Frontex coupable de crimes ignobles sur les migrants), la Turquie expulserait-elle actuellement une partie de ses réfugiés syriens vers la Syrie ?

      https://ec.europa.eu/info/strategy/priorities-2019-2024/promoting-our-european-way-life/statistics-migration-europe_fr

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/09/03/en-turquie-l-afflux-de-refugies-crispe-l-opinion_6093220_3232.html

    • Forcibly deportation | 390 refugees deported from Turkey to Syria through Bab Al-Salama crossing in a week

      SOHR sources have reported that Turkish authorities have forcibly deported 90 Syrian refugees, all carrying the temporary protection cards ”Kimlik,” to Azaz city in “Euphrates Shield” area, which is under the control of Turkish forces and their proxy factions in the northern countryside of Aleppo. The refugees, who were deported under the pretext that “they have not completed data needed for residence documents and do not have ID documents,” crossed into Syria via Bab Al-Salam crossing on the Syria-Turkey border.

      Accordingly, the number of Syrian refugees who have been forcibly deported from Turkey to Syria through Bab Al-Salama crossing in less than a week has reached 390.

      It is worth noting that Turkish authorities continue forcible deportation of Syrian refugees from Turkey to the so-called “safe zone” in northern Syria.

      https://www.syriahr.com/en/303083

    • Tägliche Angst vor Abschiebung

      In der Türkei berichten Flüchtlinge von immer größeren Anfeindungen bis hin zu willkürlichen Festnahmen durch die türkische Polizei und Abschiebungen. Das wiederum verstärkt auch die Zahl derer, die nach Europa wollen.

      Wenn Mara in Istanbul aus dem Haus geht, dann hat die Syrerin nicht nur Bauchschmerzen, sondern seit einiger Zeit richtige Angst. Vor mehr als fünf Jahren kam sie mit ihrer Familie in die Türkei. Sie ist offiziell als Flüchtling anerkannt.

      Doch seit einiger Zeit fühlt sie sich nicht mehr sicher. „Ich habe das Gefühl, dass sie jeden Tag irgendwelche neuen Regeln und Schikanen für uns Flüchtlinge aufstellen. Aber das Schlimmste ist: Sie machen uns ganz offen Angst, indem sie uns mit Abschiebungen nach Syrien drohen.“
      Leben in der Fremde

      Mara, Ende 20, heißt eigentlich anders, hat aber große Sorge, Probleme mit den türkischen Behörden zu bekommen, wenn sie hier ihren echten Namen nennt. Sie arbeitet als Übersetzerin, studiert hat sie Physik, doch ihr syrischer Abschluss wurde nicht anerkannt. Dennoch baute sie sich in der Türkei ein Leben in der Fremde auf, fühlte sich akzeptiert - anfangs.

      Denn mittlerweile schlage ihr offener Hass entgegen, sagt sie. „Vor zwei Tagen lief ich mit einer Freundin die Straße entlang. Wir unterhielten uns auf Arabisch. Plötzlich kam eine ältere Frau auf uns zu und rief: ’Ihr Hunde, geht endlich zurück in euer Land!’“

      Hetze gegen Geflüchtete

      Dass Rassismus gegen Syrer und andere Flüchtlinge aus der Region, wie dem Iran oder Afghanistan, in der Türkei in den vergangenen Jahren kontinuierlich zugenommen hat, beobachtet auch Piril Ercoban vom Verein „Mülteci Der“, einer türkischen Flüchtlingsinitiative.

      „Im vergangenen Wahlkampf wurden Flüchtlinge zu einem Instrument der Innenpolitik“, sagt sie. „In so vielen Bereichen ist man sich in der Türkei nicht einig, aber was die negative Sicht auf Flüchtlinge angeht, herrscht Einigkeit.“

      So hetzte auch der vermeintlich sozialdemokratische Oppositionsführer Kemal Kilicdaroglu immer wieder gegen Syrer, sprach von mehr als zehn Millionen Geflüchteten im Land - Zahlen fernab der Realität.

      Großangelegte Rückführungsmaßnahmen

      Das Bündnis um Staatspräsident Recep Tayyip Erdogan, ohnehin rechts-konservativ, stieg auf den Anti-Migrations-Zug auf und kündigte großangelegte Rückführungsmaßnahmen an. Dieses Wahlversprechen scheint nun in Gang gesetzt.

      Mara erzählt, in ihrem Stadtviertel stünden an manchen Tagen an jeder Ecke Polizisten auf der Suche nach Syrern, die illegal im Land sind, oder in einer anderen Stadt in der Türkei gemeldet. „Sie behandeln uns wie Kriminelle“, klagt Mara.

      Flucht weiter nach Europa

      Der türkische Innenminister verkündete Mitte dieser Woche neue Zahlen, die die türkische Bevölkerung beruhigen sollen, Syrer wie Mara dagegen in Angst und Schrecken versetzen. In den vergangenen vier Monaten seien mehr als 105.000 Menschen verschiedenster Nationalitäten ohne gültigen Aufenthalt des Landes verwiesen worden.

      Mara hat zwar einen gültigen Aufenthalt, kennt aber viele Geschichten von Personen, bei denen das keine Rolle gespielt habe und die dennoch festgenommen worden und in Abschiebehaft genommen worden seien.

      Eine Freundin habe diesem Druck und den Anfeindungen nicht mehr standgehalten und die Türkei vor einiger Zeit verlassen. „Sie hat alles zurückgelassen und hat sich in die EU aufgemacht“, erzählt Mara. Seitdem habe sie nichts mehr von ihr gehört. Sie wisse nicht einmal, ob die Freundin noch lebe.

      Milliardenhilfen für Aufnahme

      Ein Blick auf die offiziellen Zahlen der türkischen Regierung zeigt: Die Zahl der registrierten syrischen Flüchtlinge in der Türkei nimmt seit einiger Zeit immer weiter ab. Waren es im März 2020 noch rund 3,6 Millionen, ist der letzte Stand von September 2023 bei unter 3,3 Millionen - das ist der tiefste Stand seit sieben Jahren.

      Damals zeigte das im Frühjahr 2016 geschlossene EU-Türkei-Abkommen Wirkung: Die EU versprach Milliardenhilfen, im Gegenzug verpflichtete sich die Türkei, Fluchtrouten abzuriegeln und die Bürgerkriegsflüchtlinge zu versorgen. Beide Seiten halten sich schon seit mehr als drei Jahren nicht mehr an bestimmte Vereinbarungen.

      Hass und Diskriminierung

      Piril Ercoban vom Flüchtlingsverein erklärt, die türkische Regierung verwehre syrischen Flüchtlingen seit Sommer 2022 die Anerkennung. „Zum anderen treiben sie wirtschaftliche Faktoren, aber auch der Hass ihnen gegenüber und diskriminierende Richtlinien zur Rückkehr in ihr Heimatland oder zur Flucht nach Europa, trotz aller Gefahren.“

      Auch scheint das Recht auf Asyl und Gründe wie Verfolgung im Heimatland keine Rolle mehr zu spielen. „Es gibt Berichte, wo erheblich Druck auf Migranten ausgeübt worden sein soll, Formulare zur freiwilligen Rückkehr zu unterschreiben - in sehr aggressiver Form“, sagt Ercoban.

      „Wir durften niemanden anrufen“

      Davon berichtet auch Hamid aus dem Iran, der aus politischen Gründen nicht dorthin zurück kann. Nach einer Auseinandersetzung mit seinem türkischen Vermieter hätten Polizisten vor seiner Tür gestanden und ihn festgenommen. Er glaubt, er sei denunziert worden. Erst sei er auf eine Polizeiwache gekommen, dann in ein Abschiebezentrum, erzählt er.

      Zwei Tage habe er mit Hunderten anderen Männern im Freien verbracht, auf Beton. „Wir durften niemanden anrufen, weder Familie noch Anwälte. Wir waren da zwei Tage lange eingepfercht in diesem Käfig, es hat immer wieder geregnet und die Polizisten haben uns nur ausgelacht und geflucht.“

      Am dritten Tag sei er in eine überfüllte Zelle gebracht worden. Auf dem Weg dorthin seien ihm EU-Embleme an den Wänden aufgefallen. Im Nachhinein erfährt er: Das Zentrum wurde auch mithilfe von Geldern aus dem EU-Türkei-Abkommen finanziert. Irgendwann sagen ihm Beamte, wenn er ein Formular unterschreibe, komme er sofort raus.

      Das Formular: die Einwilligung zur Abschiebung. Hamid weigert sich. Über die kommenden Tage seien die Drohungen so groß geworden, dass er mit dem Gedanken gespielt habe, zu unterschreiben. Gerade noch rechtzeitig habe ihn seine türkische Freundin ausfindig gemacht und einen Anwalt eingeschaltet. Der habe ihn freibekommen und die Deportation verhindert - vorerst. Die türkische Regierung streitet Fälle wie den von Hamid ab.
      „Türsteher für Europa“

      In der EU, wo es in der Vergangenheit auch wiederholt Berichte über Misshandlungen von Migranten durch Behörden gab, nimmt man die Fälle in der Türkei wahr, mehr nicht. Längst liegen Ideen über ein aktualisiertes Abkommen mit der Türkei auf dem Tisch.

      „Wir sahen diese Vereinbarungen schon immer als unmoralisch an“, sagt Piril Ercoban. „Damals interessierte das niemanden.“ Doch die Zeiten haben sich geändert: Inzwischen lehnen große Teile der türkischen Bevölkerung das Abkommen ab, wenn auch nicht zwangsläufig aus moralischen Gründen.

      „Wir sind die Türsteher für Europa“, schrieb vor einigen Monaten eine junge Türkin in den sozialen Medien. „Und kommen selbst nicht mal rein.“ Ein Versprechen der EU war die Visafreiheit für türkische Staatsbürger, bis heute gibt es sie aus verschiedenen Gründen nicht.
      Tägliche Angst abgeschoben zu werden

      Hamid und Mara sind die politischen Umstände nicht wichtig. Sie leben derzeit von Tag zu Tag und spielen nun beide mit dem Gedanken, die Türkei zu verlassen. Ihre Heimatländer kommen nicht in Frage, es bleibt derzeit nur Europa, sagt Mara. Dass die Anfeindung auch dort stetig zunehmen, wissen beide.

      Auch die Zustände in den Lagern auf den griechischen Inseln kennen sie. Dennoch wägen sie nun ab: Jeden Tag ins Angst leben, abgeschoben zu werden, oder doch eine aus ihrer Sicht bisher ungenutzte Chance auf Freiheit wagen?

      https://www.tagesschau.de/ausland/europa/tuerkei-syrien-migration-100.html

  • « Des hommes violent, violentent et tuent, et pourtant ce sont les féministes que l’on pointe du doigt »
    Tribune

    Ursula Le Menn est Porte-parole de l’association Osez le féminisme !
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/10/04/ursula-le-menn-des-hommes-violent-violentent-et-tuent-et-pourtant-ce-sont-le

    C’est devenu une habitude, presque un passage obligé. Lorsque des violences masculines commises par des hommes musulmans ou issus de l’immigration font la « une » des médias, des éditorialistes et personnalités politiques convoquent immédiatement les féministes, les accusant tour à tour de silence ou d’inaction.

    Cette rhétorique n’est pas nouvelle, on se souvient de son utilisation lors des violences sexuelles de masse commises à Cologne (Allemagne) lors du Nouvel An 2016, mais elle semble néanmoins gagner en popularité ces derniers mois. On la retrouve dans un article d’Eugénie Bastié, qui titre « Viols en pleine rue à Paris : où sont les féministes ? », ou encore dans le slogan « Les femmes afghanes sacrifiées, la lâcheté des féministes », asséné par l’homme politique conservateur Nicolas Dupont-Aignan sur les réseaux sociaux.

    A mesure que le mouvement féministe et ses revendications se font de plus en plus visibles, la volonté de contre-attaquer à la moindre occasion grandit elle aussi ; c’est ce que la féministe américaine Susan Faludi a appelé le « Backlash » [« retour de bâton »].

    Les buts servis par cette rhétorique antiféministe sont multiples, d’une part diviser les féministes et policer notre parole, inverser la culpabilité de violences masculines sur des femmes et enfin instrumentaliser le mouvement féministe à des fins racistes et misogynes. Les organisateurs de ces « olympiades du féminisme » divisent les militantes en deux catégories : les bonnes et les mauvaises féministes, les bonnes étant bien évidemment celles qui sont d’accord avec eux sur le sujet du jour.

    Une stratégie patriarcale

    Non seulement ce serait à ces polémistes de déterminer les sujets sur lesquels nous sommes sommées de travailler mais il leur reviendrait également le privilège de déterminer quelles sont les bonnes ou les mauvaises réponses, méthode éculée pour contrôler la parole politique des femmes.

    #paywall #féminisme #backlash #masculinisme #antiféminisme #racisme

    • L’autre dessein de cette rengaine est tout simplement d’inverser la culpabilité d’actes qui sont le fait d’hommes, sur des femmes, par le truchement d’une stratégie patriarcale non moins éculée. Outil bien pratique pour ne surtout pas avoir à questionner la dimension patriarcale de ces violences et ce qu’elles disent de la domination masculine.

      Des hommes violent des femmes dans la rue ? Mais que font les féministes ! Les talibans terrorisent les Afghanes ? Mais où sont passées les féministes ? Une adolescente est victime de cyberharcèlement sexiste et lesbophobe, à qui la faute ? Aux féministes pardi !

      Ces procès en féminisme ont généralement lieu lorsqu’un sujet concerne à la fois les femmes et l’immigration ou la religion : Cologne, Mila, Afghanistan, à chaque fois les féministes sont accusées de ne pas réagir. Peu importent les communiqués, les messages de condamnation des violences, les multiples actions de soutien mises en place, ce qui compte ce n’est pas la réalité de ce que disent ou font les féministes et de leur travail largement invisibilisé effectué le plus souvent bénévolement avec des ressources très limitées. Non, le double objectif, semble-t-il, est de décrédibiliser les luttes féministes tout en les instrumentalisant pour servir un discours raciste.

      Un alibi pour les réactionnaires

      En effet, cette rhétorique mensongère selon laquelle les féministes auraient peur de critiquer les religions ou de dénoncer des violences commises par des hommes racisés sert d’alibi aux réactionnaires : selon eux, les féministes se battraient contre un patriarcat occidental imaginaire, et qui ne devrait donc pas être questionné, plutôt que contre le « vrai » patriarcat qui n’existerait qu’à l’étranger ou au sein des communautés d’origine étrangère. D’une pierre, deux coups.

      Nous n’avons pas attendu les antiféministes pour mettre en place des réseaux de solidarité internationale, ni pour dénoncer les fondamentalismes, ni encore pour lutter contre toutes les violences sexuelles masculines. Nous dénonçons et continuerons de dénoncer les Weinstein, les PPDA, les Ménès, les Cantat, tout comme les talibans.

      Celles et ceux à l’indignation à géométrie variable, en revanche, ne semblent s’intéresser aux droits des femmes que lorsque l’agresseur constitue un ennemi politique. Ce sont les mêmes qui se serrent les coudes lorsqu’un journaliste d’envergure ou un homme politique est accusé de violences sexuelles à grands coups de « présomption d’innocence » et de « tribunal médiatique ».

      Non seulement nous n’avons pas de leçons de féminisme à recevoir mais celles et ceux qui nous les adressent ont encore moins à en donner.

      #luttes_féministes #instrumentalisation #racisme

  • [décembre 2021] J’aime bien quand le Monde, même pour trouver « insuffisantes » les mesures du gouvernement, prenait tout de même au pied de la lettre ses prétentions à « maintenir l’école ouverte ». Puisque désormais on sait que l’école reste ouverte, pour « lutter contre les inégalités, pour la préservation de l’avenir des jeunes… », tant que ça coûte ne pas trop cher en chauffage.

    « Ecole ouverte » : face au Covid, les proclamations ne suffisent pas
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/31/ecole-ouverte-face-au-covid-les-proclamations-ne-suffisent-pas_6107793_3232.

    Depuis le confinement de mars 2020, qui a eu un effet délétère sur de nombreux élèves, Emmanuel Macron et le gouvernement se sont fixé comme ligne de maintenir l’école ouverte. Ce choix, fait au nom de la lutte contre les inégalités, de la préservation de l’avenir des jeunes mais aussi de la continuité de la vie économique, a été confirmé à chaque rebond épidémique. Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’éducation nationale, en parle désormais comme d’une « doctrine que l’on peut toujours critiquer, mais qui est là ». La rentrée scolaire aura donc lieu, comme prévu, le 3 janvier.

    • BnF : après plus d’un mois de grève, la #mobilisation ne faiblit pas

      Réorganisation du travail, missions supplémentaires, manque d’effectifs… En grève depuis le 4 mai, les salariés de la Bibliothèque nationale de France ne décolèrent pas et le bras de fer avec la direction est engagé. Décryptage.

      À trois mois de la réouverture de la somptueuse bibliothèque Richelieu, la Bibliothèque nationale de France (BnF) se heurte au mécontentement de ses employés, en grève depuis le 4 mai. Plus d’un mois plus tard, les grévistes répondent toujours présents. L’intersyndicale CGT-FSU-SUD appelle encore à la mobilisation ces mercredi 15 et jeudi 16 juin pour dénoncer une réorganisation du travail orchestrée par la direction de l’établissement et un sous-effectif. D’ores et déjà, le préavis de grève court jusqu’au 30 juin. Retour sur une mobilisation exceptionnelle en quatre questions.
      Pourquoi les salariés sont-ils en grève ?

      À cause du nouveau système de communication des documents aux usagers, goutte d’eau qui a fait déborder le vase déjà plein des agents de la bibliothèque François-Mitterrand. Concrètement, qu’est-ce que cela change ? Auparavant, les visiteurs de la bibliothèque pouvaient commander des documents toute la journée pour les consulter sur place. Depuis la crise sanitaire, cette communication directe des documents se fait seulement l’après-midi, de 13h30 à 17 heures. De plus, la réservation à l’avance doit se faire au minimum la veille, avant 20 heures. « Cela signifie qu’un lecteur ne peut pas demander le matin pour l’après-midi même. C’est absurde », estime Lucie, magasinière. Pour justifier ce nouveau fonctionnement, la direction s’appuie sur des chiffres : 44 % de communications en moins depuis dix ans. « Les usagers du matin ont considérablement baissé », avance-t-elle encore.

      Que cela change-t-il aux conditions de travail des employés ? Du fait de la concentration d’activité l’après-midi, les agents se disent surchargés, à l’image de Guillaume, catalogueur. « Les vagues de demandes arrivent toutes à 13 heures. Par conséquent, nous avons une charge de travail regroupée sur un moment de la journée, au détriment de l’accueil des usagers. » Des habitués de la bibliothèque qui soutiennent les grévistes, notamment à travers l’Association des lecteurs et usagers de la BnF (ALUBnF) et une pétition en ligne qui a récolté près de seize mille signatures. Si certains employés, comme Lucie, déplorent l’indifférence de la direction face au mécontentement manifeste des usagers, Kevin Riffault, directeur général de la BnF, dément : « Nous ne sous-estimons pas l’impact du nouveau dispositif sur les pratiques de recherche, mais il est limité. Et nous réfléchissons bien sûr à des améliorations. »
      Pour quelles raisons les grévistes réclament-ils des recrutements ?

      De nombreux chantiers occupent actuellement les agents de la BnF. Au premier chef desquels la préparation du nouveau centre de conservation nationale de la presse à Amiens et l’élargissement du dépôt légal aux œuvres numériques. Pour Gaël Mesnage, secrétaire général de la CGT-BnF, « c’est toujours la même logique de faire plus avec moins ». Car, selon les chiffres officiels, deux cent cinquante postes ont été supprimés entre 2009 et 2016. Depuis, les effectifs seraient « stables », assure la direction, qui ne cache pas son besoin de redéployer les employés chargés de la communication des documents aux lecteurs pour les poster sur ces nouvelles missions. « Les heures gagnées grâce au nouveau dispositif de communication permettront d’y répondre », soutient Kevin Riffault.

      « Si la direction n’avait pas décidé de supprimer 25 % des effectifs qui s’occupent de la communication aux lecteurs, on n’en serait pas à une telle réduction du service au public », affirme Gaël Mesnage. Au lieu de renouveler des contrats d’agents contractuels de catégorie C, l’établissement privilégierait des contrats à durée déterminée destinés aux étudiants. Une aberration pour Jean-François Besançon, délégué FSU à la BnF, qui redoute une précarisation de ces postes : « Comme réponse à notre désaccord, on nous dit que nous avons un devoir envers les étudiants qui ont souffert pendant la crise sanitaire, alors qu’il s’agit d’emplois précaires. »
      En quoi la réouverture du site Richelieu pose-t-elle problème ?

      Après plus de dix ans de travaux, la bibliothèque Richelieu, site historique de la BnF, rouvrira ses portes au public le 17 septembre prochain. Une réouverture qui n’enchante guère les employés en grève. Elle va même jusqu’à cristalliser leurs inquiétudes d’un affaiblissement des effectifs qui viendrait encore dégrader leurs conditions de travail. Gaël Mesnage, de CGT-BnF, dénonce la suppression de quarante postes à la bibliothèque François-Mitterrand pour les « transférer » vers Richelieu. La direction parle, quant à elle, d’environ cinquante emplois, venus de plusieurs sites de la BnF (il y en a sept en tout), dont le redéploiement « a déjà été opéré et intégré il y a un an, dès l’été 2021 ». « Cela doit se faire par redéploiement car le ministère de la Culture ne veut pas de recrutement », explique-t-elle encore.
      Où en sont les discussions avec la direction et le ministère de la Culture ?

      Au point mort, à en croire les grévistes. Voilà plus d’un mois que la grève est reconduite toutes les deux semaines, et les rapports sont plus que jamais tendus entre les salariés et leur hiérarchie, qualifiée de « macroniste et technophile » par certains. Le contrôle policier d’agents de la BnF lors de la mobilisation au site Richelieu du 2 juin est venu remettre de l’huile sur le feu. « La police nous a informés que nous allions être reçus par le ministère de la Culture. Puis, cette même police nous a empêchés de nous y rendre », raconte, indigné, Jean-François Besançon. Finalement reçue au ministère le 8 juin, l’intersyndicale ne dissimule pas son mécontentement : « Zéro avancée. Ils nous ont convoqués pour écouter. C’est incroyable d’avoir aussi peu de réponse », entend-on côté CGT.

      Du côté de la direction, on se dit encore ouvert aux négociations. « Des renforts sont prévus dans certains départements. Par ailleurs, le dispositif n’est pas figé et nous réfléchissons à de nouvelles évolutions de fonctionnement et de moyens », annonce le directeur général Kevin Riffault. La direction est actuellement en discussion avec ses « tutelles », les ministères de la Culture et du Budget, pour améliorer les moyens de l’institution. Une mention de Bercy qui ne devrait guère rassurer les grévistes dans leurs velléités de recrutement…

      https://www.telerama.fr/debats-reportages/bnf-apres-plus-d-un-mois-de-greve-la-mobilisation-ne-faiblit-pas-7010915.ph

    • « Madame la Présidente de la Bibliothèque nationale de France, votre #réforme est un #échec »

      Un collectif rassemblant plus de 350 acteurs du monde universitaire et culturel dénonce dans une tribune au « Monde » les mesures mises en place à la BNF, qui conduisent à une sévère réduction du temps pendant lequel la consultation des ouvrages est possible.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/06/20/madame-la-presidente-de-la-bibliotheque-nationale-de-france-votre-reforme-es

    • « Jour du dépassement universitaire » : « A partir de mercredi, tous les enseignements seront faits en dehors du service officiel des titulaires »

      Anne Roger, secrétaire générale du syndicat Snesup-FSU, dénonce un recours excessif aux vacataires et contractuels à l’université, faute de professeurs en nombre suffisant. Elle appelle à une grève jeudi.

      Ce mercredi marque, selon le syndicat Snesup-FSU, le « jour du dépassement universitaire », date symbolique à partir de laquelle les cours de l’année 2021-2022 cesseraient si l’on se contentait des heures statutaires des enseignants-chercheurs. Elle représente avant tout une manière, pour la secrétaire générale du syndicat, Anne Roger, de mettre en avant le sous-financement de l’université et le recours excessif aux heures supplémentaires, vacataires et contractuels.

      C’est quoi le « jour du dépassement pour l’année universitaire » ?

      C’est le jour à partir duquel les titulaires ont fait toutes les heures officielles qu’ils devaient faire pour l’année scolaire 2021-2022, dans l’hypothèse où les cours de ce premier semestre auraient tous été dispensés par eux. Concrètement, à partir d’aujourd’hui, tous les enseignements qu’il reste à couvrir seront faits en dehors de notre service officiel. Soit sur nos heures supplémentaires ou par le recrutement de contractuels ou de vacataires.

      Comment ce chiffre a-t-il évolué par rapport aux années précédentes ?

      Nous n’avons pas d’élément de comparaison car dans les bilans sociaux des années précédentes, il n’y avait pas les données suffisantes pour pouvoir établir un jour du dépassement. En revanche, il va être intéressant de voir dans les années à venir comment ça évolue, et surtout d’essayer de le comparer composante par composante, car toutes ne sont pas sur un pied d’égalité. En Staps [Sciences et techniques des activités physiques et sportives, ndlr] par exemple, qui est une filière particulièrement sous-dotée, dans de nombreuses universités ce jour du dépassement est beaucoup plus tôt. Au Staps de Bobigny, l’un des plus sous tension, ce jour est tombé le 1er décembre. Pour Marne-la-Vallée, c’était le 11 décembre, Rouen le 13…

      Ça montre que la question du sous-encadrement n’est pas un faux problème. Comment peut-on imaginer que les deux tiers des cours d’une année soient faits par des gens qui ne sont pas titulaires ? Comment peut-on continuer à faire de la recherche dans le même temps si on doit déjà multiplier les heures supplémentaires ? Ce n’est pas possible, c’est ingérable… Ça donne envie de dire « stop, on arrête ».

      Quelles conséquences cela entraîne-t-il, tant pour les professeurs que pour les étudiants ?

      Avant d’avoir des conséquences, cela met surtout en évidence le manque de financement de l’enseignement supérieur. Ça veut dire qu’on a, en gros, à l’échelle de la France entière, la moitié des moyens pour pouvoir tenir toute l’année avec des enseignants qui sont titulaires, en poste et stables. Nous sommes vraiment face à un sous-financement chronique de l’enseignement car on doit s’appuyer sur des personnels précaires pour pouvoir tenir l’année.

      Qu’est-ce que cela a comme incidence ? Eh bien cela crée une surcharge énorme sur les personnels. Sur les titulaires, parce qu’ils doivent accepter de faire des heures supplémentaires. Sur les contractuels, qui ont tous les ans leur contrat remis en cause. Et enfin sur les vacataires, à qui on donne des conditions de travail compliquées tout les sous-payant.

      Qui sont les personnes qui viennent compléter les professeurs pour donner des cours ?

      Cela peut être des doctorants en cours de thèse qui ont besoin de financer leurs études, des attachés temporaires d’enseignement et de recherche qui sont souvent des étudiants. On trouve aussi des enseignants qui viennent d’ailleurs : par exemple, en Staps, on a beaucoup de profs d’EPS qui viennent chez nous faire des vacations. Et il y a aussi de plus en plus de contractuels qui sont des doctorants sans poste de maître de conférences car aucun poste n’est créé, à qui ont fait signer des contrats leur demandant le double d’heures d’enseignement tout en continuant aussi à faire de la recherche, ce qui est impossible. Finalement, on a tout un tas de personnes que l’on met dans des situations précaires, que l’on paye au lance-pierre et qui viennent prêter main-forte aux enseignants qui font déjà des heures supplémentaires.

      Vous appelez donc à une grève jeudi. Quelles sont vos revendications ?

      Nous misons sur trois mots d’ordre. L’emploi tout d’abord, car le jour du dépassement n’est qu’une preuve de plus de notre besoin de postes, et nous voulons des postes titulaires, pas des vacataires ou contractuels car cela crée trop de tensions et de difficultés, avec des situations précaires. Ensuite, nous souhaitons une amélioration des conditions de travail, en lien avec ce qu’on a évoqué précédemment. On constate une énorme surcharge de travail, une dégradation des collectifs de travail : quand on fait trop d’heures on ne peut plus se parler et échanger sur les cours, ce qui entraîne une baisse de qualité des formations. Et le troisième point, c’est une hausse des salaires puisque, comme tous les fonctionnaires, nous avons un indice gelé depuis une grosse dizaine d’années, ce qui nous a fait perdre beaucoup en termes de pouvoir d’achat.

      https://www.liberation.fr/societe/education/jour-du-depassement-universitaire-a-partir-de-mercredi-tous-les-enseignements-seront-faits-en-dehors-du-service-officiel-des-titulaires-20220126_NBAXJWJOTBA35BGBODH2XRNO6Q/?redirected=1

    • Enseignants-chercheurs : « Moins il y a de moyens, plus le climat se dégrade, plus la sélection sociale est poussée »

      Un collectif de professeurs et chercheurs, titulaires ou vacataires, parmi lesquels Philippe Corcuff, Eva Debray, Caroline Déjoie, Ivan Sainsaulieu, tire, dans une tribune au « Monde », le signal d’alarme sur le niveau de précarité atteint actuellement dans l’université. Ils se demandent si l’amour de la recherche est devenu payant.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/31/enseignants-chercheurs-moins-il-y-a-de-moyens-plus-le-climat-se-degrade-plus

  • Les invisibles « élections professionnelles des travailleurs indépendants des plates-formes »

    Des dizaines de milliers de travailleurs indépendants d’un secteur qui pose nombre de questions sociales, environnementales, économiques sont concernés par ce scrutin, riche de transformations futures du métier de livreur, dont presque personne ne parle, analyse l’urbaniste Laetitia Dablanc, dans une tribune au « Monde ».

    « Les premières élections de représentativité des travailleurs indépendants utilisant des plates-formes de mise en relation se tiendront du 9 au 16 mai 2022 », selon le site de l’Autorité des relations sociales des plates-formes d’emploi (ARPE), consulté le 22 avril. Qui le sait ? Qui en parle ?

    Sur un sujet qui concerne des dizaines de milliers de livreurs d’un secteur qui pose nombre de questions sociales, environnementales, économiques et en ces temps éminemment politiques, il y a étonnamment peu de débats publics. Les réseaux sociaux, les médias font un bruit minimal sur ces élections. Elles sont pourtant d’un type particulier, les premières , à notre connaissance, pour lesquelles les votants peuvent choisir d’être représentés soit par une organisation syndicale, soit par une organisation patronale . Et elles sont riches de transformations futures du métier de livreur des plates-formes.

    Nous savons maintenant qui se présentera au vote – six organisations syndicales (CFTC, CGT, CNT-SO, SUD-Commerces, FO et UNSA), deux organisations professionnelles (Fédération nationale des microentrepreneurs et Fédération nationale des transports routiers/FNTR) ainsi que Union-Indépendants –, mais les informations sur le corps électoral sont rares.

    Selon les articles L. 7341-1 et L. 7342-8 du code du travail, sont concernés les travailleurs indépendants recourant à une ou plusieurs plates-formes de mise en relation par voie électronique pour l’exercice de leur activité professionnelle (livraison et courses VTC, au total plus de 100 000 personnes). Mais combien de votants ? Combien par villes ? Qui sont-ils ? Ni les médias, ni l’ARPE, ni les organisations représentatives ne nous le disent. Il y a un vide de discussion.

    Très peu de femmes

    La bonne nouvelle, c’est que les livreurs, eux, sont au courant, en tout cas une bonne partie d’entre eux. Selon une enquête réalisée par la chaire Logistics City/6t auprès de cinq cents livreurs dans le nord et l’est de Paris, du 9 au 18 mars, 57 % des livreurs exerçant à Paris se déclarent informés de la tenue des élections et 34 % d’entre eux sont sûrs de vouloir y participer (47 % sont sûrs de ne pas y participer et 19 % hésitent).

    Ces taux, y compris pour les intentions de vote, sont d’ailleurs remarquables tant on qualifie souvent la génération des livreurs du numérique de passive ou individualiste. Enquêter sur ces nouveaux travailleurs est riche d’enseignements. Les livreurs des plates-formes sont divers et ont des vues multiples sur leur métier même si des traits de leur situation de travail convergent.

    Au cœur de cette activité de la « livraison instantanée », née dans les années 2015 dans les grandes villes du monde, on trouve des jeunes hommes (très peu de femmes) payés à la tâche en free-lance, circulant avec un deux-roues.

    A Paris, 41 % des livreurs pour des plates-formes comme Deliveroo et Uber Eats se déclarent autoentrepreneurs (dont seulement une partie est composée d’étudiants ou d’actifs, beaucoup étant livreurs à plein temps). Les autres se déclarent salariés ou intérimaires, ou – catégorie récemment apparue dans les réponses à nos enquêtes –, coopérateurs (7 %). Entre 12 % et 20 % d’entre eux n’ont pas de statut leur permettant de travailler en France, ils exercent en louant le compte d’un autre (ce qui pose un problème pour l’identification du corps électoral, par ailleurs) ; 31 % des livreurs ne possèdent aucun diplôme, alors que 27 % sont diplômés bac + 2 ou plus.

    Discussions à venir

    Ils passent beaucoup de temps au travail (54 % sont sur le terrain au moins six jours sur sept, dont 59 % qui travaillent plus de huit heures par jour en moyenne ) et ont un nombre très inquiétant d’accidents de la route (26 % en ont eu un, dont 47 % ont nécessité un passage aux urgence s et 33 % une autre prise en charge médicale). Ils utilisent de plus en plus des scooters, voitures, Vélib’ et Véligo, même si tout ceci leur est théoriquement interdit.

    Leur vision du métier s’est dégradée depuis 2021, notamment les relations avec les plates-formes (40 % les jugeaient difficiles en 2021 pour 59 % en 2022). La pandémie de Covid-19 a augmenté le nombre de commandes mais encore davantage le nombre de livreurs, ce qui a réduit les revenus par livreur . Les livreurs sont rarement membres d’un collectif de défense des droits, mais le taux augmente (13 % en 2022, contre 7 % en 2021 ). En ce qui concerne les autoentrepreneurs, ils sont attachés à 70 % d’entre eux à leur autonomie et au choix des horaires.

    Les élections qui s’annoncent seront suivies de discussions entre les plates-formes et les représentants nouvellement élus pour élaborer des accords collectifs dans le secteur de la livraison par plate-forme. Seront discutées rémunération, garanties sociales ou encore conditions de rupture avec les plates-formes.

    Il faudra parler des questions critiques révélées par les enquêtes, notamment l’insécurité routière, la hausse des rémunérations horaires et la baisse du temps global de travail. Ainsi que l’insécurité juridique forte de ce métier : contrôle des partages de compte, admission au séjour par le travail pour les autoentrepreneurs, promotion de la licence de transport intérieure.

    La promotion de carrières qualifiées dans le transport et la #logistique est aussi un sujet pressant ( 70 % des #livreurs autoentrepreneurs ont indiqué être intéressés par une offre d’emploi dans ce secteur).

    Un autre Jadot est possible.
    « Les plates-formes doivent prendre leurs responsabilités face à la précarité et la mise en danger de leurs livreurs », 20 mai 2021
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/05/20/les-plates-formes-doivent-prendre-leurs-responsabilites-face-a-la-precarite-

    Après la mort de Chahi, un livreur Uber Eats à vélo, des élus de la métropole de Rouen rejoints par des élus écologistes parmi lesquels David Cormand, Yannick Jadot, Eric Piolle, Mounir Satouri appellent, dans une tribune au « Monde », à une régulation plus stricte de ce modèle d’exploitation, dans le respect du droit du travail français.

    Tribune Le jeudi 6 mai, à Sotteville-lès-Rouen (Seine-Maritime), un livreur à vélo a perdu la vie, alors qu’il essayait péniblement de la gagner. Il s’appelait Chahi et laisse derrière lui une femme et quatre enfants. Après une journée pluvieuse et froide, cet homme de 41 ans livrait un repas sous pression, dans la fatigue et le surmenage. Nous apportons notre plus grand soutien et nos pensées à sa famille, à ses proches, à ses collègues.

    Ce drame n’est malheureusement pas le premier, il doit être le dernier. Aujourd’hui en France, environ 4 % de la population active dépend directement des plates-formes en ligne de ce type. En Europe, ce sont 24 millions de personnes qui en vivent totalement ou partiellement. On estime qu’en 2024, ce modèle de livraison pourrait représenter 20 % des ventes des restaurants.

    La massification de cette activité doit s’accompagner d’une régulation du modèle d’exploitation inhumain de ces plates-formes et d’une protection des livreurs en vertu du droit du travail. En effet, le qualificatif d’« autoentrepreneur » est bien loin de la réalité de leur quotidien. Plusieurs décisions de justice ont déjà permis de faire la lumière sur les pratiques intolérables de ces plates-formes.

    Le lien de subordination

    Car le lien de subordination est avéré entre ces entreprises, leurs algorithmes et les livreurs. Rythme de travail infernal, systèmes de notation, de pénalités infligés par les plates-formes sur des critères de performance et de disponibilité. Voici la « liberté » qu’elles vantent tant. Les verdicts s’accumulent partout et sont sans appel.

    Pas de contrat de travail, aucun droit ni protection sociale, pas de cotisation retraite, chômage, pas de congés, pas d’indemnisation ni couverture des frais médicaux en cas d’accidents hormis de très rares motifs précisés dans les contrats d’assurance des plates-formes.

    Pas de salaire minimum non plus, ni de rémunération pendant les temps d’attente, elle est fixée à la tâche, au nombre de kilomètres parcourus, calculée en toute opacité par les applications. La cadence de travail des livreurs leur est imposée à la fois par les algorithmes des plates-formes, par les exigences d’immédiateté des clients, et par cette forme de rémunération qui leur impose de travailler le plus possible, sans pause ni congé.

    L’Espagne en pionnière

    Plus d’un siècle après la naissance du droit du travail, les pratiques des plates-formes qui les exploitent constituent un effrayant retour en arrière. Avec des conséquences toutes plus graves les unes que les autres. Là où ces droits constituent également une régulation de la concurrence sociale entre les travailleurs, le modèle prédateur de ces plates-formes impose à celles et ceux qui sont les plus précaires, celles et ceux qui n’ont pas le choix, de faire le travail que personne d’autre ne veut faire.

    Une sorte de chaîne alimentaire, avec à la toute fin les seuls qui ne peuvent pas refuser les quelques euros gagnés ainsi. La location de « comptes livreurs » à des personnes sans-papiers est par exemple très fréquente. En échange d’une commission chèrement payée au propriétaire officiel du compte, on peut ainsi effectuer des courses et espérer que le propriétaire sera honnête et nous donnera en liquide une part des revenus à la fin de la semaine.

    Grâce à la mobilisation collective des travailleurs, plusieurs pays font enfin évoluer les lois pour que les plates-formes se mettent en conformité avec le droit du travail. Pionnière en Europe, l’Espagne a proposé la « loi Riders », qui reconnaît aux livreurs le statut de salarié et exige de plus la transparence des plates-formes sur le fonctionnement de leurs algorithmes, qui devra désormais être communiqué aux organisations syndicales.

    Prendre des mesures de protection

    En France, plusieurs tentatives n’ont pas abouti. Il est urgent de protéger celles et ceux qui sont en première ligne face au Covid-19 et de garantir l’égalité des droits et de la protection sociale pour les travailleurs dans notre pays. Les plates-formes doivent prendre leurs responsabilités face à la précarité et la mise en danger de leurs livreurs.

    Des contrats de travail doivent être signés, afin de leur donner accès à leurs droits les plus fondamentaux. L’organisation de formations, la dotation en accessoires de sécurité nécessaires (casque, lumières, rétros, sonnette, manteau réfléchissant, etc.) doivent devenir des obligations légales.

    Un travail important doit également être mené au niveau des collectivités sur l’adaptation de l’espace public à tous les modes de déplacement, avec des aménagements sécurisés pour tous les cyclistes, mais aussi de la pédagogie pour une prise de conscience des automobilistes sur le partage de la voie publique.

    Faire évoluer la loi

    Il nous faut aussi nous interroger collectivement sur nos comportements et sur le modèle de société que nous voulons pour l’avenir de nos enfants. Derrière un simple clic sur l’une de ces plates-formes, c’est un système d’exploitation d’hommes et de femmes précaires, forcés à se soumettre à ce modèle faute d’avoir accès à un emploi juste et sécurisant.

    La loi doit évoluer, des choix politiques forts doivent être faits pour accompagner les transformations de la société tout en garantissant les droits et la protection de chaque citoyen. Nous pouvons soutenir les nouvelles formes d’organisation collectives et entrepreneuriales dans ce secteur, comme les coopératives locales qui émergent.
    Cette société libérale et destructrice que tentent de nous imposer certains pour leur profit ne peut ni ne doit être notre seul horizon. L’ubérisation du travail, la précarité grandissante, la santé et la vie sacrifiée de millions de travailleurs ne sont pas un hasard. Elles sont le fruit de nos choix, individuels et collectifs. A la lumière de la crise du Covid-19 et de la nécessaire humanité et solidarité dont nous devrons faire preuve pour nous relever, il est plus que temps de faire les bons choix.

    Collectif https://fr.scribd.com/document/508457199/Liste-Des-Signataires

    https://www.lemonde.fr/emploi/article/2022/04/27/les-invisibles-elections-professionnelles-des-travailleurs-independants-des-

  • Covid-19 et Omicron : face au coût exorbitant des tests, faut-il se tourner vers l’analyse des eaux usées ? - ladepeche.fr
    https://www.ladepeche.fr/2022/02/13/covid-19-et-omicron-face-au-cout-exorbitant-des-tests-faut-il-se-tourner-v

    En janvier, selon Vincent Maréchal, professeur de virologie à la Sorbonne intervenant pour nos confrères de franceinfo, « le coût des tests s’est élevé à plus de 1,6 milliard d’euros » pour l’État. Un chiffre exorbitant au regard de la circulation très importante du virus, boosté par l’arrivée du variant Omicron. C’est pourquoi ce scientifique a la volonté de mettre en avant une autre méthode de suivi de l’épidémie, à travers son projet Obépine (Observatoire épidémiologique dans les eaux usées), dont il est le cofondateur.

    • Les tests servent à informer chacun s’il est ou non positif, et ainsi d’éviter d’aller contaminer les autres. Ce n’est pas du tout du même registre que le suivi de l’épidémie via les eaux usées.

      L’abandon des tests, c’est à partir du moment où l’on considère qu’il n’y a plus aucun intérêt à limiter la propagation du virus en isolant les personnes positives.

    • Ce qui reviendrait à dire qu’il n’y a plus aucune politique de santé publique dans ce pays. Remarquez, quand on voit dans quel état de délabrement s’est retrouvé l’hôpital public, et ce bien avant la crise du Covid, on est en droit de se dire que depuis une bonne vingtaine d’années, toutes ces crapules gestionnaires illébérales nous ont mis dans une béchamelle verdâtre.

      [edit] Mais là où l’on pourrait se marrer si la situation n’était pas aussi grave, c’est que les gestionnaires du « vivre avec », et bien, ils l’ont dans le vase :

      Thread by C_A_Gustave on Thread Reader App – Thread Reader App
      https://threadreaderapp.com/thread/1492868314762252298.html

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      Avec le recul, la politique sanitaire ZeroCovid restera la meilleure option.
      Sur le plan économique, le monde occidental du "vivre avec" aura eu les mêmes fermetures généralisées ou ciblées, et les dépenses+++ pour compenser la ↘️↘️ de la demande...
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      Sur le plan sociologique, le monde occidental du vivre avec se retrouve avec les mêmes protestations populaires que les récentes protestations observées en Extrême-Orient :
      Exemple en nouvelle Zélande :
      A) bbc.com/news/world-asi…
      B)
      New Zealand anti-vax protesters inspired by Canada truckers camp outside parliament
      PM Ardern dismisses anti-vax demonstrators camped outside parliament as minority.
      https://www.bbc.com/news/world-asia-60314091
      New Zealand plays Barry Manilow to repel parliament protesters
      Protesters opposed to Covid-19 vaccine mandates remain camped outside parliament.
      https://www.bbc.com/news/world-asia-60362529
      3/9
      Exemple en Australie :
      A) bbc.com/news/world-aus…
      B)
      Violent anti-vaccine protests continue in Melbourne
      Demonstrators have been marching against lockdowns and mandatory vaccines in Australia’s second largest city.
      https://www.bbc.com/news/av/world-australia-58647483
      Australia : Protesters set Old Parliament House in Canberra on fire
      The blaze was quickly put out but marks an escalation in indigenous protests in Canberra.
      https://www.bbc.com/news/world-australia-59824914
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      Exemple en Corée du Sud :
      South Korean business owners shave heads to protest restrictions
      Hundreds of South Korean business owners shaved their heads to protest the South Korean government’s virus restrictions
      https://www.euronews.com/2022/01/25/south-korean-business-owners-shave-heads-to-protest-restrictions
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      Sauf que ces pays auront beaucoup mieux préserver leur économie, leur activité :
      A) lemonde.fr/idees/article/…
      B) institutmolinari.org/wp-content/upl…
      « La stratégie zéro Covid a montré sa supériorité sur les plans sanitaire et économique »
      TRIBUNE. Les pays ayant appliqué le « tester, tracer, isoler » ont enrayé la circulation du Covid-19, et ceux qui, comme la France, ont choisi le « stop and go », n’y arrivent pas, notent les économis…
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/02/24/philippe-aghion-et-patrick-artus-la-strategie-zero-covid-a-montre-sa-superio
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      Également mieux protégé la santé mentale de leur population
      thelancet.com/journals/lance… ImageImage
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      Y compris vis-à-vis des enfants, dont la santé mentale ne se dégrade pas à cause des confinement, mais, contrairement au story telling de la SFP et des pro-GBD, durant les vagues épidémiques !
      Unroll available on Thread Reader
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      Et surtout le ZeroCovid aura bien mieux protégé les populations et leur santé en attendant l’arrivée des vaccins permettant une réouverture sous protection immunitaire !
      A noter, leur mortalité n’↗️ que depuis l’abandon du ZeroCovid à cause des variants venant de chez nous ! Image
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      L’Histoire ne le retiendra pas car elle sera construite sur l’auto-congratulation des occidentaux s’évaluant sur des critères subjectifs internes.
      Mais les faits et la comparaison exogène à l’échelle mondiale seront têtus ! 😉

      • • •

  • Faisons front pour construire l’autodéfense sanitaire et exiger des mesures solidaires, collectif Zero Covid Solidaire
    https://zero-covid.wixsite.com/accueil/post/faisons-front-pour-construire-l-autod%C3%A9fense-sanitaire-et-ex

    Il y a un an, nous faisions partie des initiateurs/trices de cette tribune « Pour une stratégie zéro covid solidaire » publiée sur Bastamag et Médiapart. Elle s’inspirait d’une campagne de nos ami.e.s allemand.e.s du collectif Zéro Covid [voir ici et ici] qui eux-mêmes avaient rebondi sur un appel paneuropéen de scientifiques paru dans The Lancet le 18 décembre 2020.

    Entre temps la situation a changé. Il y a eu les vaccins, les multiples variants, les manifestations dites « anti-pass » et la continuité de la politique du gouvernement qui nous enfonce dans le « vivre avec le virus » et les conséquences néfastes qui vont avec...

    Ces derniers temps nous avons eu l’agréable surprise de lire des textes qui rejoignent grandement ce que nous disons peu ou prou depuis quasiment deux ans.
    • un appel à ce que le camp des luttes sorte du déni
    • un texte contre le laisser-faire sanitaire, pour montrer que nous devons “ nous organiser ensemble et nous protéger tou·tes.”
    • une critique de certains discours et pratiques de déni que nous avons pu aussi observer dans des milieux militants
    • nous nous sentons également très proche politiquement de l’analyse de nos ami.e.s grecs ou zapatistes.

    #covid_19 #réduction_des_risques

    • Plein de bonnes intentions qui arrivent un peu #trop_tard semble-t’il.

      Le 1er mars 2021, Mireille Delmas-Marty alertait : "Après les discours musclés annonçant l’éradication du terrorisme, voici les discours savants sur le « #Zéro_Covid ». Et toujours la même obsession sécuritaire, le même rêve d’un monde sans risque, sans crime et sans maladie. On s’en réjouirait si l’on ne savait avec quelle facilité le rêve d’un monde parfait peut tourner au cauchemar des sociétés de la peur."

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/01/mireille-delmas-marty-le-reve-de-perfection-transforme-nos-etats-de-droit-en

    • tiens, j’ai trouvé l’article de Delmas-Marty https://justpaste.it/9por9

      elle ne dit rien sur la pandémie, si ce n’est qu’elle permet - à qui est-ce que ça aurait échappé ?- de multiplier les dispositifs sécuritaires, et conclue "on suggérera qu’une riposte plus démocratique et plus transparente à la pandémie serait possible s’il revenait au Parlement et à la société civile d’expliciter, outre les critères de gravité médicale, les critères d’acceptabilité sociale des différents risques." sans s’interroger sur le « risque » du masque ? le « risque » des vaccins ?
      elle se gausse du "rêve d’un monde sans risque" mais, la pandémie en tant que telle étant opportunément mise de côté, ne dit rien dit des pratiques de réduction des risques

      elle ne pouvait pas évoquer en mars 2021 un « passe sanitaire » instauré en mai 2021 dont l’une des dispositions, radicalement anti-sanitaire, prévoyait que leur détenteurs auraient le droit de fréquenter des lieux publics clos sans masque.

      on trouve toujours des cadavres à enrôler

    • Préjugés bien français

      En ces temps de coronavirus, le port du masque, assimilé à un choix personnel permettant de lutter contre la maladie, traduit aussi une forme de défiance envers les responsables politiques, les médias ou les experts sanitaires. « En Corée du Sud, la défiance est la plus élevée parmi les pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques. En portant le masque, les gens ont le sentiment de vraiment prendre leur protection en main », analyse le Pr Hyun.

      Covid-19 : porter le masque, une pratique ancrée en Asie de l’Est. Et chez nous demain ?https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/02/14/covid-deux-ans-porter-le-masque-une-pratique-ancree-en-asie-de-l-est-et-chez

  • « Le mot “woke” a été transformé en instrument d’occultation des discriminations raciales », Alain Policar, sociologue au Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Dernier livre paru : L’universalisme en procès (Le Bord de l’eau, 160p.).

    Pour le sociologue Alain Policar, le « wokisme » désigne désormais péjorativement ceux qui sont engagés dans des courants politiques qui se réclament pourtant de l’approfondissement des principes démocratiques.

    Tribune. Faut-il rompre avec le principe de « colorblindness » (d’« indifférence à la couleur ») au fondement de l’égalitarisme libéral ? Ce principe, rappelons-le, accompagne la philosophie individualiste et contractualiste à laquelle adhèrent les démocraties. Or, en prenant en considération des pratiques par lesquelles des catégories, fondées sur des étiquettes « raciales », subsistent dans les sociétés postcolonialistes, on affirme l’existence d’un ordre politico-juridique au sein duquel la « race » reste un principe de vision et de division du monde social.

    Comme l’écrit Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, « la République a un problème avec le corps des individus, elle ne sait que faire de ces différences physiques, de ces couleurs multiples, de ces orientations diverses, parce qu’elle a affirmé que pour traiter chacun et chacune également, elle devait être aveugle » (Le Monde du 7 avril).

    Une opération idéologique d’appropriation

    Dès lors, ignorer cette réalité, rester indifférent à la couleur, n’est-ce pas consentir à la perpétuation des injustices ? C’est ce consentement qui s’exprime dans l’opération idéologique d’appropriation d’un mot, « woke », pour le transformer en instrument d’occultation de la réalité des discriminations fondées sur la couleur de peau. Désormais le wokisme désigne péjorativement ceux qui sont engagés dans les luttes antiracistes, féministes, LGBT ou même écologistes. Il ne se caractérise pas par son contenu, mais par sa fonction, à savoir, selon un article récent de l’agrégé de philosophie Valentin Denis sur le site AOC, « stigmatiser des courants politiques souvent incommensurables tout en évitant de se demander ce qu’ils ont à dire ». Ces courants politiques, pourtant, ne réclament-ils pas en définitive l’approfondissement des principes démocratiques ?

    Parmi les moyens de cet approfondissement, l’« affirmative action » (« action compensatoire »), en tant qu’expression d’une justice corrective fondée sur la reconnaissance des torts subis par le passé et, bien souvent, qui restent encore vifs dans le présent, est suspectée de substituer le multiculturalisme normatif au modèle républicain d’intégration. Ces mesures correctives seraient, lit-on souvent, une remise en cause radicale du mérite individuel. Mais cet argument est extrêmement faible : est-il cohérent d’invoquer la justice sociale (dont les antiwoke disent se préoccuper) et, en même temps, de valoriser le mérite ? L’appréciation de celui-ci n’est-elle pas liée à l’utilité sociale accordée à un ensemble de performances dont la réalisation dépend d’atouts (en particulier, un milieu familial favorable) distribués de façon moralement arbitraire ? La justice sociale exige, en réalité, que ce qui dépend des circonstances, et non des choix, soit compensé.

    Du racisme sans racistes

    Percevoir et dénoncer les mécanismes qui maintiennent les hiérarchies héritées de l’ordre colonial constitue l’étape nécessaire à la reconnaissance du lien entre cet ordre et la persistance d’un racisme quotidien. Il est important (même si le concept de « racisme systémique », appliqué à nos sociétés contemporaines, est décrit comme une « fable » par certains auteurs, égarés par les passions idéologiques qu’ils dénoncent chez leurs adversaires), d’admettre l’idée que, même si les agents sont dépourvus de préjugés racistes, la discrimination fonctionne. En quelque sorte, on peut avoir du racisme sans racistes, comme l’a montré Eduardo Bonilla-Silva dans son livre de 2003, Racism without Racists [Rowman & Littlefield Publishers, non traduit]. Cet auteur avait, en 1997, publié un article canonique sur le racisme institutionnel dans lequel il rejetait, en se réclamant du psychiatre et essayiste Frantz Fanon [1925-1961], les approches du racisme « comme une bizarrerie mentale, comme une faille psychologique ».

    En fait, les institutions peuvent être racialement oppressives, même sans qu’aucun individu ou aucun groupe ne puisse être tenu pour responsable du tort subi. Cette importante idée avait déjà été exprimée par William E. B. Du Bois dans Pénombre de l’aube. Essai d’autobiographie d’un concept de race (1940, traduit chez Vendémiaire, 2020), ouvrage dans lequel il décrivait le racisme comme un ordre structurel, intériorisé par les individus, et ne dépendant pas seulement de la mauvaise volonté de quelques-uns. On a pu reprocher à ces analyses d’essentialiser les Blancs, de leur attribuer une sorte de racisme ontologique, alors qu’elles mettent à jour les préjugés produits par l’ignorance ou le déni historique.

    On comprend, par conséquent, qu’il est essentiel de ne pas confondre d’une part, l’expression des émotions, de la colère, du ressentiment, et, d’autre part, les discriminations, par exemple à l’embauche ou au logement, lesquelles sont le reflet de pratiques structurelles concrètes. Le racisme est avant tout un rapport social, un système de domination qui s’exerce sur des groupes racisés par le groupe racisant. Il doit être appréhendé du point de vue de ses effets sur l’ensemble de la société, et non seulement à travers ses expressions les plus violentes.

    Alexis de Tocqueville avait parfaitement décrit cette réalité [dans De la démocratie en Amérique, 1835 et 1840] en évoquant la nécessaire destruction, une fois l’esclavage aboli, de trois préjugés, qu’il disait être « bien plus insaisissables et plus tenaces que lui : le préjugé du maître, le préjugé de race, et enfin le préjugé du blanc ». Et il ajoutait : « J’aperçois l’esclavage qui recule ; le préjugé qu’il a fait naître est immobile. » Ce préjugé de race était, écrivait-il encore, « plus fort dans les États qui ont aboli l’esclavage que dans ceux où il existe encore, et nulle part il ne se montre aussi intolérant que dans les Etats où la servitude a toujours été inconnue ». Tocqueville serait-il un militant woke ?

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/28/alain-policar-le-mot-woke-a-ete-transforme-en-instrument-d-occultation-des-d

    #racisme #antiracisme #colorblindness #woke #wokisme #racisme_sans_racistes

  • « Le passeur est le symptôme de la fermeture des frontières, en aucun cas la cause des mouvements migratoires »

    Au cliché du passeur véreux profitant de la misère des gens, #Marie_Cosnay et #Raphaël_Krafft, auteurs sur les questions de la frontière et des migrations, opposent, dans une tribune au « Monde », l’éloge de figures héroïques capables de nécessaires transgressions et de professionnels indispensables exerçant un métier dangereux.

    Comment quitter Alep assiégée, traverser la Manche, franchir les murs toujours plus hauts de la forteresse Europe, sinon à l’aide d’un passeur ? C’est souvent l’échec, voire la mort pour qui voudrait s’en affranchir. Yaya Karamoko, le 22 mai 2021, Abdoulaye Koulibaly le 8 août ou encore Sohaïbo Billa se seraient-ils noyés dans la Bidassoa s’ils avaient pu dépenser les cinquante euros demandés par les passeurs pour franchir la frontière franco-espagnole ?

    Depuis la fermeture des frontières dans les années 1980 et la réduction drastique des attributions de visa, celles et ceux qui fuient leur pays n’ont d’autres possibilités que de louer les services de personnes pour entreprendre ces voyages longs et périlleux.

    Le passeur est le symptôme de la fermeture des frontières, en aucun cas la cause des mouvements migratoires. Malgré cette équation largement documentée, les dirigeants politiques européens continuent d’imputer les morts aux frontières aux passeurs, avec l’assentiment de tous.

    La figure du passeur véreux profitant de la misère des gens est communément admise jusque parmi les plus fervents tenants de l’accueil. Ne trouve grâce aux yeux de ces derniers que celui qui ferait ça gratuitement. C’est oublier que le métier est dangereux dans un environnement hostile, que les peines encourues peuvent être lourdes. Le passeur philanthrope ne suffirait à répondre à la demande de passage toujours plus grande à mesure que se multiplient les obstacles et se durcissent les contrôles.

    Le passeur connaît les lieux. Il est des deux mondes, il est entre les deux mondes. Etre des deux mondes signifie qu’on est capable de transgression. Au Pays basque, le contrebandier était aimé de sa communauté, il assurait le lien entre les vallées du pays divisé. Pourvoyeur de denrées et de nouvelles, il était une figure positive, quasi héroïque, capable de désobéissance aux règles commerciales du moment. « Poète en son genre » ; disait Dostoïevski. Capable aussi, au moment où il s’agit de faire des choix, d’en faire de courageux. C’est ce qu’ont fait des passeurs célèbres localement durant la seconde guerre mondiale, dont on honore aujourd’hui la mémoire, Charlot Blanchi d’Angeltou à Saint-Martin-Vésubie, Paul Barberan à l’Hospitalet-près-l’Andorre, Florentino Goikoetxea au Pays basque.
    Les contrebandiers

    Les services secrets britanniques, américains et de la France libre ne s’y sont pas trompés : c’est vers les contrebandiers qu’ils se sont tournés pour organiser les passages à travers les Pyrénées, de leurs agents. Alejandro Elizalde, par le rocher des Perdrix, conduit de France en Espagne les tout premiers aviateurs du réseau Comète, la nuit du 24 au 25 juillet 1941. Elizalde connaît la montagne, il prend des risques, il est payé pour ça. Ce sont des risques qu’il prend, d’ailleurs, jusqu’au bout : arrêté fin 1941, il mourra à son retour des camps, en 1945.

    Le passage est une activité concurrentielle, qui implique une obligation de résultat et l’entretien d’une réputation. Le prix varie selon la dangerosité de la route et la qualité de la prestation. Au plus fort de ladite récente « crise migratoire », l’université de Harvard s’est intéressée à la qualité de la prestation des passeurs sur la route des Balkans. Interrogée à ce sujet, la clientèle, majoritairement syrienne, s’était révélée satisfaite à plus de 75 %. « Guides, sauveurs, alliés » sont les termes le plus souvent utilisés par les migrants pour qualifier leurs passeurs.

    Le passeur basque expert des années 1940 doit satisfaire à la demande sans chercher d’autres moyens de subsistance. Si on lit, dans les hommages posthumes, que l’argent n’était pas sa motivation, personne ne dit que Florentino Goikoetxea, qui reçut la Légion d’honneur en 1962, vivait d’amour, d’idées et d’eau fraîche. C’est pour gagner de l’argent qu’il avait l’habitude de se tenir aux marges, avant la guerre. Ce que les commentaires signifient, c’est qu’il a su, dans ces marges, évoluer d’une manière raisonnable. Il y a une « raison de la marge », une morale de la transgression.
    Politiques de criminalisation

    Ce sont les politiques de criminalisation du passage imposées par l’Union européenne (UE) qui ont transformé une économie artisanale en une entreprise criminelle. Dans l’archipel tunisien des Kerkennah, les pêcheurs, connaisseurs de la mer et familiers du détroit de Sicile, ont laissé la place aux escrocs après que l’Etat tunisien, encouragé et financé par l’Union européenne, eut multiplié les mesures coercitives. Au Niger, les parlementaires ont été incités par l’UE à voter une loi criminalisant les transporteurs transsahariens, obligeant l’emprunt de pistes toujours plus dangereuses à un prix toujours plus élevé. Au large de la Libye, c’est lorsque l’opération de sauvetage Mare Nostrum se mue en dispositif de lutte contre les passeurs que les bateaux en dur sont retirés au profit des embarcations pneumatiques surchargées.

    Quand les frontières maritimes, extérieures, entre un monde et un autre, sont à ce point creusées qu’elles font de quelques centaines de milles dans l’océan Atlantique ou la mer Méditerranée de véritables charniers, il s’agit pour les passeurs de transgresser les interdits d’une façon radicale. La morale n’a alors plus rien à faire dans l’histoire. Plus les mondes sont divisés et interdits l’un à l’autre, plus il est compliqué d’être de l’entre-deux.

    Qui sont ces 1 500 passeurs que le ministre français de l’intérieur se targue d’avoir fait arrêter en 2020 dans le Calaisis ? Des migrants eux-mêmes, roturiers de leur propre traversée à l’image des héros d’Un sac de billes, Maurice et Joseph Joffo, qui organisent quelques passages à travers la ligne de démarcation pour financer la poursuite de leur voyage en zone libre. Aujourd’hui, ils ferment les portes des camions sur les parkings de l’autoroute, font le guet sur la plage ou appâtent les clients.

    Désigner le passeur comme mauvais objet absolu, comme cause de la mort de masse aux frontières européennes, extérieures et intérieures, sert aux gouvernements à se dédouaner de sa politique criminelle. La critique unanime témoigne d’un impensé commun : le passeur franchit l’infranchissable. On fait ainsi de la ligne frontière un enjeu considérable, un tabou. La sacraliser pèse sur tout le monde.

    Serait-ce que le passeur, celui qui veille, tant bien que mal, sur les espaces d’entre-deux, respecterait plus le rêve de circulation, à l’intérieur de l’Union européenne, que l’Union européenne elle-même ?

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/27/le-passeur-est-le-symptome-de-la-fermeture-des-frontieres-en-aucun-cas-la-ca
    #passeurs #migrations #smuggler #asile #réfugiés #passeur #frontières #morts_aux_frontières #mourir_aux_frontières #décès #morts #fermeture_des_frontières #responsabilité

    ping @isskein @karine4

  • « La fiscalité successorale est un système aveugle, injuste et inefficace »

    Les propositions des candidats à l’élection présidentielle sur les droits de succession ne visent qu’à perpétuer un système bancal au lieu de chercher à le réparer en garantissant l’égalité des chances, estime dans sa chronique Stéphane Lauer, éditorialiste au « Monde ».

    [...] Dans les faits, l’immense majorité des Français héritent de sommes si faibles qu’elles échappent à toute taxation. Ainsi, moins d’une succession sur cinq dépasse les 100 000 euros, tandis qu’une sur deux est inférieure à 30 000 euros, selon l’Insee. A l’autre bout du spectre, 800 individus héritent en moyenne de 13 millions d’euros.

    Une passionnante note du Conseil d’analyse économique (CAE) intitulée « Repenser l’héritage » prend le contre-pied de bien des idées reçues. Plusieurs enseignements s’en dégagent. Le premier est que la France est redevenue une société d’héritiers dans laquelle le patrimoine global provient à 60 % des successions (soit un doublement en cinquante ans). Les transmissions alimentent ainsi une accumulation de capital privé, qui a retrouvé des niveaux équivalents à ceux de 1914, annihilant les effets redistributifs qu’avaient eus les deux guerres mondiales et la crise de 1929.

    Second enseignement, notre système fiscal n’est pas aussi progressif qu’il le proclame. Sur le papier, le fisc a effectivement la main lourde. Mais les stratégies d’exonération sont nombreuses et ciblées sur des types d’actifs qui sont massivement détenus par les ménages les plus riches (assurance-vie, patrimoine professionnel, démembrement de propriété), de sorte qu’à l’arrivée, les taux appliqués restent faibles.

    « Notre système fiscal est un tigre de papier », résume l’économiste Camille Landais, coauteur de la note avec Clément Dherbécourt, Gabrielle Fack et Stefanie Stantcheva. Ainsi, le taux effectif payé par les 0,1 % des Français les plus riches sur l’intégralité du patrimoine qu’ils lèguent n’est que de 10 %, bien en dessous des 45 % théoriques pour les successions supérieures à 1,8 million d’euros.
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/26/la-fiscalite-successorale-est-un-systeme-aveugle-injuste-et-inefficace_61073

    Des économistes plaident pour une réforme de la fiscalité des successions, car la France devient une « société d’héritiers »
    https://justpaste.it/5bjzk

    Les auteurs proposent quelques pistes de réformes. Ils suggèrent notamment que la fiscalité des successions prenne en compte l’ensemble des flux transmis au cours de la vie – les héritiers les plus riches reçoivent plusieurs transmissions au cours de leur vie, ce qui permet d’utiliser plusieurs fois les abattements – et que soient réduites les exemptions dont la justification économique est discutable. Ils recommandent ainsi d’inclure l’assurance-vie dans l’assiette des successions, et de supprimer le dispositif Dutreil, qui allège la fiscalité des transmissions d’entreprise familiale, les bénéfices de ces exemptions pour l’économie étant quasi nuls concernant l’investissement. Reste une question-clé pour l’acceptabilité d’une telle réforme : celle de l’utilisation des recettes ainsi dégagées, par des Etats dont l’endettement s’est considérablement alourdi depuis deux ans.

    #héritage #patrimoine #fiscalité #exemptions_fiscales #héritiers #rentiers

  • « Le #plan_France_2030 se heurtera inévitablement au mur des pénuries de compétences »

    Le plan annoncé par le président de la République est voué à l’échec s’il omet le problème d’un système éducatif ne parvenant plus à former pour la science et l’industrie, souligne, dans une tribune au « Monde », #Maroun_Eddé, normalien et auteur d’un rapport sur l’éducation.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/22/le-plan-france-2030-se-heurtera-inevitablement-au-mur-des-penuries-de-compet

    #France_2030 #pénurie #compétences #éducation #système_éducatif #formation #réindustrialisation #France #industrie #recherche

  • La puissance politique du sucre, entre délices et dominations
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/24/la-puissance-politique-du-sucre-entre-delices-et-dominations_6107186_3232.ht

    C’est l’un des effets collatéraux de l’épidémie de Covid-19. Entre le début du confinement et la fin du mois de mai 2020, les ventes de sucre ont bondi de 30 % en France, avec une prime au sucre en poudre (+ 56 %) et plus encore au sucre à confiture (+ 80 %). La peur de la pénurie a sans nul doute joué un rôle dans cette ruée. Mais une enquête menée par le Centre des sciences du goût et de l’alimentation, à Dijon, montre aussi que la période a favorisé, notamment chez l’enfant, ce que les auteurs de l’étude appellent le « manger émotionnel ». Dans le huis clos de nos vies confinées, nous avons été nombreux à noyer nos angoisses de fin du monde dans la douceur réconfortante de desserts faits maison.

    Valeur refuge au cœur des crises, ingrédient incontournable des fêtes ou plaisir solitaire et parfois coupable, le sucre raconte, à sa façon, la part intime de l’histoire des hommes et des femmes, de leurs joies et de leurs détresses, de leurs peurs et de leurs espoirs. Il est aussi, aux côtés des céréales, l’un des produits qui, à travers les siècles, décrit le mieux l’histoire des peuples, la violence des empires et la naissance d’une mondialisation dont il est un acteur central.

    Derrière #paywall #sucre #histoire #alimentation

  • « Une société peut-elle être fatiguée ? », tribune d’Alain Ehrenberg

    L’idée que la société est déprimée, ou fatiguée, pour reprendre le titre du livre de la Fondation Jean Jaurès, met le doigt sur des sujets sensibles, mais elle est trompeuse. En quoi ? Et pourquoi est-ce important de le comprendre ?

    Nombre d’informations récentes vont à l’encontre de mes questions. L’Organisation mondiale de la santé a publié en novembre 2020 une note sur la « pandemic fatigue », « la fatigue nerveuse ou épuisement psychique, qui mène à l’immobilisme ». « Dépression, troubles du sommeil, anxiété… les inquiétants effets psychiques de la pandémie et du confinement », titre un article du Monde le 26 novembre 2020. La pandémie de Covid-19 a mis au premier plan les problèmes de santé mentale. Toutes ces souffrances psychiques sont traversées par la fatigue, le ralentissement de la pensée et de l’action, voire par l’immobilisme.

    L’idée est trompeuse parce qu’elle traite la société comme un gros individu, confondant ainsi « individu » et « individualisme ». Toute société fait place à l’individuel, mais seules les nôtres sont individualistes. Cela signifie que l’individualisme est un esprit social, un esprit commun. Et c’est cet esprit commun qui s’est modifié et qui a favorisé la transformation de questions relevant du domaine spécialisé de la psychiatrie et de la psychologie clinique en souci central de nos sociétés, affectant toute la vie sociale et personnelle, dans l’entreprise, à l’école…

    En quoi ce souci est-il révélateur de l’esprit social de la société individualiste d’aujourd’hui ?

    La fatigue considérée comme épuisement psychique est devenue un thème central, avec la dépression, au cours des années 1970, en même temps que les épidémiologistes constataient, statistiques à l’appui, que cette dernière était désormais le trouble mental le plus développé dans les sociétés occidentales. Non seulement cette pathologie est beaucoup plus répandue qu’on ne le pensait, mais elle change de signification dans la psychopathologie et dans la société. L’évolution de la psychanalyse à son égard permet de comprendre ce double changement.

    Dépressions et angoisses sont d’abord considérées par Freud et les psychanalystes comme un symptôme des névroses (hystérie, phobie, obsession), qui sont l’expression d’un conflit psychique œdipien entre le moi et le surmoi (interdicteur). Il s’agit donc d’un conflit entre le permis et le défendu. Dans une société de discipline, la dépression soulève une question à la fois commune et personnelle : que m’est-il permis de faire ?

    Panne de l’action

    A partir des années 1960 (voire un peu plus tôt aux Etats-Unis) et surtout 1970, les psychanalystes repèrent dans leurs clientèles de nouvelles pathologies non névrotiques qu’ils appellent « narcissiques ». La dépression y occupe une place centrale, et elle est moins le symptôme d’un conflit que d’un sentiment de vide, d’insuffisance affectant le narcissisme de l’individu qui ne parvient pas à être à la hauteur de ses idéaux. La honte a tendance à subordonner la culpabilité.

    De plus, c’est moins la tristesse et la douleur morale qui apparaissent au premier plan que la panne de l’action. Les psychanalystes interprètent généralement ces changements par les nouveaux modes de vie prônant l’émancipation des individus : parce qu’ils affaiblissent les interdits, et en conséquence la force protectrice du surmoi, ils créent de nouvelles souffrances psychiques.

    Nombre de sociologues et de philosophes, de Christopher Lasch, qui publie La Culture du narcissisme [Flammarion, 2008] aux Etats-Unis dans les années 1970, à Marcel Gauchet, qui parle d’une « mutation anthropologique » en France dans les années 2000, ont répondu que nous faisions face à une privatisation inexorable de l’existence. C’est cette interprétation que l’on retrouve dans l’idée de société fatiguée, parce que cette fatigue semble résulter de l’affaiblissement des liens sociaux, donc de l’idée de commun ou de collectif.

    On a plutôt affaire à une transformation de l’esprit social de l’individualisme.

    Entre 1970 et aujourd’hui, nous sommes progressivement entrés dans une société imprégnée par des idées, des valeurs et des normes gravitant autour de l’autonomie individuelle. D’une aspiration collective dans les années 1960-1970, à travers les mouvements de libération des mœurs revendiquant l’indépendance, le choix, la propriété de soi en même temps que l’égalité entre les hommes et les femmes, l’autonomie devient à partir des années 1980 la condition commune, c’est-à-dire un système d’attentes collectives à l’égard de chacun, et pas seulement un choix personnel. Elle relève alors de l’obligation sociale. Ces idéaux encouragent l’expression de l’individualité sous de multiples formes, tout en la mettant à l’épreuve.

    Dimension de plus en plus affective du travail

    C’est le cas de l’entreprise, par exemple. Elle génère des détresses psychologiques qui ne cesseraient de croître. L’imaginaire du travail n’est plus un imaginaire taylorien de l’exécution mécanique des ordres ou du suivi des cadences. On demande aux gens d’être responsables, autonomes, d’avoir de l’initiative, de développer des compétences de « savoir être », etc. Dans le système d’attentes collectives de l’autonomie, la question « que suis-je capable de faire ? » se substitue à « que m’est-il permis de faire ? ». Ce changement de nos régimes d’action exige de chacun des formes d’autocontrôle émotionnel et pulsionnel qui étaient parfaitement marginales dans le taylorisme, ce qui donne une place nouvelle aux dimensions affectives du travail.

    La santé mentale est alors sociologiquement un langage commun permettant d’exprimer des tensions de nos relations sociales, et donc une attitude collective à l’égard de la contingence (de toutes sortes d’adversités, des aléas des événements de la vie et de ceux des relations sociales) dans les sociétés individualistes de masse contemporaines imprégnées par les idées, valeurs et normes de l’autonomie individuelle. Elle permet à la fois de soulever des problèmes noués à cette normativité et d’y répondre, plus ou moins bien, par des accompagnements psychothérapeutiques ou médicamenteux multiples.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/22/alain-ehrenberg-une-societe-peut-elle-etre-fatiguee_6106948_3232.html

    #norme #travail #activité #narcissisme #dépression #psychanalyse

  • Décembre 2021, le retour de #Klaus_Kinzler dans les médias...

    Klaus Kinzler, enseignant : « #Sciences_Po_Grenoble est devenu un camp de rééducation »

    « On entend désormais dans les amphis des profs remettre en cause tout le système dans ses bases universalistes, démocratiques, laïques. C’est fait sans aucun complexe »

    Professeur d’allemand et de civilisation allemande à l’Institut d’études politiques de Grenoble, Klaus Kinzler est au centre d’une polémique qui empoisonne l’établissement depuis un an. Accusé d’être islamophobe dans une campagne lancée par des étudiants sur les réseaux sociaux, il a vu son nom et celui d’un de ses collègues placardés sur les murs de l’établissement avec la mention : « Des fascistes dans nos amphis. L’islamophobie tue ». Klaus Kinzler n’est pas retourné à l’IEP depuis les faits. En mars, il publiera le récit de cette affaire aux Editions du Rocher.
    Vous avez été, selon vous, la cible d’une « cabale » instrumentalisée par un syndicat étudiant (l’Union syndicale) de l’IEP de Grenoble, avec le silence complice de la direction et du corps enseignant. Pourquoi les choses se sont-elles envenimées à ce point  ?

    Tout a commencé par des échanges de mails avec une collègue historienne en décembre 2020. Je contestais le titre d’une journée de débats dans lequel « racisme, antisémitisme et islamophobie » étaient mis sur le même plan. Cela me paraissait un scandale alors qu’existe un vrai débat sur la pertinence du terme islamophobie. La discussion s’est vite envenimée, ma collègue affirmant la « scientificité » du mot. Les ennuis ont débuté. Dès janvier, la campagne s’était déjà déchaînée sur Facebook. On nous accusait d’être « islamophobes » et on exigeait notre démission, tout en lançant des appels à témoignages anonymes contre nous. En mars dernier, mon nom, ainsi que celui d’un collègue politologue, spécialiste de l’islam en France, ont été placardés sur la façade de l’établissement. J’ai été mis sous protection policière pendant un mois.

    (#paywall)
    https://www.lopinion.fr/politique/klaus-kinzler-enseignant-sciences-po-grenoble-est-devenu-un-camp-de-reeduca

    Toute l’affaire, dans ce fil de discussion :
    https://seenthis.net/messages/905509

    #grenoble #Sciences_po #affaire_de_Grenoble

    • L’enseignant qui accusait Sciences Po Grenoble d’être un institut de « #rééducation_politique » suspendu pour #diffamation

      Un professeur de Sciences Po Grenoble, accusé d’ « islamophobie » au début de l’année, a été suspendu de ses fonctions par la direction, qui lui reproche d’avoir tenu, depuis, des « #propos_diffamatoires » , a-t-on appris lundi 20 décembre.

      L’arrêté de la directrice de l’institut d’études politiques (IEP), Sabine Saurugger, révélé par Le Figaro (https://www.lefigaro.fr/actualite-france/klaus-kinzler-l-enseignant-qui-avait-denonce-une-chasse-ideologique-suspend), vise des interviews accordées au début de décembre par l’enseignant, Klaus Kinzler, au site de l’hebdomadaire Marianne , au quotidien L’Opinion et à la chaîne CNews. Le professeur d’allemand a, selon la directrice, « gravement méconnu plusieurs obligations » , notamment en matière de « #discrétion_professionnelle » . « Il y a lieu à saisir le #conseil_de_discipline » , ajoute-t-elle dans l’arrêté qui le suspend pour quatre mois.

      Une « #chasse_aux_sorcières », selon l’enseignant

      Dans ses interviews, l’enseignant a décrit l’#IEP comme un institut de « rééducation politique » , accusant un « #noyau-dur » de collègues, adeptes, selon lui, des théories « #woke » , d’endoctriner les étudiants, et la direction de l’IEP de laisser faire.

      Pour ses avocats, qui dénoncent une « chasse aux sorcières » , M. Kinzler « a été contraint de prendre la parole afin de se défendre », après avoir été mis en cause « sur la place publique » . « Ça empoisonne ma vie, mais il faut peut-être aller jusqu’au bout pour savoir qui a le droit de dire quoi et dans quelle situation » , a déclaré l’enseignant, évoquant un possible recours devant le tribunal administratif.

      Contactée, la direction de l’IEP de Grenoble n’a pas souhaité réagir à « une mesure interne » . Le 13 décembre, dans un entretien donné à Marianne , Mme Saurugger avait pris la défense de l’établissement. « M. Kinzler reproche un certain nombre de faits qui ne sont pas exacts. Il dit notamment que la direction ne l’a jamais protégé. Sciences Po Grenoble est un établissement où la #liberté_d'expression et la #liberté_d'enseignement se trouvent au cœur du projet académique » , avait-elle déclaré.

      Seize étudiants sur dix-sept relaxés

      A l’origine de l’affaire, à la fin de 2020, M. Kinzler et une collègue historienne avaient échangé des courriels véhéments à propos d’une journée de débats intitulée « racisme, antisémitisme et islamophobie » , termes dont il contestait le caractère scientifique, tout en critiquant l’islam.

      Le 4 mars, M. Kinzler et un autre enseignant avaient été la cible d’affichettes placardées par des étudiants, relayées sur les réseaux sociaux par des syndicats. « Des fascistes dans nos amphis. L’islamophobie tue » , pouvait-on lire sur ces affiches. La directrice de l’IEP avait condamné « très clairement » ces affiches, tout en estimant que la façon dont M. Kinzler parlait de l’islam était « extrêmement problématique » .

      Le 26 novembre, seize des dix-sept étudiants de l’IEP poursuivis devant une instance disciplinaire ont été relaxés, tandis que la ministre de l’enseignement supérieur avait préconisé des sanctions à leur encontre. Un seul a fait l’objet d’une exclusion temporaire avec sursis.

      Dans un message publié sur Twitter, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, #Laurent_Wauquiez, a cependant fait savoir qu’il suspendrait les financements régionaux – environ 100 000 euros par an hors investissements sur projets – à l’IEP de Grenoble, du fait de la « longue dérive idéologique et communautariste » , qui vient de « franchir un nouveau cap » avec la suspension de l’enseignant. Selon lui, « une minorité a confisqué le débat » au sein de l’établissement, « sans que la direction prenne la mesure de cette dérive préoccupante » .

      https://www.lemonde.fr/societe/article/2021/12/20/l-enseignant-qui-accusait-sciences-po-grenoble-d-etre-un-institut-de-reeduca

      #suspension #Wauquiez

    • Sciences Po Grenoble est depuis trop longtemps dans une dérive idéologique et communautariste inacceptable. Ce n’est pas ma conception de la République : la Région @auvergnerhalpes suspend donc tout financement et toute coopération avec l’établissement.


      https://twitter.com/laurentwauquiez/status/1472950277028392965
      #financement #dérive_idéologique #communautarisme #dérive_communautariste #Région_Auvergne_Rhône-Alpes

      –—

      Laurent Wauquiez a parfaitement compris comment couper court à l’infiltration de nos grandes écoles par l’islamo-gauchisme : en commençant par fermer le robinet du financement public.


      https://twitter.com/ZemmourEric/status/1472969682567241736

      –—

      #Valérie_Pécresse :


      https://twitter.com/vpecresse/status/1473032185418551303
      #Pécresse

    • #Richard_Malka sur FB, 21.12.2021 :

      Je suis en vacances. Après quelques mois éreintants à défendre, autant que je le pouvais, le droit d’emmerder Dieu, j’ai décidé d’offrir à mes neurones une cure de désintoxication. Oubliée la liberté d’expression, plus rien à faire du blasphème, du Wokisme ; laissez-moi tranquille avec l’islamo-gauchisme…je veux lire ma pile de livres en retard, regarder la mer, marcher, la tête vide, sur des sentiers douaniers, me plaindre de mes courbatures en m’en délectant, avoir pour seule préoccupation la raréfaction des nouvelles séries de qualité sur Netflix.
      Mais patatras, j’ai commis l’erreur de lire la presse ce matin. J’essaie d’oublier ce que j’ai lu, d’enfouir mon cerveau sous ma couette comme si cela pouvait l’anesthésier, de laisser à d’autres le soin de réagir mais je sens bien que c’est foutu ; ça bouillonne dans mon ventre.
      Il y a donc, sur notre territoire, un petit Pakistan situé dans cette bonne ville de Grenoble. Un laboratoire de la pensée stalinienne dirigé par une certaine Sabrine Saurugger qui, en moins d’un an et demi, depuis sa nomination à la tête de Science Poe Grenoble, aura réussi l’exploit d’anéantir la réputation de cette école et de porter préjudice à des centaines d’étudiants qui auront bien du mal à réaliser leurs rêves quand ils inscriront sur leur cv le nom de cette école de la honte. Mais cela, Madame Saurugger n’en a probablement cure…quelques sacrifiés innocents n’ont jamais fait peur aux idéologues qui pensent le bien.
      Je résume : Le 4 mars dernier, un professeur d’allemand, Klaus Kinzler, est victime d’une campagne de lynchage sur les réseaux d’un syndicat étudiant, son nom étant par ailleurs placardé sur les murs de Science Po Grenoble, affublé des qualificatifs de fasciste et d’islamophobe. Son seul crime consiste à avoir contesté le concept d’islamophobie, ce qui fait débat, quoi que l’on en pense, depuis des décennies et ce dont on devrait pouvoir discuter, même à l’université. Rien qui ne justifie d’être qualifié de fasciste et voué aux gémonies, voire pire. Le professeur s’en émeut, de même que du manque de soutien évident de sa direction, dont on sent bien qu’elle a plutôt tendance à se ranger du coté de la terreur intellectuelle, parce que c’est pour la bonne cause. L’affaire aurait pu en rester là mais non, il faut réduire au silence pour que plus aucun professeur, jamais, partout en France, n’ose contester le dogme naissant. C’est alors que Madame Saurugger a une idée géniale qui a fait ses preuves pour éliminer toute velléité de contestation : innocenter les coupables et condamner leur victime au seul motif qu’elle a osé parler à des journalistes, ce qui ne se fait pas. Manquerait plus que la liberté d’expression soit un droit constitutionnel qui permette de se défendre et de dénoncer l’instauration d’une petite dictature de la pensée. L’université va s’atteler méticuleusement à cette tâche sacrée. D’abord, relaxer 16 des 17 étudiants poursuivis disciplinairement en dépit des conclusions d’un rapport de l’Inspection Générale de l’Education Nationale. Puis, et c’est le chef d’œuvre de la direction de Science Po Grenoble, prendre un arrêté le 14 décembre dernier, en espérant surement que les journalistes ne tarderont pas à être en vacances autour d’une dinde, pour suspendre le Professeur insulté qui avait eu l’audace de s’en plaindre. Le suspendre avant même que ne soit engagée à son encontre une procédure disciplinaire pour avoir osé parler.
      Passons sur le soutien apporté par le groupe écologiste de la région Rhône-Alpes qui, au prétexte de s’insurger de la décision de Laurent Wauquiez de supprimer la subvention de la Région à l’IEP, apporte son soutien à la direction de l’école. Ceci dit, on aimerait bien savoir, en passant, si dans le package du vote écolo, auquel chacun pourrait adhérer, figure obligatoirement la cancel culture dont je ne vois pas bien ce qu’elle a d’écolo.
      Cette affaire est cruciale pour l’avenir. Le message véhiculé par Madame Saurugger est simple : c’est celui de la violence symbolique adressée aux enseignants qui se résume par : taisez-vous, courbez l’échine devant la terreur intellectuelle ; osez la dénoncer et vous serez exclus. Relevez la tête et vous serez suspendus.
      Peut-être n’est-ce pas Monsieur Kinzler qui devrait être sanctionné mais Madame Saurugger, à défaut de prendre conscience elle-même, dans un sursaut, du mal qu’elle fait à son école et à ses étudiants. Au demeurant et en ce qui les concerne, ils gagneraient beaucoup à se révolter contre cette décision, pour ne pas se laisser sacrifier par une direction qui a sombré dans la faillite morale.

      https://www.facebook.com/richardmalka.avocat/posts/334513131820151

    • Samuel Hayat, 21.12.2021

      Je remets ça là à propos de Sciences Po Grenoble. Ce n’est pas un hasard si c’est cette institution qui est accusée. Car Sciences Po Grenoble n’est pas DU TOUT gauchiste. Et sa directrice encore moins. On est vraiment dans le pôle le plus positiviste et « centriste » du champ.
      Une fois de plus, les réactionnaires, en voie de fascisation rapide, ne se déchaînent pas contre les gauchistes - car nous, on ne prétend pas à l’impartialité, et on sait qui vous êtes, donc si LW nous juge, OSEF, ça ne nous fait rien. « Pratiquement, je l’emmerde », écrivait Fanon
      Ils se déchaînent sur les gens et les institutions qui jouent le plus le jeu de la scientificité, de la neutralité axiologique, qui jamais de leur vie n’iront porter la moindre parole militante dans l’espace public. Et ils espèrent ainsi les tétaniser, et nous tétaniser tou.te.s.
      Evidemment, ça ne marchera pas, dans l’immédiat. C’est trop gros. Sciences Po Grenoble va continuer à produire de la science et des diplômes. Mais ça installe une ambiance, ça fait grossir la meute, ça rend la proie plus floue, plus fantasmée. Bref, ça prépare le fascisme.

      https://twitter.com/SamuelHayat/status/1473310750194257920

      #scientificité #neutralité_axiologique #fascisme

    • Sciences Po Grenoble : « L’intrusion politique de Wauquiez est inédite »

      #Frédéric_Sawicki, professeur de science politique et président du comité d’éthique de l’AFSP, souligne la gravité de la décision de Laurent Wauquiez de couper le soutien financier de la #région_Auvergne-Rhône-Alpes à Sciences-Po Grenoble. Il dénonce un climat délétère contre l’#université et la #recherche.

      Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a affirmé que cette dernière mettait fin à sa coopération et à son soutien financier à l’#Institut_d’études_politique de Grenoble. L’ancien ministre et ex-dirigeant des Républicains (LR) met en avant, comme raison de cette soudaine décision annoncée sur Twitter, la mise à pied d’un enseignant, conséquence d’une polémique ayant éclaté au printemps dernier (lire le récit de David Perrotin).

      Quelques heures plus tard, la candidate LR à la présidentielle, Valérie Pécresse, partageait le même article du Figaro et s’indignait que « la liberté d’expression ne soit plus assurée à l’IEP de Grenoble », prenant pour argent comptant l’affirmation de l’enseignant en question, Klaus Kinzler, selon laquelle l’établissement serait devenu « un camp de rééducation ». Laurent Wauquiez se voyait félicité dans la foulée par le candidat d’extrême droite Éric Zemmour, estimant que le président de région avait « parfaitement compris comment couper court à l’infiltration de nos grandes écoles par l’islamo-gauchisme : en commençant par fermer le robinet du financement public ».

      Pour comprendre la gravité de cette annonce et son contexte, Mediapart a interrogé Frédéric Sawicki. Professeur de science politique à l’université Paris I, il préside également le comité d’éthique de l’Association française de science politique (AFSP). Il dénonce une décision qui laisse la porte ouverte à toutes sortes d’#abus, et souligne la #responsabilité de la ministre de l’enseignement supérieur, #Frédérique_Vidal, dans le climat délétère ayant encouragé une telle offensive.

      Est-ce que la coupure de fonds publics, pour des motifs politiques, est une première en France ?

      Frédéric Sawicki : Les relations entre les établissements d’enseignement et de recherche et les #collectivités_territoriales, notamment les régions, sont contractualisées. On peut imaginer qu’à l’issue d’une évaluation scientifique, et au regard d’objectifs connus et précis, certains financements soient remis en cause. Mais cela n’a rien à voir avec le fait de plaire ou déplaire au président d’une région. Où irait-on, dans ce cas ? Selon sa sensibilité, un ou une présidente déciderait de sanctionner financièrement des propos qui l’indisposeraient ?

      On a clairement affaire à une #intrusion_politique dans la procédure interne d’un établissement de recherche, et ceci, en effet, est complètement inhabituel. Laurent Wauquiez utilise sa position institutionnelle pour punir un établissement de façon collective. Cela s’appelle une #sanction_politique.

      Il s’agit d’une atteinte aux #libertés_académiques. Comment celles-ci se sont-elles construites, et quelles sont leurs limites ?

      Les libertés académiques concernent la liberté totale d’enseigner et de faire des recherches dans le cadre de l’université. Mais elles renvoient également à une réalité qui remonte au Moyen Âge, les « #franchises_universitaires » : le principe en est que les universités se gèrent elles-mêmes, en dehors de l’intrusion des pouvoirs politiques. Cela signifie qu’elles ont un pouvoir de discipline pour arbitrer et sanctionner les comportements déviants qui auraient été commis en leur sein. Ceci vaut pour les comportements liés à l’activité professionnelle, mais évidemment pas pour les crimes et délits d’ordre pénal ou civil.

      Les universités ont ainsi leurs instances de jugement, avec des possibilités d’appel et de se défendre. La jouissance de libertés académiques s’accompagne donc de procédures d’arbitrage bien définies, avec des tribunaux internes. Non seulement les universitaires sont soumis au droit général, mais ils peuvent faire l’objet de #sanctions devant leurs universités. Cela s’est par exemple produit dans le cas de Bruno Gollnisch (ex-cadre du Front national), qui fut suspendu de Lyon III pour des propos qui portaient préjudice à son établissement.

      En réalité, il y a des affaires tout le temps, dans lesquelles le pouvoir politique ne s’immisce pas – et n’a pas à le faire. De l’extérieur, en lisant certains médias ou responsables politiques, on peut avoir l’impression que l’enseignant mis à pied par la direction de l’IEP de Grenoble est victime d’un règlement de comptes politique. Mais il s’agit avant tout d’une décision émise contre une personne ayant sciemment jeté de l’huile sur le feu en diffamant son établissement.

      Ce genre de sanction politique et financière est inhabituel. Est-ce qu’il faut le rapprocher d’un contexte plus général, à l’international, d’attaque contre la liberté d’enseigner et de chercher ?

      Les pressions et les sanctions sont indéniablement plus féroces dans des démocraties subissant des involutions autoritaires, notamment au Brésil, en Turquie, en Pologne ou en Hongrie. Dans ce dernier pays, l’université privée financée par George Soros a ainsi été contrainte au départ. De manière générale, les présidents d’université font l’objet d’une tutelle directe par le pouvoir politique. On n’en est pas là en France, mais il faut prendre au sérieux la prétention de plus en plus intrusive du pouvoir politique.

      Comment ne pas penser, ici, aux attaques de la ministre Frédérique Vidal contre « l’islamo-gauchisme » qui sévirait dans les établissements d’enseignement et de recherche (lire notre article : https://www.mediapart.fr/journal/france/170221/islamo-gauchisme-vidal-provoque-la-consternation-chez-les-chercheurs) ? D’un côté, on encourage l’#autonomie, mais de l’autre, sur la liberté de ce qui s’enseigne, on exerce une forme de #pression pour qu’aucune tête ne dépasse. Les attaques se répètent contre des cibles mouvantes et toujours mal définies, puisque la même ministre a récidivé récemment devant les sénateurs, en brandissant les dangers supposés du « #wokisme ».

      Dans ce contexte, Laurent Wauquiez vient de faire un pas en direction de Viktor Orbán [le premier ministre hongrois – ndlr]. Pour la première fois en France, des attaques verbales et symboliques se transforment en #rétorsion_financière, en dehors de toute évaluation qui aurait mis en évidence des faits coupables de l’établissement. Pour le président de région, tout semble bon pour faire de l’#agitation. Sauf qu’il s’agit d’#argent_public et de la vie des étudiants et de l’établissement, avec des collègues qui essaient de faire leur travail dans un contexte difficile, lié à la pandémie et à des dotations en berne.

      À l’heure où l’on se parle, Frédérique Vidal n’a pas réagi à la décision de Laurent Wauquiez. Pour vous, elle ne remplit pas son rôle ?

      Des responsables politiques, et elle en fait partie, sont en train de discréditer la seule institution où on essaie de penser le monde comme il va, avec le moins de pression possible de l’extérieur. J’espère que cette affaire va faire prendre conscience que l’université ne devrait pas être un punching-ball, un objet d’#instrumentalisation à des fins électoralistes.

      Frédérique Vidal, au lieu de protéger l’autonomie des universités au sens traditionnel du terme, s’y est déjà attaquée de manière frontale. L’« islamo-gauchisme », le « wokisme »… sont autant de #chimères_conservatrices auxquelles elle a donné crédit. Quoi qu’il en soit, l’université doit être un lieu où l’on peut débattre de courants d’idées nouveaux, sans devoir le justifier devant des autorités politiques. Bientôt, faudra-t-il des autorisations sur les livres et les idées sur lesquelles on peut échanger ? Cela nous mènerait à un régime politique d’une autre nature.

      Après plusieurs décennies en poste dans l’enseignement et la recherche, que pouvez-vous dire de Sciences-Po Grenoble, aujourd’hui visé par Laurent Wauquiez comme un foyer de « dérive idéologique et communautariste » ?

      L’établissement est connu pour ses travaux sur les politiques publiques territoriales, ses enquêtes quantitatives sur les valeurs des Français et des Européens, ses travaux socio-historiques, ou encore ses publications sur les politiques de sécurité. La production des enseignants-chercheurs n’a rien à voir avec celle de gens obsédés par des idéologies « déconstructionnistes ».

      Quand on connaît leur production et ce milieu, les attaques dont ils font l’objet apparaissent encore plus hallucinantes. On ne peut qu’être étonné et indigné de la montée en épingle d’une affaire malheureuse mais ponctuelle et locale, sur laquelle se sont appuyés certains polémistes et responsables politiques pour transformer cet établissement en Satan idéologique.

      Cela fait penser au roman La Plaisanterie de Milan Kundera : dans un contexte d’extrême politisation et d’obligation de #conformisme, n’importe qui semble pouvoir être accusé de n’importe quoi, sans le moindre fondement. Cela est pratique pour régler des comptes, puisqu’on trouvera toujours des gens pour soutenir des #croisades_morales. Il y a un moment où il faudra dire « stop ». Ce devrait être le rôle de Frédérique Vidal.

      https://www.mediapart.fr/journal/france/211221/sciences-po-grenoble-l-intrusion-politique-de-wauquiez-est-inedite

    • Tweet de Simon Persico, enseignant-chercheur à Sciences Po Grenoble, 21.12.2021 :

      Les messages de soutien à @SciencesPo38, à sa directrice @SSaurugger et aux milliers d’étudiants et enseignants, anciens comme actuels, font chaud au cœur. Autant de bouées qui nous aident à nager dans le torrent de boue qui continue de se déverser sur notre bel IEP.
      Cette fois, c’est Laurent Wauquiez qui décide de couper les bourses de mobilité et l’accompagnement des étudiants les plus éloignés. A partir d’un diagnostic aussi mensonger qu’infamant, celui d’une prétendue dérive « communautariste et idéologique ».
      Une manière pour lui, ce n’est pas nouveau, de hurler avec les loups. Comme de trop nombreux responsables politiques, il surfe sur la vague entretenue par un collègue en perdition, avec l’aide d’une presse complaisante et dépourvue de toute rigueur factuelle.
      Ce thread a donc pour principal objectif de rappeler des faits. Un petit pense-bête sur ce qu’est Sciences Po Grenoble, pour bien comprendre ce qu’il n’est pas.
      Si vous voulez une version courte et synthétique, vous pouvez lire ce communiqué de notre direction. Il dit très bien tout ce qu’il y a à dire : http://www.sciencespo-grenoble.fr/communique-mise-au-point-de-la-direction-de-sciences-po-grenoble
      Si vous voulez une idée plus précise des enseignements et de leur contenu, allez faire un tour sur le site (http://sciencespo-grenoble.fr/formations). Vous y trouverez tous les intitulés de cours et la focale de nos nombreux parcours de Master. Du communautarisme idéologique en barre.
      Si vous voulez une idée de nos recherches, vous pouvez aller sur les sites de nos labos @PACTE_grenoble @CesiceUpmf et @cerdap2. Vous pouvez aussi lire le blog de l’IEP, et notamment cette série sur notre rapport à l’objectivité et à la neutralité : http://blog.sciencespo-grenoble.fr/index.php/category/objectivite-en-sciences-sociales
      Vous y lirez la richesse des objets, la robustesse des résultats et la diversité des perspectives qui nous guident. Je dis « nous » parce que nous formons une communauté très diverse, mais soudée sur l’essentiel : le respect de la rigueur scientifique et du pluralisme.
      Si vous voulez vous faire une idée des types d’évènements qui se tiennent chez nous en dehors des cours, voici les trois principaux du mois de décembre :
      –une journée d’hommage au grand constitutionnaliste et serviteur de l’Etat, Jean-Louis Quermonne.
      –une conférence sur les violences sexistes et sexuelles en présence des plus hautes autorités judiciaires et policières grenobloises
      –une conférence sur la « gestion de crise » par le Ministre chargé des Relations avec le Parlement et de la Participation, Marc Fesneau
      Si vous voulez vous remémorez les faits qui ont mené à cette affaire, vous pouvez lire le rapport de l’Inspection générale (vous noterez que le rapport s’arrête au moment des affichages, avant que notre collègue KK ne déclenche sa guerre médiatique) : https://www.enseignementsup-recherche.gouv.fr/fr/la-situation-l-iep-de-grenoble-en-mars-2021-47481
      Ce rapport, comme les excellents articles de @davidperrotin (https://www.mediapart.fr/journal/france/110321/accusations-d-islamophobie-la-direction-de-sciences-po-grenoble-laisse-le-) et de @FrancoisCarrel (https://www.liberation.fr/societe/sciences-po-grenoble-une-semaine-de-tempete-mediatique-sur-fond-dislamo-g) montrent bien la gravité du comportement de KK au démarrage de cette affaire.
      Ils rappellent aussi le soutien dont il a bénéficié de la part de notre direction, d’une part, mais aussi de tous nos collègues, profondément choqués par les affichages.
      Nous avions assez rapidement écrit une tribune à de très nombreuses mains pour rappeler ce soutien, inviter notre collègue à ne pas envenimer les choses, et dénoncer les pressions politiques dont cette affaire était la manifestation : https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/03/17/professeurs-accuses-d-islamophobie-cette-affaire-est-une-illustration-des-pr
      Progressivement cette affaire commençait à passer, bon an mal an, même si elle avait laissé des traces. Jusqu’au dernier tour de piste de KK dans les médias, en décembre. Un tour de piste qui va mener Laurent Wauquiez à prendre cette décision honteuse.
      Si KK se décide à nous agoniser d’injure par voie d’interview, c’est que KK n’a pas supporté la relaxe de 17 étudiants renvoyés devant un Conseil de discipline délocalisé à l’Université de Clermont-Ferrand. Décision totalement indépendante de Sciences Po Grenoble.
      Lors de ce dernier tour de piste, KK dépasse toutes les limites. Il accuse notre institut d’être devenu un « camp de rééducation politique » et ses enseignants, surtout ceux qui sont arrivés récemment, d’endoctriner les étudiants avec les thèses woke et anticapitalistes.
      Ces propos nuisent gravement à la réputation de l’IEP sur des bases mensongères. Je suis reconnaissant à notre direction d’avoir engagé une procédure disciplinaire contre lui. Je remercie du fond du cœur @SSaurugger pour son courage et son sang-froid !
      Nous réussirons à en sortir renforcés. Car nous montrerons que le pluralisme et le souci du débat argumenté, rigoureux et respectueux sont plus forts que l’instrumentalisation et la mise au pas politique. On le doit à notre institution. On le doit au débat public.
      Et une dernière question à @laurentwauquiez : on en fait quoi du panneau bleu à l’entrée du bahut ? C’est vrai qu’il prend de la place, mais on commençait à s’y faire. Aucun problème pour le garder. Vous nous dites.

      https://twitter.com/SimPersico/status/1473298938602135555

    • Sciences-Po Grenoble : les mêmes intox pour un nouvel emballement

      Après l’annonce de la suspension d’un professeur accusé d’islamophobie à l’IEP de Grenoble, de nombreux politiques dénoncent une attaque contre la liberté d’expression. Mediapart revient sur les nombreuses #contrevérités relayées depuis.

      Il aura fallu attendre neuf mois pour qu’une nouvelle polémique éclate à propos de Sciences-Po Grenoble. L’Institut d’étude politique (IEP) fait de nouveau parler de lui depuis que Le Figaro a révélé que Klaus Kinzler, le professeur d’allemand qui dénonce une supposée « chasse idéologique » au sein de l’école, a été suspendu le 14 décembre pour quatre mois. Sabine Saurugger, directrice de l’institution, a pris cette mesure par #arrêté, avant de « saisir le conseil de discipline dans les meilleurs délais ». Cette suspension n’est toutefois pas une #sanction et l’enseignant conserve son traitement et ses indemnités le temps de la procédure.

      Selon le quotidien, la directrice lui reproche d’avoir tenu « des propos diffamatoires dans plusieurs médias contre l’établissement d’enseignement supérieur dans lequel il est en poste, ainsi que contre la personne de sa directrice », d’avoir en outre « gravement porté atteinte à l’#intégrité_professionnelle de ses collègues de travail », après une interview donnée sur CNews. Enfin, l’enseignant est aussi accusé d’avoir « gravement méconnu plusieurs obligations liées à son statut de fonctionnaire », comme « son obligation de #discrétion_professionnelle » et « son #obligation_de_réserve ».

      Il n’en fallait pas plus pour que l’emballement reprenne et que la direction de l’IEP soit accusée de « chasse aux sorcières ». De Marine Le Pen à Éric Zemmour, en passant par Valérie Pécresse ou Éric Ciotti, toutes et tous ont dénoncé cette décision qui serait une « grave atteinte à la liberté d’expression ». Plus étonnant encore, le président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a décidé de couper les aides accordées à l’institution, sans même attendre des éclaircissements de Sciences-Po, lui qui n’hésitait pas à voter deux subventions à l’ONG libanaise Nawraj, partenaire d’une association d’extrême droite et dirigée par l’ancien chef de milices chrétiennes responsables de nombreux massacres pendant la guerre civile.

      Sauf que les articles relayant la décision de la direction de l’IEP et les messages de soutien reposent en majorité sur des contrevérités et des #intox largement entretenues par la droite et l’extrême droite, et par le professeur Klaus Kinzler lui-même.

      Rappel des faits. L’affaire débute en mars 2020 lorsque Klaus Kinzler est, avec un autre enseignant, la cible d’affiches placardées sur la façade de l’IEP : « Des fascistes dans nos amphis Vincent T. […] et Klaus Kinzler démission. L’islamophobie tue. » Le syndicat étudiant Unef relaie l’action sur les réseaux sociaux, avant de tout supprimer.

      Comme le racontait Mediapart, ce collage, condamné unanimement, venait après d’intenses tensions autour d’une journée de débats nommée « Racisme, antisémitisme et islamophobie » et organisée dans le cadre d’une « semaine pour l’égalité et la lutte contre les discriminations ».

      Le professeur d’allemand s’en était pris à Claire M., sa collègue et enseignante d’histoire, et exigeait que l’intitulé soit reformulé. Celui-ci ayant été décidé après un vote des étudiants, elle avait refusé et argumenté en précisant « qu’utiliser un concept ne dispense pas d’en questionner la pertinence, de se demander s’il est opérant ».

      Mediapart racontait alors comment l’affaire avait été récupérée avec omission de nombreux détails. Klaus Kinzler reconnaissait lui-même avoir pu être violent à l’endroit de sa collègue et avoir révélé son nom publiquement, la mettant ainsi en danger.

      Alors pourquoi reparle-t-on de l’IEP de Grenoble ? Comme le révèle Le Figaro, la direction, qui n’a pas souhaité répondre à Mediapart, reproche deux récentes interviews accordées par Klaus Kinzler. Dans celle publiée par Marianne, le journal revient sur la relaxe de 17 étudiants passés en conseil de discipline et entretient la confusion en laissant penser que ces élèves pourraient être les auteurs des affiches placardées sur l’IEP. « C’est un blanc-seing pour ceux qui voudraient placer une cible dans le dos des professeurs », affirme Klaus Kinzler, qui dénonce la relaxe de ces 17 étudiants en lien avec l’Union syndicale Sciences-Po Grenoble (US), un syndicat qui avait fustigé « l’islamophobie des deux enseignants ». Le syndicat avait aussi appelé la direction de l’établissement à « statuer » sur le « cas » du professeur.

      Aucun étudiant n’a révélé les noms de professeurs

      Les étudiants sont en effet passés devant une commission disciplinaire. Elle faisait justement suite à une saisine de la directrice qui avait appliqué les recommandations d’un rapport de l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche diligenté en mars par la ministre Frédérique Vidal et rendu en mai.

      D’après la décision rendue par la section disciplinaire, consultée par Mediapart, les étudiants ont en effet été relaxés car « le seul appel à témoignage publié par l’US sur les réseaux sociaux (Facebook) ne peut être regardé comme constitutif d’une participation à la diffusion […] d’accusations de racisme et d’islamophobie à l’encontre des deux enseignants », Vincent T. et Klaus Kinzler.

      En effet, si les étudiants ont bien dénoncé le comportement des deux professeurs, ils n’ont jamais publié leurs noms publiquement. Par ailleurs, si la presse évoque le fait qu’un étudiant a été condamné par la section disciplinaire, cela n’a rien à voir avec cette affaire. D’après nos informations, une étudiante a fait l’objet d’une exclusion temporaire avec sursis pour dénonciation calomnieuse dans une affaire de violences sexuelles.

      Aucun nom d’enseignant n’a été révélé par le laboratoire Pacte

      Dans son interview à Marianne qui lui est aujourd’hui reprochée, Klaus Kinzler met également en cause le laboratoire de recherche affilié au CNRS et à l’IEP, #Pacte, qui l’aurait accusé publiquement de harcèlement à l’encontre de sa collègue. « Sans cette accusation publique de Pacte, les étudiants ne m’auraient jamais attaqué sur Facebook », précise-t-il.

      En réalité, le laboratoire, qui a effectivement affirmé « son plein soutien » à l’enseignante « attaquée personnellement », n’avait jamais nommé Klaus Kinzler et n’a pas non plus rendu public son communiqué. Il avait seulement été envoyé par mail aux personnes concernées et à la direction. Interrogé ce mardi, l’enseignant reconnaît que « le communiqué n’est pas public ». « Mais il était très maladroit et a quitté les murs de l’IEP », ajoute-t-il.

      Ce qu’aucun média ne précise en outre, c’est que Klaus Kinzler est le premier à avoir livré le nom de sa collègue Claire M. Après le communiqué de Pacte, il avait publié sur son site internet les échanges qu’il avait eus avec l’enseignante sans son accord. Comme lui, elle avait d’ailleurs reçu des menaces et bénéficié par la suite d’une protection policière.

      Lors d’une interview donnée sur Cnews et également dénoncée par la direction de l’IEP, Klaus Kinzler s’en était d’ailleurs pris, avec Pascal Praud, à la directrice de Pacte, Anne-Laure Amilhat. Elle avait ensuite reçu une vague de cyberharcèlement, avant de déposer différentes plaintes pour « diffamation et diffamation à caractère sexiste » contre le professeur et l’animateur, et pour « menace de mort » et « cyberharcèlement ».

      La direction de l’IEP a bien soutenu Klaus Kinzler

      Dans différents médias, Klaus Kinzler affirme aussi que la direction de l’IEP ne l’a « jamais protégé en un an » et qu’il n’a pas été soutenu.

      Là encore, les nombreux mails et documents consultés par Mediapart prouvent le contraire. Pour contester l’intitulé de la journée de débats, le professeur d’allemand a vivement attaqué Claire M., dans des mails-fleuves, en la traitant d’« extrémiste » ou en remettant en cause ses qualités scientifiques. Klaus Kinzler avait d’ailleurs reconnu lui-même sa violence, qu’il disait « regretter ». L’enseignante avait alors sollicité l’intervention de la direction, qui avait refusé de rappeler à l’ordre Klaus Kinzler, mettant en avant la liberté d’expression.

      Face à l’inaction de la direction, Claire M. avait même saisi le Défenseur des droits. Dans sa décision consultée par Mediapart, l’institution estimait que Klaus Kinzler et son collègue Vincent T. avaient « bafoué le droit au respect de Claire M. et que cette dernière n’a pas bénéficié du soutien de la direction ». Cette dernière avait seulement demandé à l’enseignant de s’excuser, alors que l’enseignante avait été placée en arrêt maladie.

      Interpellée par l’Union syndicale en janvier 2021, la direction de l’IEP avait encore rappelé l’importance de la liberté d’expression des enseignants et était par la suite accusée par l’Union syndicale de se cacher « derrière la liberté pédagogique pour défendre l’islamophobie ». Sollicité sur ce point, le professeur d’allemand le reconnaît là encore. « Vous avez raison, la direction m’avait d’abord soutenu en tentant un apaisement de la situation. Mais après, elle m’a abandonné en faisant le strict minimum. Elle aurait dû punir les étudiants immédiatement, sans attendre que les médias en parlent. »

      Les recommandations du rapport suivies à la lettre par la directrice

      En mars dernier, Klaus Kinzler envoie un mail à des étudiants qui avaient dénoncé le fait qu’il boive de l’alcool lors d’une réunion. Agacé, le professeur d’allemand avait signé : « Un enseignant “en lutte”, nazi de par ses gènes, islamophobe multirécidiviste ». Encore interpellée par l’Union syndicale, la direction de l’IEP n’avait pas réagi. Quatre jours après, les fameuses affiches le visant étaient placardées et la direction signalait les faits au procureur, avant de déposer plainte contre X.

      « C’est absurde de s’en prendre à la directrice de l’IEP, alors qu’elle a soutenu les deux enseignants depuis le début », s’agace un maître de conférences de l’IEP. Il rappelle en effet que #Sabine_Sarugger a suivi à la lettre les recommandations du rapport qui préconisait une action disciplinaire contre les étudiants de l’US. « Elle a saisi la commission de discipline. On ne peut pas aujourd’hui lui reprocher les relaxes alors que la commission a été dépaysée et est parfaitement indépendante », ajoute-t-il.

      Un rapport d’ailleurs salué par Klaus Kinzler. ​​« Je ne peux pas dire que je sois d’accord avec tout ce qui y est préconisé mais je dois reconnaître que les inspecteurs ont fait un travail d’enquête extraordinaire, interrogeant tous les protagonistes de l’affaire, soit des dizaines de personnes. Ils ont formulé de nombreuses recommandations extrêmement claires », juge-t-il dans Marianne.

      Dans ses conclusions, l’inspection estimait « que tous les acteurs de cette affaire ont commis des erreurs d’appréciation, des maladresses, des manquements et fautes, plus ou moins graves, plus ou moins nombreux ». Elle précisait aussi que Klaus Kinzler avait « porté atteinte à l’image et à la réputation du corps enseignant et, au-delà, de l’établissement, décrédibilisé une instance de l’Institut », et recommandait un rappel à l’ordre.

      Le professeur attaquait l’islam et « les musulmans »

      Dans ses différentes sorties, Klaus Kinzler vilipende une attaque contre la liberté d’expression et rappelle justement que la critique de l’islam doit être possible. « Je dois rappeler que, dans ces mails, je n’ai jamais critiqué les musulmans. J’ai même insisté assez lourdement sur ce point. Je n’ai parlé que du terrorisme et d’une vision archaïque de la femme qui ne me plaît pas dans l’islam », précise-t-il, toujours dans l’hebdomadaire.

      Si le professeur s’en prend vivement à l’islam et précise qu’il « préfère largement le Christ », les nombreux mails consultés par Mediapart montrent qu’il visait aussi les musulmans. C’est ce qui avait d’ailleurs choqué certains étudiants de cette religion. « Les musulmans ont-ils été des esclaves et vendus comme tels pendant des siècles, comme l’ont été les Noirs (qui aujourd’hui encore sont nombreux à souffrir d’un racisme réel) ? Non, historiquement, les musulmans ont été longtemps de grands esclavagistes eux-mêmes ! Et il y a parmi eux, encore aujourd’hui, au moins autant de racisme contre les Noirs que parmi les Blancs », écrivait-il. Il poursuivait sa mise en cause des musulmans en expliquant qu’ils n’ont pas jamais été « persécutés », « tués » ou « exterminés » comme l’ont été les juifs et qu’au contraire, on compterait parmi eux « un très grand nombre d’antisémites virulents ».

      « Sur les musulmans, ce sont un peu des évidences que je dis, 95 % des Français doivent être d’accord avec moi », justifie aujourd’hui Klaus Kinsler. « Vous revenez sur tous ces mails, mais je doute que cela intéresse les gens. Je ne me rappelle pas de tout. Aucun autre média ne retient des choses à me reprocher dans ces mails », finit-il par balayer.

      « Dans L’Opinion, Klaus parle de l’IEP comme d’un camp de rééducation. Ses interviews sont d’une violence inouïe et reposent sur de nombreux #mensonges complaisamment relayés par les médias qui l’interrogent », regrette l’un de ses collègues. Un autre confirme : « Non, l’IEP n’est pas un repère de “wokistes”. Quiconque vient ici s’apercevra qu’il n’y a aucune dérive communautariste. » Après la relaxe des étudiants, plusieurs professeurs de l’IEP avaient d’ailleurs vivement réagi par mail pour dénoncer cette décision. « Il y a des débats au sein de l’IEP mais ni pression idéologique ni chasse aux sorcières. »

      Dans un communiqué publié ce mardi, la direction de l’IEP réagit à la décision de Laurent Wauquiez et dénonce une décision politique. Elle rappelle également que « le soutien financier de la région […] ne consiste pas en des subventions mais essentiellement en l’attribution de bourses aux étudiants ».

      Klaus Kinzler, lui, se dit « fatigué par tout ça » et promet de « cesser les apparitions médiatiques dès demain ». Tout en regrettant que le débat « soit national plutôt que devant un tribunal », il insiste pour mettre en cause la directrice de l’IEP, qui a « voulu le faire taire » en l’empêchant de parler à la presse. Confronté aux nombreuses imprécisions ou contrevérités qu’il relaie lors de ses nombreuses interviews, il prévient : « On ne va pas refaire l’histoire du mois de mars. Un juge administratif tranchera. »

      https://www.mediapart.fr/journal/france/211221/sciences-po-grenoble-les-memes-intox-pour-un-nouvel-emballement

    • "Islamophobie" à l’IEP de Grenoble : « la chasse idéologique aux enseignants est ouverte »

      Au cœur d’une polémique pour s’être opposé au concept « d’islamophobie », un professeur de l’Institut d’études politiques de Grenoble, Klaus Kinzler, a vu son nom placardé sur les murs de l’établissement pendant qu’une association étudiante exigeait que la direction « statue sur son cas ». Ces mêmes étudiants ont récemment été relaxés par une commission disciplinaire. Un « blanc-seing » aux campagnes d’intimidation, estime, auprès de « Marianne », le professeur en question.

      Si Klaus Kinzler enseigne à l’Institut d’études politiques (IEP) de Grenoble, il n’y a pas donné cours depuis mars, après que son année universitaire a été perturbée par une vive polémique. Sur les murs de l’IEP, des affiches mentionnant son nom et le qualifiant d’« islamophobe » ont fleuri en début d’année. En cause : une querelle entre professeurs lors d’un échange de mails qui a fait grand bruit dans la communauté enseignante et étudiante de l’établissement. Klaus Kinzler s’y opposait à l’utilisation du terme « islamophobie » dans l’organisation d’une semaine de lutte contre les discriminations.

      (#paywall)
      https://www.marianne.net/societe/laicite-et-religions/islamophobie-a-liep-de-grenoble-la-chasse-ideologique-aux-enseignants-est-

    • La liberté académique est-elle en danger ?

      La liberté du chercheur serait aujourd’hui sérieusement menacée en France et aux Etats-Unis et, avec elle, la pratique même du métier. C’est la thèse d’#Olivier_Beaud, Professeur de droit public à l’université de Panthéon-Assas, auteur de l’ouvrage « Le savoir en danger » (PUF, 2021), et notre invité.

      https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/la-liberte-academique-est-elle-en-danger

    • Sciences-Po Grenoble : Laurent Wauquiez ou les ravages de la « #cancel_culture »

      Après qu’un professeur de l’IEP de Grenoble a été suspendu, Wauquiez a décidé de couper le financement que la région versait à l’établissement. La droite LR « cancel », l’extrême droite applaudit.

      La « cancel culture », c’est la droite qui la dénonce le plus mais c’est encore elle qui la pratique le mieux. Après qu’un professeur de Sciences-Po Grenoble, Klaus Kinzler, a été suspendu pour quatre mois de ses fonctions par la direction qui lui reproche d’avoir tenu des « propos diffamatoires », le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, a annoncé vouloir suspendre les financements accordés à l’école par la collectivité.

      « Sciences-Po Grenoble est depuis trop longtemps dans une #dérive_idéologique et communautariste inacceptable, a tweeté Laurent Wauquiez. Ce n’est pas ma conception de la République : la région Auvergne-Rhône-Alpes suspend donc tout financement et toute coopération avec l’établissement. » Soit un soutien financier - environ 100’000 euros par an hors investissements sur projets - qui consiste à attribuer des bourses aux étudiants, à soutenir des formations continue pour faciliter l’accès à l’enseignement supérieur et à l’emploi, ainsi que l’action sociale.

      L’affaire remonte à décembre 2020, quand Klaus Kinzler, professeur de civilisation allemande, s’oppose de manière virulente, dans un groupe de travail, à l’utilisation du mot « islamophobie » lors d’un futur colloque. Il obtient gain de cause. Deux mois plus tard, son nom et celui d’un de ses collègues sont placardés sur des affiches par des étudiants les accusant d’être islamophobes et « fascistes ».

      Un institut de « rééducation politique »

      Dans le contexte inflammable lié aux polémiques sur l’« islamo-gauchisme », l’événement prend une ampleur nationale. Frédérique Vidal émet le souhait de voir les colleurs d’affiches sanctionnés. Le 26 novembre, seize des dix-sept étudiants de l’IEP poursuivis devant la commission de discipline de l’université de Clermont-Auvergne sont finalement relaxés. Une décision prise à l’unanimité, relate le Monde. Un seul étudiant sera sanctionné, une exclusion temporaire avec sursis.

      C’est à la suite de cette décision que l’affaire est relancée. Dans une interview à l’Opinion, l’enseignant Klaus Kinzler décrit Sciences-Po Grenoble comme un institut de « rééducation politique » en accusant un « noyau dur » de collègues, adeptes selon lui du « wokisme » ». Ce qui pousse la directrice de l’établissement, Sabine Saurugger, a prendre un arrêté dans lequel elle reproche à Klaus Kinzler d’avoir « gravement méconnu plusieurs obligations », notamment en matière de « discrétion professionnelle ». Et de le suspendre de ses fonctions pour une durée de quatre mois tout en conservant son traitement et ses indemnités, comme le révèle le Figaro. D’où la décision de Wauquiez de priver l’école de subventions...

      La direction de l’IEP dit regretter dans un communiqué une décision qui semble motivée par « un motif politique, davantage que par la réalité au sein de l’institution, alors même que l’IEP Grenoble-UGA aurait gagné du soutien de tous ses acteurs soucieux de l’intérêt de ses étudiants et de la communauté universitaire ». D’autant plus dans un contexte de cruel manque de moyen, de précarisation des étudiants et d’un rebond pandémique du Covid-19.

      Deux subventions à l’ONG libanaise #Nawraj

      En revanche, l’annonce de Laurent Wauquiez, qui fut lui-même ancien ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche de juin 2011 à mai 2012, a été chaleureusement accueillie par l’extrême droite. Le candidat néo-pétainiste à la présidentielle Eric Zemmour a salué sa façon de « couper court à l’infiltration de nos grandes écoles par l’islamo-gauchisme ». Suivi d’un « bravo ! » de Marine Le Pen. La droite LR cancel. L’extrême droite applaudit.

      A noter qu’en septembre 2020, Mediapart révélait que la région Auvergne-Rhône-Alpes, présidée par Laurent Wauquiez, venait de voter deux subventions (36’000 euros et 70’000 euros) à l’ONG libanaise Nawraj. L’association étant dirigée par #Fouad_Abou_Nader, un ancien chef des #Phalanges, ces milices chrétiennes responsables de nombreux massacres pendant la guerre civile.

      Un discours convenu et abondamment relayé par une certaine presse (le Point, le Figaro, Valeurs actuelles...) attribue sans détour la « cancel culture » au répertoire militant d’étudiants de gauche et d’universitaires menant des travaux sur les discriminations systémiques. Laurent Wauquiez et l’extrême droite font l’implacable démonstration que cette pratique n’est pas l’apanage du progressisme, elle peut tout aussi bien être réactionnaire, conservatrice et antisociale.

      https://www.liberation.fr/idees-et-debats/sciences-po-grenoble-laurent-wauquiez-ou-les-ravages-de-la-cancel-culture

    • Suspension de Klaus Kinzler à Sciences Po Grenoble : la lettre de 40 personnalités à Frédérique Vidal

      Dans une #lettre_ouverte, 40 personnalités, pour la plupart issues du monde universitaire, interpellent la ministre de l’Enseignement supérieur pour lui demander d’agir face à ce qu’ils perçoivent comme une censure imposée par un courant militant.

      Klaus Kinzler, enseignant à Sciences Po Grenoble, accusé d’islamophobie, s’est longtemps défendu en alertant les médias sur la dérive de son établissement et la chasse aux sorcières dont il se sentait victime. La direction vient de le suspendre au motif qu’il aurait bafoué son obligation de réserve et de discrétion.

      –-

      Lettre ouverte à Madame Frédérique Vidal, ministre de l’Enseignement supérieur

      Madame la ministre,

      La situation à l’IEP de Grenoble et les poursuites engagées contre notre collègue Klaus Kinzler démontrent, s’il en était besoin, que la liberté d’expression des universitaires, de même que leur liberté académique dans le cadre de leur enseignement et de leur recherche, libertés dont vous êtes la première garante, sont en péril dans notre pays.

      Depuis quelques années un courant militant -et se revendiquant comme tel- cherche à imposer, dans de nombreux établissements d’enseignement supérieur, en particulier dans le domaine des sciences sociales, un discours exclusif. Or c’est une chose d’accueillir de nouveaux champs d’études et de nouveaux paradigmes ; c’en est une tout autre de leur laisser acquérir une domination voire une hégémonie institutionnelle, alors même que leur pertinence scientifique fait l’objet, comme vous le savez, d’un intense débat intellectuel.

       » LIRE AUSSI - Sciences Po Grenoble, au cœur d’une passe d’armes politique

      Vous vous étiez vous-même émue de l’extension dans l’Université de ce que vous avez nommé « l’islamo-gauchisme » - qui est l’une des manifestations de ces dérives - et aviez annoncé un rapport sur ce sujet en février de cette année. Force est de constater que, près d’un an plus tard, ce rapport, sans cesse promis et sans cesse reporté, n’a toujours pas vu le jour.

      De même, nous attirons votre attention sur le rapport de l’Inspection générale que vous avez missionnée à l’IEP de Grenoble, relevant qu’« au terme de ses travaux, il ne fait pas de doute […] que ce sont les accusations d’islamophobie qui sont la cause de la grave détérioration du climat de l’IEP » (p. 2) et « qu’un climat de peur s’était installé depuis plusieurs mois parmi les étudiants de l’IEP du fait de cette utilisation par l’U[nion] S[yndicale] d’accusations (graves, puisqu’il s’agit de délits, voire de crimes tels que le viol) diffusées sur les réseaux sociaux contre tous ceux qui ne lui semblent pas partager ses positions » (p. 3). Or, il s’avère que la personne désormais poursuivie est celle-là même qui a alerté sur ces agissements et qui, nous vous le rappelons avec gravité, est menacée de mort pour cette prétendue « islamophobie » : notre collègue Klaus Kinzler. Et ces poursuites ont lieu au rebours des traditions de l’université française comme de la jurisprudence de la CEDH.

      Dans ce contexte, où la liberté d’expression est menacée par des sanctions disciplinaires, voire pénales ; où le pluralisme de l’enseignement et de la recherche est contrecarré par des manœuvres d’intimidation, et donc par l’autocensure croissante de nos collègues, en particulier des plus jeunes, puisque leur carrière en dépend ; où, enfin, un nombre croissant d’étudiants font part de leur inquiétude devant ce qu’ils ressentent comme une entreprise de formatage et de propagande, notre question est simple : que comptez-vous faire précisément, Madame La ministre ?

      Avec nos salutations les plus respectueuses,

      À VOIR AUSSI - Science Po Grenoble : Faut-il dissoudre l’UNEF ?

      Liste des premiers signataires

      Michel Albouy, professeur émérite en sciences de gestion, Université Grenoble Alpes

      Claudine Attias-Donfut, sociologue

      Sami Biasoni, essayiste, docteur en philosophie

      Christophe Boutin, professeur de droit public, Université de Caen-Normandie

      Jean-François Braunstein, professeur de philosophie, Université Paris 1 Sorbonne

      Pascal Bruckner, essayiste et philosophe

      Joseph Ciccolini, professeur des Universités - Praticien Hospitalier

      Albert Doja, professeur d’anthropologie, Université de Lille

      Laurent Fedi, université de Strasbourg

      Monique Gosselin-Noat, professeur émérite de littérature

      Yana Grinshpun, linguiste, Paris 3

      Philippe Gumplowicz, professeur de musicologie Université Evry-Paris-Saclay

      Nathalie Heinich, sociologue

      Emmanuelle Hénin, professeur de littérature, Sorbonne Université

      Hubert Heckmann, maître de Conférence en Littérature médiévale, Université de Rouen

      Mustapha Krazem, linguiste, université de Lorraine

      Arnaud Lacheret, associate Professor

      Anne-Marie Le Pourhiet, professeur de droit public à l’Université Rennes 1

      Andrée Lerousseau, maître de Conférence à l’université Lille 3 en Philosophie

      Samuel Mayol, maître de Conférence, Paris 13

      Michel Messu, professeur honoraire de philosophie

      Frank Muller, professeur émérite d’histoire moderne

      Observatoire du décolonialisme et des idéologies identitaires

      Bernard Paqueteau, professeur en Sciences Politiques

      Rémi Pellet, professeur à la faculté de Droit Université de Paris et à Sciences Po Paris

      Gérard Rabinovitch, philosophe

      Pascal Perrineau, professeur émérite des universités à Sciences Po

      François Rastier, linguiste, Directeur de Recherche émérite au CNRS

      Philippe Raynaud, philosophe, Paris II

      François Roudaut, professeur (Université Montpellier III)

      Xavier-Laurent Salvador, linguiste, Sorbonne Paris Université

      Perrine Simon Nahum, historienne et philosophe

      Jean Paul Sermain, professeur émérite de Littérature

      Jean Szlamowicz, linguiste

      Pierre-Henri Tavoillot, philosophe, Sorbonne-Université

      Pierre-André Taguieff, directeur de recherche au CNRS

      Thibault Tellier, professeur des universités, Sciences Po Rennes

      Dominique Triaire, professeur émérite de littérature française, Université de Montpellier

      Pierre Vermeren, professeur d’Histoire, université Paris I

      Christophe de Voogd, historien

      Nicolas Weill-Parot, directeur d’études à l’EPHE

      https://www.lefigaro.fr/vox/societe/suspension-de-klaus-kinzler-a-sciences-po-grenoble-la-lettre-de-40-personna

    • Sciences Po Grenoble : après l’éviction de Klaus Kinzler, Frédérique Vidal appelle à « la sérénité »

      La ministre de l’Enseignement supérieur, qui s’était émue de l’emprise de « l’islamo-gauchisme » à l’IEP de Grenoble, a été interpellée par des intellectuels.

      Alors que les réactions se succèdent, après la suspension par la directrice de l’IEP de Grenoble du professeur d’allemand Klaus Kinzler - dont le nom, en mars, avait été placardé sur les murs de l’école assortis d’accusation de « fascisme et d’islamophobie », la ministre de l’Enseignement supérieur, Frédérique Vidal, appelle « chacun à se remettre au travail dans la sérénité » . « Elle a demandé à l’inspection générale de renforcer son suivi et au recteur délégué de rester en contact avec la directrice pour accompagner l’établissement », expliquent ses services. Frédérique Vidal précise que cette suspension « n’entrait pas dans les préconisations » du rapport des inspecteurs généraux missionnés à l’IEP lors de la crise, mais que les relations entre un professeur et sa direction « sont du ressort des relations entre un employeur et un membre de son personnel » .

      Une réponse bien pâle, au vu des débats enflammés autour de l’affaire. Dans une tribune publiée mardi sur lefigaro.fr, 40 personnalités essentiellement issues du monde universitaire - dont le philosophe Pierre-André Taguieff, la sociologue Nathalie Heinich, le linguiste Xavier-Laurent Salvador, ou l’essayiste Pascal Bruckner- ont interpellé la ministre, dénonçant une censure imposée par un courant militant. « Vous vous étiez vous-même émue de l’extension dans l’Université de ce que vous avez nommé “l’islamo-gauchisme” et aviez annoncé un rapport sur ce sujet en février » , écrivent-ils, constatant que ce rapport n’est toujours pas venu. Ils rappellent aussi le rapport des inspecteurs généraux, rendu en mai, concluant que « les accusations d’islamophobie » étaient « la cause de la grave détérioration du climat » à l’institut et « qu’un climat de peur s’était installé ».

      Mercredi, c’est Richard Malka, l’avocat de Charlie Hebdo et de Mila, qui a pris la plume dans L’Express , déplorant « une injonction à courber l’échine » de la part d’une direction de l’IEP pour laquelle « il faut réduire au silence pour que plus aucun professeur, jamais, partout en France, n’ose contester le dogme naissant », écrit-il, décrivant « sur notre territoire, un petit Pakistan situé dans cette bonne ville de Grenoble » , « un laboratoire de la pensée stalinienne ». Sur Twitter, Manuels Valls, premier ministre lors du quinquennat Hollande, a soutenu quant à lui la décision de Laurent Wauquiez, président LR de la région Auvergne-Rhône-Alpes, de suspendre ses subventions à l’IEP.

      La ministre Frédérique Vidal s’en tient aux recommandations du rapport de l’inspection. « L’établissement a retrouvé le calme , explique-t-elle. Des rappels à l’ordre ont été faits aux enseignants qui avaient commis des maladresses. Une procédure à l’encontre des étudiants a été enclenchée devant la section disciplinaire de Clermont-Ferrand ». Celle-ci s’est soldée, en novembre, par la relaxe des étudiants poursuivis pour leur participation à la diffusion des accusations d’islamophobie. Après quoi Klaus Kinzler avait à nouveau pris la parole dans les médias, décrivant Sciences Po Grenoble comme un institut de « rééducation politique » et pointant une direction « otage » des « ultras ». Propos qui lui ont valu quatre mois de suspension et la convocation prochaine devant un conseil de discipline.

      https://www.lefigaro.fr/actualite-france/sciences-po-grenoble-apres-l-eviction-de-klaus-kinzler-frederique-vidal-app

    • Sciences Po Grenoble : « C’est Laurent Wauquiez qui porte atteinte à la liberté académique »

      Professeur à l’IEP Grenoble, le politologue #Yves_Schemeil dénonce un emballement médiatique autour de Klauz Kinzler, ce professeur d’allemand venant d’être suspendu.

      Et voilà l’IEP de Grenoble à nouveau au centre des polémiques. Le professeur d’allemand Klaus Kinzler a été suspendu par la directrice de l’institut d’études politiques, Sabine Saurugger, pour des « propos diffamatoires » contre l’établissement. L’enseignant avait été accusé d’ « islamophobie » par certains étudiants. Depuis, il dénonce dans les médias un climat de « terreur » et une « chasse idéologique » au sein de l’IEP. Laurent Wauquiez, président (LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a annoncé suspendre tout financement (100.000 euros par an) à l’IEP, en raison d’une « dérive idéologique inacceptable ». Dans une tribune publiée par l’Express, Richard Malka, avocat de Charlie Hebdo et Mila, est allé jusqu’à qualifier Sciences Po Grenoble de « petit Pakistan » et « laboratoire de pensée stalinienne ».

      Le politologue Yves Schemeil, professeur émérite à l’IEP Grenoble et ancien directeur de l’institut, dénonce pour sa part un #emballement_médiatique entretenu par un professeur absent des lieux depuis une longue période. Selon lui, les accusations de « wokisme » ou « d’islamo-gauchisme » ne correspondraient nullement à la réalité. « En réalité, il n’y a à l’IEP ni recherches ni enseignements portant sur le post-colonialisme ou sur le genre » déclare-t-il, alors que les étudiants seraient, très majoritairement, bien plus préoccupés par leur avenir professionnel que par les batailles idéologiques. Entretien.

      L’Express : Klaus Kinzler a été suspendu en raison de propos jugés « diffamatoires » contre l’IEP de Grenoble. Qu’en pensez-vous ?

      Yves Schemeil : Klaus Kinzler est un #PRAG, autrement dit un professeur agrégé du secondaire détaché à l’IEP. N’étant pas universitaire, il a pour seule obligation d’assurer des cours de langue. Malheureusement, il a été souvent absent de l’IEP ces dernières années, ce qui ne l’empêche pas de critiquer publiquement l’institution. Quand on est responsable d’établissement public on doit faire respecter le droit. C’est justement ce que la directrice a fait. L’arrêté de suspension qu’elle a signé ne prive pas ce collègue de traitement ; il ne peut simplement plus s’exprimer dans les médias en tant que membre de l’institution sinon il s’exposerait à des sanctions disciplinaires.

      Dans Le Figaro, 40 personnalités se sont inquiétées des menaces sur la liberté académique...

      Comme l’a rappelé Olivier Beaud, professeur de droit et auteur d’un livre dénonçant les menaces sur la liberté académique, celle-ci repose sur la liberté d’expression, certes, mais aussi sur la liberté d’enseigner et aussi sur la liberté de recherche, alors que Klaus Kinzler n’en fait pas. Par ailleurs, l’IEP est un lieu où l’on est libre de dire ce que l’on veut car on n’y a jamais censuré personne. Celui qui s’est comporté en censeur c’est Klaus Kinzler lui-même en refusant que le concept d’"islamophobie" soit mis sur le même plan que l’antisémitisme et le racisme dans l’intitulé d’un débat public. Les membres du groupe de travail chargé de le préparer étaient pourtant prêts à en discuter avec lui, mais il a apparemment refusé de faire des concessions. La liberté académique n’est donc pas du tout en cause dans cette affaire.

      Klaus Kinzler dénonce une dérive idéologique et un « endoctrinement » à l’IEP Grenoble...

      J’ai dirigé l’IEP de Grenoble de 1981 à 1987. Je peux vous assurer que son idéologisation était forte à l’époque. Dans un contexte anticapitaliste, des syndicalistes pouvaient séquestrer des responsables ou interdire l’accès à des locaux. Aujourd’hui, je travaille dans des équipes de recherche de l’institut aux côtés des personnes implicitement visées par Klaus Kinzler. Je peux vous certifier que je n’ai rien constaté qui corresponde à ce qu’il décrit. Chaque année, 5000 jeunes, souvent avec une mention très bien au bac, candidatent pour intégrer l’IEP de Grenoble. Ils veulent obtenir une bonne formation et un diplôme doté d’une valeur sur le marché du travail leur permettant ensuite d’accéder à des secteurs d’activité très variés. C’est ça leur priorité.

      En tant que professeur il m’arrive parfois de regretter que les débats sur les questions d’actualité ne soient pas plus fréquents. C’est dû au fait que les jeunes arrivant à l’IEP sont souvent de bons élèves persuadés qu’ils devraient connaître suffisamment un sujet avant d’oser en parler dans une salle de cours, encore moins émettre des critiques « révolutionnaires ». Un collègue qui se dit lui-même très à gauche a déclaré le 21 décembre sur Twitter que nous serions « le pôle le plus positiviste de France », s’étonnant ainsi de l’accusation selon lui imméritée d’être une maison anticapitaliste. Il est vrai qu’à Sciences Po Grenoble il n’y a que très peu de militants qui cherchent à mobiliser leurs collègues étudiants.

      Le rapport de l’Inspection générale avait estimé que tous les acteurs avaient commis des erreurs d’appréciation et des maladresses dans cette affaire, mais il mettait aussi en avant un « climat de peur » de la part d’étudiants...

      Il y a eu des maladresses de tous les côtés, c’est vrai. Une série d’erreurs a produit des effets beaucoup plus importants que leur cause ne l’aurait objectivement justifié. En ce qui concerne les étudiants actuels, une minorité a probablement un agenda politique, sur les questions de genre ou de violences contre les femmes. Mais dans l’ensemble, les étudiants sont très peu activistes. Et puis est arrivée cette histoire : certains ont dû estimer que c’était un bon vecteur de mobilisation. Il faut distinguer cet activisme critiquable des affiches dénonçant Klaus Kinzler et un de ses collègues, sur lesquelles on pouvait lire « des fascistes dans nos amphis. L’islamophobie tue ». On ne sait toujours pas qui en sont les auteurs, l’enquête policière ne semble pas avoir abouti, ce pourrait être n’importe qui. Au centre du campus, l’IEP a toujours attiré des groupes venant d’autres facultés, les responsables de cet affichage pourraient très bien venir d’ailleurs.

      Et que pensez-vous de la décision de Laurent Wauquiez de suspendre les financements de la région ?

      C’est une suspension, comme vous le dites. Pour l’instant, il s’agit plutôt d’un coup de menton qu’autre chose. Laurent Wauquiez ne peut pas couper du jour au lendemain les bourses régionales que perçoivent les étudiants. Il y a aussi des programmes de recherche en cours, qui ne sont pas soldés, leur financement n’étant complété qu’une fois qu’ils seront terminés. Concrètement, cette menace ne pourrait alors s’appliquer que l’an prochain, ou même ultérieurement. Pour l’instant, c’est seulement une déclaration destinée à montrer qu’on est ferme vis-à-vis d’une dérive supposée frapper l’université.

      Car la sortie de Laurent Wauquiez vise l’université dans son ensemble, où travaillent des personnes - étudiants et professeurs - dont il estime qu’elles ne lui sont pas favorables et qu’elles sont trop à gauche. Il a donc des motifs électoraux de saisir cette opportunité. Pour l’instant, cela ne m’inquiète pas, ce qui me préoccupe c’est qu’une autorité politique cherche à peser sur le contenu des enseignements et des recherches à l’université. Paradoxalement, ce sont donc Laurent Wauquiez et Klaus Kinzler qui portent atteinte à la liberté académique et non pas les membres de l’IEP de Grenoble.

      En défendant votre institution, n’êtes-vous pas dans le « pas de vague » ?

      Je n’ai aucun enjeu personnel ni conflit d’intérêts dans cette affaire, mais j’en connais bien les protagonistes et je travaille régulièrement dans les mêmes locaux qu’eux. Je constate simplement que le dossier de l’accusation est vide. Je suis de plus sidéré par l’ampleur que la polémique a pris. Je ne comprends pas que des éditorialistes considèrent, sans vérifier leurs sources, qu’il y aurait une proportion significative d’étudiants ou de professeurs adeptes de la culture dite « woke ». En réalité, il n’y a à l’IEP de Grenoble ni recherches ni enseignements portant sur le post-colonialisme ou sur le genre, ce qui pourrait être un jour un problème.

      L’islam, lui, est un sujet parmi d’autres, ni plus ni moins. Dans mes cours sur le Moyen-Orient j’ai dit des choses pour lesquelles j’aurais pu être critiqué si l’on était vraiment dans une situation où il ne faudrait pas discuter de ce qui touche à la conviction religieuse. En réalité, nous avons toujours eu sur ces sujets délicats des conversations très civiles, y compris avec des personnes de confession musulmane, françaises ou étrangères.

      Franchement, la situation décrite dans les médias ressemble tellement peu à ce que je connais ! Toute cette affaire est déconnectée de la réalité. Sur les plateaux de télévision c’est la course au buzz, on prend pour argent comptant tout ce que dit un homme qui sait parler aux médias et qui cherche peut-être à compenser ainsi ce qu’il perçoit comme une absence de reconnaissance à l’université. Mais l’histoire qu’il leur raconte est à dormir debout, c’est celle que les gens ont envie d’entendre, un récit selon lequel l’université serait noyautée d’islamistes ou de « décoloniaux ».

      Mais sur le fond, Klaus Kinzler n’a fait que protester contre l’usage d’un terme, « islamophobie », qui tend à assimiler la critique - légitime - d’une religion à l’hostilité contre un groupe de personnes, les musulmans. Cette notion est défendue par des groupes militants comme le CCIF...

      Je comprends les réticences vis-à-vis de ce terme. Dans le monde anglophone, la notion est utilisée pour décrire les discriminations contre les musulmans. En France, certains estiment qu’on ne peut pas associer ce terme à d’autres formes de racismes, d’autant que le CCIF ou d’autres activistes proches de l’islam radical cherchent à le placer au même niveau que l’antisémitisme. Le terme d’islamophobie n’est sans doute pas judicieux en français, mais en débattre était justement l’enjeu d’une discussion qui n’a finalement pu se dérouler jusqu’au bout, suite au retrait de Klaus Kinzler lui-même alors que le groupe avait choisi de mettre un point d’interrogation après le mot « islamophobie ». Le programme de recherche de la collègue à laquelle Klaus Kinzler s’est opposé porte sur l’antisémitisme musulman au Maghreb. Vous voyez qu’on est loin de l’islamophilie ! D’ailleurs, à cette époque les discussions au sein de l’IEP portaient sur toutes les discriminations et pas seulement envers des personnes de confession musulmane. Encore une fois, comme d’autres collègues, je n’ai jamais eu aucune difficulté de critiquer à l’IEP des décisions prises par des autorités arabes ou musulmanes. Et j’ai eu des étudiants de tous les pays.

      Pour résumer, l’utilisation d’un terme compris différemment dans le débat public français et dans les discussions académiques surtout anglo-saxonnes a engendré un faux problème. On ne doit pas en déduire qu’on ne peut plus discuter librement de l’islam à l’IEP. Klaus Kinzler se présente en lanceur d’alerte, mais l’institut qu’il dépeint ne ressemble pas à ce qu’il est vraiment. Il semble avoir perdu tout contact avec la réalité de Science Po.

      https://www.lexpress.fr/actualite/idees-et-debats/sciences-po-grenoble-c-est-laurent-wauquiez-qui-porte-atteinte-a-la-liberte

    • Sciences-po Grenoble : 5 minutes pour comprendre l’affaire Klaus Kinzler

      L’établissement a décidé de suspendre son professeur, accusé d’avoir proféré des « propos diffamatoires » dans les médias. A quatre mois de la présidentielle, la classe politique s’en mêle.

      Voilà des mois que Sciences-po Grenoble s’invite régulièrement dans les médias. Il faut remonter à il y a plus d’un an maintenant pour comprendre comment la direction a fini par suspendre l’un de ses professeurs, accusé d’avoir tenu des propos diffamatoires à son endroit.

      Klaus Kinzler, professeur d’allemand au sein de l’établissement, avait été nommément cité en mars dernier sur des affiches placardées sur les murs de l’IEP, accusé « d’islamophobie » et de fascisme.

      Comment a démarré cette affaire ?

      Tout a commencé en novembre 2020. En pleine deuxième vague Covid, se prépare à distance une « semaine pour l’égalité et la lutte contre les discriminations ». Plusieurs groupes de travail mêlant enseignants et étudiants sont constitués dans ce cadre. C’est dans l’un de ses groupes que vont se révéler des dissensions entre monsieur Kinzler et l’une de ses collègues au sujet de l’intitulé des débats dont leur groupe est en charge : « Racisme, antisémitisme et islamophobie ».

      Dans des échanges de courriels, Klaus Kinzler estime inadéquat le fait de classer au même rang la notion d’islamophobie avec le racisme et l’antisémitisme. Il confie notamment ne pas aimer « beaucoup » l’islam, qui lui fait franchement peur « comme elle fait peur à beaucoup de Français ». Sa collègue s’oppose à ses arguments.

      Leurs échanges, dont les étudiants du groupe sont également destinataires, finissent par dégénérer. La directrice de l’IEP, Sabine Saurugger demande à monsieur Kinzler de présenter ses excuses à sa collègue, ce qu’il fera par deux fois par mail. Le terme islamophobie est retiré de l’intitulé des débats.

      Mais la pression va rapidement remonter d’un cran. Le 7 décembre, entre deux courriels d’excuses de Klaus Kinzler, le directoire du laboratoire PACTE, auquel est rattachée l’enseignante, publie un communiqué (supprimé depuis). Sa directrice, Anne-Laure Amilhat Szary, tient à affirmer « son refus de tout comportement agressif et de tout argument d’autorité dans le débat scientifique ». Elle ajoute que « l’instrumentalisation politique de l’islam et la progression des opinions racistes dans notre société légitiment la mobilisation du terme islamophobie dans le débat scientifique et public. »

      Quelques semaines plus tard, des élus du syndicat étudiant de l’Union syndicale publient à leur tour un texte dans lequel ils dévoilent des extraits des courriels attribués au professeur. Le syndicat appelle la direction de l’établissement à « statuer sur son cas ». Il dépose plainte le 27 février pour discrimination syndicale. Elle sera classée sans suite.

      Pourquoi a-t-elle dégénéré ?

      Le 4 mars 2021, des collages sont placardés dans les locaux de l’IEP de Grenoble. Klaus Kinzler et l’un de ses collègues sont cités nommément. La tension monte d’un cran. « Sciences Porcs », « des fascistes dans nos amphis », « l’islamophobie tue », peut-on lire. Des étudiants publient des photos de ces écrits sur les réseaux sociaux. Le syndicat étudiant Unef relaie également l’opération sur les réseaux sociaux avant de se rétracter. Les noms des deux enseignants sont jetés en pâture. Ils sont placés sous protection policière. Une enquête est lancée.

      L’affaire prend alors une dimension médiatique. Klaus Kinzler est invité sur plusieurs plateaux de télévision pour livrer sa version des faits. Le 9 mars, il se montre notamment sur CNews dans l’émission de Pascal Praud. Le présentateur critique ouvertement Anne-Laure Amilhat Szary. Il dit voir en elle « le terrorisme intellectuel qui existe dans l’université ». Klaus Kinzler renchérit en la décrivant comme « un grand chercheur directeur de laboratoire de recherche [qui] se met en dehors de la science ». Qui « ne comprend pas la science ».

      À son tour, la directrice du laboratoire se retrouve harcelée sur les réseaux sociaux. Elle demande une protection fonctionnelle qui lui est rapidement accordée par sa tutelle, le président de l’université Grenoble-Alpes. Elle porte plainte en diffamation et diffamation à caractère sexiste contre son collègue et Pascal Praud. Mais aussi pour « menace de mort » et « cyberharcèlement ».

      Comment la direction a-t-elle réagi ?

      Après la diffusion des affiches, la directrice de l’IEP de Grenoble Sabine Saurugger avait estimé que ces dernières ont mis en danger « non seulement la vie des deux collègues, mais également l’ensemble des communautés étudiantes, enseignantes, personnel administratif ». Et de poursuivre, évoquant Klaus Kinzler : « Je pense qu’il y a un ton qui est extrêmement problématique dans ses propos, avec des idées qui sont développées parfois un peu rapidement, et donc un rappel à l’ordre et une incitation au dialogue ont été entrepris », par la direction.

      Sabine Saurugger estimait également que la demande faite par Klaus Kinzler aux étudiants de son groupe membres de l’Union syndicale de quitter ses cours était « clairement discriminatoire ».

      Frédérique Vidal, la ministre en charge de l’Enseignement supérieur, ne goûte alors que peu à ces déclarations. Plus tôt, elle avait demandé un rapport à l’inspection générale pour faire la lumière sur le déroulé des faits. Sur BFMTV, elle disait regretter l’attitude du syndicat étudiant, qui aurait dû selon elle se cantonner à son rôle, celui « d’être dans la médiation, pas de jeter les gens en pâture sur les réseaux sociaux ».

      Quelles sont les conclusions de l’inspection générale ?

      Dans ses conclusions, rendues le 8 mai dernier, l’inspection générale avançait « que tous les acteurs de cette affaire ont commis des erreurs d’appréciation, des maladresses, des manquements et fautes, plus ou moins graves, plus ou moins nombreux ». Une certaine inexpérience de la direction est relevée. Elle estime que Klaus Kinzler « a porté atteinte à l’image et à la réputation du corps enseignant et, au-delà, de l’établissement, décrédibilisé une instance de l’Institut ». L’inspection recommande de lui adresser un dernier rappel à l’ordre.

      Pour l’inspection, Anne-Laure Amilhat Szary aurait dû se voir notifiée « des fautes qu’elle a commises dans cette lamentable affaire ». Elle se trouve accusée d’avoir dramatisé la polémique dans son communiqué du 7 décembre. Mais aussi d’avoir contraint le corps enseignant à prendre position dans cette affaire et à choisir leur camp. « On se retrouve avec des agressés et des agresseurs renvoyés aux mêmes types de sanctions, c’est très problématique », commente-t-elle alors auprès de nos confrères du Monde. « La ministre a publiquement manifesté son indignation et son soutien quand le nom de mes collègues a été affiché, mais n’a pas réagi quand j’ai été à mon tour dangereusement menacée », poursuivait-elle.

      Une affaire devenue politique

      À moins de quatre mois de l’élection présidentielle, l’affaire Klaus Kinzler a pris une dimension politique. La direction de l’établissement vient de suspendre le professeur, accusé d’avoir tenu des propos diffamatoires contre l’établissement lors de ses passages à la télévision. Lancé dans une véritable croisade contre les pratiques qui seraient en cours au sein de l’IEP de Grenoble depuis plusieurs moi, Klaus Kinzler avait notamment décrit l’école comme un institut de « rééducation politique », accusant un « noyau dur » de ses collègues d’endoctriner des étudiants à la culture du « wokisme », face à une direction impuissante. Dans son arrêté de suspension, la directrice Sabine Saurugger estime que l’enseignant a « gravement méconnu à plusieurs obligations », notamment en matière de « discrétion professionnelle ».

      Cette sanction a fait bondir plusieurs personnalités politiques. Dans une tribune publiée chez nos confrères de l’Opinion, le député François Jolivet demande la mise sous tutelle de l’établissement, ainsi que l’ouverture d’une commission d’enquête parlementaire sur la situation des universités françaises.

      Chez Les Républicains, Valérie Pécresse se dit inquiète « de ce que la liberté d’expression ne soit plus assurée à l’IEP de Grenoble » et demande à Frédérique Vidal de diligenter une nouvelle mission d’inspection sur la situation. Elle a été suivie par Éric Ciotti, l’eurodéputé François-Xavier Bellamy et le président de la région Rhône-Alpes Laurent Wauquiez. Dans un communiqué de presse, il a annoncé sa décision de suspendre l’ensemble des financements de la région à l’établissement. Une décision saluée par Marine Le Pen sur les réseaux sociaux.

      Cette suspension des financements a été soutenue, à demi-mots, par le ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, qui voit dans la suspension de Klaus Kinzler une « erreur formelle » de la part de la direction de l’établissement. « Je pense qu’il faut bien entendu réagir », a-t-il affirmé mercredi sur LCI, au sujet de la décision de Laurent Wauquiez, estimant qu’il faut toutefois éviter « les mesures spectaculaires ».

      Dans un communiqué de presse, la direction de l’établissement voit de son côté dans la suspension des financements de la région une décision politique. Elle précise que « le soutien financier de la région (…) ne consiste pas en des subventions mais essentiellement en l’attribution de bourses aux étudiants ». Elle appelle Laurent Wauquiez à revenir sur sa décision dans l’intérêt des étudiants. « L’IEP de Grenoble-UGA fait désormais l’objet d’accusations ineptes de dérive idéologique et communautariste, de wokisme ou encore de cancel culture, qui n’ont aucun fondement », poursuit le communiqué.

      https://www.leparisien.fr/societe/sciences-po-grenoble-5-minutes-pour-comprendre-laffaire-klaus-kinzler-21-

    • Le management contre les libertés académiques

      texte (toxique) d’#Alain_Garrigou

      Un professeur a été suspendu par la directrice de Sciences Po Grenoble pour avoir dénoncé dans la presse la politisation de son établissement. Le motif est surprenant — intimer l’ordre de se taire à un universitaire — et la sanction exceptionnelle. Au départ, une controverse sur l’usage du terme « islamophobie » que deux enseignants ne voulaient pas assimiler au racisme comme le faisaient certains de leurs collègues. Une querelle sur un mot que d’aucuns pourraient juger « byzantine ». Cela se gâte quand des affichettes, collées sur les murs de l’établissement, traitent les premiers d’islamophobes. Les esprits s’échauffent à la suite d’échanges interminables de mails, où chacun s’offusque en se considérant pris à parti devant des destinataires divers et variés, le tout dans un contexte de travail distanciel. Un syndicat étudiant a relaté ces messages sur les réseaux sociaux. Les deux enseignants reçoivent alors des menaces physiques. Traduits devant le conseil de discipline, des étudiants impliqués sont relaxés malgré un rapport d’inspection sévère. Puis, un enseignant concerné, Klaus Kintzler, donne deux entretiens à des médias alors que la directrice lui a demandé de ne pas s’exprimer. Il y accuse l’établissement de ne plus offrir les conditions de liberté académique sous l’influence de ce qu’il qualifie de « wokisme ». La sanction tombe au nom d’une autorité qu’on peut dire patronale. Ce qui rompt avec des usages universitaires de collégialité et de règlement arbitré des conflits. Il faut donc comprendre ce qui a changé, notamment depuis la loi Libertés et Responsabilité des Universités (LRU) de 2008, portée par la ministre de l’époque Valérie Pécresse, qui a institué leur autonomie de gestion.

      Les directions universitaires sont issues d’élections auxquelles participent des représentants des enseignants, des personnels administratifs, des représentants syndicaux et des personnalités extérieures. Le temps du mandarinat qui concentrait tout le pouvoir entre les mains des professeurs est bien révolu. On ne s’en plaindra pas mais il faut savoir que les nouvelles règles de gouvernance amorcées par la loi d’orientation de l’enseignement supérieur de 1968 et renforcées par la LRU de 2008 ont introduit la politique dans l’université à deux titres au moins : les élections sont un processus politique de coalitions nouées dans des manœuvres plus ou moins opaques et les considérations partisanes peuvent y avoir une place plus ou moins forte. Tout cela n’est guère transparent. Le plus souvent, le compromis régnait entre des gens soucieux de ne pas mettre en danger une institution fragile et de préserver les conditions de vie commune. Les libertés académiques étaient une sorte de mantra que chacun savait ne pas devoir attaquer par intérêt réciproque. L’épisode de Grenoble est à cet égard une première.

      Il ne faut pas comprendre ce genre de conflit à l’aune des psychologies et des personnalités mais par le contexte délétère qui occupe de plus en plus l’université française (1) À plusieurs reprises, des colloques ou séminaires ont été annulés ou des invitations révoquées au motif que tel ou tel intervenant ne plaisait pas. . Les spécialistes de sciences sociales préfèrent appliquer l’objectivation à d’autres qu’eux mais s’ils prétendent au titre de scientifique, il faut bien qu’ils s’y soumettent. Autrement dit l’affaire n’est qu’un révélateur de tensions accumulées dans l’université : d’un côté une raréfaction des places ; de l’autre, une prolétarisation des conditions sociales. Il est de plus en plus difficile de faire carrière et on y est de moins en moins bien traité et payé. La solution professionnelle de la promotion passait en principe par l’excellence et l’investissement dans le métier. Si cela ne paie pas, ou mal, ou lentement, l’humeur se tourne vers la protestation politique déclarée ou masquée. Le schéma correspond à celui classique de l’inflation des titres scolaires et aux mécanismes de frustration relative. Sur une trajectoire classique d’affirmation, les nouvelles générations cherchent à se différencier. Les différents thèmes de l’intersectionnalité conjuguent cette tentative de renouvellement. En se combinant avec une politisation plus ou moins revendiquée qui, pour les plus engagés, soutient qu’il n’est pas de science qui soit politiquement neutre. Pour les plus anciens universitaires, cela a un parfum de Mai 68. Notre propos n’est pas ici d’évaluer ces ambitions et leurs résultats sauf sur le plan politique. Cette radicalisation s’accompagne d’une contre-radicalisation dont l’affaire Kintzler est un exemple.

      Ce n’est pas un hasard si elle survient dans un Institut d’études politiques (IEP), un type d’établissement particulièrement concerné par la dérive managériale des universités. Dans le sillage de Sciences Po Paris, les IEP de province se sont transformés en business schools. Plus ou moins selon les cas. Avec cette situation extraordinaire d’un droit de regard du pouvoir sur leur direction. On ne s’étonne même pas que la présidence de la République puisse inspirer le choix du directeur de Sciences Po Paris. La surveillance est moindre sur la province mais il reste l’exemple d’une gouvernance de plus en plus proche du privé avec une direction qui se comporte comme des patrons d’entreprise. Les termes mêmes de la directrice sont suffisamment éloquents lorsqu’elle évoque son « devoir d’intervenir lorsque la réputation de l’institution est prise pour cible (...) et lorsqu’on attaque personnellement le personnel de l’établissement » pour en conclure que « dans ce cadre, je joue mon rôle d’employeur face à un membre du personnel ». Ce n’était pas la tradition universitaire où le doyen, en tant que président ou directeur, discutait avec les professeurs sans véritablement exercer d’autorité hiérarchique. Une sorte de primus inter pares assurait une direction collégiale. Non point qu’il n’y ait pas de disputes, voire pire, mais nul n’osait exhiber des sanctions. Sauf à déclencher un éclat de rires ou une franche désapprobation collective (2).

      Ce sont des universitaires qui occupent ces fonctions de direction. Et, comme il se doit, ceux qui ont le moins de goût et de talent pour l’enseignement et la recherche — mes excuses aux exceptions — et bien sûr le plus d’appétit pour les fonctions politiques et bureaucratiques. Leur idéal n’est pas de publier mais de présider. On ne doit pas s’étonner de l’embarras de la ministre de l’université sur sanction grenobloise : une « erreur formelle » selon le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer, la ministre Frédérique Vidal demandant que « chacun se remette au travail dans la sérénité » (3). Comment en serait-il autrement quand les ministres ont eux-mêmes mené une carrière d’apparatchiks d’université puis de ministère ? Ils se trouvent en quelque sorte en porte-à-faux, hostiles intellectuellement à certaines formes de radicalisation mais solidaires socialement de l’autorité bureaucratique. L’autre versant de cette autorité patronale ou managériale est la conversion salariale du statut d’universitaire. Les signes se sont accumulés depuis quelques années. Les professeurs subissent une relégation au statut de salarié qui les voue à une position défensive face à leur directeur ou président. Ces micros indicateurs témoignent des changements infimes qui, cumulés, font des universitaires des salariés comme les autres, tenus aux obligations de loyauté envers l’employeur et à l’obéissance. « Ne pas avoir de patron », un leitmotiv des anciens qui se consolaient ainsi dans les moments inévitables de doute. Que les prétendants d’aujourd’hui le sachent, il est peut-être trop tard.

      Depuis quand s’exprimer dans la presse est-il interdit aux universitaires ? Le coupable aurait mis en cause son établissement. S’agissant de liberté d’expression, la chose est assez importante pour la défendre dans la presse. Ayant subi pendant six ans des poursuites pour diffamation engagées par un conseiller d’un président de la République, Patrick Buisson, puis d’une entreprise de conseil financier (Fiducial), je n’imaginais pas que ce type d’action aurait pu venir de l’université. C’est une chose d’être attaqué en justice par des dirigeants politiques ou économiques qui défendent leurs intérêts contre la liberté d’expression, cela en est une autre de la part d’un corps professionnel qui perd alors sa raison d’être. La voie managériale peut amener à une autre solution. Avec ce nouvel épisode d’une crise où elle a montré qu’elle ne gérait pas « son » entreprise, la directrice de Sciences Po Grenoble aurait déjà dû démissionner. On a bien compris que son obstination était celle d’un chef d’équipe qui s’empare de principes de bon management pour s’en prendre aux autres plutôt qu’à soi-même. Au moins cela aura-t-il eu le mérite de rallier à la liberté académique des défenseurs qu’on ne soupçonnait pas comme Laurent Wauquiez, président du Conseil régional qui a supprimé une subvention à Sciences Po Grenoble. En réalité, faire de celui-ci et de ceux qui l’ont promptement applaudi, comme Marine Le Pen et Eric Zemmour, des défenseurs de la liberté académique est un tour de force comique.

      En sanctionnant, la directrice de Sciences Po Grenoble savait-elle ce qu’elle faisait ? Peut-on ignorer que chaque affaire de ce genre n’engage pas seulement des personnes mais le droit général de s’exprimer ? En ajoutant à la suspension l’annonce d’une plainte en diffamation, et indépendamment du fond de l’affaire, la directrice de Sciences Po Grenoble a engagé une poursuite bâillon contre l’un de ses enseignants (ce qui l’a aussitôt rendu célèbre dans les médias de droite et d’extrême droite). Forcément aux frais de l’institution. Il est probable que la direction agit comme n’importe quel politicien qui, accusé de malversation, répond immédiatement qu’il va porter plainte pour diffamation publique et… ne le fait pas quand son avocat lui explique qu’il n’a aucune chance. Sauf à se lancer dans une procédure qu’il sait perdue d’avance, mais qui aura valeur d’avertissement. Tout accusateur éventuel futur risque de payer cher ses divulgations. De fait il suffit d’être riche pour que l’intimidation fonctionne. Ou qu’une entreprise paie. Ce serait donc Sciences Po Grenoble qui paierait les frais de justice dans une plainte en diffamation avec constitution de partie civile ou non. Dans le premier cas, la plainte donne lieu automatiquement à une mise en examen, dans le second, à une simple incrimination. Dans les deux cas, cela occasionne des frais de justice (quelques milliers d’euros pour son avocat) et la menace d’une condamnation à payer les frais du plaignant et à lui verser des dommages et intérêts. La personne incriminée ou mise en examen a alors la base légale de la protection fonctionnelle. En l’occurrence, Klaus Kinzler devra faire une demande à la direction de son établissement pour obtenir la protection fonctionnelle (loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, article 11). S’il s’agissait de repousser les limites du ridicule, c’est déjà réussi.

      https://blog.mondediplo.net/le-management-contre-les-libertes-academiques

    • cgt : Soutien aux personnels de Sciences Po Grenoble

      Nous dénonçons fermement la décision du Président de Région Laurent Wauquiez de suspendre tous les financements à Sciences Po Grenoble, et la surenchère politique qui s’en est suivie, notamment avec l’intervention du ministre de l’Éducation Nationale Jean-Michel Blanquer. Ces décisions unilatérales et cette surenchère, encourageant les préjugés de l’idéologie d’extrême droite sur une prétendue diffusion de « cancel culture » ou de « wokisme » ou encore d’« islamo-gauchisme » à l’Université, posent un grave problème remettant en cause l’autonomie des établissements d’enseignement supérieur et de recherche, et la liberté académique, garante d’un service public d’ESR de qualité.

      Pour toutes ces raisons, ces décisions et cette instrumentalisation politico-médiatique doivent faire l’objet d’une réaction publique forte du Président de l’UGA pour permettre aux collègues de Sciences Po de travailler dans des conditions acceptables, ce qui n’est pas le cas actuellement. Les collègues vivent une pression et une violence forte, c’est inacceptable. Cette prise de position de la Présidence a été demandée à plusieurs reprises, notamment lors du Conseil Académique du 14 octobre 2021.

      La CGT Université de Grenoble réaffirme toute sa solidarité envers les collègues de Sciences Po Grenoble qui travaillent aujourd’hui sous une pression particulièrement forte : outre cette pression médiatico-politique et les entraves aux libertés académiques qui les empêchent de travailler dans des conditions sereines, l’ensemble des personnels de Sciences Po, enseignant.es, enseignant.es-chercheurs.ses et personnels administratifs et techniques, subissent des conditions de travail particulièrement dures depuis des mois déjà, ayant conduit à de nombreuses alertes dont une alerte pour Danger Grave et Imminent, restées à ce jour sans réelle réponse.

      –-

      Motion du conseil académique de l’UGA du 14 octobre 2021
      Adoptée à l’unanimité

      Le conseil académique de l’UGA apporte son soutien aux collègues du laboratoire Pacte soumis cette année à des menaces particulièrement violentes dans l’exercice de leur activité de recherche.

      Dans un contexte où certaines disciplines, notamment en sciences humaines et sociales, font face à des attaques médiatiques, politiques, ministérielles, qui mettent en danger la liberté académique, le conseil académique confirme la légitimité entière de ces disciplines et des collègues qui y inscrivent leurs travaux.

      Il appelle la présidence de l’UGA à s’associer publiquement à ce soutien et à la défense de la liberté académique contre tous ceux qui tentent de la remettre en cause.

      Le conseil académique réaffirme son attachement à l’article L141-6 du code de l’éducation : « Le service public de l’enseignement supérieur est laïque et indépendant de toute emprise politique, économique, religieuse ou idéologique ; il tend à l’objectivité du savoir ; il respecte la diversité des opinions. Il doit garantir à l’enseignement et à la recherche leurs possibilités de libre développement scientifique, créateur et critique. »

      https://academia.hypotheses.org/33761

    • « Anciens étudiants de Sciences Po Grenoble, nous souhaitons défendre la liberté académique »

      Un collectif regroupant 770 anciens étudiants de Sciences Po Grenoble déplore, dans une tribune au « Monde », la médiatisation dont fait l’objet leur école et regrette l’intervention de dirigeants politiques, tel Laurent Wauquiez, président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, qui a décidé d’arrêter de financer cette institution.

      Tribune. Depuis plusieurs mois, l’Institut d’études politiques (IEP) de Grenoble est le centre de nombreuses polémiques, avec en point d’orgue, le 14 décembre 2021, la suspension pour quatre mois d’un professeur pour cause de manquements aux obligations liées au statut de fonctionnaire. Nous, anciens étudiants et anciennes étudiantes de l’IEP de Grenoble, provenant de tous horizons, observons avec désarroi les différentes prises de position venant de personnalités élues, de ministres, d’universitaires et d’une partie de nos camarades à l’encontre de notre école.

      Nous condamnons toutes les violences dont ont été victimes les enseignants et enseignantes, les chercheurs et chercheuses, et les étudiants et étudiantes. Des enquêtes sont en cours, et nous laissons aux personnes compétentes le soin de prendre les décisions qui seront nécessaires.

      Inquiétude

      Si nous tenons à prendre la parole aujourd’hui, c’est avant tout pour prendre du recul sur la situation et faire part de notre inquiétude concernant l’ingérence potentiellement dangereuse des pouvoirs publics dans les affaires académiques, et l’instrumentalisation politique de cette affaire dont nous sommes témoins et qui nous est profondément intolérable.

      L’IEP de Grenoble, à l’instar d’autres universités françaises, est accusé de dérive idéologique, et ce aux dépens de la pluralité de la recherche en sciences sociales. Ce type d’accusation témoigne non seulement d’une méconnaissance de la variété et de l’étendue des champs de recherche, mais aussi de la qualité de la recherche au sein des laboratoires Pacte de recherche en sciences sociales, Cerdap2 (Centre d’études et de recherche sur la diplomatie, l’administration publique et le politique), Cesice (Centre d’études sur la sécurité internationale et les coopérations européennes), et à l’IEP, dont les sujets mis en accusation ne forment d’ailleurs qu’une part marginale.

      Nous condamnons fermement la normalisation de termes conceptuellement infondés, empruntés à l’extrême droite, dans la presse, et le discours politique, qui mettent en cause la rigueur scientifique des enseignants-chercheurs et enseignantes-chercheuses de notre école ; et nous apportons notre soutien à celles et à ceux qui travaillent sur les concepts de racisme, d’antisémitisme et d’islamophobie, et sur les sujets d’égalité et de lutte contre les discriminations en général.

      Nous nous insurgeons contre la décision annoncée du président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, Laurent Wauquiez, de mettre fin aux financements régionaux à destination de l’IEP de Grenoble. Pour rappel, le soutien financier de la région comprend l’attribution de bourses aux étudiants et étudiantes en difficulté, le soutien à l’action sociale et les projets de formation continue, notamment pour faciliter l’accès à l’enseignement supérieur et à l’emploi : ce sont donc les élèves qui sont le plus dans le besoin qui en pâtiront le plus.

      Récupération politique

      Nous souhaitons aussi alerter sur la gravité d’une telle décision politique, d’ailleurs soutenue par les candidats et les candidates d’extrême droite à l’élection présidentielle, et défendre la liberté académique. Nous sommes en désaccord avec celles et ceux qui souhaitent garantir la liberté académique « à la carte », utile pour diffamer l’IEP dans les médias, gênante lorsqu’elle aborde le sujet des discriminations. Nous tenons profondément à la diversité des idées et nous jugeons primordial que des débats pluriels puissent continuer à exister au sein de l’IEP dans le cadre prévu par la loi.

      Parce que nous tenons à notre école, celle qui a encouragé le développement et la consolidation de notre esprit critique et de notre conscience citoyenne, nous souhaitons alerter sur la dangerosité de telles pratiques, qui mettent en péril le pluralisme de la pensée. Nous craignons le fait qu’un pouvoir politique puisse prendre la décision unilatérale de couper les financements d’une université.

      A l’avenir, les différents acteurs publics (Etat ou collectivités territoriales) pourront-ils décider de façon discrétionnaire de supprimer des financements à chaque université qui ne promouvrait pas leur ligne politique ? Nous trouvons en outre inquiétant que certains appellent à ce que l’Etat intervienne, au-delà du cadre prévu par la loi, dans ce qui est enseigné et étudié à l’université.

      Enfin, nous déplorons ce battage médiatique autour de notre école, qui nuit aux étudiants et étudiantes, que la pandémie affecte déjà profondément. Cette récupération politique les rend inaudibles. A l’instar du rappel à la réalité des équipes pédagogiques de l’IEP du 4 janvier, ce sont bel et bien les étudiants et étudiantes qui sont le plus à même de décrire leur réalité quotidienne, et c’est leur parole qui doit primer pour témoigner de ce qu’est réellement notre IEP.

      Les rédacteurs de cette tribune sont : Annaïg Antoine (promotion 2012), cadre dans une association financière internationale ; Marianne Cuoq (promotion 2012), urbaniste, et Léa Gores (promotion 2015), cadre de la fonction publique territoriale.

      https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/01/14/anciens-etudiants-de-sciences-po-grenoble-nous-souhaitons-defendre-la-libert

    • Sciences Po Grenoble se cherche un nouvel avenir

      L’institut d’études politiques fait face à d’incessantes polémiques depuis un an, érigé par la droite en symbole des « #dérives_communautaristes » dans l’enseignement supérieur.

      Parmi quinze candidats, cinq (dont trois anciens élèves) ont été conviés pour un entretien d’embauche, le 10 janvier, à l’institut d’études politiques (IEP) de Grenoble. L’enjeu est de taille : recruter la directrice ou le directeur de la communication, capable de contribuer à sortir de la crise un établissement passablement affaibli depuis un an.

      La dernière secousse est intervenue le 20 décembre 2021, quand Laurent Wauquiez, président (Les Républicains) de la région Auvergne-Rhône-Alpes, a annoncé dans un tweet qu’il suspendait les financements, soit 100 000 euros par an consacrés aux bourses et à la mobilité étudiante, en raison de la « longue dérive idéologique et communautariste » de l’école. Une « dérive » qui viendrait, selon lui, du franchissement « d’un nouveau cap » avec la suspension, pour une durée de quatre mois, d’un professeur d’allemand en poste depuis vingt-six ans à l’IEP : Klaus Kinzler.

      Agé de 62 ans, l’homme est devenu une personnalité très appréciée des médias pour sa verve à dénoncer l’idéologie et l’intolérance qui caractériseraient de jeunes collègues et surtout des étudiants activistes. En février 2021, il n’a pas hésité à qualifier – avec une forme d’« humour », plaide-t-il – ces étudiants d’« ayatollahs en germe » dans un mail signé « “Un enseignant en lutte”, nazi de par ses gènes, islamophobe multirécidiviste ».

      Le 8 décembre 2021, dans L’Opinion, il affirme que « Sciences Po Grenoble n’est plus un institut d’études politiques, mais d’éducation, voire de rééducation politique ». Une expression travestie en « camp de rééducation » lorsqu’elle est reprise en gras dans le titre de l’article. La référence implicite au régime des Khmers rouges au Cambodge est violente, et se répand comme une traînée de poudre à l’IEP comme dans la classe politique, notamment à droite, en plein combat contre la nébuleuse « woke » qui infiltrerait les universités françaises.

      Quelques jours plus tard, le 15 décembre, Sabine Saurugger, directrice de l’IEP, suspend le professeur, dans l’attente de la saisine d’un conseil de discipline : « Parler de “camp de rééducation” porte atteinte à l’intégrité de l’établissement et à la formation offerte par les enseignants », justifie-t-elle.

      Les propos de Klaus Kinzler sont « nuisibles à l’institution et basés sur beaucoup de mensonges, appuie Simon Persico, professeur de science politique. Les enseignants-chercheurs ressentent une lassitude et de profondes blessures. On attendait une réaction, elle est venue. » Klaus Kinzler « s’est exclu tout seul, ajoute Gilles Bastin, professeur de sociologie. Il se radicalise, et ses propos sont grotesques. Il nous utilise dans un combat politique qui n’a plus rien à voir avec nous. »

      « Petit bijou académique »

      Auprès du Monde, Klaus Kinzler dénonce le titre choisi par L’Opinion « puisqu’il ne s’agit pas des mots qui figurent dans l’entretien ». Néanmoins, il n’a fait parvenir aucun droit de réponse, préférant réserver ses prochaines interventions médiatiques à une échéance proche, le 2 mars, date de la publication de son ouvrage L’islamogauchisme ne m’a pas tué (éd. du Rocher).

      Cette sortie marquera une date anniversaire, un an après la découverte sur les murs de l’institut, le 4 mars 2021, des noms des professeurs Klaus Kinzler et Vincent Tournier, accolés à cette phrase : « Des fascistes dans nos amphis. L’islamophobie tue. » Une photo des collages avait été brièvement diffusée en ligne par la section UNEF de Grenoble, avant d’être retirée, le syndicat national condamnant vigoureusement « tout lynchage public ». L’enquête de police est toujours en cours pour identifier les poseurs d’affiches. « Dans ma famille, au repas de Noël, on n’a parlé que de cela. Je n’en peux plus, lâche Théo (le prénom a été modifié), étudiant en master. Sur les réseaux sociaux, je me fais traiter de tous les noms, car je suis de Sciences Po Grenoble. »

      « On tape sur un petit bijou académique et d’enseignement, c’est tout à fait injuste ! regrette Sonja Zmerli, professeure de science politique, qui souligne l’enthousiasme de collègues étrangers à collaborer aux travaux scientifiques qui y sont menés. Ce sont des collègues soucieux de leur réputation académique qui ne viendraient pas s’ils avaient un quelconque doute. »

      Comment en est-on arrivé là ? Fondé en 1948, l’IEP grenoblois, l’un des plus anciens, a bénéficié d’une évaluation plus que favorable du Haut Conseil à l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres) qui saluait, en mai 2020, « la grande qualité de l’accompagnement des étudiants » et ce, après avoir surmonté d’importantes difficultés financières.

      « On est tous un peu sur les nerfs »

      Tout remonte au 30 novembre 2020, lorsque éclate par mail – en plein confinement – un conflit sémantique entre Klaus Kinzler et Mme M. (qui n’a pas souhaité répondre aux sollicitations du Monde), enseignante-chercheuse en histoire, membre junior de l’Institut universitaire de France (IUF). En cause : l’usage du mot « islamophobie » auprès des mots « racisme » et « antisémitisme », ces trois thèmes devant servir à définir le contenu d’une table ronde organisée en janvier 2021, à l’occasion d’une « semaine pour l’égalité ».

      L’historienne soutient que l’islamophobie est « un concept heuristique utilisé dans les sciences sociales » pour « désigner des préjugés et des discriminations liées à l’appartenance, réelle ou fantasmée, à la religion musulmane ». Le professeur d’allemand, lui, y voit une possible « arme de propagande d’extrémistes plus intelligents que nous », allusion notamment au Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF), qui vient de s’autodissoudre quelques jours après l’assassinat de Samuel Paty, après avoir été accusé par le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, de diffuser une « propagande islamiste ».

      Un an plus tard, le sujet est loin d’être tranché à l’IEP, même si chacun s’accorde à dire que si cette dispute avait eu lieu dans une réunion classique, à l’oral, jamais elle n’aurait débouché sur une telle crise. « Mes collègues se sont chacun sentis agressés, car ils ne parlaient pas forcément de la même chose », décrypte Dorian Guinard, maître de conférences en droit.

      Du point de vue juridique, juxtaposer la critique d’un dogme – l’islamophobie – à deux délits pénaux – le racisme et l’antisémitisme – pose « un problème d’équilibre des notions », poursuit-il. « Mais une majorité de sociologues, notamment anglo-saxons, définissent l’islamophobie comme la haine des musulmans. En France, il existe un délit pénal pour cela, c’est la haine religieuse. Voilà ce que dit le droit, et je pense sincèrement que cela a manqué dans cette affaire. »

      Invités par la direction à ne pas s’exprimer publiquement pour protéger l’institution, nombre d’enseignants souhaitent désormais prendre la parole, « tant les médias ont brodé autour des faits », lâche l’un deux. Le 19 novembre 2021, la communauté a été prise de court par la relaxe, par la commission disciplinaire de l’université Clermont-Auverge, où l’affaire avait été dépaysée, des dix-sept étudiants poursuivis pour leur participation à la diffusion des accusations d’islamophobie visant Klaus Kinzler et Vincent Tournier. Par un « appel à témoignages » publié sur Facebook début 2021, l’Union syndicale (US) Sciences Po Grenoble invitait les étudiants à dénoncer anonymement les propos islamophobes qui auraient pu être tenus dans le cours sur l’islam et les musulmans de France dispensé par Vincent Tournier.

      Depuis, l’US a été dissoute, remplacée par l’Organisation universitaire pour la représentation syndicale étudiante (Ourse), majoritaire dans les instances. « Le travail de remontée d’information est normal pour un syndicat, même s’il y avait peut-être d’autres moyens qui auraient engendré moins de tensions que l’appel à témoignages sur Facebook », concède l’un des nouveaux élus, Nicolas Duplan-Monceau.

      « On est tous un peu sur les nerfs, confie l’historien Aurélien Lignereux. Il n’y a pas eu de sanction alors qu’il y a eu provocation. Cela favorise les préjugés défavorables sur l’établissement au risque de dissuader des candidats de se présenter au concours. »

      Le poison #sciencesporcs

      Mi-octobre 2021, l’UNI, syndicat de droite, a relancé la polémique en dénonçant « un nouvel acte de soumission à l’idéologie woke et à l’islamisme » lorsque l’association #Cafet’en_Kit a cru que son nouveau fournisseur lui livrait exclusivement des produits halal – en réalité 30 %. La direction avait alors rappelé à cette association que la distribution d’aliments « allant à l’encontre des principes de laïcité et de neutralité » était interdite.

      A cette confusion ambiante s’ajoute un autre sujet qui empoisonne l’IEP depuis bientôt un an : la vague #sciencesporcs, qui vise à dénoncer massivement sur les réseaux sociaux tout acte de violence sexiste, sexuel ou de harcèlement subi par des étudiants au cours de leur scolarité. La déferlante de témoignages a bouleversé les relations humaines, comme le relève dans son rapport publié en mai 2021 l’Inspection générale de l’éducation du sport et de la recherche, qui évoque un règne de la « terreur » pour amener à dénoncer de possibles coupables. Simon Persico a sondé ses étudiants, qui lui ont décrit « une ambiance un peu délétère liée aux nouvelles formes de radicalité. Pour une toute petite poche, la mobilisation est très vive, voire violente sur les réseaux sociaux », rapporte-t-il. Dans quelques jours, avec les première année, Dorian Guinard débutera son cours « par quelque chose qu’[il] ne fai[t] pas d’habitude : rappeler ce que sont les délits pénaux, notamment le harcèlement et le cyberharcèlement, car clairement il y a eu des dérapages », estime-t-il.

      Pour reprendre la main sur tous les fronts, Sabine Saurugger s’apprête à déployer une « stratégie » offensive, en organisant des controverses scientifiques précisément sur les sujets qui crispent le débat national. « Nous allons nous efforcer d’être plus visibles médiatiquement en invitant des intervenants qualifiés pour discuter de manière académique sur la liberté d’expression, la liberté académique, la religion, la laïcité…, annonce la directrice, qui a pris ses fonctions le 1er février 2020, un mois avant le confinement. L’important est de montrer que l’image qui est dépeinte dans les médias ne correspond pas à la réalité. »

      « Un peu désemparé » par cette folle année, le président du conseil d’administration, Jean-Luc Nevache, veut à tout prix éviter un duel « Sciences Po contre Klaus Kinzler » à l’occasion de la sortie de son livre. « Cela ne nous intéresse pas, cadre le président de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), ancien élève de l’IEP. Seuls nous importent les étudiants et leur avenir, les enseignants et les chercheurs qui soutiennent des débats universitaires sérieux et publient dans des revues à comité de lecture pour contribuer au débat international sur les sciences sociales. » Ce que semblerait ignorer l’un des membres du conseil d’administration qui n’y a jamais participé : Laurent Wauquiez.

      https://www.lemonde.fr/campus/article/2022/01/17/sciences-po-grenoble-se-cherche-un-nouvel-avenir_6109738_4401467.html

  • Bruno Latour : « L’écologie, c’est la nouvelle lutte des classes »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/10/bruno-latour-l-ecologie-c-est-la-nouvelle-lutte-des-classes_6105547_3232.htm

    Mais l’écologie est, bien souvent, davantage une préoccupation de bobos que de « prolos ». Comment faire en sorte que les classes populaires rejoignent la classe écologique ?

    Cette opposition bobo-prolo est bien avantageuse pour la droite, qui se drape dans la défense de la classe ouvrière contre l’hégémonie prétendue des écolos ! Le fond de vérité de cette petite astuce c’est que, en effet, les intérêts de classe sont encore moulés selon les anciens sillons de la tradition productiviste. Du coup, il est assez facile d’utiliser l’ancienne lutte des classes pour la tourner contre les nouvelles. Cela dit, rien ne change plus rapidement que la définition des intérêts de classe.

    Dans tous les cas que nous étudions Nikolaj Schultz et moi, nous sommes frappés de voir à quelle vitesse les alliances s’inversent. A condition que les deux camps acceptent de définir précisément leurs attachements et donc leur territoire de vie, un écolo urbain voit dans son voisin chasseur un allié, un éleveur qui a comme ennemi les végétariens se trouve vite des ennemis communs, un ingénieur astucieux se trouve à l’aise avec un projet de transition dans sa ville et ainsi de suite.

    D’ailleurs les « classes populaires » sont aussi difficiles à définir que les fameux « bobos ». Ce qui manque, et j’en suis cruellement conscient, c’est la confrontation des intérêts, pour refondre les alliances. Mais pour cela, il faut inventer des dispositifs qui permettent enfin aux acteurs de définir leur territoire. C’est un énorme chantier, d’accord, mais il évolue vite, et on ne peut pas le réduire au cliché. De toute façon, c’est plutôt l’écologie qui rejoint les classes dites « populaires » : après tout, il s’agit bien de savoir, au fond, quel peuple nous voulons être sur quel genre de Terre. Voilà le niveau auquel il faut placer la question. N’oublions pas que le mot assez affreux « écologie » est là pour le mot « terrestre ».

    Alors, c’est quoi, précisément, la condition terrestre ? Et qu’est-ce qu’une politique terrestre ?

    Il me semble que c’est la reprise de toutes les questions classiques du politique, à ceci près que l’horizon d’attente est complètement différent puisque c’est le maintien de l’habitabilité qui est premier, la production qui est seconde. Du coup, le voile de la définition économique des relations se lève, et les choix sur les valeurs – pas sur les coûts ! – passent au premier plan. Et surtout, la politique étrangère est bien différente puisque les intérêts ne coïncident pas avec les limites des Etats nationaux.

    Ce qui était « externalisé », comme disent les économistes, est « internalisé ». Par exemple, votre voiture électrique parisienne et le lithium extrait au Chili se trouvent en conflit. Toutes les notions comme celles d’international ou d’universel se trouvent rejouées. Et, en plus, les échelles diffèrent selon les sujets de conflit. Le climat n’a pas besoin des mêmes institutions que le lithium ou les marées vertes. Toute la politique se rouvre, c’est ça la clé. Regardez l’ampleur des inventions institutionnelles pour tenter de tenir la température du globe dans certaines limites. C’est prodigieux.

    Si de nouvelles alliances avec des « libéraux », ou même des « réactionnaires », se créent autour des questions d’habitabilité de la planète, pour quelles raisons la nouvelle classe écologique serait-elle, selon vous, nécessairement de gauche, et même de « gauche au carré » ? Prenons un exemple, une rivière polluée peut être défendue aussi bien par un châtelain, uniquement soucieux de préserver son patrimoine, que par des familles paupérisées qui en ont besoin pour se nourrir et s’abreuver ; le combat pour la défense d’un territoire peut se faire au nom de « la nature qui se défend » – comme le disent les zadistes – aussi bien qu’au nom d’une « terre [qui] ne ment pas » – comme le soutiennent les pétainistes et les zemmouriens…

    Eh bien justement, c’est cette répartition nouvelle des intérêts et des indignations à laquelle on assiste. Votre exemple montre bien qu’on passe d’une lutte de classes bien définie à une lutte de classements, où les incertitudes sur qui est allié et qui est adversaire redeviennent mobiles. C’est ce qui se passe. La reterritorialisation est brutale et elle oblige à un discernement nouveau. Territoire est le terme critique qui oblige à tout repenser : appartenir à un territoire, oui, c’est une question très ancienne dans sa version disons réactionnaire, et très nouvelle dans sa version écologiste ou émancipatrice.

    Quel peuple, sur quelle Terre ? Pourquoi c’est « de gauche », et même de gauche au carré, mais parce que l’ennemi fondamental est toujours le même, c’est la résistance universelle des sociétés contre l’« économisation » des relations entre les êtres humains ou non. Là, il y a une parfaite continuité. Gauche et droite se sont définies autour des questions de production. Il y a bien aussi une gauche et une droite sur les questions d’habitabilité. Mais les membres ne sont pas forcément les mêmes. Et les enjeux non plus. N’oublions pas que ceux qui parlent de retour à la nation, au sol, aux cultes des morts, etc. sont le plus souvent, en économie, des ultralibéraux acharnés.

    On reproche parfois à l’anthropologie de la nature et à la nouvelle pensée du vivant d’être soit obscurantiste – ou anti-Lumières –, soit pas assez anticapitaliste. Comprenez-vous ces critiques ?

    Oui je les comprends, ce que ces gens critiquent avec raison, c’est que ce déluge de propos sur la nature manque de ressort politique, et c’est souvent vrai. Mais c’est mal visé, ce qui nous intéresse, c’est de poser la question de ce qu’est une vie bonne. Nous n’avons pas besoin qu’on vienne nous dire que nous sommes interconnectés avec les autres vivants, nous le savons bien ! Il n’y a que ceux qui se sont crus modernes qui ont cru le contraire. La question politique, c’est de discerner quelle composition de vivants est vivable, encore une fois au sens propre, et laquelle est invivable. Je ne vois pas en quoi être anticapitaliste qualifie mieux pour aborder ces questions que l’analyse méticuleuse des entremêlements avec des vivants bien spécifiques.

    Une réponse à « Pleurnicher le vivant » dont on trouvera la version intégrale ici : https://justpaste.it/latour-10122021

    https://blog.mondediplo.net/pleurnicher-le-vivant

  • « Le CSA porte une lourde responsabilité dans le phénomène qui a porté Zemmour »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/14/le-csa-porte-une-lourde-responsabilite-dans-le-phenomene-qui-a-porte-zemmour

    Rien, dans les conventions conclues avec i-Télé devenue CNews, n’autorisait à faire dériver une chaîne d’information vers une chaîne d’opinion. Donc à installer, sur les fréquences rares de la TNT, reçues gratuitement par tous les foyers, l’équivalent d’une chaîne TV-Valeurs actuelles ou TV-Figaro, pas plus que TV-L’Obs ou TV-L’Humanité.

  • L’appel de 670 médecins de l’AP-HP : « La culture du chiffre, du “bla-bla” et des “process” sape le moral des personnels hospitaliers »

    Dans une lettre adressée au chef de l’Etat, un collectif de 670 professeurs et médecins de toutes disciplines alerte sur la déliquescence de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris. Ils appellent à des mesures urgentes et profondes, permettant de restaurer la capacité des services médicaux à assurer leur mission de soin.

    Monsieur le président de la République, l’état moral, organisationnel et budgétaire de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) est au plus bas. Les personnels sont découragés et beaucoup démissionnent, y compris certains des meilleurs responsables médicaux. D’attractif, le CHU [centre hospitalier et universitaire] francilien est devenu répulsif. Il ne remplit plus sa mission de façon satisfaisante, malgré le dévouement et la qualité scientifique de notre communauté hospitalière.

    En 2019, la « nouvelle AP-HP » a été mise en place. Pour faire face à ses mauvais résultats budgétaires, la direction générale a instauré un nouveau découpage des structures intermédiaires. Les pôles, rebaptisés « départements médico-universitaires » (DMU), sont passés de 128 à 76, les groupes hospitaliers, rebaptisés « groupes hospitalo-universitaires » (GHU), de douze à six. La création de ces mastodontes ingouvernables a entraîné les effets que les plus lucides d’entre nous avaient prévus : des dysfonctionnements et un désordre supplémentaire dans une institution qui en comptait déjà beaucoup.

    Comme anticipé, cette réorganisation, qui n’a fait que créer des strates supplémentaires inutiles, n’a pas amélioré les résultats financiers. Les prévisions budgétaires optimistes effectuées par le siège de l’AP-HP ne se sont pas réalisées. Le gouvernement a été contraint de renflouer les caisses du CHU francilien, comme il doit le faire au niveau national.

    La seconde réforme de la direction de l’AP-HP a été la réduction du temps de travail quotidien des équipes soignantes, dans le but de diminuer le nombre de jours de réduction du temps de travail (RTT) et d’économiser du personnel. La conséquence en a été de raccourcir les phases de transmission entre les équipes, de perdre le sentiment d’appartenance à un service et de dégrader les conditions de travail.
    Une politique de recrutement archaïque visant à retarder au maximum les embauches, ainsi que des conditions de travail de plus en plus difficiles font qu’actuellement, des centaines de postes de soignants ne sont pas pourvus. En conséquence, des lits sont fermés dans une proportion jamais vue, jusqu’à près de 20 %. Les soignants sont de plus en plus souvent contraints de refuser des soins médicaux et chirurgicaux, dont certains sont pourtant urgents et vitaux.

    Obsession comptable

    La bureaucratie est en perpétuelle extension. C’est un mal ancien, systémique. Il ne sera pas combattu par ceux qui le répandent. Se multipliant un peu plus chaque année, les exigences réglementaires tatillonnes, voire absurdes, ainsi que les injonctions paradoxales ruissellent des ministères vers les agences régionales de santé (ARS), puis inondent tous les recoins de l’hôpital. Les « managers » présents dans toutes les strates inutiles multiplient tracasseries, réunions, rapports sans intérêt, procédures irrationnelles, demandes abusives, commissions et sous-commissions à propos de n’importe quel sujet.

    Cette culture du chiffre, du « bla-bla » et des « process » sape le moral des hospitaliers les plus impliqués dans leur vocation, celle de soigner. Elle éloigne les soignants des malades et les pousse à quitter l’hôpital. Est-il normal de perdre bientôt autant de temps à justifier ce que l’on a fait que de consacrer du temps à le faire ? Est-il normal de compter dans nos structures 30 % de personnels administratifs de plus qu’en Allemagne ?

    Il y a près de quarante ans, il a été décidé de restreindre le nombre de médecins formés [ainsi que de soignants.es, de lits] , dans une logique comptable terrible : moins il y aura de médecins, moins il y aura de dépenses de santé. De plus, la politique hospitalière menée depuis plus de quinze ans a été caractérisée par les restrictions budgétaires et le néomanagement qui sont en grande partie à l’origine du quasi-effondrement de l’hôpital public.

    La crise du Covid-19 n’en est pas responsable. Elle a été au contraire l’occasion de retrouver du sens au métier des soignants. Pendant la première vague, les médecins et les soignants ont pris les rênes de l’hôpital en harmonie avec les administratifs, qui leur ont donné les moyens nécessaires pour s’organiser et faire face.

    Mais le monde administratif d’avant a resurgi dès la première vague passée et a précipité le découragement des soignants. Le mal qui nous ronge était là bien avant le Covid-19, comme les hospitaliers en ont averti l’opinion publique et les responsables politiques, notamment depuis 2009 et la funeste loi Hôpital, Patient, Santé et Territoires (HPST) qui donnait tout pouvoir au directeur, avec comme seule mission la maîtrise des coûts.

    Devant cette dégradation, votre gouvernement a répondu par des mesures financières, ainsi que par des mesures législatives, certes prudentes, mais qui permettent désormais aux hôpitaux de s’organiser comme ils le souhaitent. En donnant suite à cette demande, martelée depuis des années, il a suscité un espoir. Encore faut-il que les communautés hospitalières se saisissent de cette opportunité.

    Il serait bon de rétablir une organisation simplifiée autour des fondamentaux que sont le service, l’hôpital et l’université. Toutes les structures intermédiaires doivent être remises en question, car elles paraissent souvent inutiles, gaspillent des ressources de plus en plus rares et nous distraient de l’essentiel. C’est selon ce schéma que l’AP-HP a vécu ses plus grandes heures.

    Mais, cela serait peine perdue si on ne revient pas sur les restrictions budgétaires et le virage gestionnaire des années 1980, qui génèrent des conflits éthiques, une obsession comptable, une maltraitance managériale et soignante, sans parler du harcèlement et des suicides, et, pour finir, d’immenses pertes de chance pour les malades.

    Rétablir la confiance

    Il faut retrouver le respect de l’autonomie professionnelle, un management participatif associant les soignants. L’administration et la réglementation doivent être réduites au strict nécessaire et se remettre au service des soins.

    Il faut qu’au sein du service hospitalier, redevenu la base de l’organisation de l’hôpital, nos jeunes collègues puissent retrouver l’attrait pour la recherche, indispensable pour leur épanouissement, et pour que l’AP-HP demeure le plus important centre de recherche médicale en France.

    Dans le cadre de mesures d’urgence, il faut mettre en œuvre une plus large autonomie des services, notamment dans la constitution des équipes de soins. Il doit revenir au chef de service et au cadre paramédical de déterminer les ratios de personnels non médicaux nécessaires pour la prise en charge des patients, définir les fiches de poste de ces derniers, garantir leurs horaires et leurs conditions de travail. On peut de cette façon redonner à l’hôpital son attractivité et rétablir la confiance dans un management de qualité, respectueux des personnels et des patients. C’est la condition sine qua non d’un recrutement dont l’urgence est dictée par les conditions sanitaires.
    Chaque jour de retard pris dans cette restauration de la capacité des services hospitaliers à remplir leurs missions aura des conséquences dramatiques sur la santé de nos concitoyens, dont vous serez en partie comptable. Vous avez l’opportunité de libérer cette fameuse « belle énergie » que vous aviez louée lors de la première vague, promettant alors un changement de paradigme et des moyens nouveaux. Le monde du soin attendait beaucoup du discours de Mulhouse [le 25 mars 2020]. Il est aujourd’hui découragé, sans perspective et en colère.

    Face au désespoir hospitalier, la poursuite de la politique en cours depuis au moins une décennie serait pire que tout. Cette politique a échoué. Nous voulons des réformes profondes qui en prennent le contrepied. La médecine hospitalière doit retrouver son sens et son enthousiasme, assurer le progrès médical et répondre aux besoins des malades. Pour cela, elle doit être réhumanisée.

    Nous vous prions, monsieur le président de la République, d’agréer l’expression de notre haute considération.

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    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/09/l-appel-de-670-medecins-de-l-ap-hp-la-culture-du-chiffre-du-blabla-et-des-pr

  • « Nous, victimes de Nicolas Hulot et de PPDA, ne sommes pas les bourreaux, monsieur le président de la République »
    Tribune
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2021/12/08/nous-victimes-de-nicolas-hulot-et-de-ppda-ne-sommes-pas-les-bourreaux-monsie

    Quatorze femmes s’étant déclarées publiquement victimes de violences sexuelles de la part de l’ex-ministre et du journaliste Patrick Poivre d’Arvor réagissent, dans une tribune au « Monde », aux propos d’Emmanuel Macron, qui a salué la libération de la parole tout en s’inquiétant du risque d’une « société de l’inquisition ».

    Publié aujourd’hui à 02h42, mis à jour à 06h58 Temps de Lecture 3 min.

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    Tribune. Monsieur le président de la République, nous avons parlé des violences sexuelles que nous ont fait subir Nicolas Hulot et Patrick Poivre d’Arvor. « C’est bien que la parole se libère », avez-vous déclaré après nos témoignages [le 1er décembre]. Vous avez ajouté : « Nous ne voulons pas, non plus, d’une société de l’inquisition. »

    Quel est le rapport entre nos récits et l’Inquisition ? De nos intimités exposées naîtrait le risque de replonger la France dans une des périodes les plus sombres et les plus unanimement détestées de l’histoire occidentale ? L’Inquisition a emprisonné, torturé, supplicié, brûlé les hérétiques, ceux qui étaient soupçonnés de mettre en cause la toute-puissance divine et l’institution de l’Eglise. Le souvenir de ses juges ordonnant des traitements cruels pour des culpabilités inventées est resté comme le symbole de l’obscurantisme, de la terreur et de l’arbitraire.
    Lire aussi Article réservé à nos abonnés Affaire Patrick Poivre d’Arvor : 23 témoignages, 8 plaintes et un classement sans suite

    Vous nous mettez du côté des inquisiteurs, figures honnies de la mémoire collective, représentants des pires atrocités du passé. Nos récits porteraient en germe ces tribunaux de l’horreur et de l’injustice. Raconter nos histoires tristes serait nuisible au point qu’il vous faut affirmer votre volonté d’éviter ce très grave danger. Nous sommes des menteuses selon nos agresseurs, une menace pour le pays selon vous. De quel changement néfaste nos paroles seraient-elles les prémices ? Quel pouvoir avons-nous ? Pas celui de condamner, pas celui de priver de liberté. Nous ne sommes ni juges, ni puissantes, ni riches.
    Nos difficiles et coûteux témoignages

    Nous avons dit nos hontes les plus intimes, exposé nos larmes ravalées, expliqué nos silences imposés ou nos récits négligés. Ces témoignages ont été, pour beaucoup d’entre nous, difficiles et coûteux. Il nous a fallu des années pour avoir la force de les livrer. Nous l’avons fait pour soutenir les premières, celles qui avaient eu le courage de s’adresser à la justice. Par deux fois, l’institution judiciaire a classé les plaintes et ignoré nos témoignages sans chercher à savoir si d’autres femmes avaient pu être victimes des mêmes hommes.

    Nous avons parlé par devoir citoyen. Nous n’avons rien d’autre à y gagner que de dire une vérité, même dérangeante, et d’éclairer le pays sur le traitement des violences sexuelles, sur l’usage que font certains hommes de leur pouvoir, sur les complaisances qui les y autorisent, sur l’impunité dont ils jouissent. Nous l’avons fait dans le respect des institutions et des règles de la République.

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