Erreur 404

/2023

  • Ivan Segré : « L’avenir d’Israël repose sur une alliance avec les forces progressistes arabes »

    .... la riposte militaire israélienne est une erreur stratégique, sans même parler des problèmes éthiques qu’elle soulève du fait des victimes civiles et des otages détenus par le Hamas. On le sait pertinemment : en Irak, comme en Afghanistan, les bombes occidentales n’ont semé aucun avenir.

    Quelle stratégie conviendrait-il selon vous d’adopter ?

    Cette question concerne non seulement la guerre contre le #Hamas, mais aussi l’opposition politique à Benyamin Nétanyahou. Les principaux arguments de l’opposition dite « de gauche » consistent, en Israël, à dénoncer des faits de corruption, à vilipender son machiavélisme, à lui reprocher son projet de réforme de la justice, son alliance avec l’extrême droite et, pour les plus intrépides, à s’indigner de sa politique envers les #Palestiniens, Nétanyahou s’étant satisfait de l’emprise du Hamas sur Gaza et de l’affaiblissement corrélatif du Fatah, puisque cela lui permettait d’enterrer le processus de paix et de poursuivre la colonisation en #Cisjordanie.

    A mon sens, cette panoplie d’arguments est insatisfaisante. Nétanyahou est un authentique représentant de la droite israélienne, et c’est donc à cette droite qu’il convient de s’opposer, non à la personnalité du premier ministre ou à ses manœuvres politiciennes. Pour cette droite israélienne, un Etat palestinien ne peut être qu’une étape sur le chemin de la destruction d’Israël tant que la majorité des puissances arabo-musulmanes ne reconnaîtront pas la légitimité d’une souveraineté juive en Palestine. De ce point de vue, l’attaque du Hamas est une confirmation.

    Quels seraient les bons arguments « de gauche » à opposer à la politique de Nétanyahou ?

    Une alternative de gauche au sionisme de droite, ce serait d’abord, bien entendu, un #sionisme qui ne se fourvoie pas en pactisant avec le diable, que ce diable prenne la forme d’un #judéo-fascisme ou celle d’une pétromonarchie comme l’Arabie saoudite, les Emirats ou le Qatar. Car l’avenir de l’Etat d’#Israël, ce n’est ni de renier ses principes en s’alliant avec une #extrême_droite raciste ni de pactiser avec un régime fondamentaliste qui abreuve de pétrodollars l’obscurantisme religieux.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/ivan-segre-l-avenir-d-israel-repose-sur-une-alliance-avec-les-forces-progres

    https://archive.ph/3zN6r

    edit "la crise existentielle de la gauche israélienne"
    https://archive.ph/9TH8i

    #fondamentalisme (by both sides) #gauche_israélienne #sionistes_de_gauche

  • #Zéro_artificialisation_nette : « Une application réfléchie du dispositif peut avoir comme effet induit une baisse des inégalités territoriales »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/11/02/zero-artificialisation-nette-une-application-reflechie-du-dispositif-peut-av

    Philippe Delacote
    Directeur de recherche à l’Inrae

    Léa Tardieu
    Chercheuse à l’Inrae

    Le 30 septembre, le président Les Républicains (#LR) de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a annoncé sa décision de sortir sa région du dispositif « zéro artificialisation nette » (ZAN), au motif que celui-ci serait « ruralicide ». Issu de la loi Climat et résilience votée en 2021, ce principe peine à être mis en œuvre, notamment du fait de fortes réticences des élus locaux. Cette attitude laisse à penser que M. #Wauquiez et ses collègues comprennent mal les tenants et les aboutissants du ZAN, ainsi que les opportunités qu’il peut apporter aux espaces ruraux.

    Le #ZAN, c’est quoi ? L’idée est simple : à l’horizon 2050, chaque projet d’artificialisation d’un espace devra être compensé par la renaturation d’un espace équivalent, le ministère de l’écologie définissant l’artificialisation comme « l’altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ».

    Ainsi, il ne s’agit pas d’interdire toute artificialisation. Cependant l’idée est bien de la limiter, et d’imposer, pour les projets jugés indispensables sur la base d’une évaluation coûts-bénéfices rigoureuse incluant les dommages environnementaux, une compensation considérée comme au moins équivalente. Il est essentiel de comprendre que la compensation est un objectif minimal à considérer, et que la priorité première est de conserver l’existant.

    Un impératif de soutenabilité
    Le mot est prononcé : résilience. Le principe de réduire l’artificialisation n’est pas une lubie de bobo métropolitain, mais bien un impératif de soutenabilité. Risques d’inondations accrus, pertes de productivité agricole, érosion de la biodiversité, moindre absorption du carbone, îlots de chaleur… Les effets néfastes d’une artificialisation excessive sont nombreux et bien documentés. Si le dispositif « zéro artificialisation nette » impose une contrainte sur les décisions d’artificialisation, c’est d’abord et avant tout pour réduire ces impacts et permettre une nécessaire meilleure soutenabilité de nos modes de vie.

    Au-delà de ces effets directs, nous estimons qu’une application réfléchie et intégrée du ZAN peut avoir comme effet induit une baisse des inégalités territoriales. Cette idée repose sur deux constats complémentaires : les espaces ruraux connaissent un manque d’accès aux services publics et privés, suggérant un besoin de redynamiser leur attractivité économique et sociale ; les espaces urbains les plus défavorisés et densément peuplés souffrent d’un manque d’accès aux espaces verts et à la nature.

    Par conséquent, à l’échelle d’un territoire régional, on pourrait imaginer que le principe du ZAN soit couplé à celui du rééquilibrage entre espaces ruraux et urbains défavorisés : réduction de la densité et renaturation dans les zones urbaines et périphériques, favorisation des échanges scolaires, de formation et d’activités économiques entre quartiers populaires urbains et espaces ruraux délaissés, efforts de construction de #logements_sociaux dans les zones rurales, densification des transports décarbonés entre métropoles et espaces ruraux…

    Une gestion régionale nécessaire
    A l’heure où l’on tend à opposer les classes populaires entre urbains et ruraux, une telle vision intégrée des territoires pourrait permettre un projet combiné de baisse des inégalités territoriales et de meilleur équilibre des activités.

    Bien sûr, l’application pratique du ZAN ne sera pas simple et pose de nombreuses questions juridiques et pratiques de mise en œuvre. La récente censure par le Conseil d’Etat du dispositif réglementaire de l’application de la loi en est un bon exemple.

    Dans le cadre de notre argument, il serait ainsi nécessaire que la compensation des projets d’artificialisation soit autorisée, voire incitée, entre territoires ruraux et urbains défavorisés. Pour cela, une gestion régionale semble nécessaire, à moins que des dispositifs de coopération soient mis en œuvre dans le cadre d’une gestion par les #municipalités.

    Cependant, nous pensons que le ZAN, appliqué avec discernement et dans une optique de réduction des inégalités, peut conduire à des effets induits positifs pour les espaces ruraux comme urbains. Encore faudrait-il que M. Wauquiez se penche sérieusement sur la question.

    PS : c’est nouveau ça (à chaque copié collé ?) :
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  • TOTALénergies : champion des « bombes carbone » qui détruisent notre avenir
    https://ricochets.cc/TOTALenergies-champion-des-bombes-carbone-qui-detruisent-notre-avenir.html

    Alors que les températures connaissent cette année encore des records et que les émissions de C02 continuent d’augmenter, TOTAL, les banques et les Etats continuent de lancer et soutenir d’énormes projets d’extractions de combustibles fossiles : Les « bombes carbone » menacent la lutte contre le réchauffement climatique - L’enquête que publient « Le Monde » et d’autres médias internationaux à partir du travail de deux ONG françaises sur 422 mégaprojets d’extraction de combustibles fossiles met en lumière la (...) #Les_Articles

    / #Catastrophes_climatiques_et_destructions_écologiques, #Le_monde_de_L'Economie

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/31/les-bombes-carbone-menacent-la-lutte-contre-le-rechauffement-climatique_6197
    https://www.planete-energies.com/fr/media/infographie/mix-energetique-mondial-1990-2035
    https://www.connaissancedesenergies.org/lenergie-dans-le-monde-en-2035-quoi-faut-il-sattendre-22021
    https://fr.statista.com/statistiques/570776/approvisionnement-en-energie-primaire-dans-le-monde-par-source
    https://www.unep.org/events/conference/cop28

  • Bangladesh : « Ce qui frappe dans les camps de réfugiés de Rohingya, c’est l’abandon d’un peuple et la déstructuration sociale »

    L’annonce faite par Emmanuel Macron lors de son voyage au Bangladesh, le 11 septembre, d’augmenter d’un million d’euros la contribution française aux activités du Programme alimentaire mondial dans les camps de Rohingya de ce pays est-elle à la hauteur de la situation ?

    Rappelons-nous. Il y a six ans, des centaines de milliers de Rohingya quittaient l’Etat de Rakhine [Arakan] au #Myanmar, l’ex-Birmanie. Ils fuyaient les massacres, les viols, les incendies de leurs maisons commis pendant l’offensive militaire lancée en août 2017. A la fin de cette même année, plus de 700 000 nouveaux réfugiés étaient arrivés dans le district de #Cox’s_Bazar, dans le sud-est du #Bangladesh. Ils rejoignaient les 200 000 réfugiés rohingya issus de déplacements antérieurs.

    Pour accueillir ces populations, un camp entre jungle et rizières est sorti de terre. #Kutupalong-Balukhali est aujourd’hui le plus grand camp de réfugiés au monde. Il se compose de plusieurs sites contigus dont les artères centrales en brique et en ciment débouchent sur des ruelles étroites. Là, les familles vivent dans de petites habitations faites de bambou et de bâches.

    Toute une série de restrictions

    Certaines sont posées à flanc de colline et donc exposées aux glissements de terrain, conséquence des pluies diluviennes qui peuvent s’abattre pendant la mousson. Les points d’#eau_potable, certes nombreux, ne sont ouverts que quelques heures par jour, et il est fréquent de voir des disputes s’y dérouler. Quelle ironie dans cette région parmi les plus humides au monde. Parfois, on surprend le long des frontières du camp les barbelés qui nous rappellent qu’il s’agit d’un bidonville semi-fermé.

    Si le Bangladesh a ouvert ses portes aux réfugiés, il les soumet à toute une série de restrictions. Les boutiques rohingya qui fleurissent le font selon le bon vouloir de la police qui peut les fermer au motif qu’elles n’ont pas été autorisées. Les déplacements à l’intérieur de Kutupalong, même d’un camp à l’autre, sont extrêmement limités. Il est en outre interdit aux Rohingya de travailler, bien qu’un grand nombre d’entre eux le fassent.
    Ils sont alors à la merci de la #police, des #bakchichs et des #arrestations. L’éducation est par ailleurs très encadrée. De multiples obstacles sont posés à l’enregistrement des naissances. L’approche du gouvernement à l’égard des camps est un mélange ambigu de tolérance et de prohibition : cette élasticité laisse les Rohingya dans un état d’incertitude perpétuelle.

    Le #contrôle_social auquel sont soumis les réfugiés est aussi le fait des groupes politico-criminels rohingya qui pullulent dans le camp et dont la présence, ces dernières années, s’est faite plus intense. Ces groupes sont en conflit ouvert pour le contrôle du trafic de yaba. Ce mélange de méthamphétamine et de caféine est principalement produit au Myanmar, et le Bangladesh est l’un des principaux marchés où circule cette drogue.

    Viols et violences

    Le déploiement humanitaire est impressionnant, mais l’engagement des donateurs s’amenuise. Le mois dernier, le « Plan de réponse conjoint » 2023 élaboré par les Nations unies et le gouvernement n’était financé qu’à hauteur de 30 %. Entre mars et juin, les allocations alimentaires mensuelles – des paiements en espèces reçus sur une carte SIM – sont passées de 12 à 8 dollars par personne.

    Cette réduction a pour conséquence d’entraver la capacité des réfugiés d’acheter des produits frais sur le marché et des vêtements. Il faut trouver de quoi manger, coûte que coûte, ce qui amène les réfugiés à se livrer à des activités illicites – cambriolages et trafics en tout genre.

    Les conséquences du sous-investissement par les bailleurs de fonds sont aussi médicales et viennent s’ajouter à celles de l’augmentation de la population dans un espace qui, lui, ne s’accroît pas. Chaque année, y naissent entre 30 000 et 35 000 #bébés. Du fait de la densité des lieux et de la faiblesse des services sanitaires, il est estimé que 40 % de la population du camp souffre de la #gale. La fermeture de certains services de #santé a pour effet d’engorger les structures qui se maintiennent.

    Les #femmes seules, comme les personnes âgées et handicapées, sont parfois contraintes de payer des services pour des tâches qu’elles n’ont pas la possibilité d’accomplir seules : réparer leur maison, porter la bouteille de gaz du point de distribution jusque chez elles en dépit de l’existence d’une assistance prévue pour combler une partie de ces besoins spécifiques. Les femmes sont vulnérables aux #viols et aux violences – les cas sont nombreux et loin d’être mis au jour.

    Un « facteur d’attraction »

    Il est difficile d’imaginer que l’engagement présidentiel français modifiera la donne. Cela nécessite un tout autre investissement. La survie d’un peuple, condamné à vivre dans ces conditions de nombreuses années encore, relève du génie. Ce qui frappe dans les camps de réfugiés rohingya de Cox’s Bazar, ce sont moins les limites du système de l’aide que l’abandon d’un peuple et sa conséquence : la déstructuration sociale.

    La plupart des réfugiés espèrent retourner au Myanmar, une étape qui ne pourra être franchie que lorsque leurs terres et leur nationalité, dont ils ont été privés en 1982, leur seront restituées. Certains se résolvent malgré tout à rentrer clandestinement au Myanmar où ils s’exposent aux violences commises par les autorités birmanes.
    Quelques-uns ont bénéficié de rares opportunités de réinstallation dans d’autres pays, comme le Canada ou les Etats-Unis, mais le gouvernement bangladais a suspendu le programme de réinstallation en 2010, arguant qu’il agirait comme un « facteur d’attraction ». Les initiatives récentes visant à relancer le processus ont été timides.
    Une possibilité est la traversée risquée vers la #Malaisie, un pays qu’un nombre croissant de Rohingya à Kutupalong considère comme une voie de salut. Pour la très grande majorité des réfugiés, il ne semble n’y avoir aucun avenir à moyen terme autre que celui de demeurer entre deux mondes, dans ce coin de forêt pétri de #dengue et de #trafics en tout genre.

    Michaël Neuman est directeur d’études au Centre de réflexion sur l’action et les savoirs humanitaires (Crash) de la Fondation Médecins sans frontières.
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/31/bangladesh-ce-qui-frappe-dans-les-camps-de-refugies-de-rohingya-c-est-l-aban

    Massacre des Rohingya : « Facebook a joué un rôle central dans la montée du climat de haine » en Birmanie
    https://www.lemonde.fr/pixels/article/2022/09/29/massacre-des-rohingya-facebook-a-joue-un-role-central-dans-la-montee-du-clim
    https://archive.ph/DMWO8

    Au Bangladesh, l’exil sans fin des Rohingya
    https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/16/au-bangladesh-l-exil-sans-fin-des-rohingya_6154745_3210.html
    https://archive.ph/xKPyh

    #camp_de_réfugiés #Birmanie #Rohingya #réfugiés #musulmans #barbelés #drogues #déchéance_de_nationalité #aide_humanitaire #Programme_alimentaire_mondial

  • Rémi Lefebvre, politiste : « La Nupes explose sous les effets de la controverse de trop : le conflit israélo-palestinien »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/30/remi-lefebvre-politiste-la-nupes-explose-sous-les-effets-de-la-controverse-d

    L’accord signé en mai 2022 est à la fois soudain et d’une ampleur historique inédite : après des années de divisions, les parties prenantes optent pour une répartition des candidatures aux élections législatives dès le premier tour sur la base du rapport de force de l’élection présidentielle, très favorable à LFI. Rappelons que les alliances de gauche précédentes (programme commun de 1972 et la gauche plurielle de 1997) étaient surtout des accords de désistement de second tour.

    Alliance bancale et invertébrée

    L’alliance, aussi radicale dans sa forme que superficielle dans sa confrontation idéologique, a eu un vice initial : elle fige le système partisan à gauche et conforte les partis existants, alors que l’absence de rassemblement et ses effets électoraux (une lourde défaite collective) auraient sans doute conduit à des recompositions partisanes. Chaque organisation cherche depuis à réaffirmer ses intérêts, principalement électoraux....

    ... Le « parlement » de la Nupes n’a pas été relancé. Les forces en présence n’ont pas engagé un travail programmatique qui aurait pu aller au-delà des négociations rapides de mai 2022. Il aurait pu pourtant permettre une mise à plat et un dépassement des divergences (sur la laïcité, la police, la politique extérieure, la stratégie parlementaire…) Aussi, l’acte deux de la Nupes n’a jamais eu lieu.

    ... on dénombre à peine 100 000 militants actifs toutes organisations comprises...
    https://archive.ph/wYA6d

    #gauche #Nupes #ceci_n'est_pas_un_programme

  • « La question du passé colonial est le dernier “tabou” de l’histoire de France des XIXᵉ et XXᵉ siècles »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/30/la-question-du-passe-colonial-est-le-dernier-tabou-de-l-histoire-de-france-d

    Les deux historiens Nicolas Bancel et Pascal Blanchard plaident pour la création d’un musée des colonisations, comme il en existe dans d’autres pays européens, qui permettrait de relativiser les mémoires antagonistes et d’intégrer à l’histoire des millions de personnes qui s’en sentent exclues.
    L’histoire coloniale est désormais à l’agenda des débats publics. Et si les débats sont très polarisés – entre les tenants d’une vision nostalgique du passé et les apôtres du déclin (de plus en plus entendus, comme le montre la onzième vague de l’enquête « Fractures françaises ») et les décoloniaux les plus radicaux qui assurent que notre contemporanéité est tout entière issue de la période coloniale –, plus personne en vérité ne met aujourd’hui en doute l’importance de cette histoire longue, en France, de cinq siècles.
    Loin des conflits mémoriaux des extrémistes, l’opinion semble partagée entre regarder en face ce passé ou maintenir une politique d’amnésie, dont les débats qui accompagnèrent les deux décrets de la loi de 2005 sur les « aspects positifs de la colonisation » furent le dernier moment d’acmé. Vingt ans après, les politiques publiques sur le sujet sont marquées par… l’absence de traitement collectif de ce passé, dont l’impossible édification d’un musée colonial en France est le symptôme, au moment même où va s’ouvrir la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts.

    Si l’#histoire_coloniale n’est pas à l’origine de l’entièreté de notre présent, ses conséquences contemporaines sont pourtant évidentes. De fait, les récents événements au Niger, au Mali et au Burkina Faso signent, selon Achille Mbembe, la « seconde décolonisation », et sont marqués par les manifestations hostiles à la France qui témoignent bien d’un désir de tourner la page des relations asymétriques avec l’ancienne métropole. En vérité, malgré les assurances répétées de la volonté des autorités françaises d’en finir avec la « Françafrique », les actes ont peu suivi les mots, et la page coloniale n’a pas véritablement été tournée.

    Relation toxique

    La France souffre aussi d’une relation toxique avec les immigrations postcoloniales et les #quartiers_populaires, devenus des enjeux politiques centraux. Or, comment comprendre la configuration historique de ces flux migratoires sans revenir à l’histoire coloniale ? Comment comprendre la stigmatisation dont ces populations souffrent sans déconstruire les #représentations construites à leur encontre durant la colonisation ?

    https://archive.ph/cLr0N

    #france #colonisation #racisme #musée

  • What Palestinians Really Think of Hamas – Foreign Affairs, 25/10/2023
    https://www.arabbarometer.org/wp-content/uploads/what-palestinians-really-think-of-hamas-2023-10-26-08-4941.pdf

    Before the War, Gaza’s Leaders Were Deeply Unpopular—but an Israeli Crackdown Could Change at

    The argument that the entire population of Gaza can be held responsible for Hamas’s actions is quickly discredited when one looks at the facts. Arab Barometer, a research network where we serve as co-principal investigators, conducted a survey in Gaza and the West Bank days before the Israel-Hamas war broke out. e ndings, published here for the rst time, reveal that rather than supporting Hamas, the vast majority of Gazans have been frustrated with the armed group’s ineective governance as they endure extreme economic hardship. Most Gazans do not align themselves with Hamas’s ideology, either. Unlike Hamas, whose goal is to destroy the Israeli state, the majority of survey respondents favored a two- state solution with an independent Palestine and Israel existing side by side.

    Continued violence will not bring the future most Gazans hope for any closer. Instead of stamping out sympathy for terrorism, past Israeli crackdowns that make life more dicult for ordinary Gazans have increased support for Hamas. If the current military campaign in Gaza has a similar eect on Palestinian public opinion, it will further set back the cause of long-term peace.

  • RSF sur X :

    RSF dévoile une enquête sur la mort du reporter de Reuters #Issam_Abdallah au #Liban, à la frontière avec Israël : le véhicule des journalistes a bel et bien été ciblé alors qu’ils étaient clairement identifiables comme journalistes.👇

    https://twitter.com/RSF_inter/status/1718660443344924722

    https://video.twimg.com/amplify_video/1718589072187297792/vid/avc1/640x360/ZHq-2n-4wnnt8LAm.mp4?tag=16

    #impunité

  • « Non, l’aide médicale d’Etat n’est pas un scandaleux appât pour migrants ! »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/25/non-l-aide-medicale-d-etat-n-est-pas-un-scandaleux-appat-pour-migrants_61964

    « Non, l’aide médicale d’Etat n’est pas un scandaleux appât pour migrants ! »
    Tribune Nicolas Clément
    L’aide médicale d’Etat (AME) fait-elle de la France, comme le pense la droite, une sorte d’« open bar » sanitaire pour migrants ? D’abord un chiffre : l’AME représenterait près de 1,2 milliard d’euros, selon un rapport, publié en mai, de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire de l’Assemblee nationale sur « l’évaluation du coût des soins dispensés aux étrangers en situation irrégulière ».
    Très élevé en apparence, ce chiffre est à comparer au total de l’Assurance-maladie qui s’élevait à 236 milliards en 2022, montrent les données officielles de la direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees) ; ainsi, cette aide ne compte que pour 0,5 % du total des dépenses de santé. En 2022, 411 364 personnes en ont bénéficié, soit, sur 67 millions de Français, un taux de 0,6 %.Contrairement à ce qui est bien souvent affirmé, le poids des bénéficiaires de l’AME dans le total des dépenses de santé est inférieur à leur poids démographique et leur « consommation sanitaire » est d’environ 16 % en dessous de la moyenne française. Par ailleurs, une étude de l’Institut de recherche et de documentation en économie de la santé (Irdes) de l’université de Bordeaux estimait en novembre 2019 que seul un sans-papiers éligible sur deux en bénéficiait.Mais au fait, pourquoi avoir créé, en 1999, cette aide, régulièrement discutée ? Ses concepteurs avaient deux buts ; l’un humanitaire, pour assurer la couverture santé de personnes en situation difficile ; l’autre de santé publique, pour éviter les maladies contagieuses et ainsi nous protéger. Et c’est la somme de ces deux buts qui justifie ce dispositif. Or, souvent, seul le motif humanitaire est retenu dans les débats – soit pour le brandir en avant, soit pour le rejeter vigoureusement –, le motif sanitaire étant, lui, la plupart du temps, oublié.
    Pourtant, si on l’intégrait, le premier questionnement ne porterait pas sur le coût de l’AME mais sur la nécessité de tout faire pour limiter les non-recours. Paradoxe : pendant les deux ans de la crise sanitaire du Covid, on n’a cessé de nous alerter sur les risques de contamination alors que certains veulent soudain supprimer ce dispositif qui, en soignant les malades, limite les risques contagieux ! Du côté des bénéficiaires, la théorie de « l’appel d’air » est très loin d’être vérifiée, comme le montre le faible taux de recours déjà évoqué. L’expérience de terrain dans l’accompagnement vers la couverture médicale de très nombreux Roms roumains corrobore ces analyses de l’Irdes : la constitution du dossier de demande d’AME n’est pas simple et les personnes concernées ne s’y attellent que lorsqu’elles ont des soucis de santé, ce qui est loin d’être le plus courant.
    Il faut le répéter : même s’il y a des exceptions, la très grande majorité des étrangers qui viennent en France veulent avant tout un travail et des revenus et ne sont pas motivés par les protections sociales. Non, l’aide médicale d’Etat n’est pas un scandaleux appât pour migrants ! Et heureusement, car les conditions d’accès sont de plus en plus rudes. Un exemple ?
    Toute première demande d’AME doit être apportée en mains propres au service concerné ; on ne peut plus se contenter d’un envoi postal. Mais on perd ainsi un temps considérable de trajet et de file d’attente au guichet, et il faut désormais être accompagné d’un travailleur social pour pouvoir expliquer ce qu’on a répondu sur les divers documents exigés pour la demande. Trop lourde, cette étape pousse souvent à l’abandon.Cette mesure (ainsi que d’autres rendant l’accès plus difficile à l’AME) a été préconisée par un rapport conjoint de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale de l’action sociale. Selon ses auteurs, 20 à 30 % des bénéficiaires d’une carte AME retireraient celle-ci dans un délai de plus de deux mois après notification. Cela s’expliquerait « dans certains cas par le fait que la personne réside dans son pays d’origine et ne prévoit un retour en France et un retrait de la carte AME qu’en cas de besoin de soins ».
    D’abord quelle est l’ampleur du « certains cas » qui, s’il n’est mesuré, n’a pas beaucoup de sens ? Surtout, c’est méconnaître la façon dont ces personnes reçoivent une information par courrier : un très grand nombre n’ont pas d’adresse physique, mais seulement une adresse postale gérée par une association domiciliatrice, dont les horaires ne sont pas toujours compatibles avec ceux des bénéficiaires, surtout s’ils travaillent ou si leur lieu de vie (au gré d’expulsions) s’est beaucoup éloigné du lieu de la domiciliation. Dès lors, le temps entre l’arrivée d’un courrier et sa récupération par l’intéressé est souvent fort long.
    Autre exemple de méconnaissance : on ne pouvait, au moment de la publication du rapport, demander l’AME qu’après trois mois de résidence en France, ce qui se vérifie en regardant le passeport et les derniers visas qui y figurent. Mais les auteurs ajoutaient qu’il « est probable que les personnes arrivées depuis moins de trois mois, aient renouvelé leur passeport auprès du consulat de leur pays » pour faire disparaître leur visa. On comprend mal la logique.
    Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « La réforme de l’aide médicale d’Etat est une triple faute morale, économique et sanitaire »Mais, à la suite de la publication de ce rapport, le délai a changé : il est désormais de trois mois… après les trois premiers mois passés en France comme « touriste ». Il faut donc désormais avoir passé au moins six mois en France avant de pouvoir lancer une demande d’AME.
    Face à cette aide médicale, deux politiques sont actuellement à l’œuvre : l’une, directe et brutale, souhaitée notamment par Gérald Darmanin, ministre de l’intérieur, vise à la supprimer et la remplacer par un dispositif beaucoup plus limité ; l’autre, plus discrète mais très pernicieuse, consiste à accroître les obstacles et réduire de facto la proportion de bénéficiaires parmi ceux qui y seraient éligibles. A l’inverse de ces deux options, il importe de défendre l’AME, aussi bien par humanité que pour préserver notre population.
    Et cessons de pourrir la vie de ceux qui arrivent en France : dans De l’humiliation : le nouveau poison de notre société (Les liens qui libèrent, 2022) Olivier Abel montre bien les effets terribles à long terme des humiliations subies…
    Nicolas Clément est auteur de « La Précarité pour tout bagage. Un autre regard sur les Roms » (éditions de l’Atelier, 2022) et de « Une Soirée et une nuit (presque) ordinaires avec les sans-abri » (éditions du Cerf, 2015).

    #Covid-19#migrant#migration#france#AME#politiquemigratoire#accueil#asile#sante#mortalite

  • Une manifestation propalestinienne prévue à Paris samedi interdite par le préfet de police
    https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/26/une-manifestation-propalestinienne-prevue-a-paris-samedi-interdite-par-le-pr

    Laurent Nuñez a mis en avant un risque de « trouble à l’ordre public » en raison de « propos » tenus par les organisateurs pouvant « laisser à penser » qu’ils consitutaient un « soutien au Hamas ».

    .... « Ce n’est pas une question de maintien de l’ordre (…), le critère est plutôt immatériel », a argué Laurent Nuñez. « Le trouble à l’ordre public peut être immatériel. Le seul fait qu’on puisse tenir des propos négationnistes, antisémites ou de soutien au terrorisme, c’est pour nous un problème, c’est ce qui justifie ces interdictions », a-t-il déclaré, citant des organisations comme le Front populaire de libération de la Palestine en France et le NPA (Nouveau parti anticapitaliste).

    (plus qu’à attendre le résultat du référé liberté qui devrait avoir lieu...)

    Israël-Hamas : les dangers de la polarisation politique française
    ÉDITORIAL
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/26/israel-hamas-les-dangers-de-la-polarisation-politique-francaise_6196596_3232

    A chaque embrasement dans la région, le sujet a suscité des clivages. Cette fois, c’est la polarisation aux extrêmes qui domine. Dans ce contexte incendiaire, il était urgent pour Emmanuel Macron de dissiper les malentendus susceptibles de servir de carburant à l’un ou l’autre camp.

    ... refusant de qualifier le Hamas d’organisation terroriste, Jean-Luc Mélenchon a fait le pari cynique d’être le mieux placé pour récupérer la colère dans les banlieues, si un jour elle explose. Si Marine Le Pen se présente désormais comme la meilleure alliée d’Israël, c’est pour mieux blanchir son parti de son passé antisémite.

    .... Parce que le premier réflexe du gouvernement français avait été d’interdire les manifestations propalestiniennes, le sentiment avait pu prévaloir que la position française était devenue univoque. Le malaise est aujourd’hui heureusement dissipé. (youpi !)

  • Immigration : « Une fraction du patronat utilise une forte proportion d’immigrés pour faire pression à la baisse sur les salaires »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/24/immigration-une-fraction-du-patronat-utilise-une-forte-proportion-d-immigres

    Immigration : « Une fraction du patronat utilise une forte proportion d’immigrés pour faire pression à la baisse sur les salaires »Didier Leschi, Historien et haut-fonctionnaire
    L’inquiétude qui se fait jour dans nombre de pays d’Europe devant les arrivées régulières de naufragés dans les ports d’Italie doit-elle être considérée comme illégitime, ou bien être prise en considération ? Voilà l’équation d’un débat qui apparaît d’autant plus confus qu’il est souvent piégé par ce trait bien résumé par la formule d’Oscar Wilde : « La souffrance attire plus aisément la sympathie que la réflexion. »
    A notre tour donc d’essayer de donner quelques repères en faisant en sorte que la nécessaire empathie envers notre commune humanité et la souffrance aide à l’analyse des faits plutôt qu’au déni. Tout d’abord, un constat : l’Europe n’est pas une forteresse fermée. Ses évolutions démographiques l’attestent. En Europe comme en France, il n’y a jamais eu autant d’immigrés. Bien plus, en pourcentage, qu’il n’y en a en Afrique, en Asie, ou encore en Amérique latine. Pour ne prendre que deux exemples, depuis le début du XXIᵉ siècle, nous sommes passés, en France, de 7 % à plus de 10 % d’immigrés, progression il est vrai moindre que celle qu’a connue la Suède, de 10 % à 20 %. Mais – et on peut difficilement affirmer que cela soit sans rapport – l’extrême droite vient d’accéder au gouvernement dans ce pays.
    En France, cette progression est alimentée par la venue d’une forte immigration africaine ; aujourd’hui, un immigré sur deux est originaire de ce continent. Il s’agit bien de changements significatifs par rapport aux périodes antérieures, qui suscitent des craintes sur le devenir de nos équilibres sociaux et sociétaux. Ce n’est pas un hasard si celles-ci traversent particulièrement des pays historiques de la social-démocratie, comme le Danemark ou encore la Suède, où les difficultés d’intégration, même minoritaires, bouleversent l’ensemble de la société.
    Nos modèles sociaux reposent sur l’acceptation par chaque salarié cotisant ou citoyen contribuable d’une participation à un pot commun sur lequel s’appuient les mécanismes de sécurité sociale et l’accès à des services publics gratuits comme l’hôpital ou l’école. Ils sont une construction sociale consolidée de longue lutte par ce qu’on appelait jadis le mouvement ouvrier. Il faut entendre les craintes qui étreignent nos concitoyens les plus démunis, qui ont le sentiment que ceux qu’ils considèrent comme des nantis leur font, en permanence, injonction d’accueillir plus démunis qu’eux, au risque de faire imploser les systèmes sociaux et remettre en cause les acquis sociétaux du fait d’écarts culturels portés aux extrêmes avec une partie des immigrants.
    Parmi le carburant de ces inquiétudes, les données sociales. Une forte proportion d’immigrés, peu ou pas formée, a du mal à s’insérer sur le marché du travail, si ce n’est pour y occuper des emplois précaires et constituer, malgré elle, un sous-prolétariat utilisé par une fraction du patronat pour faire pression à la baisse sur les salaires. Une partie des « métiers en tension » en relèvent. Cela explique pour beaucoup que près de 40 % des immigrés nés en Afrique aient un niveau de vie inférieur au taux de pauvreté monétaire, et que 43 % soient en situation de privation matérielle et sociale, malgré les prestations sociales et les aides diverses.
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    Parmi ces aides, l’accès au logement social n’est pas la moindre, dans un contexte de pénurie. Près d’une personne sur deux d’origine algérienne, marocaine ou tunisienne est locataire d’un logement social, plus d’un immigré d’Afrique subsaharienne sur deux ; 35 % des immigrés sont locataires du logement social, contre 11 % pour les non-immigrés. Ces données permettent de mesurer les efforts accomplis en particulier en faveur des 30 000 à 50 000 personnes obtenant le statut de réfugié depuis la crise migratoire de 2015.
    De même, notre système de santé assume, pas uniquement à travers l’aide médicale de l’Etat, la prise en charge gratuite de non-cotisants pour des soins lourds et coûteux de malades qui font prévaloir que les soins dont ils ont besoin, s’ils existent dans leur pays, ne leur sont pas accessibles. On peut ajouter les milliards d’euros consacrés à l’hébergement inconditionnel, gratuit et anonyme de dizaines de milliers de personnes qui n’ont plus de droit au séjour. Un acquis sans équivalent en Europe.
    Imprévoyances
    Mais, nous dit-on, la France ne prendrait pas sa part d’asile. Il serait plus juste d’indiquer que les Syriens comme les Ukrainiens ont préféré d’abord rejoindre des pays où existaient préalablement à leur venue de fortes communautés. Ce constat, qui est indiscutable, c’est que frappent à nos portes, sous prétexte d’asile, des personnes qui fuient plus les désordres économiques de leur pays que des persécutions. Ils viennent de l’Ouest africain et du Maghreb, qui constituent, actuellement, la majorité de ceux qui se risquent en Méditerranée. Ou encore des ressortissants des Balkans qui rentrent sans visa. Faudrait-il donner l’asile à tous ceux qui n’en relèvent pas sous prétexte que ceux qui indéniablement en relèvent le demandent moins en France que dans d’autres pays ?
    En répondant sans hésitation par l’affirmative, ceux qui veulent abolir des frontières ont l’avantage de la cohérence. Mais la mise en œuvre d’un tel principe aboutirait à vouloir étendre les frontières de l’Europe sociale à toutes les victimes du chaos du monde. Et n’est-ce pas mépriser la misère du monde que ne pas concevoir que si demain la France et les autres pays européens ouvraient totalement leurs frontières, avec promesses de pleins droits sociaux et pourquoi pas le transport gratuit afin d’éviter les odieux trafics, ce seraient des millions de personnes qui se porteraient immédiatement candidates à l’exil ? Et n’est-ce pas un peu postcolonial que de ne pas se préoccuper des effets des pillages des élites du tiers-monde pour pallier nos imprévoyances ou notre incapacité à former et à orienter des jeunes dans des spécialités professionnelles qui manquent à nos économies ?
    C’est ce que craignent les plus démunis socialement, car ils considèrent supporter déjà l’essentiel de l’effort d’accueil et les difficultés d’intégration sociales et culturelles. Plutôt que de vouloir, dans ce débat, prendre « la mesure du monde tel qu’il est », selon la formule du sociologue François Héran, ayons en tête une des prophéties du philosophe Friedrich Engels [1820-1895], qui, en évoquant la situation de la classe laborieuse dans l’Angleterre de 1845, constatait qu’un des moyens des puissants du monde d’affaiblir les résistances populaires est de créer les conditions d’une « humanité nomade ».
    Didier Leschi est directeur général de l’Office français de l’immigration et de l’intégration. Il a écrit « Ce grand dérangement. L’immigration en face » (Gallimard, nouvelle édition, 64 pages, 4,90 euros).

    #Covid-19#migration#migrant#france#immigration#integration#accueil#economie#politiquemigratoire

  • Guerre Israël-Hamas : « Les dirigeants israéliens n’ont pas compris que, dans une guerre asymétrique, le faible finit en général par l’emporter sur le fort », Sophie Bessis
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/24/guerre-israel-hamas-les-dirigeants-israeliens-n-ont-pas-compris-que-dans-une

    Depuis l’attaque du Hamas du 7 octobre, nombre d’esprits que l’on pouvait jusqu’ici qualifier de raisonnables somment les uns et les autres de choisir leur camp. La seule attitude raisonnable est de refuser une telle injonction et de tenter de comprendre, sachant que comprendre n’équivaut pas à justifier. Car de quoi parle-t-on ? Si le Hamas s’était contenté d’enfoncer le mur de sécurité israélien et d’attaquer les casernes de Tsahal [l’armée israélienne], son opération aurait été légitime, quelle que soit la répugnance que peut inspirer un mouvement de nature fondamentaliste et totalitaire, car il aurait pulvérisé la certitude qu’a Israël de sa toute-puissance et l’aurait peut-être ramené au principe de réalité. Mais le #massacre de centaines de #civils israéliens ne peut être considéré comme un acte de résistance à l’occupant et doit être condamné sans réserves.

    L’histoire des luttes de libération du XXe siècle nous enseigne que le refus des colonisateurs de négocier avec leurs responsables considérés comme les plus modérés a radicalisé ces derniers ou a laissé la voie libre à leurs éléments les moins disposés au compromis. Toutes ces luttes ont montré que le désespoir des dominés, l’absence de perspectives engendrée par l’entêtement des occupants à occuper ont fini par convaincre les premiers que la violence seule pouvait les libérer. Ils sont alors devenus des terroristes.

    C’est ainsi que l’on a qualifié entre autres le Vietcong, le Front de libération national algérien et, jusqu’en 1993, l’Organisation de libération de la #Palestine, avant de les reconnaître comme des interlocuteurs obligés. Il faut rappeler à cet égard qu’au cours des dernières décennies, le Mossad [les services de renseignement extérieur israéliens] a systématiquement assassiné des dirigeants palestiniens sinon les plus modérés, du moins les plus politiques, à l’instar d’Abou Jihad [en 1988], laissant il est vrai aux franges les plus extrémistes du mouvement palestinien, comme le groupe d’Abou Nidal, le soin d’éliminer ceux qu’il épargnait.

    Le retour du refoulé colonial

    Le vocabulaire des situations coloniales est d’une affligeante monotonie : quand la violence répond à la violence parce que toutes les autres routes ont été coupées, celle de l’oppresseur est passée sous silence et celle de l’opprimé devient l’emblème du mal et de la cruauté qui caractérisent son essence et sa culture.

    Malheureusement, les prises de position unilatérales des dirigeants occidentaux en faveur d’Israël ont toutes relevé de cette rhétorique du pire. Leurs déclarations semblent en outre indiquer que ce n’est pas seulement les massacres de masse commis par le Hamas qu’ils ont condamné, c’est l’idée même qu’une action armée palestinienne puisse être menée contre l’Etat hébreu. Le Hamas ne s’est pas contenté de cette dernière et a, par l’ampleur de ses tueries, donné à Israël l’occasion de décupler l’hubris qui caractérise depuis des décennies sa politique et qui a atteint des sommets ces dernières années. Comment expliquer une telle partialité sinon par un retour bruyant du refoulé colonial de ces puissances à l’imperium désormais contesté ?

    L’#histoire, à cet égard, est friande de paradoxes. Alors que, durant des siècles, la figure du #juif a représenté en Europe l’intrusion sur son sol de l’Orient, Israël est aujourd’hui le bastion avancé de l’#Occident au cœur même d’un #Orient vu comme de plus en plus menaçant. C’est ce bastion que les Occidentaux entendent défendre coûte que coûte sans voir qu’à manquer de justice ils encouragent la folle dérive de leur protégé et entretiennent le feu au lieu de tenter de l’éteindre. Pas un seul d’entre eux n’a évoqué l’urgente nécessité de remettre la question politique de la #colonisation au cœur de l’actualité. Les moins frileux se contentent d’appeler à rechercher des « solutions » et à accroître l’aide humanitaire à une population ici écrasée sous les bombes, là survivant sous la botte d’une armée d’occupation et livrée aux exactions des #colons qu’elle protège.

    Illusoire protection

    Leur silence sur les raisons profondes de la dévastation en cours est devenu à ce point inacceptable qu’il a réussi la prouesse de dresser contre eux les régimes arabes les moins recommandables, de l’#Egypte à l’#Arabie_saoudite, d’ordinaire prêts à accepter toute instruction de Washington contre quelques milliards de dollars ou des livraisons d’armes supplémentaires. Cela ne suffit plus. Eux aussi, si dictatoriaux soient-ils, doivent tenir compte d’opinions publiques dont l’#antisionisme est porté par cette nouvelle guerre à l’incandescence. Que ce dernier se mue trop souvent en haine du juif est déplorable, et la récente dégradation d’un mausolée juif en Tunisie, que le pouvoir a laissé faire, montre la progression de ce mal.

    Mais ici aussi, il convient de revenir en arrière. Depuis sa création, aidé en cela une fois de plus par l’Occident, Israël s’est érigé en seule incarnation du peuple juif – une notion en soi problématique – qu’il entendait réunifier, tout juif ayant aux yeux de ses dirigeants pour devoir de le défendre sans conditions. Nombre d’entre eux se sont pliés à ce commandement. D’autres s’y refusent, plus nombreux qu’on ne le croit. Mais tous seront en danger tant qu’on les confondra avec un Etat dont la politique coloniale devient au fil des ans d’une brutalité sans limites.

    Convaincu depuis sa création que la force prime sur le droit, désormais aveuglé par sa soif de #vengeance et par l’illusoire protection que lui offrent ses alliés occidentaux dont les interventions dans la région ont depuis plus d’un siècle davantage fait partie des problèmes que de leur solution, l’Etat israélien est aujourd’hui entre les mains d’extrémistes qui n’ont rien à envier à leurs ennemis jurés du Hamas. Les deux se ressemblent dans la mesure où les deux voient dans l’anéantissement de l’autre la seule condition de leur survie.

    Ce que les dirigeants israéliens n’ont cependant pas compris, c’est que, dans une guerre asymétrique, le faible finit en général par l’emporter sur le fort. A oublier cette leçon, ils risquent de rééditer la fin tragique du Samson de la Bible qui, dans le même geste, ensevelit les Philistins sous les décombres de leur demeure et se suicida.

    Sophie Bessis est historienne et politiste. Son dernier ouvrage paru est « Je vous écris d’une autre rive. Lettre à Hannah Arendt » (Elyzad, 2021)

    #Hamas #Israël #exterminisme

  • Immigration : tolérance de la société, vote à l’extrême droite, le paradoxe français
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/20/immigration-tolerance-de-la-societe-vote-a-l-extreme-droite-le-paradoxe-fran

    Immigration : tolérance de la société, vote à l’extrême droite, le paradoxe français
    Par Anne Chemin
    Enquête Si, depuis trente ans, la société accepte de mieux en mieux les minorités raciales et religieuses, la scène politique glisse, elle, vers l’extrême droite. Une contradiction due à la montée spectaculaire de l’abstention des électeurs tolérants et à l’intense stratégie de polarisation sur l’immigration menée par le Front national depuis les années 1980.
    La femme a les cheveux sagement coiffés en deux longues tresses blondes et l’homme est élégant – un costume boutonné, une cravate noire, un imperméable bien coupé. Tous deux bavardent en souriant devant une sortie de métro avant de poursuivre leur conversation sur un banc. Filmée en 1961, cette scène de rue serait banale, voire plaisante, si ce n’étaient les regards profondément hostiles des passants : certains les fixent en fronçant sévèrement les sourcils, d’autres leur jettent des coups d’œil méfiants, voire réprobateurs – comme si ce couple avait commis un crime impardonnable.
    Que leur reproche-t-on ? Rien, si ce n’est la couleur de leur peau – ou plutôt l’association de leurs couleurs de peau : l’homme est Noir, la femme est Blanche.Diffusée sur la RTF, cette scène ouvre un documentaire d’Etienne Lalou consacré, en 1961, au racisme. Interrogé sur l’éventualité d’un mariage de sa fille avec un Noir, un homme affirme gravement que le sujet « demande réflexion ». « Noir, peut-être que je dirais non », conclut-il. Une passante ajoute avec l’air contrarié qu’elle essaierait de « faire revenir sa fille sur sa décision ». « Je lui dirais qu’il y a des Blancs, quand même, sur la terre, qu’il ne faut pas confondre. »
    Plus de six décennies après, ces images semblent issues d’un autre monde. La xénophobie, certes, n’a pas disparu, mais les couples mixtes se sont multipliés et les propos ouvertement racistes raréfiés. En témoigne l’évolution de l’indice longitudinal de tolérance (ILT) construit par le chercheur Vincent Tiberj à partir de l’enquête annuelle de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) : depuis trente ans, la tolérance a « considérablement » progressé, souligne-t-il. « L’évolution de l’indice montre que la diversité est devenue à la fois plus banale et plus acceptable », résume le professeur de sociologie à Sciences Po Bordeaux.
    Ce baromètre n’a rien d’un sondage fait à la va-vite sur Internet : réalisé en face à face auprès d’environ un millier de personnes, il comprend, depuis 1990, des dizaines d’items répétés dans le temps : soixante-neuf séries de questions et 878 points de mesure autour de l’immigration et de la xénophobie. A ce travail approfondi, Vincent Tiberj a ajouté un indicateur « élargi » qui agrège, depuis 1984, 98 séries de questions et 1 016 points de données venant d’autres enquêtes.
    Même si le racisme « subtil » apparu dans l’après-guerre est plus difficile à détecter que le racisme biologique, hiérarchique et inégalitaire qui l’a précédé, ces indicateurs arrivent à la même conclusion : depuis les années 1980, la tolérance, en France, ne cesse de gagner du terrain. Gradué de 0 à 100, l’indice de tolérance est ainsi passé de 50 au début des années 1990 à 65 à la fin des années 2010, avant d’atteindre, en 2022, le record de 68.
    Quelques questions permettent de mesurer le chemin parcouru : la part des personnes interrogées qui considèrent que les immigrés sont une source d’enrichissement culturel est passée de 44 % en 1992 à 76 % en 2022 ; la part de celles qui soutiennent le droit de vote des étrangers est passée de 34 % en 1984 à 58 % en 2022 ; si elle reste majoritaire, la part de celles qui considèrent qu’il y a trop d’immigrés en France a chuté de 69 % en 1988 à 53 % en 2022. « L’opinion sur les immigrés et les minorités s’est améliorée », résume la politiste Nonna Mayer.
    Pour Vincent Tiberj, ce recul des préjugés est lié à l’élévation spectaculaire du niveau d’éducation – la part d’une génération titulaire du baccalauréat est passée de 20 % en 1970 à 80 % aujourd’hui. « Le diplôme, rappelle-t-il, est associé à une meilleure acceptation de la diversité des croyances, des modes de vie et des histoires familiales. Les bacheliers, quel que soit leur âge, sont plus ouverts à l’immigration que les non-bacheliers : parmi les plus jeunes (nés après 1977), 50 % des non-bacheliers estiment qu’en “France on ne se sent plus chez soi comme avant”, contre seulement 30 % des bacheliers ; chez les plus âgés (nés avant 1955), les pourcentages sont de 66 % contre 36 %. »
    Les progrès de la tolérance, ajoute Vincent Tiberj, sont aussi le fruit du renouvellement des générations. « La xénophobie est le fait des personnes les plus âgées, non parce qu’elles sont devenues conservatrices avec le temps mais parce que leurs préjugés sont un lointain écho du passé, poursuit-il. Alors que les jeunes grandissent dans un monde multiculturel où le racisme biologique a quasiment disparu, les personnes qui sont aujourd’hui à la retraite ont été socialisées dans une France perçue comme ethniquement homogène où la croyance dans les hiérarchies raciales appartenait au sens commun. Leurs idées reçues ne sont pas un effet d’âge mais de génération. »
    Si l’indicateur a des hauts et des bas, la tendance, sur cinquante ans, ne fait aucun doute : depuis 1990, la tolérance envers les minorités ethniques, raciales et religieuses progresse à grands pas. Un constat qui, dans un pays où Marine Le Pen est arrivée à deux reprises au second tour de la présidentielle et où le Rassemblement national (RN) représente le deuxième groupe de l’Assemblée nationale, a quelque chose d’étrangement surréaliste.Depuis les municipales de Dreux (Eure-et-Loir), en 1983, les scores électoraux de l’extrême droite ont, en effet, explosé, entraînant dans leur sillage une radicalisation de la droite « classique », qui, sur l’immigration, ne cesse de jouer la carte de la surenchère.
    Lire aussi (2007) : Rétrocontroverse : 1983, Dreux, le FN et le fascisme

    Comment comprendre ce paradoxe ? Comment analyser ce fossé entre une société de plus en plus ouverte et des élites politiques qui ne cessent de dénoncer haut et fort les ravages économiques, sociaux, religieux et culturels de l’immigration ? Pourquoi les controverses enflammées sur les étrangers sont-elles à mille lieues des processus d’intégration silencieusement à l’œuvre dans la société française ?
    Pour Vincent Tiberj comme pour beaucoup de politistes, la réponse est simple : la scène politique constitue un reflet très imparfait du monde social. « La connexion électorale n’est jamais une simple courroie de transmission », résume le chercheur.Contrairement à ce que l’on croit souvent, la « logique du “miroir” » est « en grande partie une illusion », souligne, en effet, Nicolas Sauger, professeur à Sciences Po et auteur, avec Emiliano Grossman, de Pourquoi détestons-nous autant nos politiques ? (Presses de Sciences Po, 2017). « D’abord, explique-t-il, parce que, même avec toute la sincérité du monde, les élus ne relaient que ce qu’ils perçoivent des aspirations de leurs électeurs, c’est-à-dire, finalement, peu de choses : ils entendent surtout ce qui leur est familier. Ensuite parce que les prises de position des partis sont souvent, non pas le reflet des opinions des électeurs, mais le fruit des jeux tactiques qui structurent la compétition partisane. »
    Toutes ces distorsions, conclut le politiste Nicolas Sauger, font des élections un miroir forcément « déformant ». « Il est rare que les résultats électoraux reflètent avec fidélité les valeurs sociales », renchérit Vincent Tiberj. Les chercheurs en veulent pour preuve les courbes mystérieusement croisées du recul des préjugés raciaux et des succès du Front national (FN) : le parti d’extrême droite enchaîne les triomphes électoraux dans un pays où les minorités ethniques et religieuses sont de mieux en mieux acceptées alors qu’il obtenait des scores lilliputiens (0,7 % des suffrages à la présidentielle de 1974) dans une France où la xénophobie était largement partagée.
    Comment interpréter ce paradoxe des années 1970 ? Pour Vincent Tiberj, il est le fruit d’un phénomène qu’il a baptisé la « politique des deux axes ». A l’époque, les déterminants du vote étaient essentiellement socio-économiques : les électeurs étaient guidés non par leurs valeurs culturelles mais par leurs convictions sur le rôle économique de l’Etat ou de la protection sociale. « Le champ électoral était entièrement structuré par les valeurs socio-économiques, note-t-il. A la présidentielle de 1988, la probabilité de voter à gauche atteignait ainsi des sommets (0,96) chez les citoyens qui exprimaient des convictions sociales alors qu’elle était négligeable (0,07) chez les partisans du libéralisme économique ! »
    La fin des années 1980 voit cependant naître de nouveaux équilibres. Parce qu’elles se politisent, les valeurs culturelles (laïcité, égalité des sexes, immigration, homosexualité) commencent à concurrencer les valeurs socio-économiques.Les études électorales montrent ainsi que les convictions sociétales, qui jouaient à la marge lors du scrutin présidentiel de 1988, font quasiment jeu égal, en 2007, avec les préférences économiques et sociales : au fil des décennies, les électeurs votent de plus en plus souvent non en fonction de leurs opinions sur les nationalisations ou le niveau du smic mais de leurs positions sur le mariage homosexuel ou l’islam.L’émergence de ce clivage culturel permet de comprendre le paradoxe des années 1970 : si le FN de l’époque peine à exister dans un pays pourtant profondément hostile à l’immigration, c’est tout simplement parce qu’à l’époque les questions raciales étaient absentes des campagnes électorales.
    « Les débats parlementaires de l’après-guerre font peu état de la question migratoire, qui est fortement dépolitisée, constate Catherine Wihtol de Wenden, directrice de recherche au CNRS, dans Figures de l’autre. Perceptions du migrant en France 1870-2022 (CNRS éditions, 2022). Aucune loi sur l’immigration n’est d’ailleurs votée entre 1946 et 1980 ! »
    En faisant abstraction d’une question comme l’immigration, le débat politique, dans les années 1970, masquait donc artificiellement l’intolérance, voire le racisme, d’une grande partie des électeurs. « Il y a quarante ans, les Français qui votaient pour le PS ou le PC étaient très souvent hostiles aux étrangers, souligne le politiste Tristan Guerra. En 1969, l’enquête sur l’“ouvrier français” réalisée par un collectif de chercheurs montrait ainsi que les classes populaires, pourtant fidèles aux partis de gauche, avaient de puissants préjugés xénophobes. Mais cette xénophobie du monde ouvrier n’avait pas de traduction politique : les élections ne se jouaient pas sur cette question. »
    Reste à comprendre le paradoxe d’aujourd’hui : un RN qui ne cesse de remporter des victoires électorales, alors que les Français sont de plus en plus ouverts à la diversité.L’une des clés de ce mystère réside en grande partie dans l’abstention – ou, plus précisément, l’abstention « différentielle » entre les classes d’âge. La désaffection des urnes est sans conteste l’un des traits marquants de l’histoire électorale des cinquante dernières années : depuis les années 1980, elle a augmenté de 156 % aux municipales et de 138 % aux législatives, mais elle ne touche pas, tant s’en faut, tous les électeurs de la même façon.
    Certains citoyens estiment que le vote est un rendez-vous incontournable de la vie politique, alors que d’autres revendiquent le droit de ne pas participer à cette grande cérémonie républicaine – et la ligne de partage entre ces deux camps est déterminée par l’âge.« Les cohortes les plus anciennes considèrent le vote comme un devoir civique : les baby-boomeurs nés dans les années 1940 ou 1950 forment un électorat mobilisé, stable et fidèle, souligne Vincent Tiberj. Les jeunes, même quand ils s’intéressent à la politique, ont en revanche une citoyenneté qui n’est pas ancrée dans la culture électorale de la délégation : ils préfèrent agir par d’autres voies. »Les écarts de participation en fonction des générations sont spectaculaires. En 2022, le vote « systématique » est au plus haut chez les personnes âgées de 70 à 79 ans (54 %), au plus bas chez les jeunes de moins de 25 ans (17 %), et cet écart ne cesse de se creuser : dans une note publiée en 2022 par l’Insee, Elisabeth Algava et Kilian Bloch constatent que, depuis 2002, l’abstention des 18-29 ans a augmenté plus fortement encore que celle des autres tranches d’âge. Cette désaffectation engendre une forte déformation du « miroir » électoral : dans les urnes, les plus de 65 ans pèsent de 1,3 fois à 1,5 fois leur poids, les moins de 35 ans entre 0,5 fois et 0,8 fois…
    Quand l’immigration s’impose dans l’agenda politique, cette abstention « différentielle » change profondément la donne, car les jeunes sont nettement plus ouverts à la diversité que leurs aînés. Quelques questions du baromètre de la CNCDH de 2022 permettent de mesurer ce fossé générationnel : 59 % des plus de 60 ans trouvent qu’il y a « trop d’immigrés en France » contre 46 % des moins de 35 ans ; 59 % ne se « sentent pas chez eux » contre 34 % des moins de 35 ans ; 45 % des plus de 45 ans estiment qu’il est très grave de s’opposer au mariage d’un de ses enfants avec un Noir contre 65 % des moins de 35 ans…Dans un pays où les questions « culturelles » se sont installées au sommet de l’agenda politique, la désaffection électorale des jeunes fausse profondément la photographie politique de la France. « Ceux qui ont l’impression que leur mode de vie est en train de disparaître et ceux qui craignent que la société ethniquement homogène du passé fasse place à une société multiculturelle sont certes de moins en moins nombreux – on le voit dans les enquêtes –, mais ils sont fortement sollicités par le RN, Reconquête ! et [le parti] Les Républicains, et ils votent massivement lors des élections, poursuit Vincent Tiberj. Lors des scrutins, ils font donc pencher la balance du côté de la droite, voire de l’extrême droite. »Depuis les années 1990, le RN est le grand gagnant de cette abstention « différentielle », analyse Tristan Guerra, doctorant au laboratoire Pacte, une unité de recherche du CNRS, de l’université de Grenoble et de Sciences Po Grenoble. « La tolérance envers l’immigration ne cesse de progresser, y compris au sein de la droite, mais une part des Français se sentent en danger, refusent le multiculturalisme et défendent les hiérarchies traditionnelles, note-t-il. Cet électorat n’est pas forcément majoritaire mais il est très polarisé, très idéologisé – et, surtout, très mobilisé lors des rendez-vous électoraux. La scène politique, du coup, se “droitise” – même si ce mouvement est en partie en trompe-l’œil. »
    La distorsion de la photographie électorale est d’autant plus forte que le RN a su, depuis les municipales de Dreux, en 1983, « polariser » sans relâche une question qui, de l’après-guerre aux années 1980, était absente des controverses politiques – pas parce qu’en matière d’immigration tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes – les bidonvilles et l’« islam des caves » auraient pu nourrir, dans les années 1960-1970, bien des polémiques – mais parce qu’aucune formation politique n’avait encore fait de cette question son cheval de bataille. A partir des années 1980, le vent, cependant, tourne : scrutin après scrutin, le FN installe le « problème » de l’immigration au cœur du débat public.Contrairement à ce que l’on pense souvent, les partis, lorsqu’ils mènent campagne, ne se contentent pas, en effet, d’être les porte-parole passifs des préoccupations présentes au sein de l’électorat : leur cœur de métier consiste à hiérarchiser leurs combats.
    Dans l’immensité des sujets qui travaillent la société française – la santé, le chômage, l’agriculture, l’avortement, le protectionnisme, les nationalisations, l’école, l’environnement, l’Europe ou la sécurité –, ils puisent les thèmes de campagne qui correspondent à leurs convictions : en les mettant au cœur de leurs discours, ils cherchent à politiser certaines questions au détriment d’autres.Fondées sur un récit collectif, ces stratégies de « cadrage » donnent un sens aux événements et proposent aux électeurs une lecture du monde. « Le travail des entrepreneurs politiques consiste à faire en sorte que leurs sujets de prédilection deviennent saillants, observe Tristan Guerra. Les électeurs, qui n’ont pas forcément de certitudes dans tous les domaines, sont alors appelés à se prononcer sur des questions qui ne faisaient pas forcément partie, initialement, de leurs préoccupations. Activées par les partis et les candidats, ces dispositions qui étaient à l’état “dormant” au sein de l’opinion publique deviennent des enjeux centraux du débat public. »C’est cette stratégie d’intense polarisation qu’a adoptée, au début des années 1980, le FN. « Comme la plupart des partis anti-immigrés européens, il a affirmé que l’immigration était une clé de lecture pour tous les maux de la société française, analyse le politiste Nicolas Sauger. Il l’a reliée à la question des flux migratoires, mais aussi à la sécurité, à l’éducation nationale, au terrorisme, au chômage, à la laïcité ou à la protection sociale. Ce faisant, le FN a fait de l’immigration une question omniprésente : il l’a inscrite, non pas dans le registre politique classique des politiques publiques, mais dans un système de représentations fondé sur le bien et le mal. »Ce travail politique s’est fait en deux étapes. « Le FN a d’abord mis en place une stratégie de “distinction” : sur l’immigration, il a proposé des axes programmatiques distincts de ceux des autres partis afin de les forcer à se positionner sur ces questions, ce qui a fait monter la polarisation autour du sujet, explique le chercheur Tristan Guerra. Il a ensuite ajouté à cette polarisation une stratégie d’“issue ownership” [monopolisation d’un sujet électoral] : il s’est approprié la question de manière quasi identitaire en en faisant la pierre angulaire de tout son programme afin de faire en sorte qu’il soit perçu comme le mieux placé pour aborder et résoudre cet enjeu. »Cette stratégie a porté ses fruits : dans un monde marqué par la révolution iranienne de 1979, l’essor de l’islam politique dans les pays arabes et la montée du terrorisme dans les pays occidentaux, l’extrême droite, dans les années 1990 et 2000, a réussi à placer l’immigration au cœur de toutes les controverses politiques.
    Puissamment polarisée par le FN, cette question a donné lieu à une fébrilité législative sans précédent : depuis les années 1980, tous les gouvernements, sans exception, ont légiféré au moins une fois sur l’asile, le séjour ou la nationalité en accompagnant ces innombrables textes de discours alarmistes – et le gouvernement s’apprête à faire de même avec le projet de loi sur l’immigration.Dans un monde où les électorats sont de moins en moins stables, structurés et cohérents, cette stratégie de polarisation pèse lourdement sur la vision du monde des électeurs, comme le montrent deux événements concernant les jeunes issus de l’immigration : les émeutes de banlieues de 2005 et les attentats islamistes de 2015. A dix ans de distance, la différence de tonalité des discours politiques a façonné des lectures très différentes : lors des violences urbaines de 2005, l’alarmisme des élus a fait chuter de six points l’indice de tolérance de la CNCDH, tandis que, lors des attentats djihadistes de 2015, leur aspiration à l’union nationale l’a fait remonter de huit points. Des chiffres qui devraient inciter bien des politiques à s’interroger sur leur responsabilité.

    #Covid-19#migration#migrant#france#integration#politique#CNCDH#tolerance#immigration#racisme#asile#sejour#election

  • Immigration : tolérance de la société, vote à l’extrême droite, le paradoxe français

    la part des personnes interrogées qui considèrent que les immigrés sont une source d’enrichissement culturel est passée de 44 % en 1992 à 76 % en 2022 ; la part de celles qui soutiennent le droit de vote des étrangers est passée de 34 % en 1984 à 58 % en 2022 ; si elle reste majoritaire, la part de celles qui considèrent qu’il y a trop d’immigrés en France a chuté de 69 % en 1988 à 53 % en 2022.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/20/immigration-tolerance-de-la-societe-vote-a-l-extreme-droite-le-paradoxe-fran

    #immigration #tolérance #RN

    • Dans un monde où les électorats sont de moins en moins stables, structurés et cohérents, cette stratégie de polarisation pèse lourdement sur la vision du monde des électeurs, comme le montrent deux événements concernant les jeunes issus de l’immigration : les émeutes de banlieues de 2005 et les attentats islamistes de 2015. A dix ans de distance, la différence de tonalité des discours politiques a façonné des lectures très différentes : lors des violences urbaines de 2005, l’alarmisme des élus a fait chuter de six points l’indice de tolérance de la CNCDH, tandis que, lors des attentats djihadistes de 2015, leur aspiration à l’union nationale l’a fait remonter de huit points. Des chiffres qui devraient inciter bien des politiques à s’interroger sur leur responsabilité.

      https://justpaste.it/c80rc

  • Budget 2024 : la France crée un paradis fiscal pour attirer la Fifa | Les Echos
    https://www.lesechos.fr/economie-france/budget-fiscalite/budget-2024-la-france-cree-un-paradis-fiscal-pour-attirer-la-fifa-1988123

    Quelques mois avant d’accueillir les Jeux Olympiques, la France s’apprête à envoyer une nouvelle preuve d’amour au monde du sport - sous forme sonnante et trébuchante. Un amendement au projet de loi de finances pour 2024 , déposé ce mercredi par les députés de la majorité et retenu par le gouvernement, crée un cadre fiscal particulièrement clément pour les fédérations sportives internationales.

    Dès l’an prochain, ces organisations ne paieront pour ainsi dire pas d’impôts en France. Elles seront exonérées de l’impôt sur les sociétés, de cotisation foncière des entreprises, ainsi que de CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises). Et - doublé gagnant - les salariés de ces structures auront également droit à un régime de faveur : ils ne paieront pas l’impôt sur le revenu pendant cinq ans.
    Attirer la Fifa

    Selon nos informations, ce régime fiscal très accommodant faisait partie du projet de budget envoyé au Conseil d’Etat pour avis, mi-septembre. Mais celui-ci avait vu rouge. Et le gouvernement, prudent, avait retiré ce passage du texte envoyé au Parlement. Profitant de la possibilité d’introduire des amendements jusqu’au dernier moment, la majorité est repassée à l’attaque mardi, en catimini.

    L’objectif affiché de la mesure est de « favoriser l’installation et le maintien sur le territoire français » des fédérations sportives internationales « reconnues par le Comité international olympique ». Sur son site, le CIO en recense 34, de la Fédération internationale d’haltérophilie à celle de volleyball en passant par la très puissante Fédération internationale de football association (Fifa).
    Lire aussi :

    Football : les revenus de la Fifa atteignent des sommets

    Depuis cinq ans, l’Elysée rêve de voir l’instance dirigeante du foot mondial déménager son siège de Zurich à Paris. Des discussions informelles ont eu lieu à plusieurs reprises entre Emmanuel Macron et le patron de la Fifa, Gianni Infantino. Celui-ci pousse en interne à un déménagement, pour refermer symboliquement le chapitre des scandales financiers à répétition qui ont terni l’image de l’organisation. Et ce serait un retour aux sources, car Paris a vu naître l’organisation en 1904, avant qu’elle ne parte pour la Suisse dans les années 1930.
    Plus fort que la Suisse

    Comme un prélude à ce déménagement espéré, la Fifa avait ouvert en 2021 une antenne parisienne, dans les locaux de l’Hôtel de la marine, place de la Concorde. Mais depuis, plus rien ne bougeait. L’organisateur de la Coupe du monde attendait sans doute des avancées sur le front fiscal.
    Lire aussi :

    La Coupe du monde, le trésor de la Fifa qui ne cesse de grossir

    Dans son rapport annuel, la Fifa précise être imposée en Suisse « selon le régime fiscal ordinaire auquel sont soumises les associations » - soit à 4,25 % des bénéfices nets. Ce régime très favorable a permis à la Fifa de ne payer que 23 millions de dollars d’impôts en 2022 sur un résultat net de 2,4 milliards. Pour battre la Suisse sur le terrain fiscal, la France a donc fait le choix de se mettre au plancher.

    Contacté sur le sujet, le gouvernement ne se montre guère loquace. Le ministère de l’Economie renvoie la balle à celui des Sports, qui botte en touche. Tout juste un porte-parole de Matignon indique-t-il que « l’idée, c’est d’être attractif pour toutes les fédérations sportives. Si la Fifa vient, c’est génial ».

    Je rigole mais (si ça s’trouve) le gouvernement a sûrement ajouté une clause particulière à ce cadeau : obligation de renflouer les caisses de l’état à des moments opportuns, comme pour certaines caisses de retraite ...

    • Pour pas se faire emmerder par les impôts, aux USA tu montes une religion, en France tu montes une fédération de sport.

    • dans le même temps le gouvernement a refusé l’amendement visant à accorder aux locations longue durée de logements vides le même abattement que pour les locations courtes durées type AirBnB ...

      https://www.lemonde.fr/societe/article/2023/10/19/crise-du-logement-fiscalite-des-locations-touristiques-pret-a-taux-zero-le-g

      la députée Renaissance du Finistère Annaïg Le Meur [...] avait déposé avec le député socialiste des Pyrénées-Atlantiques Inaki Echaniz un amendement transpartisan au projet de budget, visant à rendre la fiscalité des locations longue durée aussi attractive que celle des locations touristiques. « Trois cent quarante-sept députés, soit la majorité, l’avaient cosigné, et le ministre du logement nous avait apporté son soutien », appuie son confrère. Leur proposition de créer un abattement de 40 % sur l’ensemble des revenus locatifs a néanmoins été écartée par le gouvernement quand il a recouru à l’article 49.3 pour adopter, sans vote, le projet de loi de finances en première lecture à l’Assemblée nationale, mercredi 18 octobre.

      A la place, le gouvernement, pressé par les élus de tout bord de revoir une fiscalité qui contribue, dans les zones touristiques, à réduire le nombre de logements disponibles, a choisi une solution que le ministère des finances juge « équilibrée » : les meublés touristiques classés ne bénéficieront plus de l’abattement de 71 %, qui s’applique jusqu’à 188 700 euros de chiffre d’affaires. Ils seront désormais considérés comme des meublés classiques, avec un abattement de 50 % si le chiffre d’affaires est inférieur à 77 700 euros, hormis dans les zones rurales non touchées par la crise du logement. Cette fiscalité restera bien plus favorable que celle des locations vides de longue durée, dont l’abattement est maintenu à 30 %.

      De plus la loi de finances intègre

      un amendement gouvernemental de dernière minute visant à maintenir l’exonération de TVA sur les locations types Airbnb, [pourtant] remise en cause par une décision du Conseil d’Etat, le 5 juillet.

      Il faudrait faire une enquête sur les investissements des macronistes dans la location courte durée...

  • « Les réactions enregistrées depuis les massacres du Hamas comme les tendances lourdes de ce conflit permettent d’esquisser ce que pourrait être le jour d’après »
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/18/les-reactions-enregistrees-depuis-les-massacres-du-hamas-comme-les-tendances

    Le risque est que ce modèle d’endiguement qui a failli à Gaza, paradoxalement, ne s’étende progressivement aux grandes agglomérations palestiniennes de Cisjordanie. Certaines sont en proie, depuis des mois, à des troubles qui avaient déjà causé la mort, cette année, avant le 7 octobre, du plus grand nombre de Palestiniens depuis près de deux décennies, dans une relative indifférence.

    Ce risque est d’autant plus grand qu’en Cisjordanie, contrairement à Gaza, l’unilatéralisme israélien s’est traduit par une imbrication accrue des populations du fait de l’extension de la colonisation. Cette dernière a été placée au cœur du programme de la coalition israélienne au pouvoir, sans réaction occidentale majeure, alors qu’elle signe l’impossibilité d’un Etat palestinien. A la lumière de l’impasse mortifère de Gaza, cette stratégie place Israël à l’heure des choix : poursuivre sur cette trajectoire, ou bien la réorienter.

    […]

    Une telle réorientation stratégique est très improbable. Aucune majorité politique n’existe aujourd’hui en Israël pour la proposer, et encore moins pour l’appliquer. Pourtant, prendre de nouveau en compte la question du partage territorial permettrait peut-être d’éviter le piège tendu par le Hamas de l’enfermement dans les traumatismes. Faute de quoi, le jour d’après risque de ressembler furieusement au jour d’avant. En pire.

  • L’anthropologue #Didier_Fassin sur #Gaza : « La non-reconnaissance de la qualité d’êtres humains à ceux qu’on veut éliminer est le prélude aux pires violences »

    Le sociologue s’alarme, dans une tribune au « Monde », que l’Union européenne n’invoque pas, dans le cadre du conflit israélo-palestinien, la « responsabilité de protéger » votée par l’Assemblée des Nations unies, et qu’elle pratique le deux poids deux mesures dans ses relations internationales.

    L’incursion sanglante du #Hamas en #Israël a produit dans le pays un #choc sans précédent et a suscité des réactions d’horreur dans les sociétés occidentales. Les #représailles en cours à Gaza, d’autant plus violentes que le gouvernement israélien est tenu responsable par la population pour avoir favorisé l’essor du Hamas afin d’affaiblir le #Fatah [le parti politique du président palestinien, Mahmoud Abbas] et pour avoir négligé les enjeux de sécurité au profit d’une impopulaire réforme visant à faire reculer la démocratie, ne génèrent pas de semblables sentiments de la part des chancelleries occidentales, comme si le droit de se défendre impliquait un droit illimité à se venger. Certaines #victimes méritent-elles plus que d’autres la #compassion ? Faut-il considérer comme une nouvelle norme le ratio des tués côté palestinien et côté israélien de la guerre de 2014 à Gaza : 32 fois plus de morts, 228 fois plus parmi les civils et 548 fois plus parmi les enfants ?

    Lorsque le président français, #Emmanuel_Macron, a prononcé son allocution télévisée, le 12 octobre, on comptait 1 400 victimes parmi les Gazaouis, dont 447 enfants. Il a justement déploré la mort « de nourrissons, d’enfants, de femmes, d’hommes » israéliens, et dit « partager le chagrin d’Israël », mais n’a pas eu un mot pour les nourrissons, les enfants, les femmes et les hommes palestiniens tués et pour le deuil de leurs proches. Il a déclaré apporter son « soutien à la réponse légitime » d’Israël, tout en ajoutant que ce devait être en « préservant les populations civiles », formule purement rhétorique alors que #Tsahal avait déversé en six jours 6 000 bombes, presque autant que ne l’avaient fait les Etats-Unis en une année au plus fort de l’intervention en Afghanistan.

    La directrice exécutive de Jewish Voice for Peace a lancé un vibrant « #plaidoyer_juif », appelant à « se dresser contre l’acte de #génocide d’Israël ». Couper l’#eau, l’#électricité et le #gaz, interrompre l’approvisionnement en #nourriture et envoyer des missiles sur les marchés où les habitants tentent de se ravitailler, bombarder des ambulances et des hôpitaux déjà privés de tout ce qui leur permet de fonctionner, tuer des médecins et leur famille : la conjonction du siège total, des frappes aériennes et bientôt des troupes au sol condamne à mort un très grand nombre de #civils – par les #armes, la #faim et la #soif, le défaut de #soins aux malades et aux blessés.

    Des #crimes commis, on ne saura rien

    L’ordre donné au million d’habitants de la ville de Gaza de partir vers le sud va, selon le porte-parole des Nations unies, « provoquer des conséquences humanitaires dévastatrices ». Ailleurs dans le monde, lorsque éclatent des conflits meurtriers, les populations menacées fuient vers un pays voisin. Pour les Gazaouis, il n’y a pas d’issue, et l’armée israélienne bombarde les écoles des Nations unies où certains trouvent refuge. Ailleurs dans le monde, dans de telles situations, les organisations non gouvernementales apportent une assistance aux victimes. A Gaza, elles ne le peuvent plus. Mais des crimes commis, on ne saura rien. En coupant Internet, Israël prévient la diffusion d’images et de témoignages.

    Le ministre israélien de la défense, #Yoav_Gallant, a déclaré, le 9 octobre, que son pays combattait « des #animaux_humains » et qu’il « allait tout éliminer à Gaza ». En mars, son collègue des finances a, lui, affirmé qu’« il n’y a pas de Palestiniens, car il n’y a pas de peuple palestinien ».
    Du premier génocide du XXe siècle, celui des Herero, en 1904, mené par l’armée allemande en Afrique australe, qui, selon les estimations, a provoqué 100 000 morts de déshydratation et de dénutrition, au génocide des juifs d’Europe et à celui des Tutsi, la non-reconnaissance de la qualité d’êtres humains à ceux qu’on veut éliminer et leur assimilation à des #animaux a été le prélude aux pires #violences.

    Rhétorique guerrière

    Comme le dit en Israël la présidente de l’organisation de défense des droits de l’homme, B’Tselem, « Gaza risque d’être rayée de la carte, si la communauté internationale, en particulier les Etats-Unis et l’Europe, ne fait pas stopper – au lieu de laisser faire, voire d’encourager – les crimes de guerre qu’induit l’intensité de la riposte israélienne ». Ce n’est pas la première fois qu’Israël mène une #guerre à Gaza, mais c’est la première fois qu’il le fait avec un gouvernement aussi fortement orienté à l’#extrême-droite qui nie aux Palestiniens leur humanité et leur existence.
    Il existe une « responsabilité de protéger », votée en 2005 par l’Assemblée des Nations unies, obligeant les Etats à agir pour protéger une population « contre les génocides, les crimes de guerre, les nettoyages ethniques et les crimes contre l’humanité ». Cet engagement a été utilisé dans une dizaine de situations, presque toujours en Afrique. Que l’Union européenne ne l’invoque pas aujourd’hui, mais qu’au contraire la présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, se rende, sans mandat, en Israël, pour y reprendre la #rhétorique_guerrière du gouvernement, montre combien le deux poids deux mesures régit les relations internationales.
    Quant à la #France, alors que se fait pressante l’urgence à agir, non seulement le gouvernement apporte son appui sans failles à l’#opération_punitive en cours, mais il interdit les #manifestations en faveur du peuple palestinien et pour une #paix juste et durable en Palestine. « Rien ne peut justifier le #terrorisme », affirmait avec raison le chef de l’Etat. Mais faut-il justifier les crimes de guerre et les #massacres_de_masse commis en #rétorsion contre les populations civiles ? S’agit-il une fois de plus de rappeler au monde que toutes les vies n’ont pas la même valeur et que certaines peuvent être éliminées sans conséquence ?

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/18/l-anthropologue-didier-fassin-sur-gaza-la-non-reconnaissance-de-la-qualite-d

    #à_lire #7_octobre_2023

    • Le spectre d’un génocide à Gaza

      L’annihilation du Hamas, que la plupart des experts jugent irréaliste, se traduit de fait par un massacre des civils gazaouis, ce que la Première ministre française appelle une « catastrophe humanitaire », mais dans lequel un nombre croissant d’organisations et d’analystes voient le spectre d’un génocide.

      Au début de l’année 1904, dans ce qui était alors le protectorat allemand du Sud-Ouest africain, les Hereros se rebellent contre les colons, tuant plus d’une centaine d’entre eux dans une attaque surprise.

      Au cours des deux décennies précédentes, ce peuple d’éleveurs a vu son territoire se réduire à mesure que de nouvelles colonies s’installent, s’emparant des meilleures terres et entravant la transhumance des troupeaux. Les colons traitent les Hereros comme des animaux, les réduisent à une forme d’esclavage et se saisissent de leurs biens. Le projet des autorités est de créer dans ce qui est aujourd’hui la Namibie une « Allemagne africaine » où les peuples autochtones seraient parqués dans des réserves.

      La révolte des Hereros est vécue comme un déshonneur à Berlin et l’empereur envoie un corps expéditionnaire avec pour objectif de les éradiquer. Son commandant annonce en effet qu’il va « annihiler » la nation herero, récompensant la capture des « chefs », mais n’épargnant « ni les femmes ni les enfants ». Si l’extermination n’est techniquement pas possible, ajoute-t-il, il faudra forcer les Hereros à quitter le pays, et « ce n’est qu’une fois ce nettoyage accompli que quelque chose de nouveau pourra émerger ».

      Dans les mois qui suivent, nombre de Hereros sans armes sont capturés et exécutés par les militaires, mais la plupart sont repoussés dans le désert où ils meurent de déshydratation et d’inanition, les puits ayant été empoisonnés. Selon l’état-major militaire, « le blocus impitoyable des zones désertiques paracheva l’œuvre d’élimination ». On estime que seuls 15 000 des 80 000 Hereros ont survécu. Ils sont mis au travail forcé dans des « camps de concentration » où beaucoup perdent la vie.

      Le massacre des Hereros, qualifié par les Allemands de « guerre raciale » est le premier génocide du XXe siècle, considéré par certains historiens comme la matrice de la Shoah quatre décennies plus tard. Dans Les Origines du totalitarisme, la philosophe Hannah Arendt elle-même a établi un lien entre l’entreprise coloniale et les pratiques génocidaires.

      Comparaison n’est pas raison, mais il y a de préoccupantes similitudes entre ce qui s’est joué dans le Sud-Ouest africain et ce qui se joue aujourd’hui à Gaza. Des décennies d’une colonisation qui réduit les territoires palestiniens à une multiplicité d’enclaves toujours plus petites où les habitants sont agressés, les champs d’olivier détruits, les déplacements restreints, les humiliations quotidiennes.

      Une déshumanisation qui conduisait il y a dix ans le futur ministre adjoint à la Défense à dire que les Palestiniens sont « comme des animaux ». Une négation de leur existence même par le ministre des Finances pour qui « il n’y a pas de Palestiniens car il n’y a pas de peuple palestinien », comme il l’affirmait au début de l’année. Un droit de tuer les Palestiniens qui, pour l’actuel ministre de la Sécurité nationale, fait du colon qui a assassiné vingt-neuf d’entre eux priant au tombeau des Patriarches à Hébron un héros. Le projet, pour certains, d’un « grand Israël », dont l’ancien président est lui-même partisan.

      Pendant les six premiers jours de l’intervention israélienne, 6 000 bombes ont été lâchées sur Gaza, presque autant que les États-Unis et ses alliés en ont utilisé en Afghanistan en une année entière

      Dans ce contexte, les attaques palestiniennes contre des Israéliens se sont produites au fil des ans, culminant dans l’incursion meurtrière du Hamas en territoire israélien le 7 octobre faisant 1 400 victimes civiles et militaires et aboutissant à la capture de plus de 200 otages, ce que le représentant permanent d’Israël aux Nations unies a qualifié de « crime de guerre ». La réponse du gouvernement, accusé de n’avoir pas su prévenir l’agression, s’est voulue à la mesure du traumatisme provoqué dans le pays. L’objectif est « l’annihilation du Hamas ».

      Pendant les trois premières semaines de la guerre à Gaza, les représailles ont pris deux formes. D’une part, infrastructures civiles et populations civiles ont fait l’objet d’un bombardement massif, causant 7 703 morts, dont 3 595 enfants, 1 863 femmes et 397 personnes âgées, et endommageant 183 000 unités résidentielles et 221 écoles, à la date du 28 octobre. Pendant les six premiers jours de l’intervention israélienne, 6 000 bombes ont été lâchées sur Gaza, presque autant que les États-Unis et ses alliés en ont utilisé en Afghanistan en une année entière, au plus fort de l’invasion du pays.

      Pour les plus de 20 000 blessés, dont un tiers d’enfants, ce sont des mutilations, des brûlures, des handicaps avec lesquels il leur faudra vivre. Et pour tous les survivants, ce sont les traumatismes d’avoir vécu sous les bombes, assisté aux destructions des maisons, vu des corps déchiquetés, perdu des proches, une étude britannique montrant que plus de la moitié des adolescents souffrent de stress post-traumatique.

      D’autre part, un siège total a été imposé, avec blocus de l’électricité, du carburant, de la nourriture et des médicaments, tandis que la plupart des stations de pompage ne fonctionnent plus, ne permettant plus l’accès à l’eau potable, politique que le ministre de la Défense justifie en déclarant : « Nous combattons des animaux et nous agissons comme tel ». Dans ces conditions, le tiers des hôpitaux ont dû interrompre leur activité, les chirurgiens opèrent parfois sans anesthésie, les habitants boivent une eau saumâtre, les pénuries alimentaires se font sentir, avec un risque important de décès des personnes les plus vulnérables, à commencer par les enfants.

      Dans le même temps, en Cisjordanie, plus d’une centaine de Palestiniens ont été tués par des colons et des militaires, tandis que plus de 500 éleveurs bédouins ont été chassés de leurs terres et de leur maison, « nettoyage ethnique » que dénoncent des associations de droits humains israéliennes. Croire que cette répression féroce permettra de garantir la sécurité à laquelle les Israéliens ont droit est une illusion dont les 75 dernières années ont fait la preuve.

      L’annihilation du Hamas, que la plupart des experts jugent irréaliste, se traduit de fait par un massacre des civils gazaouis, ce que la Première ministre française appelle une « catastrophe humanitaire », mais dans lequel un nombre croissant d’organisations et d’analystes voient le spectre d’un génocide.

      L’organisation états-unienne Jewish Voice for Peace implore « toutes les personnes de conscience d’arrêter le génocide imminent des Palestiniens ». Une déclaration signée par 880 universitaires du monde entier « alerte sur un potentiel génocide à Gaza ». Neuf Rapporteurs spéciaux des Nations unies en charge des droits humains, des personnes déplacées, de la lutte contre le racisme et les discriminations, l’accès à l’eau et à la nourriture parlent d’un « risque de génocide du peuple palestinien ». Pour la Directrice régionale de l’Unicef pour le Moyen Orient et l’Afrique du nord, « la situation dans la bande de Gaza entache de plus en plus notre conscience collective ». Quant au Secrétaire général des Nations unies, il affirme : « Nous sommes à un moment de vérité. L’histoire nous jugera ».

      Alors que la plupart des gouvernements occidentaux continuent de dire « le droit d’Israël à se défendre » sans y mettre de réserves autres que rhétoriques et sans même imaginer un droit semblable pour les Palestiniens, il y a en effet une responsabilité historique à prévenir ce qui pourrait devenir le premier génocide du XXIe siècle. Si celui des Hereros s’était produit dans le silence du désert du Kalahari, la tragédie de Gaza se déroule sous les yeux du monde entier.

      https://aoc.media/opinion/2023/10/31/le-spectre-dun-genocide-a-gaza

    • Cette réponse sur AOC est d’une mauvaise foi affligeante. Ils se piquent de faire du droit international, et ne se rendent pas compte que leurs conclusions vont à l’encontre de ce qui est déclamé par les instances multilatérales internationales depuis des dizaines d’années.

      Personnellement, les fachos qui s’ignorent et qui prennent leur plume pour te faire comprendre que tu n’es pas assez adulte pour comprendre la complexité du monde, ils commencent à me chauffer les oreilles. La tolérance c’est bien, mais le déni c’est pire. Et là, cette forme de déni, elle est factuelle. Elle n’est pas capillotractée comme lorsqu’on étudie les différentes formes d’un mot pour en déduire un supposé racisme pervers et masqué.

    • La réponse dans AOC mais fait vraiment penser à la sailli de Macron sur les violences policières : « dans un État de droit il est inadmissible de parler de violences policières » : autrement dit ce ne sont pas les violences elles-mêmes, concrète, prouvées, qui sont à condamner, mais c’est le fait d’en parler, de mettre des mots pour les décrire.

      Là c’est pareil, l’État israélien fait littéralement ces actions là : tuerie de masse par bombes sur civils, destruction des moyens de subsistance en brulant les champs (d’oliviers et autres), et en coupant tout accès à l’eau (base de la vie quand on est pas mort sous les bombes) ; ce qui correspond bien factuellement au même genre de stratégie militaire d’annihilation des Héréros par les allemands. Mais ce qui est à condamner c’est le fait de le décrire parce que ça serait antisémite, et non pas les actions elles-mêmes.

      Parce que l’accusation d’empoisonnement est un classique de l’antisémitisme depuis le moyen âge, alors si concrètement une armée et des colons de culture juive bloquent l’accès à la subsistance terre et eau, ça n’existe pas et il ne faut pas en parler.

      (Et c’est le même principe que de s’interdire de dire que le Hamas est un mouvement d’extrême droite, avec une politique autoritaire et ultra réactionnaire, et qu’ils promeuvent des crimes de guerre, parce qu’ils se battent contre l’État qui les colonise. Il fut un temps où beaucoup de mouvements de libération, de lutte contre le colonialisme et ou les impérialismes, faisaient attention aux vies civiles, comme le rappelait Joseph Andras il me semble.)

      #campisme clairement ("mon camp", « notre camp », ne peut pas faire ça, puisque c’est les méchants qui nous accusaient faussement de faire ça…)

  • Eva Illouz, sociologue : « Je crois qu’après les attaques terroristes, pour la société israélienne, le Hamas est devenu le nazi »

    L’universitaire franco-israélienne explique, dans un entretien au « Monde » que l’attaque terroriste du 7 octobre engage les deux camps dans une « guerre totale » et va changer irrémédiablement la perception des Palestiniens par les Israéliens.

    Eva Illouz, sociologue, est directrice d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales à Paris. Elle a enseigné à l’université hébraïque de Jérusalem, à Princeton et à Zurich. Elle a notamment écrit Les Emotions contre la démocratie° (Premier Parallèle, 2022). Elle a pris position contre le gouvernement de Benyamin Nétanyahou et avait signé, en août, une pétition dénonçant « un régime d’apartheid »_ pour les Palestiniens. https://sites.google.com/view/israel-elephant-in-the-room/home

    [Luc Bronner...] Comment qualifier ce qui arrive à la société israélienne après l’attaque du Hamas, les 1 400 morts, les milliers de blessés et les otages ?

    On a du mal à trouver les catégories pour qualifier cet événement inédit. Des attaques terroristes de cette ampleur, il n’y en a jamais eu, dans aucun pays. Il y a des massacres, bien sûr, mais pas un attentat terroriste dont le nombre de victimes est, proportionnellement à la population, beaucoup plus grand que celui du 11-Septembre, ou qui serait l’équivalent de 10 000 personnes en France massacrées en quelques heures.

    J’oserais ajouter qu’il y a eu là des déclinaisons inédites de l’horreur : se réveiller un jour de fête au bruit de mitraillettes avec un ennemi infiltré chez soi, le faible devient le fort, le fort devient le faible, l’armée qu’on attend et qui ne vient pas, les terroristes qui tuent des bébés, décapitent, tuent les enfants en face de leurs parents, et les parents en face des enfants, kidnappent vieillards, enfants, hommes, femmes, l’enregistrement et la diffusion des massacres sur les réseaux sociaux, tout cela n’a aucun précédent. Il y a eu là une démultiplication des techniques de l’horreur.

    Cela va rester le plus grand choc de l’histoire juive post-Shoah. C’est toute la réalité ontologique d’Israël qui a été remise en question. Les nazis essayaient de cacher les atrocités, pas de les diffuser. La mort elle-même est devenue un motif de propagande. Il y a là un changement de régime de l’atrocité.

    C’est la raison pour laquelle la guerre est devenue totale et existentielle. Israël apparaît comme fort, mais cette force est sous-tendue par une peur existentielle qui s’est radicalisée. Pour un Israélien, la possibilité du génocide ne semble jamais très loin. Il y a aussi une confusion terminologique inédite, puisque les « indigénistes décoloniaux » en France et sur les campus américains ont emprunté le vocabulaire de la résistance pour qualifier un crime contre l’humanité.

    La société israélienne est une société fracturée, comme l’avaient montré les manifestations massives de ces derniers mois contre les réformes du gouvernement Nétanyahou. Quelles peuvent être les répercussions sur le plan politique ?

    L’horreur et la peur sont d’une telle ampleur que la société entière est soudée autour d’un objectif : redonner un sentiment de sécurité aux citoyens. En 1973, la guerre du Kippour avait aussi été vécue comme un choc, mais il y avait eu 2 800 morts, et parmi eux 0 civil tué. Dans la situation présente, la division entre civils et militaires s’est effacée ; c’est non seulement ce qui caractérise le terrorisme mais aussi parce que des Etats, comme l’Iran, agissent comme des organisations terroristes.

    Cela veut dire aussi que les civils israéliens qui n’ont jamais porté d’arme sont en train de s’armer parce que la #guerre peut surgir à tout moment dans leur cuisine. Il y a une forte militarisation de la société civile. Quand la sécurité sera retrouvée, il va y avoir des règlements de comptes avec le gouvernement d’extrême droite, qui, par sa négligence de tous les avertissements sécuritaires qu’on lui a donnés, a agi de façon criminelle.

    Mais je crois aussi que toutes les positions politiques vont subir des révisions dramatiques. C’est vrai pour la gauche et c’est vrai pour la droite. Le fait que la gauche postcolonialiste mondiale a refusé de condamner les massacres aura des répercussions sur la gauche israélienne. Après l’Intifada de l’an 2000, qui avait fait 1 000 morts israéliens, la gauche s’était effondrée parce qu’un grand nombre de gens étaient arrivés à la conclusion que les Palestiniens ne voulaient pas la paix. Cela va être plus dramatique aujourd’hui. Ce qui va disparaître notamment, c’est l’idée d’un Etat binational pour les deux populations qui était devenue en vogue cette dernière décennie.

    C’est vrai aussi pour la droite, qui nous a menés dans ce désastre à cause de la doctrine sécuritaire qu’elle a défendue : l’idée qu’on pouvait gérer, de façon indéfinie, les relations avec les Palestiniens comme un conflit militaire de basse intensité est un échec.

    Benyamin Nétanyahou et ses alliés ont voulu utiliser le #Hamas contre l’Autorité palestinienne pour rendre impossible la création de deux Etats ; ils n’ont pas voulu voir que le blocus de #Gaza allait créer une situation explosive et ont laissé penser que le Hamas était des gens minables qu’on contrôlait facilement par l’argent du Qatar. Mais la plus grande erreur a été de ne pas avoir vu que le Hamas est un mouvement idéologique, millénariste et génocidaire et qu’on n’achète pas le calme avec un tel mouvement dont l’objectif est de vous éliminer.

    La mise en place d’un cabinet d’union nationale peut-elle avoir des effets durables ?

    Les Israéliens ont eu le sentiment d’avoir été abandonnés par l’Etat, qui a été spectaculairement dysfonctionnel. On savait que le gouvernement était composé de gens cyniques, calculateurs, fanatiques et incompétents, on en a la preuve éclatante.

    La fonction essentielle d’un gouvernement d’union est de calmer les Israéliens sur le fait qu’on n’a pas donné la boîte d’allumettes à des pyromanes. Mais quand le retour à la sécurité va se faire, il est possible que le pays se divise encore plus profondément qu’avant la guerre. La droite accuse déjà les protestataires d’avoir été des traîtres et d’avoir permis ce désastre alors que le camp démocratique a, bien évidemment, tous les droits de penser que ce sont les réformes judiciaires et la négligence du gouvernement qui sont responsables de la situation.

    Israël est traumatisé par les otages enlevés par le Hamas et retenus à Gaza. Des voix peuvent-elles s’élever en Israël pour s’alarmer d’un usage disproportionné de la force à Gaza ?

    L’opération « Bordure protectrice », à Gaza en 2014, n’avait pas été conduite dans une situation aussi dramatique et répondait principalement à l’enlèvement et au meurtre de trois jeunes Israéliens et à de nombreux tirs de roquettes. Il avait pourtant été fait un usage excessif de la force. La plupart des Israéliens ne l’avait pas remis en question, seule une petite minorité, moins de 20 %, s’y était opposée. Moi-même je m’y étais opposée publiquement.

    Dans les circonstances actuelles, la proportion sera beaucoup plus faible. Mais il faut comprendre deux choses. La première, c’est que le Hamas se sert de sa population civile comme bouclier. Lorsque Tsahal a fait l’annonce que les #Palestiniens devaient évacuer le Nord pour aller dans le Sud, le Hamas a fait une contre-déclaration en disant qu’il s’agissait d’une « fake news »[?]. Tout le monde s’est concentré sur le désastre que l’annonce israélienne représentait pour les civils palestiniens – à juste titre, car il s’agit d’un désastre humanitaire à grande échelle –, mais presque personne n’a trouvé monstrueux que le Hamas puisse mentir à sa population pour la garder près de lui comme bouclier. On ne s’est pas non plus beaucoup ému du refus total de l’Egypte d’accueillir les Palestiniens.

    Deuxièmement, beaucoup d’Israéliens pensent que les civils palestiniens et leurs dirigeants ont en commun leur haine radicale des juifs. D’autant plus que les #images de corps ensanglantés de jeunes filles israéliennes exhibés dans les rues de Gaza au milieu d’une foule excitée apparaissent incriminantes pour les civils. Face à ces images, il devient difficile de faire la distinction entre le peuple de Gaza et ses leaders. On voit une population faire bloc avec le Hamas dans la haine des Israéliens et des juifs. La perception que les Israéliens ont des Palestiniens de Gaza est très différente de celle qu’ils ont des Iraniens, là il est beaucoup plus facile de distinguer entre le régime des ayatollahs et une population civile en insurrection. Avec le Hamas, la distinction s’estompe.

    Mais je voudrais aussi ajouter que cette notion de proportionnalité quand il s’agit d’un événement humain aussi violent que la guerre me laisse perplexe. Qu’est-ce que c’est la proportionnalité ? Décapiter, violer, torturer 1 500 Palestiniens contre les 1 500 juifs qui sont morts dans des conditions similaires ? Comment créer une commensurabilité des massacres ? Parce que #Israël vit constamment dans un état de guerre et de conflit, il a développé une doctrine militaire exigeant que l’ennemi paye un prix plus fort, pour le dissuader de recommencer.

    Cette guerre est différente : il s’agit d’un ennemi qui veut oblitérer Israël et sa population. Il s’agit d’une #guerre_totale. Les Israéliens pensent à cette guerre dans les termes suivants : ce sera nous ou eux. Lorsqu’un camp déclare officiellement que son but est de vous effacer de la surface de la Terre, il devient difficile de penser à la proportionnalité.

    J’ajouterais cependant que le but de Tsahal est d’éradiquer le Hamas et le Hamas seulement. Est-ce qu’ils y parviendront sans toucher massivement les civils ? Sans doute pas, et je le regrette profondément.

    La nature de la guerre va-t-elle évoluer ?

    Ce qui était perçu comme un conflit militaire ou colonial vieux de plus d’un siècle est désormais interprété à travers la grille de l’antisémitisme . Il y a un basculement du politique au racial et au religieux. Pour la société israélienne, l’antisémitisme génocidaire qui habitait sur les terres de l’Europe a migré vers l’#islamisme. Jusqu’à présent, les Palestiniens, aux yeux des Israéliens, n’étaient pas les nazis. Je crois qu’après les attaques terroristes cela a changé : le Hamas est devenu le nazi. Il y a un risque que, par effet de contamination, les Israéliens voient l’ensemble des Palestiniens de Gaza de la même façon. Est-ce que l’Europe aurait fait un compromis avec les nazis ? Churchill a décidé de bombarder Dresde, alors que l’Allemagne avait déjà perdu. Je ne dis pas que le Hamas est nazi. J’ai conscience des différences historiques et idéologiques. Mais c’est comme cela que, désormais, il est vu.

    Ce qui complique considérablement ces questions, c’est que ce sont les mêmes Palestiniens qui ont aussi été victimes d’un déplacement de population, du blocus, de la misère, qui est le résultat de l’asphyxie israélienne et de la corruption du Hamas.

    Nous avons un objet conceptuel et moral à deux faces : d’un côté il y a une victime, mais de l’autre cette victime s’identifie à un groupe à visée génocidaire. Il faut développer un regard humain et fraternel qui puisse voir toutes ces tragédies en même temps. Mais, aujourd’hui, il faut choisir son camp.

    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/17/eva-illouz-sociologue-je-crois-qu-apres-les-attaques-terroristes-pour-la-soc

    • Des attaques terroristes de cette ampleur, il n’y en a jamais eu, dans aucun pays.

      Il y a eu là une démultiplication des techniques de l’horreur.

      Que fait-on de Sabra et Chatila sous la surveillance des criminels de l’état sioniste ?

    • #damage_control #justification_de_génocide

      Ça fait tellement penser aux blancs justifiant les représailles contre les indiens, en Amérique du nord. Ça fait penser aux mauvais westerns, où les gentils blancs sont horrifiés par les scalpages commis par les indiens, parce qu’un convoi de colons s’est installé sur les terres des indiens, non sans avoir tué un ou deux membres de la tribu qui s’approchaient trop.

      « Vous comprenez, nous, on veut juste vivre paisiblement. Ok, parfois, il y a un accident malheureux. Mais bon, tout de même, là, ils nous en veulent en tant que blanc, c’est grave. C’est eux ou nous. Force doit rester à la loi (des blancs) ».

    • Réponse à Éva Illouz à propos d’une interview donnée dans le journal Le Monde, Ron Naiweld
      https://lundi.am/Reponse-a-Eva-Illouz

      Je suis né en Israël et y ai grandi, et je travaille comme historien du Judaïsme au CNRS et à l’EHESS, où Eva Ilouz est directrice d’études. Une réponse est nécessaire non seulement pour corriger des erreurs factuelles, mais aussi pour proposer quelque chose qu’elle ne propose pas – une vision de la réalité d’où pourrait surgir l’espérance face au conflit mortifère.

      [...]
      En fait, la nazification symbolique des Palestiniens est à la base de leur déshumanisation par beaucoup d’Israéliens.
      En faisant preuve de leur déshumanisation, les terroristes du 7 octobre sont tombés dans une place qui leur était déjà prête. Ce n’est pas pour relativiser leurs actes que je rappelle que des atrocités ont été commis aussi par des Israéliens pendant et après la Nakba – des massacres, des viols, des expulsions, des vols de terre, qui sont aujourd’hui documentés grâce à l’effort de chercheurs courageux en Israël. Ces violences sont inscrites dans des corps des humains qu’Eva Ilouz est prête à sacrifier pour la « sécurité » d’Israël et des Israéliens, comme l’indique ce passage dans lequel on croit entendre une porte-parole de l’armée israélienne – « J’ajouterais cependant que le but de Tsahal est d’éradiquer le Hamas et le Hamas seulement. Est-ce qu’ils y parviendront sans toucher massivement les civils ? Sans doute pas, et je le regrette profondément. »

    • D’une prédilection dune partie de la gauche française pour l’abjection - Digression à partir du texte de Judith Butler « Condamner la violence »
      https://lundi.am/D-une-predilection-d-une-partie-de-la-gauche-francaise-pour-l-abjection

      Il me revient ainsi que Sartre a pu, par exemple, justifier la prise d’otage du commando de Munich, ou encore, que Foucault a soutenu la révolution islamiste iranienne au moment même où celle-ci jetait en prison et torturait les révolutionnaires communistes. À ce goût pour l’abject, s’ajoute le fait que, manifestement, sur les sujets qui touchent au conflit israélo-palestinien, le #tiers-mondisme des années 70, et son antisémitisme plus ou moins larvé, n’a pas été assez critiqué.

      Le texte de Butler a donc l’immense mérite d’avoir une position morale très claire et très saine. Car, en effet, d’un point de vue moral, il n’y a aucune raison de discriminer entre les morts, les torturés, et les mutilés de l’un ou l’autre camp. Il est, en effet, totalement sophistique, et du plus pur cynisme, de lier et de réviser ceux-ci à la lumière d’une lecture purement politique – ou plutôt purement idéologique - , laquelle justifierait de juger qu’il y a des bonnes et des mauvaises victimes. Pour le dire autrement, les actes commis par le Hamas contre des civils, parfois des enfants, n’ont rien d’actes de #résistance, ce que l’histoire des résistances – parmi lesquelles celles de la résistance française - montre suffisamment bien. De même, la #guerre que mène Israël contre des civils, parfois des enfants, n’a rien de représailles justifiées.

      Toutefois, je pense qu’il y a une limite à la position de Butler et que celle-ci est politique. Tout d’abord, Butler semble conditionner la légitimité d’un #État au fait que celui-ci ne se serait pas fondé sur la violence. Cette prémisse sous-jacente me convient assez bien, car elle implique, en toute rigueur, que l’on s’oppose à tous les États, car je n’en connais aucun qui ne se soit pas fondé sur la violence . Il faudrait donc s’opposer à la fois à l’État israélien et au projet d’État palestinien et à tous les autres. Ce que ne fait pas, me semble-t-il, Butler.

      On peut penser que cela s’explique notamment parce que cette prémisse est, en fait, solidaire d’une autre, que je conteste : que l’État d’Israël serait fondamentalement le résultat d’un projet colonialiste. À nouveau, soit on le dit de tous les autres États, soit il faut repenser l’histoire politique du peuple juif et celle de la région où il a fondé son État. Je ne vois pas comment la première perspective pourrait ignorer que ce peuple, comme beaucoup d’autres, notamment les palestiniens, a droit à un État. Et je ne vois pas comment ne pas considérer, au regard de l’histoire de la région, que cet État puisse être ailleurs – et non dans quelques chimériques autant que bureaucratiques Birobidian... - parce qu’il y a toujours eu une présence juive dans cette région. Ce qu’on ne peut pas dire des français en Algérie ou en Indochine avant qu’ils ne s’accaparent ces territoires par exemple, ou des européens sur le continent américain. Dire de l’État d’Israël qu’il est intrinsèquement colonisateur et raciste, voilà l’erreur héritée du tiers-mondisme, qui biaise à mon avis les jugements que l’on peut porter sur cette situation. Car, une fois que l’on a dit cela, la seule perspective cohérente, est celle de la destruction de cet État. Mais alors, pourquoi pas de tous les autres États ?

      [...]

      Beaucoup de choses dépendent de ce raisonnement puisque, tant que cet État ne sera pas reconnu comme légitime par ses voisins immédiats et par les organisations telles que le Hamas, il n’aura aucune raison de cesser de faire la guerre. Et, pour ainsi dire, mécaniquement, il tendra infinitésimalement à faire de la rationalité guerrière, sa rationalité. Ce que personne de bon sens ne peut souhaiter, quelque soit l’État dont il est question. Je dis infinitésimalement parce que, tant que cet État est bien celui de tous les israéliens, dont les arabes israéliens, il ne pourra qu’approcher infinitésimalement d’une telle extrémité, c’est-à-dire qu’il s’en rapprochera très nettement comme cela est actuellement le cas, mais qu’il rencontrera, malgré cela, des #oppositions_internes – une résistance au sens exact du terme -, ce qui, encore une fois, est effectivement et actuellement le cas en Israël. Lorsque cette tendance ne sera plus infinitésimale, mais tout simplement totale, alors j’accepterai d’envisager la destruction de l’État d’Israël, et de tous les autres États et organisations – comme le Hamas - qui ne tolèrent aucune forme de résistance.

  • « Les vers de terre sont des alliés plus précieux que le glyphosate pour la santé de notre planète et de ses habitants »

    À l’aube du 50e anniversaire de son utilisation en France, le sort du #glyphosate est entre les mains de la Commission et des Etats membres de l’Union européenne. Le débat sur sa #toxicité pour l’homme et l’environnement est réel entre les autorités « compétentes », qui ont statué que le glyphosate ne présentait pas de « domaine critique de préoccupation », et les scientifiques, qui s’alarment et déclarent qu’il y a urgence à prendre en compte les données disponibles qui montrent le contraire.

    Sous nos pieds, des milliards de petits animaux doivent suivre ces débats avec anxiété ! Les vers de terre sont aux premières loges lors des applications de pesticides. Quels sont les impacts du premier d’entre eux, le glyphosate, sur ces discrets travailleurs des sols, qui participent à leur fertilité, à leur perméabilité et à la régulation du cycle de l’eau ?
    Un examen de la littérature scientifique sur les effets du glyphosate sur les #vers_de_terre permet d’identifier plus de 60 études, publiées entre 1982 et 2022. Que font nos sociétés de toute cette connaissance ? Pas grand-chose. Depuis plus de vingt ans, les agences européennes chargées de l’évaluation des risques ne tiennent pas compte de toutes les études scientifiques disponibles, nombre d’entre elles mettant en évidence des effets négatifs du glyphosate – ou des herbicides contenant du glyphosate –, sur les vers de terre.

    Plus de 30 études académiques sur le glyphosate

    En 2002, lorsque le glyphosate apparaît sur la liste des molécules autorisées à l’échelle de l’Union européenne, seuls deux tests réglementaires, menés par les firmes agrochimiques elles-mêmes, figuraient dans le dossier d’autorisation officielle. Or des études scientifiques menées en conditions réalistes – sols naturels, espèces présentes dans les sols agricoles – montraient déjà des dommages sur les tissus des vers de terre et des effets négatifs sur leur croissance, occasionnés par des produits à base de glyphosate.

    En outre, les deux tests cités dans le dossier étant « protégés » par le secret industriel, il n’est pas aisé d’y avoir accès. Mais pourquoi protéger des données qui concernent l’humanité tout entière ? Comment expliquer que nous, qui sommes exposés à ces molécules, ne puissions pas avoir accès à l’information sur leur dangerosité pour l’environnement ?

    En 2017, lors du dernier processus de renouvellement de la licence du glyphosate, seuls sept tests réglementaires ont été utilisés comme support pour l’évaluation des risques sur les vers de terre – tests là encore protégés, sans accès public aux données. Et ce, alors que plus de 30 études académiques sur le sujet étaient disponibles à cette date dans la littérature scientifique.

    Des tests non conformes à la réalité des sols agricoles

    En 2023, dans le cadre de l’expertise européenne, pilotée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), quelque 140 études ont été examinées sur cette question cruciale. Parmi elles, seulement deux concernaient les vers de terre, et elles n’ont finalement pas été considérées dans le rapport rendu à l’été 2023.
    Parmi les tests obligatoires que les producteurs de pesticides doivent effectuer avant la mise sur le marché de leurs produits figurent les tests sur des vers… de compost. Donc les pesticides sont testés avant autorisation sur des vers qui sont absents des zones où seront épandus les produits en question. Ce biais n’est pas anodin : une étude de 2013 a montré que ces vers de compost étaient jusqu’à quatre fois moins sensibles aux pesticides que les vers de terre réellement présents dans les sols agricoles !

    Ce n’est pas tout : ces tests réglementaires évaluent les effets à court terme (vingt-huit jours) d’une application d’un seul pesticide dans du « faux sol » (du sol artificiel). En réalité, nos travailleurs de la terre sont exposés à un cocktail de molécules appliqué plusieurs fois par an pendant de nombreuses années. La ressemblance avec la réalité n’est pas flagrante, et le manque de réalisme des tests obligatoires peut expliquer pourquoi ils ne peuvent permettre de révéler les effets observés dans la nature.

    Des effets délétères sur l’ADN et la reproduction des vers de terre

    Il est vrai que les vers de terre ne meurent pas suite à une exposition unique au glyphosate ou à un produit à base de glyphosate. En revanche, de nombreuses études réalisées dans des conditions de laboratoire relativement réalistes (vers de terre présents en sols agricoles, sols naturels, dose recommandée) montrent sans équivoque des effets délétères sur l’ADN, la croissance, la reproduction et le comportement des vers de terre, notamment. Des effets qui peuvent survenir après une seule application de glyphosate, à la dose recommandée.

    Les résultats observés sur un temps court en laboratoire sont corroborés par des études de long terme sur le terrain, qui mettent en évidence une diminution du nombre de vers de terre dans des parcelles traitées au glyphosate. Cette analyse sur le glyphosate rejoint les conclusions de l’expertise scientifique collective PestiEcoTox, conduite par l’Inrae et l’Ifremer, sur les effets des pesticides sur la biodiversité et les services écosystémiques.

    Ainsi, il faut bien comprendre que si les vers de terre ne meurent pas, leur comportement peut être altéré, ils ne grandissent ni ne se reproduisent normalement, ce qui conduit à une diminution progressive de ces alliés inestimables de la fertilité de nos sols ! Ces données précieuses, fiables et non protégées justifieraient à elles seules de ne pas renouveler la licence du glyphosate. En d’autres termes, de l’interdire.

    Pour un changement de paradigme socio-économique

    Il ne s’agit pas de nier les difficultés qu’une telle interdiction poserait aux agriculteurs, premières victimes de cette situation. Il est difficile de sortir de la dépendance à ces molécules.

    La solution pour sortir de ce dilemme réside sans doute, pour une grande part, dans un changement de paradigme socio-économique : meilleure rémunération des agriculteurs pour les services de préservation de la nature qu’ils pourraient offrir à la société, meilleur accompagnement technique pour sortir de l’#agrochimie, développement de fonds mutuels d’assurance, développement de l’#agroécologie

    Il y a urgence : du glyphosate, on en retrouve dans plus de 70 % des sols agricoles de France. Il ne fait aucun doute que les vers de terre sont des alliés plus précieux que le glyphosate pour une agriculture durable et pour la santé de notre planète et de ses habitants !

    Les premiers signataires de la tribune : Céline Pelosi, directrice de recherche à Inrae, écologue, écotoxicologue des sols et géodrilologue ; Marcel B. Bouché, directeur de recherche retraité, écologue, épistémologue et géodrilologue ; Gaspard Koenig, écrivain, auteur de Humus (éditions de L’Observatoire) ; Christophe Gatineau, géodrilologue de terrain et auteur de l’Éloge du ver de terre (Flammarion).
    Retrouvez la liste des signataires https://webdata.emmah.paca.inrae.fr/uploads/signataires-glyphosate-vers-de-terre.pdf
    https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/10/12/les-vers-de-terre-sont-des-allies-plus-precieux-que-le-glyphosate-pour-la-sa

    • « Le dossier glyphosate illustre jusqu’à la caricature le conflit entre agences réglementaires et institutions scientifiques », Stéphane Foucart
      https://www.lemonde.fr/idees/article/2023/09/24/le-dossier-glyphosate-illustre-jusqu-a-la-caricature-le-conflit-entre-agence

      Le scepticisme devant les dangers du réchauffement ou l’hésitation vaccinale face au Covid-19 le montrent sans ambiguïté : la défiance vis-à-vis des avis scientifiques collégiaux, transparents et fondés sur la littérature savante, comporte des risques importants pour la société. Il n’y a pas de meilleur carburant à cette défiance que les situations dans lesquelles des instances investies d’une autorité scientifique apparemment semblable répondent de manière opposée à la même question. Revenu dans l’actualité avec le projet de réautorisation présenté le 22 septembre aux Etats membres de l’Union européenne (UE), le dossier glyphosate illustre jusqu’à la caricature ce genre de conflit, dont l’étalage public est préjudiciable à l’image de la science.

      #sciences #obscurantismes #société #écologie

    • « Le dossier glyphosate illustre jusqu’à la caricature le conflit entre agences réglementaires et institutions scientifiques »

      Le précédent du Bisphénol A

      Ces subtilités échappent sans doute à la plus grande part de l’opinion. Seul surnage le bruit de fond délétère du dissensus, qui nourrit le #relativisme et la #défiance. Censée relever de l’exercice scientifique, l’#expertise_réglementaire joue en réalité, parfois, contre la science. « L’évaluation faite par ces #agences_européennes ne correspond à aucun canon scientifique, résume la toxicologue Laurence Huc, directrice de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement, dans un entretien à Mediapart. Pour la biologiste que je suis, ce processus est une truanderie. »

      Les mots sont forts, mais il n’est pas nécessaire d’avoir un doctorat en épistémologie pour comprendre que la méthode à laquelle doivent se plier les agences de l’UE (et d’ailleurs) peut être source de déconvenues. C’est du reste ce qu’enseigne le proche passé. Sur un autre dossier, celui du #bisphénol_A (BPA), les éléments de la controverse étaient analogues ; son dénouement fut douloureux.

      (malgré l’emploi malheureux de "dissensus", condition de base du dispars humain comme des avancées scientifiques, dans le but d’inciter à une prise en compte du #consensus_scientifique (de sciences qui ne seraient pas l’économie politique, ce militant rationaliste pourrait insister davantage sur le #scepticisme généralisé comme condition de la gouvernementalité par la peur, et dans l’insignifiance), produit de contraste qui fait éclore les fondamentalismes et met dans l’impasse la critique)

      https://justpaste.it/ci57m