• Petit rappel salutaire de Pierre Tevanian à propos de Chevènement

    "Rappel non exhaustif sur l’homme qui est peut-être le principal entrepreneur de morale raciste républicaine du demi-siècle passé. Celui qui débuta dans un groupuscule d’énarques élitistes et pro-Algérie française (Patrie et Progrès) avant d’incarner, entre 1997 et 2002, la fameuse "réconciliation de la gauche avec la sécurité". Celui qui organisa la mise en spectacle apocalyptique et ininterrompue de ce thème sur la scène politique pendant presque cinq ans de ministère de l’Intérieur (et de ce fait prépara le triomphe de Jean-Marie Le Pen le 21 avril 2002). Celui qui à l’époque fédéra lors de sa campagne des gens comme : Paul Marie Couteaux et Florian Philipot (passés depuis chez Marine Le Pen), Max Gallo (passé chez Sarkozy) sans oublier Natacha Polony, un certain Michel Houellebecq et un certain Eric Zemmour. Oui tous ces gens ont soutenu publiquement sa candidature. Tout comme un certain Alain Soral, qui a eu ces mots : "Chevènement pour mon parcours personnel est une sorte de sas. Je n’aurais jamais pu me rapprocher du FN directement".
    Février 1997. Jean-Pierre Chevènement dans Le Monde : "L’immigration est absorbable à petites doses".
    Octobre 1997. Congrès de Villepinte. Lionel Jospin et Jean-Pierre Chevènement font de "la sécurité" une priorité. Le député RPR Patrick Devedjian se félicite d’une " grande victoire idéologique de la droite ".
    Décembre 1997. A propos de la mort d’Abdelkader Bouziane, abattu par la police alors qu’il est en fuite, le ministre d l’Intérieur Chevènement cautionne la thèse infondée de la "légitime défense".
    4 mai 1998. Publication d’une lettre de Jean-Pierre Chevènement à Lionel Jospin, demandant de mettre fin à la "double compétence" du juge pour enfants. Le ministre de l’Intérieur écrit : " La double compétence contribue à brouiller l’image de ce magistrat, tantôt juge de la pathologie familiale, proche de l’assistant social, tantôt juge répressif. (...) Cette confusion des rôles est néfaste à l’égard des mineurs dépourvus de repères les plus élémentaires et auxquels il convient d’offrir des représentations plus structurantes ". Cette demande, qui suscite un tollé chez les juges et les éducateurs, est finalement rejetée par le Premier Ministre.
    8 Juin 1998. Réunion du Conseil de Sécurité Intérieure et annonce d’une politique "de fermeté". Dans Le Monde, l’escroc Alain Bauer, PDG d’une société privée de conseil en sécurité, AB Associates, 1 millions de francs de chiffre d’affaire pour un seul salarié (lui-même), salue le gouvernement, qui a "enfin reconnu honnêtement et courageusement l’existence de l’insécurité". Le ministre de l’intérieur Chevènement lui commande un rapport sur l’insécurité et l’organisation de la police.
    Septembre 1998. Une circulaire de Jean-Pierre Chevènement encourage les préfectures à refuser des titres de séjour aux parents et aux conjoints de français ou de résidents réguliers, autrement dit à séparer des familles, et donc à violer la Convention Européenne des Droits Humains, en prétextant que l’atteinte à la vie familiale n’est « pas excessive » par rapport au « but légitime » qu’est « la protection du bien-être économique du pays ».
    15 février 1999. Interrogé sur les "bavures" policières mortelles, le ministre de l’intérieur Jean-Pierre Chevènement déclare qu’il y en a "très peu".
    Octobre 2001. À la suite du meurtre d’un policier par Jean-Claude Bonnal, dit "le Chinois", des manifestations de policiers sont organisées pour protester contre "le laxisme" de la justice et réclamer une révision de la "loi Guigou" sur la présomption d’innocence. La droite relaye cette revendication, et de très nombreux médias s’alignent sur le discours des principaux syndicats de policiers, selon lesquels "désormais", et "de plus en plus", "les policiers se font tirer comme des lapins". Jean-Pierre Chevènement reprend également ce discours. À Serge July, qui lui objecte que les statistiques officielles de la police indiquent plutôt une baisse du nombre de policiers tués en service (10 cas en 2001, contre 32 en 1990, et une moyenne de 20 à 25 depuis trente ans), Jean-Pierre Chevènement répond par ces mots désarmants : "Moi, les chiffres, cela ne m’intéresse pas !".
    Octobre-novembre 2001. Jean-Pierre Chevènement, qui est alors considéré par les sondeurs et les commentateurs comme le "troisième homme" de la future élection présidentielle, multiplie les discours sur "l’insécurité", la "perte des repères" et le nécessaire "rétablissement" de "l’autorité de l’État". Il s’en prend aussi aux "bandes ethniques" qui sèment le désordre et la violence dans "nos quartiers". Dans une tribune publiée en octobre dans Paris-Match, il réagit aux commémorations du crime d’octobre 1961 en déplorant qu’on salisse toujours "la France" et qu’on ne parle jamais de "l’actif de la colonisation" - et notamment de "l’école républicaine, qui a donné aux peuples colonisés les cadres intellectuels de leur émancipation". Près d’un an plus tard, dans l’émission "Ripostes", sur France 5, il persistera : "La colonisation est aussi le moment où le continent africain a été entraîné dans la dynamique de l’Histoire universelle" . Patrie et progrès, la boucle et bouclée. "

    Pierre Tevanian

  • Imposture et simulation

    "J’ai la réputation d’aimer beaucoup de films très différents, et effectivement je peux comprendre, un peu comme Rivette, toutes sortes de films et les aimer, des films qui n’ont le plus souvent aucun rapport avec ce que j’ai envie de faire, mais ce que je n’aime pas, ce sont les films de simulation, je déteste profondément le snobisme et son frère jumeau le bluff, et cela va de « Modesty Blaise » à « Trans-Europ-Express » en passant par « Polly Maggoo », « Anna », « Help », « Pussy Cat », « Privilège », « Dragées au Poivre », « A Coeur Joie », le western de Mekas, tout ce qui donne l’impression d’être fourmillant d’idées alors qu’il n’y en a pas une, tout ce qui parodie, tout ce qui joue à faire le malin, à épater les gens avec du montage court, du zoom et de l’accéléré : c’est du cinéma misérable parce que le metteur en scène, par sa volonté de brouiller les cartes, espère échapper au jugement critique.

    La devise des simulateurs pourrait être la phrase de « Thomas l’imposteur » : « Puisque ce désordre nous échappe, feignons d’en être l’organisateur ».
    Cette attitude ressemble à celle des new-yorkais qui, en achetant des rouleaux de papier hygiénique imprimés en faux dollars, croient démontrer leur mépris de l’argent. Puisque, en vérité, personne ne se torche avec de vrais dollars, alors inutile de faire semblant, achetons du papier blanc et racontons nos histoires normalement en prenant le risque de les voir analysées, décortiquées, critiquées.
    Toute cette pseudo-fantaisie, j’espère rester à l’abri de ça. La menace qui pèse sur moi, bien sûr, c’est d’être « out » : personne n’a envie de l’être, mais je n’ai absolument pas envie d’être « in »."

    [Entretien avec François Truffaut, par J.-L. Comolli et Jean Narboni,
    Cahiers du Cinéma n°190, mai 1967]

  • « En passant de l’histoire à la nature, le mythe fait une économie : il abolit la complexité des actes humains, leur donne la simplicité des essences, il supprime toute dialectique, toute remontée au delà du visible immédiat, il organise un monde sans contradictions parce que sans profondeur, un monde étalé dans l’évidence, il fonde une clarté heureuse : les choses ont l’air de signifier toutes seules. »
    [Roland Barhes, Mythologies ]

    « C’est l’Europe qui articule l’Orient ; cette mise en forme est la prérogative, non d’un montreur de marionnettes, mais d’un authentique créateur dont le pouvoir de donner vie représente, anime, constitue l’espace d’au-delà des frontières familières, espace qui, autrement, serait silencieux et dangereux. »
    [ Edward Said, Orientalisme ]

  • « Si un groupe social, par suite de sa position de classe, définie par la profession et le statut de l’ensemble de ses membres, a tissé entre ceux-ci des liens de communauté étroits ; si les relations de travail des membres de ce groupe offrent peu de variété et peu d’occasions de prendre des initiatives ; si leurs revendications doivent pour aboutir être collectives plutôt qu’individuelles ; si leurs tâches professionnelles requièrent des manipulations et un contrôle physique plutôt qu’une organisation et un contrôle symboliques ; si l’homme, subordonné dans son métier, commande à la maison ; si les logements sont surpeuplés et limitent la diversité des situations où peuvent se trouver les occupants ; si les enfants se socialisent mutuellement dans un milieu offrant peu de stimulations intellectuelles, on peut présumer qu’un milieu présentant l’ensemble de ces caractéristiques engendre une forme de communication qui informe
    les dispositions intellectuelles, sociales et affectives des enfants. Si l’on considère les relations de travail, les relations avec la communauté, le système des rôles familiaux qui caractérisent un tel groupe, tout donne à penser que ce qu’on pourrait appeler le patrimoine génétique d’une classe sociale se transmet moins par l’intermédiaire d’un code génétique que par l’intermédiaire d’un code de communication produit par cette classe.

    Ce code de communication privilégie dans le discours le collectif aux dépens de l’individuel, le concret aux dépens de l’abstrait, l’expression de l’essentiel aux dépens de la description détaillée des processus, les faits bruts aux dépens de l’analyse des motifs et des intentions, et des formes de contrôle social fondées sur la position statutaire aux dépens de formes de contrôle fondées sur la personne.

    Cette description n’a rien de péjoratif : ce système de communication présente des possibilités très riches, possède un registre métaphorique considérable, des possibilités esthétiques originales et peut engendrer une série complète de significations variées. Il reste cependant que les domaines du savoir, les ordres de relations pertinentes vers lesquels ce système de communication oriente les enfants ne sont pas en affinité avec ceux que requiert l’école.

    Si l’enfant est réceptif au système de communication scolaire et, du même coup, aux domaines de savoirs et aux ordres de relations que celui-ci transmet, la fréquentation de l’école est pour lui source de développement social et symbolique ; dans le cas contraire, la fréquentation de l’école est une expérience de changement symbolique et social. Dans le premier cas, l’enfant développe son identité sociale, dans le second, il doit transformer cette identité. Entre l’école et le milieu de l’enfant de classe ouvrière, il existe une solution de continuité culturelle qui résulte de la différence radicale entre les systèmes de communication. »

    [ Basil Bernstein, Langage et classes sociales. ]

  • De la fabrique médiatique des héros

    "Lundi 18 juillet. « Libération » affiche sa une. À côté d’une photo imprécise de Mohamed Lahouaiej Bouhlel, le terroriste islamiste de Nice, ces mots : « 31 ans, 84 victimes, adoubé par l’EI ». Les réactions pleuvent sur les réseaux sociaux : beaucoup sont choqués de cet affichage du visage de l’auteur de l’attentat du 14 juillet.

    Cette une en rappelle une autre, celle du 19 novembre 2015, qui offrait à nos regards le visage souriant d’Abaaoud. « Le visage de la terreur », était-il écrit aux côtés de la photo. Pourtant, cette une là, si elle pouvait émouvoir (à toute époque, le visage souriant de l’ennemi est inéluctablement choquant) pouvait aussi être comprise comme l’illustration de l’effrayante banalité du mal ; François Jost, dans ces colonnes, s’était fait l’écho de cette interprétation.

    Cette fois-ci, c’est différent. Les mots qui accompagnent la photo, si floue et si peu déterminante en elle-même, sont d’une autre nature. « 31 ans, 84 victimes » : nous sommes là dans le domaine de la performance ; on dirait presque un palmarès sportif. « Adoubé par l’EI » : le vocabulaire est chevaleresque. Dans notre imaginaire, celui qui est adoubé le mérite par sa valeur et son courage.

    Ce registre est celui de la fabrique du héros

    La figure d’un héros, ça se fabrique (selon le titre du passionnant livre, déjà ancien mais toujours à lire, de Pierre Centlivres, Daniel Fabre, Françoise Zonabend). Un héros naît d’une alchimie complexe, d’une conjonction entre un destin hors-norme ou spectaculaire au regard d’un certain nombre de critères sociaux du lieu et du moment et de la mise en branle d’instances de récits (médias, autorités, artistes, voies d’expression populaire, etc.) qui vont ériger ce destin en une histoire structurée et largement connue.

    Les mots de la une de « Libération » sont bien du registre de la fabrique du héros. Chez l’immense majorité des Français, ils ne vont évidemment déclencher aucun réflexe d’admiration, mais ils ne sont pas anodins alors qu’existe bien « en face » des mécanismes parfaitement huilées de mise en scène de figures héroïques.

    Cette une a cependant un mérite, malgré elle : nous renvoyer à nos propres représentations du héros. Qui sont nos héros, dans le contexte que traverse la France ? Où les trouvons-nous ?

    Le lendemain, le 19 juillet, « Libération » affichait un titre : « Soyons à la hauteur », au-dessus d’une nouvelle photo, celle de la foule assemblée en hommage sur la Promenade des Anglais. Le sens y est : la réponse est dans le collectif, raconte cette image, dans une société unie et forte. Mais aucun visage ne se détache.

    Aux visages très identifiables des ennemis qui frappent sur notre territoire, ne répondent que rarement des visages de héros. Aux histoires décortiquées de ces destins mortifères (nécessaires, car il est utile que nous connaissions l’ennemi) ne répondent que les portraits des victimes et des proches survivants."

    http://leplus.nouvelobs.com/contribution/1540766-le-tueur-de-nice-en-une-des-medias-nous-manquons-de-figure

    #heroisation

  • Uberisation du terrorisme ou terrorisme liquide ?

    "L’efficacité de la stratégie de la terreur de l’Etat islamique réside en ceci, en sa capacité à endosser la responsabilité ou la paternité spirituelle des actes commis en son nom par des individus qui n’appartiennent pourtant que de manière lâche à son organisation. L’EI accepte que « l’activité de chaque membre participant à la relation soit imputée à tous les membres » (Max Weber, Economie et Société), établissant ainsi une solidarité de fait entre des individus dispersés et parfois isolés et augmentant sa capacité d’action indéfiniment, sans avoir à se préoccuper d’organiser ou de contrôler tous ceux qui disent agir en son nom.

    L’EI introduit en cela une rupture radicale dans l’histoire du terrorisme religieux et politique, qui a longtemps conféré une place centrale aux questions d’organisation et de formulation doctrinale, en acceptant d’adouber les gestes les plus atroces et fous commis par des « sympathisants » et des « soldats » à l’allégeance incertaine et donc de cautionner des massacres où se mêlent convictions religieuses, hostilité aux interventions en Syrie et en Irak, antisémitisme, mais aussi frustrations personnelles, haine de soi et aspiration au suicide. La cause EI accueille toutes les colères.

    Elle accouche par là d’un conflit inédit, sans front et sans issue, que de simples individus peuvent alimenter en y déversant leur soif de vengeance. Un piège tendu aux démocraties, qui risquent de troquer le combat politique pour une guerre et de sacrifier ce qui en fait justement des démocraties, en « laissant propager un mal qui étouffera jusqu’au bien que vous vouliez conserver » (Machiavel, Discours, livre III)."

    http://www.liberation.fr/debats/2016/07/18/l-horreur-ne-suffit-pas-a-faire-l-acte-terroriste_1467000

    • The hidden history of Muhammad Ali
      http://www.isreview.org/issues/33/muhammadali.shtml

      Every fight after his name change–like Louis/Schmeling–became incredible morality plays of the Black revolution versus the people who opposed it. Floyd Patterson, a Black ex-champion wrapped tightly in the American flag, said of his fight with Ali, “This fight is a crusade to reclaim the title from the Black Muslims. As a Catholic I am fighting Clay as a patriotic duty. I am going to return the crown to America.” In the fight itself, Ali brutalized Patterson for nine rounds, dragging it out yelling, “Come on America! Come on white America…. What’s my name? Is my name Clay? What’s my name fool?”

    • Alex Haley Interviews Cassius Clay (Muhammad Ali) Former Fast-Talking And Hard-Hitting Heavyweight Champ (Playboy, 1964)
      http://www.alex-haley.com/alex_haley_cassius_clay_interview.htm

      When I started getting attacked so bad because I am a Muslim, I had to decide, if it would come to me having to give up one or the other, what was most important to me, my religion or my fighting. I made up my mind that I could give up fighting and never look back. Because it’s a whole pile of other ways I could make a living. Me being the world heavyweight champion feels very small and cheap to me when I put that alongside of how millions of my poor black brothers and sisters are having to struggle just to get their human rights here in America.

    • Sufi Boxer Muhammad Ali’s last fight was against Extremism & Politicians’ Islamophobia
      http://www.juancole.com/2016/06/extremism-politicians-islamophobia.html

      In 1975, Mr. Ali became a mainstream Sunni Muslim. In 2005 he adopted the mystical, Sufi branch of Islam, under the influence of Hazrat Inayet Khan. Being a Sufi, Mr. Ali rejected hard line puritan Salafi interpretations of Islam, as well as violent extremism.

      Last December he issued a statement that some interpreted as a direct response to Donald Trump’s call to ban Muslims. His spokesman, however, denied that the statement was directed at Trump. It obviously was addressing Trump indirectly, though:

      “We as Muslims have to stand up to those who use Islam to advance their own personal agenda . . . I am a Muslim and there is nothing Islamic about killing innocent people in Paris, San Bernardino, or anywhere else in the world . . . True Muslims know that the ruthless violence of so called Islamic Jihadists goes against the very tenets of our religion.” “I believe that our political leaders should use their position to bring understanding about the religion of Islam and clarify that these misguided murderers have perverted people’s views on what Islam really is.”

      Although a network originally gave it a title suggesting it hit out at Trump, Mr. Ali’s staff were firm that that was the wrong interpretation. He was, they said, attacking those Muslims who distort Islam with violent extremism.

      Muhammad Ali, far from being pugilistic with the pugnacious Trump, gently called on all US politicians to distinguish between a fringe of misguided extremists and the actual teachings of Islam, which Mr. Ali saw as uniting humankind in love. In the end, the man who was known for boasting about how hard he could hit demonstrated that he wasn’t interested in childish polemics. He conceded the problem of extremism, but asked for understanding of the mainstream Muslim tradition of 1.5 billion human beings.

      So let’s not forget how pretty he was, and how pretty his soul was.

  • Le Congo belge de Léopold II : les origines du massacre – Le Comptoir

    https://comptoir.org/2014/10/08/le-congo-belge-de-leopold-ii-les-origines-du-massacre

    la fin du XIXe siècle, le système colonial établi au Congo par Léopold II, roi de Belgique, atteint un degré de brutalité telle qu’il sera à l’origine d’un des plus grands massacres de l’Histoire. On parle de dix millions de morts, même si l’affaire est très discutée. Malgré la polémique, ce triste chapitre de la colonisation est pourtant encore peu étudié aujourd’hui. Certains universitaires, certains journalistes, congolais, belges, en parlent, mais c’est souvent vite lu et oublié dans les sous-sols des bibliothèques ou dans les bennes à papier. Afin de mieux comprendre les affres de la question congolaise, qui préfigure certains problèmes de la globalisation actuelle, nous nous baserons en grande partie sur les travaux d’un des spécialistes de la colonisation en Afrique aux XIXe et XXe siècles, Elikia M’Bokolo, directeur d’études à l’EHESS.

    #colonisatiuon #colonialisme #belgique #congo #léopold_II

  • « La transformation d’une jeunesse en deuil en jeunesse en lutte »

    Le philosophe Jacques Rancière, penseur de l’égalité, réfléchit à ce que dessinent le mouvement « Nuit Debout » et la mobilisation contre la loi sur le travail, à ce qui les porte, mais aussi à ce qui peut les limiter. Entretien.
    Auteur de La Mésentente, du Partage du sensible, de La Nuit des prolétaires, de La Haine de la démocratie ou encore de La Méthode de l’égalité, le philosophe Jacques Rancière analyse, pour Mediapart, ce que peut signifier le mouvement « Nuit Debout » dans le contexte politique et intellectuel présent, à la lumière de son travail sur l’histoire, la démocratie et l’égalité.

    Quel regard portez-vous sur le moment/mouvement de la Nuit debout ?

    Disons d’abord que mon point de vue est strictement limité : il est celui d’un observateur extérieur qui réagit simplement à ce qu’évoquent pour lui les thèmes et les formes de ce mouvement. À première vue, on peut saisir dans ce mouvement une sorte de version française en miniature du « mouvement des places » qui a eu lieu à Madrid, New York, Athènes ou Istanbul. Il est toléré sur l’espace qu’il occupe, davantage qu’il ne l’envahit. Mais il partage, avec ces occupations, le souci de rendre à la politique son aspect de subversion matérielle effective d’un ordre donné des espaces et des temps. Cette pratique a eu du mal à venir en France où le tout de la « politique » est aujourd’hui ramené à la lutte des concurrents à la présidence de la République. La Nuit debout a du mal à croire en elle-même et ressemble parfois à une « demi-occupation ». Mais elle fait bien partie de ces mouvements qui ont opéré une conversion de la forme-manifestation à la forme-occupation. En l’occurrence, cela a voulu dire passer de la lutte contre certaines dispositions de la loi sur le travail à une opposition frontale à ce que certains appellent « l’ubérisation » du monde du travail, une résistance face à cette tendance qui voudrait supprimer tout contrôle collectif sur les formes de vie collective.
    Au-delà des mesures particulières de la loi El Khomry, c’est en effet cela qui est en jeu. Cette « loi Travail » est apparue comme l’aboutissement de tout un processus de privatisation de l’espace public, de la politique, de la vie… Le contrat de travail est-il quelque chose qui se négocie pour chaque individu, ce qui signifie revenir à la situation du XIXe siècle avant la naissance des formes modernes de lutte ouvrière, ou bien défend-on une société fondée sur le contrôle collectif et la discussion collective, de la vie comme du travail ?
    La Nuit debout est apparue, dans ce contexte, comme une réduction à l’échelle française de quelque chose de singulier que l’on pourrait appeler un désir de communauté. Nous avons connu l’époque où l’on se trouvait dans des structures collectives puissantes au sein desquelles se menaient des batailles, que ce soit au sein de l’université ou de l’entreprise. La lutte alors opposait dans un même lieu deux manières de faire communauté. Mais nous sommes parvenus au terme d’une grande offensive, que certains appellent néolibérale, et que je nommerais plutôt l’offensive du capitalisme absolu, qui tend à la privatisation absolue de tous les rapports sociaux et à la destruction des espaces collectifs où deux mondes s’affrontaient.
    Contre cette privatisation et cette individualisation, on a vu naître, et on l’a senti très fortement dans “Occupy Wall Street”, un désir un peu abstrait de communauté qui a trouvé, pour se matérialiser, le dernier lieu disponible, la rue. L’occupation, jadis, avait son lieu privilégié dans l’usine où la collectivité ouvrière affirmait son pouvoir sur le lieu et le processus au sein desquels elle subissait le pouvoir patronal et faisait ainsi de ce lieu privé un espace public. Elle se pratique maintenant dans les rues, sur les places, comme dans les derniers espaces publics où l’on peut être en commun ; discuter et agir en commun.

    Dans la Nuit debout, la Révolution française, la Commune ou Mai-68 sont souvent convoqués. Que pensez-vous de cette mobilisation de l’histoire révolutionnaire, que certains jugent plus parodique que réelle ?

    Les Amis de la Commune ont effectivement leur stand place de la République. Se situe-t-on, pour autant, dans la continuité d’une grande tradition historique ? Il faut bien voir que l’offensive du capitalisme absolutisé s’est doublée d’une intense contre-révolution intellectuelle, d’une offensive révisionniste par rapport à toutes les formes de la tradition de gauche, qu’elle soit révolutionnaire, communiste, anticolonialiste ou résistante. Cette contre-révolution intellectuelle s’est efforcée de réduire à rien, voire de criminaliser, tous les éléments de cette tradition. La révolution de 1917 a été réduite aux camps staliniens, la Révolution française à la Terreur, l’anticolonialisme à l’inutile « sanglot de l’homme blanc » et finalement la Résistance aux excès de l’épuration. Il y a donc eu une grande annulation de tout un passé, opérée par des gens qui par ailleurs ne cessent de gémir sur la « transmission » perdue.
    Cette volonté de renouer avec le passé est donc importante, même si cela peut paraître formel et symbolique. Ces rappels à une histoire de luttes et de contradictions peuvent aussi jouer un rôle de contrepoids face au risque de dilution de la politique dans une sorte de fraternité new age, dans un mouvement comme Nuit debout qui ne se situe plus, comme celui de Mai-68, sur un fond assuré de croyance marxiste en la lutte des classes et les conflits ouvriers.

    Quelle lecture faites-vous de l’exigence très horizontaliste, sans représentants ni leaders, portée par la Nuit debout ?

    Il faut la situer dans un contexte qui est celui de l’horreur toujours grandissante que peut inspirer la politique officielle : pour le 15-M de Madrid, le grand mot d’ordre, adressé à ceux qui faisaient alors campagne, était : « Vous ne nous représentez pas. » Mais cela correspond aussi à un discrédit des avant-gardes politiques révolutionnaires qui étaient encore très puissantes en 1968. Les assemblées actuelles réagissent contre ces assemblées qu’on a connues, en Mai-68 et après, manipulées par des groupuscules. On est bien obligé de comprendre ce rappel de ce que peut signifier l’égalité, y compris sous ses formes les plus matérielles. Mais, au-delà de ça, ce qui pose question, c’est l’idéologie du consensus, avec l’idée que tout le monde doit être d’accord et une fétichisation de la forme assemblée, qui serait seulement le lieu où chacun devrait pouvoir parler.
    C’est un souci qui est partagé d’ailleurs par beaucoup de gens impliqués dans le mouvement : une assemblée populaire ne doit pas être seulement une assemblée où chacun vient, à son tour, exprimer son problème ou sa révolte et plaider pour la cause militante qui lui est particulièrement chère. Nuit debout, comme toutes les occupations du même genre, rassemble d’une part des individus désireux de recréer du commun mais aussi cette multitude de militantismes partiels, spécialisés, qui se sont développés dans le même contexte de privatisation de la vie publique et de rejet des « avant-gardes ». C’est important que le droit de toute voix soit affirmé, mais une assemblée doit pouvoir décider de quelque chose et non simplement proclamer « on est tous égaux ».
    Une assemblée doit donc se manifester par des décisions, des luttes et non simplement par une figuration formelle de l’égalité. Il est assurément important de la matérialiser spatialement. En 1848, il y avait eu une proposition d’assemblée dans laquelle les représentants seraient tous en dessous, avec, au-dessus d’eux, des milliers de gens du peuple pour les surveiller. L’aspect proprement matériel de la politique égalitaire est donc important. Mais l’agir de la liberté et de l’égalité ne peut pas prendre simplement la forme d’une assemblée où chacun aurait sa liberté de parole. L’égalité est un processus de vérification, un processus d’invention, ce n’est pas simplement une photographie de la communauté. Le problème demeure d’inventer des actions, des mots d’ordre, pour que l’égalité se mette en marche.
    Une assemblée égalitaire n’est donc pas une assemblée consensuelle, même si la notion de consensus se situe au cœur de tous les mouvements qui occupent des places. Je me souviens du choc éprouvé une fois où j’avais été invité à parler dans une université occupée par les étudiants à Amsterdam devant la grande banderole qui proclamait : « Consensus. No leaders ». La lutte contre les hiérarchies est une chose, l’idéologie du consensus en est une autre. Contester les leaders et la hiérarchie, bien sûr, mais cela ne signifie pas que tout le monde soit d’accord et qu’on ne fasse quelque chose qu’à la condition que tout le monde soit d’accord.

    Cela suppose-t-il de redéfinir ce qu’on entend par démocratie, alors qu’on a vu avec l’épisode Finkielkraut qu’il y avait division sur ce qu’on mettait dans ce terme : du consensus ou du conflit ?

    L’épisode Finkielkraut n’a disqualifié la Nuit debout que dans les milieux où, de toute façon, elle était disqualifiée d’avance. Que se serait-il passé si Finkielkraut était reparti sans que personne ne fasse attention à lui ? Les Joffrin, Onfray et consorts, au lieu de crier au totalitarisme, auraient ricané : regardez ces terribles révolutionnaires ! Ils n’ont même pas osé interpeller Finkielkraut ! Tout ça n’est pas bien important. Le problème est ailleurs.
    La démocratie, cela veut dire, au sein même du peuple démocratique, des positions qui entrent en conflit les unes avec les autres et pas simplement la succession au micro d’une personne qui vient parler du marxisme, d’une deuxième qui évoque les droits des animaux et d’une troisième qui rappelle la situation des migrants. Il faut plusieurs types d’assemblées : des assemblées où chacun puisse dire ce qu’il veut, parce qu’il peut aussi y surgir quelque chose que l’on n’attendait pas, mais surtout des assemblées où l’on se demande : « Qu’est-ce qu’on fait là et qu’est-ce qu’on veut ? » Le problème de la démocratie est d’arriver à constituer la volonté d’un peuple. Sur quels mots d’ordre décide-t-on qu’on va faire peuple, qu’on peut construire un collectif démocratique ?
    Actuellement, on a le sentiment d’être dans une sorte d’espace de subjectivation, mais sans qu’une subjectivation collective ne s’instaure véritablement. Cela supposerait sans doute que des mouvements sociaux forts existent ailleurs et notamment que tous les jeunes qui vivent comme en marge de la communauté nationale constituent, eux aussi, des collectifs, pour dire ce qu’ils veulent. Dans les années 1980, il y avait eu cette marche pour l’égalité, à laquelle ont participé des jeunes issus de l’immigration, qui a ensuite été récupérée, manipulée, anéantie, comme toutes les énergies englouties par le mensonge « socialiste ». C’est très difficile aujourd’hui de remettre en marche l’égalité. Je n’ai pas plus d’imagination que personne, mais je pense que c’est là que le problème se pose. On garde encore souvent l’idée que, plus il y a d’oppression, plus il y a de résistance. Mais les formes d’oppression qui nous gouvernent créent non pas de la résistance, mais du découragement, un dégoût à l’égard de soi-même, le sentiment qu’on est incapables de faire quoi que ce soit. Alors on peut bien dire que la Nuit debout fonctionne en vase clos et se berce d’illusions, mais sortir du découragement demeure fondamental.

    Que pensez-vous de cette thématique d’écrire une constitution et de préparer une assemblée constituante ?

    Le désintérêt pour les formes de la vie publique institutionnelle au nom d’une prétendue radicalité révolutionnaire a assurément contribué à la démobilisation des énergies. Il est donc important de répéter à quel point l’état dans lequel nous nous trouvons est une conséquence de la désastreuse constitution de la Ve République et de l’anesthésie de toute vie politique et du pourrissement des esprits qu’elle a produite sur le long terme. Un mouvement anti-Ve République, anti-présidence est donc une nécessité. Et, de même, le rappel de certaines vérités provocantes sur la démocratie, comme le tirage au sort et ce qu’il implique : la déprofessionnalisation de la vie politique.
    Mais, d’une part, l’appel à la Constituante est souvent accompagné d’idéologies « citoyennes » un peu plates et d’idéologies « républicaines » un peu raides. Mais surtout il ne faut pas imaginer qu’on va sortir de la pourriture oligarchique actuelle simplement en rédigeant une bonne constitution. Rédiger une constitution est important quand c’est fait par des gens à qui on ne le demande pas, qui n’ont pas « qualité » pour le faire. Mais c’est aussi important quand c’est pris dans un processus de lutte où les mots sont non pas des recettes pour un bonheur futur mais des armes dans le présent. Ce serait bien par exemple que ces constitutions « rédigées par les citoyens » s’inscrivent dans des processus de lutte effectifs contre l’ordre constitutionnel existant, qu’ils servent par exemple à mettre la pagaille dans les fameuses « grandes primaires démocratiques ». Les gens en place hurleraient au déni de démocratie, mais cela créerait une discussion sur le sens même du mot démocratie qui pourrait être utile.

    Le fond du problème est qu’il faut imaginer des formes de vie politique qui, à la fois, soient entièrement hétérogènes par rapport à cette vie politique officielle entièrement confisquée par une classe de professionnels qui se reproduit indéfiniment – une situation qui a atteint en France un niveau sans égal dans l’Europe occidentale –, et pourtant capables de l’affronter selon leurs formes et leur agenda propres.

    Que faire du reproche d’homogénéité sociologique adressé à la Nuit debout ?

    Au départ, Mai-68 était un mouvement d’un petit groupe d’étudiants « petits-bourgeois ». Et il a entraîné la dynamique de la grève générale qui l’a transformé lui-même, avec la convergence sur la Sorbonne des multiples formes de lutte qui éclataient çà et là. Il faut se souvenir du rôle de modèle joué pour l’occupation même de la Sorbonne par la grève avec occupation et séquestration qui avait alors lieu depuis plusieurs semaines dans l’usine de Sud-Aviation à Nantes. La Nuit debout, elle, arrive après le jugement symbolique condamnant à des peines de prison ferme, pour les mêmes faits, des ouvriers de Goodyear. Elle arrive dans ce contexte de délocalisation des entreprises, de fermeture des usines, de défaites ouvrières et de pénalisation des formes de résistance. Elle ne peut bénéficier de la dynamique sociale qu’on a connue en Mai-68. Bien sûr qu’il faudrait des mouvements Nuit debout ou des mouvements d’un tout autre type partout, et notamment dans les quartiers qui se sont révoltés en 2005.
    On peut toujours reprocher aux gens place de la République d’être des lycéens, des jeunes précaires ou des individus qui ne représentent qu’eux-mêmes. Mais c’est l’état général de ce qu’on appelle ici politique qu’il faut prendre en compte. Dans une France rendue amorphe par l’offensive dite néolibérale, la supercherie socialiste et une intense campagne intellectuelle contre toute la tradition sociale militante, on ne peut se contenter de renvoyer Nuit debout au fait que ce mouvement ne représente pas grand-chose sociologiquement.
    Pour que ce mouvement aille plus loin, il faudrait qu’il puisse inventer des mots d’ordre qui le fassent exploser au-delà de lui-même. Il y a peut-être la possibilité de se saisir de la conjoncture pré-électorale pour créer non pas une « primaire de la vraie gauche », mais une mobilisation très forte contre le système présidentiel. On pourrait imaginer qu’un tel mouvement aboutisse non seulement à des déclarations sur le fait qu’on ne votera plus jamais socialiste, mais à quelque chose comme un mouvement pour la non-présidence, ou la suppression de la présidence de la République.

    Les Nuits debout peuvent-elles permettre de sortir de la chape de plomb post-attentats, symbolisée par une place de la République réinvestie par la parole et la lutte alors qu’elle était devenue un mausolée ?

    Il ne faut pas trop demander à ce mouvement. Mais il est vrai qu’un de ses éléments significatifs est la transformation d’une jeunesse en deuil en jeunesse en lutte, même si cette transformation n’est pas aisée. Quand on va sur la place de la République, on voit que c’est très lentement que, autour de la statue, des symboles de lutte collective viennent se superposer aux expressions du deuil. C’est difficile à mettre en place en raison de la contre-révolution intellectuelle qui a réussi à séparer la jeunesse de toute une tradition de lutte sociale et d’horizon politique. Le propre de tous les mouvements des places a été la difficulté à s’identifier en tant que porteur de puissance d’avenir, et à porter des subjectivations collectives, des identités à travailler et à transformer contre les identités imposées, comme ont pu l’être des collectifs ouvriers ou des collectifs de femmes.
    Cela est encore plus vrai en France, en raison de la chape de plomb idéologique créée par cette contre-révolution intellectuelle. En Grèce, il existe des mouvements autonomes puissants, qui ont créé des lieux de vie, de savoir ou de soins. En Espagne, autour de la lutte contre les expulsions de logements, a convergé un collectif qui occupe aujourd’hui la mairie de Barcelone. Des mouvements et des formes d’organisation de cette ampleur n’existent pas en France, et le mouvement Nuit debout est orphelin des bases de luttes qui ont pu être mobilisées ailleurs.

    Même si demeure le sentiment qu’avec la Nuit debout, il se passe quelque chose qui manifeste une puissance d’invention renouvelant certaines manières de penser de la gauche radicale ?

    On ne sait pas exactement ce qu’il y a dans la tête des personnes qui se mêlent sur la place de la République. On y trouve énormément de choses disparates. Mais c’est vrai qu’on y trouve une exigence démocratique qui s’oppose à la vieille ritournelle sur la « démocratie formelle » comme simple apparence couvrant la domination économique bourgeoise. L’exigence de démocratie « réelle et maintenant » a le mérite de rompre avec cette logique de dénonciation qui prétend être radicale mais produit en fait une sorte de quiétisme, finalement réactionnaire du genre : de toute façon, c’est le Capital qui est la cause de tout, et ces gens qui s’agitent au nom de la démocratie ne font que masquer sa domination et renforcer son idéologie. Mais évidemment le profit est perdu si on ramène la démocratie à la forme de l’assemblée. La démocratie est affaire d’imagination.

    Êtes-vous sensible à la circulation de la parole, de l’écrit, des récits dans les Nuits debout ?

    Il y a effectivement beaucoup de paroles qui circulent, même si elles ne sont pas toujours d’une richesse inoubliable. Des gens viennent dire leurs poèmes, mais c’est rarement une poésie créant un choc de nouveauté. En même temps, on voit des gens qui ne parlaient jamais et qui osent parler à cet endroit et c’est donc significatif, même si, pour ce qu’on peut en saisir, cette circulation de la parole est moins riche que ce qu’on avait perçu en Mai-68. D’un côté, la forme assemblée permet à plus de gens de venir raconter leur histoire. De l’autre, on a l’impression d’être en deçà de la floraison de slogans et d’images multiples qui, dans beaucoup de manifestations récentes, avait remplacé les grandes banderoles unitaires d’antan. Plus profondément, la question est que le désir de communauté égale ne freine pas la puissance d’invention égalitaire.

    Les initiateurs de la Nuit debout veulent converger avec les syndicats dans la perspective du 1er Mai. Comment regardez-vous cette proposition ?

    La « convergence des luttes », c’est un peu la version du grand rêve de Mai-68, la jonction entre étudiants et ouvriers. À l’époque cela s’était matérialisé par le cortège étudiant en direction de Billancourt. Aujourd’hui Billancourt est rasé et la Sorbonne est un lieu où l’on ne pénètre qu’avec une carte. Aussi l’affaire s’est-elle débattue dans le court espace qui s’étend entre la place de la République et la Bourse du travail, autour de la préparation des défilés du 1er Mai. En tout état de cause, la question de la convergence des luttes est dépendante de la question de la nature de ces luttes

    https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/300416/jacques-ranciere-la-transformation-d-une-jeunesse-en-deuil-en-jeunesse-en-

  • Terrorisme : le « J’accuse » d’un expert engagé

    Étrange défaite. Comment, le 13 novembre 2015, des petites frappes du djihad de quartier ont-elles pu faire vaciller notre pays, sa cohésion, ses valeurs et sa Constitution ? A cause de « la médiocrité » du gouvernement français, qui a notamment refusé de lancer une commission d’enquête nationale sur les attentats de janvier 2015, accuse François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).

    Président du Centre de politique de sécurité de Genève, ce chercheur mesuré n’a pu s’empêcher de sortir de la réserve à laquelle il était habitué. Car c’est un « homme en colère » qui dresse le réquisitoire sévère des défaillances françaises. Pourtant, les services de renseignement avaient bien repéré les futurs auteurs des attentats, quasi tous fichés « S ». Preuve que la technique dite de « chasse au harpon » (ciblant des individus singuliers), choisie par les Français, est au moins aussi efficace que celle, prisée par les Américains, de la « pêche au chalut » (ratissant largement les données numérisées de l’ensemble de la population). Sans compter que la nouvelle loi sur le renseignement, assure-t-il, « renforce notablement la capacité de surveillance de nos services ».

    Accablant bilan stratégique

    Mais c’est l’information de proximité qui fait cruellement défaut. Composée de policiers bien insérés localement, cette approche du renseignement « à la papa » a notamment été raillée et rayée des radars par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur. « Organiser un match de rugby pour les jeunes du quartier c’est bien, mais ce n’est pas la mission première de la police », expliquait-il en 2003. Une fois élu président, Nicolas Sarkozy fusionnera en 2008 la Direction de la surveillance du territoire (DST) et la direction centrale des renseignements généraux (RG) au sein de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI).
    Certes, la création de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) par François ­Hollande en 2014 fut suivie d’une tentative de réinscrire territorialement le renseignement, mais « lorsque des vies sont en jeu, ce mauvais folklore historico-administratif devient totalement insupportable », note François Heisbourg. Anticipation approximative, mais aussi préoccupante gestion de crise. Car l’expert en stratégie relève que, le 13 novembre, alors que l’équipée terroriste avait commencé à 21 h 25, il a fallu attendre 22 heures pour qu’une patrouille de la brigade anticriminalité (BAC) faiblement armée parvienne au ­Bataclan et tente d’y intervenir. Sans compter que la communication opérationnelle fut totalement absente, accentuant le climat de panique. Une plate-forme Internet activée par le gouvernement aurait pu indiquer aux Franciliens les quartiers à éviter, comment se mettre à l’abri du danger, conseiller de s’écarter des fenêtres dans les zones exposées, comme l’ont fait les Britanniques lors des attentats de 2005 : « Mais en France, le 13 novembre 2015 : rien, rien, trois fois rien. »

    Terrifiantes erreurs idéologiques

    Accablant bilan stratégique, mais aussi terrifiantes erreurs idéologiques. Car on ne fait pas la « guerre au terrorisme », comme le dit ­Manuel Valls. Il est même indigne d’ériger les criminels de l’organisation Etat islamique (EI) au rang de « combattants ». La posture martiale est donc aussi ridicule qu’inefficace. Trompeuse et mensongère également, car « si nous étions en guerre, organiserions-nous l’Euro ? », se demande l’auteur, non sans à-propos. Mais, dès le lendemain des attentats du 13 novembre, le gouvernement français n’a pu s’empêcher de jouer les gros bras et de lancer ses plus importants raids sur Rakka, quartier général de l’EI en Syrie. Mais faire la guerre là-bas n’apportera pas forcément la paix chez nous. Car « le 13 novembre parisien fut principalement local », insiste M. Heisbourg. Et puis ne nous leurrons pas : l’Occident n’a plus guère de prise sur cette nouvelle « guerre de trente ans » qui détruit et reconfigure tout le Moyen-Orient. Le gouvernement français a donc préféré jouer sur les peurs que sur l’apaisement. Et choisi même « l’hystérisation du débat », avec « l’atroce » proposition avortée de loi sur la déchéance de nationalité, qui aurait pu constitutionnaliser la « discrimination négative ». Idem pour ce préoccupant « état d’urgence permanent » que la France installe insidieusement.
    « Nous risquons de franchir le seuil qui sépare le terrorisme comme somme de trajectoires individuelles de l’avant-garde violente d’un mouvement de masse »
    Il y a donc urgence. Urgence à sortir de la suffisance française, notamment incarnée par ces ministres de la République prompts à moquer les autorités belges après les attentats du 22 mars à Bruxelles, alors que Salah Abdeslam fut contrôlé trois fois le 14 novembre au matin par les policiers français avant d’entrer en Belgique au lendemain des massacres. Urgence à en finir avec les « petits calculs sordides » du « machiavélisme présidentiel » destinés à « servir la soupe politique et idéologique au Front national ». Urgence de combattre « l’iniquité et l’injustice » avec lesquelles sont traitées les minorités visibles en France. Car cette politique de la discorde risque bien de faire grossir les rangs des adeptes du djihad. Et la menace d’expansion est là, prévient François Heisbourg : « Nous risquons de franchir le seuil qui sépare le terrorisme comme somme de trajectoires individuelles de l’avant-garde violente d’un mouvement de masse. » N’éteignons pas les Lumières. Ne transigeons pas sur les libertés, œuvrons pour l’égalité et osons la fraternité contre les fratries meurtrières. En un mot, faisons le pari de la République contre la guerre civile.

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/04/25/terrorisme-le-j-accuse-d-un-expert-engage_4908192_3232.html#f9xPHE047eugFyzB

    • Des cités ? et si c’était ceux qui bombardés en Syrie par l’avition russe, revenaient et se vengent tout simplement ? Et 100 000 euros payé par qui ? IL y a de quoi se radicaliser très vite non ?

  • "Le Vol de l’Histoire. Comment l’Europe a imposé le récit de son passé au reste du monde", de Jack Goody : l’exception occidentale

    Que s’est-il passé ? Depuis une dizaine d’années, la question du destin de l’Occident intéresse à nouveau les historiens, sur fond de « conflit des civilisations » et de montée des puissances asiatiques. Quels facteurs expliquent le développement exceptionnel de l’Europe au XVIe siècle ? Ces facteurs permettent-ils de prévoir un maintien de sa suprématie au moment où elle est contestée ?
    A l’instar de Bernard Lewis, qui a fait de cette question le titre d’un de ses ouvrages sur l’islam (Gallimard, 2002), les historiens montrent souvent que l’Europe possède quelque chose qui manque aux autres civilisations : la démocratie, l’individualisme, l’amour courtois. Ces valeurs éparses peuvent être réunies dans un ensemble cohérent, une « mentalité européenne », et liées au développement du capitalisme, dont l’esprit d’entreprise détache l’individu des liens traditionnels, comme l’ont illustré les travaux classiques de Max Weber, Karl Polanyi ou Fernand Braudel.
    En réaction à cette tendance, d’autres affirment que la supériorité de l’Occident est une invention qui a permis à l’Europe de justifier ses conquêtes. Ainsi de Martin Bernal rappelant les racines afro-asiatiques de la culture classique. Ou de Dipesh Chakrabarty, un des auteurs phares des études postcoloniales.
    L’anthropologue britannique Jack Goody renvoie dos à dos ces deux attitudes. S’il dénonce la justification de la guerre en Irak par l’introduction de la démocratie, il critique également les excès littéraires du postcolonialisme. Selon lui, la « supériorité » de l’Occident ne tient ni à une « mentalité européenne » qui résisterait à la contingence des événements, ni à un discours colonial que la globalisation effacerait comme une époque révolue. Elle tient plutôt à un ensemble de « technologies de l’intellect » que l’Europe a empruntées aux autres civilisations, et dont elle a fait un usage particulièrement retors : listes, catalogues, livres de comptes...

    L’oubli d’une dette

    D’où lui vient cette singularité ? La réponse de Goody peut s’énoncer ainsi : c’est parce qu’elle est intervenue au moment où l’Europe était en train de s’effondrer que la redécouverte des textes classiques a produit une « renaissance » ; cette effervescence a conduit à forger l’image d’une Antiquité idéale en occultant la conservation de ces mêmes textes en Orient.
    La Renaissance ne marque donc ni l’apparition d’une nouvelle mentalité ni l’invention d’un nouveau discours, mais un usage singulièrement intense des technologies d’information et d’échange. « Pourquoi ne pas reformuler la discussion sur l’avantage pris par l’Occident à l’époque moderne en des termes autres - ceux d’une intensification de l’activité économique et d’autres activités au sein d’un cadre à long terme qui serait celui du développement des villes et des activités de production et d’échange ? », demande-t-il. C’est ce que Goody appelle le « vol de l’Histoire », qui ne suppose pas une mauvaise intention mais plutôt l’oubli d’une dette.
    Cette méthode conduit l’anthropologue à regarder la « grande divergence » entre l’Orient et l’Occident - pour reprendre la formule de l’Américain Kenneth Pomeranz - depuis son expérience de terrain en Afrique. Au moment de l’indépendance du Ghana, Goody a pu observer l’effervescence qui accompagne l’appropriation des textes classiques. Il note que « lorsqu’en 1947 une université fut créée au Ghana - c’est-à-dire dans celui des Etats coloniaux africains qui sera le premier à accéder à l’indépendance - le premier département à employer un personnel entièrement africain fut celui des lettres classiques ».
    Une telle méthode doit beaucoup à l’héritage de Marx. Goody se réclame ici de deux historiens marxistes : Gordon Childe (1892- 1957), archéologue de « l’âge de bronze », et Perry Anderson, historien du féodalisme. Dans une telle optique, le « vol de l’Histoire » n’est ni le décollage d’une civilisation ni l’usurpation d’un pouvoir : c’est une série d’emprunts et de reprises dont l’issue reste imprévisible. Goody donne là une surprenante actualité à la phrase de Marx selon laquelle les hommes font l’histoire sans savoir qu’ils la font.

    Frédéric Keck

    http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/10/14/le-vol-de-l-histoire-comment-l-europe-a-impose-le-recit-de-son-passe-au-rest

  • Deux entretiens d’Hassina Mechai a propos d’#islamophobie

    Avec Thomas Delthombe

    "Ayant étudié les représentations médiatiques de l’islam en France sur le temps long, entre les années 1970 et les années 2000, je suis sceptique lorsque l’on parle de « rupture » et de « nouveauté ». Beaucoup de ce qui est dit aujourd’hui sur l’« islam » et les « musulmans » – avec beaucoup de guillemets – était déjà en germe dans les décennies précédentes. S’il y a bien des évolutions, et s’il se produit par moment des phénomènes d’accélération, les représentations publiques ne changent pas du jour au lendemain.

    Pour ce qui concerne la période très récente, mais qui ne date pas des attentats de janvier et novembre 2015, je vois deux évolutions importantes. La première est la prise en compte du phénomène qualifié d’« islamophobie ». Alors que, pendant des années, les élites françaises refusaient globalement d’utiliser ce terme, et donc de regarder le phénomène qu’il décrit, les choses ont légèrement évolué depuis deux ou trois ans. Si le terme est encore loin de faire consensus, un nombre croissant de responsables politiques et médiatiques français acceptent désormais de l’utiliser. Cela est le résultat de plusieurs phénomènes : d’abord, l’explosion de faits, attaques ou discours que l’on peut difficilement décrire autrement que comme « islamophobes » ; ensuite, le travail patient de diverses associations qui, malgré un environnement difficile, réussissent peu à peu à inscrire la question de l’islamophobie dans l’agenda politique et médiatique.

    Le second phénomène important, qui n’est pas contradictoire avec le précédent, est la radicalisation d’une partie des milieux islamophobes. Un peu à la manière de Pegida en Allemagne, certains groupuscules et certaines personnalités se radicalisent dans leur haine de ce qu’ils imaginent être l’« islam ». Les discours de certains « intellectuels » français et de certains journalistes sont de plus en plus radicaux. On peut penser, pour illustrer cette tendance, à un journaliste comme Éric Zemmour dont les derniers livres, particulièrement réactionnaires, se vendent à des centaines de milliers d’exemplaires. Un autre exemple intéressant est celui d’Alain Finkielkraut, dont le discours sur l’« islam » est d’une certaine manière encore plus radical que celui du Front national mais qui, lui aussi, vend des centaines de milliers d’exemplaires de ses livres et qui a même été nommé à l’Académie française. À l’évidence, l’islamophobie est devenue un juteux filon…

    On pourrait ajouter une troisième évolution aux deux précédentes : l’émergence d’un discours islamophobe d’aspect « anti-islamophobe ». Cette évolution est le résultat des deux précédentes mais c’est un phénomène assez classique : lorsque le racisme est nommé comme tel (en l’espèce dans sa variante islamophobe) et lorsqu’une partie des milieux racistes se radicalisent (en l’occurrence en se focalisant sur l’« islam »), ceux que l’on pourrait appeler les « racistes modérés » – c’est-à-dire ceux qui participent au système raciste « sans le savoir » – ont tendance à camoufler et à refouler leur racisme. C’est ce qui est, à mon avis, en train de se produire actuellement : une partie des élites françaises acceptent de dénoncer l’islamophobie mais ne le font que de façon purement superficielle, incantatoire et morale, en prenant bien soin de ne jamais s’interroger sur ce que cette nouvelle forme de racisme révèle des structures de pouvoir dans la société française. Ce refoulement n’est évidemment pas fortuit."

    http://www.middleeasteye.net/fr/reportages/deltombe-l-islamophobie-un-instrument-de-pouvoir-qui-permet-de-reform

    Avec Shlomo Sands

    " La France a eu une longue tradition judéophobe. Cette judéophobie a été un code de communication acceptable, pas seulement dans les milieux catholiques mais également chez beaucoup de laïcs républicains, de Barrès à Céline. L’intolérance envers la figure du Juif à travers le XIXème siècle la première moitié du XXème vient aussi d’une certaine culture nationale. Je pense que cette judéophobie, très profonde en France, a disparu non pas après la Seconde Guerre mondiale mais à la fin des années cinquante. Cette judéophobie n’existe plus dans la culture de masse ou dans les élites. Même dans l’extrême-droite française, avec le passage de Jean-Marie Le Pen à sa fille, l’antisémitisme a cessé d’être légitime. Cependant, il me semble qu’en marge dans les ghettos-cités, il y a la naissance d’une nouvelle judéophobie qui est liée au conflit israélo-palestinien.

    Je pense surtout que l’islamophobie a remplacé la judéophobie. Je montre, par exemple, que si on remplace dans le livre de Houellebecq, toutes les descriptions concernant les musulmans par des descriptions des juifs, on obtiendrait un pamphlet judéophobe. Ce mouvement s’est accompagné d’une nouvelle référence à une prétendue « civilisation judéo-chrétienne ». Or du point de vue purement théologique, ce concept est une blague, tout simplement. Le Judaïsme est plus proche de l’Islam que du Christianisme. Les conflits entre juifs et chrétiens ont été plus importants qu’entre juifs et musulmans. Le juif, comme minorité religieuse, a souffert beaucoup plus sous le christianisme que dans le monde musulman. Même s’il y avait le statut de dhimmi cela n’a rien à voir avec les souffrances dans le monde chrétien qui se sont terminées à Auschwitz. Mon grand-père et ma grand-mère, gazés en Pologne, ignoraient qu’ils vivaient dans une civilisation judéo-chrétienne. Quand j’entends ce concept, je suis effrayé et en colère car c’est une négation totale de l’Histoire."

    https://blogs.mediapart.fr/hassina-mechai/blog/190416/shlomo-sand-l-islamophobie-remplace-la-judeophobie

  • Qu’est-ce qui faisait tellement rire Audrey Pulvar, lorsqu’elle posait ainsi, près d’un terminal vers Gaza ? Le fait qu’elle le fasse avec Gilles William Goldnadel, est lourd de sens, sachant que ce personnage est un défenseur du blocus et des agressions menées par les forces d’occupation contre ce territoire.
    On savait que la journaliste avait participé au dîner de cet officine pro-israélienne qu’est le Crif...Cette image est un symbole beaucoup plus cynique, car elle semble se moquer des souffrances des Palestiniens.
    Il reste que les éléments manquent pour en faire une véritable analyse.
    Ces photos de ce séjour, connaissent une diffusion accrue des derniers jours. Le phénomène a été amplifié par le fait qu’Audrey Pulvar ait réagi là-dessus, sur twitter, affirmant qu’elle avait" beaucoup aimé ce voyage, très instructif".
    Pourtant, ces photos ne sont pas récentes. Les sites qui les ont publiées renvoient à des images la page "All with us", datées du 1er mars 2015. Celles-ci ne figurent pas dans le fil d’actualité de cette page, mais sont consultables, sans commentaires dans son album de photos.
    A moins de nous lancer dans des déductions, il ne nous est pas possible actuellement de savoir quel était l’objet et la date précise de ce voyage.
    Nous allons toutefois profiter de l’intérêt que suscite ces images pour rappeler qui est Gilles William Goldnadel, dont le profil est révélateur des liens entre les cercles pro-israélien et l’extrême-droite. L’avocat de Florian Philippot, de Grégori Chelli, d’Oriana Fallaci, d’Anne Kling et de Patrick Buisson multiplie les casquettes : membre des Républicains, ancien secrétaire national de l’UMP chargé des médias, président de l’association France-Israël, membre du comité directeur du CRIF....
    Son rapprochement avec l’extrême-droite est d’abord idéologique, tout en gardant une ambiguïté dans son discours.
    Goldnadel prétend en effet considérer le Front National comme un "adversaire" mais pas "comme un ennemi", et à ce titre il prétend le "traiter (...) rationnellement".
    En revanche, il dit mener "son combat principal contre l’islamo-gauchisme" qu’il "considère aujourd’hui comme le premier totalitarisme".
    La validité du terme "islamo-gauchisme" est déjà fort discutable...en arriver à en parler comme d’un "totalitarisme", voir le premier d’entre eux, est vraiment le comble du grotesque.
    Goldnadel se montre plus précis dans l’Express, en évoquant son ami Alain Finkielkraut : "Ensemble, nous avons beaucoup discuté du fait que le Front national est un leurre pendant que l’extrême gauche et les islamistes nous prennent à revers".
    Mais de quoi parle-t-il ? Pour le magazine, plutôt complaisant à l’égard du personnage, "il est bien évidemment question de l’antisémitisme, cette maladie sociale dont Goldnadel pense avoir démontré qu’elle équivaut à l’antisionisme radical." Une évidence ...pas si évidente que cela...L’intéressé lui-même nie l’"intérêt pratique" d’un tel lien et dit combattre l’antisionisme en tant que tel : "La négation de ce droit national me paraît, à ce stade de l’existence tragique du peuple juif, toute aussi immorale que l’antisémitisme classique. Au demeurant, je ne place pas celui-ci au sommet de l’abjection humaine : la stupidité, l’ignorance, la disproportion insensée, le mensonge, la jalousie me paraissent infiniment plus répréhensibles."
    Pour résumer, il ne reproche pas tant aux "groupes d’extrême gauche ou islamistes" d’être "antisémites" mais plutôt d’œuvrer à la "délégitimation systématique" d’Israël. C’est pour cela qu’il considère que ce sont eux ses ennemis principaux .
    Au point de s’allier avec l’extrême-droite pour les combattre ? Force est de constater qu’il partage avec elle nombre d’idées, n’y trouvant "aucune contradiction" avec son engagement pro-israélien : "J’ajoute que mon combat principal contre l’islamo-gauchisme que je considère aujourd’hui comme le premier totalitarisme revient à défendre une conception de l’État-nation occidental démocratique et de culture judéo-chrétienne que celui-ci abhorre pathologiquement jusqu’à verser dans le racisme anti blanc. Autrement dit, lorsque je défends la France, je défends Israël. Et réciproquement."
    Il va jusqu’à regretter "qu’en raison du traumatisme psychologique post-shoatique, le fantasme européen (soit) passé du tout aryen au rien du tout. " : pour lui "ce qui menace l’homme européen, ce n’est pas l’excès de patriotisme, mais le vide sidéral, au sein duquel les islamistes font leur nid."
    Aussi, pour une personne se disant "adversaire " du Front National, force est de constater qu’il semble avoir de bonne relations avec le parti d’extrême-droite...
    En 2014, Jean-Marie Coutaux, alors membre du Rassemblement Bleu Marine, œuvrant au ralliement de personnalités venues de la droite classique, disait de lui :""Il faut multiplier les Goldnadel, afin d’améliorer nos relations avec le Crif, pour le moins embryonnaires."
    Le président de France-Israël, se prévaut d’ailleurs d’avoir accordé des conseils à Marine Le Pen, lorsqu’elle lui avait fait part de son désir de se rendre en Israël.
    Une rencontre que la femme politique nie.
    Par la suite, toutefois, Florian Philippot lui demandera d’assurer sa défense. Selon une source anonyme du Point, "si le député européen frontiste a choisi une personnalité extérieure au FN, et non l’avocat de son parti Me David Dassa-Le Deist, c’est parce qu’il entend prouver que ce procès « transcende les clivages politiques »".
    Pour Dominique Albertini de Libération, "ce n’est sans doute pas tout" : "l’opération pourrait (...) populariser l’image de Florian Philippot et du FN dans les milieux pro-israéliens (...) Elle pourrait aussi contribuer à « droitiser » l’image du numéro 2 frontiste, que ses adversaires accusent d’encourager une « dérive gauchiste » du Front national."
    De manière plus large, tout cela témoigne d’un processus entamé il y’a quelques années, dans le cadre duquel des partis d’extrême-droite européens estiment pouvoir obtenir un brevet de respectabilité en se montant favorable à Israël. En France, un personnage tel que Goldnadel oeuvre à favoriser cela. Et cela a un certain écho dans des médias, qui comme l’Express, estiment qu’il a "montr(é) que l’antisémitisme français a changé de visage"
    Et pendant que le système politico-médiatique de gauche comme de droite, fustige les pro-palestiniens comme étant le "nouveau visage de l’antisémitisme", de véritable groupes néo-nazis se développent en France dans l’indifférence totale...

    Génération Palestine Paris

    Images du voyage et le tweet d’Audrey Pulvar :
    https://twitter.com/AudreyPulvar/status/720236146219945985
    https://www.facebook.com/682645931791587/photos/pb.682645931791587.-2207520000.1460972287./853361181386727/?type=3&theater
    https://www.facebook.com/682645931791587/photos/pb.682645931791587.-2207520000.1460972287./853360721386773/?type=3&theater
    Audrey Pulvar et le Crif :
    http://www.closermag.fr…/diner-du-crif-daniela-lumbroso-au…
    https://www.youtube.com/watch?v=O9qWzK6WRy8


    Sources concernant Goldnadel :
    http://www.lefigaro.fr…/31003-20150814ARTFIG00184-goldnade…
    http://www.lefigaro.fr…/31001-20150413ARTFIG00337-guerre-d…
    http://www.lexpress.fr…/gilles-william-goldnadel-tribun-d-…
    http://www.lefigaro.fr…/31001-20150413ARTFIG00337-guerre-d…
    http://www.lepoint.fr…/me-goldnadel-defendra-philippot-fac…
    http://www.liberation.fr…/gilles-william-goldnadel-avocat-…
    http://www.lejdd.fr…/Virage-a-droite-chez-les-juifs-de-Fra…
    Rôle de Paul-Marie Coûteaux
    http://www.valeursactuelles.com…/exclusif-paul-marie-coute…
    Stratégie de rapprochement de l’extrême-droite avec Israël :
    http://tempsreel.nouvelobs.com…/le-fn-israel-et-la-france.…
    http://www.dailymotion.com…/xk3wg5_la-deferlante-anti-isla…
    Prise de prosition de Goldnadel concernant le blocus et les agressions contre Gaza :
    http://www.lefigaro.fr…/31002-20140818ARTFIG00133-le-requi…
    http://www.lefigaro.fr…/01003-20100604ARTFIG00581-goldnade…
    Photo de Génération Palestine Paris.

  • « Un projet colonial aujourd’hui repensé, en France, comme une défense des valeurs laïques »

    Dans Chassés de la lumière (Stock, 1972), l’écrivain américain James Baldwin raconte que peu après son installation en France en 1948, il a vu « des policiers tabasser en pleine rue un vieux vendeur de cacahuètes arabe, par ailleurs manchot, et observé les regards indifférents des Français attablés aux terrasses des cafés et les visages congestionnés des Arabes ». Avec un « généreux sourire », les amis de Baldwin l’avaient rassuré en lui expliquant qu’il était différent des Arabes : « Le Noir américain est très évolué, voyons ! » Alors que les Arabes, selon eux, « ne voulaient pas être civilisés ».

    A part les anciens combattants vieillissants de la guerre d’Algérie, plus personne en France ne parle d’« Arabes ». Aujourd’hui on parle de « musulmans ». Or les musulmans français sont les descendants du vendeur de cacahuètes évoqué plus haut, et, trop souvent, sont la cible de la même intolérance raciste. Comme le racisme que Baldwin décelait chez ses amis parisiens, celui-ci porte souvent un masque noble : antiterroriste, laïc, féministe.

    Le récent éditorial de Charlie Hebdo, « Qu’est-ce que je fous là ? », en est un exemple. Les attaques terroristes de Paris et Bruxelles « ne sont que la partie émergée d’un gros iceberg », écrit le dessinateur Laurent Sourisseau (« Riss »). Les parties non visibles de l’« iceberg » comprennent entre autres le penseur suisse Tariq Ramadan, qui a été accusé de pratiquer un « double langage », faisant mine d’être un modéré tout en œuvrant secrètement à l’instauration de la charia en Europe.

    Le musulman « dissimule toujours quelque chose »

    Certes, plaisante Riss, « il ne prendra jamais une kalachnikov pour tirer sur des journalistes dans leur salle de rédaction » mais « d’autres le feront à sa place ». Et n’oublions pas la « femme voilée » dans la rue, ou le boulanger de quartier qui a cessé de proposer des sandwiches au jambon. Aucune attaque terroriste « ne pourrait avoir lieu sans le concours de tous ».

    Comme l’Arabe à l’époque de Baldwin – ou le juif à une époque antérieure – le musulman d’aujourd’hui « dissimule toujours quelque chose », soit un complot terroriste, soit un complot pour islamiser la France, soit les deux. Il profite de la crainte des bien-pensants « d’être traités d’islamophobes ou de racistes ».

    L’idée selon laquelle la tolérance et le relativisme culturel feraient le lit de l’islamisation de la France est un vieil argument qui remonte aux débuts de l’Algérie française. Celui qui la reprend le plus clairement aujourd’hui est le philosophe Alain Finkielkraut. L’antiracisme, explique-t-il, « sera au XXIe siècle ce que le communisme a été aux années 1920 », et sa forme la plus pernicieuse est celle de l’anti-islamophobie.

    L’été dernier, à côté de celle de Nicolas Sarkozy, il a ajouté sa signature à une pétition publiée dans Valeurs actuelles pour protester contre la proposition de convertir en mosquées certaines églises désaffectées : la défense de la Iaïcité passe désormais par la sauvegarde des églises.

    Expression d’émancipation

    De telles opinions ne sont guère surprenantes à droite. Mais les positions de Finkielkraut ont été reprises par un certain nombre de figures éminentes de la gauche socialiste, parmi lesquelles le premier ministre Manuel Valls pour qui l’islamophobie est le « cheval de Troie du salafisme ».

    Plus récemment la philosophe féministe Elisabeth Badinter, qui avait autrefois comparé l’autorisation du hidjab dans les écoles françaises à l’accord de Munich, a appelé au boycott des marques proposant des foulards et autres vêtements islamiques. L’accusation d’islamophobie, a récemment déclaré Mme Badinter au Monde (4 avril), est « une arme que les islamo-gauchistes ont offerte aux extrémistes ».

    Selon cette opinion, non seulement s’en prendre à l’islam n’est pas du racisme, mais c’est défendre les valeurs françaises, au premier rang desquelles la laïcité et la protection des droits des femmes. C’est une expression non pas d’oppression, mais d’émancipation : la libération de tous les citoyens français, dont les femmes musulmanes qui subissent la tyrannie de leurs pères, frères et voisins dans les banlieues.

    Il y a une certaine logique dans cet argument. Le terme « islamophobie » est imprécis et peut rendre difficile la distinction entre critique de la religion – telle que l’expriment des intellectuels arabes comme Adonis et Kamel Daoud – et discrédit général à l’égard de toute personne pratiquant l’islam ou née dans une famille d’origine musulmane. Les défenseurs d’un islam traditionaliste ont intérêt à brouiller la distinction. Tout comme l’Etat islamique, qui cherche des recrues parmi les jeunes musulmans européens qui se sentent perdus ou rejetés.
    La loi de 1905 n’a pas seulement privé l’Eglise catholique de son pouvoir, elle a aussi permis aux juifs et aux protestants d’exercer plus librement leur foi.

    Ceux qui affirment seulement critiquer l’islam, tout en s’employant en permanence à insulter les musulmans en général, contribuent fortement à cet amalgame entre islam et citoyens de confession ou d’origine musulmane. Ils pratiquent la même ambiguïté tactique que ceux qui déploraient l’influence du judaïsme dans la vie française à la fin du XIXe siècle et accusaient ceux qui dénonçaient l’antisémitisme de vouloir supprimer la liberté d’expression – le magazine antisémite d’Edouard Drumont, fondé en 1892, s’intitulait La Libre Parole. Très peu d’entre eux expriment un racisme « biologique » à l’ancienne ; leur « racisme culturel » représente les musulmans comme une irrémissible cinquième colonne djihadiste.

    Le cas d’Elisabeth Badinter est plus complexe. Elle formule ses positions dans le langage apparemment progressiste du féminisme laïque et de l’universalisme républicain. Elle ne voit pas dans chaque musulmane voilée le soldat potentiel d’une invasion islamique. Et pourtant elle ne peut concevoir qu’une femme puisse choisir de porter le voile ; elle ne voit en elle qu’une femme soumise que l’on doit contraindre à se libérer, comme ces « nègres » partisans de l’esclavage américain évoqués par Laurence Rossignol (que Mme Badinter a soutenue).

    Ce désir de libérer les femmes musulmanes s’insère dans la longue histoire des « hommes blancs sauvant les femmes brunes des hommes bruns » (selon la formule de la critique littéraire indienne Gayatri Spivak) : un projet colonial qui est aujourd’hui repensé, en France, comme une défense des valeurs laïques dans les « territoires perdus de la République ».

    Les valeurs de la France risquent d’être perverties par une ligne de défense aussi ambitieuse. La loi de 1905 qui a instauré la laïcité était fondée sur la neutralité de l’Etat à l’égard des institutions religieuses ; elle n’a pas seulement privé l’Eglise catholique de son pouvoir, elle a aussi permis aux juifs et aux protestants d’exercer plus librement leur foi.

    Les défenseurs actuels de la laïcité, aussi bien à droite qu’au centre gauche, ont abandonné tout semblant de neutralité. Il n’est guère étonnant que pour nombre de musulmans en France, y compris la majorité silencieuse qui ne met que rarement, sinon jamais, les pieds dans une mosquée, le « gros iceberg » de Charlie Hebdo n’apparaisse que comme un terme codé leur enjoignant de rester à leur place.

    Adam Shatz (Traduit de l’anglais par Gilles Berton)

    Cet article est d’abord paru dans la « London Review of Book

    http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/04/12/un-projet-colonial-aujourd-hui-repense-en-france-comme-une-defense-des-valeu

  • Au cinéma de Patrick Buisson, le mythe de l’Algérie française ressuscité

    Un homme patiente en lisant un article de magazine, pas gêné par le léger brouhaha qui enveloppe l’assistance : « Comment mettre du don dans son ISF ? » Bonne question. Les lumières de la salle de cinéma sont encore allumées, chacun cherche une place où s’asseoir, salue un ami ou tente de se rapprocher d’un invité plus prestigieux que soi. A ce jeu-là, Philippe de Villiers est le roi. L’ancien candidat à la présidentielle est assailli de poignées de main. Mais le Vendéen n’est pas le héros de la soirée, ce jeudi 7 avril. La vedette, c’est son compère Patrick Buisson, ancien conseiller de Nicolas Sarkozy et toujours patron de la chaîne Histoire, qui présente au cinéma Gaumont, près de la place de l’Opéra, à Paris, l’avant-première de son documentaire Les Dieux meurent en Algérie (diffusé le 13 avril sur Histoire).

    Après avoir salué chacun des invités à l’entrée de la salle, de ses anciens confrères du journal d’extrême droite Minute aux journalistes de Valeurs actuelles ou du Figaro, en passant par le directeur de cabinet de Marine Le Pen ou son ami le polémiste Eric Zemmour, Patrick Buisson descend au pupitre pour prendre la parole. « L’histoire de la guerre d’Algérie est un champ de mines, une histoire surinvestie par tant d’enjeux mémoriels, symboliques, politiques, idéologiques », reconnaît-il, sans pour autant s’en départir. Celui qui avait tenté de convaincre Nicolas Sarkozy pendant la campagne présidentielle de 2012 de dénoncer les accords d’Evian, qui ont mis fin à la guerre d’Algérie, n’en peut plus des « entreprises insidieuses de culpabilisation ». « Rien de tout ça, vous vous en doutez, dans ce film. » Bien au contraire.

    Ferments religieux

    L’exaltation du « mythe » algérien, du rapport charnel à cette terre colonisée par la France pendant un siècle, passe ici par le récit croisé de combattants des deux camps. Pour résumer, les textes d’Hélie Denoix de Saint Marc répondent à ceux du commandant Azzedine. Avec ce film, Patrick Buisson dit « régler une très ancienne dette à [ses] maîtres, Raoul Girardet et Philippe Ariès », deux historiens aux racines maurrassiennes, comme lui, spécialistes du fait national, et qui ont été des soutiens à des degrés divers de l’OAS. « Je vous laisse le soin d’imaginer d’autres issues au drame algérien », lâche Patrick Buisson, songeur. « Quel gâchis… », souffle une femme assise dans le public.

    Le héraut, avec MM. de Villiers et Zemmour, de la droite « hors les murs », cette droite identitaire qui ne se reconnaît ni dans Les Républicains ni dans le Front national, voit dans la guerre d’Algérie des ferments religieux, et se fait volontiers prophète en ces temps de terrorisme. « Aujourd’hui, certains s’interrogent : la religion et le sentiment national ne seraient-ils pas le cœur battant de l’histoire ? Il n’est pas trop tard pour le comprendre. » Et le conseiller déchu, pour cause de magnétophone intrusif, de conclure son propos par une phrase qui se veut lourde de sens : « On n’en a jamais fini avec la poussière des dieux morts. »

    http://www.lemonde.fr…/au-cinema-de-patrick-buisson-le-myt…

  • Ni noirs, ni blancs, les enfants métis durant la colonisation belge

    « Dès la fin du 19ème siècle, plusieurs puissances coloniales prennent conscience du phénomène de métissage. Et elles s’organisent en congrès pour essayer de comprendre l’ampleur du phénomène et aussi pour commencer à étudier l’enfant né de l’union ou de ces mélanges de races. On les étudie presque comme on étudie les insectes : l’habitat, les types de maladies, le type d’alimentation qui leur convient etc… Et donc très vite, la plupart des puissances coloniales considèrent le métissage comme étant une menace aux intérêts coloniaux. Plus particulièrement, les métis sont considérés comme des dangers parce qu’il y a une ascendance européenne et une goutte de sang blanc. Cumulant disait-on, les tares des deux races, ils pouvaient être les ferments de révolte. Cette obsession qui considère les métis comme un danger provient essentiellement du Canada, notamment de Manutauba où un métis appelé David Riel a été un leader de mouvements de contestation des métis. Et depuis lors, on a commencé à considérer que tout enfant métis était porteur de ces germes de révolte ».

    http://www.rtbf.be/info/monde/detail_ni-noirs-ni-blancs-les-enfants-metis-durant-la-colonisation-belge?id=830

  • Dans le Guardian, le témoignage d’une mère belge dont les 3 enfants sont partis en Syrie et qui critique les autorités de son pays :
    ‘Our sons are victims of Isis brainwashers – and of our government’
    Guardian / 27.03.2016
    http://www.theguardian.com/world/2016/mar/27/belgian-mother-betrayed-by-government-and-isis-when-sons-went-to-syria?
    Elle a averti les autorités en 2013 sur le risque que son fils de 22 ans parte là-bas, à quoi on lui a répondu qu’il n’était pas illégal de partir combattre Assad. Puis ensuite sur son fils le plus jeune de 16 ans, qui peut prendre tranquillement l’avion en direction de la Turquie :

    Her younger son, Rashid, followed three months later, when he was still only 16. He told his mother he was going to the movies and on for a bowling game with some friends, and that evening he called home from Istanbul.
    “How come he could cross the border at Zaventem when he was under 18? The airport authorities should have stopped both of them,” she told the Observer. “I was totally shattered. I only had the energy to call the police and ask them to go and bring him back.”

    Et le rappel des déclarations du ministre des affaires étrangères belge expliquant que les « combattants » belges partant en Syrie mériteraient plus tard un monument à la gloire de la révolution, donne de la substance aux accusations de cette mère :

    “Today they all say, ‘we never would have imagined, we never knew’, but actually they were accomplices,” she said. “Our children are first victims of a criminal organisation that brainwashed them. But they are also victims of our political leaders and foreign minister.”
    The horror of Brussels: ’My memories stop at 9.10am. When they come back, I have blood on my face’
    A few days after Rashid left Brussels, Didier Reynders, Belgium’s foreign minister, said of those going to fight: “One day, perhaps, we will build a monument for them as heroes of the revolution.

  • Antiterrorisme : la destruction du renseignement

    "La DGSI, et même le renseignement extérieur, semblent sourds et aveugles à ce qui se trame au Moyen-Orient en général – et en Syrie en particulier. Et même impuissants à exploiter les informations transmises par d’autres centrales. Les services français avaient pourtant bénéficié, avant les attentats du vendredi 13 décembre 2015, d’« informations que plusieurs services de renseignement arabes ont transmises à leurs homologues occidentaux », et selon lesquelles « six capitales ont été ciblées en priorité par l’État islamique : Paris, Londres, Moscou, Le Caire, Riyad et Beyrouth ». Selon ces renseignements, plusieurs « émirs » étaient chargés de superviser des opérations dans chaque zone visée et disposaient d’une large autonomie opérationnelle. Ils ne répondaient qu’à Abou Ali al-Anbari, le chef du Conseil de sécurité et de renseignement de l’État islamique.

    Selon les mêmes informateurs, Abdelhamid Abaaoud était chargé d’organiser des attentats terroristes en France, en Espagne et en Italie. Un autre « émir » terroriste, d’origine pakistanaise, serait chargé de la Grande-Bretagne. Cette stratégie de la terreur aurait été décidée lors d’une réunion tenue autour d’Abou Bakr al-Baghdadi, fin juin 2015, à Mossoul. Dès lors, les opérations terroristes en Europe devaient être menées par des djihadistes aguerris en Irak ou en Syrie, placés directement sous les ordres de cadres du Conseil de sécurité et de renseignement de l’État islamique et non plus par des groupes spontanés ou autres « loups solitaires », comme jusqu’en janvier 2015.

    De même, le lundi 16 novembre 2015, un responsable gouvernemental turc affirmait, on l’a dit, que la police de son pays avait alerté la police française par deux fois, en décembre 2014 et en juin 2015, à propos d’Ismaël Mostefaï, l’un des terroristes kamikazes du Bataclan, mais qu’elle n’avait reçu aucun retour. Pourtant, son cas était particulièrement inquiétant : « Les services secrets savaient dès 2009 qu’Ismaël Mostefaï, l’un des kamikazes du Bataclan, s’était radicalisé à Chartres, dans un groupe dirigé par un vétéran du djihad, cerveau d’un attentat au Maroc en 1994. Au printemps 2014, la DGSI a perdu la trace de Mostefaï après l’avoir repéré à Chartres, quelques mois après son probable retour de Syrie. Il avait franchi la frontière turque le même jour qu’un autre kamikaze du Bataclan, Samy Amimour. »

    Les services français auraient également reçu des signalements du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), le service algérien, à propos d’Ismaël Mostefaï. Le DRS aurait repéré le futur tueur du Bataclan et l’aurait surveillé fin 2014. Le service algérien avait en effet découvert qu’il était membre d’une cellule de recrutement de djihadistes pour la Syrie, au nom de laquelle il aurait été chargé de transporter des messages, de l’argent et des faux documents. Par ailleurs, le site d’information Mondafrique évoquait, en novembre 2015, un signalement du DRS à la DGSE, en octobre. Mais, une fois encore, ces informations n’auraient pas été sérieusement exploitées.

    Enfin, la communication entre les différents services français de renseignement et de police semble avoir été catastrophique jusqu’au bout. À l’automne 2015, plusieurs responsables de la lutte antiterroriste se plaignaient ainsi de la rétention d’informations pratiquée par la DGSI, laquelle avait visiblement le plus grand mal à partager ses fiches « S » (atteinte à la sûreté de l’État). La DRPP, la sous-direction antiterroriste de la police judiciaire, mais aussi la DNRED et Tracfin s’en plaignaient clairement, surtout depuis les attentats de janvier 2015. Même la DGSE semblait souffrir de cette rétention d’informations, alors qu’une cellule de liaison entre ce service de renseignement extérieur et le renseignement intérieur était logée au siège de la DGSI, à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine).

    Et pourtant…

    « J’ai acquis la conviction que les hommes de Daech ont l’ambition et les moyens de nous atteindre beaucoup plus durement en organisant des actions d’ampleur, incomparables à celles menées jusqu’ici. Je le dis en tant que technicien : les jours les plus sombres sont devant nous », prévenait le juge d’instruction Marc Trévidic, le 30 septembre 2015, dans Paris Match, alors qu’il quittait le pôle judiciaire antiterroriste, après dix ans d’enquêtes. Le vendredi 13 novembre 2015, son avertissement devint prédiction.

    Et pourtant, surtout depuis les tueries de Mohamed Merah, en mars 2012, les gouvernements ont multiplié les réformes du dispositif judiciaire antiterroriste. Pas moins de quatre lois ont été votées en quatre ans, et les décrets d’application de la plus récente, la loi sur le renseignement promulguée le 24 juillet 2015, ont été publiés à peine plus d’un mois avant les attentats de novembre 2015. En réponse à la tentative de fusillade du 21 août 2015 dans le Thalys Amsterdam-Paris, l’Assemblée nationale devait même commencer, mardi 17 novembre 2015, l’examen d’un nouveau projet de loi élargissant les pouvoirs de fouille des agents SNCF, RATP et des policiers dans les transports. Vendredi 13 novembre, Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, présentait un plan de lutte contre les filières d’armement du banditisme et du terrorisme, à la préfecture des Hauts-de-Seine.

    Et pourtant, encore, la loi relative au renseignement promulguée le 24 juillet 2015 avait considérablement étendu les pouvoirs des services de renseignement, en légalisant des techniques de surveillance très intrusives, comme la sonorisation de locaux et de domiciles, les IMSI-catchers, ces valises qui imitent le fonctionnement d’une antenne-relais sur laquelle se connectent donc les téléphones mobiles proches et qui permettent l’interception de conversations…

    Les moyens financiers et en effectifs des services du renseignement avaient également été renforcés. Transformée en DGSI, en juin 2014, et placée directement sous la tutelle du ministre de l’Intérieur, la DCRI s’était vu promettre 432 postes supplémentaires ainsi qu’un budget supplémentaire de fonctionnement de 12 millions d’euros par an. Le plan antiterroriste annoncé par le Premier ministre Manuel Valls, en janvier 2015, y ajoutait un renfort de 1 400 policiers et gendarmes supplémentaires sur trois ans, dont 1 100 pour le renseignement intérieur…

    Et pourtant, enfin, en juillet, le ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve avait créé et placé sous son contrôle direct un état-major opérationnel de prévention du terrorisme (EMOPT) censé coordonner les différents services et éviter que de nouveaux djihadistes ne passent entre les mailles du filet du renseignement. L’EMOPT « est chargé de piloter la totalité du dispositif de détection et de suivi des individus radicalisés susceptibles de commettre un acte terroriste », soulignait Bernard Cazeneuve, le 29 octobre 2015, à l’Assemblée nationale.

    « Sponsors » de l’État islamique

    Dans son entretien avec Frédéric Helbert, le juge d’instruction antiterroriste Marc Trévidic insistait : « La menace est à un niveau maximal, jamais atteint jusqu’alors. D’abord, nous sommes devenus pour l’État islamique l’ennemi numéro un. La France est la cible principale d’une armée de terroristes aux moyens illimités. » Or, la question des « moyens illimités » du terrorisme islamiste est le tabou par excellence de la communication politique. Un tabou que les vrais experts du renseignement n’ont parfois plus le cœur de respecter.

    Alain Chouet a été le chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE, de 2000 à 2002, après avoir été en poste à Beyrouth, Damas, Rabat, etc. Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, il affirmait ne pas avoir été surpris par ceux-ci : « Cela fait au moins un an que les spécialistes du renseignement agitent le drapeau pour prévenir du risque imminent d’attentat. Il faut bien comprendre que l’État islamique ayant une vraie stratégie pour se développer sur le terrain en tant qu’État, et commençant à perdre pied quand ses ressources se tarissent, opère une transition vers le terrorisme international, comme Al-Qaïda à son époque. Il s’agit pour l’État islamique de garder sa crédibilité, ses sponsors et ses soutiens. »

    À propos de ces « sponsors » et « soutiens » du terrorisme projeté par l’État islamique, Alain Chouet ne mâchait pas ses mots : « Oui, il y a les sponsors idéologiques et financiers du terrorisme. Les pétromonarchies du Golfe, qui essayent par tous les moyens – et en particulier par la diffusion de l’idéologie salafiste – d’empêcher la constitution d’un axe chiite du Liban jusqu’à l’Iran, qui ont un problème de légitimité musulmane, et qui veulent empêcher toute dérive démocratique. L’Arabie saoudite, par exemple, s’emploie depuis trente ans à distiller le message salafiste et wahhabite en Europe, à travers des écoles et des fondations, et le résultat est là aujourd’hui. » Le propos est on ne peut plus clair et net. J’y reviendrai précisément un peu plus loin.

    Comme pratiquement toutes mes autres sources au sein du renseignement, l’ex-chef du service de renseignement de sécurité de la DGSE dénonçait aussi vigoureusement la bureaucratisation du métier : « À la DGSE, aujourd’hui, il doit y avoir 4 500 à 5 000 personnes, dont 1 000 qui font de l’administratif. Le problème n’est pas tant les effectifs que la qualité et l’utilisation des effectifs, comme à la DGSI. J’ajoute qu’à la gendarmerie, il y a 80 000 personnes qui, à une époque, quadrillaient le territoire et parlaient à tout le monde. On les a reconvertis en percepteurs d’impôts et pères fouettards sur le bord des routes, au lieu de créer un corps spécifique, une police des routes. Du coup, le maillage territorial du renseignement et la défense opérationnelle du territoire ont été affaiblis. »

    Destruction du renseignement financier

    Mais ce qui a sans doute été le plus affaibli, pour ne pas dire tout simplement brisé, c’est le renseignement financier. Le jeudi 26 novembre 2015, Aleph me le dit, une nouvelle fois, crûment : « Lorsque les RG travaillaient sur le financement du terrorisme, ses enquêteurs tombaient aussi souvent sur d’autres malversations : évasion fiscale, financement politique illégal, corruption… Je suis convaincu que le démembrement et l’absorption des RG par la DST, lors de la création de la DCRI, en 2008, ont été voulus par Nicolas Sarkozy et ses généreux amis qui avaient beaucoup à craindre du renseignement financier. » Résultat : les arcanes du financement d’un terrorisme toujours très coûteux sont plus obscurs et impénétrables que jamais pour le renseignement français.

    Aleph confirme ainsi les analyses contenues dans un document confidentiel d’une rare sévérité, rédigé par un collectif d’officiers de la DCRI, ce « FBI à la française ». Rédigé sur 14 pages, en style parfois télégraphique, ce véritable audit du service de renseignement, mais aussi de nombreuses autres directions de la police nationale compétentes en matière de délinquance financière, a été remis le 16 février 2013 aux parlementaires du groupe de travail sur les exilés fiscaux, constitué un mois et demi plus tôt. « Avant la réforme de 2008, les renseignements généraux disposaient d’un réseau territorial de remontées d’informations économiques et financières. Ses services centraux disposaient d’un accès aux déclarations Tracfin et apportaient des éléments de travail à Tracfin. Les RG avaient mis en place un maillage au sein des employés des établissements bancaires pour faire remonter de l’information financière en amont de Tracfin et recueillir des informations non filtrées. Lors de la réforme des services de renseignement survenue en 2008, la recherche du renseignement financier a été centralisée au sein de la sous-direction en charge de la protection du patrimoine économique et financier de la DCRI… » Et dès lors, les informations recueillies sont tombées dans les oubliettes du « secret défense ».

    Aussi, la note très précise des officiers de police encourageait les élus à interroger, si possible dans le cadre d’une commission d’enquête parlementaire, les anciens et actuels patrons ou responsables de la DCRI (dont Bernard Squarcini, Gilles Gray, Éric Bellemin-Comte…), notamment celles et ceux qui étaient et sont encore chargés du renseignement économique et financier. Les auteurs du document suggéraient même aux parlementaires des questions lourdes de sens, révélant, d’une part, la surveillance étroite opérée par la DCRI sur l’organisation de la fraude fiscale internationale et dénonçant, d’autre part, la non-transmission à la justice des informations considérables recueillies lors de cette surveillance.

    Bernard Squarcini, Gilles Gray, Éric Bellemin-Comte… Dans le cadre d’une esquisse d’enquête sur la destruction du renseignement français, quelques questions sur leurs itinéraires professionnels se posent tout naturellement."

    https://blogs.mediapart.fr/antoine-peillon/blog/230316/antiterrorisme-la-destruction-du-renseignement

  • Bruxelles : stratification spatio-ethnique

    « Les quartiers ouvriers du XIXème siècle, encerclant le centre d’affaires par l’ouest et formant ce qu’on appelle le croissant, parfois aussi la banane pauvre de Bruxelles, concentrent le plus d’étrangers. Il s’agit des quartiers immigrés de Schaerbeek, Saint-Josse, #Molenbeek, Anderlecht et Saint-Gilles, habités par les Belges qui n’ont pas participé à la suburbanisation et des Italiens, Espagnols, Grecs, Turcs et Marocains. Dans certains de ces quartiers, les immigrés et leurs descendants atteignent jusqu’à 75 % de la population totale. La concentration spatiale des logements du secteur locatif résiduel est bien rendue par la carte des logements sans confort (manque au moins un W-C privé, une salle de bain ou l’eau courante). De tels logements sont fréquents dans la couronne du XIXème siècle mais quasi absents autour de la Forêt de Soignes au sud et à lest de Bruxelles. Les enfants et jeunes - la population e 0 à 24 ans - sont surreprésentés (plus d’un tiers de la population locale) d’une part dans le vieux cœur urbain suite à l’immigration ouvrière, et d’autre part dans la périphérie, en dehors des limites de la Région de BruxellesCapitale, en conséquence de la suburbanisation. Dans les quartiers centraux, ces jeunes sont en majorité des étrangers, alors qu’ils sont belges dans la couronne périphérique. Les processus de socialisation et les chances d’épanouissement sont très inégales entre chacun de ces milieux urbains, en raison des écarts en matière de qualité du logement, d’infrastructures scolaires et den matière de qualité du logement, d’infrastructures scolaires et de loisirs, d’initiatives pour la jeunesse et globalement des perspectives d’avenir offertes par les aînés. Après tout, les uns vivent dans uu quartiers équipes selon les normes du XIXème siècle (où l’on travaillait 12 heures par jour à partir de 12 ans), dans des communes pauvres ; les autres dans des quartiers créés lors des Golden Sixties reflétant la société de consommation et de loisirs, dans les communes les plus riches du pays. Depuis la fin des années septante, la crise a eu pour effet de consolider les quartiers immigrés dans la ville. La hausse du chômage et de l’insécuriré d’emploi, la chute des revenus ont frappé les immigrés et bloqué leurs possibilités d’accéder aux quartiers plus périphériques. Cette tendance est renforcée par l’accroissement du nombre de propriétaires parmi les immigrés. Entre 1981 et 1991, la part des propriétaires occupants est passée de 13 à 37 % chez les Turcs et de 10 à 30 % chez les Marocains. Dans la plupart des cas, il s’agit d’achats l’urgence, suscités par la spéculation foncière et la hausse généralisée des prix du logement (les prix ont plus que doublé entre 1988 et 1992). L’achat était pour eux la seule façon de se prémunir contre des loyers insurmontables, de garantir leur sécurité d’occupation et de se maintenir dans les quartiers où ils se sont intégrés. Ce changement de statut n’a donc pas bouleversé leur répartition dans la ville. Ce sont, pour la plupart, des logements bon marchés, issus du secteur locatif résiduel qu’ils ont acquis dans leurs propres quartiers. Ces nouveaux propriétaires rénovent eux-mêmes leur logement, pour autant qu’ils en aient les moyens et mettent souvent en location les niveaux les plus rentables. Finalement, le commerce ethnique (magasins d’alimentation, restaurants. snacks. etc.) s’est fortement développé en tant que stratégie de survie. Ces entrepreneurs visent à échapper au chômage tout en tirant profit de la concentration spatiale de la demande spécifique de leurs compatriotes (les niches de marchés ethniques). En même temps, la présence abondante de ce genre de commerce entraîne une forte concurrence et permet aux habitants de s’approvisionner à moindre prix. Le commerce ethnique contribue donc aussi à lier chaque groupe à son quartier. Dans cette mesure, il est un élément de démarginalisation dans le quartier cependant, la consolidation des quartiers ethniques va de pair avec leur marginalisation au niveau de la ville. D’une part, les chances d’emploi (en dehors de l’entreprenariat ethnique, de quelques services mal payés, aux conditions de travail peu engageantes, tel le nettoyage de bureaux et finalement de l’économie informelle) s’affaiblissent dans ses quartiers. Entre 1980 et 1991, la région de Bruxelles-Capitale a perdu 25000 emplois industriels lesquels se sont déplacés vers la périphérie flamande (HalleVilvoorde). Les quartiers pauvres du centre-ville se transforment ainsi en pièges à chômage pour les jeunes issus de l’immigration et destinés par l ’enseignement aux emplois manuels peu spécialises. »

    http://bougnoulosophe.blogspot.fr/2007/10/bruxelles-stratification-spatio.html

  • De l’expression « judéo-chrétien »

    Revenant sous toutes les plumes, au détour de chaque phrase, l’expression « judéo-chrétien » ne suscite aucune question, tant la juxtaposition de ces deux adjectifs paraît relever de l’évidence. Il n’en a pourtant pas toujours été ainsi, et la fortune de ce terme est plus suspecte que son actuelle banalité tendrait à le faire croire.

    Certes, ses occurrences savantes remontent loin dans le temps, et il doit, entre autres, son existence à l’antériorité historique du judaïsme et du christianisme sur l’islam, dernier-né de la révélation monothéiste. Sans prétendre entrer dans un débat théologique ou historique, on gardera également à l’esprit que l’Europe est « fille de la Bible et de la Grèce », pour reprendre la définition qu’en donne le philosophe Emmanuel Levinas. Mais le passage de l’expression dans le langage courant, où elle se signale depuis une vingtaine d’années par son omniprésence, a pris un tout autre sens, si on veut bien examiner l’usage politique qui en est fait.

    Tout, dans la civilisation occidentale, est désormais judéo-chrétien, si bien qu’elle se résume à peu près totalement dans cette double matrice dont les deux composantes semblent être siamoises. Ses valeurs, ses fondements, sa culture en découlent entièrement. Les hommes politiques s’en réclament pour justifier leurs actions. Un candidat à l’élection présidentielle américaine de 2000 [3] assurait ainsi qu’« être la seule superpuissance donne aux États-Unis des responsabilités, en particulier celles d’intervenir à l’extérieur pour protéger les valeurs judéo-chrétiennes ».

    Le monde est partagé entre les « cultures judéo-chrétiennes » et les autres. En France, on consacre en 1998 un colloque à « L’intégration politique des Français musulmans et leur place dans l’espace judéo-chrétien ».

    Écrit-on sur l’économie ? On y fait référence. Sur la culture ? La référence devient obligée. Et, toujours, ce double adjectif renvoie exclusivement à l’aire occidentale. La littérature actuelle ne repère, en effet, nulle trace de « judéo-christianisme » hors des frontières que l’Occident s’est données. Ce succès sans équivalent - même le mythe surexploité du « matin grec » n’en a pas connu de tel - ne semble pouvoir s’expliquer que par le triple processus d’ occultation , d’ appropriation et d’ exclusion qu’autorise l’usage systématique de ce terme.

    D’occultation d’abord, si l’on veut bien considérer que cet accouplement permet de jeter un voile sur près de deux millénaires de haine antijuive et sur la longue négation par l’église catholique de sa filiation abrahamique. Chacun peut convenir, en effet, qu’une civilisation ne saurait haïr ce qu’elle désigne comme une part d’elle-même. L’instauration puis la sacralisation d’une identité « judéo-chrétienne » ont permis de clore sans autre forme de procès l’ère de l’antijudaïsme chrétien. Les pays de tradition chrétienne peuvent ainsi s’exonérer à bon compte de leur passé, et d’une partie de leur présent.

    Mais l’essentiel n’est peut-être pas là. Cette nouvelle identité collective que l’Occident se donne officiellement, après avoir si longtemps répudié le cousinage entre ces deux versions de la révélation abrahamique, permet surtout d’annexer le juif au seul espace occidental et de s’assurer du même coup la propriété exclusive de la part d’universel dont il est crédité.

    De fait, l’émergence du judéo-chrétien comme sujet collectif escamote le juif, cette éternelle incarnation de l’autre qu’on fait venir d’un lointain d’ailleurs oriental [4], mais dans lequel il fallait bien reconnaître le premier énonciateur historique de l’universel monothéiste. Finies les questions insolubles de filiation ou d’héritage, l’avènement d’un « judéo-chrétien » indifférencié fait apparaître l’Occident comme l’inventeur unique de l’universel, toutes les racines y étant, par ce procédé, rapatriées. Quand il ne peut être rejeté dans une totale altérité, l’autre est en quelque sorte absorbé, avec l’ensemble de ses propriétés.

    Érigé en noyau dur de l’identité occidentale, et d’elle seule, le « judéo-chrétien » fonctionne enfin comme une machine à expulser. L’islam devient en effet, grâce à cette construction, le tiers exclu de la révélation abrahamique, donc de cet universel monothéiste dont on a fait l’annonciateur des droits profanes et de la modernité. Hors quelques cercles oecuméniques à l’audience limitée, il ne viendrait à l’idée d’aucun utilisateur de l’objet courant judéo-chrétien d’y inclure l’islam ou, au moins, d’établir des correspondances avec lui.

    Qu’il soit - en termes de pratiques religieuses et d’interdits qui l’accompagnent - plus proche du judaïsme qu’aucun des deux du christianisme, qu’il y ait puisé une part essentielle de son inspiration, que le texte coranique soit truffé de références aux deux révélations qui l’ont précédé n’y font rien.

    L’universel judéo-chrétien, dont l’Occident s’est institué le seul propriétaire, renvoie à l’islam à son altérité et lui désigne son territoire, celui de la spécificité. À supposer qu’on la reconnaisse, l’existence d’un triptyque abrahamique est strictement confinée à la sphère religieuse. Elle ne déborde ni dans les champs de la culture, ni dans ceux du politique où l’institution de la césure entre les trois versions de la révélation renforce la frontière entre le Nord, patrie des deux premières, et les Suds, où campe la troisième.

    Si cette annexion-exclusion a connu le succès que l’on sait, c’est cependant qu’au-delà de l’Occident l’ensemble des protagonistes concernés par l’affaire se sont emparés de l’objet pour pousser à l’extrême son instrumentalisation. En l’utilisant systématiquement pour les besoins de son argumentaire nationaliste et de sa lutte contre Israël, le monde arabe a largement contribué à en élargir l’usage. Le « complot judéo-chrétien », dont la création de l’État hébreu - corps étranger installé par les armes au coeur du Dar El Islam - est l’illustration la plus scandaleuse, est ainsi devenu un élément central de son discours anti-occidental. De l’Iran au Maroc, toutes les composantes de la nébuleuse islamiste en font depuis des décennies un usage débridé.

    Le « judéo-chrétien », voilà l’ennemi dont la redoutable puissance est tout entière consacrée à affaiblir l’Islam, l’ultime prophétie, ayant seule vocation à devenir universelle.

    À l’occidentalisation du « judéo-christianisme » a donc correspondu sa diabolisation par un Islam cadenassé dans ses spécificités et refusant de se reconnaître dans un universel avec lequel il pourrait pourtant légitimement revendiquer sa filiation.

    Mais l’usage généralisé de l’expression dans le monde arabe n’est pas seulement d’ordre réactif. Par un processus inverse à celui de l’Occident, il s’en est également servi pour expulser de lui-même sa part juive. La désignation du judéo-chrétien comme fait de culture exclusivement occidental a permis d’y ensevelir le judéo-arabe, de censurer l’existence historique du judaïsme oriental et d’en effacer les traces des mémoires collectives.

    Chassé de l’universel occidental par la fortune politique d’un terme à l’étonnant destin, le monde arabe s’en sert lui aussi pour occulter et pour exclure.

    Le monde juif, quant à lui, paraît à première vue se tenir éloignés de cet objet qu’il est le seul à ne pas sacraliser. Il n’a pas moins aidé à la généralisation de son usage en rompant, lui aussi, avec sa part d’Orient. Ses expressions politiques dominantes ont vu dans la captation du judaïsme par l’Occident à un des moyens d’ancrer leur destin à ce dernier et de renforcer, face à l’ennemi arabe, des solidarités fondées sur un solide euro-centrisme et porteuses des mêmes exclusions. Né d’un nationalisme moderne et d’une idée de l’État-nation dont l’Europe a été l’accoucheuse, fondé et gouverné pendant des décennies par les représentants juifs de l’intelligentsia européenne, l’État d’Israël n’a cessé de se vouloir occidental, s’attachant avec constance à conjurer tout risque d’orientalisation.

    Ses élites ont fidèlement intériorisé, pour ce faire, un discours de la suprématie élaborée pour d’autres dominations.

    Si les Palestiniens - citoyens de seconde zone d’Israël ou habitants occupés de Cisjordanie - continuent d’en faire les frais, sa population juive venue du monde arabe s’est également vue confiner dans une profonde marginalité intellectuelle et politique et dans un total déni d’existence culturelle. Et ses intellectuels, y compris quand ils se situent dans le camp de la paix, ont le plus grand mal à placer leur pays dans un Orient dont tout l’éloigne, sauf sa position géographique. Le danger qu’il y glisse ne peut être prévenu, estiment-t-il, que par des signes d’appartenance sans équivoque à la planète occidentale. Tous ces signes, quel qu’il soit, sont donc les bienvenus.

    [Sophie Bessis , "L’#Occident et les Autres"]

    [3] John McCain, cité par Le Monde, 17 février 2000
    [4] dans toute la littérature occidentale jusqu’à l’époque contemporaine, le juif et une des incarnations de l’Oriental, dans ses attributs vestimentaires comme dans ses habitudes alimentaires, et le ghetto est le plus souvent décrit comme une épave d’Orient poussée au coeur de la cité européenne. La quasi-totalité des écrits antisémites propose d’ailleurs, quand il n’envisage pas de les exterminer, de renvoyer les Juifs « en Asie », comme le souhaitait Proudhon.

    http://dico.pourlapalestine.be/detail.php?r=325

  • "Antisémitisme et Antisionisme - L’impossible amalgame"

    Il y a dans la réaction « anti-israélienne » plus et parfois autre chose qu’une attitude politique de gauche, commandée par la lutte contre l’impérialisme. Il y a aussi et il y a parfois surtout une défense de l’intelligence devant l’assaut qui est continuellement livré, une réponse de l’esprit critique au défi qui le confronte presque en permanence dans ce débat plus chargé de passion et de fanatisme que nul autre.

    En 1967, l’opinion publique occidentale a été soumise à un bombardement systématique dont les munitions avaient été savamment sélectionnées par de savants artilleurs. Le combat que livrait Israël était présenté comme celui d’une petite nation faible entourée d’ennemis nombreux et puissants - David contre Goliath - et ne souhaitant rien d’autre que le droit à l’existence.

    On s’est vite rendu compte que le rapport des forces entre Israël et ses alliés, d’une part, et ses ennemis arabes, de l’autre, jouait entièrement en faveur d’un Etat développé qui n’a eu aucune peine à écraser une série d’adversaires également faibles et misérables - misérables donc faibles.

    En juin 1967, l’Etat d’Israël a affirmé ne faire la guerre (préventive) - préventive, mais rappelez-vous le titre qui, le 5 juin 1967, barrait la première page de France Soir- plus gros tirage de la presse francophone dans le monde - :
    « L’Egypte attaque » - que pour assurer sa survie physique et empêcher son étouffement économique. Or, aujourd’hui et depuis deux ans déjà, la Jordanie et l’Egypte sont disposées, moyennant le retrait des troupes israéliennes, à des concessions qui ne signifient rien d’autre que la reconnaissance de fait de l’Etat hébreu ; elles acceptent en outre qu’Israël bénéficie désormais de la liberté de navigation. Mais la paix est plus éloignée que jamais : les Israéliens désirent actuellement des « frontières sûres » et il n’est plus question pour eux de revenir aux limites territoriales qui étaient les leurs avant la guerre des six jours. Les aspirations d’Israël peuvent difficilement être présentées comme celles, élémentaires et légitimes, d’un Etat ne nourrissant, à l’exclusion de toute ambition territoriale, qu’un désir pathétique de dialogue, de reconnaissance et de paix.

    Moins désarmée sur ce terrain que dans le passé, l’opinion publique se voit à présent confrontée avec une argumentation d’un tout autre genre. Elle tient en peu de mots : l’antisionisme ne serait qu’une variante de l’antisémitisme ; l’opposition à Israël rien d’autre qu’une version de la haine des Juifs. Il y a des mois qu’on nous le répète et M. Michel Soulié, vice-président du Parti radical-socialiste, vient de déclarer pour sa part : « Aujourd’hui, personne n’ose plus s’affirmer antisémite, mais l’antisionisme est un bon paravent pour la droite et aussi une certaine nouvelle gauche »1.
    On objectera : M. Michel Soulié et le Parti radical-socialiste méritent-ils les honneurs de la citation ? Pour ce qu’ils représentent... Sans doute, sans doute.

    Mais le Nouvel Observateur de M. Jean Daniel ?... Voilà des semaines qu’on y trouve des mises en garde pleines de sollicitude à l’adresse de la gauche, ancienne et nouvelle, menacée, dit-on, de verser dans l’antisémitisme en raison de son opposition à Israël. Et tout de même, le Nouvel Observateur malgré tout, ce n’est pas le Parti radical-socialiste... Cet amalgame affirmé, ou suggéré, systématiquement entretenu entre l’antisionisme et l’antisémitisme, est devenu une arme politique.

    On est tenté de ne lui répondre que par le haussement d’épaules qu’il mérite. Mais on ne peut plus aujourd’hui se contenter de cette réaction. Une prise de position claire est indispensable, basée sur l’analyse et la réflexion. En cette matière encore, la gauche, inlassablement, doit faire oeuvre démystificatrice.

    La logique de l’histoire

    Que la haine des Juifs puisse conduire à celle d’Israël, il faut le constater. II en est ainsi, par exemple, de quelques milieux d’extrême droite en Allemagne, représentés par la Deutsche Soldatenzeitung et par l’ancien condottiere S.S. Skorzeny, que la haine antijuive conduit à soutenir la cause palestinienne.

    Dans un même ordre d’idées, mais par un phénomène apparemment inverse, la Pologne offre l’exemple d’un régime où l’antisionisme - véritable ou feint - conduit à l’antisémitisme et sert, en fait, de diversion à une politique impopulaire. Notre propos est cependant de prouver que la liaison entre l’antisionisme et l’antisémitisme est l’exception, tandis que le lien entre le sionisme et l’antisémitisme est plus fréquent et moins fortuit. Ce lien entre l’antisémitisme et le sionisme est double, de nature logique et historique.

    Ce lien est logique. Ecoutez le langage classique de l’antisémitisme : l’élément juif est inassimilable, constituant dans les nations où il s’est introduit un corps étranger, nécessairement étranger, il doit en être isolé et si possible évacué. Ce raisonnement s’est souvent exprimé de manière très lapidaire : « les Juifs dans leur pays ». Or, les sionistes ne disent rien d’autre.

    A les en croire, l’élément juif est inassimilable à cause du caractère inéluctable de l’antisémitisme. Theodor Herzl, le fondateur de la doctrine, ne fait sur ce point aucun mystère de ses convictions :
    « Parmi les populations, l’antisémitisme grandit de jour en jour, d’heure en heure, et doit continuer à grandir parce que les causes continuent à exister et ne sauraient être supprimées » 2.
    Quant à la formule lapidaire, « les Juifs dans leur pays », on la retrouve dans le programme du sionisme : elle résume en même temps qu’elle en traduit toute la politique.

    L’antisémitisme et le sionisme nous confrontent avec un courant également antilibéral et également pessimiste, ils sont unis par la même opposition à une idéologie démocratique qui croit, parfois naïvement, au nécessaire et possible rapprochement des communautés ethniques, religieuses, etc.... Et il s’agit moins ici de justifier ou de dénoncer ce pessimisme que d’en constater la présence significative et dans le projet sioniste et dans la mentalité antijuive.

    Or, l’histoire confirme la logique, et ce dès l’aube du mouvement sioniste.
    « D’honnêtes antisémites devront être associés à l’oeuvre (sioniste) pour y exercer en quelque sorte un contrôle populaire, tout en conservant leur entière liberté, précieuse pour nous »3.
    Ces paroles et la justification d’un antisémitisme « honnête », accompagnée de la revendication, pour ceux qui le pratiquent, d’une « liberté précieuse », sont de Herzl luimême.

    Le fondateur du sionisme n’a pas précisé ce qu’il entendait par des antisémites « honnêtes », mais dans les faits, il a accordé des brevets d’honnêteté à des antisémites dont la liberté est loin d’avoir été précieuse pour les Juifs. C’est ainsi qu’il a - à la grande indignation des Juifs de l’époque - rencontré, en 1904, Plehve. le ministre de l’intérieur de la Russie tsariste, celui-là même que la communauté juive de Russie tenait, non sans raison, pour responsable du terrible pogrom de Kichinev. Plehve promit d’ailleurs à Herzl, « un appui moral et matériel au jour où certaines... mesures pratiques serviraient à diminuer la population juive de Russie » 4.
    Il n’est pas exclu qu’un calcul analogue ait inspiré Lord Balfour, dont la célèbre déclaration assura l’appui décisif de la Grande-Bretagne à l’entreprise sioniste, puisqu’il n’hésita pas à se faire élire, à la Chambre des Communes, sur une plateforme comprenant un projet de loi interdisant l’émigration en Angleterre et, singulièrement, l’émigration juive.

    Ces citations et ces faits, pour troublants qu’ils soient, seront acceptés avec moins de gêne que la révélation de la collaboration qui se pratiqua entre sionistes et nazis. Pourtant, l’évidence est là. Ces actes de collaboration se déroulèrent tour à tour en Allemagne, en Autriche et en Hongrie et trouvèrent un défenseur convaincu en la personne d’Eichmann qui, converti au sionisme par la lecture de Herzl, se mit, selon le témoignage de la sociologue américaine Hannah Arendt, « à répandre le message sioniste dans les milieux S.S. » 5.
    Ses efforts ne furent pas tout à fait vains puisqu’il réussit à convaincre beaucoup de ses camarades que « les sionistes étaient les Juifs "décents", puisque, eux aussi, pensaient en termes "nationaux" » 6.

    Un livre récent, s’appuyant sur des documents d’archives et rédigé par un auteur israélien, offre de cette collaboration entre nazis et sionistes - et en particulier de la complaisance relative, mais certaine, des hitlériens envers le sionisme - un faisceau de preuves convergentes. 7

    "Vive Israël, mort aux Youpins !"

    Ce sont là, dira-t-on, des cas extrêmes. Sans doute. Mais, plus près de nous, historiquement et géographiquement, la collusion entre l’antisémitisme et le sionisme ou la sympathie pour Israël, a frappé un observateur aussi peu suspect d’hostilité envers l’Etat hébreu que Marc Hillel. Parlant des événements de 1956, il reconnaît dans son livre que « !es antisémites les plus irréductibles deviennent pro-israéliens tout en continuant à détester leurs Juifs » 8
    et, à propos des cortèges pro-israéliens qui se déroulèrent à Paris en juin 1967 :
    « on nota la présence de membres de l’extrême droite antisémite par tradition aux manifestations en faveur d’Israël » 9.
    Personne ne sait si les antisémites du genre de Xavier Vallat, ancien commissaire de Vichy aux Affaires juives, qui, en 1967, eut ce cri du coeur « Vive Israël, mort aux youpins ! », personne ne sait si ce genre d’individus forme ou non une catégorie nombreuse. Mais Vallat ne doit pas être tout à fait isolé dans son désir de voir prospérer les Juifs dans un « pays à eux » qui aurait l’immense mérite de débarrasser de leur présence les Etats où ils sont fixés.

    Et pour ce qui est de la France particulièrement, on ne peut nier que la sympathie proisraélienne est alimentée depuis longtemps par la haine des Arabes et le désir de voir la défaite d’Algérie vengée aux dépens de Nasser et de ses alliés. Aspiration si profonde qu’elle a fait de partisans de l’Algérie française connus pour leur haine des Juifs des admirateurs passionnés de la virilité israélienne. Tixier-Vignancour se trouve, par exemple, dans ce cas.

    En regard de la liaison logique et historique entre le racisme antijuif et la sympathie pour le sionisme, il faut, au contraire, opposer cette autre considération de fait : l’histoire du sionisme a longtemps été l’histoire de la lutte menée contre cette idéologie par des mouvements juifs. Les Juifs antisionistes se recrutaient, en effet, nombreux soit dans les milieux religieux qui n’envisageaient le retour des Juifs vers la « Terre promise » que sous une forme spirituelle, soit dans les milieux socialistes où l’on entendait unir les ouvriers juifs et non juifs dans le combat contre le capitalisme que l’on rendait responsable de l’antisémitisme. A quoi il faut ajouter la longue série de personnalités juives et non juives qui, peu suspectes d’antisémitisme, ont mené ou mènent la lutte contre le racisme et se posent en adversaires résolus de l’entreprise sioniste et de l’Etat d’Israël : liste interminable qui comprend les noms de Bertrand Russel. Isaac Deutscher, Erich Fromm, Mehdi Ben Barka, Rudi Dutschke, Elridge Cleaver, etc., etc. II ne s’agit d’ailleurs pas seulement de personnalités, mais de mouvements et de courants d’opinion. Ce sont les étudiants allemands radicaux de la S.D.S. qui se montrent les plus achamés dans le combat contre les séquelles du nazisme et dans l’opposition à Israël. Ce sont les formations et « groupuscules » d’extrême gauche qui, en France, sont le plus résolument opposés à l’israélophilie dont P. Viansson-Ponté disait récemment dans Le Monde qu’elle était surtout le fait de l’"establishment" français 10.
    Or, ces mêmes formations et « groupuscules », qui pourrait les accuser de complaisance envers le racisme en général ou, en particulier, envers l’antijudaïsme ?

    Le sionisme contre les Juifs

    On rétorquera à tout cela que s’en prendre à Israël, c’est nécessairement s’en prendre aux Juifs puisque, dans leur très grande majorité, les Juifs sont profondément attachés à l’Etat sioniste.

    La gauche antisioniste ne peut laisser sans réplique un tel argument. Elle doit y répondre en montrant que, si elle s’oppose à l’entreprise sioniste, c’est parce que celle-ci est nocive non seulement aux Arabes, mais également aux Juifs. La première proposition se passe de démonstration, le sort des Palestiniens que l’implantation sioniste en Palestine a chassés de leur pays témoignant suffisamment de sa justesse. Il est plus important d’insister sur ce fait : nous autres qui critiquons et rejetons le sionisme, nous le faisons non par hostilité envers les Juifs, mais, bien au contraire, par refus de tout racisme, qu’il soit dirigé contre les Arabes, contre les Juifs ou contre toute minorité nationale ou ethnique.

    Notre critique du sionisme est double et se place sur le plan des principes et sur celui des réalités concrètes. Des principes parce que la composante raciste du sionisme, pour ne pas être évidente et perçue par tous, n’en est pas moins certaine. Nous l’avons dit, le sionisme mise sur le caractère inéluctable de l’antisémitisme. C’est son postulat de base. Lorsque les Juifs sont menacés de persécution, les sionistes les invitent a rejoindre la Palestine, avec le consentement ou contre le gré (et en l’occurrence, contre le gré) des populations autochtones. Réflexe de défense, dira-t-on. Mais peut-on raisonnablement suggérer que la solution des nombreux problèmes que crée la tension entre communautés ethniques, religieuses ou nationales cohabitant sur un même territoire se trouve dans le départ de ces communautés ? Or, c’est cela la « solution sioniste ». Appliquée à d’autres cas, elle conduirait à pousser les minorités noires, irlandaises, espagnoles, etc.. etc., au départ, comme si le règlement du problème du racisme dans le monde se trouvait dans d’immenses mouvements migratoires ramenant « chez eux » les noirs, les Irlandais, les Espagnols et les Juifs. A ces derniers, le sionisme ne propose rien d’autre. C’est une proposition insoutenable.

    Mais s’agit-il seulement d’une réplique (au demeurant inadéquate) à un péril physique et à une menace de persécution ?

    Non, le sionisme est bien plus que cela. S’adressant récemment à des Juifs américains, Mme Golda Meïr n’a-t-elle pas déclaré que c’est " seulement leur immigration en Israël (qui) peut les sauver de l’assimilation " 11.
    Le danger que le sionisme est censé combattre, ce n’est donc plus la spoliation, la discrimination antijuive ou l’extermination des Juifs, mais leur « assimilation » au sein des nations. Il serait utile de préciser ici ce qu’on entend par « assimilation » et qui, si l’on excepte l’hypothèse condamnable d’une assimilation forcée, ne peut être que l’intégration harmonieuse d’une communauté au sein de la population qui l’environne. Et, une fois de plus, nous nous heurtons à cette analogie entre le langage des sionistes et celui des antisémites : il faut rejeter, comme impossible ou pernicieuse, i’assimilation des Juifs, le maintien de leur spécificité est une exigence si impérieuse qu’elle justifie leur émigration.

    Certes, il n’y a rien en commun entre le sionisme et le nazisme et il faut à ce propos, regretter les formules mensongères et donc nocives identifiant Israël à un Etat fasciste et sa politique à l’hitlérisme. Mais il reste que, d’une certaine manière, le sionisme a pris le relais de l’antisémitisme. Ce dernier incitait les Juifs au départ ou au repli sur soi. Le sionisme ne fait rien d’autre et la politique qu’il mène à cet égard est, pour les Juifs, riche de périls. II tente de les persuader qu’ils sont non seulement citoyens du pays où ils sont fixés, mais aussi et même surtout citoyens d’Israël, liés à cet Etat par un devoir de civisme et une allégeance imprescriptible. Sont taxés de trahison envers leur peuple ceux qui nient ce devoir et rejettent cette allégeance.

    Tant qu’il n’existe pas de différend important entre Israël et tel ou tel Etat où habitent des Juifs, ce principe d’allégeance peut n’apparaître que comme un fait sentimental secondaire. Mais lorsque la conjoncture internationale suscite entre l’Etat d’Israël et d’autres pays une tension ou un conflit, le problème cesse d’être de nature purement affective. Il est politique. On voit, dès lors, le grand rabbin de France prendre ouvertement position contre l’attitude de son pays ou de son gouvernement envers Israël - qui n’est pas son pays - et une série d’associations juives adopter un comportement semblable qui, faut-il le dire n’a rien à voir avec un quelconque sentiment d’internationalisme, mais dérive d’un attachement inconditionnel envers un Etat étranger.

    Les antisémites ont toujours prétendu que les Juifs ne voulaient pas s’intégrer dans les pays où ils vivaient. C’était une contrevérité. Mais voila que, par l’effet d’une propagande systématiquement organisée, un grand nombre de Juifs se prêtent eux-mêmes à une opération qui les fait apparaître comme les nationaux d’un Etat étranger. Qui n’aperçoit l’utilisation que l’antisémitisme peut faire d’une situation aussi équivoque et aussi malsaine ? L’actualité ne souligne pas ce péril dans nos pays.

    A la grande majorité des Français et des Belges, pour ne prendre que leur cas, Israël apparaît, consciemment ou non, comme la revanche de l’homme blanc et de l’Européen contre l’homme de couleur coupable d’arrogance. D’ou sa popularité actuelle.

    Devant un tel état de choses, le rôle de la gauche est double : il consiste tout d’abord à rétablir les faits et à montrer quel est le rôle véritable de l’Etat d’Israël et à défendre les peuples qui sont victimes de sa politique. Le devoir de la gauche antiraciste est aussi de montrer qu’à la faveur d’un retournement dans l’opinion publique, l’israélophilie actuelle peut disparaître (d’autant qu’elle n’a pas de fondement sérieux) et faire place alors à une hostilité qui, à défaut de prendre pour cible l’Etat hébreu lui-même, s’en prendra aux communautés juives qui y sont inconditionnellement attachées. Cette hypothèse est lourde d’un péril qu’il faut à tout prix combattre : celui d’une renaissance de l’antisémitisme.

    Non, les antisionistes ne sont pas antisémites. L’amalgame qu’on nous suggère et que l’on veut de plus en plus nous imposer ne repose sur aucune analyse sérieuse. Ne serait-il rien d’autre qu’une forme de chantage moral et intellectuel par lequel on voudrait empêcher tous ceux qui condamnent la haine antijuive, criminelle et imbécile, à ouvrir le dossier israélo-arabe et à l’examiner avec un minimum d’objectivité ? Il y a, dans l’argumentation utilisée à ce propos, trop de mauvaise foi pour qu’on puisse rejeter cette hypothèse.

    Marcel Liebman

    [MAI N°10 février 1970]

    Bibliographie

    1 Le Monde, 23-1-1970

    2 T. Herzl, l’Etat juif, éd. Lipschitz, Paris, 1926, p.84. Souligné par nous.

    3 Ibid., p. 137.

    4 M. Bernfeld, Le sionisme. Etude de droit intemational public ; Paris, Jouve, 1920, p. 399.

    5 H. Arendt, Eichmann à Jérusalem ; Paris, Gallimard, 1963 ; p. 52.

    6 Ibid., p. 73.

    7 E. Ben-Elessar, La diplomatie du IIIe Reich et les Juifs (1933-1939), Paris. Julliard, 1966.

    8 M. Hillel, Israël en danger de paix ; Paris, Fayard, 1968, p. 43.

    9 Ibid., p ; 271

    10 Le Monde

    11 Israel aujourd’hui, 21-1-1970

  • Le Corset invisible

    TELERAMA : A quoi sert la jupe ?

    PIERRE BOURDIEU : C’est très difficile de se comporter correctement quand on a une jupe. Si vous êtes un homme, imaginez-vous en jupe, plutôt courte, et essayez donc de vous accroupir, de ramasser un objet tombé par terre sans bouger de votre chaise ni écarter les jambes... La jupe, c’est un corset invisible, qui impose une tenue et une retenue, une manière de s’asseoir, de marcher. Elle a finalement la même fonction que la soutane. Revêtir une soutane, cela change vraiment la vie, et pas seulement parce que vous devenez prêtre au regard des autres. Votre statut vous est rappelé en permanence par ce bout de tissu qui vous entrave les jambes, de surcroît une entrave d’allure féminine. Vous ne pouvez pas courir ! Je vois encore les curés de mon enfance qui relevaient leurs jupes pour jouer à la pelote basque.
    La jupe, c’est une sorte de pense-bête. La plupart des injonctions culturelles sont ainsi destinées à rappeler le système d’opposition (masculin/féminin, droite/gauche, haut/bas, dur/mou...) qui fonde l’ordre social. Des oppositions arbitraires qui finissent par se passer de justification et être enregistrées comme des différences de nature. Par exemple, avec « tiens ton couteau dans la main droite », se transmet toute la morale de la virilité, où, dans l’opposition entre la droite et la gauche, la droite est « naturellement » le côté de la virtus comme vertu de l’homme (vir).

    TELERAMA : La jupe, c’est aussi un cache-sexe ?

    P.B. : Oui, mais c’est secondaire. Le contrôle est beaucoup plus profond et plus subtil. La jupe, ça montre plus qu’un pantalon et c’est difficile à porter justement parce que cela risque de montrer. Voilà toute la contradiction de l’attente sociale envers les femmes : elles doivent être séduisantes et retenues, visibles et invisibles (ou, dans un autre registre, efficaces et discrètes). On a déjà beaucoup glosé sur ce sujet, sur les jeux de la séduction, de l’érotisme, toute l’ambiguïté du montré-caché. La jupe incarne très bien cela. Un short, c’est beaucoup plus simple : ça cache ce que ça cache et ça montre ce que ça montre. La jupe risque toujours de montrer plus que ce qu’elle montre. Il fut un temps où il suffisait d’une cheville entr’aperçue !...

    TELERAMA : Vous évoquez : une femme disant : « Ma mère ne m’a jamais dit de ne pas me tenir les jambes écartées » et pourtant, elle savait bien que ce n’est pas convenable « pour une fille »... Comment se reproduisent les dispositions corporelles ?

    P.B. : Les injonctions en matière de bonne conduite sont particulièrement puissantes parce qu’elles s’adressent d’abord au corps et qu’elles ne passent pas nécessairement par le langage et par la conscience. Les femmes savent sans le savoir que, en adoptant telle ou telle tenue, tel ou tel vêtement, elles s’exposent à être perçues de telle ou telle façon. Le gros problème des rapports entre les sexes aujourd’hui, c’est qu’il y a des contresens, de la part des hommes en particulier, sur ce que veut dire le vêtement des femmes. Beaucoup d’études consacrées aux affaires de viol ont montré que les hommes voient comme des provocations des attitudes qui sont en fait en conformité avec une mode vestimentaire. Très souvent, les femmes elles-mêmes condamnent les femmes violées au prétexte qu’" elles l’ont bien cherché « . Ajoutez ensuite le rapport à la justice, le regard des policiers, puis des juges, qui sont très souvent des hommes... On comprend que les femmes hésitent à déposer une plainte pour viol ou harcèlement sexuel...

    TELERAMA  : Etre femme, c’est être perçue, et c’ est alors le regard de I’homme qui fait la femme ?

    P.B. : Tout le monde est soumis aux regards. Mais avec plus ou moins d’intensité selon les positions sociales et surtout selon les sexes. Une femme, en effet, est davantage exposée à exister par le regard des autres. C’est pourquoi la crise d’adolescence, qui concerne justement l’image de soi donnée aux autres, est souvent plus aiguë chez les filles. Ce que l’on décrit comme coquetterie féminine (l’adjectif va de soi !), c’est la manière de se comporter lorsque l’on est toujours en danger d’être perçu.
    Je pense à de très beaux travaux d’une féministe américaine sur les transformations du rapport au corps qu’entraîne la pratique sportive et en particulier la gymnastique. Les femmes sportives se découvrent un autre corps, un corps pour être bien, pour bouger, et non plus pour le regard des autres et, d’abord, des hommes. Mais, dans la mesure où elles s’affranchissent du regard, elles s’exposent à être vues comme masculines. C’est le cas aussi des femmes intellectuelles à qui on reproche de ne pas être assez féminines. Le mouvement féministe a un peu transformé cet état de fait - pas vraiment en France la pub française traite très mal les femmes ! Si j’étais une femme, je casserais ma télévision ! - en revendiquant le natural look qui, comme le black is beautiful, consiste à renverser l’image dominante. Ce qui est évidemment perçu comme une agression et suscite des sarcasmes du genre » les féministes sont moches, elles sont toutes grosses"…

    TELERAMA : Il faut croire alors que, sur des points aussi essentiels que le rapport des femmes à leur corps, le mouvement féministe n’a guère réussi.

    P.B. : Parce qu’on n’a pas poussé assez loin l’analyse. On ne mesure pas l’ascèse et les disciplines qu’impose aux femmes cette vision masculine du monde, dans laquelle nous baignons tous et que les critiques générales du « patriarcat » ne suffisent pas à remettre en cause. J’ai montré dans La Distinction que les femmes de la petite bourgeoisie, surtout lorsqu’elles appartiennent aux professions de « représentation », investissent beaucoup, de temps mais aussi d’argent, dans les soins du corps. Et les études montrent que, de manière générale, les femmes sont très peu satisfaites de leur corps. Quand on leur demande quelles parties elles aiment le moins, c’est toujours celles qu’elles trouvent trop « grandes » ou trop « grosses » ; les hommes étant au contraire insatisfaits des parties de leur corps qu’ils jugent trop « petites ». Parce qu’il va de soi pour tout le monde que le masculin est grand et fort et le féminin petit et fin. Ajoutez les canons, toujours plus stricts, de la mode et de la diététique, et l’on comprend comment, pour les femmes, le miroir et la balance ont pris la place de l’autel et du prie-dieu.

    [#Bourdieu, P., le corset Invisible, Entretien avec Catherine Portevin, dans Télérama, n°2534, Paris, 5 août 1998 ]

  • Pourquoi la réponse à l’agression occidentale, à la situation calamiteuse de l’Irak et de la Syrie, mais aussi d’autres parties de cette région, a-t-elle pris cette forme politique et idéologique particulière ? Qu’est-ce qui explique le soutien sur le terrain dont peut bénéficier l’ÉI, autant dans le monde arabe qu’en Europe ? En somme : pourquoi maintenant ? Et pourquoi de cette façon ?

    Posté par @le_bougnoulosophe sur Twitter : « Très bon papier de la Revue Marxiste #Période sur #Daech, qui rejoint en partie S. Atran »

    http://revueperiode.net/administrer-la-sauvagerie-genealogie-de-lorganisation-etat-islamique #EI

    • En gros, j’en ferai les mêmes critiques que pour le texte d’Atran :
      http://seenthis.net/messages/457439#message457614
      mais dans ce texte avec des points plus précis sur le déroulement des opérations, et là on est vraiment dans le pas terrible (alliance Assad/ISIS, c’est la répression qui fabrique Nusra en Syrie dès fin 2011 – quand on annonce alors environ 4000 morts, pas « des centaines de milliers de morts »…).

      En revanche, contrairement à celui d’Atran, ce texte n’évoque pas nos enfants des pays occidentaux qui partent en Syrie, en essayant de les faire tenir dans les mêmes explications générales que pour les Syriens et les Irakiens, et pour le coup c’est bienvenu.

      Sinon, même angle mort que j’avais raté dans le texte d’Atran : l’évocation de la mise en scène d’une vie en califat utopique, se fait aussi sur des éléments très terre-à-terre : tu auras salaire (pas minable pour la région), tu auras une maison (confisquée à quelqu’un, c’est toujours très pratique de se débarrasser d’une partie de sa propre population), tu auras une femme de ménage, et avec ça tu auras une esclave sexuelle.

    • Note (pas le temps de développer) : l’auteur mentionne une fois rapidement la Lybie, un des deux « moments clés », mais n’en parle plus du tout, passant au long développement sur la Syrie. En clair : aucune mention de la nature des gentils révolutionnaires auxquels l’OTAN a servi d’armée de l’air. Cet angle mort est particulièrement caractéristique de ce genre d’analyses.

  • Barbarie française

    « Y a des types qui sont fiers d’être français. C’est pas moi, nom de Dieu ! Quand je vois les crimes que nous, le populo de France, nous laissons commettre par la sale bande de capitalistes et de gouvernants qui nous grugent — eh bien, là franchement, ça me coupe tout orgueil !
    Au Tonkin par exemple, dans ce bondieu de pays qu’on fume avec les carcasses de nos pauvres troubades, il se passe des atrocités.
    Chacun sait que les Français sont allés là-bas pour civiliser les Tonkinois : les pauvres types se seraient bougrement bien passés de notre visite ! En réalité, on y est allé histoire de permettre à quelques gros bandits de la finance de barboter des millions, et à Constans de chiper la ceinture du roi Norodom.
    Ah nom de dieu, il est chouette le système qu’emploient les Français pour civiliser des peuples qui ne nous ont jamais cherché des poux dans la tête !
    Primo, on pille et chaparde le plus possible ; deuxiémo, on fout le feu un peu partout ; troisiémo, on se paie de force, pas mal de gonzesses tonkinoises — toujours histoire de civiliser ce populo barbare, qui en bien des points pourrait nous en remontrer.
    Ca c’était dans les premiers temps, quand on venait d’envahir le pays ; c’est changé maintenant, mille bombes, tout est pacifié et les Français se montrent doux comme des chiens enragés.
    Pour preuve, que je vous raconte l’exécution du Doi Van, un chef de pirates, qui avait fait sa soumission à la France, puis avait repris les armes contre sa patrie, à la tête de troupes rebelles.
    Pas besoin de vous expliquer ce baragouin, vous avez compris, pas les aminches ? Les pirates, les rebelles, c’est des bons bougres qui ne veulent pas que les Français viennent dans leur pays s’installer comme des crapules ; c’est pas eux qui ont commencé les méchancetés, ils ne font que rendre les coups qu’on leur a foutus.
    Donc, Doi Van a été repincé et on a décidé illico de lui couper le cou. Seulement au lieu de faire ça d’un coup, les rosses de chefs ont fait traîner les choses en longueur. Nom de dieu, c’était horrible ! Ils ont joué avec Doi Van comme une chat avec une souris.
    Une fois condamné à mort, on lui fout le carcan au cou, puis on l’enferme dans une grande cage en bois, où il ne pouvait se remuer. Sur la cage on colle comme inscription : Vuon-Vang-Yan, traître et parjure. Après quoi, huit soldats prennent la cage et la baladent dans les rues d’Hanoï. A l’endroit le plus en vue on avait construit une plate-forme ; c’est là qu’on a coupé le cou à Doi Van avec un sabre — après avoir fait toutes sortes de simagrées dégoûtantes.
    L’aide du bourreau tire Doi Van par les cheveux, le sabre tombe comme un éclair, la tête lui reste entre les mains, il la montre à la foule et la fait rouler par terre. On la ramasse car elle doit être exposée au bout d’un piquet, afin de servir d’exemple aux rebelles.
    Ah, nom de dieu, c’est du propre ! Sales républicains de pacotille, infâmes richards, journaleux putassiers, vous tous qui rongez le populo plus que la vermine et l’abrutissez avec vos mensonges, venez donc encore nous débiter vos ritournelles sur votre esprit d’humanité ?
    Vous avez organisé bougrement de fêtes pour le centenaire de 89 — la plus chouette, celle qui caractérise le mieux votre crapulerie, c’est l’exécution du Doi Van. C’est pas sur un piquet, au fin fond de l’Asie, dans un village tonkinois, qu’elle aurait dû être plantée, cette tête.
    Foutre non ! Mais c’est bien au bout de la tour Eiffel, afin que dominant vos crimes de 300 mètres, elle dise, cette caboche, au monde entier, que sous votre républicanisme, il n’y a que de la barbarie salement badigeonnée.
    Qui êtes-vous, d’où venez-vous, sales bonhommes, vous n’êtes pas nés d’hier ? Je vous ai vus, il y a dix-huit ans, votre gueule n’a pas changé : vous êtes restés Versaillais ! La férocité de chats tigres que vous avez foutue à martyriser les Communeux, vous l’employez maintenant à faire des mistoufles aux Tonkinois.
    Que venez-vous nous seriner sur les Prussiens, les pendules chapardées, les villages brûlés ? (...) Ils n’ont pas commis, nom de dieu, la centième partie de vos atrocités, Versaillais de malheur !
    Ah, vous n’avez pas changé ? Nous non plus : Versaillais vous êtes, Communeux nous restons ! »

    [ Émile Pouget in L e père peinard 12 janvier 1890.]

  • Fractures françaises

    "Dans cette conjoncture mondiale, la France tient une place particulière. Le poids de la colonisation dans son histoire et l’apport de l’immigration issue des colonies et anciennes colonies dans la constitution de sa classe ouvrière la mettent en première ligne de ces enjeux contemporains. Le mouvement ouvrier avait réussi à porter ce paradoxe comme une force, cette diversité comme une dimension supplémentaire de l’universalité républicaine.

    Mais la fin du fordisme dans les années 70-80 suivie de l’effondrement du communisme à la fin du 20° siècle ont annoncé la dislocation de ces classes populaires ouvrières, politisées et bigarrées. Simultanément, au début des années 1980 la banlieue rouge fait place à la banlieue et ses « quartiers difficiles », une partie des ouvriers sont nommés immigrés, l’immigration est nommée comme un problème et le Front national sort de la confidentialité électorale.

    Avec la réponse socialiste des années 1980, la « Politique de la ville », une partie du peuple perd son statut de « profonde base de la démocratie » que lui attribuait Jules Michelet en 1846 et se voit imposer un statut dérogatoire à la République, une discrimination dite « positive » qui a marqué une génération sinon deux. Ceux qui ont grandi dans les quartiers labellisés DSQ puis DSU (développement social urbain) mettront le feu en octobre 1990 à Vaulx-en-Velin, puis en 1991 à Sartrouville (mars) et Mantes-la-Jolie (mai). Dans les trois cas, la mort d’un jeune déclenche l’émeute, comme en 2005 quand leurs enfants ou leurs petits frères mettent cette fois-ci le feu aux voitures dans la France entière.

    Les émeutes d’octobre novembre 2005 ont été un signal puissant que bien peu ont voulu entendre. La tonalité générale des débats qui ont accompagné le dixième anniversaire en 2015 montre à quel point on peut s’obstiner à qualifier de problème social et urbain ce qui fut une rupture majeure du récit républicain. Face aux flammes de la colère, le consensus « républicain » a en effet fonctionné comme une injonction au silence. On a mis cette génération au ban du peuple officiel. Qui se demande aujourd’hui ce que sont devenus les jeunes incendiaires de 2005 ? Combien ont poursuivi leur scolarité ? Combien sont au chômage ? Combien ont été quotidiennement victimes de contrôles au faciès ? Combien ont été incarcérés, à tort ou à raison ? Quels sentiments peuvent-ils avoir aujourd’hui à l’égard d’une République qui, après avoir méprisé leurs parents, a méprisé jusqu’à leur colère ? Qu’est devenue leur rage ? Ce peuple-là est devenu invisible, hors des radars de la gauche politique et son « malheur » n’est plus qu’un « reste muet de la politique » comme disait Michel Foucault.

    La vague de laïcité punitive des années qui ont suivi a parachevé la mise au ban social et politique de cette génération en la confessionalisant, alors même que la référence à l’Islam prenait la place de la politique perdue chez une partie des déshérités. Trente-quatre ans se sont écoulés depuis les rodéos des Minguettes qui ont déclenché la politique de la ville, trente-deux depuis l’émergence électorale du Front national. Une génération a passé. Les classes populaires françaises se trouvent prises en otage entre deux discours identitaires : celui de l’extrême droite islamophobe et xénophobe et celui du Djihad. Ces deux discours ont un point commun : ils mettent en doute l’appartenance des classes populaires musulmanes à la Nation française."

    Alain Bertho

    https://blogs.mediapart.fr/alain-bertho/blog/291215/guerre-urgence-et-decheance-l-etat-desintegrateur