« Quatorze« Quatorze mille bébés vont mourir dans les quarante-huit heures si nous ne réussissons pas à les atteindre », a lancé sur la BBC Tom Fletcher, chef du Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha).
C’était mardi 20 mai. Le diplomate onusien, pourtant aguerri aux situations les plus dramatiques, alertait sur le nombre dérisoire de camions d’aide autorisés par les autorités israéliennes à pénétrer dans l’enclave palestinienne : une centaine, alors que pas un gramme de nourriture n’est entré dans le territoire depuis le 2 mars et que les gens y ont faim. « Ces camions transportent de la nourriture pour bébés », continuait le haut fonctionnaire.
Plus tard dans la journée de mardi, il était annoncé, presque triomphalement, que 93 véhicules chargés de palettes d’aide étaient entrés dans Gaza. C’est évidemment très insuffisant, alors que 600 camions y pénétraient quotidiennement pendant le cessez-le-feu, du 19 janvier au 2 mars 2025, sans réussir à répondre à tous les besoins.
Surtout, c’est faux. Mercredi 21 mai, ces camions sont toujours bloqués au point de passage de Kerem Shalom, Karim Abou Salim en arabe, selon plusieurs sources humanitaires auxquelles Mediapart a pu parler.
Et ce, pour plusieurs raisons, relevant au mieux de la tracasserie bureaucratique, au pire de la volonté délibérée de faire capoter la mission humanitaire.
Distribution impossible
Nature des cargaisons, voies d’acheminement, moyens de stockage, à chaque étape des dizaines de bâtons sont mis dans les roues des camions. Rarement écrits, souvent, assurent plusieurs sources à Mediapart, noyés dans des informations provenant de plusieurs canaux de contact. « On a des informations lors de réunions en groupe, en bilatéral, avec tel ou tel organisme, si bien qu’à la fin, on passe un temps fou à démêler la validité ou l’invalidité de telle ou telle information, et en plus toutes les ONG n’ont pas les mêmes », raconte un professionnel de l’humanitaire.
Les autorités israéliennes ont autorisé seulement deux agences de l’ONU, le Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Unicef, et une ONG internationale, le World Central Kitchen (WCK), en bons termes avec les autorités israéliennes, à faire passer des cargaisons. Et seulement entre lundi 20 mai et samedi 24 mai.
Elles ont également restreint la nature des produits autorisés : uniquement de la farine, de la nourriture pour bébés et des fournitures médicales.
« C’est très limité. Les Israéliens nous ont imposé restrictions sur restrictions. Par exemple, impossible de faire entrer des produits que les cuisines communautaires peuvent utiliser », explique à Mediapart une source humanitaire. Alors que ces cantines communes fournissent des repas chauds à une grande partie de la population grâce aux aliments fournis par les organisations internationales, et qu’elles ont dû fermer les unes après les autres ces dernières semaines.
Le gouvernement israélien a fait semblant de céder à la pression internationale. Mais il fait tout pour casser les capacités opérationnelles des organisations internationales.
Interdiction, aussi, d’acheminer les biens vers les entrepôts de stockage habituels. « Ils nous ont dit qu’il fallait livrer la farine directement aux boulangeries et les fournitures médicales aux hôpitaux de campagne, poursuit la même source humanitaire, encore effarée. Les boulangeries n’ont pas les moyens de stocker la farine et, dans ce contexte de faim généralisé, elles se feraient piller. »
« Quant aux hôpitaux, les fournitures arrivent sur des palettes. Il faut les déballer, les distribuer en fonction des besoins. Tous les hôpitaux n’ont pas les mêmes besoins », reprend le professionnel de l’humanitaire.
L’acheminement aussi a été une pierre d’achoppement. « On a très vite appris, une fois au point de passage, que des groupes armés nous attendaient à la sortie, côté palestinien, pour nous piller. Ces hommes sont très bien équipés et ont aussi des caméras. Ils étaient prêts à filmer les pillages », assure notre source.
Selon une note consultée par Mediapart, des camions affrétés par les Émirats arabes unis, alliés d’Israël, ont franchi le point de passage côté palestinien et fait immédiatement demi-tour devant les hommes armés, craignant pour la sécurité de leur cargaison et de leur personnel. La topographie des lieux oblige à conclure que les soldats israéliens ont parfaitement connaissance de la présence de ces pillards très organisés. Ils ne sont pas ciblés par l’armée israélienne, et n’appartiennent donc pas au Hamas, accusé par Tel-Aviv d’être responsable des détournements de l’aide. (...)